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Date : 20220810


Dossier : T-1754-21

Référence : 2022 CF 1188

Ottawa (Ontario), le 10 août 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

FREDERICK MATHELIER-JEANTY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Frédérick Mathelier-Jeanty, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 20 octobre 2021 (la décision), par laquelle une agente de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), pour le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande de prestation canadienne d’urgence (PCU).

[2] La PCU faisait partie d’un ensemble de mesures prises par le gouvernement fédéral en 2020 en réponse à la COVID‑19. Il s’agissait d’un paiement monétaire ciblé qui visait à fournir un soutien financier aux travailleurs ayant subi une perte de revenus en raison de la pandémie de COVID‑19. Le cadre législatif de la PCU est défini dans la Loi sur la prestation canadienne d’urgence (la Loi), soit l’article 8 de la Loi sur les mesures d’urgence visant la COVID‑19, LC 2020, c 5. Pour être admissible à recevoir des paiements de la PCU, un demandeur devait démontrer qu’il avait un revenu d’au moins 5 000 $ provenant de sources réglementaires (qui comprenait le revenu d’un travail indépendant) en 2019 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande de PCU (l’alinéa 2 de la Loi). En outre, le demandeur devait avoir cessé de travailler ou avoir vu ses heures de travail réduites en raison de la COVID‑19 (le paragraphe 6(1) de la Loi).

[3] Dans la décision, l’agente indique que, selon son examen, le demandeur était inadmissible à la PCU puisque (1) il n’a pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande; et (2) il n’a pas cessé de travailler ou ses heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

[4] Pour les raisons énoncées ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte

[5] Le demandeur a réclamé la PCU pour les sept périodes de quatre semaines allant du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020. Il a reçu, pour chacune de ces périodes, un montant de 2 000 $. Le 30 avril 2020, le demandeur a produit sa déclaration de revenus pour l’année 2019 dans laquelle il déclare avoir gagné un revenu d’entreprise (gardien d’enfants) de 5 250 $.

[6] Le 23 octobre 2020, le dossier du demandeur a été sélectionné pour un premier examen pour son admissibilité à la PCU. L’agent de l’ARC responsable de l’examen a demandé des preuves de revenu pour le montant du travail indépendant déclaré par le demandeur. Malgré la transmission par le demandeur de certains reçus et un Relevé 1 « Revenus d’emploi et revenus divers », l’agent a rendu une décision le 17 novembre 2020, voulant que le demandeur fût inadmissible à la PCU.

[7] Étant en désaccord avec cette première décision, le demandeur a envoyé une demande de deuxième examen à l’ARC. Toutefois, l’agent responsable du deuxième examen a confirmé que le demandeur était inadmissible à la PCU dans une décision rendue le 30 décembre 2020.

[8] Le 9 février 2021, le demandeur a transmis à l’ARC des documents additionnels : (a) quatre reçus pour les frais de garde d’enfants provenant d’une Mme Julien pour la période de janvier à décembre 2019 dans le montant total de 7 770 $; (b) des reçus de dépenses datés en 2019 totalisant 3 477 $; et (c) un Relevé 1 « Revenus d’emploi et revenus divers » de Loblaw Companies Limited pour l’année 2019 pour un montant de 192,62 $. Le 19 février 2021, l’ARC a émis une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2019 du demandeur, établissant son revenu net à 8 649 $. Le 24 mars 2021, le demandeur a retransmis à l’ARC les mêmes reçus de Mme Julien et les mêmes reçus de dépenses.

[9] Le 12 octobre 2021, le dossier de demande du demandeur a été attribué à Isabelle Perron (l’Agente), une agente chargée de la conformité en matière de prestations à l’ARC, pour un second deuxième examen.

[10] Le 15 octobre 2021, l’Agente a appelé le demandeur. Lors de l’appel, le demandeur a indiqué qu’il travaillait en 2019 comme gardien d’enfants dans une maison privée. Cependant et toujours en 2019, son employeur a perdu son emploi et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé sans emploi. Le demandeur a cherché du travail, mais sans succès. En ce qui concerne la preuve de son revenu du travail en 2019, il a expliqué à l’Agente qu’il est payé en argent comptant et qu’il ne déposait pas cet argent dans un compte bancaire. En plus, le demandeur a expliqué avoir déclaré un T4 de 3 420 $ pour l’année 2019, mais en réalité il n’avait qu’un T4 de 190,01 $.

[11] Après une recherche dans le système électronique de l’ARC, l’Agente a constaté que le demandeur a déclaré avoir gagné un revenu net de 14 000 $ pour l’année d’imposition 2020 et que son revenu pour l’année comprenait uniquement de la PCU. Elle a donc conclu que le demandeur n’a déclaré aucun revenu d’emploi de travail indépendant pour l’année 2020.

[12] L’Agente a préparé un rapport d’examen (le Rapport) résumant les faits susmentionnés et concluant que le demandeur était incapable de prouver qu’il a gagné un revenu du travail indépendant d’au moins 5 000 $ avant sa première demande de PCU, qu’il ne travaillait pas en 2020 et qu’il n’a pas arrêté de travailler en raison de la COVID-19.

[13] L’Agente a ensuite rendu sa décision de second deuxième examen confirmant la décision de premier examen et celle de deuxième examen et rejetant la demande de PCU du demandeur.

II. La décision sous contrôle

[14] Les principaux paragraphes de la décision du 20 octobre 2021 sont les suivants :

Selon notre examen, vous êtes inadmissible. Vous ne satisfaites pas aux critères d’admissibilité requis ci-après :

- Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d'emploi ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

- Vous n'avez pas cessé de travailler ou vos heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

[15] Le 17 novembre 2021, le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire de la décision.

III. L’analyse

[16] La présente demande soulève une seule question : la décision portant que le demandeur était inadmissible à la PCU est-elle déraisonnable?

[17] La décision est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Laroque c Canada (Procureur général), 2022 CF 613 au para 16 (Laroque)).

[18] Lorsque la Cour révise une décision administrative selon la norme de la décision raisonnable, elle doit examiner les motifs donnés par le décideur et déterminer si la décision « est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable et la cour de justice « doit […] être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[19] En vertu de l’article 2 et le paragraphe 6(1) de la Loi, le demandeur devait répondre aux deux critères conjonctifs afin d’être admissible à la PCU : (1) avoir reçu un revenu d’au moins 5 000 $ provenant de son travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande de prestation; et (2) avoir cessé de travailler ou avoir vu ses heures de travail réduites en raison de la COVID‑19. L’article 10 de la Loi prévoit que le Ministre peut « à toute fin liée à la vérification du respect ou à la prévention du non-respect de la présente loi…exiger d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou qu’elle produise des documents dans le délai raisonnable que précise l’avis ».

[20] Dans le Rapport qui fait partie de la décision sous contrôle (Larocque au para 17; Aryan v Canada (Attorney General), 2022 FC 139 au para 22 (Aryan)), l’Agente a expliqué que :

le demandeur ne possède pas de documentation qui appuie les factures soumises, pas de relevé bancaire, puisqu’il était payé en argent et ne déposait pas les montants versés. Donc, il est incapable de prouver qu’il gagnait un revenu de travail indépendant d’au moins de 5000 $ avant sa première demande de prestation.

le demandeur travaillait en 2019 et a été remercié de ses services, car son employeur avait perdu son emploi. Toutefois, on ne parlait pas encore de la COVID-19 en 2019, alors le demandeur n’a pas perdu son emploi en raison de la COVID-19.

[21] Le demandeur fait valoir que l’ARC a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée parce qu’il a perdu son emploi à cause de la COVID-19 en 2020, et non pas en 2019. Il plaide aussi qu’il avait un revenu supérieur à 5 000 $ en 2019, comme le montrent sa déclaration d’impôt pour l’année et ses preuves déposées à l’appui de sa demande de PCU.

[22] Après avoir considéré soigneusement la preuve au dossier, je ne suis pas convaincue par les arguments du demandeur. Il n’a relevé aucune erreur ou omission importante dans la décision qui justifie l’intervention de la Cour. Les motifs avancés par l’Agente pour rejeter la demande de PCU sont intelligibles et justifiés à la lumière de la preuve et du régime législatif de la PCU. Je conclus donc que l’Agente pouvait raisonnablement conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il répondait aux deux critères de la Loi (Walker v Canada (Attorney General of Canada), 2022 FC 381 au para 55).

[23] L’Agente a d’abord examiné les reçus émis par Mme Julien pour l’année 2019 et les informations dans les systèmes de l’ARC relatives aux demandes de PCU du demandeur. Bien que les reçus de Mme Julien totalisent un montant de 7 770 $, l’Agente a conclu que les preuves soumises par le demandeur étaient insuffisantes, une conclusion hautement factuelle. D’une autre part, en additionnant les montants des factures soumises, la somme ne correspond pas au montant total déclaré originalement (5 250 $). Même lorsqu’on compare ces sommes à la nouvelle cotisation, les montants ne sont pas les mêmes. En plus, lors de leur appel téléphonique le 15 octobre 2021, le demandeur a expliqué avoir déclaré un T4 de 3 420 $, mais qu’en réalité il avait seulement un T4 de 190,01 $.

[24] Les preuves du demandeur soulèvent des contradictions et créent un doute raisonnable pour l’ARC en ce qui concerne les revenus du demandeur pour l’année 2019. Par conséquent, les preuves additionnelles pour soutenir ses propositions devenaient cruciales (l’article 10 de la Loi). Le demandeur se faisait payer en argent comptant et ne déposait pas cet argent. Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel le contribuable qui souhaite le paiement en argent comptant doit être d'autant plus soucieux de pouvoir prouver le paiement afin d’obtenir une prestation en vertu de la Loi (Cantin c Canada (Procureur Général), 2022 CF 939 au para 15). Il revenait à l’Agente d’évaluer la suffisance de la preuve et, dans le cas en l’espèce, elle n’était pas satisfaite de la preuve déposée par le demandeur. À la lumière de la preuve au dossier, soit les factures et reçus écrits à la main sans preuve qui les appuient, le T4 et l’appel téléphonique entre l’Agente et le demandeur, les conclusions de l’Agente ne sont pas déraisonnables (Hayat c Canada (Procureur général), 2022 CF 131 au para 20).

[25] Le demandeur souligne que l’ARC a émis un avis de cotisation pour son année d’imposition 2019 qui reflète un revenu qui dépasse 5 000 $, mais un avis de cotisation n’est pas une preuve que les revenus ont été gagnés (Aryan au para 35).

[26] En ce qui concerne le deuxième motif pour le refus, l’Agente a conclu que le demandeur n’a pas perdu son emploi en 2020 en raison de la COVID-19. Cette conclusion est cohérente et amplement fondée sur la preuve au dossier.

[27] Lors de l’appel du 15 octobre 2021, le demandeur a informé l’Agente qu’il a perdu son travail de gardien d’enfants en 2019 en raison de la perte de Mme Julien de son propre emploi. En plus, les factures de revenus qu’il a soumis à l’ARC sont toutes datées en 2019. Il n’a pas soumis des factures datées en 2020; ce qui concorde avec la version des faits selon laquelle il aurait perdu son emploi en 2019. L’Agente a aussi remarqué que les revenus du demandeur en 2020 comprenaient seulement des paiements de la PCU. Il était clair que le demandeur n’a pas déclaré de revenu indépendant de gardien d’enfants en 2020. Je conclus donc qu’il était loisible à l’Agente de déterminer que le demandeur n’a pas perdu son emploi pour des raisons liées à la pandémie COVID-19.

IV. Conclusion

[28] En résumé, je conclus que la décision ne souffre d’aucune lacune et satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Le demandeur n’a pas démontré que la décision est déraisonnable et sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[29] Avec le consentement des parties, l’intitulé de la présente cause est modifié pour désigner correctement le défendeur, à savoir le Procureur général du Canada.

[30] Le défendeur n’a sollicité aucuns dépens dans la présente affaire et je n’en adjugerai donc aucuns.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1754-21

LA COUR STATUE que :

  • La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  • L’intitulé de la cause est modifié afin d’indiquer que le Procureur général du Canada est le défendeur.

  • Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Elizabeth Walker »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1754-21

 

INTITULÉ :

FRÉDÉRICK MATHELIER-JEANTY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 août 2022

 

jugement et MOTIFS:

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Frederick Mathelier-Jeanty

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Amelia Fink

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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