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Date : 20220802


Dossier : IMM‑4504‑21

Référence : 2022 CF 1151

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

IHEANYI VICTOR IHEJIETO

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Iheanyi Victor Ihejieto est un citoyen du Nigeria qui s’identifie comme homosexuel. Depuis son arrivée au Canada, il a eu au moins trois relations avec des femmes. Dans la dernière de ces relations, il a été conjoint de fait d’une femme pendant cinq ans; ils ont eu deux enfants. Il affirme également avoir eu des relations avec des hommes au Nigeria et des liaisons secrètes avec des hommes au Canada, étant plus attiré par les hommes que par les femmes. Il est maintenant sorti du placard.

[2] Le demandeur n’a pas un historique sans tache en matière d’immigration et de protection des réfugiés au Canada. Entre autres, il a présenté trois demandes d’examen des risques avant renvoi [ERAR], qui ont toutes été rejetées, et la décision rendue dans le cadre de ce dernier examen est contestée dans la présente demande de contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas non plus de la première instance qu’il introduit devant la Cour fédérale.

[3] Contrairement à l’affirmation du demandeur selon laquelle le dernier agent chargé de l’ERAR a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité, ce qui entraînerait l’application de la norme de contrôle de la décision correcte, je suis d’avis que la question que doit trancher la Cour consiste à savoir si la décision de l’agent chargé de l’ERAR, laquelle reposait sur l’insuffisance d’éléments de preuve probants, était raisonnable.

[4] En d’autres termes, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25. Je ne suis pas convaincue de la présence en l’espèce d’une des situations qui justifient l’application de la norme de la décision correcte ou d’une norme tendant vers celle‑ci : Vavilov, au para 17; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 [Huang] aux para 13‑16; Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 aux para 13‑25; Susal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1104 aux para 12‑13.

[5] Je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que la décision de l’agent chargé de l’ERAR est déraisonnable : Vavilov, au para 100. Pour les motifs exposés plus en détail ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Analyse

[6] Je suis convaincue que les conclusions de l’agent concernant l’orientation sexuelle du demandeur reposent sur la suffisance des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur depuis sa précédente demande d’ERAR, conformément à l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et que celles‑ci ne constituent pas des conclusions voilées quant à la crédibilité.

[7] Pour établir si la décision d’un agent chargé de l’ERAR est fondée sur la crédibilité, la Cour doit analyser la décision de l’agent en allant au‑delà des termes que l’agent a utilisés : Matute Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074 au para 31, citant Hurtado Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 253, et Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067. Toutefois, il ne faut pas confondre une conclusion relative à l’insuffisance de preuve probante, qui porte sur la nature et la qualité des éléments de preuve et sur leur valeur probante, et une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Huang, ci‑dessus, aux para 41‑42.

[8] Outre ses observations écrites, les nouveaux éléments de preuve du demandeur consistaient en une lettre du conseil (fournissant des explications quant aux accusations de voies de fait concernant la conjointe de fait du demandeur qui ont mené à la détention de ce dernier et à l’ERAR dont il est question dans le présent contrôle judiciaire), deux conversations par messages textes, les certificats de naissance de ses deux enfants, une lettre d’appui d’un ami et la section 6 intitulée « Minorités sexuelles » du cartable national de documentation [CND] de novembre 2020 pour le Nigeria.

[9] Je ne suis pas d’accord avec la distinction que le demandeur cherche à établir entre son affaire et l’affaire Parchment c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1140 [Parchment]. Le demandeur insiste sur le fait que la déclaration du demandeur concernant l’orientation sexuelle dans cette affaire était une déclaration non assermentée qui ne pouvait donc pas bénéficier d’une présomption de crédibilité, contrairement à la déclaration assermentée du demandeur en l’espèce. À mon avis, le fait que la déclaration du demandeur ait été faite sous serment ne transforme pas une conclusion sur le caractère suffisant ou la valeur probante en une conclusion relative à la crédibilité.

[10] Le demandeur s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire I.I. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892 [I.I.] pour affirmer que la Cour doit traiter la conclusion de l’agent chargé de l’ERAR concernant la déclaration assermentée du demandeur différemment d’une conclusion concernant une déclaration non assermentée. Bien que la Cour ait jugé qu’une déclaration faite sous serment ait davantage de poids, elle a conclu qu’il était raisonnable pour l’agent d’attribuer une faible valeur probante à la déclaration assermentée en question, et que la conclusion de l’agent portait sur la valeur probante de la déclaration et non sur sa crédibilité : I.I., ci‑dessus, aux para 21‑24.

[11] Compte tenu de ce qui précède, je juge que l’agent chargé de l’ERAR en l’espèce a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas présenté de nouveaux éléments de preuve permettant de corroborer ses expériences Nigeria. Je juge également que l’agent chargé de l’ERAR n’a pas commis d’erreur en concluant que la lettre d’appui de l’ami est une brève lettre de recommandation qui ne traite pas du risque auquel serait exposé le demandeur si ce dernier retournait au Nigeria.

[12] En ce qui concerne les conversations par messages textes, selon moi, l’agent chargé de l’ERAR a agi de façon raisonnable en leur attribuant un faible poids, compte tenu de leur contenu, du manque de renseignements à leur sujet, de leurs auteurs et de leur pertinence.

[13] Bien que la référence de l’agent chargé de l’ERAR à l’identité de genre dans le cadre de l’examen des éléments de preuve tirés du CND soit déplacée et que les parties confondent (ou amalgament) les concepts d’identité et d’expression de genre avec l’orientation sexuelle dans leurs observations relatives au contrôle judiciaire, je suis d’avis que cette confusion ne compromet pas le caractère raisonnable de la décision de l’agent chargé de l’ERAR dans son ensemble. Ce ne sont pas toutes les lacunes ou les insuffisances relevées dans une décision qui rendent celle‑ci déraisonnable : Metallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 575 au para 26; Mebrahtu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 279 au para 37.

[14] Je ne rejette pas la position du demandeur quant au fait que la conclusion de l’agent chargé de l’ERAR selon laquelle il n’a pas eu de relations homosexuelles selon la prépondérance des probabilités n’est pas nécessairement concluante quant à son identité homosexuelle. Cela dit, le demandeur lui‑même a cherché à s’appuyer sur des éléments de preuve faisant état de relations homosexuelles alléguées pour établir l’orientation sexuelle alléguée. À la lumière des décisions d’ERAR défavorables antérieures et des relations du demandeur avec des femmes, il incombait à ce dernier, à mon avis, de fournir de nouveaux éléments de preuve concluants et suffisants pour étayer son allégation relative à son orientation sexuelle actuelle et au risque qui en découle.

[15] En fin de compte, je suis d’avis que les motifs de l’agent chargé de l’ERAR permettent à la Cour de comprendre le fondement sur lequel ce dernier s’est appuyé pour conclure que la nouvelle preuve du demandeur était insuffisante. En d’autres termes, le raisonnement de l’agent chargé de l’ERAR, lorsqu’il est interprété de manière globale et contextuelle, fait preuve d’une cohérence intrinsèque et d’une rationalité qui permettent à la Cour de relier les points : Vavilov, ci‑dessus aux para 85 et 97 (citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11).

III. Conclusion

[16] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que le demandeur n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’agent chargé de l’ERAR. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée.

[17] Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification, et je conclus que les circonstances de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4504‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 23 juin 2021 par laquelle un agent principal a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi du demandeur est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4504‑21

 

INTITULÉ :

IHEANYI VICTOR IHEJIETO c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

David Matas

Bashir Khan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cynthia Lau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le défendeur

 

 

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