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Date : 20050803

Dossier : IMM-4516-04

Référence : 2005 CF 1057

Ottawa (Ontario), le mercredi 3 août 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

PONNAMMAH KANDIAH

demanderesse

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]         Mme Ponnammah Kandiah est une citoyenne du Sri Lanka d'origine tamoule. La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision d'une agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente) qui a rejeté la demande présentée par Mme Kandiah pour qu'un examen des risques avant renvoi soit effectué (ERAR).

LES FAITS

[2]         Mme Kandiah est une veuve de 85 ans mère de sept enfants. L'un de ses enfants vit au Canada, mais les six autres vivent en Hollande, au Danemark, au Royaume-Uni, en Italie et en Inde. Elle est arrivée au Canada le 29 octobre 1998 à titre de visiteur, et elle a revendiqué le statut de réfugié le 31 mai 1999, revendication qui a été refusée le 29 août 2000. En rejetant sa revendication, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accepté le témoignage de Mme Kandiah dans lequel elle déclarait qu'elle avait été victime d'extorsion de la part des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), mais puisqu'elle n'était pas disposée à faire des hypothèses quant à savoir les LTTE pouvaient prendre le contrôle de Jaffna, la Commission a conclu que Mme Kandiah avait une possibilité de refuge intérieur à Jaffna.

[3]         Dans ses observations au sujet de l'ERAR, Mme Kandiah fait valoir que si elle retournait au Sri Lanka elle serait exposée à des risques graves, notamment à de l'extorsion et à un enlèvement, à de mauvais traitements de la part des forces de sécurité, à des demandes de services de la part des LTTE, ainsi qu'aux conditions générales qui menacent la sécurité des Tamouls dans toutes les régions du pays.

LA DÉCISION

[4]         Dans sa décision, l'agente a commencé par énoncer la situation de Mme Kandiah et elle a examiné la preuve générale dont elle était saisie concernant la situation qui règne au Sri Lanka, notamment le fait qu'en février 2002, un accord de cessez-le-feu a été signé entre le gouvernement du Sri Lanka et les LTTE. L'agente a fait observer ce qui suit : [traduction] « Le cessez-le-feu actuel est en vigueur depuis plus de deux ans et a ramené le calme et la tranquillité, de même que toute une série d'avantages, dans le pays » .

[5]         Pour ce qui est du risque particulier de l'extorsion, l'agente écrit ce qui suit :
           
[TRADUCTION]

La preuve documentaire, y compris celle qui a été déposée par la demanderesse, laisse entendre que les LTTE demandent effectivement de l'argent à certains Tamouls; toutefois, la preuve ne laisse pas entendre que le degré d'extorsion actuel exercé par les LTTE puisse équivaloir à de la persécution. Même si les LTTE ont fait des demandes d'argent de façon constante, répétitive et préjudiciable, la demanderesse pourrait informer la mission de contrôle au Sri Lanka (MCSL) qui ferait une enquête sur cette atteinte au protocole d'entente. Des renseignements fournis par Human Rights Watch laissent entendre que la MCSL a traité un nombre croissant de plaintes d'abus commis contre des civils, notamment à l'égard de l'extorsion.

La demanderesse n'a pas fourni suffisamment de preuves convaincantes indiquant qu'elle est personnellement exposée à un risque d'être recrutée pour fournir des services aux LTTE. Je ne suis pas convaincue qu'une femme tamoule âgée de 84 ans qui se trouve à l'extérieur du pays depuis octobre 1998 puisse être d'un intérêt quelconque pour les LTTE ou faire l'objet de représailles de leur part ou de la part des autorités srilankaises. La demanderesse n'a pas fourni suffisamment de preuves convaincantes pour appuyer sa crainte de risque personnalisé au Sri Lanka.

Bien que la situation au Sri Lanka ne soit pas idéale, je ne suis pas convaincue que la demanderesse est une personne visée à l'article 96 ou 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]         Pour ce qui est de la norme de contrôle appropriée devant être appliquée à une décision d'un agent d'ERAR, le juge Mosley, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle, a conclu dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 540, ce qui suit : « la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, celle de la décision correcte » . Le juge Mosley a également endossé la conclusion du juge Martineau dans la décision Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F . no 458, selon laquelle la norme de contrôle appropriée pour la décision d'un agent d'ERAR est celle de la décision raisonnable simpliciter quand la décision est examinée « globalement et dans son ensemble » . Mme la juge Layden-Stevenson a suivi cette décision dans l'affaire Nadarajah c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 895, au paragraphe 13. Pour les motifs énoncés par mes collègues, j'accepte qu'il s'agit là d'une analyse exacte au sujet de la norme de contrôle applicable.

[7]         Lorsqu'elle applique la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, la cour de révision doit se demander si la décision est appuyée par des motifs qui, à leur tour, sont appuyés par un fondement probatoire adéquat. Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. (Voir : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.) La cour de révision doit être convaincue que les conclusions tirées de la preuve sont logiquement valides. (Voir : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 63.) La décision n'est déraisonnable « que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait » . Une décision peut satisfaire à la norme de contrôle si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision. Voir : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55.

APPLICATION DE LA NORME DE CONTRÔLE À LA DÉCISION

[8]         Au vu de la preuve dont était saisie l'agente, ses motifs posent un problème à de nombreux égards.

[9]         Tout d'abord, en droit, l'extorsion peut équivaloir à de la persécution (voir, par exemple, Packiam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 779 (C.F. 1re inst.), et Vygthilingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 970 (1re inst.)). En l'espèce, bien que l'agente déclare que [traduction] « la preuve ne laisse pas entendre que le degré d'extorsion actuel exercé par les LTTE puisse équivaloir à de la persécution » , elle n'indique pas clairement sur quels éléments de preuve elle s'est appuyée ni la raison pour laquelle l'extorsion, à son avis, ne peut équivaloir à de la persécution. Il s'agit d'une omission importante au vu de la preuve dont elle était saisie indiquant que des Tamouls âgés (particulièrement ceux qui ont des parents à l'étranger) ont été victimes d'extorsion, ont été enlevés et détenus jusqu'au versement d'une rançon, et qu'ils font l'objet de menaces de mort de la part des LTTE.

[10]       Deuxièmement, l'agente s'est appuyée sur l'existence de la Mission de contrôle au Sri Lanka (MCSL) qui serait, selon l'agente, prête à faire enquête et à traiter les plaintes d'abus ou d'extorsion. Toutefois, les avocats ont été incapables d'indiquer dans le dossier une preuve permettant d'appuyer l'opinion selon laquelle la MCSL pourrait assurer une aide efficace. L'agente disposait cependant d'éléments de preuve indiquant que, dans le passé, les assurances données à la MCSL par les LTTE n'avaient pas été respectées et que peu de personnes sont disposées à porter plainte auprès de la MCSL.

[11]       Troisièmement, dans la mesure où l'agente s'est appuyée sur un rapport non identifié fourni par Human Rights Watch, ce rapport n'a été ni fourni par Mme Kandiah dans ses observations relatives à l'ERAR, ni mentionné par l'agente dans sa décision lorsqu'elle a donné les références des sources qu'elle a consultées. Il est donc impossible de savoir si le rapport de Human Rights Watch auquel il est fait référence contenait un fondement probatoire pour la conclusion tirée par l'agente.

[12]       Finalement, en ce qui concerne l'ensemble des motifs de l'agente, celle-ci s'est appuyée grandement sur l'accord de paix, sans mentionner les éléments de preuve dont elle était saisie qui appuyaient les craintes de Mme Kandiah, et sans expliquer pourquoi elle préférait la preuve qui contredisait les craintes de Mme Kandiah.

[13]       En raison de ces manquements, je conclus que les motifs de l'agente ne résistent pas à un examen assez poussé. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

[14]       Aucun avocat n'a posé une question aux fins de la certification, et je conviens qu'aucune question grave de portée générale ne ressort du présent dossier.

ORDONNANCE

[15]       LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de l'agente chargée de l'examen des risques avant renvoi en date du 23 mars 2004 est donc infirmée.

2.          L'affaire est renvoyée afin qu'un autre agent statue à nouveau sur l'affaire.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4516-04

INTITULÉ :                                        PONNAMMAH KANDIAH

                                                            c.

                                                            LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 20 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE     LA JUGE DAWSON

ET ORDONNANCE :

DATE DES MOTIFS :                       LE 3 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

KUMAR SRISKANDA                                                            POUR LA DEMANDERESSE

LORNE McCLENAGHAN                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KUMAR SRISKANDA                                                          POUR LA DEMANDERESSE

AVOCAT

SCARBOROUGH (ONTARIO)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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