Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220805


Dossiers : IMM‑2012‑21

IMM‑2025‑21

IMM‑2026‑21

IMM‑2027‑21

Référence : 2022 CF 1170

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 5 août 2022

En présence de monsieur le juge Bell

Dossier : IMM‑2012‑21

ENTRE :

IRINA SEMENUSHKINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑2025‑21

ET ENTRE :

IRINA SEMENUSHKINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑2026‑21

ET ENTRE :

ANDREY BATYSHEV

ALEKSANDRA BATYSHEVA

MIKHAIL BATYSHEV

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM‑2027‑21

ET ENTRE :

ANDREY BATYSHEV

ALEKSANDRA BATYSHEVA

MIKHAIL BATYSHEV

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de deux décisions rendues par la même agente des visas (l’agente) le 27 janvier 2021 (la première décision) et le 2 mars 2021 (la seconde décision), respectivement, par lesquelles l’agente a refusé de délivrer des visas de résident temporaire [VRT] aux demandeurs.

[2] Le 18 février 2022, la Cour a ordonné que les dossiers IMM‑2012‑21, IMM‑2025‑21, IMM‑2026‑21 et IMM‑2027‑21 soient entendus ensemble. Les dossiers IMM‑2025‑21 et IMM‑2027‑21 concernent la première décision. Les dossiers IMM‑2012‑21 et IMM‑2026‑21 concernent la seconde décision.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejette les quatre demandes de contrôle judiciaire.

II. Faits

[4] Madame Aleksandra Batysheva (Mme Batysheva), son conjoint, monsieur Andrey Batyshev (M. Batyshev), leur fils mineur, Mikhail Batyshev (Mikhail), âgé de trois ans, et la mère de Mme Batysheva, madame Irina Semenushkina (Mme Semenushkina”) (collectivement, les demandeurs), sont des citoyens de la Russie.

[5] En décembre 2020, les demandeurs ont demandé des VRT pour rendre visite à madame Anna Sosedova (Mme Sosedova), amie d’enfance de Mme Batysheva, qui réside au Canada. Dans leur demande, les demandeurs inscrivent, entre autres éléments, la durée proposée de leur séjour, l’amitié qui lie Mme Batysheva et Mme Sosedova depuis l’enfance, et leur volonté de reconstituer, en famille, un voyage mémorable au Canada que Mme Batysheva avait effectué avec son père dans les années 1990. Les demandeurs ont produit des preuves faisant état d’économies atteignant environ 130 000 $ CAN au nom de Mme Batysheva et de M. Batyshev, des salaires touchés par Mme Batysheva et M. Batyshev à titre de conseillers juridiques d’entreprise et du fait que Mme Semenushkina est une ingénieure à la retraite qui possède de multiples propriétés en Russie. De plus, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve de leurs nombreux antécédents de voyage, lesquels comprenaient 11 voyages à l’étranger au cours des cinq dernières années. Les quatre voyageurs ont effectué un seul de ces voyages tous ensemble.

[6] L’agente a rendu la première décision le 27 janvier 2021. Les lettres de refus et les notes consignées au Système mondial de gestion des cas (le SMGC) étaient identiques pour tous les demandeurs.

[7] Le 18 février 2021, les demandeurs ont présenté à la même agente un document intitulé [traduction] « Demande de réexamen », avec de nouveaux formulaires de demande de VRT et les frais exigibles. Les demandeurs invoquaient les mêmes éléments de preuve.

[8] L’agente a rendu la seconde décision le 2 mars 2021. Là encore, les lettres de refus et les notes consignées au SMGC étaient identiques pour tous les demandeurs. Je souligne ici que les lettres de refus et les notes consignées au SMGC en ce qui concerne la seconde décision étaient différentes par rapport à la première décision.

[9] Le 24 mars 2021, Mme Semenushkina a demandé l’autorisation de la Cour pour soumettre la première décision à un contrôle judiciaire (dossier IMM‑2025‑21), à l’instar de Mme Batysheva, de M. Batyshev et de Mikhail (dossier IMM‑2027‑21). Le même jour, Mme Semenushkina a aussi demandé l’autorisation de la Cour pour soumettre la seconde décision à un contrôle judiciaire (dossier IMM‑2012‑21), tout comme les autres demandeurs (dossier IMM‑2026‑21). La Cour a accordé l’autorisation le 18 février 2022 et, comme il est mentionné précédemment, a ordonné que les dossiers soient instruits ensemble.

III. Décisions faisant l’objet du contrôle

A. La première décision

[10] Dans ses lettres de décision, l’agente des visas a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour proposé, comme l’exige l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. Dans les lettres, l’agente a invoqué les liens familiaux des demandeurs au Canada et dans leur pays de résidence, l’objet de leur visite et les perspectives d’emploi limitées dans leur pays de résidence. Les notes consignées par l’agente au SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]

Voyage de tourisme afin de rendre visite à des amis pendant 14 jours. Toute la famille est censée effectuer le voyage. Je ne suis pas convaincue que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. L’objet de la visite ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socio‑économique de la demanderesse, et pour cette raison je ne suis pas convaincue que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Selon les perspectives d’emploi limitées de la demanderesse dans son pays de résidence/citoyenneté, j’ai accordé moins de poids à ses liens dans son pays de résidence/citoyenneté. Après avoir apprécié les facteurs en l’espèce, je ne suis pas convaincue que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs énoncés précédemment, j’ai rejeté la présente demande.

 

B. La seconde décision

[11] Dans la seconde décision, l’agente souligne à nouveau qu’elle n’est pas convaincue que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour, comme l’exige l’alinéa 179b) du RIPR. L’agente a invoqué comme motifs les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence et l’objet de la visite. Dans ce cas, l’agente a mentionné la pandémie de COVID‑19. Les notes consignées par l’agente au SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]

La cheffe de famille (CF), le conjoint, l’enfant et la mère rendraient visite à une amie d’enfance de la CF, qui est entrée au pays en 2002. Une photo au dossier identifiant la CF et l’amie ensemble et datée d’après 2002. Aucune raison impérative de voyager en raison de la pandémie de Covid, particulièrement à la lumière de la vulnérabilité de certains membres de la famille. En dépit du fait que les membres de la famille ont déjà voyagé, rien ne démontre qu’ils ont souvent voyagé tous ensemble pour que cet élément reçoive un poids favorable dans mon appréciation. Documents faisant état de revenus et d’économies pour la CF et son conjoint, mais ne renversent pas l’insuffisance de l’objet du voyage et la faiblesse des liens familiaux dans le pays d’origine, puisque toute la famille est du voyage. Sur la foi des documents figurant au dossier, je ne suis pas convaincue que l’objet et les liens sont suffisants pour ce voyage et pour assurer le départ du Canada si les VRT sont accordés. Demande refusée

IV. Dispositions pertinentes

[12] Les dispositions pertinentes en l’espèce sont l’alinéa 179b) du RIPR et l’article 302 des Règles des Cours fédérales, [les Règles] :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002‑227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227

Délivrance du visa

 

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

[...]

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

[...]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

DORS/98‑106 :

 

Limites

Limited to single order

302 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302 Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

V. Questions en litige et norme de contrôle

[13] Les parties soulèvent les questions qui suivent :

A. Question préliminaire : l’article 302 des Règles empêche‑t‑il les demandeurs de solliciter le contrôle judiciaire des deux décisions?

B. Les décisions sont‑elles raisonnables?

C. Les décisions sont‑elles équitables sur le plan procédural?

VI. Observations des parties et analyse

A. L’article 302 des Règles empêche‑t‑il les demandeurs de solliciter le contrôle judiciaire des deux décisions?

[14] Le défendeur affirme que l’article 302 des Règles empêche les demandeurs de solliciter le contrôle judiciaire des deux décisions dans un seul contrôle judiciaire. Il soutient que l’exception à la règle, qui permet à un demandeur de contester deux ou plusieurs décisions qui constituent « un acte continu ou une même série d’actes » ne s’applique pas (David Suzuki Foundation c Canada (Santé), 2018 CF 380 [David Suzuki], au para 173).

[15] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont respecté l’article 302 des Règles en contestant chaque décision individuelle dans un contrôle judiciaire distinct.

[16] L’argument du demandeur n’est pas fondé.

[17] L’article 302 des Règles est ainsi libellé :

302 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

[Non souligné dans l’original.]

302 Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

[18] L’interdiction énoncée à l’article 302 des Règles ne s’applique qu’aux cas où un demandeur sollicite le contrôle judiciaire de deux ou plusieurs décisions dans une seule demande de contrôle judiciaire (Singh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 225 [Singh], aux para 4 à 8; Lessard‑Gauvin c Canada (Procureur général), 2016 CF 227 au para 5). L’article 302 des Règles ne s’applique pas dans les circonstances. Les demandeurs ne sollicitent pas le contrôle judiciaire de la première décision et de la seconde décision dans la même demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (la DACJ). Ils ont présenté quatre DACJ distinctes. Deux de ces DACF concernaient la première décision. Deux concernaient la seconde décision. Les quatre DACJ se sont vu attribuer par la Cour un numéro de dossier différent. La Cour, par ordonnance datée du 18 février 2022, a ordonné que les quatre demandes soient entendues ensemble. Cette façon de faire a été suivie par la Cour à maintes reprises, y compris dans les décisions Khakh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 710, et Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347 (voir aussi la décision Singh, précitée, aux para 6‑7), et elle ne contrevient pas aux limites établies à l’article 302 des Règles.

B. Les décisions sont‑elles raisonnables?

[19] Les décisions de l’agente sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, 441 DLR (4e) 1 [Vavilov], au para 25. Aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce (Vavilov, au para 17).

[20] « [U]ne décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes suffisamment graves; des lacunes superficielles ou accessoires ne suffiront pas à infirmer la décision (Vavilov, au para 100). Surtout, la cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble et s’abstenir de procéder à une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov, aux para 85 et 102).

C. La première décision

[21] Les demandeurs soutiennent que les motifs de l’agente ne sont pas adaptés aux éléments de preuve qu’ils ont présentés (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 15. Ils reconnaissent que, dans le contexte des visas, les motifs peuvent être concis, mais ils soutiennent que les conclusions de l’agente ne sont étayées par aucune analyse reliant leur situation aux conclusions tirées. Ils prétendent que l’agente ne fait que présenter une série de facteurs et de conclusions génériques qui pourraient s’appliquer à n’importe quel demandeur.

[22] Les demandeurs soutiennent qu’il n’y a pas d’explication ou d’analyse quant aux raisons pour lesquelles le motif des [traduction] « liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence » étayait une conclusion selon laquelle ils ne quitteraient pas le Canada à la fin de leur séjour. Ils font remarquer que cela les amène, ainsi que la Cour, à se livrer à des conjectures quant aux raisons pour lesquelles ce motif était à la base du refus de leurs demandes de VRT. Ils affirment que c’est particulièrement le cas étant donné les éléments de preuve selon lesquels ils ont beaucoup voyagé à l’étranger, individuellement et en famille, et selon lesquels ils n’ont jamais dépassé la durée autorisée de leur séjour ni de quelque façon contrevenu aux lois sur l’immigration.

[23] Les demandeurs font valoir que le même argument s’applique à l’invocation par l’agente de [traduction] « l’objet de la visite » comme motif de refus. Ils affirment que l’agente n’a tout simplement pas énoncé les raisons pour lesquelles l’explication détaillée qu’ils ont fournie quant à leur volonté de venir au Canada n’est pas satisfaisante. Ils soutiennent que l’agente n’explique pas pourquoi elle s’inquiète de leur [traduction] « situation socio‑économique ». Ils font remarquer qu’ils sont bien établis en Russie, ce qui est attesté par les éléments de preuve quant à leurs propriétés, leurs grandes économies et leurs emplois stables et bien rémunérés de conseillers juridiques d’entreprise. Dans le même ordre d’idées, les demandeurs affirment que les conclusions tirées par l’agente au sujet de leurs [traduction] « perspectives d’emploi limitées » ne comportent aucune justification cohérente.

[24] Le défendeur soutient que les demandeurs demandent tout simplement à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait l’agente. L’avocat du défendeur affirme qu’il était loisible à l’agente de se fonder sur le bon sens pour conclure que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils quitteraient le Canada à la fin de leur séjour. Il fait valoir que les notes consignées au SMGC montrent que l’agente a soupesé [traduction] « les facteurs pertinents dans la demande ». Le défendeur affirme que, étant donné les connaissances spécialisées qu’ont les agents des visas, il était raisonnable d’apprécier la situation socio‑économique et les perspectives d’emploi des demandeurs en Russie et de faire remarquer que toute la famille ferait le voyage pour accorder moins de poids aux liens dans leur pays de résidence.

[25] Les agents de visas jouissent d’une grande discrétion (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 284 au para 5). Ceci dit, il ne suffit pas que les décisions administratives soient justifiables; elles doivent aussi se justifier (Vavilov, au para 86). La cour de révision doit être convaincue qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » (Vavilov, au para 102, citant Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 RCS 247 au para 55 et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748, 144 DLR (4e) 1) 1 au para 56). En dépit du fait que les motifs sont laconiques, ils n’en font pas moins ressortir les réserves de l’agente. Celle‑ci était préoccupée par le fait que rien ne démontrait que les membres de la famille avaient souvent voyagé tous ensemble; par le fait que toute la famille serait du voyage à cette occasion (y compris un enfant de trois ans); et par la situation socio‑économique des demandeurs.

[26] Les décideurs sont censés avoir examiné tous les éléments de preuve dont ils disposaient. L’agent a des connaissances spécialisées sur la situation dans le pays, sur les conditions économiques et sur les perspectives d’emploi dans les pays d’origine. Par exemple, l’agent est censé en savoir davantage que la Cour sur les perspectives d’emploi des avocats en Russie, y compris leur situation socio‑économique. Il convient de faire montre de retenue à l’égard des conclusions de l’agente sur ces questions et d’autres éléments.

[27] Bien qu’elle soit laconique, la décision est raisonnable.

D. La seconde décision

[28] Les demandeurs soutiennent que la seconde décision ne reflète pas non plus la réceptivité et la justification requises pour satisfaire à la norme de la décision raisonnable. Ils affirment que, bien qu’ils soient différents de ceux relatifs à la première décision, les motifs du refus de la seconde sont tout aussi génériques.

[29] Les demandeurs contestent la conclusion de l’agente selon laquelle ils n’ont [traduction] « pas effectué assez de voyages tous ensemble, en famille ». De plus, ils affirment que l’agente n’a pas expliqué pourquoi ces antécédents de voyages à l’étranger et de respect des lois sur l’immigration ne constituent pas des preuves suffisantes qu’ils respecteraient de la même façon les lois canadiennes en matière d’immigration.

[30] Le défendeur soutient que l’agente a pris en compte l’ensemble des éléments de preuve et qu’elle a conclu de façon raisonnable que les demandeurs n’avaient pas présenté des éléments de preuve permettant de confirmer qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Là encore, le défendeur fait valoir que les demandeurs, essentiellement, ne sont pas d’accord avec la façon dont l’agente a examiné et a apprécié les éléments de preuve.

[31] De plus, le défendeur prétend que l’agente a eu raison de conclure que la famille n’avait aucune raison impérieuse de voyager compte tenu de la pandémie de COVID‑19 qui fait rage partout dans le monde, particulièrement étant donné que deux des demandeurs sont particulièrement à risque (un enfant mineur âgé de trois ans et une femme âgée de 72 ans). Le défendeur estime que cette observation devient plus pertinente étant donné le fait que rien ne démontre que les membres de la famille au complet ont souvent voyagé tous ensemble.

[32] Comme dans le cas de la première décision, j’estime que les motifs de la seconde décision sont peu étoffés. Ils n’en sont pas moins raisonnables. L’observation formulée par l’agente au sujet d’un voyage en temps de pandémie, au cours de laquelle de nombreux pays, dont le Canada, ont imposé des mesures sanitaires draconiennes, était tout à fait raisonnable. La mention par l’agente de [traduction] « liens familiaux faibles dans le pays d’origine étant donné que toute la famille est du voyage » doit être prise dans le contexte des membres de la famille immédiate Batysheva/Batyshev voyageant tous ensemble (la mère, le père et l’enfant mineur âgé de trois ans). Si on compare cette unité familiale cohésive à la relation avec d’autres membres de la famille vivant en Russie, l’observation de l’agente quant aux liens familiaux [traduction] « faibles » s’explique mieux. En dépit du fait que la Cour peut ne pas être d’accord avec la conclusion concernant les liens familiaux [traduction] « faibles » en Russie, la décision ne lui revient pas.

E. Les décisions sont‑elles équitables sur le plan procédural?

[33] Subsidiairement à leurs arguments relatifs au caractère raisonnable, les demandeurs affirment que les décisions sont le fruit d’une procédure inéquitable. Pour les questions d’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui doit être appliquée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 43).

[34] Les demandeurs affirment que, à première vue, les éléments de preuve qu’ils ont présentés établissaient que leur projet de voyage visait un objet raisonnable et réel. Ils prétendent que les décisions équivalent à une conclusion selon laquelle ils mentent et, contrairement à ce qu’ils affirment, qu’ils ont l’intention de tirer parti de leur entrée au Canada à des fins frauduleuses. Ils font valoir que cela correspond à une conclusion quant à la crédibilité, laquelle entraîne l’obligation d’équité (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501 au para 24). Dans ce contexte, ils affirment qu’ils auraient dû avoir une possibilité de dissiper les doutes de l’agente.

[35] Le défendeur soutient que, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, la conclusion ne soulève aucune question quant à la crédibilité. L’avocat soutient que, dans les deux cas, l’agente a exprimé des réserves quant au caractère suffisant des éléments de preuve. Il affirme que l’agente n’était nullement tenue de faire connaître aux demandeurs ses réserves quant au caractère insuffisant des éléments de preuve qu’ils ont fournis pas plus qu’elle ne devait les aviser de préoccupations découlant directement des exigences de l’alinéa 179b) du RIPR (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 969 aux para 23‑26).

[36] Le niveau d’équité procédurale auquel ont droit les demandeurs de VRT se situe à l’extrémité inférieure du registre (Hamad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 600 au para 21. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur de ses réserves quant au caractère suffisant des documents qui ont été présentés à l’appui d’une demande. Cependant, si l’agent des visas a des réserves quant à l’authenticité et à l’exactitude des documents ou à la crédibilité du demandeur, il a l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre (Al Aridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 381 au para 20).

[37] Je ne souscris pas à la position des demandeurs selon laquelle l’agente a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité. L’agente a renvoyé au caractère suffisant des éléments de preuve et a fait savoir qu’elle n’était pas convaincue que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour autorisé. De plus, je souligne que l’agente ne tire pas de conclusion explicite selon laquelle les demandeurs ne seraient pas de véritables visiteurs. Cela porte à croire que l’agente avait des réserves quant au caractère suffisant de la preuve et non pas quant à la crédibilité (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 378 aux paras 22‑23 et 25).

VII. Conclusion

[38] Pour ces motifs, je rejette les demandes de contrôle judiciaire des décisions de l’agente des visas en date du 27 janvier 2021 et du 2 mars 2021. Aucune question n’a été proposée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale et le dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans les dossiers IMM‑2012‑21, IMM‑2025‑21, IMM‑2026‑21, IMM‑2027‑21

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées sans dépens. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

IMM‑2021‑21, IMM‑2025‑21, IMM‑2026‑21 ET IMM‑2027‑21

 

DOSSIER :

IMM‑2012‑21

 

INTITULÉ :

IRINA SEMENUSHKINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‑2025‑21

 

INTITULÉ :

IRINA SEMENUSHKINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‑2026‑21

 

INTITULÉ :

ANDREY BATYSHEV, ALEKSANDRA BATYSHEVA, MIKHAIL BATYSHEV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM‑2027‑21

 

INTITULÉ :

ANDREY BATYSHEV, ALEKSANDRA BATYSHEVA, MIKHAIL BATYSHEV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MAI 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Samuel Plett

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathan Joyal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Desloges Law Group

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.