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Date : 20220805


Dossier : IMM‑4762‑21

Référence : 2022 CF 1173

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 août 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

MOHAMMED SALMAN K. ALDARURAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, monsieur Mohammed Salman K. Aldaruah, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], qui a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] qu’il a présentée au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le demandeur est un citoyen de l’Arabie saoudite qui allègue une crainte de persécution en raison de sa conversion prétendue de l’islam chiite au christianisme.

[2] Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en interprétant incorrectement le temps qui lui a été alloué pour produire des preuves de sa conversion, en refusant de tenir une audience malgré qu’il ait tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité et en faisant montre de partialité en mentionnant des conclusions antérieures quant à la crédibilité tirées par la SPR et la SAR. De plus, il conteste le caractère raisonnable de l’application, par l’agent, de l’aspect [traduction] « prospectif » du critère régissant la protection des réfugiés au titre de l’article 97 de la LIPR.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande devrait être rejetée.

I. Contexte

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Arabie saoudite qui est entré au Canada en 2012.

[5] Il a demandé l’asile le 15 février 2017 en raison de sa religion en tant que musulman d’obédience chiite et de son militantisme politique. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile le 31 mai 2017. La question déterminante était la crédibilité. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR le 19 avril 2018.

[6] En mars 2020, le demandeur a présenté sa demande d’ERAR et a demandé la protection du Canada à titre de chrétien pratiquant qui risquerait la mort en tant que musulman converti au christianisme. Il a prétendu que, en raison de la pandémie de COVID‑19,il avait eu de la difficulté à obtenir des déclarations appuyant ses dires auprès des personnes ayant pris une part directe à sa conversion. Les éléments de preuve indépendants qu’il a présentés à l’appui de sa demande consistaient en un certificat de baptême manuscrit et un bref affidavit d’un collègue de travail qui a déclaré qu’il savait que le demandeur était chrétien grâce aux conversations qu’il avait eues avec lui.

[7] L’agent a établi que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Au sujet de l’article 96, l’agent a reconnu que les documents relatifs à la situation dans le pays montraient que les personnes qui se sont converties à une autre religion sont souvent persécutées en Arabie saoudite. Il a cependant conclu que les éléments de preuve présentés par le demandeur étaient limités et insuffisants pour établir sa conversion étant donné qu’il n’y avait pas de déclaration de quiconque [traduction] « ayant pris part directement au cheminement du demandeur en vue de sa conversion au christianisme ». De plus, l’agent disposait de peu d’information au sujet du baptême du demandeur et du prêtre (le père Vaso Rajak) inscrit sur le certificat, y compris après ses propres recherches dans les sources d’information accessibles au public. L’agent a conclu que l’affirmation du demandeur selon laquelle la pandémie de COVID‑19 l’avait empêché d’obtenir des éléments de preuve auprès de quiconque a pris une part directe à sa conversion n’était pas raisonnable étant donné le temps dont il a disposé pour obtenir les preuves. Puisque l’agent a jugé que le demandeur n’avait pas réussi à établir sa conversion au christianisme, il a conclu qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu à la Convention.

[8] En ce qui concerne l’article 97 de la LIPR, l’agent a estimé que, puisqu’il ne pouvait pas établir le baptême du demandeur, et qu’il y avait peu d’indices que les autorités saoudiennes ou sa famille étaient au courant des activités du demandeur au Canada, peu d’éléments portaient à croire que quelqu’un voudrait lui causer des préjudices dans une optique prospective. Pour ces raisons, l’agent a conclu que les critères énoncés à l’article 97 n’étaient pas remplis.

II. Questions préliminaires

A. Nouveaux éléments de preuve

[9] À titre préliminaire, le demandeur cherche à produire de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent contrôle judiciaire dont ne disposait pas l’agent. Ces éléments consistent dans un article de Wikipedia établissant une chronologie de la pandémie de COVID‑19 :en Ontario (annexé à l’affidavit du demandeur en tant que pièce « A »); une lettre du prêtre (le père Vaso Rajak) dont le nom est inscrit sur le certificat de baptême, à laquelle sont joints des documents organisationnels de l’église (annexés à l’affidavit du demandeur en tant que pièce « E»); et un affidavit de Dmytro Derevianchenko, ami du demandeur, auquel le demandeur renvoyait dans son affidavit.

[10] Il existe trois exceptions reconnues permettant la production de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire : 1) les documents contenant des informations générales qui sont susceptibles d’aider à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui n’apportent pas de nouveaux éléments de preuve quant au fond; 2 ) les documents faisant ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif relativement à une conclusion en particulier; 3) les documents portant à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut pas déceler dans le dossier de preuve du décideur : Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 au para 20; Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 116. Comme l’a reconnu le défendeur, de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis lorsqu’ils concernent un manquement allégué à l’équité procédurale et qu’ils ne visent pas à faire avancer la demande d’un demandeur quant au fond.

[11] J’estime que l’article de Wikipedia est acceptable en tant que document contenant des informations générales. De plus, j’admettrai en preuve la lettre du père Rajak puisqu’elle se rapporte à l’équité procédurale associée à la recherche que l’agent a effectuée au sujet de l’église inscrite sur le certificat de baptême. Toutefois, je ne crois pas que l’affidavit de Dmytro Derevianchenko soit admissible en preuve suivant l’une des trois exceptions mentionnées. Par conséquent, cet élément ne sera pas pris en compte dans la présente demande. Je constate que même si je prenais en compte cet élément de preuve, celui‑ci n’aborde pas les lacunes mentionnées par l’agent et ne changerait pas mes conclusions énoncées ci‑après.

B. Intitulé

[12] Également à titre préliminaire, l’intitulé de la présente affaire est modifié afin de désigner correctement le défendeur, soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[13] Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

  1. L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en : a) interprétant incorrectement le temps qui a été accordé au demandeur pour présenter d’autres observations; b) en refusant la tenue d’une audience au demandeur; c) ou en faisant montre de partialité?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur déraisonnable en interprétant incorrectement l’aspect [traduction] « prospectif » du critère relatif à la protection?

[14] La norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale se reflète au mieux dans la norme de la décision correcte, même si ces questions ne sont pas assujetties à strictement parler à une analyse relative à la norme de contrôle. Il convient plutôt d’établir si le processus suivi par le décideur était juste et équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 au para 13.

[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à l’examen de la décision de l’agent chargé d’un ERAR, y compris son appréciation de la preuve, est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17; Mombeki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 931 au para 8.

[16] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85‑86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, prise dans son ensemble et compte tenu du contexte administratif, elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, aux para 91‑95, 99‑100.

IV. Analyse

A. Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

(1) Temps alloué

[17] Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en concluant qu’il avait eu de février 2020 à octobre 2020 pour formuler ses observations et préparer ses éléments de preuve alors qu’il aurait bénéficié d’un laps de temps beaucoup moins long. Il prétend qu’il n’a eu que 28 jours pour préparer ses observations, soit 14 jours avant le premier confinement en raison de la COVID‑19, et 14 jours supplémentaires après avoir reçu un avis d’IRCC lui accordant 30 jours supplémentaires à partir du 26 août 2020 pour présenter toute observation supplémentaire avant que ne reprenne le traitement de sa demande. Il soutient qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il continue de préparer son dossier entre mars 2020 et septembre 2020 puisqu’il croyait que sa demande était réglée. Il affirme que la mauvaise interprétation par l’agent du temps dont il disposait constituait [traduction] « une grave erreur qui a influé sur son jugement dans l’appréciation de l’ensemble des éléments de preuve qui lui avaient été présentés ».

[18] Cet argument ne me convainc pas. En premier lieu, rien n’indique que l’agent a examiné les éléments de preuve d’une manière différente en raison du laps de temps mentionné. En fait, l’agent, par son commentaire, ne faisait que répondre à l’affirmation du demandeur selon laquelle il lui avait été impossible de recueillir des preuves.

[19] En second lieu, il est établi que les agents chargés d’un ERAR sont tenus de recevoir tous les éléments de preuve qui peuvent influer sur leur décision jusqu’à la date à laquelle celle‑ci est transmise aux intéressés : Chudal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1073 au para 16; Gil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 330 aux para 10‑11.

[20] J’estime que l’agent a eu raison de mentionner le temps qui s’est écoulé entre le moment où le demandeur a présenté sa demande et le délai prolongé et d’estimer qu’à l’intérieur de cette période, il y avait suffisamment de temps pour obtenir des éléments de preuve. Comme l’a souligné le défendeur, le demandeur avait eu vraisemblablement plus de temps à partir de la date du délai prolongé jusqu’à la date à laquelle il a reçu la décision, et il aurait pu demander les éléments de preuve à distance.

[21] Je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale associé aux commentaires formulés par l’agent.

(2) Absence d’une audience

[22] L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] est ainsi libellé :

SECTION 4 - Examen des risques avant renvoi

DIVISION 4 – Pre-Removal Risk Assessment

 

[. . .]

Facteurs pour la tenue d’une audience

Hearing – prescribed factors

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167 For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[23] Le demandeur fait valoir que l’agent a manqué [traduction] « aux principes de justice naturelle » en ne lui accordant pas une audience même s’il a contesté la crédibilité de sa conversion au christianisme. Il affirme qu’il aurait dû avoir la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent concernant le certificat de baptême et l’absence de preuves.

[24] Le défendeur soutient, et c’est aussi mon avis, que l’agent ne s’est pas fondé sur des conclusions voilées quant à la crédibilité, mais plutôt sur l’insuffisance des éléments de preuve, et il n’était pas, par conséquent, tenu de convoquer une audience conformément à l’article 167 du RIPR.

[25] Comme il est indiqué dans la décision Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au paragraphe 41, la crédibilité et le caractère suffisant de la preuve sont des concepts distincts :

Le terme « crédibilité » est souvent utilisé à tort dans un sens large pour signifier que les éléments de preuve ne sont pas convaincants ou suffisants. Il s’agit toutefois de deux concepts différents. L’évaluation de la crédibilité est liée à la fiabilité de la preuve. Lorsqu’on conclut que la preuve n’est pas crédible, on conclut que l’origine de la preuve (par exemple, le témoignage du demandeur) n’est pas fiable. [...] L’évaluation de la suffisance de la preuve porte sur la nature et la qualité de la preuve que doit présenter un demandeur pour obtenir réparation, sur la valeur probante de la preuve, ainsi que sur le poids que doit y accorder le juge des faits, qu’il s’agisse d’un tribunal ou d’un décideur administratif. [...]

[26] En l’espèce, l’agent affirme que les observations formulées par le demandeur sont [traduction] « insuffisantes pour établir l’existence de son baptême ou de toute autre activité en lien avec l’église ». L’agent souligne que l’affidavit du demandeur ne fait que [traduction] « décrire en termes génériques la façon dont son collègue Dmitry l’a guidé vers le christianisme lorsqu’il était déprimé après le rejet de son appel par la SAR ». Les seuls éléments de preuve autres que l’affirmation formulée par le demandeur à l’appui de sa conversion au christianisme sont un certificat de baptême manuscrit et un affidavit d’un collègue n’ayant aucune connaissance directe de la conversion ou des pratiques religieuses du demandeur.

[27] Le demandeur conteste la recherche qu’a effectuée l’agent au sujet de l’église et du père Rajak. Dans la décision, l’agent indique :

[traduction]
[...] Cependant, après avoir consulté des sources accessibles au public, je n’ai pas pu établir l’adresse de l’église au 524, avenue St‑Clarens, à Toronto (Ontario), M6H 3W7. En fait, l’église Saint‑Vasilye of Ostrog est un organisme de bienfaisance enregistré établi au 169, cr. Cooperage, à Richmond Hill (Ontario), L4C 9K9 (CanaDon, s.d.). De plus, je n’ai trouvé aucune information accessible au public qui lie Vaso Rajak à l’organisation depuis 2009 (Organismes de bienfaisance enregistrés, s.d.). Voilà qui réduit considérablement la valeur probante du document.

[28] Le demandeur affirme que la lettre du père Rajak (qu’il a présentée avec la présente demande de contrôle judiciaire) et les documents organisationnels qui y étaient joints confirment l’adresse de l’église et expliquent pourquoi celle‑ci n’a pas de site Web. Il prétend que l’agent n’a pas procédé à une recherche adéquate dans les sources accessibles au public. De plus, il soutient que l’agent a eu tort de tirer une inférence défavorable du fait qu’il n’y avait aucune information sur le père Rajak dans Internet. Il affirme qu’il aurait dû avoir la possibilité d’expliquer ses éléments de preuve.

[29] En dépit du fait que l’agent s’est fondé sur des résultats de recherches qui n’ont pas été communiqués au demandeur, je ne crois pas qu’il s’agit d’une erreur fatale étant donné que ces résultats n’étaient pas déterminants eu égard à la demande d’ERAR : Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1294 aux para 15‑16. L’agent n’a pas conclu que l’église n’existait pas. En fait, il n’avait pas la moindre information sur l’église, sur ses activités ou sur le père Rajak. Même avec la lettre du père Rajak présentée avec les nouveaux éléments de preuve, ces insuffisances subsistent.

[30] De plus, je ne souscris pas à la position selon laquelle la recherche effectuée par l’agent ou les conclusions qu’il a tirées créent une conclusion voilée quant à la crédibilité au sujet du demandeur au sens de l’article 167 du RIPR.

[31] L’agent a effectué une recherche au sujet du prêtre et de l’église afin d’obtenir des renseignements supplémentaires parce que les éléments de preuve fournis par le demandeur étaient insuffisants. Comme l’a souligné l’agent, le demandeur n’a pas présenté d’affidavit émanant du prêtre, de ses parrains‑marraines dont le nom était inscrit sur le certificat ou de quiconque ayant des connaissances directes quant à son baptême ou sa conversion.

[32] Les conclusions de l’agent reposaient sur le fait que celui‑ci n’a pas pu établir que le demandeur s’est converti au christianisme au moyen des [traduction] « éléments de preuve limités qui ont été produits ». Je ne crois pas que l’agent s’est appuyé à tort sur des conclusions voilées quant à la crédibilité. L’agent s’est plutôt fondé sur l’incapacité du demandeur à s’acquitter de son fardeau de preuve.

[33] Comme il est indiqué dans la décision Gandhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1132 au paragraphe 41 : « Le demandeur qui affirme que sa vie ou sa sécurité sont gravement menacées doit invoquer à l’appui des éléments de preuve factuels; la conclusion suivant laquelle la preuve n’est pas suffisante pour appuyer la conviction déclarée du demandeur n’emporte pas en soi droit à une audience ».

[34] L’agent n’avait aucun motif pour accorder une audience au demandeur ni aucune obligation en ce sens.

(3) Partialité

[35] De plus, je souscris à la position du défendeur selon laquelle l’allégation de partialité formulée par le demandeur n’est pas convaincante et elle ne justifie pas non plus la tenue d’une audience.

[36] Une allégation de partialité doit être étayée au moyen d’une preuve concrète et non pas reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures : Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 aux para 27‑29); Zhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1139 au para 40. Il n’y a pas de preuve concrète en l’espèce.

[37] Le demandeur soutient que l’agent a fait preuve de partialité en mentionnant les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR et la SAR au début de la décision sans le moindre contexte. Je ne vois toutefois pas la mention de la conclusion tirée par la SPR ainsi, mais plutôt comme le contexte de la décision, ainsi que l’a souligné expressément l’agent.

[38] Dans la décision, l’agent a indiqué sous la rubrique [traduction] « Contexte » :

[traduction]
La SPR a rejeté sa demande d’asile le 31 mai 2017. La SAR a confirmé cette décision le 19 avril 2018. Suivant l’ensemble de la preuve dont il disposait, le tribunal a estimé que le demandeur n’avait pas établi qu’il était exposé à des risques au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. La question déterminante était la crédibilité. Comme l’a souligné la SAR :

« La SAR partage l’avis de la SPR selon lequel l’appelant n’est pas crédible en ce qui concerne ses allégations selon lesquelles il est recherché par les autorités en Arabie saoudite en raison de ses activités politiques et qu’il ne serait pas exposé à de la persécution ou à une menace à sa vie en raison de son affiliation religieuse. » (para 60).

M. Aldarurah a présenté sa demande d’ERAR le 11 mars 2020.

[39] L’agent s’est ensuite attaché à examiner une à une les allégations qui ont été formulées, et les preuves qui ont été produites dans la demande d’ERAR sous la rubrique [traduction] « Appréciation et conclusions ». La demande d’ERAR est fondée sur des faits nouveaux (la prétendue conversion de l’islam au christianisme) par rapport à ce qu’alléguait le demandeur dans ses observations à l’intention de la SPR et de la SAR.

[40] Les circonstances en l’espèce sont semblables à celles dans la décision Liyanage c Canada (Citoyenneté et Immgration), 2019 CF 194 [Liyanage], dans laquelle le demandeur a fait valoir que l’agent avait importé indûment les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité. Dans la décision Liyanage, la Cour a conclu que cette allégation n’était pas fondée (au paragraphe 15) :

Dans le même ordre d’idées, et avant d’examiner la manière dont l’agent a analysé les éléments de preuve, il est nécessaire aussi de traiter brièvement de l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent a importé des doutes relatifs à la crédibilité qui avaient été soulevés dans la décision de la SPR, et ce, sans lui accorder une audience au cours de laquelle il aurait pu lui en faire part et lui donner une possibilité d’y répondre. Après avoir examiné les motifs de l’agent et leur structure, je ne suis pas convaincue que ce dernier a importé les conclusions que la SPR avait tirées quant à la crédibilité. Il a décrit et cité divers paragraphes de la décision de la SPR, y compris les conclusions défavorables quant à la crédibilité, et il a déclaré qu’il incombait au demandeur de réfuter les conclusions de la SPR à l’aide d’éléments de preuve nouveaux et suffisants. Il a ensuite analysé chaque « nouvel » élément de preuve que le demandeur avait fourni. Rien dans cette analyse ne donne à penser que les doutes de la SPR quant à la crédibilité ont influencé les conclusions que l’agent a tirées en lien avec les nouveaux éléments de preuve produits. Ce dernier a, au contraire, accordé peu ou pas de poids à ces éléments pour les motifs qu’il a énoncés, et ces éléments ne l’ont pas convaincu que le risque allégué par le demandeur avait changé depuis l’audience de la SPR. En bref, l’argument du demandeur selon lequel l’agent avait « importé » à tort les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité n’est pas fondé.

[41] Dans le même ordre d’idées, en l’espèce, il ressort clairement de la façon dont la décision est structurée que l’agent renvoyait aux conclusions de la SPR et de la SAR à titre de contexte. Rien n’indique que l’agent a indûment importé ces conclusions quant à la crédibilité dans la décision. L’allégation de [traduction] « partialité évidente » formulée par le demandeur n’est pas justifiée eu égard aux faits.

B. L’agent a‑t‑il commis une erreur déraisonnable en interprétant incorrectement l’aspect [traduction] « prospectif » du critère relatif à la protection?

[42] Le demandeur fait valoir que l’agent a mal interprété le critère [traduction] « prospectif » relatif à la protection des réfugiés en invoquant la conclusion selon laquelle il y avait [traduction] « peu d’indices que les autorités saoudiennes ou sa famille étaient au courant des activités du demandeur au Canada [...] ». Le demandeur soutient que l’agent aurait dû prendre en compte la persécution à laquelle il serait exposé s’il retournait en Arabie saoudite et qu’il commençait à pratiquer le christianisme ouvertement dans ce pays.

[43] Le défendeur affirme que le demandeur a relevé la citation mentionnée précédemment hors contexte et s’est fondé à tort sur cette version tronquée pour alléguer que l’agent avait commis une erreur. Il souligne que la phrase complète est ainsi rédigée : [traduction] « Puisque je ne peux pas établir que le demandeur a été baptisé, et qu’il y a peu d’indices que les autorités saoudiennes ou sa famille étaient au courant des activités du demandeur au Canada, je conclus que peu d’éléments portent à croire que quelqu’un voudrait lui causer des préjudices dans une optique prospective ».

[44] Le défendeur fait valoir, et c’est aussi mon avis, que lues dans leur contexte, les observations de l’agent indiquent que, parce que le demandeur n’a pas suffisamment étayé sa conversion, ou la moindre activité se rapportant à la pratique du christianisme, rien ne permettait à l’agent de conclure à l’existence d’un risque prospectif visé à l’article 97 de la LIPR en Arabie saoudite.

[45] J’estime que l’agent n’a pas eu tort de conclure que les éléments de preuve étaient insuffisants et que les conditions applicables à l’article 97 n’étaient pas remplies. Je ne crois pas que l’affirmation soulignée laisse entendre que l’agent a appliqué un mauvais critère pour tirer une conclusion ou effectuer une analyse erronée.

[46] Il n’existe aucune raison de conclure que cette affirmation rend la décision déraisonnable.

V. Conclusion

[47] Pour tous ces motifs, la demande est rejetée.

[48] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4762‑21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié pour que soit inscrit correctement le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4762‑21

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD SALMAN K. ALDARURAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Aleksei Grachev

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aleksei Grachev

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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