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Date : 20220804


Dossier : IMM-6246-21

Référence : 2022 CF 1166

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

HYDER ALI

HASSAN HYDER

SADIA HAIDER

MERAB HYDER

MUHAMMAD ZILE

TAHA HYDER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 août 2021 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Les demandeurs craignent d’être persécutés au Pakistan parce que le demandeur principal, Hyder Ali, et la demanderesse associée, Sadia Haider, ont contracté un mariage mixte. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la demande des demandeurs manquait de crédibilité et a jugé que les nouveaux éléments de preuve des demandeurs étaient inadmissibles.

[3] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en rejetant leurs nouveaux éléments de preuve et prétendent que la SAR aurait dû leur accorder une audience orale pour évaluer leur crédibilité. Les demandeurs ajoutent que la SAR a commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité en évaluant les éléments de preuve de manière microscopique, ainsi qu’en en faisant une interprétation erronée.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision de la SAR est raisonnable. Je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Exposé des faits

A. Les demandeurs

[5] Le demandeur principal est un citoyen pakistanais de 42 ans issu d’une famille musulmane sunnite. Après avoir suivi une formation pour devenir un professionnel des technologies de l’information (TI), le demandeur principal s’est installé au Koweït avec un visa de travail et a continué à travailler dans le domaine des TI.

[6] En 2007, le demandeur principal a épousé la demanderesse associée, qui est également citoyenne du Pakistan. Le demandeur principal déclare que sa famille n’était pas satisfaite de ce mariage parce que la demanderesse associée est musulmane chiite. Il ajoute que sa famille a été cruelle envers elle durant les premiers mois de leur mariage, ce qui l’a amenée à faire une dépression et à être hospitalisée. Finalement, le demandeur principal a pu faire venir la demanderesse associée au Koweït.

[7] Le demandeur principal et la demanderesse associée ont quatre enfants : Merab (14 ans), Muhammad (12 ans), Taha (7 ans) et Hassan (4 ans).

[8] En juillet 2019, le demandeur principal déclare avoir quitté son emploi au Koweït après une conversation au cours de laquelle il a donné son avis sur la crise des droits de l’homme en cours au Yémen et critiqué l’Arabie saoudite pour son rôle dans le meurtre d’innocents. Cette conversation aurait entraîné des tensions sur son lieu de travail qui ont précipité sa démission.

[9] Le 14 août 2019, le demandeur principal et la demanderesse associée se sont rendus au Pakistan, où ils ont séjourné chez un ami à Gujranwala, la ville natale du demandeur principal. Ensemble, ils ont assisté à plusieurs rassemblements religieux chiites.

[10] Le 19 août 2019, le demandeur principal affirme que son oncle, Muhammad Azmat (oncle Azmat), et le maulvi de la mosquée de son oncle (maulvi Khalid) sont venus chez son ami avec deux autres personnes. Les visiteurs auraient dit au demandeur principal qu’il ne devait pas assister à des rassemblements religieux où s’exprimaient des religieux chiites et qu’il devait quitter sa femme. Les visiteurs auraient battu le demandeur principal et la demanderesse associée. Le demandeur principal affirme avoir signalé cet incident à la police, mais celle-ci lui a dit qu’il s’agissait d’un problème familial et religieux qu’il devait résoudre lui-même.

[11] Les demandeurs allèguent que le maulvi Khalid est associé à un groupe religieux extrémiste, Sipah-e-Sahaba. Le demandeur principal pense également que son oncle Pervez (oncle Pervez) a des liens avec le groupe Sipah-e-Sahaba parce que ce groupe dirige la mosquée où il prie.

[12] Le 25 août 2019, le demandeur principal a assisté à un séminaire religieux à Gujrat où il affirme avoir parlé des tensions entre les musulmans sunnites et chiites. Après le séminaire, il aurait commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes de personnes le menaçant, lui et sa famille. Il a également reçu des lettres de menaces comprenant des demandes d’argent. Le demandeur principal pense que son oncle et le groupe Sipah-e-Sahaba sont à l’origine de ces lettres. Là encore, le demandeur principal a signalé ces menaces à la police, mais affirme que celle-ci n’a rien fait.

[13] Le 7 septembre 2019, le demandeur principal et la demanderesse associée rentraient chez eux lorsque quelqu’un aurait tenté d’arrêter leur voiture. Lors de son témoignage devant la SPR, la demanderesse associée a déclaré qu’une personne sur une moto les avait poursuivis et avait tiré des coups de feu sur leur voiture. Ils ont réussi à s’enfuir à toute vitesse et se sont réfugiés dans un poste de police voisin, où ils ont fait une déclaration. Cet incident a incité les demandeurs à quitter le Pakistan.

[14] Le 13 septembre 2019, les demandeurs sont arrivés aux États-Unis. Le 17 septembre 2019, ils ont traversé au Canada et ont présenté une demande d’asile.

B. La décision de la SPR

[15] Dans une décision rendue le 4 février 2021, la SPR a rejeté la demande des demandeurs, en concluant qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la LIPR. La question déterminante était celle de la crédibilité et la SPR a tiré de multiples conclusions défavorables fondées sur des incohérences et des omissions dans les éléments de preuve des demandeurs.

[16] Premièrement, la SPR a constaté que le premier rapport d’information (PRI), que les demandeurs affirment avoir déposé auprès de la police après l’incident du 7 septembre 2019, était frauduleux. La SPR a noté que le PRI ne comprend pas les détails de l’incident et ne mentionne pas que des coups de feu ont été tirés sur le véhicule des demandeurs. Bien que la demanderesse associée ait expliqué que c’était ce qu’ils avaient reçu de la police, la SPR n’a pas été convaincue par son explication, puisque le PRI semble faire référence à un incident totalement différent de celui allégué par les demandeurs. Le PRI ne contient pas non plus de renseignements sur le mobile de l’incident, l’identité des agresseurs présumés et la question de savoir si ces agresseurs étaient parrainés par les agents de persécution, bien que les demandeurs aient prétendu connaître tous ces détails. La SPR n’a accordé aucun poids au PRI.

[17] La SPR a également estimé que, compte tenu du témoignage incohérent du demandeur principal, les demandeurs manquaient de crédibilité concernant leurs agents de persécution. La SPR a noté que le demandeur principal avait désigné l’oncle Azmat comme la personne qui est venue chez son ami et l’a battu le 18 août 2019. Pourtant, lorsqu’on lui a demandé qui il craignait au Pakistan, il a affirmé qu’il craignait l’oncle Parveen, mais pas l’oncle Azmat. La SPR a également noté que les demandeurs n’ont fait aucune mention de l’oncle Parveen dans les exposés du Fondement de leur demande d’asile (FDA), pourtant le demandeur principal a témoigné que l’oncle Parveen était la personne qui a amené le maulvi Khalid et, à son tour, le groupe Sipah-e-Sahaba à cibler les demandeurs. En outre, la SPR a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité du fait que le demandeur principal n’a pas fourni de détails sur ses agents de persécution au cours de son entrevue avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

[18] De plus, la SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’a pas mentionné, lors de l’entrevue avec l’ASFC, que son épouse et lui étaient engagés dans un mariage mixte, d’autant plus que c’était l’un des motifs sur lesquels les demandeurs avaient fondé leur demande d’asile. La SPR a estimé qu’étant donné que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer que leurs familles n’acceptaient pas leur mariage, ils ne correspondaient pas au profil des couples susceptibles d’être persécutés. Compte tenu de ce qui précède, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir qu’ils étaient ciblés ou qu’ils étaient exposés à un grave risque de persécution au Pakistan en raison de leur mariage mixte.

[19] Enfin, la SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’a pas mentionné, dans ses observations écrites ou son témoignage, un article de journal décrivant la tentative de meurtre dont il a fait l’objet. Le demandeur principal avait fait référence à l’article de journal lors de son entretien avec l’ASFC. Lorsque la SPR l’a interrogé sur cette omission, il a affirmé qu’elle avait été publiée dans un journal local et qu’il ne pensait pas que c’était important. La SPR n’a pas trouvé cette explication raisonnable, d’autant plus que les demandeurs avaient été représentés par un avocat, mais qu’ils n’avaient pas mentionné l’article de journal avant d’être confrontés à ce sujet au cours de l’audience. Compte tenu de ce qui précède, la SPR a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité globale des demandeurs.

C. Décision faisant l’objet du contrôle

[20] Dans une décision datée du 9 août 2021, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs, confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[21] La SAR a d’abord examiné plusieurs nouveaux éléments de preuve, que les demandeurs avaient soumis le 2 juin 2021, après avoir déposé et mis en état leur appel. Il s’agissait des documents suivants :

  1. Un document traduit, qui est censé être une traduction d’un article de journal daté du 9 septembre 2019, intitulé « Assassination attempt on Kuwait returnee by religious extremists » [tentative d’assassinat par des religieux extrémistes contre un Koweïtien retournant dans son pays]. Une copie de l’article de journal proprement dit n’a pas été fournie.

  2. Un document traduit qui est censé être une traduction d’une lettre adressée au demandeur principal, daté du 5 septembre 2019. Une copie de la version originale en ourdou a également été fournie.

  3. Une lettre traduite de la part du demandeur principal adressée à l’agent responsable du poste de police (station house officer – SHO), Satellite Town, Gujranwala, datée du 6 septembre 2019.

  4. Une lettre traduite de la part du demandeur principal adressée à l’agent responsable du poste de police, Satellite Town, Gujranwala, datée du 7 septembre 2019.

  5. Une copie d’un affidavit, rédigé en anglais, par le beau-père du demandeur principal, daté du 31 mars 2021.

[22] La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve des demandeurs, estimant qu’ils ne satisfaisaient pas au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la LIPR, plus précisément parce que tous les documents étaient antérieurs au rejet de la demande des demandeurs par la SPR ou, dans le cas de l’affidavit, faisaient référence à des événements antérieurs au rejet. La SAR a estimé que les demandeurs n’avaient pas fourni d’explication raisonnable quant à la raison pour laquelle les documents n’auraient pas pu être obtenus plus tôt, étant donné leur arrivée au Canada près de trois ans auparavant. Les demandeurs n’ont pas non plus expliqué comment ils ont finalement pu obtenir les documents. Par conséquent, elle a rejeté la demande d’audience du demandeur.

[23] La SAR a également confirmé les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Plus précisément, la SAR a estimé que la SPR avait eu raison de ne pas accorder de poids au PRI, car il raconte une histoire [traduction] « complètement opposée » au récit des demandeurs sur ce qui s’est passé le 7 septembre 2019. La SAR a également approuvé les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité en ce qui concerne les agents de persécution, l’entrevue des demandeurs avec l’ASFC, les menaces liées au mariage mixte et l’article de journal. En définitive, la SAR a conclu que les allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles. Les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils étaient exposés à un grave risque de persécution au Pakistan, ou qu’ils seraient personnellement exposés à un risque de torture, à un risque pour leur vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités au Pakistan.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[24] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Était-il raisonnable de la part de la SAR de rejeter les nouveaux éléments de preuve des demandeurs et de refuser de tenir une audience orale?

  2. L’analyse de la crédibilité par la SAR était-elle raisonnable?

[25] Les demandeurs n’ont présenté aucune observation à l’égard de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer. Le défendeur prétend que la norme présumée du caractère raisonnable s’applique aux décisions administratives et que les circonstances justifiant une dérogation à la présomption ne se présentent pas en l’espèce. Je conviens avec le défendeur que la norme de présomption du caractère raisonnable s’applique aux deux questions soulevées dans la présente demande. J’estime que cette conclusion est conforme à l’arrêt de la Cour suprême du Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), aux para 25 et 33.

[26] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12, 13). La cour de révision doit établir si la décision à l’examen, notamment le résultat et le raisonnement, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[27] La partie qui entend établir qu’une décision est déraisonnable doit démontrer que celle-ci comporte des lacunes capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ou réserves au sujet des décisions qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier la preuve examinée par le décideur et ne doit modifier les conclusions de fait qu’en présence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, au para 36).

IV. Discussion

A. Était-il raisonnable de la part de la SAR de rejeter les nouveaux éléments de preuve des demandeurs et de refuser de tenir une audience orale?

[28] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en rejetant de nouveaux éléments de preuve démontrant que leur vie était en danger au Pakistan. Ils soutiennent qu’ils n’ont pas raisonnablement pu obtenir les documents avant l’audience de la SPR et qu’ils ont fourni une explication raisonnable de la raison pour laquelle ils n’ont pas pu obtenir les éléments de preuve à ce moment-là. Les demandeurs affirment qu’ils n’avaient personne au Pakistan qui pouvait les aider à rassembler les éléments de preuve plus rapidement; le demandeur principal ne pouvait pas demander l’aide de sa famille, car leurs menaces étaient la raison pour laquelle ils avaient fui le Pakistan. La pandémie de COVID-19 a rendu encore plus difficile l’obtention des documents. Comme la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve, elle a également commis une erreur en refusant de tenir une audience.

[29] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement refusé les nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la LIPR. Il fait valoir que la SAR a raisonnablement rejeté l’explication donnée par les demandeurs pour ne pas avoir fourni les éléments de preuve plus tôt, compte tenu notamment de la durée du séjour des demandeurs au Canada et du fait qu’ils avaient un ami fiable au Pakistan qui était prêt à les aider. De plus, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SAR de refuser l’affidavit même s’il était postérieur à la décision de la SPR. Le caractère nouveau des éléments de preuve ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi; ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au para 16).

[30] Je suis d’accord avec le défendeur. Aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR, les nouveaux éléments de preuve documentaires ne sont admissibles dans le cadre d’un appel devant la SAR que a) s’ils sont survenus depuis le rejet d’une demande par la SPR, b) s’ils n’étaient alors pas normalement accessibles, ou c) s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que la personne en cause les ait présentés au moment du rejet (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au para 34). Bien que les demandeurs ne contestent pas que l’article de journal et les trois lettres soient tous antérieurs à la décision de la SPR, ils soutiennent qu’ils n’auraient pas pu raisonnablement présenter ces éléments de preuve plus tôt. Dans sa décision, la SAR a noté que, malgré les arguments des demandeurs concernant leur incapacité à obtenir de l’aide pour se procurer les documents pendant plus de deux ans et demi, et les défis posés par la COVID-19, les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi, « soudainement en juin 2021, ils ont pu les obtenir ». À mon avis, il était raisonnable pour la SAR d’attendre des explications sur la façon dont les demandeurs ont finalement pu obtenir les documents. Faute d’une explication appropriée, il était donc raisonnable de conclure que les documents auraient pu être obtenus et fournis à la SPR plus tôt. Les demandeurs n’ont pas non plus expliqué comment ils ont finalement obtenu les documents, et auprès de qui.

[31] En ce qui concerne l’affidavit, je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que la SAR a raisonnablement estimé que l’affidavit ne renvoie qu’aux événements de septembre 2019. Les demandeurs n’ont pas expliqué de manière adéquate pourquoi ils n’auraient pas pu fournir un affidavit similaire à la SPR avant qu’elle ne rende sa décision.

[32] Ayant conclu qu’il était raisonnable de la part de la SAR de refuser d’admettre les nouveaux éléments de preuve des demandeurs, j’estime également qu’il était raisonnable de la part de la SAR de ne pas tenir d’audition, puisque les appels devant la SAR doivent être traités sans audition, selon le dossier présenté à la SPR, à moins que de nouveaux éléments de preuve ne soient admis (Kreishan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, au para 43).

B. L’analyse de la crédibilité par la SAR était-elle raisonnable?

[33] Les demandeurs prétendent que la SAR a commis plusieurs erreurs dans son analyse de leur crédibilité. Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que le PRI était un document frauduleux au motif qu’il ne décrivait pas en détail les événements survenus le 7 septembre 2019. Ils notent que le PRI mentionne le nom du demandeur principal et indique qu’il a été attaqué. Deuxièmement, les demandeurs prétendent qu’il était déraisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur principal n’a pas mentionné dans son FDA qu’il craignait son oncle Pervez. Ils soutiennent que l’ensemble des éléments de preuve indique clairement que les demandeurs craignent à la fois l’oncle Azmat et l’oncle Pervez, ainsi que toute autre personne liée au maulvi Khalid et au groupe Sipah-e-Sahaba.

[34] Troisièmement, les demandeurs prétendent que la SAR a commis une erreur en accordant trop de poids à l’entrevue du demandeur principal auprès de l’ASFC. Ils font valoir qu’on leur a dit que leur récit devait être bref et soutiennent que cela explique adéquatement l’omission de détails dans l’entrevue auprès de l’ASFC. Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion de crédibilité défavorable du fait que les demandeurs n’ont pas produit l’article de journal, d’autant plus que la SAR a rejeté une telle preuve lorsqu’elle a été présentée par les demandeurs comme un nouvel élément de preuve. Enfin, les demandeurs prétendent que la SAR a commis une erreur en faisant fi des documents pertinents soumis en preuve et en les interprétant de façon erronée.

[35] Le défendeur affirme que l’analyse de la crédibilité par la SAR était raisonnable. Il soutient que si la SAR n’a pas expressément convenu avec la SPR que le PRI était frauduleux, elle a plutôt constaté que les faits contenus dans le document étaient inconciliables avec le récit des demandeurs. Les demandeurs n’ont pas expliqué ces divergences.

[36] En ce qui concerne la conclusion de la SAR selon laquelle il y a des incohérences dans les éléments de preuve des demandeurs concernant les agents de persécution, le défendeur note que le demandeur principal n’a pas du tout mentionné son oncle Pervez dans son récit exposé dans le FDA et a seulement parlé de son oncle Azmat comme étant la personne qui a collaboré avec le maulvi Khalid et le groupe Sipah-e-Sahaba. De plus, lorsqu’on a demandé au demandeur principal, lors de l’audience de la SPR, quel oncle il craignait, il n’a mentionné que l’oncle Pervez. À la lumière de la conclusion de la SAR selon laquelle la question des agents de persécution est au cœur de la demande des demandeurs, le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion de crédibilité défavorable fondée sur cette incohérence.

[37] En outre, le défendeur soutient que la SAR était en droit de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité du fait que les demandeurs n’ont pas mentionné des faits importants lors de leur entrevue auprès de l’ASFC au point d’entrée (Avrelus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 357 (Avrelus), au para 14, invoquant Kusmez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 948, au para 22; Arokkiyanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 289, au para 35; Bozsolik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 432, au para 20; Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 856, aux para 14-15). Dans l’ensemble, le défendeur prétend que les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR a fait abstraction d’une quelconque preuve ou l’a mal interprétée, et les demandeurs n’ont pas mentionné de documents particuliers qui ont été négligés.

[38] Il m’est impossible de conclure que la SAR a commis une erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité. En ce qui concerne le PRI, bien que la décision de la SAR ne traite pas de la question de savoir si la SPR a eu raison de déterminer que le PRI était frauduleux, elle déclare que « la question de savoir qui a produit le premier rapport d’information, de quelle façon il a été produit ou pourquoi, est sans importance » La SAR est arrivée à cette conclusion parce que le PRI ne corrobore pas le récit des demandeurs. La décision de la SAR indique ce qui suit :

[...] Au bout du compte, [le PRI] raconte une histoire qui contredit complètement le récit des appelants sur ce qui s’est produit le 7 septembre 2019. Non seulement il mérite qu’aucun poids ne lui soit accordé, mais il diminue également la crédibilité générale des appelants, car il est inconcevable que des personnes qui ont vécu ce qu’elles ont prétendu avoir vécu présentent ce document en tant que document à l’appui de leur demande d’asile.

L’argument des appelants selon lequel le document mentionne néanmoins l’appelant principal par son nom et indique qu’il a été personnellement pris pour cible n’est pas pertinent. Pourquoi y serait-il mentionné un massacre durant une procession et le fait que l’appelant principal était disparu? Il n’y a aucun moyen de concilier le document et le récit des appelants.

[39] En concluant que le PRI et le récit de l’incident du 7 septembre 2019 par les demandeurs sont tout simplement incompatibles, la SAR a approuvé la décision de la SPR de ne pas accorder de poids au document, et a en outre conclu que le document diminue la crédibilité globale des allégations des demandeurs. À mon avis, il s’agit d’une conclusion raisonnable. Non seulement le PRI omet certains détails tels que les tirs sur la voiture des demandeurs, mais il ne corrobore en rien les récits des demandeurs sur l’incident du 7 septembre 2019. Les demandeurs ont également eu l’occasion d’expliquer les divergences lors de l’audience de la SPR, mais n’ont pas réussi à dissiper les réserves de la SPR. Une déclaration de l’avocat des demandeurs selon laquelle la police [traduction] « a dit ce qu’elle voulait dire dans le rapport » n’explique pas de manière adéquate pourquoi le rapport présente un incident complètement différent.

[40] J’estime également qu’il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité relativement aux incohérences liées aux agents de persécution. Bien qu’il ait mentionné « mon oncle », le demandeur principal ne nomme pas expressément l’oncle Pervez dans son récit exposé dans le FDA. Seul l’oncle Azmat est nommé dans l’exposé de l’incident du 25 août 2019 avec le maulvi Khalid, qui serait lié au groupe Sipah-e-Sahaba. Pourtant, comme le note la SAR dans sa décision, lors de l’audience de la SPR, le demandeur principal a mentionné l’oncle Pervez comme étant la personne qui est liée au groupe Sipah-e-Sabaha. Plus précisément, lorsqu’on lui a demandé ce qu’était le groupe Sipah-e-Sahaba, le demandeur principal a expliqué qu’il s’agissait d’une organisation sunnite. Lorsqu’on lui a demandé comment cette organisation avait appris qu’il était un sunnite marié à une chiite, il a répondu « mon oncle » et, lorsqu’on lui a demandé de préciser quel oncle, il a répondu « oncle Pervez ». Le demandeur principal n’a mentionné l’oncle Azmat que lorsqu’il a été interrogé à son sujet directement par la SPR. Les demandeurs soutiennent qu’il n’était pas nécessaire de mentionner chaque membre de la famille qu’ils craignaient. Toutefois, à la lumière de la conclusion de la SAR selon laquelle les agents de persécution sont « au cœur de sa demande d’asile », j’estime qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable fondée sur les incohérences entre le récit exposé dans le FDA et le témoignage oral du demandeur principal.

[41] En ce qui concerne l’entrevue de l’ASFC au point d’entrée, je conviens avec le défendeur que les omissions des demandeurs permettaient également à la SAR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Notre Cour a conclu que, bien que les notes prises au point d’entrée doivent être traitées avec prudence, les décideurs ont le droit de tirer des conclusions défavorables lorsqu’une omission ou une incohérence concerne un élément central de la demande d’asile (voir : Avrelus, au para 14; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 62, au para 13; Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 241, au para 17). En examinant les notes de l’entrevue auprès de l’ASFC, la SAR a constaté que les demandeurs n’avaient pas mentionné la crainte qu’ils éprouvaient face à l’oncle du demandeur principal, au maulvi Khalid et au groupe Sipah-e-Sahaba, pas plus qu’ils n’avaient mentionné leur mariage mixte. Les notes d’entrevue de l’ASFC comprennent surtout des détails sur le séjour des demandeurs au Koweït et sur la tension générale entre les sunnites et les chiites au Pakistan. La SAR a également pris note de l’explication des demandeurs concernant les omissions, mais a conclu que, même si on leur avait dit d’être brefs lors de l’entrevue, il était raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité parce que les demandeurs « ont négligé de mentionner à l’agent de l’ASFC l’une ou l’autre des allégations principales qui sous-tendent leur demande d’asile ». Cette conclusion est raisonnable et conforme à la jurisprudence de notre Cour.

[42] De plus, je n’estime pas que la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables en matière de crédibilité de la SPR concernant l’article de journal. Il était raisonnable pour la SAR de s’interroger sur l’absence d’efforts pour obtenir l’article de journal, étant donné que le demandeur principal y a fait expressément référence dans son entrevue auprès de l’ASFC et a indiqué qu’il tenterait de l’obtenir. Le fait que la SAR ait par la suite rejeté les éléments de preuve contenant une traduction de l’article parce qu’ils ne répondaient pas au critère d’admissibilité ne remet pas en cause le caractère raisonnable de cette analyse.

[43] Enfin, je ne considère pas que la SAR a interprété de façon erronée des éléments de preuve importants ou en a fait abstraction. Il est bien établi que la SAR est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait et qu’elle n’est pas tenue de mentionner chaque document (Toor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 773, au para 21; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), aux para 16-17). Dans l’ensemble, j’estime que la SAR est parvenue à une conclusion raisonnable concernant la crédibilité des demandeurs en se fondant sur plusieurs incohérences et omissions dans les éléments de preuve qui n’ont pas été suffisamment expliquées à l’audience de la SPR.

V. Conclusion

[44] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que la décision de la SAR est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6246-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad Ahmed »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6246-21

 

INTITULÉ :

HYDER ALI, HASSAN HYDER, SADIA HAIDER, MERAB HYDER, MUHAMMAD ZILE ET TAHA HYDER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU D’AUDIENCE :

par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Robert Gertler

 

Pour les demandeurs

 

Zofia Rogowska

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gertler Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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