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Date : 20220527


Dossier : IMM‑575‑21

Référence : 2022 CF 772

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

Ilgen Acikgoz

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dans la décision Wan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 65, le juge Harrington a commencé par poser la question suivante, et je paraphrase : Mon amour pour le Canada? Laissez‑moi compter les jours (avec mes excuses à Elizabeth Barrett Browning). C’est aussi de cela dont il est question en l’espèce.

[2] Aux termes de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], les résidents permanents sont tenus de se conformer à une obligation de résidence qui s’applique à chaque période quinquennale. Ils peuvent s’acquitter de cette obligation, par exemple, en passant un certain nombre de jours au Canada ou, à condition de répondre à certaines conditions, en accompagnant hors du Canada un résident permanent qui est leur époux et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne. Le 28 octobre 2018, un délégué du ministre a décidé que la demanderesse, Mme Ilgen Acikgoz, une citoyenne de la Turquie âgée de 55 ans, ne s’était pas conformée à son obligation de résidence à titre de résidente permanente du Canada et il a pris à son encontre une mesure de renvoi.

[3] Mme Acikgoz a porté en appel la mesure de renvoi auprès de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi. Dans une décision datée du 8 janvier 2021, la SAI a conclu que, même si Mme Acikgoz avait passé 470 des 730 jours requis pendant la période quinquennale applicable au Canada (en l’occurrence, du 28 octobre 2013 au 28 octobre 2018), elle ne pouvait pas compléter les jours requis en soutenant qu’elle se trouvait en Turquie avec son époux pendant que celui‑ci travaillait pour une entreprise canadienne, vu qu’il avait été jugé que l’emploi que son époux exerçait censément en Turquie était une simulation – un emploi fictif conçu pour induire en erreur les autorités de l’immigration – et que Mme Acikgoz était au courant de la simulation et s’en était sciemment servie pour renouveler son statut de résidente permanente et venir au Canada. La SAI a également conclu qu’il n’y avait pas assez de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales.

[4] Mme Acikgoz a quitté le Canada le 7 février 2021, de façon à se conformer à la mesure de renvoi la concernant, et elle a demandé que la décision de la SAI soit soumise à un contrôle judiciaire. Après audition des parties, je ne suis pas convaincu par Mme Acikgoz que la décision de la SAI était déraisonnable et, pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter sa demande.

II. Le contexte

[5] Mme Acikgoz a travaillé dans le secteur des voyages et du tourisme en Turquie pendant plus de 30 ans et, dans ce pays, elle possède une agence de voyage depuis 1994. Elle a obtenu la résidence permanente canadienne en septembre 2009 par l’entremise du Programme d’immigration des investisseurs, en même temps que son époux et leurs deux filles (âgées, à l’époque, de 10 ans et de 12 ans); ses filles vivent toujours au Canada, mais M. Acikgoz a depuis ce temps renoncé à son statut de résident permanent et il vit en Turquie. En 2010, la famille a acheté un appartement à Montréal. Toutefois, elle est retournée peu après en Turquie afin que M. Acikgoz puisse continuer à travailler dans l’entreprise textile de sa famille et, affirme Mme Acikgoz, parce qu’il avait besoin de plus de temps pour s’établir sur le plan professionnel au Canada. Mme Acikgoz soutient qu’en 2011 l’entreprise familiale de M. Acikgoz a fait faillite et que, le 22 décembre 2011, son époux a censément signé un contrat de travail auprès d’une société textile, Mode Tricotto, à titre de gérant adjoint du bureau de liaison de cette société, à Istanbul. M. Acikgoz recevait un salaire de 2 000 $ par mois (24 000 $ par année). Mme Acikgoz n’est retournée au Canada qu’en juillet 2013, et le temps qu’a duré son séjour n’est pas clair.

[6] Comme il a été indiqué, la période quinquennale applicable s’étend du 28 octobre 2013 au 28 octobre 2018. Entre le 28 octobre 2013 et la date à laquelle M. Acikgoz a censément quitté Mode Tricotto, soit en décembre 2014, Mme Acikgoz a passé en tout 148 jours au Canada (deux voyages au Canada d’une durée de 97 jours et de 51 jours, respectivement); le reste du temps, elle aurait été en compagnie de son époux pendant que celui‑ci travaillait censément à Istanbul pour l’entreprise canadienne. Durant cette période, Mme Acikgoz est venue au Canada en août 2014 (le voyage de 51 jours), ce qui coïncide avec l’entrée à l’université de sa fille aînée, à Montréal. De plus, M. Acikgoz est venu au Canada en novembre 2014, période au cours de laquelle il a aussi renouvelé son statut de résident permanent; c’était juste un mois avant qu’il quitte Mode Tricotto pour, censément, relancer son entreprise familiale et commencer à travailler dans le cadre de sa nouvelle activité – M. Acikgoz avait acheté une concession de caféterie à Istanbul, au mois de mai de la même année.

[7] Pendant la période de près de quatre ans qui a suivi (de janvier 2015 au 28 octobre 2018), Mme Acikgoz a passé une autre période de 322 jours au Canada – cinq voyages au Canada d’une durée de 8, de 19, de 120, de 101 et de 74 jours, respectivement. Elle revenait au pays de temps à autre, vraisemblablement pour voir aussi sa fille aînée, qui étudiait toujours à Montréal, et sa fille cadette, qui, à l’automne de 2016, était entrée à l’université en Colombie‑Britannique. Mme Acikgoz affirme que son époux et elle avaient des problèmes conjugaux depuis 2015, parce qu’elle voulait s’installer de manière permanente au Canada pour être avec ses filles, mais que M. Acikgoz rechignait à cette idée. Le point de rupture dans leur mariage semble être survenu en août 2016, quand, dit Mme Acikgoz, elle a décidé de déménager au Canada sans son époux, même si ce voyage coïncide avec l’entrée de sa fille cadette à l’université, à Vancouver; Mme Acikgoz a mentionné lors de l’entrevue concernant le renouvellement de sa carte de résidente permanente qu’elle avait pris l’avion avec sa fille pour Vancouver en août 2016 afin d’y installer cette dernière, qui allait commencer ses études. Mme Acikgoz est restée au pays pendant 120 jours, jusqu’au 17 décembre 2016, date à laquelle elle est retournée en Turquie; il semble que le couple se soit officiellement séparé le 21 décembre 2016. Comme il a été indiqué, Mme Acikgoz a aussi profité du fait qu’elle était présente au Canada pour renouveler, en novembre 2016, son statut de résidente permanente [le renouvellement du statut de résidente permanente en 2016] juste avant de retourner en Turquie; l’agent d’immigration s’est dit convaincu que Mme Acikgoz s’était conformée à l’obligation de résidence – elle avait été effectivement présente au Canada pendant un certain nombre de jours, auxquels s’ajoutait le temps pendant lequel elle avait accompagné son époux, qui avait travaillé censément pour le bureau de Mode Tricotto à Istanbul jusqu’en décembre 2014. L’agent d’immigration s’est fondé en particulier sur l’évaluation qui avait été faite au sujet de l’obligation de résidence de l’époux en novembre 2014, de même que sur les réponses que Mme Acikgoz avait données lors de son entrevue.

[8] Bien qu’elle affirme avoir décidé de déménager au Canada sans son époux, dont elle s’était séparée, Mme Acikgoz n’est retournée au Canada qu’à deux reprises au cours de la période de près de deux ans qui s’étend du 17 décembre 2016 au 28 octobre 2018; ces deux voyages, qui ont duré 101 jours et 74 jours, respectivement, ont été faits durant l’année scolaire afin là aussi, vraisemblablement, de permettre à Mme Acikgoz de rendre visite à ses filles. La raison pour laquelle Mme Acikgoz n’a pas passé plus de temps au Canada, même si ses filles se trouvaient ici et qu’elle s’était censément séparée de son époux, n’est pas claire, mais elle affirme qu’en 2017 et en 2018 elle avait dû retourner régulièrement en Turquie parce que son père était malade et qu’elle était la seule qui pouvait prendre soin de lui. Elle n’avait pas renoncé à l’agence de voyage qu’elle possédait en Turquie, et elle devait forcément savoir que le temps passé dans ce pays, en date de décembre 2014, moment où son époux avait censément quitté Mode Tricotto, ne serait plus pris en compte aux fins de son obligation de résidence.

[9] Quoi qu’il en soit, Mme Acikgoz était revenue au Canada pendant 101 jours entre les mois de mars et de juin 2017. Pendant qu’elle se trouvait ici, en avril 2017, une enquête criminelle avait mené à l’ajout d’un avis d’alerte à son dossier d’immigration dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], relativement à des accusations portées contre le consultant en immigration du couple et à de nouveaux éléments de preuve selon lesquels le renouvellement du statut de résident permanent en 2016 était fondé sur le faux contrat de travail de son époux [l’avis d’alerte d’avril 2017]. Les notes du SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]
Les membres de la famille ont eu recours aux services du consultant en immigration Georges Massoud et de son cabinet CANIMCO pour simuler leur résidence au Canada entre la date d’acquisition de la résidence permanente et le 19 août 2016. Des accusations criminelles ont été portées le 19 août 2016 en vertu de l’article 126 de la LIPR et pour fraude et complot en vertu du
Code criminel. Une demande est en cours pour l’envoi d’éléments de preuve de l’ASFC (Division criminelle) à IRCIC. Dans l’intervalle, j’ai en ma possession des éléments de preuve qui confirment que cette famille n’a jamais vécu au Canada et que le père a obtenu un faux contrat de travail dans une entreprise canadienne en vue du renouvellement de sa carte de résident permanent.

[Texte reproduit sous la forme où il apparaît dans l’original.]

[10] En fait, les accusations criminelles déposées à Montréal contre Mode Tricotto étaient précisément liées au prétendu contrat de travail de M. Acikgoz; l’assignation à comparaître, datée du 8 septembre 2016, qui est liée au faux contrat de travail et qui vise l’entreprise et son administrateur inclut le chef suivant :

[traduction]

Entre le 22 décembre 2011 et le 27 avril 2014, à Montréal, dans la province de Québec et en Turquie, a sciemment incité, aidé ou encouragé ou tenté d’inciter, d’aider ou d’encourager une personne à faire des présentations erronées sur un fait important ou de réticence sur ce fait, et de ce fait entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, à savoir : l’embauche de Hakan Acikgoz, en violation de l’article 126 de la Loi, commettant ainsi l’infraction visée à l’alinéa 128a) de la Loi;

[11] Le 15 juin 2017, devant la Cour du Québec, Mode Tricotto a plaidé coupable à une accusation de fraude en matière d’immigration, soit d’avoir simulé l’embauche de M. Acikgoz à des fins d’immigration. Mme Acikgoz est partie le 30 juin 2017, comme je l’ai mentionné, après s’être trouvée au Canada depuis le mois de mars. Par coïncidence, M. Acikgoz se trouvait lui aussi au Canada à cette époque, étant arrivé le 9 avril 2017, mais ses deux derniers voyages au Canada avaient été faits en mars 2016 et en février 2015; la durée de son séjour, cette fois‑ci, n’est pas claire. Mme Acikgoz est ensuite revenue au Canada pour 74 jours entre le 4 février 2018 et le 19 avril 2018. Comme je l’ai indiqué plus tôt, M. Acikgoz a volontairement renoncé à son statut de résident permanent en date du 23 avril 2018, bien qu’on ne l’ait jamais officiellement accusé d’une infraction quelconque; il semble qu’il se trouvait en Turquie à ce moment‑là, car il n’est pas revenu au Canada depuis son voyage d’avril 2017.

[12] Mme Acikgoz est revenue une fois de plus le 28 octobre 2018; cette fois‑ci, toutefois, un agent d’immigration a établi un rapport conformément au paragraphe 44(1) de la Loi, concluant que, selon la prépondérance des probabilités, Mme Acikgoz était une résidente permanente qui était interdite de territoire pour défaut de se conformer à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi. L’agent a conclu que Mme Acikgoz avait été effectivement présente au Canada pendant un nombre total de 470 jours au cours des cinq années précédentes (du 28 octobre 2013 au 28 octobre 2018) mais, se fondant sur l’avis d’alerte du 17 avril ajouté dans le SMGC, il a rejeté la prétention de Mme Acikgoz selon laquelle celle‑ci s’était conformée au sous‑alinéa 28(2)a)(iv) de la Loi en accompagnant son époux, qui travaillait pendant ce temps pour une entreprise canadienne située à l’étranger. Cela dit, l’article 28 de la Loi permet d’obtenir une dispense quant à l’obligation de résidence après constat, par un agent, que « des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle ». À titre de motifs d’ordre humanitaire, Mme Acikgoz a fait valoir qu’elle avait dû rester en Turquie pour prendre soin de son père malade et qu’elle avait dû voyager parce qu’elle était l’actionnaire d’une agence de voyage en Turquie. Elle soutenait qu’elle voulait vivre de façon permanente au Canada pour être plus proche de ses filles, qui étudiaient à Montréal et à Vancouver, respectivement, qu’elle possédait un bien immobilier à Montréal et qu’elle avait l’intention d’ouvrir une agence de voyage au Canada. L’agent a conclu en fin de compte que Mme Acikgoz était interdite de territoire et il a recommandé la prise d’une mesure de renvoi contre elle. Comme il est signalé dans le SMGC, l’agent s’est fondé sur l’avis d’alerte d’avril 2017 :

[traduction]
APRÈS VÉRIFICATION DE SES ANTÉCÉDENTS DE PASSAGE ET DES TIMBRES RELEVÉS DANS SON PASSEPORT, L’INTÉRESSÉE A ÉTÉ EFFECTIVEMENT PRÉSENTE AU CANADA […] PENDANT 470 JOURS EN TOUT AU COURS DE LA DERNIÈRE PÉRIODE DE CINQ ANS […] MOTIFS D’ORDRE HUMANITAIRE PRIS EN CONSIDÉRATION. L’INTÉRESSÉE A DÉCLARÉ QUE SON ÉPOUX A TRAVAILLÉ POUR UNE ENTREPRISE CANADIENNE À L’ÉTRANGER JUSQU’EN 2015. CEPENDANT, UN AVIS D’ALERTE […] INDIQUANT QUE LA FAMILLE N’A JAMAIS VÉCU AU CANADA ET QUE LE PÈRE DE LA FAMILLE A OBTENU UN FAUX CONTRAT DE TRAVAIL DANS UNE ENTREPRISE CANADIENNE POUR LE RENOUVELLEMENT DE SA CARTE DE RÉSIDENT PERMANENT. LE PÈRE DE LA FAMILLE : ACIGOZ [sic] HAKAN A VOLONTAIREMENT RENONCÉ À SON STATUT DE RP EN AVRIL 2018. L’INTÉRESSÉE A DÉCLARÉ QU’ELLE ALLAIT RESTER AU CANADA JUSQU’AUX VACANCES D’HIVER. ELLE A AJOUTÉ QU’ELLE EST PROPRIÉTAIRE D’UNE AGENCE DE VOYAGE EN TURQUIE ET QU’ELLE A L’INTENTION D’EN OUVRIR UNE AU CANADA.

[13] À la suite d’une brève entrevue avec Mme Acikgoz, le délégué du ministre a souscrit à la recommandation de l’agent et il a pris contre elle une mesure de renvoi. Les notes relatives à cette entrevue figurent dans le SMGC :

[traduction]
Rapport basé sur des faits et légalement fondé. Je souscris à la recommandation de l’agent, qui est de priver l’intéressée de sa résidence permanente. J’ai passé en revue le rapport fondé sur l’article 44 et les allégations. J’ai rencontré mme [sic] Acikgoz. Je lui ai expliqué le rapport fondé sur l’article 44, relativement au défaut de se conformer à l’obligation de résidence. Pas de motifs d’ordre humanitaire qui permettraient à l’intéressée de conserver son statut de résidente permanente, conformément à l’alinéa 28(2)c) de la LIPR. En revanche, l’intéressée a déclaré qu’elle pourrait être en danger si elle retournait en Turquie en raison de l’instabilité qui règne dans le pays. Je lui ai demandé s’il y avait un risque de persécution personnelle et mme [sic] Acikgoz a répondu que non, pas directement à son endroit. Par ailleurs, son époux a récemment renoncé à sa résidence permanente et il réside en Turquie. Cela ne coïncide pas ou ne cadre pas vraiment bien avec la prétendue crainte qu’a l’intéressée de retourner en Turquie. J’ai demandé à mme [sic] Acikgoz pourquoi elle voulait essayer maintenant de rester de façon permanente au Canada au même moment à peu près où son époux renonçait à sa résidence permanente au Canada. L’intéressée n’a pas répondu.

[14] Mme Acikgoz a porté en appel la mesure de renvoi auprès de la SAI; cependant, quelques faits sont survenus dans l’intervalle. Entre octobre 2018 et février 2019, Mme Acikgoz est revenue au Canada à quatre reprises, pour des séjours relativement courts. Dans les jours qui ont suivi son retour à Montréal le 17 février 2019, elle s’est enregistrée en tant qu’entreprise individuelle dans l’intention déclarée de travailler comme consultante en voyages au Canada et d’importer du simi, un pain turc traditionnel, en vue de sa distribution au Canada. Elle est revenue en mai 2019, ce qui coïncidait peut‑être avec le fait que sa fille aînée terminait ses études universitaires à Montréal et déménageait à Toronto.

· Mme Acikgoz est revenue au Canada en novembre 2019; la durée de son séjour n’est pas claire, mais il est évident que, le 8 janvier 2020, elle a signé à Montréal une demande de divorce conjointe devant la Cour supérieure du Québec, demande que M. Acikgoz avait signée à Istanbul le mois précédent. Cette demande ne fait aucune mention de procédures de divorce parallèles en Turquie et, en fait, elle indique qu’il n’y a pas d’autres procédures en lien avec le mariage. À part l’appartement que le couple possède à Montréal – que, conviennent les parties, Mme Acikgoz allait prendre en charge – aucun autre bien canadien conjoint n’est inscrit, et leurs filles sont aujourd’hui adultes, de sorte qu’il n’y a pas de problème de garde. On voit toutefois mal pourquoi le couple a décidé de faire une demande conjointe de divorce à Montréal, étant donné que les deux se sont mariés à Istanbul en 1994 sous le régime de la loi turque, que les deux sont des ressortissants turcs vivant en Turquie, que M. Acikgoz a renoncé à son statut de résident permanent au Canada et que Mme Acikgoz est sous le coup d’une mesure de renvoi en attendant l’issue de son appel. Cela dit, les deux affirment dans la demande de divorce qu’ils vivent séparés depuis le 21 décembre 2016. En tout état de cause, je n’ai pas pu trouver dans le dossier une copie d’une déclaration finale de divorce délivrée par la Cour supérieure du Québec ou une mention que les procédures de divorce incontestées ont été conclues, et ce, plus de deux ans après le dépôt de la demande.

[15] Mme Acikgoz a témoigné durant deux jours devant la SAI : en personne le 29 janvier 2020 et par vidéoconférence le 20 octobre 2020. Le 8 janvier 2021, la SAI a rejeté l’appel de Mme Acikgoz, concluant que la mesure de renvoi était valide en droit et qu’il n’y avait pas assez de motifs d’ordre humanitaire qui justifiaient la prise de mesures spéciales. Comme je l’ai indiqué, Mme Acikgoz n’est plus résidente permanente du Canada depuis le 13 janvier 2021, et elle a quitté le pays le 7 février 2021 de façon à obtempérer à la mesure de renvoi prise contre elle.

III. La décision faisant l’objet du présent contrôle

A. La SAI a conclu que Mme Acikgoz ne s’était pas conformée à son obligation de résidence

[16] Devant la SAI, les parties ont convenu que la période de cinq ans applicable à l’obligation de résidence de Mme Acikgoz s’étendait du 28 octobre 2013 au 28 octobre 2018, date du retour de Mme Acikgoz au Canada, et que, au cours de cette période, celle‑ci avait été effectivement présente pendant 470 jours au Canada. La question en litige consistait plutôt à savoir si Mme Acikgoz pouvait s’appuyer sur ce qu’elle prétendait être l’emploi de son époux à l’étranger. Dans l’affirmative, Mme Acikgoz aurait compté 752 jours dans l’accomplissement de son obligation de résidence (ce chiffre inclut les 470 jours qu’elle a réellement passés au Canada), franchissant tout juste le seuil de 730 jours au cours de la période quinquennale, au sens du sous‑alinéa 28(2)a)(iv) de la Loi.

[17] Mme Acikgoz a fait valoir qu’indépendamment du plaidoyer de culpabilité de la société, l’emploi qu’avait exercé son époux pour Mode Tricotto était réel. Elle a présenté une copie du contrat de travail entre son époux et Mode Tricotto, signé le 22 décembre 2011, une lettre d’embauche de Mode Tricotto, datée du 15 avril 2014 et confirmant l’emploi de M. Acikgoz (la lettre situe au 1er janvier 2012 le début de son emploi à temps plein), des documents fiscaux, ainsi que des relevés de compte bancaires montrant que des paies régulières ont été versées à compter de décembre 2012 (un an après le prétendu début de l’emploi) et ce, jusqu’en novembre 2014. Mme Acikgoz a déclaré qu’elle avait souvent rendu visite à son époux au travail, et qu’elle déjeunait avec lui de temps en temps, et qu’elle avait aussi rencontré à une occasion l’administrateur de l’entreprise. Mme Acikgoz affirme que l’emploi de son époux auprès de Mode Tricotto était réel et qu’il avait pris fin en décembre 2014.

[18] Quant à la preuve du ministre, la SAI a conclu qu’une partie de celle‑ci n’était pas digne de foi. En particulier, elle n’a pas admis le communiqué de presse et la déclaration concernant l’ampleur de la prétendue activité criminelle du consultant en immigration, qui comportait censément de faux emplois mettant en cause plusieurs autres résidents permanents. Elle a conclu que la seule preuve dont elle disposait était l’accusation officielle concernant le contrat de travail de M. Acikgoz seulement. De plus, elle a souscrit à l’argument de Mme Acikgoz selon lequel, contrairement aux affirmations du ministre, la preuve établissait uniquement que l’entreprise elle‑même avait plaidé coupable à l’accusation, et non que l’administrateur de l’entreprise, lui aussi accusé, avait également plaidé coupable; l’entreprise avait été condamnée à une amende de 40 000 $ et l’administrateur de Mode Tricotto s’était vu accorder une suspension conditionnelle d’instance. Mme Acikgoz a également fait remarquer qu’elle‑même n’a jamais été impliquée dans l’enquête criminelle.

[19] Après avoir passé en revue l’affaire, la SAI a tiré plusieurs conclusions. Premièrement, elle a conclu que la déclaration de culpabilité de Mode Tricotto pesait lourd dans la prépondérance des probabilités étayant l’affirmation selon laquelle l’emploi de M. Acikgoz auprès de Mode Tricotto était une simulation. Elle a fait remarquer que les accusations portées contre l’entreprise étaient très précises, qu’elles se rapportaient à l’emploi de M. Acikgoz, et que ce qu’avait laissé entendre Mme Acikgoz comme moyen de justifier le plaidoyer de culpabilité, à savoir que l’administrateur de l’entreprise cherchait simplement à s’éviter un procès criminel, n’était qu’une simple conjecture. La SAI a conclu que l’entreprise avait plaidé coupable et avait donc été condamnée hors de tout doute raisonnable, ce qui était extrêmement défavorable pour Mme Acikgoz. La SAI a jugé conjecturale l’affirmation de Mme Acikgoz selon laquelle il se pouvait fort bien que l’entreprise avait inscrit un plaidoyer de culpabilité en échange d’une suspension conditionnelle des accusations portées contre son administrateur.

[20] De plus, la SAI a conclu que la preuve documentaire que Mme Acikgoz avait produite à l’appui de son affirmation concernant la légitimité de l’emploi était non seulement incomplète, mais aussi indigne de foi puisque les documents émanaient d’une entreprise qui avait plaidé coupable à une accusation de fraude qui mettait en cause exactement les mêmes documents. La SAI a signalé qu’il manquait dans les documents des éléments importants, dont une année complète de relevés bancaires et le fait que la source de la [traduction] « paie » déposée dans le compte n’était pas indiquée sur les relevés bancaires. Ce qui préoccupait encore plus la SAI c’était que la dernière [traduction] « paie » indiquée sur les relevés bancaires était datée du 27 novembre 2014, ce qui signifiait que l’emploi de M. Acikgoz avait pris fin avant le 9 décembre 2014. Toutefois, une fin d’emploi antérieure à cette date n’aurait pas permis à Mme Acikgoz d’atteindre le chiffre magique des 730 jours pour l’accomplissement de son obligation de résidence.

[21] La SAI a aussi trouvé douteux que M. Acikgoz s’était contenté d’un salaire à temps plein de 24 000 $ par année; elle a conclu que la prétention de Mme Acikgoz selon laquelle le salaire était [traduction] « bon » ne concordait pas avec le montant dont auraient besoin d’investir des gens d’affaires chevronnés tels que M. et Mme Acikgoz pour pouvoir vivre comme résidents permanents au Canada et qu’il ne concordait pas non plus avec l’expérience professionnelle de M. Acikgoz et les fonctions qu’il disait exercer chez Mode Tricotto, lesquelles consistaient notamment à recueillir des échantillons et à être l’unique point de contact avec les fournisseurs en Turquie. À l’audience, j’ai demandé à l’avocat de Mme Acikgoz comment il pouvait expliquer un salaire annuel de 24 000 $ pour un emploi à temps plein, alors que le coût des frais de scolarité universitaires, à eux seuls, pour les deux filles du couple, qui étudiaient à l’étranger au Canada, était probablement proche de ce montant, sinon supérieur. On m’a répondu que la famille est fortunée et pouvait puiser dans d’autres ressources pécuniaires en cas de besoin. Je suis d’avis que cette réponse, il va sans dire, ne fait qu’affermir la vraisemblance des conclusions que la SAI a tirées quant à la légitimité du salaire et du contrat de travail.

[22] Par ailleurs, la SAI a conclu que le témoignage de Mme Acikgoz à propos du prétendu emploi de son époux était pour le moins assez flou et comportait peu de détails ne figurant pas déjà dans la preuve documentaire; elle a aussi conclu que Mme Acikgoz s’était contredite au sujet de la faillite de l’entreprise familiale de son époux et de la réticence de ce dernier à déménager au Canada en 2016. Premièrement, à part ce qu’affirmait Mme Acikgoz, il n’existait aucune preuve de la faillite. La SAI a convenu que la prétendue faillite survenue en 2011 était un aspect fondamental de la prétention de Mme Acikgoz, car c’était la faillite qui aurait forcé son époux à chercher un emploi à temps plein chez Mode Tricotto. Se fondant sur l’absence de preuve de la faillite ainsi que sur le profil LinkedIn de M. Acikgoz, qui a été copié en octobre 2015 (ce profil ne fait aucunement mention de la faillite ou de l’emploi exercé chez Mode Tricotto, mais indique simplement que M. Acikgoz a passé les 25 dernières années à gérer son entreprise familiale), la SAI n’a pas cru à une faillite de l’entreprise familiale, qui aurait ensuite amené M. Acikgoz à chercher du travail chez Mode Tricotto. La SAI a conclu qu’étant donné la preuve relative à l’expérience professionnelle de M. Acikgoz, le fait que ce dernier avait passé quelque temps comme associé de l’entreprise de son épouse, et la déclaration de celle‑ci selon laquelle elle était convaincue que l’emploi que son époux avait exercé pendant trois ans était réel, il aurait été raisonnable de s’attendre à une preuve plus détaillée de ce qu’elle savait à propos de l’emploi de son époux, plutôt qu’un vague témoignage « dénué de tout élément concret à cet égard, malgré la capacité qu’elle avait à l’époque de s’entretenir avec son époux sur des questions personnelles et liées aux affaires ».

[23] Enfin, la SAI a souligné que, même si Mme Acikgoz a affirmé que les problèmes conjugaux qu’elle avait avec son époux découlaient du refus de celui‑ci de déménager au Canada et qu’elle avait pris elle‑même la décision de déménager ici de façon permanente en août 2016, lorsqu’un agent d’immigration l’avait interrogée en novembre 2016 en vue du renouvellement de sa carte de résidente permanente, elle avait déclaré que son époux travaillait à ce moment‑là pour son entreprise familiale mais qu’il « cherch[ait] un emploi pour venir [au Canada] ». Comme l’a conclu la SAI, cette déclaration contredit directement les affirmations qu’a faites Mme Acikgoz à l’appui de son appel. En fait, comme Mme Acikgoz est retournée en Turquie en décembre 2016, son histoire est que les deux se sont séparés et que M. Acikgoz a quitté le domicile conjugal en Turquie; contrairement à ce que Mme Acikgoz avait déclaré à l’agent d’immigration, la SAI a jugé qu’il ne semblait pas, d’après ce que Mme Acikgoz soutenait maintenant en lien avec son appel, que M. Acikgoz cherchait de quelque manière un emploi au Canada. La SAI a aussi rejeté – les jugeant non fondés – les arguments de Mme Acikgoz selon lesquels si M. Acikgoz avait bel et bien été « un fraudeur », il n’aurait pas renoncé à sa résidence permanente en 2018 et il ne serait pas revenu au Canada en avril 2017, une date qui correspond à peu près au moment où l’avis d’alerte d’avril 2017 a été inscrit dans le dossier d’immigration de Mme Acikgoz et qui précède de quelques mois la date à laquelle Mode Tricotto a plaidé coupable à l’accusation de fraude en matière d’immigration.

[24] Après avoir pris en considération le profil de Mme Acikgoz en tant qu’investisseuse et femme d’affaires chevronnée, la SAI a conclu qu’il était plus probable qu’improbable que Mme Acikgoz savait que son époux avait simulé l’existence de son emploi et que, vu les problèmes de crédibilité que soulevait son propre témoignage, Mme Acikgoz s’était sciemment servie de l’emploi simulé de son époux pour renouveler son statut de résidente permanente au Canada. Mme Acikgoz n’avait donc pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle répondait aux exigences de la Loi et de son règlement correspondant.

B. La SAI a conclu qu’il n’y avait pas assez de motifs d’ordre humanitaire pour réfuter la non‑conformité à l’obligation de résidence

[25] La SAI a soupesé les différents facteurs d’ordre humanitaire et a trouvé des éléments qui faisaient pencher la balance en faveur de Mme Acikgoz, comme la détérioration de l’état de santé de son père en Turquie, son établissement au Canada après la prise de la mesure de renvoi, de même que la présence de ses deux filles au Canada. Elle a toutefois trouvé que ces éléments n’étaient pas suffisants pour réfuter le fait que Mme Acikgoz ne s’était pas conformée dans une large mesure à son obligation de résidence. La SAI a estimé que, au début, la raison pour laquelle Mme Acikgoz avait quitté le Canada était un choix de famille; ils retournaient en Turquie en raison de l’entreprise familiale de son époux et, en outre, elle avait encore son agence de voyage en Turquie. Quant au retour de Mme Acikgoz en Turquie en 2017 et en 2018, même si celle‑ci avait expliqué qu’elle devait prendre soin de son père malade dans ce pays, la SAI a estimé qu’elle y était également retournée à cause de son entreprise et qu’elle n’y était pas restée de manière continue, car elle avait continué de voyager régulièrement pour son agence de voyage. La SAI a donc jugé que son absence du Canada était généralement attribuable au choix fait par sa famille et non à un motif d’ordre humanitaire valide. Dans son analyse relative à l’établissement, la SAI a pris en considération la fausse déclaration concernant l’emploi de son époux et elle a conclu qu’il s’agissait, pour Mme Acikgoz, d’un facteur défavorable. Par ailleurs, elle a conclu que Mme Acikgoz n’avait pas établi l’existence, en Turquie, de conditions défavorables, de difficultés ou de bouleversements qui étaient assimilables à des motifs d’ordre humanitaire pour elle‑même ou pour ses filles.

IV. Les questions en litige

[26] Devant moi, Mme Acikgoz soulève trois questions :

  • a) La SAI a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en ne relevant pas de points préoccupants qui auraient permis à Mme Acikgoz d’en traiter?

  • b) La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Mme Acikgoz ne s’était pas conformée à son obligation de résidence en participant sciemment à la prétendue activité frauduleuse de son époux?

  • c) La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire en concluant qu’ils étaient insuffisants pour réfuter sa prétendue non‑conformité à son obligation de résidence?

V. La norme de contrôle applicable

[27] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision de la SAI est la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16‑17 [Vavilov]; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1028, au para 8 [Yu]). Le rôle qui est conféré à la SAI oblige notre Cour à adopter une attitude de retenue lors d’un contrôle judiciaire (Vavilov, aux para 24, 75). La Cour ne devrait intervenir que si la décision faisant l’objet du contrôle ne « possède [pas] les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si elle n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, aucune norme de contrôle particulière ne s’applique, et la question centrale consiste à savoir si la procédure a été équitable compte tenu de toutes les circonstances et, plus précisément, si le demandeur « connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux para 54, 56).

VI. Analyse

A. La SAI n’a pas manqué aux principes d’équité procédurale

[28] La SAI a conclu que le témoignage de Mme Acikgoz à propos de l’emploi de son époux a été [traduction] « vague et général ». Mme Acikgoz soutient que, à l’audience, elle a répondu à toutes les questions du mieux qu’elle pouvait et que, si le tribunal avait d’autres questions, il aurait dû les poser. Elle invoque la décision Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 515, au paragraphe 80 [Sidhu] à l’appui de la thèse selon laquelle la SAI, si elle a des doutes quant à la validité d’une preuve documentaire des plus importantes qu’un demandeur a produite, devrait en faire part à celui‑ci. Je ne vois pas en quoi cette décision aide Mme Acikgoz. En l’espèce, nous n’avons pas affaire à une situation dans laquelle la SAI avait, à propos de certains documents, des doutes dont la demanderesse n’a pas traité. L’équité procédurale exige que l’on donne au demandeur la possibilité de dissiper les doutes du décideur; celui‑ci satisfait à cette obligation « en posant les questions appropriées ou en demandant des précisions raisonnables » (Sidhu, au para 76, citant Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1926, aux para 16‑17). À l’audience, le tribunal a posé des questions à Mme Acikgoz sur l’emploi de son époux; en fait, le contexte même de l’instance est lié au prétendu emploi simulé ainsi qu’à la légitimité de ces mêmes documents. On ne m’a signalé aucune partie de l’enregistrement audio de l’audience qui montre que Mme Acikgoz n’a pas eu amplement l’occasion de fournir des détails sur le prétendu emploi de son époux auprès de Mode Tricotto, de façon à convaincre la SAI de sa légitimité, selon la prépondérance des probabilités. Mme Acikgoz fait valoir que la SAI, bien qu’elle ait trouvé son témoignage vague et général, n’a donné aucune indication quant au degré de détail qu’elle cherchait dans le témoignage en vue d’étayer la conclusion que l’emploi de son époux était réel.

[29] Je ne puis être d’accord avec Mme Acikgoz car il n’incombait pas à la SAI d’établir le bien‑fondé de sa demande en lui posant des questions (Vo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 816, aux para 12‑16). C’était à Mme Acikgoz qu’il incombait d’établir qu’elle s’était conformée à l’obligation de résidence ou que sa cause comportait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour qu’il soit justifié qu’elle conserve son statut de résidente permanente.

B. La SAI n’a pas commis d’erreur en concluant que Mme Acikgoz ne s’était pas conformée à son obligation de résidence

[30] Mme Acikgoz fait valoir que la SAI ne s’est pas livrée à une analyse raisonnable pour conclure que l’emploi de son époux était une simulation. Comme je l’ai mentionné plus tôt, au début de l’audience j’ai demandé à l’avocat de Mme Acikgoz de clarifier sa position. Il a clairement indiqué que sa cliente ne prétendait pas que l’emploi de son époux était peut‑être simulé, mais plutôt qu’elle avait été tenue dans l’ignorance, sans savoir qu’il y avait fraude. La position de Mme Acikgoz était plutôt que l’emploi de son époux chez Mode Tricotto n’était pas simulé et qu’il était bel et bien réel, qu’elle s’était donc acquittée de son obligation de résidence par plus de 22 jours, et que la SAI s’était simplement trompée dans ses conclusions. J’ai également demandé à l’avocat de Mme Acikgoz s’il était nécessaire que la SAI conclue d’abord que Mme Acikgoz était au courant de la simulation avant de pouvoir juger qu’elle ne s’était pas conformée à son obligation de résidence. Il a répondu à la question par la négative, c’est‑à‑dire qu’il n’était pas nécessaire que la SAI conclue en premier que Mme Acikgoz était au courant de la prétendue simulation pour pouvoir ensuite juger qu’elle ne s’était pas conformée à son obligation de résidence; autrement dit, il suffisait en soi que l’emploi soit considéré comme une simulation pour que Mme Acikgoz ne se conforme pas à cette obligation (art 61(5) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227). Cependant, Mme Acikgoz ajoute que la question de sa connaissance – ou de sa méconnaissance – d’une simulation quelconque peut être pertinente dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[31] Premièrement, Mme Acikgoz fait valoir que la SAI a accordé nettement trop d’importance au plaidoyer de culpabilité de Mode Tricotto; elle ajoute que ce plaidoyer ne les incrimine pas, elle ou son époux, pas plus qu’il n’établit que l’infraction a été prouvée hors de tout doute raisonnable. De plus, et comme il a été plaidé devant la SAI, Mme Acikgoz affirme qu’il était fort probable que l’entreprise avait inscrit un plaidoyer de culpabilité en échange d’une suspension conditionnelle des accusations portées contre son administrateur. Je conviens avec Mme Acikgoz qu’un plaidoyer de culpabilité n’est pas la même chose qu’une déclaration de culpabilité parce qu’un plaidoyer de culpabilité libère le ministère public de son fardeau de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable (R c Wong, 2018 CSC 25, au para 2). La SAI a donc commis une erreur en concluant que la culpabilité de l’entreprise a été prouvée hors de tout doute raisonnable. Je suis toutefois d’avis que cette question n’est pas déterminante en l’espèce. Un plaidoyer de culpabilité constitue tout de même une admission officielle de culpabilité à une infraction sur laquelle peut se fonder un décideur administratif (Gracia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 158, au para 28, citant R c Faulkner, 2018 ONCA 174, au para 85). Par ailleurs, le plaidoyer de culpabilité avait expressément trait à la fausse déclaration relative à l’emploi de M. Acikgoz. Je ne vois rien de déraisonnable dans le fait que la SAI accorde peu d’importance aux documents d’emploi émanant d’une entreprise qui a plaidé coupable à une accusation de fraude en lien avec ces mêmes documents. En fin de compte, la SAI a examiné les documents à la lumière du plaidoyer de culpabilité, de pair avec le témoignage de Mme Acikgoz, et elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, M. Acikgoz n’a jamais travaillé pour Mode Tricotto. Je conviens également avec Mme Acikgoz que le plaidoyer de culpabilité de Mode Tricotto ne les incrimine pas, elle ou son époux; cependant, la SAI n’a jamais indiqué que c’était le cas. Il n’y a pas eu de conclusion de culpabilité par association, comme le soutient Mme Acikgoz – la SAI a simplement accordé un certain poids au plaidoyer de culpabilité au moment d’évaluer l’authenticité du contrat de travail de M. Acikgoz en lien avec ce fait. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion. De plus, je conviens avec la SAI que ce que Mme Acikgoz a laissé entendre, de façon à miner le plaidoyer de culpabilité, à savoir que l’administrateur de l’entreprise avait des motifs inavoués, n’est qu’une simple conjecture. Mme Acikgoz n’a produit aucune preuve à l’appui de cette affirmation, même si elle avait le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle s’était acquittée de son obligation de résidence.

[32] Deuxièmement, Mme Acikgoz remet en question la manière dont la SAI a évalué le compte LinkedIn de son époux parce qu’elle fait valoir que ce genre de compte sert à présenter une image professionnelle positive en ligne et que, de ce fait, son époux n’y aurait pas mentionné que son entreprise familiale avait fait faillite ni dévoilé qu’il travaillait pour Mode Tricotto, un concurrent de son entreprise familiale. Elle ajoute que le compte LinkedIn de son époux n’a rien à voir avec elle, et que la prétention de la SAI selon laquelle il aurait été impossible que son époux travaille pour Mode Tricotto et possède en même temps une concession de caféterie était déraisonnable.

[33] Je suis d’avis que la SAI n’a pas commis d’erreur en prenant en considération le compte LinkedIn de M. Acikgoz. Mme Acikgoz s’est fondée sur l’emploi qu’exerçait son époux auprès de Mode Tricotto pour étayer sa prétention selon laquelle elle s’était conformée à l’obligation de résidence. La SAI a examiné le compte LinkedIn de M. Acikgoz au moment d’évaluer si la prétendue faillite expliquait de manière raisonnable pourquoi il avait commencé à travailler pour Mode Tricotto. Le compte LinkedIn de son époux est donc lié à sa prétention. La SAI a fait remarquer que l’existence de la prétendue faillite était contredite par le profil LinkedIn de M. Acikgoz (profil copié en octobre 2015, lorsqu’il était toujours résident permanent du Canada), dans lequel il indiquait qu’il gérait son entreprise familiale depuis 25 ans et que la période de travail applicable à cette entreprise s’étendait de janvier 1991 à mai 2014; il n’a pas mentionné dans son profil qu’il avait travaillé pour Tricotto. La SAI a ensuite traité de l’argument invoqué par Mme Acikgoz quant à la valeur probante du compte LinkedIn – un argument qui est le même que celui qu’elle invoque devant notre Cour – à savoir que son époux tentait simplement d’impressionner les lecteurs de sa page sociomédiatique et qu’il n’était donc pas tout à fait honnête au sujet de ses antécédents professionnels et du sort de son entreprise familiale. La SAI a conclu ce qui suit :

[64] L’avocat de Mme Acikgoz a écrit ce qui suit dans ses observations : [traduction] « De plus, l’image que les utilisateurs de LinkedIn souhaitent montrer au monde ne peut pas être considérée comme un reflet exact de leurs antécédents professionnels. Cela pourrait fort bien être le cas de l’époux de l’appelante dont l’entreprise a dû déclarer faillite et qui a ensuite commencé à travailler pour son concurrent; il est raisonnable de conclure qu’il ne voulait probablement pas que le monde sache qu’il avait échoué et qu’il travaillait désormais pour son concurrent » [notes de renvoi omises].

[65] M. Acikgoz n’a témoigné ni de vive voix ni par écrit. Par conséquent, l’argument susmentionné tient de la conjecture. Cette supposition est elle aussi loin d’être convaincante, car elle se réduit essentiellement à dire que M. Acikgoz a délibérément trompé le monde au sujet de ses antécédents professionnels.

[34] La SAI a simplement pris au pied de la lettre les antécédents professionnels dont M. Acikgoz faisait état sur sa page sociomédiatique. Il me faut convenir avec la SAI que, comme dans le cas du plaidoyer de culpabilité de l’entreprise, Mme Acikgoz ne fait qu’interpréter la situation et se livrer à des conjectures quant à la raison pour laquelle la page LinkedIn dit ce qu’elle dit. Je ne puis convenir que, d’une certaine façon, la SAI a vu dans les messages sociomédiatiques de M. Acikgoz une chose qui ne s’y trouvait pas, et je ne vois donc rien de déraisonnable dans le fait que la SAI a pris au pied de la lettre ce que M. Acikgoz a déclaré sur sa page sociomédiatique.

[35] Mme Acikgoz prétend que, contrairement à ce que la SAI a conclu, il n’était pas déraisonnable de la part de son époux d’acheter une concession en mai 2014 et de jouer ensuite un rôle de plus en plus actif dans cette entreprise avant de prendre la décision de quitter Mode Tricotto sept mois plus tard; elle soutient donc que son témoignage selon lequel son époux avait cessé de travailler pour Mode Tricotto pour investir dans une concession de caféterie était exact. Je conviens avec Mme Acikgoz que le raisonnement de la SAI à cet égard est lacunaire; cependant, je ne considère pas que cette question est déterminante pour ce qui est de savoir si, selon la prépondérance des probabilités, l’emploi exercé par son époux chez Mode Tricotto était une simulation. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, « [l]es lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision », et la cour de révision ne devrait pas « infirme[r] une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure » (Vavilov, au para 100).

[36] La SAI a eu l’avantage d’entendre des témoignages de vive voix, et notre Cour ne devrait intervenir que si une conclusion relative à la crédibilité est fondée sur des considérations non pertinentes ou ne tient pas compte de la preuve (Gill c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1158, au para 39). Mme Acikgoz soutient de plus que la SAI n’a pas tenu compte de la version des faits décrite dans son affidavit. Toutefois, le paragraphe qu’elle cite dans son mémoire en réplique semble faire référence à l’affidavit qu’elle a souscrit le 25 février 2021 et qu’elle a soumis à notre Cour. La SAI ne disposait donc pas de ce document.

[37] Mme Acikgoz a réitéré l’argument qu’elle a invoqué devant la SAI, à savoir que la prétendue implication de son époux dans une fraude en matière d’immigration ne concorde pas avec le fait que celui‑ci est revenu au Canada le 9 avril 2017. Je ne suis pas d’accord. Il est difficile d’établir clairement si l’avis d’alerte d’avril 2017 inscrit dans le dossier d’immigration de Mme Acikgoz l’a aussi été dans le dossier de son époux, ou si celui‑ci était effectivement au courant des accusations portées contre Mode Tricotto avant qu’il arrive au Canada en avril 2017. On ne sait pas clairement non plus combien de temps il est resté au Canada avant que Mode Tricotto plaide coupable à l’accusation de fraude en matière d’immigration le 15 juin 2017.

[38] Enfin, il n’est nul besoin que j’examine la question de savoir si Mme Acikgoz a été induite en erreur de quelque façon par son époux quant à son emploi chez Mode Tricotto. Premièrement, Mme Acikgoz n’avait pas soutenu qu’elle avait été trompée par son époux et, devant moi, elle a précisément fait valoir que ce n’était pas le cas. Quoi qu’il en soit, elle a admis que sa connaissance subjective importait peu dans la question de savoir si elle s’était conformée à son obligation de résidence une fois qu’il avait été conclu que l’emploi de son époux était simulé. C’est donc dire que, même si la SAI a effectivement indiqué dans sa décision que Mme Acikgoz était au courant de la simulation, il n’était pas nécessaire qu’elle tire cette conclusion pour déterminer que Mme Acikgoz ne s’était pas conformée à son obligation de résidence.

C. La SAI n’a pas commis d’erreur en prenant en considération l’emploi simulé de M. Acikgoz dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire

[39] Aux termes de l’alinéa 28(2)c) de la Loi, des motifs d’ordre humanitaire suffisants rendent inopposable l’inobservation de l’obligation de résidence. Il incombe au demandeur qui souhaite être exempté de cette obligation de démontrer qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire suffisants (Behl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1255, au para 20; El Assadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 58, au para 52). Comme l’a récemment résumé la juge Rochester dans la décision Farooqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 560, au paragraphe 10, notre Cour a relevé les facteurs particulièrement pertinents, mais non exhaustifs, dont il faut tenir compte au moment d’évaluer les motifs d’ordre humanitaire dans le contexte d’un appel en matière de résidence (Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, au para 27; Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 649, au para 13; Yu, aux para 10‑12) :

  1. l’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

  2. les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

  3. le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

  4. les liens familiaux avec le Canada;

  5. si [l’intéressé] a tenté de revenir au Canada à la première occasion;

  6. les bouleversements que vivraient les membres de la famille au Canada si [l’intéressé] est renvoyé du Canada ou si on lui refuse l’entrée dans ce pays;

  7. les difficultés que vivrait [l’intéressé] s’il est renvoyé du Canada ou s’il se voit refuser l’admission au pays;

  8. l’existence de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

[40] La SAI a jugé que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour réfuter la non‑conformité de Mme Acikgoz à son obligation de résidence. Pour ce qui est des facteurs particuliers dont il faut tenir compte, les questions en litige sont les suivantes :

  • L’étendue du manquement

[41] Mme Acikgoz soutient que la SAI a conclu que l’ampleur de son manquement ne lui était pas favorable simplement parce que la SAI avait déjà décidé qu’elle avait violé son obligation de résidence en participant sciemment à la simulation d’emploi de son époux, ce qui était faux. Je ne suis pas d’accord. Ayant déjà décidé que l’emploi de son époux était une simulation, la SAI a simplement déclaré qu’en raison du manque important de jours requis (420 jours par rapport aux 730 jours requis), Mme Acikgoz avait « besoin de compenser son manquement considérable par des motifs d’ordre humanitaire proportionnels à ce dernier ». Je ne vois rien de déraisonnable dans cette évaluation.

  • Les raisons du départ et du séjour à l’étranger

[42] Mme Acikgoz soutient qu’elle s’est bel et bien acquittée de son obligation de résidence et que, de ce fait, elle avait [traduction] « le droit en vertu de la loi de retourner dans son pays pour toute raison qu’elle estimait nécessaire » et que la SAI a omis de se livrer à une analyse quelconque du nombre de jours qu’elle avait effectivement passés à prendre soin de son père, comparativement au nombre de jours pendant lesquels elle s’était absentée du Canada pour son agence de voyage. Je ne suis pas d’accord. Tout d’abord, la manière dont la SAI a évalué ce facteur ne dépend pas de sa conclusion antérieure – qu’elle soit bonne ou mauvaise – à savoir que Mme Acikgoz était au courant que l’emploi de son époux était une simulation. La SAI a conclu que la raison fondamentale pour laquelle elle avait quitté le Canada pour la Turquie en 2010, après avoir obtenu le droit d’établissement au Canada, était un choix familial. La SAI a tenu compte du fait que la demanderesse aurait préféré déménager au Canada mais qu’il y avait le problème de l’entreprise familiale de son époux, et elle a également tenu compte du fait que Mme Acikgoz possédait encore son agence de voyage à Istanbul. Bref, la Turquie était l’endroit où ses filles ont été élevées et que c’est là que la famille a décidé de rester; la SAI a conclu qu’il ne s’agissait pas là d’un motif d’ordre humanitaire, et je suis du même avis.

[43] La SAI a tenu compte du fait que Mme Acikgoz dit qu’elle a décidé de s’établir au Canada en août 2016, et que ses filles étudiaient ici. Elle a également tenu compte du fait que le père de Mme Acikgoz, âgé de 85 ans, était malade depuis 2012 et que son état de santé s’était aggravé en 2017 et en 2018. La SAI a conclu qu’il s’agissait là d’un facteur favorable en lien avec les motifs d’ordre humanitaire de Mme Acikgoz; cependant, l’état de santé du père ne pouvait pas expliquer à lui seul pourquoi elle n’avait séjourné au Canada que 101 jours en 2017 et 74 jours en 2018. En réalité, Mme Acikgoz a continué d’exploiter son entreprise en Turquie et son passeport comptait de nombreux timbres datant de 2017 et de 2018, ce qui était le signe de nombreux voyages à l’étranger, des voyages qui s’étaient poursuivis après janvier 2020 même si son père était encore seul en Turquie. Mme Acikgoz fait valoir que la SAI a omis d’analyser le nombre exact de jours qu’il avait fallu qu’elle passe en Turquie pour prendre réellement soin de son père. Je ne suis pas d’accord. Je suis d’avis que la SAI a examiné comme il faut la question et a conclu que, même si Mme Acikgoz était bel et bien retournée en Turquie à certains moments pendant les années 2017 et 2018, la durée de son séjour à l’extérieur du Canada au cours de cette période n’était attribuable qu’en partie à l’état de santé de son père, et était surtout due au choix que sa famille avait fait; cela ne pouvait donc pas être pris en compte aux fins des motifs d’ordre humanitaire. Cette conclusion n’a rien de déraisonnable.

  • Les tentatives pour revenir au Canada à la première occasion

[44] Mme Acikgoz fait valoir qu’elle croyait que son époux travaillait pour une entreprise canadienne en Turquie et qu’elle se conformait à l’obligation de résidence et que, de ce fait, il était normal qu’elle ne revienne pas au Canada. Elle ajoute que la SAI ne pouvait pas conclure de manière raisonnable qu’elle n’était pas revenue au Canada à la première occasion, car elle l’avait fait en août 2016, deux ans avant la prise de la mesure de renvoi la concernant, en octobre 2018. Je ne puis être d’accord avec elle, car je ne suis pas convaincu qu’elle a fait une tentative sérieuse pour revenir au Canada. Comme je l’ai mentionné plus tôt, même si l’on tient compte de l’état de santé de son père, comme je l’ai laissé entendre aux avocats à l’audience, je serais plutôt porté à douter que les séjours de 101 jours et de 74 jours qu’elle a faits au Canada au cours des deux années ayant suivi la date à laquelle, comme l’affirme Mme Acikgoz, elle avait déménagé de façon permanente au Canada constituent, dans le contexte de l’espèce, de sérieuses tentatives pour revenir au Canada; je me dois de convenir avec la SAI qu’il ne s’agit pas d’un facteur qui fait pencher la balance en faveur de Mme Acikgoz.

  • Le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience

[45] La SAI a conclu que la tentative de Mme Acikgoz pour s’établir au pays – notamment en s’enregistrant à titre de propriétaire unique et en cherchant à faire des affaires au Canada – après que les problèmes causés par l’emploi de son époux avaient fait surface et que la mesure de renvoi avait été prise contre elle – était, en général, trop peu trop tard et, en tout état de cause, en dehors de la période quinquennale qui nous intéresse. Selon Mme Acikgoz, la SAI était tenue de prendre en considération ce facteur comme s’il n’y avait eu aucune simulation et la SAI n’a pas tenu compte du fait que le travail que faisait son époux pour une entreprise canadienne en Turquie l’avait empêchée de s’établir comme il faut au Canada. Je ne suis pas d’accord avec ses arguments. Aux termes de l’alinéa 28(2)c) de la Loi, l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire a lieu après que la SAI a conclu que le résident permanent ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence. La SAI ne pouvait pas faire abstraction des propres conclusions qu’elle avait tirées en vertu de l’alinéa 28(2)a) – à savoir que Mme Acikgoz ne répondait pas aux exigences de la Loi et à son règlement correspondant parce que le résident permanent qu’elle accompagnait ne se conformait pas à l’obligation de résidence. Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion de la SAI selon laquelle il ne s’agit pas d’un facteur qui fait pencher la balance en faveur de Mme Acikgoz.

  • Les liens familiaux au Canada

[46] Cet aspect ne suscite aucun litige; la SAI a conclu que le fait que les deux filles de Mme Acikgoz vivaient au Canada était un facteur qui faisait pencher la balance en sa faveur dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

  • Les difficultés et les bouleversements que l’on causerait à Mme Acikgoz et à sa famille au Canada

[47] La SAI a conclu que Mme Acikgoz n’avait pas établi que le fait de ne pas pouvoir demeurer au Canada causerait des difficultés quelconques. La question n’a pas été soulevée devant moi; il n’est donc pas nécessaire selon moi d’examiner ce facteur. Cependant, dans l’ensemble, vu que son entreprise est en fait très récente et que rien ne prouve que celle‑ci a démarré, vu que le seul élément d’actif que possède Mme Acikgoz au Canada est son appartement de Montréal, qu’elle a, dans le passé, loué à d’autres, et vu que ses filles se rendent régulièrement en Turquie, je ne vois pas en quoi la décision de la SAI causerait des difficultés sérieuses si Mme Acikgoz venait à perdre son statut de résidente permanente.

[48] Le facteur de l’intérêt supérieur des filles n’est pas pertinent du fait de leur âge, et Mme Acikgoz n’a fourni aucune preuve d’autres circonstances particulières qui mériteraient que l’on prenne une mesure spéciale. En fin de compte, la SAI a jugé que les facteurs positifs qui faisaient pencher la balance en faveur de Mme Acikgoz [traduction] « [n’avaient] pas suffisamment de poids pour compenser son manquement important ». Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[49] Enfin, Mme Acikgoz fait valoir que les conclusions que la SAI a tirées au sujet de sa connaissance de la simulation étaient injustifiées, mais qu’elles ont imprégné sa décision tout entière, et que la SAI, au moment d’évaluer les facteurs d’ordre humanitaire, a mis l’accent de manière déraisonnable sur la fausse déclaration relative à l’emploi de son époux chez Mode Tricotto. Je conviens que la SAI, dans sa décision, a continué de prendre en compte cette fausse déclaration; elle ne l’a toutefois fait qu’après avoir indiqué que la seule évaluation des facteurs d’ordre humanitaire suffisait pour trancher l’appel. C’est donc dire que tout problème qu’aurait pu causer ou non la manière dont la SAI a évalué la fausse déclaration de Mme Acikgoz et sa connaissance de la simulation lors de son analyse des facteurs d’ordre humanitaire n’a pas été déterminant quant à l’issue de l’appel.

VII. Conclusion

[50] Dans l’ensemble, on ne m’a pas convaincu que la décision de la SAI était déraisonnable. Je suis donc d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑575‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑575‑21

 

INTITULÉ :

ILGEN ACIKGOZ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Ivan Skafar

POUR LA DEMANDERESSE

Michel Pépin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Attorneys/Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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