Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220708


Dossier : T‑1066‑17

Référence : 2022 CF 1008

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), 8 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

T‑REX PROPERTY AB

demanderesse et

défenderesse reconventionnelle

et

PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LIMITED PARTNERSHIP, PATTISON OUTDOOR ADVERTISING,

JIM PATTISON INDUSTRIES LTD,

et ONESTOP MEDIA GROUP INC

défenderesses et

demanderesses reconventionnelles

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les défenderesses et demanderesses reconventionnelles (ci‑après Pattison) ont décidé d’exclure le rapport d’expert en réplique daté du 17 décembre 2021produit par monsieur Zaydoon Jawadi. Il s’agit d’un autre incident survenu lors d’un procès au sujet de la prétendue contrefaçon d’un brevet détenu par la demanderesse et défenderesse reconventionnelle (ci‑après T‑Rex ).

[2] En l’espèce, il y a deux experts principaux qui s’attaquent directement aux allégations de contrefaçon et d’invalidité d’un brevet détenu par T‑Rex, le brevet canadien no 2252973 (le brevet 973). M. Zaydoon Jawadi a été mandaté par T‑Rex et a produit des rapports d’expert qui étayent l’allégation de T‑Rex selon laquelle Pattison a enfreint un certain nombre de revendications du brevet 973, maintenant expiré, tout en réfutant les allégations de Pattison selon lesquelles le brevet 973 est invalide pour un certain nombre de raisons.

[3] À l’inverse, le professeur Warren J. Gross a été mandaté par Pattison et ses rapports portent sur la défense de Pattison contre les allégations de contrefaçon et ses allégations selon lesquelles le brevet 973 n’est pas valide. Voici les rapports des deux experts qui se sont penchés sur la contrefaçon et l’invalidité du brevet :

[traduction]

J. Jawadi :

  • Interprétation des revendications et contrefaçon (17 septembre 2021) [258 pages]

  • Rapport de réfutation sur la validité (19 novembre 2021) [92 pages]

  • Rapport supplémentaire de réfutation sur la validité (7 février 2022) [17 pages]

W. J. Gross :

  • Interprétation des revendications et invalidité (17 septembre 2021) [144 pages]

  • Rapport de réfutation sur l’interprétation des revendications et la contrefaçon (19 novembre 2021) [108 pages]

  • Rapport en réplique sur l’interprétation des revendications et l’invalidité et rapport complémentaire sur l’invalidité (17 décembre 2021) [14 pages]

Chacun des rapports est appuyé par de volumineuses annexes.

[4] J’ajoute que, pour faire bonne mesure, Pattison a retenu les services de deux experts à l’appui de son affirmation selon laquelle le brevet 973 contrevient à l’article 53 de la Loi sur les brevets (LRC, 1985, c P‑4). Ces rapports n’ont aucune incidence sur la requête dont la Cour est saisie.

[5] Ce qui donne lieu à la requête d’exclusion, c’est un quatrième rapport produit par M. Jawadi, qu’il a désigné comme [traduction] « Rapport d’expert en réplique (interprétation des revendications et contrefaçon) ». Ce rapport est daté du 17 décembre 2021 et s’étend sur 241 paragraphes, soit plus de 78 pages. Il contient également de nombreuses annexes. Pattison soutient qu’il ne s’agit pas d’une réplique appropriée.

I. Rapport en réplique

[6] Comme on l’a déjà vu, T‑Rex a produit un volumineux rapport sur l’interprétation des revendications et la contrefaçon en date du 17 septembre 2021. Bien entendu, le rapport vise à permettre à T‑Rex de s’acquitter de sa responsabilité de prouver la contrefaçon. Le même jour, Pattison a tenté de s’acquitter de son fardeau en s’attaquant à la validité du brevet 973. La réponse à ces rapports initiaux a été donnée le 19 novembre 2021, lorsque M. Jawadi a produit son rapport de réfutation sur la validité et que M. Gross a présenté son rapport de réfutation sur l’interprétation des revendications et la contrefaçon. Cependant, T‑Rex a jugé bon d’avoir un rapport en réplique, qui a été signifié le 17 décembre. Pattison a confirmé le 17 janvier 2022 qu’il contestait le rapport en réplique.

[7] Étant donné que T‑Rex a retiré un grand nombre de paragraphes du rapport en réplique contesté, la description du contenu du rapport peut être raccourcie. T‑Rex a retiré la majeure partie des paragraphes, soit 8 à 10, 12 à 97 et 172 à 240. En fait, T‑Rex a choisi de défendre le paragraphe 11 et les paragraphes 98 à 171.

[8] Le rapport en réplique de M. Jawadi commence par des paragraphes introductifs où il expose ses compétences, les documents qu’il a examinés et les instructions qu’il a reçues pour répondre au rapport de M. Gross du 19 novembre 2021. Il affirme au paragraphe 7 que le rapport de M. Gross a suscité de nouvelles opinions imprévues auxquelles il souhaite répondre.

[9] M. Jawadi répond ensuite à diverses critiques de son rapport initial. Il s’agit d’un rapport difficile à lire et à comprendre, et qui porte le lecteur à se questionner sur la manière dont les divers éléments du système Pattison, qui enfreignent prétendument le brevet 973, interagissent ensemble. Il est également dit que le rapport de M. Gross critique la généralisation faite par M. Jawadi, étant donné que les différents réseaux Pattison présentent des différences du point de vue des caractéristiques, des particularités et des propriétés, lesquelles ne sont pas reflétées dans l’analyse de la contrefaçon effectuée par M. Jawadi.

[10] Compte tenu du retrait par T‑Rex d’environ les deux tiers du rapport en réplique, il suffira, à nos fins, d’énumérer les différents éléments présentés initialement comme réplique appropriée et qui ont été retirés :

  • Réponses et opinions sur les critiques formulées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant la structure du rapport d’expert de M. Jawadi :

    • o l’utilisation des pièces dans le rapport d’expert de M. Jawadi n’est ni confuse ni inhabituelle;

    • o l’utilisation par le rapport d’expert de M. Jawadi d’un [traduction] « grand nombre » de citations et de documents n’est ni déroutante, ni inhabituelle;

    • o le rapport d’expert de M. Jawadi fournit suffisamment d’explications sur les notes finales et les citations.

  • Réponses et opinions sur les critiques soulevées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant les réseaux de publicité numérique Pattison Onestop :

    • o le rapport d’expert de M. Jawadi ne traite pas incorrectement les réseaux de publicité numérique Pattison Onestop comme d’un réseau unique;

    • o le rapport d’expert de M. Jawadi décrit le matériel, les logiciels et les capacités des réseaux de publicité numérique Pattison Onestop;

    • o le rapport de réfutation de M. Gross ne décrit pas les réseaux de publicité numérique Pattison Onestop ni leurs spécificités et ne précise pas comment celles‑ci se rapportent à la contrefaçon du brevet 973 par ces réseaux;

    • o dans le rapport de réfutation de M. Gross, le terme non défini « Pattison Systems and Networks » est utilisé comme terme générique.

  • Réponses et opinions sur les critiques formulées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant deux caractéristiques :

    • o les réseaux de publicité numérique Pattison Onestop comprennent des modes de contrefaçon qui ne nécessitent pas les deux caractéristiques;

    • o les réseaux de publicité numérique Pattison Onestop sont capables d’exécuter les éléments relatifs aux revendications affirmées avec ou sans les deux caractéristiques;

    • o les deux caractéristiques de Pattison agissent comme médiateurs pour l’identification et l’interprétation du médiateur dans le rapport de M. Gross.

Cette liste fastidieuse, qui couvre les paragraphes 12 à 97 du rapport en réplique, n’inclut pas d’autres rubriques, titres ou sous‑titres. J’ai lu le rapport en entier. La liste ne sert qu’à souligner que, bien que T‑Rex ait retiré ces paragraphes [traduction] « sans rien admettre à propos du fait que ces éléments de preuve constituent ou non une réplique appropriée » (transcription de l’affaire T‑Rex, au para 14), ce retrait a permis que l’examen porte principalement sur les paragraphes où de meilleurs arguments pouvaient être présentés; T‑Rex a fait un choix judicieux en retirant la majeure partie des paragraphes qui ont été présentés en réplique.

[11] Il en va de même des paragraphes 172 à 240, qui ont également été retirés par T‑Rex. Ces paragraphes portent sur :

  • Réponses et opinions sur les critiques formulées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant l’interprétation des revendications, POSITA et CGK :

  • Réponses et opinions sur les critiques formulées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant l’analyse de la contrefaçon :

élaborant sur près de 60 paragraphes, M. Jawadi se défend et réaffirme son interprétation de diverses expressions dans le brevet 973; il cherche à justifier les positions qu’il a déjà adoptées et, ce faisant, il est argumentatif et cherche à avoir le dernier mot.

II. Paragraphe 11, et paragraphes 98 à 171

[12] Cela laisse donc la partie du rapport en réplique de M. Jawadi, laquelle continue d’être soumise comme réplique. La section constitue ce que l’auteur du rapport en réplique appelle [traduction] « Réponses et opinions sur les critiques soulevées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant les citations de code source ».

[13] Essentiellement, les paragraphes 98 à 171 constituent la tentative de M. Jawadi de justifier que les versions du code source qu’il prétend avoir utilisées pour démontrer la contrefaçon de la part de Pattison sont représentatives de la période visée. Les versions du code source sont connues sous le nom de PG‑909 pour 2017, PG‑915 pour 2013 et PG‑916 pour 2015. M. Gross a constaté que les trois dossiers n’étaient pas les mêmes dans les trois versions. Cela donne à penser, prétend‑il, que la dernière version n’est pas représentative de la période considérée.

[14] Pattison affirme que l’existence des trois versions du code source n’est pas nouvelle : ils ont été communiqués pendant l’interrogatoire préalable. En effet, le déposant de Pattison a déclaré que [traduction] « M. Jawadi a affirmé lors de son témoignage au procès avoir consulté les diverses versions du code source de Pattison qu’il avait en sa possession lors de la rédaction de son rapport principal, et qu’il avait affirmé avoir fait une analyse comparative au moment de rédiger ce rapport ».

[15] L’argument avancé par Pattison est que le rapport en réplique de M. Jawadi n’est rien d’autre qu’une tentative de T‑Rex de scinder sa cause et de réaffirmer ce qui avait déjà été discuté dans le premier rapport de M. Jawadi. Aucun de ces objectifs ne peut faire l’objet d’une réplique valable au rapport du professeur Gross daté de novembre 2021.

[16] Il est soutenu que M. Jawadi s’est appuyé exclusivement sur le code source de 2017 lors de son élaboration des preuves sur la contrefaçon du brevet 973. M. Gross a contesté le fait que le code source de 2017 ne soit pas représentatif de l’ensemble de la période considérée (2011‑2017) en raison des modifications constantes apportées au code source. Au paragraphe 70 de son rapport daté de novembre 2021, il déclare qu’il n’y a dans le rapport de M. Jawadi de septembre 2021 aucune preuve, ni même suggestion, que les fichiers de code source pour les années 2013 et 2015 ont été utilisés pour l’analyse de la contrefaçon. Il affirme qu’ils ne sont pas mentionnés dans le tableau de contrefaçon comportant des notes de fin (pièce D du premier rapport de M. Jawadi (17 septembre 2021)).

[17] M. Gross ajoute, au paragraphe 86, qu’il ne peut trouver d’information ou d’observations selon lesquelles M. Jawadi a examiné les modifications apportées au code source au fil des ans, de façon à pouvoir considérer que le code source de 2017 est représentatif du code source au cours de la période considérée, soit 2011 à 2017 (plus précisément, la période considérée aux fins de ce litige s’étend du 20 juillet 2011 au 23 avril 2017). Il n’a pas non plus [traduction] « vu d’information ou de commentaires dans le rapport de M. Jawadi selon lesquels son analyse de la contrefaçon dépend des fichiers de code source Oneshop contenus dans PG‑915 ou PG‑916 ». Pour rappel, PG‑915 correspond à un code source utilisé pour 2013, tandis que PG‑916 correspond à 2015.

[18] Il est affirmé qu’aucune tentative n’est faite pour établir que le PG‑909 (2017) est effectivement représentatif des deux autres années, soit 2013 et 2015, ni même des parties du code source qui seraient pertinentes pour l’ensemble des six années. Il n’y a pas eu de tentative pour démontrer une telle représentativité. Cela mène M. Gross à conclure, au paragraphe 92 :

[traduction]

92. Pour ces raisons, lorsque M. Jawadi se réfère au PG‑909 dans son rapport pour étayer ses allégations de contrefaçon, ces affirmations ne peuvent être invoquées qu’en relation avec le code source au moment où l’« échantillon » a été pris, c’est‑à‑dire en avril 2017 (soit la date d’expiration du brevet 973). Ces affirmations ne peuvent même pas être appliquées au code source tel qu’il existait dans les jours précédents, car des changements y ont été apportés quotidiennement.

[19] L’avocat de Pattison a référé la Cour au rapport initial de M. Jawadi, celui du 17 septembre 2021. Le rapport s’étend sur 647 paragraphes et comporte un certain nombre de pièces. L’une de ces pièces est nommée [traduction] « pièce D, Tableau de contrefaçon », et compte elle‑même 107 pages. Une autre pièce, mentionnée par l’avocat de Pattison lors de l’audience, est la pièce F, qui est décrite comme suit au paragraphe 324 du rapport de M. Jawadi, en date du 17 septembre 2021 :

[traduction]

324 La pièce F fournit une liste des fichiers de code source Pattison cités dans le présent rapport, l’endroit où (dans quelles versions de [PG‑0909, PG‑0915, PG‑0916]) les fichiers de code source cités apparaissent dans les productions de code source Pattison, ainsi que les noms complets des chemins d’accès et les dates et heures des fichiers de code source cités.

[20] La pièce F montre sans équivoque que les fichiers cités se trouvent dans diverses versions du code source, qu’ils soient seuls ou combinés avec d’autres versions du code source. Comme le sommaire du tableau l’indique, la version du code source PG‑909 seule reçoit des fichiers cités dix fois, tandis que les versions PG‑909 et PG‑916 mises ensemble reçoivent des fichiers cités deux fois, que les versions PG‑909 et PG‑915 mises ensemble reçoivent des fichiers cités 33 fois et que les trois versions mises ensemble reçoivent les mêmes dossiers cités 46 fois. Ainsi, dix fichiers cités se trouvent uniquement dans la version PG‑909. Dans d’autres cas, les fichiers cités se trouveront dans deux versions du code source. Dans 46 cas, les dossiers cités se trouvent dans les versions PG‑909 (2017), PG‑915 (2013) et PG‑916 (2015). Il ne fait aucun doute que M. Jawadi était au courant des différences entre les versions du code source, compte tenu de la pièce F qu’il a lui‑même soumise; pourtant, l’argument veut qu’il n’ait même pas tenté de faire valoir que les différences n’avaient aucune incidence sur ses conclusions, puisqu’il a choisi d’argumenter sa cause en se fondant sur PG‑909. Pattison soutient que si la représentativité de la période concernée était un problème, T‑Rex aurait dû en faire sa preuve principale. Essayer de régler la question dans le cadre d’une réplique est de toute évidence une façon de fractionner la preuve. De plus, M. Jawadi se contente de n’être en désaccord avec M. Gross que sur certains points; cela ne constitue pas une contre‑preuve appropriée. Le fait de réaffirmer des points de vue déjà exprimés dans le premier rapport mérite le même traitement.

[21] En résumé, la seule question à trancher devant la Cour est celle de la section de son rapport, qui porte le titre « Réponses et opinions au sujet des critiques soulevées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant les citations du code source », et qui compte environ 20 pages. Étonnamment, à mon avis, M. Jawadi semble avoir une compréhension particulière de ce qui constitue des questions nouvelles et imprévues venant d’un autre expert. Il écrit au paragraphe 100 de son rapport en réplique, qui est au début du chapitre à l’étude sur cette requête d’exclusion, [traduction] « [c]omme je vais l’expliquer, les deux déclarations du rapport de réfutation de M. Gross ci‑dessus sont fausses et sont donc nouvelles et imprévues ». Il semble que cela soit une proposition nouvelle, laquelle semble indiquer que lorsque les experts ne sont pas d’accord, cela ouvre la porte à une réplique.

[22] Le rapport en réplique présente ensuite la méthodologie que M. Jawadi souhaite appliquer dans l’analyse qui suit pour tenter de démontrer la représentativité. Comme l’a confirmé l’avocat de T‑Rex (transcription de l’affaire, aux paras 47‑49), il s’agit d’une nouvelle méthodologie en réplique aux critiques formulées par M. Gross. C’est une nouvelle preuve.

[23] M. Jawadi passe un temps considérable à essayer de compléter ce que M. Gross déclare être manquant dans le rapport initial. Il soutient que les différences entre les versions du code source sont immatérielles ou insignifiantes et que M. Gross n’a pas fourni d’information sur les changements et leur importance, bien que M. Jawadi soit maintenant d’accord pour dire que PG‑909, PG‑915 et PG‑916 sont différentes. Néanmoins, je ne doute pas qu’il s’agisse d’une nouvelle preuve qui n’a pas été présentée dans le rapport initial. Je note en passant que la démarche de M. Jawadi vise à faire valoir que les différences entre les versions du code source n’ont pas d’incidence sur sa tentative d’établir la contrefaçon. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une tentative d’apporter des éléments de preuve qui sont censés appuyer l’argument selon lequel, bien que les fichiers de code source dans PG‑909, PG‑915 et PG‑916 soient différents, [traduction] « les éléments de revendication sont toujours intégrés dans PG‑909, PG‑915 et PG‑916 » (rapport en réplique du 17 décembre 2021, au para 154). M. Jawadi déclare davantage qu’il ne démontre dans le paragraphe suivant, en affirmant que [traduction] « le code source sur lequel se fonde le rapport d’experts de M. Jawadi est représentatif des ensembles de codes sources tels qu’ils existaient au cours de la période considérée ». Ce qui est clair, c’est que la démonstration du rapport en réplique n’a pas été faite dans le rapport de septembre 2021, alors que T‑Rex avait le fardeau d’établir en preuve la contrefaçon. La question est de savoir si cela peut faire l’objet d’un rapport en réplique.

[24] Il convient de noter que M. Jawadi s’appuie également, dans le rapport en réplique (aux paras 156‑171), sur son rapport d’expert initial et sur la pièce D. Ce rapport n’est donc qu’une réaffirmation de ce qui figure déjà dans le rapport initial.

III. Analyse

[25] Le point de départ doit être la question que la Cour doit trancher. Il s’agit simplement de savoir si le rapport en réplique que T‑Rex souhaite introduire en preuve peut être déposé valablement. Pattison dit que ce n’est pas possible. C’est là un exemple flagrant de fractionnement de la preuve et d’un témoin qui cherche à avoir le dernier mot. T‑Rex porte le fardeau de la preuve de la contrefaçon, mais également celui de démontrer à la Cour que le rapport de décembre 2021 constitue une véritable réplique. En l’espèce, aucune preuve nouvelle et imprévue n’a été présentée par M. Gross, ce qui aurait permis une réplique appropriée. T‑Rex a choisi de s’appuyer sur PG‑909 pour faire valoir son point de vue, sans tenir compte des versions PG‑915 et PG‑916. Elle ne peut tenter ainsi de corriger ultérieurement ce qui n’a pas été fait au départ, c’est‑à‑dire de présenter toutes les preuves nécessaires pour s’acquitter de son fardeau. Le fait de soulever le manque de représentativité de la version du code source choisie par T‑Rex, compte tenu des différences entre les trois versions du code source, ne permet en rien une réplique en bonne et due forme. Il n’est pas permis de présenter des éléments de preuve, de s’asseoir pour entendre la preuve de la partie défenderesse, puis de pallier ensuite les faiblesses identifiées par l’expert adverse.

[26] Pour sa part, T‑Rex soutient que les règles doivent être appliquées avec une certaine souplesse. On ne peut pas attendre d’un expert qu’il anticipe chaque argument sans rendre le fardeau du système de justice insupportable. T‑Rex cite, à l’appui de son point de vue, Takeda Canada Inc. c Canada (ministre de la Santé), 2014 CarswellNat 8773 [Takeda] :

[8] Il est possible qu’un expert puisse anticiper et examiner la plupart des attaques possibles émises contre son opinion, de la plus futile à la plus complexe, de même que de nombreuses distinctions et mises en garde qui pourraient être soulevées relativement aux travaux et documents qu’il ou elle pourrait citer à l’appui de l’opinion donnée et, par conséquent, éliminer tout besoin de réplique. Toutefois, un tel exercice peut également donner lieu à beaucoup de preuves inutiles et à rendre encore plus volumineux des dossiers qui le sont déjà. Lors de l’examen d’une requête visant à obtenir l’autorisation de déposer une réplique, il faut donc maintenir un équilibre prudent. Ce n’est pas parce qu’une question aurait pu être anticipée qu’elle aurait raisonnablement dû être dès le départ, et qu’une réplique ne devrait pas être autorisée.

[27] En l’espèce, la question de la représentativité soulevée par M. Gross ne pouvait être raisonnablement anticipée, et ne l’a pas été. T‑Rex reproche à M. Gross de ne pas avoir été plus précis quant à l’importance des différences, ce qui a eu des répercussions sur l’analyse de la contrefaçon. En outre, T‑Rex soutient qu’il y avait beaucoup de fichiers dans PG‑909 et qu’il aurait été difficile d’anticiper, en raison du volume de données.

[28] T‑Rex soutient également que l’analyse aurait été inutile parce que les différences ne sont pas significatives.

[29] Dans le même esprit, T‑Rex suggère que la méthodologie qu’elle a utilisée pour son rapport en réplique visait précisément à répondre à l’argument imprévu sur la représentativité. L’explication au sujet de la méthodologie utilisée doit faire partie de la contre‑preuve.

[30] Quoi qu’il en soit, le critère ultime doit être l’intérêt de la justice et la nécessité d’aider la Cour à déterminer le bien‑fondé de l’affaire. Alors que T‑Rex affirmait que la question soulevée par Pattison n’était pas anticipée, elle soutient maintenant que [traduction] « les différences entre les fichiers de code source des trois versions [sont] tellement fondamentale[s] qu’elle[s] doi[vent] être étudiée[s] en profondeur » (transcription de l’affaire, au para 51). T‑Rex plaide pour que le pouvoir discrétionnaire lui permettant d’utiliser son rapport de réplique soit exercé, en raison de la complexité de l’affaire et du fait que Pattison ne subira aucun préjudice grave, étant donné qu’elle pourra contre‑interroger M. Jawadi. En fait, la Cour peut ordonner l’introduction d’une contre‑preuve en réplique si elle estime qu’un préjudice injustifié pourrait être subi.

[31] Je le répète, la seule question dont la Cour est saisie est celle de la recevabilité en preuve d’un rapport en réplique que T‑Rex souhaite présenter lors du procès, qui reprendra en octobre. Il reste à savoir si la question de la représentativité sera soumise à la Cour et, dans l’affirmative, si elle est réellement déterminante. Alors qu’il apparaît que M. Gross soulèvera la question de la représentativité, l’importance et la nature des différences, s’il y en a, ne sont pas établies à ce stade. Cette question sera examinée plus tard, lorsque les preuves seront analysées.

[32] Je suis parvenu à la conclusion que le rapport en réplique de M. Jawadi ne répond pas aux critères d’admissibilité et ne devrait pas être admis, dans le contexte où la Cour bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire résiduel lorsque les intérêts de la justice pourraient être servis et le recours à un tel rapport pourrait être utile. Voici pourquoi.

[33] Le fil d’or de la jurisprudence, c’est qu’un demandeur ne peut pas scinder sa preuve et que seule une nouvelle question, qui n’aurait pas pu raisonnablement être anticipée, peut faire l’objet d’une réplique valable. La règle a été énoncée par la Cour suprême du Canada il y a plus de 35 ans dans R. c Krause, [1986] 2 RCS 466, aux pages 473 et 474 [Krause] :

15. D’abord, on peut remarquer que la règle applicable en matière de présentation d’une contre‑preuve dans les affaires criminelles découle au départ des règles de droit et de pratique qui régissent la procédure suivie dans les procès civils et criminels, et elle demeure généralement compatible avec celles‑ci. La règle générale porte que le ministère public, ou le demandeur dans les affaires civiles, ne sera pas autorisé à scinder sa preuve. Le ministère public ou le demandeur doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l’intention de se fonder pour établir sa preuve relativement à toutes les questions soulevées dans les débats; dans une affaire criminelle, l’acte d’accusation et tous les renseignements : voir R. v Bruno (1975), 27 C.C.C. (2d) 318 (C.A. Ont.), le juge Mackinnon, à la p. 320, et pour une affaire civile, voir : Allcock Laight & Westwood Ltd. c. Patten, Bernard and Dynamic Display Ltd., [1967] 1 O.R. 18 (C.A. Ont.), le juge d’appel Schroeder, aux pp. 21 et 22. Cette règle empêche les surprises injustes, les préjudices et la confusion qui pourraient résulter si le ministère public ou le demandeur était autorisé à scinder sa preuve, c’est‑à‑dire, à présenter une partie de ses éléments de preuve – autant qu’il l’estime nécessaire au départ – pour ensuite terminer la présentation de sa preuve et, après la fin de l’argumentation de la défense, ajouter d’autres éléments de preuve à l’appui de la position présentée au début. La raison d’être de cette règle est que le défendeur ou l’accusé a le droit à la fin de la présentation de la preuve du ministère public de disposer de la preuve complète du ministère public de manière à savoir, dès le début, ce à quoi il doit répondre.

16. Le demandeur ou le ministère public peut être autorisé à présenter une contre‑preuve après la fin de l’argumentation de la défense, lorsque la défense a soulevé de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense dont le ministère public n’a pas eu l’occasion de traiter et que le ministère public ou le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Toutefois, la contre‑preuve n’est pas permise en ce qui a trait à des questions qui confirment ou renforcent simplement des éléments de preuve soumis précédemment dans le cadre de la preuve du ministère public et qui auraient pu être soumis avant la présentation de la défense. Elle ne sera autorisée que si elle est nécessaire pour assurer qu’à la fin de l’audience chaque partie aura eu une chance égale d’entendre les arguments complets de l’autre et d’y répondre.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Un autre fondement de longue date dans ce domaine de la loi est bien sûr la décision Halford c Seed Hawk Inc., 2003 CFPI 141, 24 CPR (4th) 220 [Halford] :

14. La conclusion que je tire de cet extrait est que les éléments de preuve qui ne font que confirmer ou reprendre des éléments de preuve qui ont déjà été présentés à titre de preuve principale ne sont pas admissibles à titre de contre‑preuve. Ils doivent comporter de nouveaux éléments. Mais comme le demandeur n’a pas le droit de scinder sa preuve, ces nouveaux éléments doivent être des éléments de preuve qui ne faisaient pas partie de la preuve principale. Il ne reste donc plus que les éléments de preuve se rapportant à des aspects invoqués en défense que le demandeur n’avait pas soulevés dans sa preuve principale. Mais même ce principe est soumis à une réserve, qui est formulée dans le passage suivant de l’ouvrage de Sopinka et autres, The Law of Evidence in Canada, 2e édition, à la page 882 :

[TRADUCTION] Le tribunal devrait‑il écarter la contre‑preuve si le point au sujet duquel une partie cherche à présenter une preuve contradictoire en réponse a été soulevé lors du contre‑interrogatoire du témoin de la partie adverse et non lors de son témoignage principal? Dans l’affaire Mersey Paper Co c. Queens (County) [(1959) 18 D.L.R. (2nd) 19 (C.A. N.‑É.)], la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a considéré qu’il s’agissait là d’une distinction d’ordre technique injustifiable. On affirme que, du moins dans les affaires civiles, tout dépend de la question de savoir si l’élément en question faisait partie de la preuve du demandeur et si le demandeur aurait pu le présenter dans sa preuve principale. Le demandeur ne peut laisser tomber une partie de sa preuve tant que les témoins du défendeur n’ont pas été contre‑interrogés pour essayer ensuite de se racheter en présentant une contre‑preuve lorsque les choses tournent mal pour lui.

Bien que la jurisprudence ne soit pas entièrement fixée sur la question, il est plus exact de dire que la contre‑preuve qui est conforme aux principes susmentionnés peut être présentée de plein droit. Le juge du fond dispose toutefois d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’admettre cette preuve même si elle ne se prête pas à une réplique.

15. En conséquence, j’estime que les principes suivants régissent l’admissibilité des contre‑preuves :

1 – La preuve qui sert uniquement à corroborer une preuve déjà soumise au tribunal n’est pas admissible.

2 – La preuve qui porte sur une question qui a été soulevée pour la première fois en contre‑interrogatoire et qui aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur n’est pas admissible. Toute autre nouvelle question qui se rapporte à une des questions en litige et qui ne vise pas uniquement à contredire un des témoins de la défense est admissible.

3 – La preuve qui sert uniquement à réfuter un élément de preuve qui a été présenté en défense et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n’est pas admissible.

J’ajoute un autre principe à ceux que je viens d’exposer. Le tribunal acceptera d’examiner la preuve qui est exclue parce qu’elle aurait dû être présentée dans le cadre de la preuve principale, pour déterminer s’il doit admettre cette preuve en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

La pertinence de la décision Halford a récemment été reconnue dans Janssen Inc. c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309, au paragraphe 16 [Janssen]; Bauer Hockey Ltd/Sport Maska Inc., 2020 CF 212, au paragraphe 15 [Bauer Hockey]; Swist/Meg Energy Corp, 2020 CF 759, au paragraphe 9 [Swist]; Merck Sharp & Dohme Corp c Wyeth LLC, 2020 CF 1087, au paragraphe 9 [Merck Sharp & Dohme]; Angelcare Development Inc c Munchkin, Inc, 2020 CF 1185, au paragraphe 11 [Angelcare].

[35] Un rapport en réplique qui est argumentatif ou qui cherche à confirmer ce qui a été exposé dans le témoignage principal nécessite rarement que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire. Je partage l’opinion exprimée par mon collègue, le juge Michael Manson, dans la décision Janssen :

[57] La Cour ne peut permettre la scission de preuve ou la présentation d’une contre‑preuve irrégulière qui vise à renforcer la preuve principale d’une partie ou à réfuter simplement la preuve d’une partie adverse, compte tenu surtout du « changement de culture au sujet des litiges prescrit par la Cour suprême du Canada dans la décision Hryniak c Maudlin, 2014 CSC 7 » (Amgen, au par. 24).

De même, le juge Simon Fothergill a exprimé la même préoccupation dans la décision Swist :

[15] Malheureusement, dans l’analyse qui suit, je conclus que la majeure partie de la preuve d’expert que les parties souhaitent déposer en réplique répète des opinions déjà exprimées, tente de clarifier de mauvaises interprétations, exprime simplement un désaccord avec les experts de la partie adverse ou porte sur des questions qui auraient dû être prévues et abordées dans les rapports en réponse. Une partie de la preuve d’expert proposée en réplique soulève également le risque de la scission de la preuve.

Dans la décision Angelcare, j’étais d’accord avec mes collègues et j’ai dit ceci :

[28] À mon avis, le rapport en réplique constitue essentiellement, pour l’expert, une occasion de réaffirmer les opinions exprimées antérieurement. La contre‑preuve n’a pas pour objet de réfuter les opinions d’autres experts et de confirmer ainsi des opinions déjà exprimées. Une telle démarche n’aide pas la Cour et ne sert pas l’intérêt de la justice, surtout dans le contexte du changement de culture au sujet des litiges que les cours d’instance supérieure préconisent.

[36] Il ne fait aucun doute qu’il y aura des cas où l’exercice du pouvoir discrétionnaire sera approprié parce qu’il sert les intérêts de la justice, particulièrement lorsqu’il peut aider à rendre une décision sur le fond (Merck‑Frosst c Canada (Santé), 2009 CF 914). Cela doit toutefois être évalué par rapport à la règle concernant le fractionnement de la preuve. Une partie ne peut pas présenter ses preuves et attendre d’entendre les témoignages et de connaître les preuves de l’autre partie pour répondre ensuite avec des preuves supplémentaires, dans le but de pallier les faiblesses soulevées par un autre expert. Nul ne laisse entendre qu’un expert doit anticiper chacun des arguments qu’un autre expert peut possiblement imaginer et qui aurait donc dû être traitée dès le départ (Merck Sharp & Dohme, au para 21; Swist au para 11). Mais cela n’est pas la nature des préoccupations soulevées en l’espèce.

[37] Comme l’a souligné le juge Grammond dans la décision Bauer Hockey, si une question est imprévue, il devrait être possible d’y répondre. Mais les obligations d’équité et d’efficacité du procès exigent que la portée de la contre‑preuve soit limitée. La partie défenderesse doit connaître la preuve qu’elle doit réfuter lorsqu’elle présente sa défense et il doit éviter « une suite sans fin de présentation d’éléments de preuve par les parties » (au para 13). Cela confirme que la partie qui cherche à produire des contre‑preuves a le fardeau de prouver que ces dernières sont appropriées. Pour y parvenir, cela exigeait de T‑Rex qu’elle démontre que les questions soulevées dans le rapport de M. Gross n’auraient pas pu être anticipées.

[38] Or, la preuve n’en a pas été faite en l’espèce. T‑Rex n’a pas convaincu la Cour que son rapport en réplique était recevable, et ne s’est pas acquitté de son fardeau (Pharmascience Inc. c Meda AB, 2021 CF 1209 au para 8). S’il existe de nouveaux éléments de preuve aux paragraphes 11 et 98 à 171, il s’agit d’un fractionnement de la preuve inadmissible, car la représentativité aurait dû être anticipée, selon les faits.

[39] La raison invoquée par M. Jawadi est que les déclarations faites par M. Gross [traduction] « sont fausses et sont donc nouvelles et imprévues » (rapport en réplique du 17 décembre 2021, au para 100). L’expert poursuit dans les paragraphes qui suivent en exprimant son désaccord avec M. Gross et en expliquant pourquoi il devrait l’emporter. Je ne vois pas comment on pourrait prétendre que la question de la représentativité est une nouvelle question.

[40] T‑Rex a décidé de la mettre en jeu pour faire valoir ses arguments sur la contrefaçon, du moins en partie, en utilisant trois versions du code source obtenu de Pattison : PG‑909 (2017), PG‑915 (2013) et PG‑916 (2015). Il ressort clairement du rapport initial de M. Jawadi (17 septembre 2021) que des différences existaient entre les versions. La pièce F jointe, à ce premier rapport, [traduction] « fournit une liste des fichiers de code source Pattison cités dans le présent rapport, l’endroit où (dans quelles versions de [PG‑0909, PG‑0915, PG‑0916] [sic]) les fichiers de code source cités apparaissent dans les productions de code source Pattison, ainsi que les noms complets des chemins d’accès et les dates et heures des fichiers de code source cités » [Rapport d’expert de Zaydoon (Jay) Jawadi (Interprétation des revendications et contrefaçon), 17 septembre 2021, au para 354]. En fait, M. Jawadi fait remarquer lui‑même dans son rapport qu’il y a des différences entre les versions. Le tableau est en effet codé avec des couleurs. De toute évidence, les données étaient à la disposition de M. Jawadi et il avait déjà reconnu, dans la pièce F, qu’il y avait des différences dans les différentes versions du code. Il lui incombait de le souligner dans son premier rapport s’il le souhaitait, et de soulever la question de la représentativité de la version PG‑909. Il s’agit d’un fractionnement de la preuve. Pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt Krause, « [l]e ministère public ou le demandeur doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l’intention de se fonder pour établir sa preuve relativement à toutes les questions soulevées dans les débats […] ». La Cour définit même le fractionnement de la preuve, c’est‑à‑dire « présenter une partie de ses éléments de preuve – autant [que le ministère public ou le demandeur] l’estime nécessaire au départ – pour ensuite terminer la présentation de sa preuve et, après la fin de l’argumentation de la défense, ajouter d’autres éléments de preuve à l’appui de la position présentée au début » (au para 15).

[41] En l’espèce, M. Jawadi n’est pas d’accord avec l’autre expert qui semble avancer que la preuve sur laquelle M. Jawadi souhaite se fonder manque de représentativité. À cette étape, on ne sait pas encore si c’est le cas ou non. C’était à M. Jawadi d’établir la représentativité, s’il s’agissait d’un véritable enjeu. Par ailleurs, la question peut être traitée différemment. Les désaccords entre experts ne sont pas un phénomène nouveau. S’il y a des lacunes dans la perspective avancée par M. Gross, elles peuvent « être examinées au cours du contre‑interrogatoire ou mises en évidence dans les arguments » (Bauer Hockey, au para 16). Un rapport en réplique n’a pas pour but de réaffirmer sa position ou de fractionner la preuve. Il s’agit là, à mon avis, d’un résumé assez complet des 74 paragraphes présentés en contre‑preuve.

[42] De la même manière, M. Jawadi a dû expliquer la méthodologie qu’il a utilisée pour parvenir à sa conclusion dans son rapport en réplique. Attendre ainsi une réponse éventuelle est, selon moi, un cas de fractionnement de la preuve. Il est inéquitable pour Pattison d’avoir à fournir cette information dans une réplique, ce qui rend impossible pour M. Gross de commenter et de critiquer. Il ne faut pas laisser les témoignages d’experts se transformer en arme pour une bataille perpétuelle opposant les parties qui, en alternance, soumettent ces témoignages en preuve. L’une des raisons d’être de la règle sur les rapports en réplique concerne l’efficacité du processus juridique. C’est une règle qui doit être appliquée en l’espèce.

[43] Enfin, le rapport en réplique à l’étude est long et indûment argumentatif. Le titre d’un chapitre du rapport en réplique s’intitule : [traduction] « Réponses et opinions au sujet des critiques soulevées dans le rapport de réfutation de M. Gross concernant les citations du code source ». M. Jawadi semble vouloir avoir le dernier mot. Cela ne constitue pas une réplique appropriée. À plusieurs reprises, M. Gross est accusé de ne pas avoir fourni d’indications sur les différences entre les trois versions du code source. Les différences identifiées par M. Jawadi sont souvent considérées comme insignifiantes et immatérielles, ou immatérielles dans le contexte de la contrefaçon. Si les critiques formulées par M. Gross sont, en tout ou en partie, injustifiées, il s’agit d’une question à examiner en contre‑interrogatoire.

[44] Le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve qui, autrement, seraient des contre‑preuves inadmissibles, lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Comme indiqué au paragraphe 30 des présents motifs, T‑Rex fait valoir à l’appui de son plaidoyer que [traduction] « la position des parties sur l’importance, le cas échéant, des différences entre les fichiers de code source des trois versions est tellement fondamentale qu’elle doit être étudiée en profondeur » (transcription de l’affaire, au para 51). Il est plutôt paradoxal que T‑Rex, qui a choisi de faire valoir que les fichiers de code source l’aideraient à démontrer ses affirmations en cas de contrefaçon, ait par la suite noté dans sa propre annexe (dans le rapport initial de M. Jawadi) qu’il existait des différences entre les fichiers de code. Il est d’autant plus paradoxal qu’elle n’ait pas abordé la représentativité des fichiers de code source choisis dans sa preuve principale, mais qu’elle prétende maintenant avoir droit de se défendre à nouveau par l’intermédiaire d’un rapport en réplique. Si cette question est vraiment si importante, elle aurait certainement dû être présentée comme preuve principale.

[45] T‑Rex s’appuie dans une certaine mesure sur certains passages tirés de la décision Akebia Therapeutics, Inc. c Fibrogen, Inc., 2021 CF 171 [Akebia]. Cependant, la décision Akebia a traité de brefs rapports en réplique. Ça n’est pas le cas en l’espèce. Au contraire, nous avons en main un long exposé dont la nature laisse penser qu’il est fait par quelqu’un qui tente de fractionner la preuve et qui prétend avoir raison. Ce n’est pas dans ce but qu’un rapport en réplique doit être présenté. En fait, si l’on tient compte des intérêts de la justice, il est préférable que le rapport soit déclaré irrecevable parce qu’il ne constitue pas une réplique appropriée.

IV. Conclusion

[46] Par conséquent, les paragraphes 11 et les paragraphes 98 à 171 du rapport en réplique du 17 décembre 2021 sont irrecevables en preuve lors du procès, qui doit reprendre le 24 octobre 2022. Étant donné que les autres paragraphes ont déjà été retirés par T‑Rex, le rapport en réplique ne sera pas déposé en preuve.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1066‑17

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défenderesses et demanderesses reconventionnelles en vue de l’exclusion du rapport en réplique de Zaydoon Jawadi, daté du 17 décembre 2021 est accordée.

  2. Les dépens afférents à la requête, fixés à 5 000 $, sont payables immédiatement sans égard à l’issue de l’affaire et sont attribués aux défenderesses et demanderesses reconventionnelles.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T‑1066‑17

 

INTITULÉ :

T‑REX PROPERTY AB c PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LIMITED PARTNERSHIP, PATTISON OUTDOOR ADVERTISING LTD,

JIM PATTISON INDUSTRIES LTD,

et ONESTOP MEDIA GROUP INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 8 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

David Turgeon

Joanie Lapalme

Patricia Hénault

 

POUR LA DEMANDERESSE ET

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Peter Choe

Charlotte McDonald

 

POUR LES DÉFENDERESSES ET

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin, LLP

MONTRÉAL (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE ET

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES ET

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.