Date : 20220725
Dossier : IMM‑3264‑21
Référence : 2022 CF 1104
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE : |
Senay SUSAL |
Barkin SUSAL |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La demanderesse principale, Senay Susal, et le demandeur associé, Barkin Susal, qui est son fils mineur, sont des citoyens de la Turquie.
[2] La demanderesse principale invoque son origine ethnique (kurde), son identité religieuse (alévie) et son profil politique. Elle soutient qu’elle s’est livrée à des activités politiques en Turquie, qu’elle a été détenue pendant une journée ou moins en 2014 et à deux reprises en 2015 parce qu’elle avait participé à des rassemblements et à des manifestations politiques, et qu’elle a été victime de sévices physiques et sexuels de la part des forces de sécurité turques pendant sa détention. Elle prétend également que le demandeur associé a été mis en détention par les autorités, qui lui ont infligé de mauvais traitements.
[3] Les demandeurs craignent d’être victimes de discrimination en raison de leur origine ethnique et d’être exposés à une menace à leur vie parce qu’ils ont subi des traitements cruels et inusités de la part de policiers lors de manifestations politiques.
[4] L’époux de la demanderesse principale, qui est le père du demandeur associé, a fui à New York avec eux; un enfant adulte est demeuré en Turquie et un autre enfant adulte a déménagé en Suisse. De New York, la famille s’est envolée pour Seattle. L’époux de la demanderesse principale a traversé seul au Canada et a tenté de demander l’asile. À la fin de sa détention, il est retourné en Turquie au lieu de donner suite à sa demande. Les demandeurs ont ensuite tenté d’entrer au Canada.
[5] Au point d’entrée, la demanderesse principale a déclaré que sa famille soutenait le Parti des travailleurs du Kurdistan [le PKK] et qu’elle avait fourni de l’argent et des articles de papeterie à ce parti. En conséquence, elle a été déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité suivant l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[6] Il a donc été proposé aux demandeurs de demander un examen des risques avant renvoi [ERAR] restreint : LIPR, art 97 et 112(3). Dans le cadre de cet examen, la demanderesse principale a affirmé qu’elle était membre du Parti démocratique des peuples [le HDP] et elle a présenté des éléments de preuve, dont une lettre du HDP qui confirmait son adhésion au parti et qui contenait des renseignements supplémentaires [la lettre du HDP].
[7] Une décision défavorable a été rendue à l’issue de l’ERAR [la décision], et les demandeurs en sollicitent l’annulation dans la présente demande de contrôle judiciaire.
[8] Je ne suis pas convaincue que l’agent principal [l’agent] qui a examiné la demande d’ERAR des demandeurs et qui a rendu la décision a commis une erreur en ne tenant pas d’audience ou que la décision dans son ensemble est déraisonnable. De plus, les demandeurs ne se sont pas présentés devant la Cour avec une « conduite irréprochable »
, comme je l’explique plus loin. Je rejette donc leur demande de contrôle judiciaire pour les motifs plus détaillés qui suivent.
[9] Voir l’annexe A
pour les dispositions légales applicables.
II. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[10] Comme je le mentionne plus haut, après avoir examiné le dossier, y compris les observations écrites et orales des parties, je conclus que les questions en litige sont les suivantes :
La demande de contrôle judiciaire devrait‑elle être rejetée parce que les demandeurs n’ont pas eu une conduite irréprochable?
L’agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas d’audience?
La décision dans son ensemble est‑elle raisonnable?
[11] La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25.
[12] La demanderesse principale soutient qu’il y a des divergences dans la jurisprudence quant à savoir si la décision d’un agent d’ERAR de ne pas tenir d’audience commande l’application de la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte : Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 [Huang] au para 12. La décision Huang sur laquelle la demanderesse principale s’appuie pour faire valoir cet argument indique cependant que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée, car la décision de tenir ou non une audience repose sur l’interprétation et l’application de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 : Huang, aux para 13‑16. Voir aussi Balog c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 605 au para 24; Payrovedennabi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 165 au para 14; et Atafo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 922 aux para 9‑11, citant Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 [Balogh] aux para 13‑25.
[13] Je reconnais que la jurisprudence demeure partagée sur ce point. Pour les motifs exposés par ma collègue la juge Rochester dans la décision Balogh, j’ai appliqué la norme de la décision raisonnable lorsque j’ai examiné la deuxième et la troisième questions en litige.
[14] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables : Vavilov, précité, au para 85. Pour éviter l’intervention d’une cour de justice, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, précité, au para 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, précité, au para 100.
III. Analyse
A. Les demandeurs n’ont pas eu une conduite irréprochable
[15] Je suis convaincue que les demandeurs ne se sont pas présentés devant la Cour avec une conduite irréprochable. Bien que je sois d’avis que leur inconduite grave justifie l’imposition de mesures de dissuasion par notre Cour, j’ai néanmoins examiné la décision sur le fond et évalué la solidité des arguments des demandeurs avant de décider de rejeter la demande de contrôle judiciaire.
[16] Selon la jurisprudence applicable, la cour de révision peut rejeter la demande sans d’abord l’examiner sur le fond si le demandeur ne s’est pas présenté devant la cour avec une conduite irréprochable, ou peut refuser d’accorder la réparation sollicitée même s’il existe une erreur susceptible de contrôle : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 [Thanabalasingham] au para 9.
[17] Cela dit, la cour de révision devrait « s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne »
: Nwafor Ep Antoine Sayegh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 795 [Sayegh] au para 24, citant Thanabalasingham, précité, au para 10.
[18] En outre, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la cour de révision devrait prendre en compte des facteurs tels que la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels touchés, et les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée : Thanabalasingham, précité, au para 10. Cette liste n’est pas exhaustive et varie selon les circonstances de l’affaire.
[19] En l’espèce, les demandeurs devaient être renvoyés du Canada en novembre 2021; notre Cour a rejeté leur requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont ils faisaient l’objet le 18 novembre 2021. Les demandeurs ne se sont pas présentés pour se soumettre à une entrevue de départ et à un test de dépistage de la COVID. Leur renvoi a été annulé et des mandats d’arrestation ont été délivrés.
[20] Dans l’ordonnance par laquelle il a rejeté la requête en sursis, le juge Gascon a noté que la demanderesse principale a omis à plusieurs reprises de se conformer aux conditions de sa mise en liberté accordée en février 2016, après l’établissement de son rapport d’interdiction de territoire.
[21] Bien que le juge Gascon ait rendu son ordonnance plusieurs mois après la mise en état du dossier des demandeurs aux fins de la demande de contrôle judiciaire et avant l’octroi de l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, je ne souscris pas à l’argument des demandeurs selon lequel cette ordonnance n’avait aucune incidence sur l’audience en l’espèce.
[22] Selon la jurisprudence de notre Cour, même si le renvoi du demandeur rend théorique sa demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à un ERAR, le traitement de la demande d’autorisation se poursuivra peu importe où se trouve le demandeur : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 [Shpati] au para 30; Akyol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931 au para 11; Hussein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1266 (CanLII) au para 11. La demande de contrôle judiciaire du rejet d’une demande d’ERAR n’a pas automatiquement pour effet d’entraîner le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi : Shpati, au para 31.
[23] À mon avis, le fait que la Cour a accueilli la demande d’autorisation après avoir rejeté la requête en sursis des demandeurs n’annule pas ou ne justifie pas l’inconduite des demandeurs, qui ne se sont pas présentés pour se soumettre à une entrevue de départ, ce qui a donné lieu à la délivrance de mandats d’arrestation.
[24] En outre, je note que même si le défendeur a soulevé la question de l’absence de conduite irréprochable dans son mémoire des arguments supplémentaires, les demandeurs n’en ont pas parlé dans les observations orales initiales qu’ils ont présentées à la Cour lors de l’audience et ils n’y ont donné suite que dans leur réponse aux observations orales du défendeur. J’estime que cette stratégie ne concorde pas avec le rôle des avocats à titre de fonctionnaires judiciaires : Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, art 11(3); Ruston c Canada (Procureur général), 2020 CF 1020 au para 4. De plus, « [c]’est au demandeur, et non au ministre, qu’il incombe de fournir [des informations sur ses antécédents d’immigration] de façon exacte et exhaustive »
: Gracia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 158 au para 25.
B. L’agent n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience
[25] Je ne suis pas convaincue que l’agent avait l’obligation de tenir une audience. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, je conclus que l’agent n’a pas remis en question leur crédibilité, mais qu’il a plutôt conclu de façon raisonnable que les éléments de preuve qu’ils avaient présentés ne suffisaient pas à corroborer leurs affirmations.
[26] Le fait que les demandeurs ont sollicité une audience n’est pas déterminant pour établir si une audience aurait dû être tenue. L’alinéa 113b) de la LIPR est permissif (« une audience peut être tenue »
) et exige que le ministre croie ou conclue au préalable que, entre autres facteurs, les éléments de preuve soulèvent une question grave de crédibilité : Jystina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 912 [Jystina] au para 28.
[27] Il appartient à l’agent d’apprécier les éléments de preuve présentés afin de déterminer si les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait de présenter une preuve suffisante et probante pour étayer leurs arguments : Notar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1038 aux para 16‑20.
[28] Il peut être difficile d’établir une distinction entre une conclusion d’insuffisance de la preuve et une conclusion concernant la crédibilité, mais il s’agit néanmoins de concepts différents : Simonishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 193 au para 12; Fatoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 456 au para 41; Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 aux para 40‑41. Pour déterminer si le demandeur s’est acquitté de son fardeau de preuve, le juge des faits doit chercher à savoir si les éléments de preuve présentés, en tenant pour acquis qu’ils sont crédibles, sont suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits allégués : Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305 aux para 17‑18.
[29] Je suis convaincue qu’en l’espèce, l’agent a tiré des conclusions quant à la valeur probante des éléments de preuve à l’appui présentés par les demandeurs, principalement en ce qui a trait à la lettre du HDP, et non quant à leur crédibilité, et que ces conclusions ont eu une incidence sur le poids accordé au récit des demandeurs. La lettre du HDP est décrite plus en détail ci‑dessous dans la section portant sur la question de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.
[30] J’ajoute que j’aurais tiré la même conclusion, que la norme de la décision raisonnable ou la norme de la décision correcte s’applique.
C. La décision n’est pas déraisonnable
[31] Je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent, lu dans son ensemble, est déraisonnable : Vavilov, précité, au para 103.
[32] La norme de preuve à laquelle les demandeurs doivent satisfaire lors de l’évaluation des risques en application de l’article 97 de la LIPR est celle de la prépondérance des probabilités : Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1 au para 14. En d’autres termes, la demanderesse principale en l’espèce devait établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans le pays dont elle a la nationalité. Il s’agit d’un risque personnalisé et prospectif : Gari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 660 au para 10.
[33] La lettre du HDP est le principal élément de preuve sur lequel les demandeurs se sont appuyés pour démontrer que la demanderesse principale était affiliée au HDP et qu’elle avait été mise en détention par les autorités. Selon la traduction anglaise, le HDP a rédigé cette lettre après avoir examiné ses dossiers. L’auteur raconte que Senay Susal a travaillé pour le parti lors des élections de 2015, que l’État accuse les membres et les dirigeants du parti d’avoir des liens présumés avec le PKK ou la KCK, et que deux anciens coprésidents sont en prison pour cette raison.
[34] Dans sa lettre, le HDP indique également qu’il savait que Senay Susal avait été mise en détention lors de manifestations en 2014 et qu’elle et son fils avaient été arrêtés lors d’une manifestation organisée à l’occasion de la fête du Travail en 2015. De plus, l’auteur de la lettre rapporte que deux policiers en civil se sont présentés au bureau du parti en 2017 et ont demandé si Senay Susal était membre du parti; lorsqu’ils ont obtenu confirmation de son adhésion au parti, les policiers ont juré et ont affirmé qu’une personne vivant à l’étranger ne devait pas être membre du parti.
[35] L’agent a reconnu que la demanderesse principale est membre du HDP, car les dossiers du parti confirment qu’elle a payé ses cotisations. L’agent a jugé que la description, dans la lettre du HDP, des arrestations de la demanderesse principale en raison de sa participation à des rassemblements et à des manifestations, et non en raison de son travail dans le cadre de l’élection, était fondée sur des ouï‑dire et a expliqué que la lettre du HDP n’était pas fondée sur des connaissances directes; l’agent a donc accordé peu de valeur probante à la lettre du HDP comme preuve des arrestations de la demanderesse principale.
[36] Je souscris à l’argument des demandeurs selon lequel les éléments de preuve présentés par le demandeur dans le cadre d’un ERAR ne devraient pas être jugés irrecevables au motif qu’ils constituent des ouï‑dire : Fahmy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 865 au para 13. Je suis toutefois d’avis que ce n’est pas ce qu’a fait l’agent en l’espèce. Au contraire, l’agent a admis la lettre du HDP comme élément de preuve et a ensuite décidé de façon raisonnable d’y accorder peu de poids, ce qui s’inscrivait à juste titre dans la portée de son analyse : Guthrie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 852 aux para 11‑14; Sierra c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 441 au para 31.
[37] Autrement dit, je conclus que l’agent a raisonnablement expliqué pourquoi la lettre du HDP ne satisfaisait pas à la norme de la prépondérance des probabilités qui s’applique dans le cadre d’un ERAR restreint; à mon avis, les arguments contraires avancés par les demandeurs reviennent essentiellement à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision en matière de contrôle judiciaire : Vavilov, précité, au para 125.
[38] Je suis par ailleurs convaincue que l’agent était au courant des risques auxquels sont exposées les personnes associées au PKK ou au HDP en Turquie, mais qu’il en est arrivé à la conclusion que ni la demanderesse principale ni son fils ne seraient exposés à ces risques compte tenu du profil politique [traduction] « discret »
de la demanderesse principale. Bien que l’on puisse être en désaccord avec cette conclusion, comme c’est le cas des demandeurs en l’espèce, il s’agit néanmoins du type de décision que le législateur a confié aux agents d’ERAR : Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 [Ferguson] au para 33; Karim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 336 au para 7.
[39] Même si les demandeurs soutiennent que l’État établit un lien ou une association entre le PKK et le HDP, comme il est mentionné dans la lettre du HDP, l’agent savait que la Section de l’immigration avait conclu que la demanderesse principale était membre du PKK et, qui plus est, elle était disposée à reconnaître que la demanderesse principale était membre du HDP. Je conviens avec le défendeur que ces deux faits ne s’excluent pas mutuellement. Plus précisément, je ne suis pas convaincue que l’agent n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse principale était membre du PKK, ainsi que du HDP, lorsqu’il a évalué le risque auquel elle pourrait être exposée.
[40] Les demandeurs remettent également en question le caractère raisonnable de la décision, parce que l’agent n’y mentionne pas la visite de policiers en civil au bureau du HDP. Il ne fait toutefois aucun doute dans mon esprit que l’agent a examiné l’ensemble de la lettre du HDP. Je suis d’accord avec le défendeur que l’agent n’était pas tenu de mentionner tous les incidents qui se sont produits. À mon avis, cette visite ne constituait pas l’élément central des arguments des demandeurs; l’omission d’y faire référence dans la décision constituait, tout au plus, une erreur mineure qui ne justifiait pas l’intervention de la Cour : Vavilov, précité, au para 100; Metallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 575 au para 26.
[41] Je suis également d’accord avec le défendeur que « [l]es motifs sont rarement parfaits, et ils n’ont pas à l’être (Vavilov au para 91) »
: Jystina, précitée, au para 36. Il était loisible à l’agent d’exiger des demandeurs qu’ils présentent des éléments de preuve supplémentaires pour s’acquitter du fardeau que leur impose la loi, et de donner des exemples d’éléments de preuve qui auraient pu l’aider à trancher les arguments : Ferguson, précitée, aux para 31‑32; Jystina, précitée, au para 35.
[42] Enfin, je conclus que l’agent a expliqué, d’une façon compatible avec les directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, pourquoi les éléments de preuve présentés par les demandeurs étaient insuffisants : Kaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1519 au para 33.
[43] Bien que les demandeurs aient présenté plusieurs autres éléments de preuve, l’audience portait principalement sur la lettre du HDP. Je suis convaincue que l’agent n’a pas apprécié les autres éléments de preuve des demandeurs de manière déraisonnable.
IV. Conclusion
[44] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent démontre un degré suffisant de justification, de transparence et d’intelligibilité pour qu’elle soit à l’abri d’une intervention judiciaire. En d’autres termes, le raisonnement de l’agent « se tient »
: Vavilov, précité, au para 104. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.
[45] Le défendeur sollicite des dépens, parce que les demandeurs ont contourné l’ordonnance de la Cour rejetant leur requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Le défendeur fait valoir que l’inconduite des demandeurs constitue une « raiso[n] spécial[e] »
justifiant l’adjudication de dépens pour l’application de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Puisque notre Cour a par la suite accordé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, je ne suis toutefois pas convaincue qu’il existe des raisons spéciales dans les circonstances. Je m’abstiens donc d’adjuger des dépens en l’espèce.
[46] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier. Je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3264‑21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Annexe A
: Dispositions légales applicables
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27
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c) se livrer au terrorisme;
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227
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Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22
Federal Courts Citizenship, Immigration and Refugee Protection Rules, SOR/93‑22
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3264‑21 |
INTITULÉ :
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SENAY SUSAL, BARKIN SUSAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 4 JUILLET 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 25 JUILLET 2022
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COMPARUTIONS :
D. Clifford Luyt |
POUR LES DEMANDEURS |
Hillary Adams |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
D. Clifford Luyt Avocat Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |