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Date : 20220720


Dossier : IMM-4222-21

Référence : 2022 CF 1078

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 juillet 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

ASHA ALI BARRE ET ALIA MUSA HOSH

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses, Mmes Asha Ali Barre et Alia Musa Hosh, à l’encontre d’une décision conjointe de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] ayant annulé le statut de réfugiée de chacune d’elles en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et de l’article 64 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256. La SPR a conclu que les demanderesses n’étaient pas des citoyennes de la Somalie, comme elles le prétendaient dans leurs demandes d’asile qui avaient été accueillies, mais plutôt des citoyennes du Kenya qui étaient entrées au Canada grâce à des permis d’études délivrés sous des noms différents [la décision].

[2] Les demanderesses affirment être nées en Somalie et être les filles d’agriculteurs de la ville de Buulo Mareer, des membres de clans minoritaires qui pratiquent l’islam sunnite-soufi. Les deux demanderesses ont présenté une demande d’asile en invoquant leur crainte d’être victimes de violence sectaire et de violence fondée sur le sexe de la part d’Al-Shabaab et d’autres groupes militants islamistes, présents en Somalie.

[3] En mai 2017, la SPR a jugé que Mme Barre était une réfugiée au sens de la Convention et a rendu la même décision à l’égard de Mme Hosh en juillet 2018. Ni Mme Barre ni Mme Hosh n’ont présenté de pièces d’identité de la Somalie lors du traitement de leur demande d’asile.

[4] La SPR a conclu que Mme Barre avait établi son identité, car son témoignage concordait avec les documents objectifs sur la situation dans le pays relativement au soufisme, au clan Madhiban et à la tradition du higsiisin. La SPR a également accepté la déclaration d’un témoin attestant de l’identité de Mme Barre – un citoyen canadien originaire de la Somalie qui avait rencontré Mme Barre en Somalie – ainsi qu’une lettre du centre multiservice de Somalie qui avait procédé à une évaluation pour vérifier les connaissances de Mme Barre sur la Somalie et ses liens avec ce pays.

[5] Quant à Mme Hosh, la SPR a conclu que son identité avait été établie en partie grâce aux éléments de preuve de Mme Barre, car les deux femmes ont fourni des témoignages cohérents quant à leurs années en Somalie où elles étaient des camarades de classe, ainsi qu’à leur connaissance de leurs familles et de leurs domiciles respectifs dans ce pays. La SPR a également ajouté foi à un questionnaire de la Loin Foundation qui a vérifié l’identité de Mme Hosh et a noté que cette dernière connaissait le clan Tunni et pouvait converser couramment en somali avec l’interprète. Fait important à souligner, la SPR a rejeté les réserves exprimées par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le MCI] au sujet de l’identité de Mme Hosh, jugeant crédibles les explications fournies par cette dernière quant aux faits qu’elle ne connaissait pas l’orthographe exacte du nom employé par son passeur et que les recherches du MCI visant à faire la lumière sur son entrée au Canada s’étaient limitées à une orthographe bien précise de son pseudonyme.

[6] Les 6 et 7 octobre 2020, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a demandé l’annulation du statut de réfugiées au sens de la Convention accordé aux deux demanderesses, pour le motif qu’elles avaient fait des présentations erronées des faits importants quant à un objet pertinent porté devant la SPR et avaient fait preuve de réticence sur ces faits.

[7] Le ministre a notamment produit des comparaisons de photographies des demanderesses et de deux citoyennes du Kenya arrivées au Canada en vertu de permis d’études peu avant que les demanderesses présentent leurs demandes d’asile. Les demanderesses se sont opposées à la production de ces photos et ont cherché à présenter des éléments de preuve sur Clearview AI – une entreprise offrant un logiciel de reconnaissance faciale. Selon elles, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] avait eu recours à cette entreprise pour produire les comparaisons de photos. Le ministre a présenté une objection au dépôt de preuve par les demanderesses sur Clearview AI. Selon lui, rien n’indiquait que le logiciel de cette dernière avait servi à l’enquête. Le ministre a en outre fait valoir que le paragraphe 22(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [ci-après la Loi], [traduction] « permet aux organismes d’application de la loi de protéger les détails de cette enquête » et que « le ministre n’est pas en mesure de fournir un affidavit indiquant comment ces éléments de preuve ont été obtenus, puisque ceux-ci sont protégés ». La SPR a donné raison au ministre. Elle a noté que Clearview AI n’offrait plus de services au Canada depuis le 6 juillet 2020 et qu’[traduction] « [u]ne application dont l’utilisation est interdite au Canada ne serait certainement pas utilisée par un organisme d’application de la loi comme l’ASFC ».

[8] La SPR a annulé le statut de réfugiées des demanderesses, sur le fondement, en partie, des comparaisons de photos. Elle a conclu que les [traduction] « grandes ressemblances » qui existaient entre les photos permettaient d’établir que, dans chaque cas, la demanderesse et la prétendue étudiante kényane n’étaient qu’une seule et même personne. La SPR a également fondé sa décision sur les notes inscrites au Système mondial de gestion des cas [le SMGC] relativement aux étudiantes kényanes. Ces notes, selon la SPR, indiquaient que ces étudiantes n’avaient pas assisté aux cours dans leurs établissements d’enseignement désignés. La SPR a aussi accepté des affidavits présentés par l’ASFC indiquant que des recherches effectuées dans le Système intégré d’exécution des douanes [le SIED] n’avaient pas confirmé l’entrée prétendue des demanderesses au Canada sous leurs pseudonymes respectifs.

[9] La SPR a donc conclu que les demanderesses avaient présenté erronément des faits importants ou avaient fait preuve de réticence sur ces derniers, à savoir leur citoyenneté kényane et leur entrée au Canada sous une autre identité. Selon la SPR, cette présentation erronée des faits était pertinente en ce qui concerne leurs demandes d’asile parce qu’elles n’avaient pas établi le bien-fondé de leurs demandes à l’égard de tous les pays dont elles ont la nationalité et parce que l’identité est un élément fondamental de la demande d’asile. La SPR a en outre conclu qu’il existait un lien de causalité entre, d’une part, la présentation erronée ou la réticence sur des faits et, d’autre part, le résultat favorable. En effet, l’omission d’établir le bien-fondé de sa demande par rapport à tous les pays dont on a la nationalité rend la demande irrecevable. Selon la SPR, la présentation erronée de faits substantiels était à ce point fondamentale qu’elle remettait en cause la crédibilité de l’ensemble des témoignages des demanderesses sur leur crainte d’être persécutées. Partant, il ne restait aucun élément de preuve justifiant l’octroi de l’asile.

[10] Les demanderesses soutiennent que la décision est déraisonnable et que la SPR a manqué à l’équité procédurale. Elles prétendent que la SPR n’aurait pas dû admettre en preuve les photos des étudiantes kényanes, car elles ont probablement été obtenues à partir d’un logiciel de reconnaissance faciale douteux, comme celui de Clearview AI.

[11] Je conclus que la décision est déraisonnable, car la SPR a fait erreur en admettant les comparaisons de photos et dispensant le ministre d’expliquer la démarche ayant présidé à ces comparaisons sur le fondement de la Loi . Je conclus que la décision est également déraisonnable parce que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve contraires à sa conclusion et que ses constatations quant aux ressemblances faciales entre les demanderesses et les étudiantes kényanes n’étaient pas suffisamment étayées.

II. Ordonnance de confidentialité

[12] À l’audience, j’ai exprimé des réserves quant à la divulgation de renseignements sur les deux étudiantes kényanes que l’on soupçonne d’être les demanderesses. Ces réserves tiennent, quelle que soit ma décision. Même si je confirmais la décision au motif qu’elle est raisonnable, il demeure possible que les étudiantes kényanes ne soient pas les demanderesses comme le prétend le ministre. J’ai donc informé les parties de mon intention de rendre une ordonnance de confidentialité pour protéger la vie privée des deux étudiantes, quelle que soit l’issue de la présente affaire. Les parties ne s’y sont pas opposées.

[13] En conséquence, j’ordonne que les renseignements qui concernent les deux étudiantes kényanes figurant dans le dossier ne soient pas rendus publics. J’ordonne, plus précisément, que le dossier existant, qui renferme des détails non caviardés sur les étudiantes kényanes, soit désigné comme étant confidentiel. De plus, afin d’assurer l’accès du public aux dossiers de la Cour, j’ordonne que tous les documents déposés par les parties et le tribunal administratif soient déposés de nouveau dans une forme publique caviardée dépourvue de tout renseignement permettant de révéler les identités. Ainsi, les demanderesses et le défendeur devront chacun déposer de nouveau leur exposé des arguments, et la SPR déposera de nouveau le dossier certifié du tribunal, et ce dans le mois suivant la publication de la présente décision. La Cour les rendra accessibles au public.

[14] J’ordonne enfin aux parties et à la SPR de s’abstenir de publier ou de rendre public quelque renseignement que ce soit concernant les deux étudiantes kényanes.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[15] Les demanderesses énoncent en ces termes les questions en litige :

  • (1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • (2) La preuve produite par le ministre à l’appui de la demande d’annulation permet-elle de conclure que les demanderesses sont interdites de territoire pour cause de présentation erronée de faits importants?

  • (3) Les photographies et les tableaux comparatifs produits par le ministre sont-ils admissibles en preuve?

  • (4) Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle à l’égard des demanderesses?

  • (5) La décision de la SPR était-elle raisonnable?

  • (6) Y a-t-il une question à certifier?

[16] Le défendeur énonce en ces termes les questions en litige :

  • (1) La décision d’annuler le statut de réfugiées des demanderesses était-elle raisonnable?

  • (2) Les demanderesses ont-elles démontré l’inadmissibilité des photos présentées en preuve?

  • (3) Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[17] Je suis d’avis que les questions déterminantes en l’espèce sont les suivantes :

  • a) La SPR a-t-elle commis une erreur en admettant en preuve les comparaisons de photos produites par le ministre?

  • b) La décision de la SPR, selon laquelle les demanderesses étaient des étudiantes kényanes, était-elle raisonnable?

[18] Les demanderesses affirment que la norme de contrôle applicable à la décision au fond est celle de la décision manifestement déraisonnable, alors que la question relative à l’équité procédurale doit être examinée au regard de la norme de la décision correcte. Le défendeur n’a fait aucune observation à ce sujet.

[19] Comme le confirme la jurisprudence, le fond d’une décision doit être examiné au regard de la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[20] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, para 85). Il incombe aux demanderesses de démontrer que la décision de la SPR est déraisonnable. Pour infirmer la décision sur ce fondement, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, para 100).

IV. Analyse

A. Dispositions légales applicables

[21] L’article 109 de la LIPR est ainsi rédigé :

Demande d’annulation

Vacation of refugee protection

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109 (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

Rejet de la demande

Rejection of application

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

Effet de la décision

Allowance of application

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

[22] La SPR a invoqué le paragraphe 22(2) de la Loi pour conclure que le ministre n’était pas tenu de communiquer ses méthodes d’enquête. Cependant, comme je l’explique plus en détail ci-après, il semble que la SPR entendait plutôt invoquer le paragraphe 22(1). L’article 22 est reproduit ci-après dans son intégralité :

Enquêtes

Law enforcement and investigation

22 (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

22 (1) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1)

a) soit qui remontent à moins de vingt ans lors de la demande et qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait :

(a) that was obtained or prepared by any government institution, or part of any government institution, that is an investigative body specified in the regulations in the course of lawful investigations pertaining to

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

(i) the detection, prevention or suppression of crime,

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(ii) the enforcement of any law of Canada or a province, or

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

(iii) activities suspected of constituting threats to the security of Canada within the meaning of the Canadian Security Intelligence Service Act,

BLANK

if the information came into existence less than twenty years prior to the request;

b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment :

b) the disclosure of which could reasonably be expected to be injurious to the enforcement of any law of Canada or a province or the conduct of lawful investigations, including, without restricting the generality of the foregoing, any such information

(i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée,

i) relating to the existence or nature of a particular investigation,

(ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

ii) that would reveal the identity of a confidential source of information, or

(iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête;

(iii) that was obtained or prepared in the course of an investigation; or

c) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la sécurité des établissements pénitentiaires.

(c) the disclosure of which could reasonably be expected to be injurious to the security of penal institutions.

Fonctions de police provinciale ou municipale

Policing services for provinces or municipalities

(2) Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui ont été obtenus ou préparés par la Gendarmerie royale du Canada, dans l’exercice de fonctions de police provinciale ou municipale, qui lui sont conférées par une entente conclue sous le régime de l’article 20 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, si, à la demande de la province ou de la municipalité, le gouvernement du Canada a consenti à ne pas divulguer ces renseignements.

(2) The head of a government institution shall refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that was obtained or prepared by the Royal Canadian Mounted Police while performing policing services for a province or municipality pursuant to an arrangement made under section 20 of the Royal Canadian Mounted Police Act, where the Government of Canada has, on the request of the province or municipality, agreed not to disclose such information.

Définition de enquête

Definition of investigation

(3) Pour l’application de l’alinéa (1)b), enquête s’entend de celle qui :

(3) For the purposes of paragraph (1)(b), investigation means an investigation that

a) se rapporte à l’application d’une loi fédérale;

(a) pertains to the administration or enforcement of an Act of Parliament;

b) est autorisée sous le régime d’une loi fédérale;

(b) is authorized by or pursuant to an Act of Parliament; or

c) fait partie d’une catégorie d’enquêtes précisée dans les règlements.

(c) is within a class of investigations specified in the regulations.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en admettant en preuve les comparaisons de photos produites par le ministre?

[23] Les demanderesses contestent la décision de la SPR d’admettre en preuve des tableaux comparant leurs photos à celles de deux étudiantes kényanes.

[24] Les demanderesses font valoir qu’un rapport de l’International Human Rights Program, de la faculté de droit de l’Université de Toronto et du Citizen Lab (Petra Molnar et Lex Gill, « Bots at the Gate: A Human Rights Analysis of Automated Decision-Making in Canada’s Immigration and Refugee System », 2018, en ligne à l’adresse : <https://citizenlab.ca/wp-content/uploads/2018/09/IHRP-Automated-Systems-Report-Web-V2.pdf>) justifie pleinement leurs prétentions selon lesquelles le logiciel de Clearview AI a servi à générer les comparaisons de photos. Elles soutiennent que, suivant ce rapport, des [traduction] « évaluations crédibles » démontrent le traitement de plusieurs millions de demandes d’immigration chaque année et un échange d’information entre l’ASFC et la Gendarmerie royale du Canada [la GRC].

[25] Les demanderesses affirment que le ministre n’a offert aucune autre explication sur les raisons ayant mené à la comparaison de leurs photos à celles de deux étudiantes kényanes. Elles font valoir que le logiciel de reconnaissance faciale relève d’une pseudoscience peu fiable, qui peine toujours à donner des résultats exacts, en particulier en ce qui a trait aux femmes noires et autres femmes de couleur. Elles invoquent le document rédigé par Joy Buolamwini et Timnit Gebru, intitulé « Gender Shades: Intersectional Accuracy Disparities in Commercial Gender Classification », Proceedings of Machine Learning Research, volume 81, 1-15, 2018, en ligne à l’adresse : <gendershades.org>. Il s’agit d’une étude sur des algorithmes d’analyse faciale qui révèle que les femmes au teint foncé sont celles qui font le plus souvent l’objet d’erreurs d’identification, les taux d’erreur dans ce groupe atteignant jusqu’à 34,7 %, comparativement à un taux d’erreur de 0,8 % pour les hommes au teint pâle. Selon les demanderesses, les photos ne permettent pas d’établir avec quelque certitude qu’elles sont les prétendues étudiantes kényanes.

[26] Elles font en outre valoir que le ministre n’aurait pas dû être autorisé à présenter ces photographies, puisque les demandeurs ne sont pas autorisés à présenter d’autres éléments de preuve dans le cadre d’une instance en annulation.

[27] Tous les arguments qui précèdent ont aussi été invoqués devant la SPR, qui les a rejetés au paragraphe 12 de sa décision :

[traduction]

[12] Le tribunal a examiné avec soin les observations des deux parties. Le 6 juillet 2020, Clearview AI a informé les autorités canadiennes responsables de la protection de la vie privée qu’en réponse à leur enquête conjointe, elle cessera d’offrir ses services de reconnaissance faciale au Canada. Cette mesure prévoit la suspension pour une période indéfinie des liens entre Clearview AI et la GRC, qui était son dernier client au Canada. Une application dont l’utilisation est interdite au Canada ne serait certainement pas employée par un organisme d’application de la loi comme l’ASFC. L’avocat du ministre, un officier de justice tout comme l’est l’avocat de la défenderesse, ne saurait fournir un affidavit exposant la méthode utilisée pour obtenir les éléments de preuve qui ont été présentés aux parties à l’audience. Je conviens avec l’avocat du ministre qu’il s’agirait d’une infraction à la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme l’a souligné l’avocat. La requête de l’avocat de la défenderesse [visant à faire exclure les tableaux comparatifs des photos] est rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[28] Devant notre Cour, les demanderesses font en outre valoir que, même si le ministre a insisté sur le fait que le paragraphe 22(2) de la Loi l’habilite à refuser la communication des éléments de preuve concernant des méthodes d’enquête, ce que la SPR a accepté, il a néanmoins produit les déclarations de deux fonctionnaires de l’ASFC attestant avoir effectué des recherches dans le SIED. Selon les demanderesses, il enfreint les principes mêmes de droit qu’il a invoqués pour justifier le refus de communiquer ses méthodes d’enquête.

[29] Le défendeur rétorque que le ministre n’était pas tenu de communiquer la démarche ayant mené à l’obtention des photos. Comme l’a fait valoir le ministre et l’a reconnu la SPR, la communication de détails sur l’enquête, notamment la manière dont des éléments de preuve ont été obtenus, aurait enfreint la Loi.

[30] Lors de l’audience, j’ai fait part aux parties de mes réserves quant au fait que la SPR avait fondé sa décision sur la Loi, et à la forte probabilité qu’elle ait renvoyé à la mauvaise disposition à l’appui de ses conclusions. Je me suis ensuite interrogée sur les « renseignements personnels » précis que le ministre cherchait à protéger, notamment compte tenu du fait que les seuls renseignements qu’il avait divulgués jusqu’à présent étaient des renseignements personnels concernant les deux étudiantes kényanes. J’ai demandé aux parties de me présenter des observations à ce sujet, ce qu’elles ont fait.

[31] Après avoir examiné les observations des parties, tout particulièrement celles du défendeur, je conclus que la SPR a commis une erreur en autorisant l’admission en preuve des comparaisons de photos sans enjoindre au ministre de communiquer la méthode ayant servi à obtenir ces éléments de preuve sur le fondement de la Loi.

[32] Comme je le mentionne plus haut, la SPR renvoie au paragraphe 22(2) de la Loi, qui semble contenir plusieurs éléments qui ne s’appliquent pas en l’espèce. Premièrement, selon cette disposition, le décideur est « [l]e responsable d’une institution fédérale », ou son représentant au titre de l’article 73, alors qu’en l’espèce aucune information ne permet de déterminer qui a décidé de refuser la communication des renseignements. Deuxièmement, cette disposition renvoie aux « renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) », lequel accorde le droit d’avoir accès à ses renseignements personnels. En l’espèce, aucune pareille demande n’a été présentée en application du paragraphe 12(1); les demanderesses invoquent plutôt un argument fondé sur l’équité procédurale dans le cadre d’une demande d’annulation. Troisièmement, le paragraphe 22(2) renvoie aux renseignements « qui ont été obtenus ou préparés par la Gendarmerie royale du Canada, dans l’exercice de fonctions de police provinciale ou municipale, qui lui sont conférées par une entente conclue sous le régime de l’article 20 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, si, à la demande de la province ou de la municipalité, le gouvernement du Canada a consenti à ne pas divulguer ces renseignements ». En l’espèce, rien dans le dossier ne renvoie à la participation de la GRC ou à l’existence de quelque accord de non-divulgation.

[33] Comme je l’ai dit aux parties, il se peut que la SPR ait voulu renvoyer au paragraphe 22(1) de la Loi, et plus précisément au sous-alinéa 22(1)a)(ii) qui porte sur des renseignements « obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait […] (ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales […] ». Une autre possibilité est l’alinéa 22(1)b) de la Loi. Aux termes de cette disposition, le gouvernement est habilité à refuser la communication de renseignements personnels qui « risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites ». Cependant, ces dispositions désignent toujours le « responsable d’une institution fédérale » ou son représentant comme étant le décideur, et leur application est aussi subordonnée à la présentation de la demande prévue au paragraphe 12(1).

[34] Comme je le mentionne plus haut, il est à mon avis curieux que le ministre invoque la Loi, dont l’objet est de protéger des renseignements personnels, pour justifier son refus de communiquer la source des comparaisons de photos, alors que les seules données qu’il a effectivement communiquées étaient des renseignements personnels concernant les deux étudiantes kényanes présumées être les demanderesses. Mon questionnement demeure, malgré la définition large qu’attribue la Cour suprême du Canada [CSC] aux « renseignements personnels » dans l’arrêt Dagg c Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403 aux paragraphes 68 et 69. Cette définition est par la suite confirmée dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, au paragraphe 23, où la CSC souligne le fait que la Loi définit les « renseignements personnels » comme étant « les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable […] ».

[35] De plus, comme le confirme notre Cour dans la décision Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 470 [Sociétés Elizabeth Fry], lorsqu’un organisme gouvernemental cherche à se soustraire aux exigences de divulgation au titre de l’alinéa 22(1)b), la Cour « n’inférera pas un préjudice d’une façon purement théorique sur la seule existence d’une enquête, actuellement en cours ou terminée, sans preuve d’un lien entre la communication demandée et la vraisemblance raisonnable de préjudice » : Sociétés Elizabeth Fry, au para 74.

[36] Dans cette affaire, le juge Kelen était appelé à examiner une demande présentée par les Sociétés Elizabeth Fry qui contestaient le refus par le Service correctionnel du Canada [le SCC] de communiquer le dossier personnel d’une jeune détenue, Ashley Smith, qui s’était suicidée dans sa cellule. Avant son décès, Mme Smith avait demandé à consulter son dossier personnel, comme le permet la Loi, et elle avait autorisé les Sociétés Elizabeth Fry à l’aider dans cette démarche. Le SCC a refusé de communiquer les dossiers demandés, en invoquant notamment l’alinéa 22(1)b) de la Loi, au motif que quatre agents du SCC faisaient l’objet, à un certain moment, d’une enquête criminelle au sujet du suicide de Mme Smith.

[37] Le juge Kelen aborde l’analyse en examinant l’objet de la Loi en ces termes :

[48] La vie privée constitue un droit fondamental dans une société libre et démocratique. La Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U) [LRC 1985, appendice II, no 44] protège la vie privée des personnes contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives des autorités gouvernementales. Le gouvernement ne peut pas violer la vie privée d’une personne à moins qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis une infraction et qu’il est nécessaire que le gouvernement s’immisce dans sa vie privée. Les personnes sont protégées par ce droit à la vie privée, et la Loi leur accorde deux autres droits quasi constitutionnels protégeant leur vie privée :

a. elle protège contre la communication à des tiers de renseignements personnels détenus par les institutions fédérales, ce qui protège la vie privée des personnes;

b. elle accorde aux personnes un droit d’accès aux renseignements personnels qui les concernent et sont détenus par toute institution fédérale. Chaque personne peut ainsi connaître les renseignements dont le gouvernement dispose à son sujet. C’est dans ce contexte que Mme Ashley Smith a autorisé le SCC à communiquer à l’Association des renseignements personnels particuliers à son sujet et qu’elle y a consenti.

[49] L’objet de la Loi a été énoncé par le juge Gonthier de la Cour suprême du Canada aux paragraphes 24 et 25 de l’arrêt Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773 :

La Loi sur la protection des renseignements personnels est également une loi fondamentale du système juridique canadien. Elle a deux objectifs importants. Elle vise, premièrement, à protéger les renseignements personnels relevant des institutions fédérales et, deuxièmement, à assurer le droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent (art. 2).

[…]

La Loi sur la protection des renseignements personnels rappelle à quel point la protection de la vie privée est nécessaire au maintien d’une société libre et démocratique. […]

[38] Le juge Kelen ajoute, aux paragraphes 50 et 51 de ses motifs, que « [t]oute exception au droit d’accès doit être interprétée de façon restrictive au regard de l’objet de la Loi » et que la vie privée « est un droit fondamental dans notre démocratie et les exceptions à ce droit doivent être interprétées de façon stricte à l’encontre des institutions fédérales. Il y a inversion du fardeau de la preuve obligeant l’institution fédérale à établir que les renseignements personnels demandés par le demandeur ne peuvent pas faire l’objet d’une communication selon la Loi ».

[39] Invoquant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 aux paragraphes 60 et 61, le juge Kelen rappelle que l’alinéa 22(1)b) n’est pas « une clause d’exclusion absolue » et que la décision d’un organisme de refuser la communication en application de l’alinéa 22(1)b) « doit être appuyée sur des motifs concrets à l’intérieur des conditions imposées par cet alinéa. En effet, le législateur a prévu qu’il doit exister une vraisemblance de préjudice pour refuser de communiquer les renseignements en vertu de cette disposition. De plus, l’art. 47 de la Loi prévoit qu’il appartient à l’institution fédérale de faire la preuve du bien-fondé de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Si l’institution fédérale n’arrive pas à démontrer que son refus est basé sur des motifs raisonnables, la Cour fédérale peut alors modifier cette décision et autoriser l’accès aux renseignements personnels » [souligné dans l’original].

[40] C’est sur ce fondement que le juge Kelen formule la conclusion suivante : « [v]u les lacunes dans la preuve du [SCC], la Cour conclut que l’exception fondée sur l’alinéa 22(1)b) ne s’applique pas et ordonne l’entière communication des documents demandés ».

[41] Bien que la décision Sociétés Elizabeth Fry concerne une demande présentée par une personne afin que lui soient communiqués ses dossiers personnels et qu’elle intéresse l’alinéa 22(1)b), susceptible ou non de jouer en l’espèce, je suis d’avis que les principes qui sont énoncés dans cette affaire au sujet de la Loi s’appliquent tout autant en l’espèce.

[42] Je note également que, dans la décision H c R [1986] 2 CF 71, le juge Reed rend une ordonnance interdisant à la Commission nationale des libérations conditionnelles de tenir compte de renseignements qu’elle avait omis de communiquer à un demandeur sollicitant une semi-liberté. En rendant cette ordonnance, le juge Reed mentionne que, bien que l’adoption de la Loi ait « établi [...] un droit qui n’existait pas avant son adoption », la Loi n’a pas pour objet de « limiter l’accès à des renseignements auxquels une personne pourrait avoir droit en vertu d’autres règles ou principes de droit [...], comme en l’espèce, de se faire divulguer, conformément aux règles de la justice naturelle, les arguments auxquels elle doit faire face ». Le fait que la Loi ne l’emporte pas sur le principe d’équité procédurale a de nouveau été confirmé par notre Cour dans les décisions Forsch c Canada (Agence Canadienne d’Inspection des Aliments), 2004 CF 513 aux paragraphes 50 à 65, et Institut Professionnel de la Fonction Publique du Canada c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2004 CF 507 au paragraphe 105.

[43] Je conclus, pour trois raisons fondées sur la jurisprudence précitée, que la SPR – qui a admis en preuve les comparaisons de photos produites par le ministre, mais a rejeté la demande des demanderesses visant à contraindre ce dernier à en communiquer la source – a commis une erreur en acceptant la justification du ministre, fondée sur le paragraphe 22(2) de la Loi.

[44] Premièrement, la SPR n’a pas demandé de précisions sur la nature des renseignements personnels que le ministre cherchait à protéger avant de conclure qu’ils étaient visés par la Loi.

[45] Deuxièmement, la SPR a accepté l’affirmation du ministre selon laquelle la Loi autorisait l’ASFC à protéger les détails de son enquête, et ce sans demander que lui soient présentés des éléments de preuve ou des arguments sur l’application de toute partie de l’article 22 de la Loi.

[46] Troisièmement, la SPR a conclu, sans aucune preuve non plus, que l’ASFC n’avait pas fait appel à Clearview AI, simplement parce que l’entreprise avait cessé d’offrir ses services de reconnaissance faciale au Canada à partir du 6 juillet 2020. La SPR n’a pas cherché à savoir à quel moment les comparaisons de photos avaient été établies en l’espèce. Comme le souligne la demanderesse, si la SPR mentionne le fait que la GRC était la dernière à mettre fin à ses rapports avec Clearview AI, en 2020, rien ne permet d’établir que l’ASFC n’utilisait pas le logiciel au moment où les photos ont été obtenues en 2016 et en 2017. Les demanderesses font valoir qu’une annulation fondée sur de tels éléments de preuve constitue une violation de leurs droits. Elles invoquent à l’appui de leur argument la [traduction] « surveillance de masse », le fait que Clearview AI procède au moissonnage du Web et les droits à la vie privée. Elles citent également un rapport intitulé « Enquête conjointe sur Clearview AI, Inc. par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, la Commission d’accès à l’information du Québec, le Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique et le Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta », publié le 2 février 2021, en ligne à l’adresse : <https://priv.gc.ca/fr/mesures-et-decisions-prises-par-le-commissariat/enquetes/enquetes-visant-les-entreprises/2021/lprpde-2021-001/>, qui a conclu que Clearview AI « a recueilli, utilisé et communiqué des renseignements personnels d’individus au Canada à des fins inappropriées qui ne peuvent pas être justifiées par l’obtention d’un consentement ». La conclusion de la SPR, selon laquelle le ministre n’a pas eu recours à Clearview AI, n’est pas étayée par la preuve et ne tient pas compte des observations des demanderesses soulignant le danger du recours aux logiciels de reconnaissance faciale.

[47] Le défendeur a reconnu à l’audience que la SPR n’aurait pas dû invoquer le paragraphe 22(2) de la Loi. Il affirme toutefois que la SPR a appliqué le principe énoncé au paragraphe 22(1), étayé par la common law, qui reconnaît également l’existence d’un privilège d’intérêt public applicable aux méthodes d’enquête (sur la foi, dans ses observations écrites, de la décision R v Tse, 2008 BCSC 1793 qui renvoie à l’arrêt R c O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 RCS 411). Le défendeur fait valoir que, peu importe qui a refusé la communication des renseignements, les photos et les comparaisons ont été obtenues dans le cadre d’une enquête menée par l’ASFC; elles tombent donc sous le coup du privilège et sont protégées en common law et par la Loi ainsi que par la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 [LPC], si une demande est présentée en application de l’article 37.

[48] En outre, selon le défendeur, le fait que les résultats d’une enquête ont été communiqués n’enlève rien au privilège revendiqué. Au surplus, puisque les photos leur avaient été communiquées, les demanderesses connaissaient les éléments de preuve à réfuter et ont eu l’occasion de présenter des observations sur les éléments de preuve photographique.

[49] Je rejette les arguments du défendeur. Je note, tout d’abord, que la SPR n’a pas étayé sa conclusion sur le privilège d’enquête prévu par la common law ou la LPC. Les arguments du défendeur, quoique bien formulés, ne sauraient compenser le raisonnement et l’analyse lacunaires de la part du décideur.

[50] Je note également que les parties souhaitant être dispensées de l’obligation de communiquer une preuve sont souvent tenues de la communiquer à la Cour, que la dispense ait été accordée en common law ou en vertu de l’article 37 de la LPC. De plus, l’article 41 de la Loi autorise le contrôle par la Cour fédérale dans le cas où une demande de renseignements personnels présentée sous le régime du paragraphe 12(1) a été refusée et qu’une plainte a été déposée auprès du commissaire à la protection de la vie privée.

[51] En l’espèce, la SPR a permis au ministre de se soustraire à l’obligation de communication sur le fondement de la Loi, sans d’abord envisager la possibilité d’examiner les renseignements dont la communication aux demanderesses avait été refusée.

[52] La SPR a peut-être estimé qu’elle n’était pas habilitée à examiner ces renseignements, puisque le pouvoir de déterminer la validité de la dispense semble être réservé à la Cour, aux termes du paragraphe 12(1) et de l’article 41 de la Loi. Or, ce raisonnement ne ressort pas clairement de la décision.

[53] Je note par ailleurs que, dans la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Kahlon, 2005 CF 1000 [Kahlon], notre Cour semble indiquer que la SPR peut, et devrait, prendre connaissance des documents susceptibles de tomber sous le coup de la Loi avant d’autoriser le défendeur – en l’occurrence le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile – à n’examiner que les documents qui sont jugés utiles pour la demande d’annulation. Dans la décision Kahlon, la Cour déclare, au paragraphe 36, que la Loi a « un statut quasi constitutionnel » et que les renseignements personnels « qui n’intéressent manifestement pas les questions à l’origine de la demande d’annulation doivent au contraire être soustraits à la communication ». Cependant, la Cour conclut néanmoins que la SPR a adopté à tort la « méthode du tout ou rien », car elle n’a pas envisagé d’autre mesure outre la pleine communication pour « arriver à un équilibre entre la nécessité de la communication et le droit à la protection des renseignements personnels » : Kahlon, au para 37.

[54] De même, en l’espèce, la SPR, en acceptant sans discussion l’argument du défendeur fondé sur la Loi, n’a pas cherché à arriver à un équilibre entre, d’une part, la protection alléguée du droit à la vie privée et, d’autre part, le droit à la communication que le principe de l’équité procédurale garantit à la demanderesse.

[55] L’acceptation rapide par la SPR de la demande de dispense du ministre, sans raison convaincante justifiant le refus de communiquer ces renseignements, semble contraire à la pratique générale. Durant le traitement normal d’une demande d’asile, la SPR n’admettrait vraisemblablement pas d’éléments de preuve documentaire d’un demandeur sans en connaître l’origine. Les demanderesses méritent à tout le moins de savoir pourquoi et comment la SPR est arrivée d’emblée à la conclusion contraire en l’espèce.

[56] Qui plus est, les renseignements que le ministre a cherché à soustraire à la communication sont susceptibles de servir à la SPR pour trancher la question ultime dont elle a été saisie. Si, comme le prétendent les demanderesses, les comparaisons de photos ont été générées à partir d’un logiciel d’intelligence artificielle – qu’il s’agisse de celui de Clearview AI ou d’un autre – la fiabilité des photos des étudiantes kényanes censées représenter les demanderesses pourrait être mise en doute. En effet, comme le démontrent les études produites par les demanderesses, les femmes de couleur sont plus susceptibles de faire l’objet d’erreurs d’identification par un logiciel de reconnaissance faciale que les femmes blanches.

[57] Si, en revanche, les comparaisons de photos ont été faites par un analyste de l’ASFC, la SPR aurait quand même été tenue de demander cette information avant de décider de les admettre en preuve, tout comme elle a accepté la déclaration sous serment d’une agente de l’ASFC concernant le résultat des recherches qu’elle avait menées dans le SIED.

[58] Ma conclusion est également étayée par la jurisprudence de notre Cour sur la fiabilité des comparaisons de photos comme preuve de l’identité d’un demandeur. Dans l’affaire Mebrahtu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 279, le ministre a présenté une photo de la demanderesse, prise en mai 2018 à une borne d’inspection primaire de l’aéroport Pearson sous un autre nom, ainsi que la photo de la demanderesse accompagnant sa demande d’asile. Le ministre a également noté que le processus de demande d’asile n’avait pas révélé d’empreintes digitales correspondant à celles de la demanderesse. Dans l’affaire Kamano c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 1241, c’est un analyste principal de l’ASFC qui avait fait la comparaison faciale entre trois photos différentes de la demanderesse provenant de son dossier d’immigration et la photo jointe au formulaire de demande de visa de résident temporaire présenté au nom d’une autre personne. Dans ces deux affaires, le ministre a fourni à la SPR suffisamment de renseignements sur la démarche de comparaison des photos, ce qui a permis à la Cour de décider si les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

[59] En l’espèce, la SPR a tiré une conclusion sur la fiabilité de la comparaison des photos en se fondant sur les dires du ministre, sans obtenir d’autre précision sur la manière dont la comparaison avait été faite. Elle a ensuite accepté l’argument du ministre, selon lequel les détails de l’enquête devaient être protégés sous le régime de la Loi, sans lui demander de démontrer le respect des prescriptions légales en matière de non-communication. La conclusion de la SPR, qui est dénuée de transparence, d’intelligibilité et de justification, doit être annulée.

C. La décision de la SPR, selon laquelle les demanderesses étaient des étudiantes kényanes, était-elle déraisonnable?

[60] Bien que l’erreur commise par la SPR en admettant en preuve les comparaisons de photos soit déterminante, je souhaite examiner l’appréciation de la preuve par la SPR afin de fournir à cette dernière des directives supplémentaires en vue du réexamen de l’affaire.

[61] Les demanderesses font valoir qu’il est probable que les deux étudiantes kényanes vivent toujours au Manitoba en vertu de permis d’études valablement délivrés. Elles font aussi valoir que les documents sur lesquels reposent ces permis d’études (les documents d’identification, les examens médicaux, les relevés de notes et les lettres attestant de leur expérience de travail) sont présumés valides et qu’il n’existe aucune raison de douter de leur authenticité. Selon les demanderesses, le ministre soutient qu’elles ont inventé des récits de persécution en vue d’obtenir le statut de réfugié au Canada, alors qu’elles disposent de permis d’études valides et qu’elles sont entrées légalement au Canada. Les demanderesses posent la question suivante : si leur intention était d’adopter de fausses identités, pourquoi auraient-elles sciemment créé de nouveaux liens entre elles et la SPR?

[62] Les demanderesses soutiennent qu’il était irresponsable de conclure, à la lumière des notes du SMGC sur les étudiantes kényanes, que ces dernières n’avaient jamais assisté aux cours dans leur établissement. Selon les demanderesses, les notes du SMGC ne démontrent pas que les deux étudiantes ont abandonné leurs études ou qu’elles ont quitté le Manitoba; elles indiquent seulement une brève période de non-réponse. Dans le cas de l’étudiante censée être Mme Hosh, les notes en question du SMGC étaient incomplètes et désuètes, puisque l’entrée la plus récente date de 2016. Ces notes comprennent un courriel de l’étudiante dans lequel celle-ci déclare reporter ses études de septembre 2016 à janvier 2017.

[63] Quant aux notes du SMGC concernant l’étudiante censée être Mme Barre, elles indiquent que trois vérifications normales de la conformité ont suivi un incident de non-conformité. Les entrées les plus récentes ne datent que de 2020.

[64] Les demanderesses soutiennent en outre qu’il existe des différences suffisantes entre les photos, que le port du hijab rend la comparaison difficile et que les personnes d’origine ethnique somalienne du Kenya et de la Somalie sont susceptibles d’avoir des traits semblables.

[65] Le défendeur affirme que la décision est raisonnable au regard des éléments de preuve, notamment : la ressemblance physique fondée sur la comparaison de photos, l’absence d’éléments de preuve corroborant l’entrée des demanderesses au Canada et le fait que les étudiantes kényanes n’ont pas fréquenté l’école au Canada conformément à leurs permis d’études.

[66] Le défendeur n’a pas expressément répondu aux arguments des demanderesses portant sur les notes lacunaires du SMGC, si ce n’est pour indiquer qu’elles n’étaient qu’un des éléments sur lesquels la décision est fondée.

[67] Je juge que la décision est déraisonnable pour deux motifs principaux.

[68] En premier lieu, la décision ne tient compte d’aucun des arguments invoqués par les demanderesses relativement aux lacunes des notes du SMGC étayant la demande d’annulation présentée par le ministre. Il s’agit notamment, dans le cas de l’étudiante censée être Mme Hosh, d’un courriel de l’étudiante dans lequel cette dernière indique qu’elle reporte ses études de septembre 2016 à janvier 2017 et, dans celui de Mme Barre, de trois vérifications normales de conformité, les dernières entrées datant de 2020. Ces éléments de preuve semblent contredire l’affirmation du ministre selon laquelle les étudiantes ont simplement abandonné leurs études et n’ont jamais assisté à leurs cours. En faisant fi de ces éléments, la SPR a négligé, de manière déraisonnable, les divergences entre les notes du SMGC et les allégations du ministre, à qui il incombait de prouver que les demanderesses avaient fait de fausses déclarations. Elle a commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve contraires à ses propres conclusions.

[69] Je juge que la décision est également déraisonnable parce que la SPR n’a pas justifié adéquatement sa conclusion selon laquelle les comparaisons de photos démontraient la correspondance entre les demanderesses et les deux étudiantes kényanes.

[70] À l’audience, j’ai demandé au défendeur de présenter des observations pour expliquer comment la Cour pourrait appliquer la norme de la décision raisonnable à l’examen des conclusions de la SPR concernant les comparaisons de photos. J’ai soulevé cette question, car il n’y a peut-être pas un « éventail d’issues raisonnables possibles » en l’espèce : ou bien les demanderesses sont les étudiantes kényanes, ainsi qu’il est allégué, ou bien elles ne le sont pas. Ma question procède également de la grande subjectivité, à mon avis, que fait intervenir la comparaison de photos, notamment lorsqu’il s’agit de personnes d’origines ethnoraciales différentes.

[71] Le défendeur a présenté un commentaire utile en affirmant que notre Cour n’a pas à être convaincue qu’elle arriverait à la même conclusion. Elle doit plutôt se demander si une personne à l’esprit ouvert pourrait raisonnablement conclure qu’il s’agit des mêmes personnes. Si, en revanche, la Cour examine les photos et conclut qu’il est manifestement absurde de conclure que les photos représentent la même personne, il lui serait alors loisible de juger la décision déraisonnable.

[72] Je note également les directives formulées par la Cour suprême du Canada au paragraphe 83 de l’arrêt Vavilov, qui enseigne que la cour ne doit pas « tente[r] de prendre en compte l’“éventail” des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur […] » et que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur ». Selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision « n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu ».

[73] Suivant les directives formulées dans l’arrêt Vavilov, je commence mon analyse en examinant les motifs de la SPR concernant les comparaisons de photos.

[74] La décision mentionne brièvement ce qui suit au sujet de Mme Hosh :

[traduction]

[56] J’ai examiné avec soin les photographies présentées par le défendeur et celles [de l’étudiante kényane censée être Mme Hosh] et je juge qu’en plus des ressemblances dans les traits communs à l’origine ethnique, il existe de grandes ressemblances entre les deux photos démontrant qu’Alia Musa Hosh et [l’étudiante kényane] sont une seule et même personne.

[75] J’estime que la SPR a omis de fournir les justifications requises pour conclure qu’il existe [traduction] « de grandes ressemblances » entre les deux séries de photos, « en plus des ressemblances dans les traits communs à l’origine ethnique [de Mme Hosh] ». La SPR n’a pas expliqué ces ressemblances, ni en quoi elles différaient des traits censés être communs aux personnes de l’origine ethnique de Mme Hosh. Je juge que l’absence de motifs satisfaisants de la part de la SPR est particulièrement déconcertante, car, s’il existe des ressemblances entre les photos de Mme Hosh et de l’étudiante kényane qui est censée être cette dernière, il existe également des dissemblances marquées, comme le souligne Mme Hosh dans ses observations à la SPR. La SPR n’explique pas comment elle en est venue à concilier les ressemblances et dissemblances entre les deux séries de photos avant de conclure qu’elles représentaient une seule et même personne.

[76] La SPR a fourni une explication un peu plus détaillée au sujet de Mme Barre, en déclarant ce qui suit :


 

[traduction]

[40] Certains traits saillants, comme les oreilles et les cheveux, sont couverts sur une photo, de sorte qu’il a été impossible de comparer ces traits. J’ai lu avec soin l’affidavit de la défenderesse, Mme Barre, expliquant en détail les différences entre les photographies et précisant que les ressemblances sont attribuables à l’origine ethnique somalienne commune. Bien que j’en convienne, il existe également des ressemblances à l’égard d’autres traits. Je suis d’avis que la structure du nez, la bouche et les yeux sont les mêmes sur les deux photos.

[77] En l’espèce, je conclus que la SPR n’a pas fourni de motifs satisfaisants pour conclure que Mme Barre et la présumée étudiante kényane étaient une seule et même personne, alors qu’elle avait reconnu être incapable de comparer des « traits saillants » tels que les oreilles et les cheveux. La SPR a aussi omis d’expliquer quelles ressemblances étaient attribuables à l’origine ethnique des deux femmes et lesquelles ne l’étaient pas. Toutes ces erreurs font en sorte que le raisonnement de la SPR ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité attendues du processus décisionnel : Vavilov, au para 86.

[78] Les conclusions de la SPR ont de lourdes conséquences pour les demanderesses. De telles conclusions ne devraient pas être formulées sans motifs satisfaisants. Comme le fait remarquer la Cour suprême du Canada au paragraphe 133 de l’arrêt Vavilov :

Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux. Le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné. Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu.

[79] Comme les comparaisons de photos ont eu un effet déterminant sur les conclusions formulées par la SPR, selon lesquelles les demanderesses et les présumées étudiantes kényanes sont les mêmes personnes, je conclus que la décision d’annuler le statut de réfugiées des demanderesses est déraisonnable, car elle n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles : Vavilov, au para 85.

V. Mesures de réparation

[80] Les demanderesses sollicitent une déclaration attestant qu’elles sont réellement Mmes Barre et Hosh, citoyennes de la Somalie et non du Kenya. Elles demandent en outre que notre Cour rétablisse les décisions initiales de la SPR les déclarant être des réfugiées au sens de la Convention.

[81] Les demanderesses n’ont pas présenté d’arguments pour expliquer qu’il s’agit d’une de ces « situations limitées » où la Cour peut substituer sa propre décision à celle du décideur plutôt que de lui renvoyer l’affaire : Vavilov, aux paras 139-142. Je conclus par ailleurs que rien ne justifie de rendre une mesure aussi extraordinaire en l’espèce.

VI. Question certifiée

[82] Les demanderesses prétendent que leurs instances [traduction] « soulèvent des doutes sur la conformité d’une ou plusieurs mesures législatives récentes aux principes de la Charte et de la Constitution ». Elles allèguent l’article 76 de la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications, LC 2019, c 13 pour affirmer qu’il y a des raisons de croire que le ministre, l’ASFC et d’autres organismes gouvernementaux ont enfreint les articles 7, 11 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] d’une manière qui ne saurait se justifier au regard de l’article premier. Elles demandent à la Cour [traduction] « d’apporter des clarifications bien nécessaires sur la question ».

[83] Le défendeur s’oppose à la proposition de toute question certifiée. Il souligne que les demanderesses ont eu amplement le temps de soumettre des questions, mais qu’elles ne l’ont pas fait. Le défendeur nie également toute violation des droits garantis aux demanderesses par la Charte en l’espèce.

[84] Les demanderesses n’ont jamais présenté d’observations précises sur ces prétendues violations de la Charte, ni n’ont présenté d’avis de question constitutionnelle comme l’exige l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Quoi qu’il en soit, je conclus qu’il n’y a pas lieu de certifier de question, puisque j’ai décidé d’accueillir la demande pour des motifs non fondés sur la Charte.

VII. Conclusion

[85] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

[86] Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4222-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR aux fins d’un nouvel examen.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

  4. Les documents versés au dossier avant le prononcé du présent jugement sont désignés comme confidentiels.

  5. Il est enjoint aux demanderesses, au défendeur et à la Section de la protection des réfugiés de fournir, respectivement, des versions publiques caviardées du mémoire des demanderesses, du mémoire du défendeur et du dossier certifié du tribunal, dépourvues de tout renseignement permettant de révéler l’identité des étudiantes kényanes, et ce, dans le mois suivant le présent jugement.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4222-21

 

INTITULÉ :

ASHA ALI BARRE ET ALIA MUSA HOSH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Quinn Campbell Keenan

 

Pour la demanderesse

 

Rachel Hepburn Craig

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Quinn Campbell Keenan

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Paul Dineen

Chapnick and Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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