Dossier : IMM-1402-21
Référence : 2022 CF 1125
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2022
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE : |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
demandeur |
et |
HAMED SAFI |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire portant sur la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a conclu que le défendeur n’avait pas perdu l’asile en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
Contexte
[2] Le défendeur est un citoyen de l’Afghanistan. En octobre 2016, la SPR a conclu qu’il était un réfugié au sens de la Convention en raison des opinions politiques qui lui étaient imputées. Le défendeur a affirmé qu’il était employé par l’Agence de soutien aux investissements en Afghanistan, un organisme gouvernemental situé à Kaboul, où il occupait un poste de direction et travaillait en étroite collaboration avec des représentants de l’OTAN, des fonctionnaires des États-Unis [É.-U.] et des sociétés américaines. Il a affirmé avoir été harcelé par des criminels et menacé par les talibans dans l’exercice de ses fonctions et craignait d’être blessé ou tué par eux s’il retournait en Afghanistan.
[3] Le défendeur est devenu résident permanent du Canada le 12 juillet 2018.
[4] Par la suite, il s’est rendu deux fois en Afghanistan, en utilisant son passeport afghan. Il s’est également rendu en Inde après avoir obtenu un visa et en Australie, mais on ne sait pas si le défendeur a utilisé son passeport afghan pour ce dernier voyage.
[5] À son retour au Canada en septembre 2019, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a procédé à un contrôle secondaire du défendeur. La déclaration solennelle de l’agent examinateur de l’ASFC consigne la teneur de cette entrevue. Le défendeur a indiqué qu’il s’était rendu à Delhi, en Inde, le 25 juillet 2019, à Kaboul, en Afghanistan, du 26 juillet au 15 septembre 2019, à Delhi, en Inde, le 15 septembre 2019 ainsi qu’à Sydney, en Australie, du 16 au 25 septembre 2019. Il a déclaré qu’il poursuivait un doctorat en études sur le développement à l’Institut Tata des sciences sociales de Mumbai, en Inde, et qu’il était retourné en Afghanistan pour y effectuer des recherches . Comme ses travaux portaient sur les minéraux des conflits, il avait besoin de recueillir des données qu’il a recueillies par l’intermédiaire d’entretiens, de groupes de discussion et d’observations. Le défendeur a confirmé qu’il était également retourné en Afghanistan auparavant.
[6] Le 9 octobre 2019, le ministre a déposé une demande de constat de perte d’asile visant à faire constater la perte d’asile du défendeur.
[7] Dans une décision datée du 17 février 2021, la SPR a rejeté la demande du ministre et a conclu qu’il n’y avait pas eu de perte d’asile. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
Décision faisant l’objet du contrôle
[8] La SPR a fait remarquer que le critère qui permet de déterminer si un réfugié se réclame de nouveau de la protection est énoncé dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Guide du HCR] et a été confirmé par les décisions de notre Cour. Le ministre doit établir que le réfugié : i) a agi volontairement; ii) a accompli intentionnellement l’acte par lequel il se réclame à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et iii) a obtenu effectivement cette protection.
[9] La SPR a jugé le défendeur crédible.
[10] La SPR a également conclu que, dans les circonstances, le voyage du défendeur était volontaire. Il aurait pu choisir un autre sujet de recherche pour son doctorat ou mener ses recherches à l’aide d’outils numériques. Par conséquent, la SPR a conclu que le défendeur avait choisi volontairement de retourner en Afghanistan à deux reprises et avait utilisé son passeport afghan à cette fin.
[11] En ce qui concerne l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité et l’obtention véritable de cette protection, la SPR a invoqué le Guide du HCR, selon lequel l’utilisation par un réfugié du passeport délivré par son pays d’origine crée une présomption, en l’absence de preuve contraire, selon laquelle le réfugié avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité et qu’il s’est effectivement réclamé de cette protection. La SPR a conclu que la présomption s’appliquait dans le cas du défendeur, car il n’était pas contesté qu’il avait utilisé son passeport afghan pour se rendre en Afghanistan.
[12] Selon la SPR, la question était alors de savoir si le défendeur avait ou non réfuté la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer de la protection de l’Afghanistan et s’était effectivement réclamé de la protection de ce pays. La SPR a accepté l’argument du défendeur selon lequel, même s’il savait qu’il ne pouvait pas se rendre en Afghanistan tant qu’il était en possession d’un titre de voyage pour réfugié – qui précisait qu’il lui était interdit de se rendre dans son pays d’origine –, sa carte de résident permanent ne mentionnait pas cette interdiction. Il croyait donc, puisqu’il était devenu résident permanent, qu’il lui était permis de se rendre en Afghanistan. Il a parlé à des amis et effectué des recherches sur Internet, mais n’a rien trouvé sur le site Web de l’immigration canadienne lui indiquant le contraire. La SPR a accepté la déclaration du défendeur selon laquelle il ignorait que se rendre en Afghanistan avec son passeport afghan après avoir obtenu la résidence permanente risquait d’emporter une procédure de constat de perte d’asile.
[13] La SPR s’est ensuite attachée à décider si cette méconnaissance était suffisante pour réfuter la présomption quant à l’intention de se réclamer de la protection de son pays d’origine et à l’obtention effective de cette protection. Renvoyant aux décisions Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29 [Abadi], Okojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1287 [Okojie], Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074 [Cerna] et Mayell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 139 [Mayell], la SPR a déclaré que le droit sur ce point était flottant. Toutefois, la juge Furher, dans la décision Camayo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 213 [Camayo], souscrit au point de vue de la SPR selon lequel les circonstances entourant l’intention subjective d’une personne lorsqu’elle retourne dans son pays sous protection diplomatique, comme l’a fait le défendeur, « ne seraient pas complètes si la nature de cette intention subjective n’était pas comprise et si la question de savoir s’il comprenait ou non les conséquences de ses actions n’était pas prise en compte »
. Et, comme le dit la décision Camayo, dans les cas de perte d’asile, une interprétation étroite est la seule démarche raisonnable.
[14] La SPR a conclu que le défendeur avait réussi à réfuter la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. Même s’il aurait pu s’informer davantage des conséquences d’un retour en Afghanistan sous protection diplomatique, ce fait n’est pas déterminant. La SPR a également conclu que le demandeur s’était confiné dans la maison de ses parents pendant presque tout son séjour en Afghanistan, à l’exception de trois ou quatre visites en personne et groupes de discussion à Kaboul, d’un trajet en voiture l’après-midi et d’un trajet en autobus pour se rendre à des entrevues. Selon la SPR, dans l’ensemble, le défendeur avait essayé de se faire discret, ce qui signifiait que le défendeur ne croyait pas que l’État pouvait le protéger. De l’avis de la SPR, ces facteurs étaient pertinents, mais non déterminants, lorsqu’il s’agit de décider s’il avait ou non l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité.
[15] Au vu de la preuve, la SPR est parvenue à la conclusion selon laquelle le défendeur avait réfuté la présomption qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, selon la prépondérance des probabilités. En effet, même s’il a utilisé son passeport afghan pour retourner dans son pays d’origine, il n’était pas conscient des graves conséquences d’un tel acte et n’avait pas l’intention d’accepter la protection diplomatique de l’Afghanistan.
Question en litige et norme de contrôle
[16] La seule question en l’espèce consiste à déterminer si la décision de la SPR était raisonnable.
[17] Les parties soutiennent, et je suis du même d’avis, que lorsque la Cour examine le bien-fondé d’une décision administrative, telle que la décision de la SPR, la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23 et 25). Saisie d’un contrôle judiciaire, la Cour doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au para 99).
Dispositions légales applicables
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]
Rejet
108.(1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :
a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;
b) il recouvre volontairement sa nationalité;
[…]
e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.
Perte de l’asile
(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).
Thèses des parties
Thèse du ministre
[18] Le ministre fait valoir que la principale question qui se pose en l’espèce est de savoir si la SPR a raisonnablement conclu que la présomption quant à l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité et à l’obtention véritable de cette protection était réfutée. Le ministre soutient que l’analyse de la SPR a porté presque exclusivement sur la connaissance de la perte d’asile par le défendeur et a fait fi de la preuve générale. En s’attachant ainsi à déterminer la connaissance subjective qu’avait le défendeur des conséquences du retour, la SPR a adopté une interprétation déraisonnablement étroite des règles de droit en matière de perte d’asile.
[19] Plus précisément, la présomption, dès qu’elle entre en jeu, n’est réfutée que si le réfugié établit, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant le voyage vers son pays d’origine. Le ministre note que la décision Camayo, invoquée par la SPR, a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [arrêt Galindo Camayo]. La Cour d’appel fédérale y énonce les facteurs qui jouent lorsqu’il s’agit de déterminer si la présomption a été réfutée et indique que la SPR est appelée à décider si la conduite du réfugié, compte tenu de tous les éléments de preuve, montre qu’il avait l’intention de renoncer à la protection du Canada.
[20] Le ministre fait valoir qu’aucun des facteurs énoncés dans l’arrêt Galindo Camayo n’est déterminant et que tous les éléments de preuve pertinents doivent être pris en compte et mis en balance lorsqu’il s’agit de déterminer si la présomption selon laquelle la personne se réclame de nouveau de la protection de son pays de nationalité a été réfutée. En outre, signalons que certains des facteurs énoncés font intervenir la présomption au départ, notamment le passeport utilisé par le réfugié pour se rendre dans son pays d’origine.
[21] Le ministre soutient que la SPR n’a pas mis en balance tous les éléments de preuve pour déterminer si la présomption avait été réfutée. Plus précisément, la SPR n’a pas tenu compte, parmi les circonstances exceptionnelles, de l’absence de précautions prises par le défendeur pour assurer sa propre sécurité en Afghanistan et du but de son voyage. De plus, la SPR était muette quant à la crainte subjective. On peut raisonnablement conclure de l’absence de crainte subjective qu’un réfugié avait l’intention de se réclamer de la protection diplomatique du pays dont il a la nationalité. Selon le défendeur, bien que la SPR disposât de nombreux éléments de preuve étayant l’absence de crainte subjective, elle n’en a pas tenu compte et n’a pas examiné la question, ce qui rend sa décision déraisonnable.
[22] Selon le ministre, la SPR a essentiellement conclu que le défendeur n’avait pas entrepris le voyage pour un motif exceptionnel, mais elle ne s’est pas arrêtée aux conséquences de sa conclusion dans son analyse générale relative à la perte d’asile. La SPR n’a examiné l’objet du voyage du défendeur que pour déterminer si les actions de ce dernier étaient volontaires, mais l’objet du voyage est également déterminant lorsqu’il s’agit d’établir l’existence de circonstances exceptionnelles. La conclusion de la SPR quant aux actions volontaires fait obstacle à une conclusion quant à l’existence de circonstances exceptionnelles, la SPR étant d’avis que les voyages du défendeur ayant pour objet des recherches universitaires n’étaient pas nécessaires.
[23] Selon le ministre, l’analyse de la SPR était, en fait, la suivante : une simple méconnaissance des conséquences juridiques qu’emporte le retour dans le pays de sa nationalité empêche l’application de l’article 108 de la LIPR sans égard aux circonstances du réfugié. Cette analyse n’est pas conforme à la jurisprudence qui existait à l’époque de la décision de la SPR, ni aux règles établies ultérieurement par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Galindo Camayo.
[24] Le ministre affirme également que la SPR a mal interprété la décision Camayo, qui se distingue de la présente affaire sur le plan des faits.
Thèse du défendeur
[25] Le défendeur fait valoir que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Galindo Camayo, conclut que la connaissance qu’a le réfugié des conséquences juridiques qu’emporte son retour dans son pays d’origine – la perte possible de sa résidence permanente s’il se réclame de nouveau de la protection de ce pays – est un facteur important, mais non déterminant, lorsqu’il s’agit de décider si le réfugié a réfuté la présomption selon laquelle il avait l’intention subjective de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays.
[26] Le défendeur soutient que l’importance accordée par le ministre aux raisons ayant motivé le retour d’un réfugié dans son pays d’origine – et l’opinion du ministre selon laquelle elles doivent être exceptionnelles–, n’est pas conforme à l’arrêt Galindo Camayo. Selon la Cour d’appel, il ne s’agit que d’un facteur à prendre en considération et elle énumère une série de facteurs à prendre en compte lorsqu’il s’agit de déterminer l’objet du voyage, allant de l’impérieux au futile. Le défendeur fait valoir que certains objets peuvent être neutres. En outre, la Cour d’appel n’indique pas que c’est un facteur déterminant. En l’espèce, si l’objet du retour du défendeur en Afghanistan n’était pas impérieux, il n’était pas non plus frivole.
[27] Le défendeur fait valoir que la présomption peut être réfutée en l’absence de circonstances exceptionnelles. Elle peut l’être si la présomption d’intention (intention subjective) est elle-même réfutée ou si la personne se réclame effectivement de nouveau de la protection du pays, soit les deuxième et troisième volets du critère. Selon le défendeur, le ministre tente d’élever les circonstances exceptionnelles au rang de condition nécessaire à la réfutation de la présomption portant que la personne se réclame de nouveau de la protection de son pays d’origine. À titre subsidiaire, le défendeur soutient que le ministre a adopté une interprétation excessivement étroite des circonstances exceptionnelles. La compréhension subjective qu’a un réfugié des conséquences de ses actes devrait compter au nombre des circonstances exceptionnelles.
[28] Le défendeur fait valoir que la SPR a non pas fait fi de l’objet de son voyage, mais l’a plutôt mis en balance avec des facteurs généraux qu’elle a énoncés. À l’égard du deuxième volet du critère permettant de déterminer si une personne se réclame de nouveau de la protection d’un pays – l’intention subjective – le défendeur fait valoir que l’objet du retour du réfugié dans son pays d’origine n’est qu’un des facteurs à prendre en considération. Il soutient que le ministre confond d’une part l’intention subjective de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité et les facteurs qui influent sur cette intention et, d’autre part, le simple but du retour du réfugié dans son pays et l’existence de motifs exceptionnels ou non.
[29] De plus, la SPR a affirmé avoir pris en compte l’ensemble de la preuve lorsqu’elle a conclu que la présomption avait été réfutée; par conséquent, elle a implicitement tenu compte du motif du retour du défendeur en Afghanistan lors de cette évaluation.
[30] Le défendeur fait valoir que le ministre n’a pas démontré d’erreur dans l’analyse de la preuve par la SPR et il soutient qu’il n’est pas loisible à la Cour de réévaluer les éléments de preuve pris en compte par la SPR pour décider si le défendeur avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité.
Analyse
[31] L’article 1(C)(1) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies [la Convention] dispose que la Convention cesse de s’appliquer dans les circonstances précisées, notamment lorsqu’un réfugié se réclame volontairement de la protection de son pays de nationalité. Dans la LIPR, cette disposition est prévue à l’alinéa 108(1)a).
[32] Il n’est pas contesté que, pour l’application de l’article 108 de la LIPR, pour qu’il y ait perte d’asile, trois conditions doivent être réunies : (i) le réfugié doit avoir agi volontairement; (ii) il doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il se réclame de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et (iii) il doit avoir obtenu effectivement cette protection (voir : le Guide du HCR; et, par exemple, Maqbool c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1146 au para 33; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 329 au para 28, conf. par 2016 CAF 134 au para 28; Seid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1167 [Seid] aux para 13, 14-15 et 20; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 884 au para 22 [Ahmed].
[33] Il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne visée par la demande de perte d’asile s’est volontairement réclamée de nouveau de la protection du pays qu’elle a fui pour éviter la persécution. Toutefois, si le ministre est en mesure de démontrer que la personne a obtenu ou renouvelé un passeport de ce pays, le fardeau de la preuve est alors inversé (Abadi, au para 17; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154 au para 26 [Nilam]; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459 au para 42 [Li]). Il est alors présumé que le réfugié avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays en question. Il est également présumé que le réfugié obtient la protection effective de ce pays lorsque le ministre établit que le réfugié a utilisé ce passeport pour voyager (Seid, au para 14; Mayell, au para 12). Comme il est indiqué dans la décision Seid, notre Cour a qualifié cette présomption de « particulièrement forte »
lorsque le réfugié se sert de son passeport pour se rendre dans son pays d’origine (Seid, au para 14, renvoyant à la décision Abadi, au para 16; voir également l’arrêt Galindo Camayo CAF, au para 63).
[34] Le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité remet en question la crainte d’un réfugié de retourner dans ce pays. « Une nouvelle réclamation de la protection de l’État tend habituellement à indiquer une absence de risque ou une absence de crainte subjective de persécution. En l’absence de motifs impérieux, les gens n’abandonnent pas des refuges pour retourner dans des endroits où leur sécurité personnelle est menacée »
(Ortiz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1346 au para 8; Galindo Camayo, au para 64).
[35] Toutefois, la présomption peut être réfutée. Il incombe au réfugié de produire des éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption (Nilam, au para 26; Li, au para 42; Galindo Camayo, au para 65).
[36] Dans l’arrêt Galindo Camayo, la Cour d’appel fédérale conclut que la SPR aurait dû examiner isolément tous les éléments de preuve dont elle disposait, y compris ceux produits par la réfugiée quant à son intention subjective, pour décider si la présomption avait été réfutée. Il s’agissait notamment de savoir si elle avait subjectivement l’intention, par ses actes, de dépendre de la protection de son pays de nationalité. Étant donné que la SPR, dans la décision Camayo, n’avait pas conclu que le témoignage de la réfugiée sur ce point manquait de crédibilité, la SPR était réputée avoir accepté sa déclaration selon laquelle elle ne savait pas que l’utilisation de son passeport colombien pour retourner en Colombie et pour voyager ailleurs pourrait faire en sorte qu’elle soit réputée s’être réclamée de nouveau de la protection de la Colombie, et que ce n’était pas son intention.
[37] En réponse à l’argument du ministre selon lequel les dispositions relatives à la perte d’asile de la LIPR seraient vidées de leur sens s’il suffisait à une personne faisant l’objet d’une demande de constat de perte d’asile de déclarer simplement qu’elle ne savait pas que ses actions auraient pu mettre en péril son statut au Canada, la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit :
[70] Le manque de connaissance réelle d’une personne quant aux conséquences de ses actes sur l’immigration ne peut pas être déterminant en ce qui concerne la question de l’intention. Il s’agit toutefois d’une considération factuelle clé, et la SPR doit soit la soupeser avec tous les autres éléments de preuve, soit expliquer correctement pourquoi la loi exclut sa prise en compte.
[En italiques dans l’original.]
[38] Selon la Cour d’appel fédérale, la SPR était contrainte de tenir compte de l’état des connaissances et de l’intention réelles de la demanderesse avant de conclure qu’elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Colombie et que, sans une telle analyse, la décision de la SPR était déraisonnable (renvoyant à la décision Cerna, aux para 18-19; Mayell, aux para 17‑19).
[39] En fin de compte, la Cour d’appel fédérale convient avec la Cour fédérale pour dire que l’issue de chaque instance en matière de constat de perte d’asile dépend largement des faits et que le critère relatif à la perte d’asile ne devrait pas recevoir une application formaliste. Selon la Cour d’appel, l’analyse doit porter sur le comportement du réfugié – et sur les déductions qui peuvent en être tirées – et permettre de déterminer si le réfugié avait l’intention de renoncer à la protection du pays d’asile :
[84] Ainsi, lorsqu’elle traite des cas relatifs à une demande de constat de perte d’asile, la SPR doit tenir compte des facteurs suivants, au minimum, qui peuvent aider à réfuter la présomption selon laquelle une personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays de nationalité. Aucun facteur individuel ne sera nécessairement déterminant, et tous les éléments de preuve relatifs à ces facteurs doivent être examinés et équilibrés afin de déterminer si les actions de la personne sont telles qu’elles ont permis de réfuter la présomption selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité.
● Les dispositions du paragraphe 108(1) de la LIPR, qui imposent une contrainte à la SPR pour qu’elle parvienne à une décision raisonnable (Vavilov CSC, précité aux para 115 à 124);
● Les dispositions des conventions internationales telles que la Convention sur les réfugiés et les directives telles que le Guide sur les réfugiés, en tant que droit international, constituent une contrainte importante pour les décideurs administratifs tels que la SPR. La législation est réputée s’appliquer conformément aux obligations internationales du Canada et l’organe législatif est « présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel » (Vavilov, CSC, précité au para 114, renvoyant aux arrêts R c Hape, 2007 CSC 26, au para 53; R. c Appulonappa, 2015 CSC 59 au para 40; voir également la LIPR, al. 3(3)f).
● La gravité des conséquences qu’aura pour la personne concernée la décision de mettre fin à l’octroi de l’asile. Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de la personne visée, les motifs fournis à cette dernière doivent refléter ces enjeux (Vavilov CSC, précité aux para 133 à 135);
● Les observations des parties. Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et des préoccupations centrales soulevées par les parties (Vavilov CSC, précité, aux para 127 et 128);
● L’état des connaissances de la personne en ce qui concerne les dispositions relatives à la perte de l’asile. La preuve qu’une personne est retournée dans son pays d’origine en sachant parfaitement que cela pouvait mettre en péril son statut de réfugié peut avoir une signification différente de la preuve qu’une personne n’est pas consciente des conséquences potentielles de ses actions;
● Les attributs personnels de la personne tels que son âge, son éducation et son niveau de connaissances;
● L’identité de l’agent persécuteur. En d’autres termes, la personne craint-elle le gouvernement de son pays de nationalité ou affirme-t-elle craindre un acteur non étatique? La preuve qu’une personne qui affirme craindre le gouvernement du pays dont elle a la nationalité révèle néanmoins sa localisation à ce même gouvernement en demandant un passeport ou en entrant dans le pays peut être interprétée différemment de la preuve concernant les personnes qui demandent un passeport et qui craignent des acteurs non étatiques. Dans cette dernière situation, le fait de demander un passeport ou d’entrer dans le pays n’expose pas nécessairement la personne à son agent de persécution. Cela peut être particulièrement le cas lorsque la personne n’a fait que demander un passeport : la demande d’un passeport peut avoir peu d’influence sur le risque encouru par une victime de violence familiale, par exemple, ou sur son degré de peur subjective;
● La question de savoir si l’obtention d’un passeport du pays d’origine se fait volontairement;
● La question de savoir si la personne a effectivement utilisé le passeport pour voyager. Si oui, y a-t-il eu des voyages dans le pays de nationalité de la personne ou dans des pays tiers? Le voyage dans le pays de nationalité de la personne peut, dans certains cas, être considéré comme ayant une signification différente de celle du voyage dans un pays tiers;
● Quelle était la raison du voyage? La SPR peut considérer que le voyage dans le pays de nationalité pour une raison impérieuse, comme la maladie grave d’un membre de la famille, n’a pas la même signification que le voyage dans ce même pays pour une raison plus frivole, comme des vacances ou une visite à des amis;
● Ce que la personne a fait pendant son séjour dans le pays en question;
● La question de savoir si la personne a pris des précautions pendant son séjour dans le pays dont elle a la nationalité. La preuve qu’une personne a pris des mesures pour dissimuler son retour, comme le fait de rester séquestrée dans une maison ou un hôtel pendant toute la durée de la visite ou d’embaucher du personnel de sécurité privé pendant qu’elle se trouve dans le pays d’origine, peut être considérée différemment de la preuve que la personne s’est déplacée librement et ouvertement pendant qu’elle se trouvait dans son pays de nationalité;
● La question de savoir si les actions de la personne démontrent qu’elle n’a plus de crainte subjective de persécution dans le pays de sa nationalité, de sorte que la protection supplétive n’est plus nécessaire; et
● Tout autre facteur s’appliquant à la question de savoir si la personne en cause a réfuté la présomption selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité dans un cas donné;
● La fréquence et la durée des voyages.
[40] Trois questions avaient été certifiées dans la décision Camayo. La Cour d’appel fédérale conclut qu’il n’était plus nécessaire de répondre à la première question et a reformulé les deuxième et troisième questions ainsi, en y répondant toutes deux par l’affirmative :
1. Est-il raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés d’invoquer la preuve du manque de connaissance subjective [ou de simple connaissance] du réfugié quant au fait que l’utilisation d’un passeport confère une protection diplomatique pour réfuter la présomption selon laquelle un réfugié qui acquiert un passeport délivré par son pays d’origine et voyage muni de celui-ci a eu l’intention de se réclamer de la protection de cet État?
2. Est-il est raisonnable de la part de la Section de la protection des réfugiés d’invoquer la preuve qu’un réfugié a pris des mesures pour se protéger de son agent de persécution [ou de celui du membre de sa famille qui est le demandeur d’asile principal] pour réfuter la présomption selon laquelle un réfugié qui acquiert [ou renouvelle] un passeport délivré par son pays d’origine et l’utilise pour retourner dans ce pays a eu l’intention de se réclamer de la protection de cet État?
[41] Signalons que si la décision de la SPR qui fait l’objet du contrôle en l’espèce est fondée sur la décision Camayo, la SPR n’a pas bénéficié des motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Galindo Camayo.
[42] En l’espèce, il n’est pas contesté que le défendeur, qui avait obtenu l’asile au Canada et y avait la résidence permanente, en utilisant son passeport afghan pour se rendre à deux reprises en Afghanistan a fait jouer la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays et qu’il avait effectivement obtenu cette protection. La question en litige est de savoir si la SPR a commis une erreur en déterminant que le défendeur avait réfuté la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, car il a affirmé qu’il n’était pas conscient des graves conséquences d’un tel acte et qu’il n’avait pas l’intention d’accepter la protection diplomatique de l’Afghanistan.
[43] La SPR s’étant appuyée sur la décision Camayo, et vu l’arrêt Galindo Camayo de la Cour d’appel fédérale, il était manifestement raisonnable pour la SPR de prendre en considération, au moment de décider si le défendeur avait réfuté la présomption selon laquelle il se réclamait de nouveau de la protection du pays dont il avait la nationalité, l’état de ses connaissances subjectives concernant les dispositions relatives à la perte de l’asile. La SPR a jugé le défendeur crédible. Elle a accepté son témoignage selon lequel il ne savait pas qu’un voyage en Afghanistan avec son passeport afghan pouvait emporter le constat de la perte d’asile et la perte de son statut de résident permanent.
[44] De même, il était raisonnable pour la SPR, pour déterminer si la présomption quant à l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité avait été réfutée, de tenir compte du témoignage du défendeur selon lequel il avait pris des mesures pour se protéger des talibans.
[45] Le ministre soutient que la SPR aurait dû évaluer différemment le témoignage du défendeur. Selon lui, par exemple, la SPR n’a pas tenu compte comme il se doit de la conduite du défendeur en Afghanistan, dont son témoignage suivant lequel ses activités en Afghanistan étaient plus étendues que ne l’affirme la SPR, qu’elles étaient loin d’être clandestines et qu’il a largement fait connaître sa présence à d’autres personnes. Le ministre affirme que la SPR n’a pas non plus tenu compte de l’absence d’éléments de preuve sur les précautions concrètes prises par le défendeur pour se protéger pendant son séjour à Kaboul, où il prétendait craindre les talibans.
[46] Toutefois, le ministre ne soulève aucune erreur de fait, et rien dans ses observations ne permet de croire que les éléments de preuve ont été fondamentalement mal interprétés ou ignorés. Après avoir lu la transcription de l’audience portant sur la demande de constat de perte d’asile, je conclus que la décision décrit fidèlement le témoignage du défendeur et que les motifs de la SPR démontrent qu’elle a mis en balance tous les éléments de preuve à sa disposition. Essentiellement, le ministre rejette les conclusions de fait de la SPR et son appréciation de la preuve. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et elle ne devrait pas annuler les conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles. Comme l’affirme la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, « [i]l est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur” : CCDP, para 55; voir également Khosa, para 64; Dr Q, para 41-42 »
(Vavilov, au para 125; voir également l’arrêt Owolabi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 2 aux para 25-27).
[47] Le ministre soutient également que la SPR n’a pas apprécié tous les éléments de preuve à la lumière des circonstances exceptionnelles. Plus précisément, le manque de précautions prises par le défendeur pour assurer sa propre sécurité en Afghanistan et le but de son voyage.
[48] Le terme « circonstances exceptionnelles »
semble trouver son origine dans l’article 124 du Guide de l’UNHCR :
120. Si le réfugié n’agit pas volontairement, il ne cessera pas d’être un réfugié. S’il reçoit d’une autorité, par exemple d’une autorité de son pays de résidence, l’ordre d’accomplir contre son gré un acte qui peut être interprété comme le fait de réclamer à nouveau la protection du pays dont il a la nationalité, par exemple de demander à son consulat la délivrance d’un passeport national, il ne cessera pas d’être réfugié du seul fait qu’il a obéi à cet ordre. Des circonstances indépendantes de sa volonté peuvent également le contraindre d’avoir recours à une mesure de protection de la part du pays dont il a la nationalité. Il peut être amené, par exemple, à intenter une procédure de divorce dans son pays d’origine, parce qu’un jugement de divorce qui serait rendu par des tribunaux autres que ceux de son pays ne serait pas internationalement reconnu. Un acte de cette nature ne peut être considéré comme le fait de s’être « volontairement réclamé à nouveau de la protection » du pays considéré et n’entraînera pas la perte du statut de réfugié.
[…]
124. L’obtention d’un passeport national ou la prorogation de la validité de ce passeport peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, ne pas impliquer la perte du statut de réfugié (voir, ci-dessus, le paragraphe 120). Il pourrait en être ainsi dans le cas où il ne serait pas permis au détenteur d’un passeport national de retourner dans le pays de sa nationalité sans autorisation expresse.
[Non souligné dans l’original.]
[49] La jurisprudence antérieure de la Cour mentionne l’exigence de « circonstances exceptionnelles »
. Par exemple, elle affirme qu’il incombe au réfugié de réfuter la présomption selon laquelle il s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays de nationalité en démontrant que des circonstances exceptionnelles l’ont incité à s’y rendre (Chokheli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 800 aux para 52, 56). Et, « [n]otamment, dans le cas où le réfugié retourne dans son pays d’origine à l’aide d’un passeport émis par ce pays, il lui faudra, pour renverser cette présomption, prouver que ce voyage a été rendu nécessaire en raison de circonstances exceptionnelles »
(Seid, au para 15) et que « [d]ans la jurisprudence, il est bien établi que c’est seulement “dans certaines circonstances exceptionnelles” que le fait pour un réfugié de se rendre dans le pays de sa nationalité sous le couvert d’un passeport délivré par ce même pays n’entraînera pas la perte de l’asile »
(Din c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 425 au para 46; Abadi, au para 18). Voici ce que la Cour indique à cet égard dans la décision Nilam :
[26] Cependant, on estime généralement que la présomption selon laquelle une personne s’est réclamée de nouveau d’une telle protection peut être réfutée au moyen d’une preuve contraire : Guide des réfugiés, au paragraphe 122. Cela dit, ce n’est que dans des « circonstances exceptionnelles » qu’un réfugié peut retourner dans le pays de sa nationalité muni d’un passeport délivré par celui-ci sans perdre son statut de réfugié : Guide des réfugiés, au paragraphe 124. Il incombe au réfugié de produire une preuve suffisante pour réfuter une telle présomption : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459, au paragraphe 42, [2015] ACF no 448.
[50] Bien que l’arrêt Galindo Camayo ne mentionne pas le terme « circonstances exceptionnelles »
, il convient de mentionner la longue liste de facteurs établis par la Cour d’appel fédérale que la SPR doit évaluer lorsqu’elle est appelée à déterminer si les actions d’un réfugié ont permis de réfuter la présomption selon laquelle il se réclame de nouveau de la protection de son pays de nationalité. Le Guide de l’UNHCR constitue un facteur contraignant, tout comme la question de savoir si l’obtention du passeport du pays d’origine a été faite volontairement ainsi que le but du voyage, plus précisément, si le voyage était motivé par une « raison impérieuse »
.
[51] Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire, à mon avis, de déterminer dans la présente demande la portée du terme « circonstances exceptionnelles »
. L’arrêt Galindo Camayo précise que, pour déterminer si la présomption selon laquelle le réfugié se réclame de nouveau de la protection de son pays de nationalité a été réfutée, le décideur peut prendre en compte notamment le caractère volontaire et le but du voyage (raisons impérieuses) et se demander si, par ses actions, le réfugié a démontré qu’il n’a plus de crainte subjective de persécution dans ce pays. Comme il est expliqué plus loin, la SPR s’est penchée sur ces facteurs dans ses motifs.
[52] Cela dit, la Cour d’appel dans l’arrêt Galindo Camayo conclut également que, dans la décision Camayo, la SPR a « confondu la question du caractère volontaire avec celle de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité, ce qui a conduit, en partie, à une décision déraisonnable »
, en déclarant « que la question de savoir si une personne avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine
n’a rien à voir avec la question de savoir si le motif du voyage était nécessaire ou justifié »
[Non souligné dans l’original]. Comme le fait valoir le défendeur, cette conclusion semble a priori contredite par la liste des facteurs servant à décider si la présomption selon laquelle le réfugié se réclame de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité a été réfutée – qui comprend le caractère volontaire et le but du voyage (raisons impérieuses), ainsi que la connaissance subjective des dispositions relatives à la perte de l’asile et des conséquences possibles du fait de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays.
[53] Toutefois, une lecture intégrale de l’arrêt Galindo Camayo permet de conclure que, lorsqu’elle décide si la présomption a été réfutée, la SPR doit garder à l’esprit que chaque instance de perte d’asile est largement tributaire des faits. Par conséquent, la SPR est appelée à procéder à une évaluation individualisée de tous les éléments de preuve dont elle dispose à la lumière de la longue liste de facteurs définis par la Cour d’appel, y compris le but du voyage (raisons impérieuses).
[54] En l’espèce, le ministre plaide essentiellement que la SPR a limité à tort son analyse de la présomption à la question de la connaissance des conséquences du retour.
[55] Je note que la SPR énonce le critère à trois volets relatif à la perte d’asile. Elle conclut que les circonstances dans lesquelles le défendeur a utilisé son passeport n’étaient pas suffisamment impérieuses pour permettre de démontrer qu’elles n’étaient pas volontaires. En outre, étant donné qu’il a utilisé son passeport afghan, il y a lieu de présumer qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de l’Afghanistan et qu’il a effectivement obtenu cette protection. La SPR, dans son analyse ayant pour objet de déterminer s’il avait réfuté cette présomption, a jugé le défendeur crédible et a accepté son témoignage selon lequel il ne savait pas que se rendre en Afghanistan, alors qu’il était résident permanent du Canada, risquait d’emporter un constat de perte d’asile. La SPR indique ensuite que la question « consiste à établir si le manque de connaissances est suffisant pour réfuter la présomption relative à l’intention de se réclamer à nouveau de la protection du pays et au fait de s’être effectivement réclamé de cette protection »
. Selon la SPR, le défendeur aurait pu faire davantage d’efforts pour s’informer des conséquences d’un retour, et cette négligence doit entrer en ligne de compte, mais ne constitue pas un facteur déterminant. En outre, au sujet des efforts déployés pour se protéger des risques de danger, il semble que le défendeur s’est fait discret, ce qui, selon la SPR, signifie qu’il n’était « pas à l’aise »
à l’idée que l’État pouvait le protéger. De son avis, ce facteur ne permettait pas d’établir s’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité. La SPR conclut ensuite que la présomption était réfutée à la lumière de tous les éléments de preuve « parce que même s’il s’est servi de son passeport pour retourner dans son pays d’origine, il n’était pas conscient des graves conséquences que cela entraînerait et il n’avait pas l’intention d’accepter la protection diplomatique de l’Afghanistan »
. Pour cette raison, elle était d’avis que les éléments de preuve ne satisfaisaient pas à tous les critères devant étayer une demande de constat de perte d’asile.
[56] Ayant pris connaissance des motifs de la SPR ainsi que du dossier, plus précisément la transcription de l’audience sur la demande de constat de perte d’asile, je conclus que l’analyse de la SPR s’attachait à déterminer si la conduite du défendeur établissait qu’il avait l’intention de renoncer à la protection du pays d’asile, le Canada. Je suis d’avis qu’elle a raisonnablement décidé que ce n’était pas le cas. De plus, ses motifs traitent aussi indirectement de la crainte subjective en ce qui concerne les mesures prises par le défendeur pour se faire « discret »
pendant son séjour à Kaboul. La crainte subjective a également été abordée à cette audience, notamment lorsque le défendeur a contesté la déclaration solennelle de l’agent examinateur de l’ASFC, selon laquelle le défendeur aurait indiqué qu’il ne craignait pas de retourner en Afghanistan.
[57] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que la SPR a adopté une approche étroite. Toutefois, ses motifs touchent à tous les facteurs énoncés ultérieurement par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Galindo Camayo permettant de décider si la présomption a été réfutée et accordent une importance particulière à la connaissance des dispositions relatives à la perte de l’asile par le défendeur et, au second plan, aux mesures de précaution et à la crainte subjective. De plus, il ressort de l’arrêt Galindo Camayo que le manque de connaissance d’une personne quant aux conséquences de ses actes sur l’immigration « ne peut pas »
être déterminant, mais il s’agit d’une « considération factuelle clé »
que la SPR doit soupeser avec tous les autres éléments de preuve. Pour décider si l’analyse est raisonnable, il faut s’attacher à déterminer si la SPR pouvait ajouter foi au témoignage du réfugié au sujet des précautions prises pour se protéger contre son agent de persécution, de sorte qu’il puisse réfuter la présomption qu’il se réclame de nouveau de la protection de son pays de nationalité. Cette preuve n’est pas non plus nécessairement déterminante pour la question de l’intention, mais elle doit être examinée. De plus, aucun des facteurs définis n’est nécessairement déterminant, et il faut mettre en balance tous les éléments de preuve relatifs à ces facteurs afin de déterminer si les actions du réfugié sont telles qu’elles permettent de réfuter la présomption selon laquelle il se réclame de nouveau de la protection de son pays de nationalité.
[58] Compte tenu de ce qui précède et des motifs de la SPR, je suis d’avis que la démarche de cette dernière était raisonnable. Le fait que le défendeur est retourné volontairement en Afghanistan pour des raisons qui n’étaient pas impérieuses n’était pas forcément déterminant lorsqu’il s’agit de décider s’il a réfuté la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays.
[59] Il est également vrai que la SPR n’a pas abordé explicitement le fait que le défendeur est retourné en Afghanistan en l’absence de circonstances exceptionnelles, ou de raison impérieuse, dans son analyse visant à déterminer si la présomption avait été réfutée. Or, elle a expressément conclu que le défendeur avait agi volontairement, et il ressort de cette conclusion qu’elle a pris en compte tous les éléments de preuve avant de décider que la présomption avait été réfutée. L’absence de mention explicite d’un élément ne constitue pas nécessairement un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence (Vavilov, aux para 94 et 122; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 32).
[60] Certes, il est loisible au ministre de ne pas souscrire à l’appréciation de la preuve par la SPR, et, à mon avis, certains aspects de ces éléments auraient certainement pu être interprétés et évalués autrement, mais il n’en découle pas que la décision n’était pas raisonnable (voir la décision Ahmed, au para 56; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Antoine, 2020 CF 370 au para 41)). Comme il est indiqué plus haut, « le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et […] à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur” »
(Vavilov, au para 125). En l’espèce, je suis assujettie à de telles limites.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1402-21
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés;
Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-1402-21 |
INTITULÉ :
|
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c HAMED SAFI |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Par vidéoconférence à l’aide de Zoom |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 19 juillet 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 27 juillet 2022
|
COMPARUTIONS
Robert L. Gibson |
Pour le demandeur |
Robert J. Kincaid |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique) |
Pour le demandeur |
Robert J. Kincaid Law Corporation
Barrister & Solicitor
Vancouver (Colombie-Britannique) |
Pour le défendeur |