Dossier : IMM-3738-21
Référence : 2022 CF 1136
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2022
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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JIHAD HAMOUSH
RITA MOMOJIAN
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Jihad Hamoush et Rita Momojian [collectivement, les demandeurs] sont mariés. Ils sont citoyens du Liban. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’ils ont présentée depuis le Canada.
[2] La fille des demandeurs, Sarine, est citoyenne canadienne. Elle a tenté à deux reprises de parrainer ses parents en 2018 et 2019, mais ceux-ci n’ont pas reçu d’invitation à présenter une demande de résidence permanente. M. Hamoush et Mme Momojian sont arrivés au Canada le 5 juillet 2020 pour rendre visite à leur fille Sarine et ne sont jamais repartis. Ils ont présenté leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peu après leur arrivée.
[3] Les motifs de l’agent ont été forcément limités par les observations que les demandeurs ont formulées à l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La preuve relative à leur relation avec leurs petits-enfants était mince. Outre leur âge relativement avancé, les demandeurs ont présenté peu d’éléments de preuve pour établir l’existence d’un lien entre les conditions générales au Liban et leur situation personnelle.
[4] La décision de l’agent était raisonnable et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
II.
Contexte
[5] M. Hamoush et Mme Momojian sont respectivement âgés de 55 et 59 ans. Ils ont trois enfants adultes. Deux de leurs enfants et deux des membres de la fratrie de M. Hamoush vivent au Liban. Leur fille Sarine vit à Milton, en Ontario, avec son mari et leurs trois enfants nés au Canada. Au moment où la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée, les enfants étaient âgés de six ans, trois ans et trois mois.
[6] Dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs ont invoqué leur établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et les conditions défavorables au Liban. Ils ont dit qu’ils prenaient soin de leurs trois petits-enfants et veillaient à ce qu’ils nouent un lien culturel avec le Liban. Ils ont également affirmé craindre de retourner au Liban en raison des conditions difficiles qui ont cours dans le pays depuis l’explosion au port de Beyrouth en 2020 et en raison des répercussions de la pandémie de COVID-19. Ces deux événements ont gravement perturbé l’économie et l’accès aux soins de santé, et ont fait grimper le coût de la vie.
[7] L’agent a admis que les demandeurs avaient de solides attaches familiales au Canada et leur a reconnu un certain degré d’établissement financier et social. En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a reconnu que les demandeurs manqueraient sans doute à leurs petits-enfants s’ils devaient retourner au Liban. L’agent a toutefois souligné qu’ils avaient auparavant vécu séparément et que rien n’indiquait que les petits-enfants dépendaient des demandeurs pour leurs besoins quotidiens.
[8] L’agent a reconnu que les conditions de vie au Liban ne sont [Traduction] « pas idéales »
et que l’explosion portuaire et la pandémie ont eu des effets préjudiciables sur les établissements de santé au Liban. Toutefois, l’agent a conclu que la preuve fournie n’établissait pas un lien suffisant entre les conditions générales dans le pays et la situation personnelle des demandeurs.
III.
Question en litige
[9] L’unique question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.
IV.
Analyse
[10] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[11] Ces exigences sont satisfaites si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et d’établir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85 et 86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).
[12] Dans Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 202 [Khan], la juge Sylvie Roussel a rappelé qu’une dispense fondée sur des considérations humanitaires est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire, et que le fardeau d’établir qu’une telle dispense est justifiée incombe au demandeur. Le demandeur qui ne soumet pas suffisamment de renseignements pertinents à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire le fait à ses risques et périls (Khan, au para 7).
[13] Les demandeurs soutiennent que l’agent a mal évalué l’intérêt supérieur de leurs trois petits-enfants nés au Canada. Ils affirment que, selon l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au paragraphe 41, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être considéré comme un élément important de l’analyse. « Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés »
(Kanthasamy, au para 41) et, par conséquent, les agents d’immigration doivent se montrer « attentif[s], réceptif[s] et sensible[s] »
à l’intérêt supérieur de l’enfant (Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 au para 10).
[14] La preuve relative à la relation des demandeurs avec leurs petits-enfants était mince et se résumait essentiellement à l’affidavit de M. Hanoush :
[Traduction]
7. Mon épouse et moi-même nous estimons privilégiés d’avoir ces trois petits-enfants. Dès notre arrivée, nous avons entrepris de prendre soin d’eux.
8. La raison pour laquelle nous nous occupons d’eux en ce moment est que le mari de ma fille, Steven, travaille sans relâche pour subvenir aux besoins de sa famille et que ma fille lui prête main-forte en se chargeant des tâches administratives.
9. Sarine nous a informés qu’elle souhaitait que nous enseignions nos coutumes culturelles aux enfants. Elle veut qu’ils grandissent dans un contexte similaire à celui qu’elle a connu.
10. Jusqu’à maintenant, ma femme Rita a pu rendre visite à Sarine et à ses enfants à trois reprises et je suis heureux d’avoir enfin pu me rendre au Canada, auprès de ma fille et de mes petits-enfants.
[15] Une lettre d’appui rédigée par Sarine et cosignée par son mari a été soumise; elle ne fait état d’aucune interdépendance entre les demandeurs et leurs petits-enfants. Sarine indique plutôt ce qui suit : [Traduction] « Il est extrêmement important pour moi et pour les membres de ma famille d’avoir une famille unie. Les mots me manquent pour dire combien je les aime et combien je veux pouvoir passer du temps de qualité en leur compagnie. »
[16] Les motifs de l’agent ont été forcément limités par les observations que les demandeurs ont formulées à l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a pris acte du point de vue des petits-enfants, dans la mesure où il a été communiqué, et a admis qu’ils avaient tissé des liens avec les demandeurs et que la présence de ces derniers allait leur manquer. Cependant, l’agent a raisonnablement conclu que les demandeurs avaient vécu loin de leurs petits-enfants pendant la majeure partie de la vie de ces derniers.
[17] Bien que l’intérêt supérieur de l’enfant soit un facteur important qu’il convient de prendre en considération et de soupeser au regard d’autres facteurs, il ne détermine pas le résultat d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au para 24). Comme l’a déclaré le juge Sébastien Grammond dans Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 210, la difficulté inhérente au fait que les grands-parents et les petits-enfants vivent dans deux pays différents n’est pas en soi suffisante pour justifier une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (au para 11).
[18] L’agent a reconnu les effets de l’explosion portuaire et de la pandémie sur l’accès aux soins de santé au Liban. Cependant, outre leur âge relativement avancé, les demandeurs ont présenté peu d’éléments de preuve pour établir l’existence d’un lien entre les conditions générales au Liban et leur situation personnelle.
[19] Les demandeurs invoquent la décision Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129 [Diabate], dans laquelle la juge Mary Gleason a conclu qu’un demandeur n’avait pas à prouver que les circonstances qu’il devra affronter ne sont pas généralement celles que doit affronter la population dans son pays d’origine; le cadre d’analyse d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit plutôt être celui de la personne elle-même. Ce cadre implique de déterminer si les difficultés occasionnées par un départ du Canada et un renvoi dans le pays d’origine seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées (Diabate, au para 36).
[20] Les demandeurs ont affirmé qu’il serait très dangereux pour eux de retourner au Liban en raison de leur âge et de l’effondrement des infrastructures de soins de santé. L’agent a raisonnablement conclu que la simple possibilité que les demandeurs puissent avoir besoin de soins médicaux dans l’avenir ne justifiait pas de soustraire les demandeurs à l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Les demandeurs sont tous deux dans la cinquantaine et n’ont pas affirmé souffrir de problèmes de santé particuliers.
[21] L’examen des difficultés est prospectif. Il doit reposer sur les caractéristiques personnelles et sur la preuve concernant les traitements réservés aux personnes se trouvant dans une situation semblable (Sinnathamby c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1387 au para 32). Les demandeurs n’avaient pas à faire la preuve des difficultés auxquelles ils seraient personnellement confrontés en ce qui concerne l’accès aux soins de santé au Liban. Cependant, l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que les personnes se trouvant dans une situation semblable (c.-à-d. les personnes âgées de 55 à 59 ans) ne sont pas en mesure d’obtenir des soins de santé adéquats au Liban.
[22] Comme l’a indiqué la juge Gleason dans Diabate, les demandeurs devaient démontrer que leur retour au Liban leur causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. La preuve qu’ils ont présenté ne satisfaisait pas cette exigence.
V.
Conclusion
[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Simon Fothergill »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3738-21
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INTITULÉ :
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JIHAD HAMOUSH et RITA MOMOJIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 18 juillet 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 28 JUILLET 2022
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COMPARUTIONS :
Sandra Dzever
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POUR LES DEMANDEURS
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Rachel Hepburn‑Craig
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Law Office of Ronen Kurzfeld
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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