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Date : 20220726


Dossier : T-538-19

Référence : 2022 CF 1109

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE:

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER-FRASER et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Aperçu 3

II. Les parties 6

III. Historique de l’agrandissement du terminal Deltaport avant le projet DP4 proposé 8

IV. Les projets RBT2 et DP4 11

V. Les décisions de mars et septembre 2019 et l’introduction de la présente instance 23

VI. Historique procédural 34

VII. Cadre législatif 41

VIII. Questions en litige 44

IX. Norme de contrôle 44

X. Analyse 45

A. Question préliminaire : la demande de contrôle judiciaire est-elle théorique et prématurée? 45

B. L’APVF a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en rendant une décision entachée de partialité et en frustrant les attentes légitimes de GCT en ce qui concerne l’examen de sa DRPP? 49

(1) L’APVF a-t-elle fait preuve d’une partialité inadmissible en ayant un esprit fermé à l’égard du projet DP4? 61

(a) Les décisions de mars et de septembre 2019, la manière dont elles ont été prises et les déclarations qui y ont été faites reflétaient-elles une réelle partialité ou même une crainte raisonnable de partialité de la part de l’APVF? 62

(i) Motifs donnés 64

1. La notion d’interdiction 64

2. Les préoccupations liées à la concurrence 74

(ii) La manière tactique dont les décisions de mars et de septembre 2019 ont été orchestrées 88

1. Le rôle de l’ancien cabinet d’avocats de l’APVF dans le processus décisionnel et l’insuffisance du dossier du tribunal 88

2. Le cabinet d’avocats actuel et la tactique utilisée pour tenter de déjouer le système 96

3. Le manque délibéré de transparence de la part de l’APVF pour échapper à l’allégation de partialité 103

4. Efforts visant à discréditer le projet DP4 auprès de parties prenantes tierces 114

(iii) La déclaration de préférence pour le projet RBT2 sans une évaluation appropriée fondée sur la preuve 130

(b) Non-respect de la politique de séparation des fonctions de promoteur et d’organisme de réglementation 133

(c) Les décideurs de l’APVF sont-ils partiaux en raison d’un intérêt financier dans le développement du projet RBT2? 136

(d) Les contradictions dans les positions de l’APVF comme preuve de partialité 141

(e) Dernières réflexions sur la question de la partialité 143

(2) L’APVF a-t-elle frustré les attentes légitimes de GCT? 150

C. Caractère théorique et prématurité 170

D. La Cour a-t-elle compétence pour faire droit à la réparation demandée par GCT? 172

XI. Conclusion 172

Traduction certifiée conforme 174

S. de AzevedoANNEXE 174

I. Aperçu

[1] La Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10 [la LMC], confère aux administrations portuaires le pouvoir de gérer à l’intérieur de leurs ports le transport maritime de marchandises et de personnes, ainsi que les services connexes et nécessaires, dans la mesure où cela est autorisé par leurs lettres patentes et plus généralement prévu par la LMC et son règlement. L’Administration portuaire de Vancouver Fraser [l’APVF] est l’une de ces administrations. En tant qu’exploitante du port de Vancouver, l’APVF est entre autres responsable du développement commercial à long terme du port, de la mise en œuvre de plans de développement durables sur le plan commercial et environnemental conformément à l’objet de la LMC, et du suivi de ces plans de développement conformément à ses objectifs stratégiques. Elle peut exploiter elle-même les installations portuaires ou agir en tant que propriétaire et louer le bien-fonds portuaire à des exploitants commerciaux.

[2] Global Container Terminals Canada Limited Partnership [GCT] est l’un de ces exploitants commerciaux. Aux termes d’un bail conclu avec l’APVF, elle exploite, à titre de locataire, deux terminaux à conteneurs dans le territoire du port de Vancouver, dont l’un se trouve à Roberts Bank, à Delta, en Colombie-Britannique [le terminal Deltaport de GCT]. Par voie de demande de contrôle judiciaire, GCT conteste deux décisions de l’APVF, la première étant celle par laquelle l’APVF a refusé, en mars 2019, de traiter en bonne et due forme une demande de renseignements préliminaire sur le projet [la DRPP] de GCT pour le nouvel agrandissement du terminal Deltaport de GCT [le projet DP4] dans le cadre du processus d’évaluation environnementale et d’examen de projet [le processus d’EEP] de l’APVF, et la seconde étant celle par laquelle l’APVF aurait annulé quelques mois plus tard, en septembre 2019, sa décision antérieure et informé GCT qu’elle évaluerait la proposition de projet DP4 dans le cadre de son processus d’EEP, étant entendu que le projet que l’APVF préférait pour réaliser l’accroissement de la capacité à Roberts Bank était un autre projet [le projet RBT2]. Cet autre projet était en cours de développement par l’APVF, était à ce moment-là plus avancé et faisait l’objet d’une évaluation d’impact environnemental. L’APVF a informé GCT que l’examen du projet DP4 serait effectué en tenant entre autres compte de l’état d’avancement du projet RBT2, qui vise à répondre à l’augmentation prévue de la demande de transport maritime du port de Vancouver.

[3] GCT soutient que l’APVF a, par son comportement, fait preuve d’une incapacité incurable à agir en tant que décideur impartial, conformément à la mission que lui confie la LMC, lors de l’examen du projet DP4, et que ses dirigeants ont fait preuve d’étroitesse d’esprit à l’égard de ce projet, sans même l’évaluer dans le cadre du processus décisionnel réglementaire même de l’administration portuaire, faisant ainsi preuve d’un réel parti pris contre le projet DP4 dans la décision de l’APVF rendue en mars 2019. La deuxième décision, rendue en septembre 2019, censée infirmer la décision précédente et confirmer que l’APVF évaluerait le projet DP4 dans le cadre du processus d’EEP, était, selon GCT, une reconnaissance de cette partialité et une tentative tactique des mêmes dirigeants de camoufler l’erreur justifiant l’infirmation de la décision précédente de l’APVF. GCT cherche maintenant à faire annuler les deux décisions et, en raison de ce qu’elle prétend être une réelle partialité de la part des dirigeants de l’APVF, qui aurait entaché l’ensemble du processus d’examen, GCT demande à la Cour d’ordonner la mise en œuvre d’un autre processus d’évaluation – ce qui équivaut à une ordonnance de mandamus – par lequel le ministre des Transports [le ministre], ou son délégué, par exemple Transports Canada, interviendrait et surveillerait le processus d’examen du projet DP4 et, comme l’a précisé GCT à l’audience, mènerait à bien certaines composantes du processus d’examen, étant donné l’absence de recours au sein de l’APVF pour traiter les questions qui préoccupent GCT, plus précisément la partialité de l’APVF. En outre, GCT cherche à obtenir une série de déclarations par lesquelles la Cour confirmerait l’existence d’une telle partialité.

[4] GCT ne m’a pas convaincu qu’il existe une quelconque preuve que les dirigeants de l’APVF avaient effectivement un parti pris contre le projet DP4, ni que ce que GCT prétend être l’indice d’une telle partialité constitue une preuve que GCT est fondée à invoquer une crainte raisonnable de partialité de la part des dirigeants de l’APVF. Par conséquent, et en raison des modifications ultérieures de la législation applicable qui touchent le processus d’évaluation environnementale auquel le projet DP4 serait assujetti, ainsi que de la décision finale de l’APVF de procéder à un examen du projet DP4 dans le cadre de son processus d’EEP, je rejette la demande de GCT, car les questions en litige entre les parties sont devenues théoriques.

[5] Je dois également préciser d’emblée que la présente instance n’était pas censée être, et n’a pas été, un procès sur le modèle de gouvernance et la qualité de la gouvernance des administrations portuaires, et de l’APVF plus précisément, au regard de la LMC. La principale question en litige qui se posait était de savoir si l’APVF avait manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant, de façon partiale, de traiter la demande liée au projet DP4 de GCT, ou en n’ayant pas répondu aux attentes légitimes de GCT en ce qui concerne le processus même de l’APVF pour l’examen réglementaire d’importants projets dans le port de Vancouver. Je laisse la question de l’optimisation d’une gouvernance adéquate et moderne des administrations portuaires entre les mains de Transports Canada dans le cadre de son examen de la modernisation des ports, qui a débuté en 2018.

II. Les parties

[6] GCT est une société affiliée de GCT Global Container Terminals Inc. et est détenue conjointement par des sociétés affiliées du Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, de la British Columbia Investment Management Corporation et de la société australienne IFM Investors. Outre le terminal Deltaport de GCT, GCT exploite trois autres terminaux en Amérique du Nord : GCT Vanterm, qui se trouve également dans le port de Vancouver; GCT Bayonne, dans le New Jersey; GCT New York, à Staten Island, dans l’État de New York.

[7] L’APVF est une administration portuaire canadienne constituée par des lettres patentes datées du 22 décembre 2007, délivrées par le ministre en vertu de l’article 8 de la LMC. Elle résulte de la fusion de l’Administration portuaire de Vancouver, de l’Administration portuaire du fleuve Fraser et de l’Administration portuaire du North Fraser. Des lettres patentes supplémentaires ont été délivrées depuis 2007 concernant des questions précises telles que l’acquisition ou l’aliénation de biens fonciers. L’APVF est responsable de la gestion des terres et des eaux portuaires fédérales relevant de sa compétence dans le port de Vancouver. La mission qui lui est confiée par la LMC consiste à agir à la fois en tant que promoteur et organisme de réglementation en ce qui concerne le développement de terres et de projets relevant de sa compétence. Les parties ne contestent pas que la compétence de l’APVF s’étend à la zone visée par les projets de développement RBT2 et DP4.

[8] L’article 28 de la LMC autorise l’APVF à exploiter le port, mais n’exige qu’elle le fasse par l’intermédiaire d’un exploitant de terminal indépendant. Les entreprises qui souhaitent entreprendre des activités dans le port de Vancouver, y compris la location de terrains portuaires et les activités inhérentes à la construction et à l’exploitation de terminaux maritimes, doivent obtenir l’autorisation de l’APVF (article 23 du Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000-55 [le Règlement]). Les parties ne contestent pas que l’APVF a le pouvoir de développer elle-même le projet RBT2 ou que GCT doit obtenir l’autorisation de l’APVF pour entreprendre le projet DP4, si ce n’est que l’APVF a affirmé qu’elle a traditionnellement agi en tant que promoteur d’importants projets liés aux terres gagnées sur la mer.

[9] En ce qui concerne le terminal Deltaport de GCT, l’APVF agit en tant que propriétaire d’une concession conformément à des baux et des accords concernant des couloirs d’accostage conclus avec GCT, aux termes desquels GCT a des obligations locatives, notamment le paiement d’un loyer et des obligations en matière de réparation et d’entretien, d’utilisation autorisée, de respect de la législation et de droits de rentrée du propriétaire.

[10] Le procureur général du Canada est désigné comme défendeur parce que GCT cherche à obtenir, comme mesure de réparation possible, la surveillance du processus d’examen et d’évaluation du projet DP4 par le ministre ou un autre délégué de la Couronne.

III. Historique de l’agrandissement du terminal Deltaport avant le projet DP4 proposé

[11] Le terminal Deltaport de GCT est aujourd’hui un terminal à conteneurs de 2,4 millions d’EVP (équivalent vingt pieds) d’une superficie de 210 acres, situé dans l’avant-port de Roberts Bank. Il a été construit sur des parcelles de terre gagnées sur la mer à l’extrémité sud d’une route en remblai traversant une rive peu profonde et reliant le terminal à Delta, dans les basses‑terres continentales de la Colombie-Britannique. Son exploitation comme terminal à conteneurs a commencé en 1997. En 2002, le prédécesseur de l’APVF (que j’appellerai simplement l’APVF) s’est lancé dans une stratégie d’agrandissement du port en réponse à la croissance attendue du transport maritime transpacifique par conteneurs, qui comprenait, à l’époque, le développement de deux projets distincts de terminaux à conteneurs à Roberts Bank, le premier étant le projet de troisième poste d’accostage [DP3], qui devait consister à ajouter un troisième poste d’accostage au terminal Deltaport actuel, et le second étant ce qui a été décrit à l’époque comme le projet Terminal 2 [T2], qui était un précurseur du projet RBT2. Le projet DP3 est un prolongement de l’actuel terminal Deltaport sur son côté nord, vers la terre dans des eaux moins profondes, et le long du côté est de la route en remblai. Le projet T2 devait être développé le long des côtés est et ouest de la route en remblai, ainsi que vers le nord dans des eaux moins profondes (options E1 et O3), mais comprenait en outre un prolongement séparé du terminal vers le sud-ouest et loin de la route en remblai dans des eaux plus profondes (options O1 et O2). L’évaluation et l’examen des projets devaient être entrepris et, le 24 février 2003, l’APVF, en tant que promoteur des projets, a soumis des lettres d’intention distinctes pour les projets au Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique pour qu’un examen préalable de la demande soit amorcé. Des réunions avec les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux pour discuter des deux projets ont eu lieu le 11 mars 2003.

[12] Le ministère des Pêches et des Océans [le MPO], l’un des organismes chargés d’approuver les projets, a examiné les projets proposés : deux lettres ont été envoyées à l’APVF, la première par le MPO le 1er avril 2003, et la seconde par le ministre des Pêches et des Océans le 29 juillet 2003 [les lettres du MPO de 2003]. Les lettres du MPO de 2003 exprimaient des préoccupations concernant le développement et la bonification de terres supplémentaires le long du côté est de la route en remblai en raison de la [traduction] « valeur essentielle de l’habitat du poisson dans la région ». En ce qui concerne le projet DP3, le MPO a déclaré qu’il [traduction] « n’envisagera pas de délivrer une autorisation aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour la destruction de cet habitat essentiel du poisson ». En ce qui concerne le projet T2, le MPO a exprimé des préoccupations similaires concernant l’agrandissement proposé dans des eaux moins profondes, tant du côté est que du côté ouest de la route en remblai, et a donc confirmé qu’il n’autoriserait pas le développement tel qu’il était proposé. Élément tout aussi important, le MPO a indiqué que l’administration portuaire, en tant que promoteur des projets d’agrandissement du terminal, concentre ses efforts sur des propositions ayant des répercussions moins préjudiciables pour l’environnement, et a confirmé qu’il serait prêt à travailler avec elle sur le développement de la zone distincte du projet T2 qui s’étendait au-delà de la route en remblai vers le sud-ouest – apparemment une zone au sud de l’endroit où les options O1 et O2 pour le projet T2 étaient proposées – [traduction] « car ces options sont dans des eaux plus profondes, où la construction aurait probablement moins de répercussions sur l’habitat du poisson de l’estuaire ».

[13] Les lettres du MPO de 2003 ont notamment amené l’APVF à réévaluer les projets. Finalement, une version réduite du projet DP3 (environ 30 % de masse terrestre en moins sur son côté nord afin de réduire sa superficie globale au sol du côté continental et de répondre ainsi aux préoccupations du MPO) irait de l’avant. Le 2 février 2006, l’APVF a informé le Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique qu’elle retirait pour l’instant sa lettre d’intention de demander un examen préalable de la demande pour le projet T2. Du point de vue de l’APVF, le projet T2 a donc été mis « en attente » jusqu’à ce qu’il y ait de nouvelles discussions avec diverses parties prenantes, y compris des consultations auprès des Premières Nations de la région, afin de traiter les questions environnementales et communautaires en suspens qui avaient été cernées au cours des discussions précédentes. Le projet T2 resterait une possibilité d’agrandissement futur après l’achèvement du projet DP3.

[14] En juillet 2006, le MPO et Environnement Canada ont publié conjointement une étude approfondie sur le projet DP3 révisé, reconnaissant que la réduction de la superficie au sol du projet minimisait les effets potentiels sur le poisson et son habitat. Le projet DP3 à empreinte réduite a reçu son approbation finale le 8 décembre 2006. Il a été réalisé et son exploitation a démarré en janvier 2010, augmentant la capacité annuelle du terminal Deltaport de GCT de 600 000 EVP.

[15] En octobre 2015, l’APVF a délivré un permis permettant à GCT d’entreprendre le projet d’amélioration du terminal Deltaport, des routes et des voies ferrées. Il s’agissait d’une série d’améliorations apportées au terminal Deltaport de GCT, consistant principalement en des mises à niveau de l’infrastructure routière et ferroviaire existante au terminal à conteneurs et à la route en remblai. Ces améliorations ont permis une nouvelle augmentation de la capacité annuelle de conteneurs de 600 000 EVP, ce qui porte ainsi la capacité totale du terminal à 2,4 millions d’EVP par an, comme c’est le cas aujourd’hui.

IV. Les projets RBT2 et DP4

[16] En tant qu’entreprise commerciale, l’APVF doit entreprendre une planification à long terme pour répondre aux besoins changeants de l’industrie et du port de Vancouver. En 2010, l’APVF a mis en place le programme d’amélioration de la capacité des conteneurs [le PACC] dans le cadre de sa stratégie à long terme visant à répondre à la demande croissante de capacité des terminaux à conteneurs du port de Vancouver. Les options qui devaient être envisagées dans le cadre du PACC comprenaient l’augmentation de la capacité et de l’efficacité des terminaux existants, la conversion éventuelle des terminaux existants sous-utilisés pour traiter le trafic de conteneurs, et la construction de nouveaux terminaux en fonction des besoins.

[17] Une fois que le projet DP3 est devenu opérationnel en janvier 2010, l’APVF s’est à nouveau penchée sur la possibilité de développer un nouveau terminal à Roberts Bank et, en septembre 2013, elle a amorcé le processus d’évaluation environnementale en soumettant à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale sa description de projet pour l’approbation d’une version actualisée du projet T2 (le projet RBT2), de préférence pour poursuivre le développement dans la zone au nord du projet DP3 précédemment qualifiée de problématique pour le développement. Le projet RBT2 visait la construction d’une nouvelle zone de terminal maritime dans les eaux au large de Roberts Bank, s’étendant dans des eaux plus profondes au sud-ouest de la route en remblai et à l’ouest du terminal Deltaport de GCT, évitant ainsi le développement et la bonification des terres au nord – du côté continental – dans des eaux moins profondes, ce qui était l’un des aspects problématiques cernés par le MPO en 2003 relativement au projet T2 initial. Le projet RBT2 fournirait jusqu’à trois postes d’accostage supplémentaires et ajouterait une capacité supplémentaire estimée à 2,4 millions d’EVP au port de Vancouver. En janvier 2014, le ministre de l’Environnement (aujourd’hui ministre de l’Environnement et du Changement climatique) a renvoyé l’évaluation environnementale du projet RBT2 proposé à une commission d’examen indépendante [la commission d’examen] conformément à l’article 38 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, c 19, art 52 [la LCEE], qui était alors en vigueur. En fait, le plan d’occupation des sols de l’APVF adopté en octobre 2014 prévoit expressément le développement du projet RBT2.

[18] Entre-temps, GCT a également poursuivi ses plans d’agrandissement et, en 2014, a commencé à planifier un nouvel agrandissement du terminal Deltaport pour ajouter 2 millions d’EVP de capacité annuelle supplémentaire [le projet DP4]. Le projet DP4 serait construit sur des terres et des eaux fédérales gérées par l’APVF et sur des plans d’eau de la Première Nation Tsawwassen, et une partie du dragage prévu par le projet s’étendrait au-delà des terres contrôlées par l’APVF, dans les territoires de navigation de l’APVF et dans les fonds marins provinciaux. L’agrandissement et la bonification nécessaire des terres seraient contigus au terminal Deltaport actuel de GCT au nord – du côté continental –, dans des eaux moins profondes, et à l’est de la route en remblai, c.-à-d. dans la zone de l’option E1 pour le projet T2, qui avait été qualifiée de problématique pour le développement en 2003 par le MPO.

[19] Le 27 mars 2015, l’APVF a soumis au gouvernement fédéral son étude d’impact environnemental pour le projet RBT2, qui comprenait une évaluation des solutions de rechange. Finalement, la commission d’examen a jugé que l’évaluation d’impact environnemental était suffisante et que le projet RBT2 pouvait passer à l’étape des audiences publiques, qui auraient lieu en mai et en juin 2019. Parallèlement, la présentation PowerPoint du projet d’agrandissement proposé par GCT ainsi que l’évaluation préliminaire du projet DP4 par la direction de l’APVF, et en particulier les considérations financières et environnementales, ont été discutées lors d’une réunion du conseil d’administration de l’APVF tenue le 31 mars 2015.

[20] Dans le cadre du processus de planification du projet RBT2, l’APVF a lancé un processus de passation des marchés afin de désigner et de sélectionner un exploitant commercial pour le nouveau terminal à conteneurs RBT2. En juin 2015, GCT s’est portée candidate pour devenir l’exploitante du terminal RBT2, tout en continuant d’être l’exploitante du terminal Deltaport adjacent, mais elle n’a pas été retenue.

[21] Des discussions non officielles se sont poursuivies entre GCT et l’APVF tout au long de l’année 2016, lorsque les parties ont commencé à discuter du projet DP4 en détail, et GCT a fait sa première présentation en bonne et due forme du projet DP4 proposé à l’APVF le 13 janvier 2017. Quelques mois après la réunion, l’APVF a retenu les services de Hemmera Envirochem Inc. [Hemmera] pour examiner les changements réglementaires, les avancées réalisées en matière de connaissances scientifiques et les modifications des politiques du MPO depuis les lettres du MPO de 2003, lorsque le MPO a refusé d’autoriser le développement de la zone actuellement proposée pour le projet DP4, et pour examiner la probabilité que le MPO approuve un nouvel agrandissement le long du côté est de la route en remblai, du côté continental de l’actuel terminal Deltaport de GCT. GCT a accepté de payer la moitié du coût de l’examen.

[22] En novembre 2017, Hemmera a remis son rapport à l’APVF [le rapport Hemmera], qui, bien qu’il n’aborde pas directement la question de savoir si les lettres du MPO de 2003 constituaient à l’époque une interdiction de développement dans la zone, établit une série d’activités séquencées (huit tâches) à entreprendre pour tout promoteur souhaitant poursuivre le développement de l’infrastructure portuaire du côté est de la route en remblai, du côté continental des terres du terminal Deltaport de GCT, en réponse possible aux préoccupations exprimées par le MPO en 2003. GCT soutient que je devrais interpréter le rapport Hemmera comme confirmant que les lettres de 2003 du MPO ne constituaient pas une interdiction de développer la zone actuellement proposée pour le projet DP4. Cependant, le rapport Hemmera indique clairement que Hemmera [traduction] « ne tire aucune conclusion quant à l’éventuelle possibilité d’obtenir des approbations et des autorisations pour des projets du côté est de la route en remblai du terminal Deltaport ».

[23] Le 8 décembre 2017, GCT et l’APVF ont tenu une réunion au cours de laquelle GCT a présenté son point de vue sur le marché et la concurrence existante entre les exploitants de terminaux à conteneurs – questions qui préoccupent l’APVF – et a réitéré son intention de développer le projet DP4. Parallèlement aux discussions qu’elle a eues avec GCT concernant le projet DP4, l’APVF a poursuivi le développement du projet RBT2.

[24] Le 6 décembre 2017, l’APVF a envoyé une note d’information au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du gouvernement fédéral – également député de la circonscription de Delta à l’époque [note d’information de décembre 2017] – mentionnant les avantages du projet RBT2 et la nécessité de le développer, et soulignant plus précisément les préoccupations relatives à la concentration du marché dans le port de Vancouver. Elle insistait sur la nécessité d’éviter la domination d’un seul exploitant de terminal dans le port. Je comprends, d’après le dossier et les observations de GCT dont je dispose, que les deux terminaux de GCT (Vanterm et Deltaport) desservaient ensemble à l’époque environ 78 % du trafic de conteneurs dans le port de Vancouver.

[25] Conformément à son processus de passation des marchés visant à identifier et à sélectionner un exploitant pour le terminal à conteneurs RBT, l’APVF a déclaré dans la note d’information de décembre 2017 que, conformément à l’approche visant à maintenir une concurrence saine dans le port, [traduction] « le projet [RBT2] ne fera l’objet d’aucune concession ni d’aucun accord qui permettrait à un exploitant de détenir plus de 60 % de la capacité de manutention des conteneurs dans le port de Vancouver ». L’APVF a poursuivi en déclarant que [traduction] « [l]e contrôle permanent par un seul exploitant de plus de 60 % de la capacité de conteneurs dans le port de Vancouver s’est avéré préjudiciable aux clients de la porte d’entrée ». La note d’information explique ensuite que tout exploitant de terminal à conteneurs existant souhaitant exploiter également le projet RBT2 devra entre autres démontrer que [traduction] « [sa] capacité totale de manutention de conteneurs dans le port de Vancouver ne dépasserait pas 60 % de la capacité totale disponible ».

[26] Le dossier comprend des notes d’information similaires préparées par l’APVF en vue de la tenue de réunions, en janvier et février 2018, avec le ministre fédéral des Transports de l’époque et le ministre des Transports et de l’Infrastructure de la Colombie-Britannique afin de discuter et de promouvoir la nécessité de développer le projet RBT2. En ce qui concerne le ministre fédéral des Transports plus précisément, les questions portaient notamment sur le fait que les limites d’emprunt de l’APVF prévues dans ses lettres patentes devraient être augmentées afin de financer le projet RBT2. Concernant les solutions de rechange au projet, les notes d’information indiquaient clairement que l’APVF [traduction] « a conclu que le projet de terminal 2 de Roberts Bank est la seule option viable pour garantir que le port de Vancouver puisse traiter efficacement le commerce croissant de conteneurs lorsque cela sera nécessaire au milieu des années 2020, et qu’il n’y a pas d’autres solutions de rechange appropriées qui peuvent répondre de manière fiable au besoin d’accroître la capacité à long terme » [non souligné dans l’original]. En ce qui concerne plus particulièrement le projet DP4, l’APVF a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Aucune autre proposition de promoteur n’a été présentée en bonne et due forme à l’administration portuaire ou au gouvernement, bien que nous sachions qu’une proposition est envisagée par GCT, quoique dans la zone de Roberts Bank déjà rejetée par le ministre des Pêches en 2003. Si une proposition devait être présentée, il faudrait probablement attendre au moins neuf ans pour qu’elle soit approuvée, si l’on se fonde sur l’expérience jusqu’à présent en ce qui concerne la proposition du Terminal 2, étant donné qu’elle serait probablement examinée par une commission fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[27] Les parties ne contestent pas que le port de Vancouver n’a pas besoin simultanément du projet RBT2 et du projet DP4 pour répondre à l’augmentation à court et moyen terme de la demande d’espace pour les conteneurs. Le 2 février 2018, l’APVF a envoyé une lettre à GCT [la lettre du 2 février 2018] visant à [traduction] « fournir clarté et transparence en ce qui concerne l’approche de l’APVF » quant à son examen de ce qui était censé être une demande de permis pour le projet DP4. Après avoir déclaré qu’elle avait, pendant plusieurs décennies, [traduction] « examiné en profondeur l’agrandissement des installations portuaires de part et d’autre de la route en remblai, et que la décision de poursuivre le projet T2 avait été prise en tenant compte de cette analyse préalable (y compris les préoccupations environnementales liées à la poursuite du développement du côté est) », l’APVF a déclaré ce qui suit concernant la manière dont elle examinerait toute demande de GCT pour le développement du projet DP4 :

[traduction]
Plus précisément, GCT est libre de proposer un projet et de demander qu’il soit examiné dans le cadre du processus d’évaluation environnementale et d’examen de projet de l’APVF. Pour un projet de la nature de celui envisagé par GCT, et compte tenu de l’historique des problèmes environnementaux liés à la partie est de la route en remblai, le promoteur doit s’attendre à des exigences importantes en matière environnementale. Nous encourageons GCT à s’entretenir avec un expert-conseil environnemental indépendant qui connaît bien le processus d’examen et d’évaluation environnementale de l’APVF et a connaissance de projets similaires, afin d’avoir une idée réaliste du temps nécessaire, des renseignements requis, du coût de l’opération et de la probabilité que les problèmes environnementaux puissent être atténués de manière satisfaisante au bout du compte.

Il est également important de préciser que, même si les problèmes environnementaux précédemment relevés associés à un tel projet se révélaient susceptibles d’être atténués dans une certaine mesure, ces effets devraient être pris en compte dans un contexte cumulatif au regard du projet T2. En outre, compte tenu du rôle multiple de l’APVF, nous pensons qu’il serait tout à fait approprié, et même qu’il incombe à l’APVF de prendre également en compte les effets du projet DP4 sur l’ensemble des activités portuaires. L’APVF examinerait également la question du calendrier, reconnaissant l’importance de respecter les délais requis pour de tels projets et le besoin imminent d’une plus grande capacité à court terme dans le port de Vancouver.

[Non souligné dans l’original.] [Le renvoi de l’APVF au projet T2 concerne en fait le nouveau projet RBT2].

[28] Les préoccupations de l’APVF concernant la concentration du marché des terminaux à conteneurs dans le port de Vancouver et le chemin perçu comme long et difficile à parcourir pour que le projet DP4 obtienne l’approbation environnementale ont de nouveau été exprimées dans la note d’information de la direction de l’APVF sur le statut du projet RBT2, préparée pour la réunion du conseil d’administration du 21 mars 2018. La campagne de l’APVF en faveur du développement du projet RBT2 – qui est, selon GCT, une campagne visant à saper le projet DP4 – s’est poursuivie tout au long des mois d’avril et de mai 2018 avec des lettres adressées au ministre fédéral des Transports de l’époque (27 avril 2018) et au ministre fédéral du Commerce international de l’époque (5 mai 2018). Les deux lettres contenaient une mise à jour de l’état d’avancement du projet RBT2 ainsi que des commentaires sur les raisons de préférer le projet RBT2 au projet DP4. L’APVF a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Nous avons connaissance d’un autre projet potentiel d’expansion de terminal à conteneurs présenté par un exploitant actuel de terminal à conteneurs dans la porte d’entrée de Vancouver. L’emplacement proposé n’est pas une idée nouvelle, puisqu’il a été évoqué pour la première fois il y a plus de 15 ans comme emplacement possible pour le Terminal 2. Il s’agit toutefois d’un endroit très sensible qui, selon les déclarations non équivoques du ministre des Pêches en 2003, ne serait pas autorisé. Compte tenu de cette indication, nous avons cherché à éviter le développement dans la zone mentionnée par le ministre afin de préserver les écosystèmes aquatiques marins intertidaux fragiles de cette zone.

Le Terminal 2 introduirait un nouvel exploitant de terminal à conteneurs sur la côte ouest du Canada, en respectant les principes de choix et de concurrence commerciale. Nous pensons que cela profitera à l’économie canadienne en garantissant la présence de trois exploitants de terminaux à conteneurs indépendants et solides, capables de répondre aux besoins du Canada et d’offrir un marché compétitif.

[Non souligné dans l’original.]

[29] Dans un courriel daté du 11 mai 2018 intitulé [traduction] « Lettre de 2003 excluant le développement d’un terminal adjacent à l’actuel terminal Deltaport », l’APVF a envoyé une copie de la lettre du MPO du 29 juillet 2003 à un représentant du gouvernement. Plus précisément, le courriel indiquait ce qui suit :

[traduction]
À la suite de notre brève discussion sur l’idée soulevée par GCT concernant un agrandissement du terminal Deltaport, nous avons examiné cette question au début du processus lié au projet RBT2 et nous nous en sommes désintéressés, car elle a été explicitement exclue par le ministre libéral des Pêches Robert Thibault en 2003 (lettre ci-jointe – les options 2 et 3 se trouvent à l’endroit proposé par GCT).

Même si cette décision était annulée, ce qui serait pour le moins difficile, il serait impossible d’autoriser et de développer une installation qui serait prête à temps pour répondre à la demande. Le processus serait presque certainement plus long que pour le projet RBT2 et nous travaillons à l’autorisation du projet RBT2 (dans la zone plus profonde mentionnée dans la lettre) depuis sept ans déjà et il faudra probablement encore neuf ans pour obtenir l’autorisation, puis la construction et la mise en service du projet.

[Non souligné dans l’original.]

[30] En octobre 2018, l’APVF a publié sur son site Internet un document intitulé [traduction] « Aperçu et justification » exposant l’avantage que représente le projet RBT2 et décrivant l’état d’avancement du projet et les travaux qui avaient été entrepris à ce jour en ce qui concerne la consultation des parties prenantes, notamment des communautés des Premières Nations, une étude d’impact environnemental, son processus de passation des marchés à l’intention des exploitants de terminaux et la construction proprement dite du projet. Dans la section sur les solutions de rechange possibles au projet, l’APVF a déclaré que l’agrandissement des installations actuelles du terminal Deltaport de GCT au moyen du projet DP4 n’était [traduction] « pas envisageable pour deux raisons principales » : premièrement, le MPO avait interdit toute nouvelle bonification des terres à l’intérieur du terminal Deltaport en raison de la sensibilité de l’environnement et, deuxièmement, l’APVF souhaitait empêcher un exploitant de terminal de contrôler une part considérable du marché des services de terminaux à conteneurs.

[31] Le 5 octobre 2018, GCT a fait une nouvelle présentation du projet DP4 à l’APVF et offert une visite du terminal et donné une vue d’ensemble de l’agrandissement envisagé. La majorité des membres du conseil d’administration de l’APVF ainsi que les cadres supérieurs de l’APVF étaient présents lors de la présentation. Cependant, les questions des défis environnementaux liés au développement du projet DP4 dans la zone qui s’est avérée problématique en 2003 et de la domination du marché des exploitants de terminaux dans le port de Vancouver ont continué à occuper l’esprit de l’APVF – le dossier dont je dispose comprend une série d’échanges de courriels, datés du 3 au 15 octobre 2018, entre l’APVF et des experts‑conseils externes engagés pour examiner et préparer un rapport sur la question de la domination du marché dans les ports du monde entier, ainsi que des courriels internes adressés à l’APVF concernant un examen du rapport Hemmera et de ses conclusions de l’époque.

[32] À la demande de GCT, GCT et l’APVF ont tenu le 24 janvier 2019 une réunion préalable concernant la DRPP relativement à la première exigence procédurale pour l’examen des projets d’immobilisations dans le cadre du processus d’EEP de l’APVF. L’ordre du jour de la réunion comprenait une discussion sur les mesures prises par les parties sur la question du projet DP4 ainsi que sur l’état des travaux préliminaires entrepris par GCT conformément au processus en trois phases et huit tâches décrit dans le rapport Hemmera pour l’avancement de projets sur le côté est de la route en remblai. Il semblerait que GCT avait achevé la première des huit phases recommandées par Hemmera, à savoir l’étude de préfaisabilité. À l’issue de cette réunion, l’APVF a indiqué qu’une nouvelle réunion préalable concernant la DRPP serait nécessaire. Le lendemain, GCT a demandé plus de précisions concernant cette nouvelle réunion et, bien qu’hésitante quant à sa nécessité, a demandé que toute nouvelle réunion préalable concernant la DRPP ait lieu avant la fin de la semaine du 4 février 2019, faute de quoi GCT déposerait [traduction] « la DRPP conformément à toutes les lignes directrices affichées par l’APVF ». L’APVF a proposé le 13 février 2019 pour la prochaine réunion, mais, comme la date était en dehors du délai proposé par GCT, GCT a présenté en bonne et due forme sa DRPP pour le projet DP4 à l’APVF le 5 février 2019 pour examen conformément au processus d’EEP.

[33] La DRPP de GCT a été reçue et diffusée à l’interne, plus précisément aux membres de la direction de l’APVF. Il semblerait que le processus d’EEP pour le projet DP4 allait commencer, car des courriels internes de l’APVF indiquent que [traduction] « le personnel procédera à un examen interne au cours des prochains jours ou semaines, et il ne fait aucun doute que plusieurs réunions initiales avec GCT seront nécessaires ». En fait, le 7 février 2019, l’APVF a confirmé à GCT la réception de sa DRPP et a indiqué ceci : le personnel de l’APVF [traduction] « [le personnel de l’APVF] entreprendra un examen de la demande présentée pour mieux comprendre le projet et déterminer si nos critères de présentation ont été remplis afin de poursuivre le traitement. Une fois que cela sera fait, le personnel confirmera notre réunion du 13 février avec vous ou la reportera si des renseignements et la prise de mesures supplémentaires sont nécessaires pour traiter votre demande ». La réunion qui devait avoir lieu le 13 février 2019 avec GCT a finalement été reportée, à la suggestion de l’APVF, au 11 février 2019, car le personnel de l’APVF n’avait pas terminé l’examen des renseignements présentés par GCT, comme l’a confirmé le contre-interrogatoire de M. Peter Xotta, vice-président de la planification et des opérations de l’APVF, et aucun chef de projet pour la proposition de GCT n’avait été nommé à ce moment-là.

[34] L’affidavit de M. Xotta, déposé en août 2021 en remplacement de l’affidavit de M. Yeomans initialement présenté, car ce dernier n’était plus en mesure d’être contre-interrogé, indique qu’il a participé à plusieurs discussions avec d’autres membres de la direction de l’APVF concernant la DRPP, et en particulier à la décision que doit prendre l’administration portuaire d’accepter ou non la DRPP – même si elle avait informé GCT qu’elle allait entreprendre un examen de la demande afin de mieux la comprendre, de manière à faire avancer [traduction] « le processus décisionnel de l’APVF prévu par la [LMC] ». Les dirigeants de l’APVF se sont réunis le 13 février 2019 (il semble que tous les membres de l’équipe de direction composée de sept personnes étaient présents, y compris M. Xotta), et une décision a été prise par consensus, décision qui a finalement été communiquée à GCT le 1er mars 2019. Lors de son contre‑interrogatoire, M. Xotta a confirmé qu’il n’existait aucun document témoignant des discussions et de la décision prise par les dirigeants à l’époque, outre la décision officielle qui devait être envoyée à GCT le 1er mars 2019. Entre-temps, les échanges se sont poursuivis entre les parties au cours des deux dernières semaines de février 2019, GCT cherchant à obtenir un rapport d’étape et l’APVF se contentant de répondre que [traduction] « la haute direction examine la demande de GCT et les documents présentés [...] ». Cependant, en réponse à une demande des médias concernant le projet d’agrandissement proposé par GCT, l’APVF a indiqué le 26 février 2019 qu’elle était en train d’examiner :

[traduction]
les documents présentés par GCT qui ont été affichés sur le registre de la commission d’examen indépendante, et [qu’elle n’a] pas de commentaires particuliers à faire pour le moment.

Cependant, ce qui est important, c’est que le projet de terminal 2 de Roberts Bank est le seul projet sur la côte ouest qui est en cours d’examen et qui pourrait potentiellement répondre au besoin d’accroissement de la capacité des terminaux à conteneurs lorsque le Canada en aura besoin d’ici la fin des années 2020.

Si GCT décidait de procéder à l’agrandissement du terminal Deltaport, il lui faudrait de nombreuses années pour réaliser tous les travaux de planification et d’environnement nécessaires pour entamer le processus d’examen fédéral, suivi de l’évaluation environnementale – qui a déjà pris quatre ans pour le projet RBT2 – et enfin de la construction. Il serait alors très difficile pour GCT de répondre à la demande en seulement quelques années.

V. Les décisions de mars et septembre 2019 et l’introduction de la présente instance

[35] Le 1er mars 2019 (la lettre est incorrectement datée du 29 février 2019), l’APVF a envoyé une lettre à GCT qui faisait état de la décision prise par la direction de l’APVF le 13 février 2019 et indiquait ce qui suit : [traduction] « nous ne traiterons pas votre [DRPP] dans le cadre de notre [processus d’EEP] pour le moment » (non souligné dans l’original) [décision de mars 2019]. Dans sa lettre, l’APVF note que le projet DP4 concernait l’agrandissement de la superficie au sol sur la même zone sensible d’un point de vue environnemental que celle à l’égard de laquelle le MPO a exprimé ses préoccupations en 2003, à savoir que le projet entraînerait [traduction] « des répercussions inacceptables sur l’habitat essentiel du poisson ». La décision de mars 2019 se poursuit comme suit :

[traduction]
Il était très clair que la réduction de la superficie au sol était un facteur important dans l’évaluation et la recommandation finale d’approbation du projet DP3 par le MPO et Environnement Canada, et que les 80 acres proposés à l’origine n’auraient pas été acceptables.

Il est à noter que le projet DP4 que vous proposez impliquerait un agrandissement de la superficie au sol de 56 hectares (138 acres), soit une superficie au sol bien supérieure sur le même habitat intertidal qui a été expressément protégé par la réduction de la superficie au sol du projet DP3 pour répondre à l’opposition du MPO aux répercussions sur ce qu’il considérait comme un habitat intertidal essentiel.

[Non souligné dans l’original.]

[36] En outre, et en soulignant les deux mêmes raisons énoncées dans son document intitulé [traduction] « Aperçu et justification » de 2018, à savoir les lettres du MPO de 2003 et la concentration du marché au sein du port, l’APVF a déclaré que le projet RBT2 était le projet qu’elle préférait pour l’augmentation de la capacité à Roberts Bank :

[traduction]
Comme vous le savez, les plans de l’APVF pour l’augmentation de la capacité des conteneurs à Roberts Bank prévoyaient un agrandissement supplémentaire du côté ouest du terminal, dans des eaux plus profondes, comme l’avait encouragé le ministre des Pêches et des Océans en 2003.

[…]

Le projet RBT2 est le projet que nous privilégions pour augmenter la capacité afin de répondre à l’accroissement prévu de la demande.

[…]

Vous devez comprendre que votre proposition DP4, même si elle est en mesure de recevoir les autorisations environnementales et réglementaires nécessaires, ne pourrait être considérée que comme postérieure et complémentaire au projet RBT2. Nous constatons que le calendrier de développement que vous proposez serait incompatible avec la mise en œuvre de la capacité du projet RBT2. Compte tenu de tous les facteurs mentionnés ci-dessus, nous ne traiterons pas votre demande dans le cadre de notre processus d’évaluation environnementale et d’examen de projet pour le moment. Nous serions prêts à revoir les plans de développement de Deltaport avec GCT à un moment où nous pourrons projeter avec plus de précision le besoin d’augmenter la capacité prévue par le projet RBT2.

[Non souligné dans l’original.]

[37] Le 4 mars 2019, GCT a indiqué qu’elle ne souscrivait pas à la décision de l’APVF de ne pas traiter la DRPP dans le cadre du processus d’EEP de l’administration portuaire à ce moment-là, a confirmé qu’elle continuait néanmoins à faire avancer ses études environnementales et d’ingénierie, et a demandé au port l’autorisation d’accéder à la route en remblai pour entreprendre les études environnementales nécessaires.

[38] Le dossier dont je dispose contient également l’ébauche d’une lettre, datée du 25 mars 2019, dans laquelle l’APVF demandait au sous-ministre des Pêches et des Océans de l’époque [ébauche du 25 mars 2019] [traduction] « une clarification de Pêches et Océans Canada (MPO) sur les directives antérieures concernant l’agrandissement du terminal à Roberts Bank (C.-B.) » et indiquant qu’elle avait [traduction] « récemment reçu une demande de renseignements d’un promoteur intéressé par l’agrandissement d’un terminal portuaire à Roberts Bank en gagnant des terres sur la mer à l’est des terminaux actuels [...] ». Dans cette ébauche, l’APVF demandait [traduction] « au MPO de confirmer que ses instructions antérieures sont toujours valables et qu’aucun agrandissement du terminal du côté est de la route en remblai ne sera autorisé ». Pour une raison que j’ignore, la lettre n’a jamais été envoyée. Toutefois, en réponse à ce qui se veut une campagne de relations publiques entreprise par GCT pour promouvoir le projet DP4 comme solution de rechange au projet RBT2, le dossier qui m’a été présenté comprend un document interne de l’APVF intitulé [traduction] « Plan de gestion des problèmes », également daté du 25 mars 2019 [le Plan de gestion des problèmes], qui fournit à l’APVF des points importants pour aborder le projet DP4 et pour promouvoir davantage le projet RBT2.

[39] Le 28 mars 2019, GCT a signifié et déposé le présent avis de demande de contrôle judiciaire – qui était à l’époque limité à la décision de mars 2019. GCT a également déposé une deuxième demande de contrôle judiciaire de la décision de la commission d’examen de procéder à des audiences publiques pour le projet RBT2 (T-537-19), mais cette demande a été suspendue.

[40] Le 29 mars 2019, l’APVF a envoyé une note d’information au bureau du premier ministre pour faire le suivi des discussions qui avaient eu lieu plus tôt dans la semaine et qui visaient à répondre aux préoccupations et à l’opposition du public au projet RBT2, et pour présenter la réponse de l’administration portuaire à ces préoccupations. La note d’information indiquait notamment que [traduction] « l’emplacement du terminal proposé a[vait] été guidé en grande partie par les directives du ministre des Pêches qui a indiqué en 2003 que seules les options d’agrandissement au-delà de l’actuel terminal Deltaport, dans des eaux plus profondes, devraient être envisagées, étant donné qu’il n’y aurait pas d’octroi de permis en vertu de la Loi sur les pêches pour des options dans des habitats très sensibles plus proches du rivage ». En ce qui concerne le projet DP4, l’APVF mentionnait que [traduction] « l’administration portuaire a[vait] évalué la même zone que celle proposée pour le projet DP4 comme l’une des nombreuses options d’emplacement pour le projet RBT2, mais l’a[vait] écartée parce que Pêches et Océans Canada a[vait] fait savoir qu’aucun permis ne serait délivré en vertu de la Loi sur les pêches pour des projets dans cette zone en raison du fait qu’il s’agit d’eaux intertidales sensibles ».

[41] Le 10 avril 2019, l’APVF a rencontré le personnel du bureau du premier ministre. Les courriels de suivi comprenaient une série de présentations PowerPoint et de rapports. La note d’information intitulée [traduction] « Préoccupations et opposition » a été mise à jour le 3 avril 2019 et, bien qu’elle ne mentionnait pas directement le projet DP4, elle indiquait ce qui suit dans la section sur les solutions de rechange :

[traduction]
Si un autre projet devait être proposé, nous pensons qu’il faudrait au moins de 15 à 20 ans avant qu’il ne soit construit et opérationnel, comme cela a été le cas pour le projet RBT2. Par conséquent, tout autre projet pourrait ne pas être prêt à répondre à la demande en cas de besoin au milieu des années 2020, mais pourrait éventuellement fournir une capacité pour une demande en constante augmentation à la fin des années 2030.

[42] En mai et en juin 2019, la commission d’examen constituée aux termes de la LCEE a tenu des audiences publiques sur le projet RBT2 et a reçu des observations de plusieurs parties prenantes, dont GCT. Au cours de ces audiences, les représentants du MPO ont déclaré que les lettres de 2003 du MPO ne visaient pas à interdire de façon générale le développement futur de la zone actuellement proposée pour le projet DP4, mais qu’elles ne concernaient que les projets proposés tels qu’ils existaient à l’époque. Comme l’a déclaré le MPO lors des audiences de la commission d’examen, [traduction] « chaque projet est évalué en fonction de la demande reçue, de la législation et des politiques en vigueur. À l’avenir, si un projet est présenté, le MPO examinera la demande et prendra une décision en fonction des renseignements qui [lui] seront présentés ». Dans le cadre de son processus d’examen, la commission d’examen a vérifié si l’APVF avait effectué des évaluations appropriées des solutions de rechange au projet RBT2. GCT a participé aux audiences et a notamment fait valoir que la commission d’examen devrait rejeter le projet RBT2 et retenir le projet DP4. En fin de compte, la commission d’examen a conclu que l’APVF avait entrepris une évaluation appropriée des solutions de rechange au projet RBT2 et a soumis son rapport final au ministre de l’Environnement et du Changement climatique environ neuf mois plus tard, le 27 mars 2020. Lors de l’audience tenue devant moi, le promoteur du projet RBT2 attendait toujours son approbation finale.

[43] Entre-temps, le 28 août 2019, la LCEE a été abrogée et remplacée par la Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28, art 1 [la LEI], faisant désormais du projet DP4 un « projet désigné » aux termes de la LEI, de sorte qu’il pourrait devoir faire l’objet d’un processus fédéral d’évaluation environnementale avant d’être examiné par l’APVF dans le cadre de son processus d’EEP. Le processus d’EEP demeure néanmoins une étape nécessaire pour l’approbation du projet, mais avec la promulgation de la LEI, le Guide de candidature pour l’examen des projets et de l’environnement de l’APVF [le Guide] prévoit que l’administration portuaire peut s’appuyer sur les résultats de l’évaluation d’impact fédérale lorsque l’évaluation répond aux normes et exigences de l’APVF. Cela dit, la LEI interdit à l’APVF de prendre toute décision concernant le projet DP4 tant que l’Agence d’évaluation d’impact [l’Agence] n’a pas donné son accord, accord qui pourrait ne jamais être donné si l’Agence rejette le DP4. Dans l’hypothèse où le projet DP4 serait approuvé par l’Agence, le dernier mot sur l’approbation des projets dans le port de Vancouver reviendrait à l’APVF, les autorisations nécessaires devant par la suite être obtenues dans le cadre du processus d’EEP. Par conséquent, malgré le nouveau processus d’évaluation d’impact prévu par la LEI, l’APVF reste un acteur actif dans la procédure d’approbation du projet DP4.

[44] Bien que j’en traiterai de façon plus approfondie plus loin, je précise maintenant que la Cour a rendu, le 6 septembre 2019, une ordonnance déclarant l’avocat de l’APVF inhabile à exercer ses fonctions en raison d’un conflit d’intérêts. Selon l’affidavit de M. Xotta, le 23 septembre 2019, soit peu de temps après avoir engagé un nouvel avocat, les dirigeants de l’APVF se sont réunis par téléphone pour examiner les conséquences de cette ordonnance et de la décision antérieure de mars 2019. À la suite d’une nouvelle discussion entre les dirigeants de l’APVF, l’APVF a informé GCT [la décision de septembre 2019] que, après avoir mené un examen plus approfondi concernant la DRPP pour le projet DP4 proposé, l’APVF annulait sa décision de mars 2019. L’APVF a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Compte tenu de tous les renseignements pertinents dont dispose le port (y compris certains renseignements qui nous ont été communiqués dans le cadre de la procédure de la commission d’examen), nous annulons par la présente notre [décision de mars 2019] et nous procéderons à la réception de la demande de renseignements préliminaire sur le projet de GCT. Le personnel du port prendra prochainement contact avec votre personnel à ce sujet pour discuter du calendrier de la procédure du port au regard du processus d’évaluation d’impact par lequel le projet DP4 devrait passer conformément à la Loi sur l’évaluation d’impact récemment promulguée et à la réglementation qui s’y rapporte.

[Non souligné dans l’original.]

[45] Tout en indiquant qu’elle était prête à examiner le projet DP4 proposé, l’APVF a réitéré ses préoccupations :

[traduction]
En prenant cette décision, je souhaite souligner que, comme nous l’avons clairement indiqué lors des audiences de la commission d’examen, le port estime toujours (sur le fondement des évaluations antérieures de la zone) que le projet DP4 proposé présente des risques considérables en ce qui concerne l’habitat du poisson. Toutefois, compte tenu des circonstances, nous ne sommes plus d’avis que ces risques sont d’une nature telle que tout examen du projet DP4 est exclu. Nous sommes au contraire ouverts à l’examen des demandes de GCT (et des réponses à toute question ou préoccupation s’y rapportant) dans le cadre d’une évaluation d’impact fédérale du projet DP4 et de notre processus d’EEP.

De même, en ce qui concerne la question de la compétitivité et du contrôle, nous restons d’avis qu’il s’agit d’une question importante – et nous avons à maintes reprises depuis plusieurs années sensibilisé GCT à cette question (y compris dans nos accords commerciaux et dans le cadre du processus de demande de prix pour les exploitants de terminaux). Nous continuons de considérer qu’elle pourrait être problématique au regard du projet DP4 proposé, mais nous sommes prêts à approfondir cette question grâce aux renseignements fournis et à l’analyse qui sera réalisée dans le cadre de l’évaluation d’impact fédérale du projet DP4 et de notre processus d’EEP.

[Non souligné dans l’original.]

[46] À la fin, l’APVF a de nouveau abordé la question des préoccupations de GCT concernant la partialité du processus d’examen :

[traduction]
En ce qui concerne vos préoccupations concernant la « partialité » du port compte tenu de ses différents rôles, le port considère que ces rôles multiples sont prescrits par la Loi maritime du Canada et les règlements connexes et qu’ils font donc à bon droit partie intégrante du mandat du port. En outre, dans la mesure où vous pourriez avoir encore des préoccupations à cet égard, nous soulignons qu’avant que le port ne prenne une quelconque décision, le projet DP4 sera soumis à une évaluation conformément à la Loi sur l’évaluation d’impact, et ce processus éclairera considérablement le processus d’EEP du port.

En fin de compte, et ayant dit tout ce qui précède, je souhaite réitérer la position exposée dans ma [décision de mars 2019] selon laquelle, même si le projet DP4 est en mesure de répondre de manière satisfaisante aux questions mentionnées ci-dessus, le port prendrait en fin de compte une décision sur le projet en tenant compte de tous les facteurs pertinents, y compris l’efficacité des activités portuaires (comme nous en avons le mandat). Il s’agira notamment de l’état d’avancement du projet RBT2 pour ce qui est de répondre à l’augmentation prévue de la demande en matière de transport maritime.

[Non souligné dans l’original.]

[47] Le 27 septembre 2019, GCT a répondu à l’APVF qu’elle était d’avis que sa DRPP ne serait pas examinée de façon équitable dans le cadre du processus d’EEP du port de Vancouver. Quoi qu’il en soit, GCT a informé l’APVF qu’elle tenait compte de la nouvelle législation, dans le cadre duquel le projet DP4 était considéré comme un projet désigné – ce qui signifie que toute décision en matière d’autorisation de l’APVF concernant le projet ne pourrait être rendue tant qu’il n’y aurait pas d’évaluation d’impact favorable en application de la LEI – et que, par conséquent, [traduction] « GCT estime qu’il n’est pas nécessaire d’entreprendre immédiatement le processus d’autorisation de l’APVF » [non souligné dans l’original]. Comme l’a affirmé GCT devant moi, si elle avait présenté à nouveau sa DRPP comme l’APVF l’y invitait, la DRPP aurait probablement dû être légèrement modifiée pour tenir compte du changement de structure législative en place par suite de l’abrogation de la LCEE et de l’adoption de la LEI. Or, GCT a refusé de participer à un processus que, selon elle, l’APVF lui offrait à nouveau seulement pour des raisons tactiques.

[48] Le 2 octobre 2019, l’APVF a répondu à GCT que l’évaluation d’impact visée à la LEI serait réalisée par une agence externe indépendante et [traduction] « [qu’une] décision d’autorisation de la part de l’administration portuaire ne serait nécessaire que si le projet était approuvé en vertu de la [LEI], et [que] tout rapport ou [toute] décision du gouvernement fédéral qui en résulterait éclairerait nécessairement et considérablement le processus d’autorisation [de l’APVF] ». L’APVF a également demandé à GCT de confirmer si elle affirmait toujours que l’APVF se trouverait dans une situation de partialité au moment où elle pourrait être appelée à prendre une décision d’autorisation et, le cas échéant, de fournir des observations sur la question pour examen afin que, si les préoccupations sont considérées comme valables, l’APVF puisse se pencher sur [traduction] « les mesures devant être prises pour résoudre ces problèmes bien avant qu’une décision ne doive être prise » [la lettre du 2 octobre 2019].

[49] Le 8 octobre 2019, dans sa réponse à la lettre du 2 octobre 2019, GCT a indiqué qu’elle reconnaissait les effets du nouveau régime législatif sur le projet DP4 et qu’elle continuait à affirmer que l’APVF se trouvait dans une situation de partialité. GCT n’a pas présenté d’autres observations sur la question de la partialité de l’APVF, mais a simplement indiqué qu’elle continuerait d’aller de l’avant avec la demande de contrôle judiciaire déposée.

[50] Depuis lors, les parties ont continué à faire avancer leurs propositions respectives. Comme on l’a déjà mentionné, la commission d’examen constituée aux termes de la LCEE a soumis son rapport final sur le projet RBT2 au ministre de l’Environnement et du Changement climatique le 27 mars 2020. La commission d’examen, qui devait notamment déterminer si l’APVF avait correctement mené une évaluation des autres moyens d’exécuter le projet RBT2, a conclu que l’APVF avait raisonnablement éliminé les options E1 et O3 et que, bien que le contexte réglementaire ait changé depuis 2003, l’APVF avait des raisons de croire que [traduction] « le risque d’effets environnementaux sur l’habitat essentiel du poisson dans la zone intertidale n’avait pas changé, et que la destruction de cet habitat essentiel ne serait potentiellement pas autorisée par le MPO ». En concluant que l’évaluation par l’APVF d’autres moyens de réaliser le projet RBT2 était appropriée, la commission d’examen a déclaré ce qui suit :

[traduction]
La commission ne peut faire abstraction du fait qu’un habitat sensible et essentiel pour le poisson a été désigné du côté est de la route en remblai et que le bâtiment E1 détruirait cet habitat, et que cette destruction pourrait comme pourrait ne pas être totalement atténuée. La commission reconnaît que l’[APVF] a poursuivi ses conversations avec le MPO après 2003 et que celui-ci n’a jamais modifié sa position. Après avoir examiné tous les arguments présentés par GCT, la commission est d’avis que GCT propose un projet concurrent, que la commission n’a pas le mandat d’examiner. La commission a toutefois évalué d’autres emplacements pour le [projet RBT2], y compris le bâtiment E1.

[Non souligné dans l’original.]

[51] Comme il est indiqué, bien qu’elle ne soit pas identique au bâtiment E1, la construction du projet DP4 est proposée dans la zone où le bâtiment E1 devait être construit, zone qui a été qualifiée en 2003 par le MPO de problématique pour le développement. En mai 2020, l’APVF a envoyé une trentaine de lettres à diverses communautés des Premières Nations qui se trouvent à proximité de l’installation de Roberts Bank et donc intéressées par le développement portuaire dans la région [lettres de mai 2020], soi-disant pour répondre à des questions découlant de renseignements communiqués par GCT, dans lesquelles l’APVF affirmait notamment ce qui suit :

i. l’APVF a décidé de poursuivre le projet RBT2, après avoir envisagé d’autres options, y compris l’agrandissement dans la zone proposée pour le projet DP4;

ii. le projet DP4 a été rejeté par l’APVF pour des raisons environnementales et de concurrence;

iii. la commission d’examen constituée aux termes de la LCEE a conclu que l’évaluation effectuée par l’APVF des autres moyens de réaliser le projet RBT2 était adéquate et a appuyé la conclusion de l’APVF de situer le nouveau terminal proposé dans des eaux plus profondes;

iv. l’APVF n’a pas l’intention de poursuivre le développement du projet DP4, et GCT n’est pas habilitée à poursuivre son projet d’agrandissement de ses installations actuelles sans l’approbation de l’APVF.

[52] Pour sa part, et dans le cadre de la première étape du processus d’évaluation d’impact visé à la LEI, GCT a soumis une description initiale du projet DP4 à l’Agence en septembre 2020, avec l’intention de déposer une description détaillée du projet à l’automne 2021.

VI. Historique procédural

[53] Comme on l’a vu précédemment, GCT a signifié et déposé son avis de demande de contrôle judiciaire de la décision de mars 2019 le 28 mars 2019, laquelle a été ponctuée de quelques procédures inopinées. Comme je l’ai déjà mentionné, le 6 septembre 2019, le juge Pentney a fait droit à la requête de GCT visant à faire déclarer l’avocat de l’APVF inhabile à agir dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire (2019 CF 1147), ce qui a obligé l’APVF à retenir les services d’un nouvel avocat.

[54] En outre, par suite notamment de la promulgation de la LEI le 28 août 2019, faisant du projet DP4 un projet désigné, et de la réception de la décision de septembre 2019, GCT a cherché à faire modifier son avis de demande pour que sa demande de contrôle judiciaire vise non seulement la décision de mars 2019, mais aussi celle de septembre 2019. GCT a également sollicité l’autorisation de déposer des affidavits supplémentaires à l’appui de ces modifications.

[55] L’APVF et le procureur général du Canada ont à leur tour déposé des requêtes visant à faire annuler la demande initiale de GCT. L’APVF a premièrement fait valoir que l’annulation de la décision de mars 2019 au moyen de la décision de septembre 2019 rendait la demande de GCT sans objet, car GCT pouvait désormais accéder au processus d’EEP étant donné que l’APVF l’avait expressément informée, dans la décision de septembre 2019, qu’elle était disposée à procéder à l’examen de la DRPP de GCT, et que c’est GCT qui a refusé d’engager le processus d’EEP. Comme l’APVF n’était saisie d’aucune demande, plus aucun litige n’opposait les parties et rien ne justifie que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre une question qui est devenue strictement hypothétique. En outre, l’APVF a cherché à faire radier, pour cause de prématurité, les demandes de GCT visant à obtenir notamment une déclaration de la Cour portant que le processus d’examen de l’APVF ne peut pas être équitable et impartial en raison de l’existence d’une réelle partialité, étant donné que GCT a refusé l’invitation de l’APVF à lui soumettre cette question. GCT n’a pas ainsi épuisé, comme elle devait le faire, les recours administratifs et refusé à l’APVF la possibilité de répondre à la question en litige, ce qui aurait fourni à la Cour un dossier qu’elle aurait pu examiner. L’administration portuaire a également demandé l’annulation de l’ensemble de la requête, étant donné que la Cour n’a pas compétence pour ordonner la surveillance demandée par GCT et que le ministre n’a pas le pouvoir de surveiller l’APVF dans le cadre de son processus d’évaluation.

[56] Le 9 mars 2020, la protonotaire Furlanetto, maintenant juge, qui agissait à l’époque à titre de juge chargée de la gestion de l’instance par intérim, a accueilli partiellement les différentes requêtes : GCT a été autorisée à modifier son avis de requête au motif que l’adjonction de la décision de septembre 2019 « n’a pas pour objet d’amorcer un contrôle judiciaire d’une décision supplémentaire, mais […] vise plutôt à indiquer un type d’activité continu dont elle soutient qu’il étaye l’allégation de partialité » (2020 CF 348). De plus, et bien qu’elle ait accueilli les requêtes de l’APVF visant à faire radier certains aspects de la réparation que sollicitait GCT, la protonotaire Furlanetto a rejeté la demande de radiation d’autres aspects liés au caractère théorique et prématuré de la question de la partialité. Appliquant le critère énoncé dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], la protonotaire a considéré que les allégations de partialité sous-jacente en ce qui concerne la décision de mars 2019 restaient une question en litige même si la décision de mars 2019 peut elle-même avoir été annulée par la décision de septembre 2019. La protonotaire Furlanetto a expliqué qu’en dépit d’un changement de régime législatif, « [l]e pouvoir de l’APVF à l’égard de GCT concernant le projet DP4 est continu. L’APVF exerce des pouvoirs à l’égard du projet DP4 dans le cadre du processus d’EEP et les pouvoirs qui lui sont conférés par la [LMC]. Même si un changement a été apporté au régime environnemental à la suite de la mise en œuvre de la LEI, aucun changement n’a été apporté au rôle de gardien de l’APVF dans le cadre du processus ». Renvoyant à la décision Michel c Tribunal de révision de la collectivité de la bande d’Adams Lake, 2017 CF 835, la protonotaire Furlanetto a conclu que « [m]ême lorsqu’il est allégué qu’une décision est théorique, la partialité sous‑jacente de la décision peut rester un litige actuel qui peut être tranché par la Cour, conformément à son pouvoir discrétionnaire ». En ce qui concerne l’argument de la prématurité, la protonotaire a conclu qu’un tel moyen de défense ne pouvait pas découler du propre agissement de l’APVF, à savoir l’annulation de sa décision de mars 2019, étant donné que la question en litige – la partialité dont aurait fait preuve l’APVF – était liée à cette décision. La protonotaire a toutefois précisé que sa décision ne visait pas à formuler des conclusions sur le fond de l’affaire, mais se limitait strictement aux questions soulevées dans les requêtes dont elle était saisie.

[57] Le 11 septembre 2020, GCT a déposé un avis modifié de demande de contrôle judiciaire concernant à la fois la décision de mars 2019 et la décision de septembre 2019 – collectivement appelées les décisions de mars et de septembre 2019 – en vue d’obtenir les mesures de réparation suivantes :

[traduction]

a) une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant la décision et enjoignant au ministre des Transports (Canada) ou à un délégué compétent de Sa Majesté la Reine, autre que l’APVF, désigné par la Cour (le ministre), de surveiller les activités d’évaluation et d’autorisation concernant le projet DP4 relevant de la compétence de l’APVF, conformément à la Loi maritime du Canada, LC 1998, c10 (la Loi), au Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000‑55, pris en application de la Loi, ou à tout autre processus que la Cour juge indiqué;

b) des déclarations portant que :

(i) la décision du 1er mars était teintée de partialité réelle et inappropriée de la part de l’APVF;

(ii) la décision du 23 septembre, qui annulerait la décision du 1er mars 2019, a été rendue sur le fondement de motifs illégitimes et était teintée de partialité réelle et inappropriée de la part de l’APVF;

(iii) subsidiairement, et au besoin, l’APVF a créé une situation de partialité inévitable, de sorte que, si l’APVF demeure le décideur, GCT n’a aucune possibilité de faire progresser le [projet] DP4 devant un décideur impartial;

c) supprimé;

d) une ordonnance exigeant une surveillance indépendante des pouvoirs administratifs, d’autorisation et autres de l’APVF concernant le projet DP4 relativement à ce qui suit :

(i) l’accès en vue du contrôle des études, de la cueillette de données et d’autres travaux et activités en lien avec les processus d’évaluation d’impact et d’autorisation du [projet] DP4;

(ii) la location;

(iii) le dragage;

(iv) la construction;

(v) les activités de transport;

(vi) la prise de mesures compensatrices;

(vii) d’autres activités et pouvoirs de l’APVF et de ses filiales, y compris celles liées aux activités portuaires, conformément aux lettres patentes de l’APVF.

e) une déclaration portant que l’APVF a rendu la décision en se fondant sur des considérations extrinsèques et inappropriées découlant de sa propre partialité réelle, outrepassant ainsi la compétence que lui accorde la Loi. L’APVF a invoqué son propre intérêt commercial immédiat dans la décision et son souhait de protéger et d’améliorer son propre projet concurrent visant à financer et construire un deuxième terminal à [Roberts Bank] (le projet RBT2) – considérations incompatibles avec son rôle d’office fédéral;

f) une déclaration portant qu’en raison de sa partialité réelle l’APVF n’a pas mené, et ne peut pas mener, un processus équitable et impartial aux termes de la Loi et de son propre processus d’évaluation environnementale et d’examen de projet (le processus d’EEP]) conformément aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale;

g) une déclaration portant que les terrains touchés par le projet DP4 ne relèvent pas tous de la compétence de l’APVF et relèvent toujours de la compétence du ministre des Transports (Canada), ou de tout autre délégué de Sa Majesté la Reine désigné par la Cour;

h) supprimé;

i) une ordonnance affectant un juge responsable de la gestion de l’instance ou un protonotaire conformément à l’article 383 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106;

j) une ordonnance prévoyant l’instruction accélérée de la présente demande;

k) les dépens de la présente demande;

l) toute autre mesure de réparation que l’avocat peut conseiller et que la Cour estime juste.

[58] Comme on l’a vu, en demandant à la Cour d’enjoindre au ministre, par une ordonnance de mandamus, de surveiller les activités d’évaluation et d’autorisation concernant le projet DP4, GCT cherche à obtenir une autre procédure d’évaluation dans laquelle Transports Canada surveille certains aspects de l’examen du projet DP4 par l’APVF et mène également certains aspects du processus d’examen lui-même. À l’audience, GCT a expliqué que si je devais conclure à la partialité de l’APVF – ce qui, selon GCT, signifie que l’APVF avait l’esprit fermé et a refusé de rendre une décision juste et rationnelle sur le fondement de considérations objectives et a, au contraire, rendu une décision fondée sur questions tranchées d’avance –, les parties, avec l’aide de la Cour, devraient esquisser le processus exact qui devra finalement être suivi dans le cadre du processus d’évaluation du projet DP4. À tort ou à raison, l’affirmation de GCT selon laquelle il était loisible à la Cour de prévoir une telle réparation dans ces circonstances est étayée, selon GCT, par la décision Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 CF 465, rendue par la juge Sharlow, alors juge à la Cour fédérale. Je dois également mentionner que GCT a confirmé à l’audience qu’elle ne demandait plus la déclaration sollicitée à l’alinéa 2g) de l’avis modifié de demande de contrôle judiciaire.

[59] L’APVF a interjeté appel de l’ordonnance de la protonotaire Furlanetto, strictement sur les questions du caractère théorique et de la prématurité. Le 17 novembre 2020, le juge Phelan a rejeté l’appel, concluant que la protonotaire n’avait pas commis d’erreur manifeste et dominante dans sa décision (2020 CF 1062). L’APVF a interjeté appel de la décision du juge Phelan, sur la seule question de la prématurité, devant la Cour d’appel fédérale qui, le 17 septembre 2021, a rejeté cet appel (2021 CAF 183) au motif qu’elle ne voyait pas d’erreur manifeste ou dominante dans la décision du juge Phelan. La Cour d’appel fédérale a également précisé que sa décision ne visait pas à lier le juge procédant à l’instruction de l’affaire sur le fond, à savoir relativement aux questions dont je suis saisi.

[60] En outre, à la suite de la communication demandée en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], GCT a déposé une requête visant à obtenir la communication de documents supplémentaires, principalement au regard de l’allégation de partialité. Le 15 octobre 2020, le juge Pentney a rejeté la requête de GCT visant à obtenir une ordonnance d’autorisation de contre-interroger un cadre supérieur de l’APVF avant l’audition de sa requête fondée sur le paragraphe 318(2) des Règles (2020 CF 970), et le 17 juin 2021, le juge Pentney a accueilli en partie la requête en communication de documents (2021 CF 624).

[61] Telle est la situation au début de l’audience.

VII. Cadre législatif

[62] Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes sont reproduites en annexe.

[63] En adoptant la LMC en 1998, le législateur a renoncé aux moyens législatifs du gouvernement fédéral de diriger ou contrôler les mesures prises par des administrations portuaires dont il disposait par le biais de l’exigence, prévue à la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11, que ces dernières soumettent des plans d’entreprise au gouverneur en conseil. L’objectif de l’adoption de la LMC était de consolider et de simplifier la réglementation maritime, de réduire la paperasserie et de permettre la prise de décisions commerciales plus rapide pour certaines entités fédérales, dont les administrations portuaires; l’objectif général était d’améliorer la compétitivité du secteur maritime canadien (Colombie-Britannique (Procureur général) c Lafarge Canada Inc, 2007 CSC 23, [2007] 2 RCS 86 aux para 44‑45).

[64] Comme l’indique l’article 4 de la LMC, le cadre législatif est conçu pour garantir, plus précisément, que les administrations portuaires soient gérées d’une manière commercialement saine et décentralisée, en grande partie en dehors du contrôle du ministre des Transports. L’orientation commerciale fondamentale de la LMC se dégage de son historique législatif, et il s’ensuit donc que l’APVF est autonome et financièrement viable. En fait, l’une des conditions pour que le ministre délivre des lettres patentes pour la constitution d’une administration portuaire est qu’il soit convaincu que le port « est financièrement autonome et le demeurera vraisemblablement » (LMC, art 8(1)a)).

[65] En l’espèce, la nature de la LMC est commerciale. En fait, il est intéressant de noter que le paragraphe 2(2) de la LMC renvoie à la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour éviter toute ambiguïté dans l’interprétation des mots et expressions utilisés dans la LMC, son objectif étant, notamment, d’« offrir un niveau élevé d’autonomie aux administrations locales ou régionales [...] et [de] prendre en compte les priorités et les besoins locaux » ainsi que de « gérer l’infrastructure maritime et les services d’une façon commerciale qui favorise et prend en compte l’apport des utilisateurs et de la collectivité où un port ou havre est situé » (LMC, art 4e) et f)).

[66] Le pouvoir de l’APVF d’autoriser certaines activités dans le port de Vancouver découle de l’article 28 de la LMC, qui autorise expressément une administration portuaire à « exploiter » son port et, sous réserve des lettres patentes, à exercer les activités portuaires énoncées au paragraphe 28(2) de la LMC. Il ne fait aucun doute que GCT a besoin de l’autorisation de l’APVF pour mettre en œuvre le projet DP4. En outre, le Règlement ne définit pas les procédures à suivre pour qu’un demandeur puisse faire examiner son projet par l’administration portuaire. L’APVF est plutôt habilitée à mettre en place ses propres procédures d’évaluation et d’examen des projets. Ses lettres patentes prévoient ce qui suit : « Pour exploiter le port, l’[APVF] peut se livrer aux activités portuaires mentionnées à l’alinéa 28(2)a) de la [LMC] », ce qui peut inclure « [l’]élaboration, [l’]application, [le] contrôle d’application et [la] modification de règles, d’ordonnances, de règlements administratifs, de pratiques et de procédures [ainsi que la] délivrance et [l’]administration de permis concernant l’utilisation, l’occupation ou l’exploitation du port » [non souligné dans l’original].

[67] Une administration portuaire est gérée par un conseil d’administration dont les administrateurs « doivent être reconnus comme chefs de file dans le monde des affaires ou l’industrie des transports » (LMC, art 15(1), 15(2) et 20). Les administrateurs doivent agir « avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de l’administration portuaire » (LMC, art 22(1)a)). Le code de déontologie de l’APVF (annexe E de ses lettres patentes – Certificat de fusion d’administrations portuaires (ministère des Transports), Décret CP 2007-1885, art 5.1) [code de déontologie], régit la conduite des administrateurs de l’APVF. Toutefois, ni la LMC, ni le Règlement, ni les lettres patentes ne prescrivent qui, au sein de l’APVF, doit prendre la décision d’autoriser la construction d’un nouveau projet (Communities and Coal Society c Canada (Procureur général), 2018 CF 35 aux paras 45-46 [Communities and Coal Society]; Carltona Ltd v Commissioners of Works and Others, [1943] 2 All ER 560).

[68] Avant l’adoption de la LEI, l’APVF disposait de pouvoirs d’évaluation environnementale aux termes de l’article 67 de la LCEE. Avec l’entrée en vigueur de la LEI, l’APVF, en tant qu’« autorité fédérale », ne peut exercer ses pouvoirs d’autorisation que conformément à la LEI et, comme l’indique l’article 8 de la LEI, il est interdit à l’APVF d’agir à l’égard d’une proposition de projet avant que le projet soit approuvé dans le cadre de la procédure de la LEI. En outre, et indépendamment des approbations au titre de la LCEE, désormais abrogée, ou de la nouvelle LEI, et d’une myriade d’autres lois fédérales, ainsi que de l’autorisation de la Première Nation Tsawwassen pour les activités menées sur ses terres ou ses lots d’eau, l’autorisation du MPO serait requise au titre de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14, pour les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’habitat du poisson.

VIII. Questions en litige

[69] La présente demande soulève trois questions :

  1. La présente demande est-elle théorique ou prématurée compte tenu de l’annulation de la décision de mars 2019 et de l’abrogation de la LCEE en faveur de l’adoption de la LEI?

  2. L’APVF a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en rendant une décision entachée d’une impartialité inadmissible?

  3. La Cour a-t-elle compétence pour faire droit à la réparation demandée par GCT?

IX. Norme de contrôle

[70] En ce qui concerne la deuxième question en litige, les questions d’équité procédurale ne sont pas tranchées selon une norme de contrôle particulière. La déférence n’a pas sa place dans l’analyse, et la Cour doit être pleinement et indépendamment convaincue que l’équité procédurale a été respectée et que le processus décisionnel était équitable, compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]; Angara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 376 au para 23 [Angara]).

X. Analyse

A. Question préliminaire : la demande de contrôle judiciaire est-elle théorique et prématurée?

[71] L’APVF reprend devant moi les questions débattues devant la protonotaire Furlanetto lors de sa précédente requête en radiation et soulève les questions du caractère théorique et de la prématurité comme questions préliminaires. L’administration portuaire affirme que la décision de septembre 2019 a annulé la décision de mars 2019 et que la décision de mars 2019, qu’elle soit viciée ou non, n’empêche plus GCT de présenter sa DRPP pour le projet DP4. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de rendre une ordonnance de la nature d’un certiorari étant donné que la décision de septembre 2019 a déjà annulé la décision de mars 2019. L’affaire est donc théorique puisque la mesure de réparation demandée par GCT n’a pas d’effet pratique.

[72] L’APVF affirme également que la présente demande est prématurée pour deux raisons : premièrement, et bien qu’elle y ait été invitée, GCT a refusé de présenter à l’APVF des observations sur la partialité et ne peut donc plus soulever cette question dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En outre, l’APVF affirme que, comme GCT n’a pas réengagé le processus d’EEP après la décision de septembre 2019, elle ne dispose d’aucune demande en cours devant l’APVF visant l’obtention d’une décision d’autorisation, et qu’avec l’abrogation de la LCEE et l’adoption de la LEI, le pouvoir de l’APVF d’exercer des attributions ou d’accomplir des tâches ou des fonctions est réduit.

[73] Si je mets de côté la question de l’autorité de la chose jugée soulevée par GCT, je dois me ranger à l’avis de la protonotaire Furlanetto (2020 CF 348) et du juge Phelan (2020 CF 1062), lequel a maintenu la décision de la protonotaire en refusant d’annuler la demande de GCT : après avoir examiné le critère établi dans l’arrêt Borowski sur la question du caractère théorique, la protonotaire Furlanetto et le juge Phelan ont tous deux estimé que la question de la partialité imprègne l’ensemble du débat entre les parties ainsi que le maintien de leur relation en ce qui concerne le projet DP4. Le juge Phelan a résumé les préoccupations de GCT en matière de partialité de la manière suivante : « [c]omment [le] projet [de GCT] peut‑il être traité de manière juste et impartiale compte tenu de la préférence évidente de l’APVF pour son propre projet? » Le fait que l’APVF ait annulé sa décision de mars 2019 ne fait pas disparaître les préoccupations de partialité de GCT, peu importe le changement du paysage législatif.

[74] GCT continue de soutenir que l’APVF ne peut pas écarter la partialité qui transpire de la décision de mars 2019 en prenant la décision tactique de l’« annuler » avec la décision de septembre 2019. En outre, il ne s’agit pas, comme dans les affaires 0769449 BC Ltd (Kimberly Transport) c Vancouver Fraser (Administration portuaire), 2016 CF 645, et Kozel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 593, invoquées par l’APVF, d’une situation où la modification de la législation a transféré le pouvoir d’accorder des licences d’accès aux locaux du port de Vancouver de l’APVF à un autre organe administratif, ou encore d’une situation où la modification de la législation a entraîné la fin du statut juridique d’un demandeur. En l’espèce, la modification législative n’a pas transféré de responsabilité en matière d’autorisation de l’APVF à un autre organe administratif. L’APVF doit toujours procéder à l’examen du projet DP4 dans le cadre de son processus d’EEP avec le pouvoir d’autoriser les tâches inhérentes à la construction et à l’exploitation proprement dites du projet, même s’il est vrai qu’elle ne le fait désormais qu’après l’examen effectué au titre de la LEI. En d’autres termes, indépendamment de la LEI nouvellement promulguée, GCT avait toujours besoin de l’approbation de l’administration portuaire pour poursuivre le projet. Par conséquent, la décision de ne pas accepter la DRPP dans le cadre du processus d’EEP est au cœur de l’allégation de partialité de GCT. En outre, l’allégation de prématurité découle de l’annulation apparente de la décision de mars 2019. Or, si les préoccupations de GCT en matière de partialité sont valables, une conclusion en ce sens influencerait certainement toute décision concernant la question de savoir si l’APVF a manipulé la théorie de la prématurité avec sa décision de septembre 2019 pour se protéger de tout contrôle judiciaire, et ainsi « déjouer le système ».

[75] En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours et l’argument selon lequel GCT a contourné la compétence principale de l’APVF en ne soulevant pas d’abord la question de la partialité auprès de l’APVF (Chopra c Canada (Procureur général), 2013 CF 644 au para 66; Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CAF 81 au para 6 [Lin]), j’accepte le principe général de non-ingérence dans les processus administratifs en cours, sous réserve de circonstances exceptionnelles, et j’admets que les préoccupations relatives à l’équité procédurale ou à la partialité ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner un processus administratif tant que ce processus permet de soulever les questions et d’accorder une réparation efficace (Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 au para 33 [CB Powell Limited]). Toutefois, comme la protonotaire Furlanetto, je n’ai pas été convaincu qu’il existait une voie de recours ou une procédure adéquate pour que l’APVF, en tant qu’organisme non juridictionnel chargé de la responsabilité commerciale et opérationnelle de la gestion du port de Vancouver, se penche sur sa propre partialité, et je suis d’avis qu’une correspondance non officielle était tout simplement une procédure inadéquate dans les circonstances.

[76] Je reconnais également que le critère applicable à la requête en radiation de l’avis de demande dont était saisie la protonotaire Furlanetto est plus élevé (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc (CA), [1995] 1 CF 588 à la p 600) – critère auquel l’APVF n’a tout simplement pas satisfait – et, par conséquent, le prisme à travers lequel je devrais examiner les questions du caractère théorique et de la prématurité est différent. Cependant, le problème fondamental reste le même, c.-à-d. que les préoccupations de GCT en matière de partialité ont des répercussions directes sur la manière dont ces deux questions doivent être évaluées.

[77] Dans ces circonstances, il reste une question manifestement litigieuse entre les parties et, comme l’a déclaré la protonotaire Furlanetto, « [l]es faits énoncés dans la demande soulèvent des questions quant à la capacité de l’administration portuaire à s’acquitter de ses obligations prévues par la loi et quant à sa responsabilité si elle n’est pas en mesure de le faire. Ces allégations subsisteront jusqu’à ce qu’elles soient évaluées par la Cour ». Je suis d’accord, et la situation présentée à la protonotaire Furlanetto et au juge Phelan – ainsi qu’à la Cour d’appel fédérale, bien que seule la question de la prématurité ait été soulevée en appel – existe toujours et, comme l’a déclaré le juge Phelan, il serait inutile d’obliger GCT à déposer une nouvelle DRPP contenant la même demande de base pour l’approbation du projet et de « se retrouver dans la même position que celle qui nous occupe ». La question de la partialité doit être examinée.

B. L’APVF a-t-elle violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en rendant une décision entachée de partialité et en frustrant les attentes légitimes de GCT en ce qui concerne l’examen de sa DRPP?

[78] Il ne fait aucun doute que « [t]out corps administratif, quelle que soit sa fonction, est tenu d’agir équitablement envers les personnes assujetties à la réglementation, sur les intérêts desquelles il est appelé à statuer » (Newfoundland Telephone Co c Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 RCS 623 à la p 636 [Newfoundland Telephone]).

[79] L’évaluation du contenu de l’équité procédurale effectué par la Cour doit être guidée par les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Angara, au para 23). Comme l’a déclaré la juge L’Heureux-Dubé, le concept d’équité procédurale est souple et variable, car il n’existe pas de règle fixe pour déterminer les exigences applicables dans un cas donné. Il existe plusieurs facteurs dans l’analyse du spectre qui sont pertinents pour déterminer le contenu de l’obligation de common law en matière d’équité procédurale dans un ensemble donné de circonstances (Baker, aux para 21‑22). Sans être exhaustifs, ces facteurs comprennent ce qui suit (Baker, aux para 23‑28) :

i. la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

ii. la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme administratif en question;

iii. l’importance de la décision pour les personnes visées – plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus les répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses;

iv. les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

v. les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même, particulièrement quand la loi permet au décideur de choisir ses propres procédures.

[80] En outre, la common law reconnaît depuis longtemps que la partialité d’un décideur administratif érode tout sentiment d’équité procédurale, ce qui à son tour a une incidence négative sur l’obligation d’agir équitablement qui s’applique à tous les organes administratifs. Dans l’arrêt Newfoundland Telephone, la Cour suprême du Canada a exposé la question comme suit à la page 636 :

Bien que tous les corps administratifs soient soumis à l’obligation d’agir équitablement, l’étendue de cette obligation tient à la nature et à la fonction du tribunal en question. Voir Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602. L’obligation d’agir équitablement comprend celle d’assurer aux parties l’équité procédurale, qui ne peut tout simplement pas exister s’il y a partialité de la part d’un décideur. Il est évidemment impossible de déterminer exactement l’état d’esprit d’une personne qui a rendu une décision d’une commission administrative. C’est pourquoi les cours de justice ont adopté le point de vue que l’apparence d’impartialité constitue en soi un élément essentiel de l’équité procédurale. Pour assurer l’équité, la conduite des membres des tribunaux administratifs est appréciée par rapport au critère de la crainte raisonnable de partialité. Ce critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur.

[Non souligné dans l’original.]

[81] La nécessité d’analyser le spectre ou le contenu pour établir la portée de l’obligation d’équité procédurale a également été soulignée dans l’arrêt Newfoundland Telephone, où le juge Cory a déclaré ce qui suit :

De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement judiciaires devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C’est‐à‐dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l’autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C’est le cas notamment de celles qui s’occupent de questions d’urbanisme et d’aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l’habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l’affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commission [sic] administratives qui s’occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l’application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

[Non souligné dans l’original.]

[82] Dans l’arrêt Assoc. des résidents du vieux St-Boniface inc. c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170 [Vieux St-Boniface], la Cour suprême a déclaré que « [l]es règles exigeant qu’un tribunal administratif fasse preuve d’ouverture d’esprit et qu’il soit, en fait et en apparence, exempt de partialité font partie du principe audi alteram partem auquel est assujetti tout décideur » (Vieux St-Boniface, à la p 1190). En outre, le juge Sopinka a défini, à la page 1197, la norme permettant de déterminer s’il y a étroitesse d’esprit :

À mon avis, le critère qui se concilie avec les fonctions d’un conseiller municipal et qui permet à ce dernier de remplir ses fonctions politiques et législatives est celui qui exige que les tenants de l’un ou l’autre point de vue soient entendus par des conseillers qu’il est possible de convaincre. Le législateur n’a pu vouloir qu’une audition se tienne devant un organisme qui a déjà pris une décision irrévocable. La partie qui allègue la partialité entraînant l’inhabilité doit établir que l’affaire a en fait été préjugée, de sorte qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté. Les déclarations de conseillers individuels, bien qu’elles puissent fort bien créer une apparence de partialité, ne satisfont au critère que si la cour conclut qu’elles sont l’expression d’une opinion finale et irrévocable sur la question. Il importe de se rappeler à ce propos que ni le fait d’appuyer une mesure devant un comité ni le fait de voter en faveur de cette mesure ne constituera, en l’absence d’une indication du caractère définitif de la position prise, une preuve de partialité entraînant l’inhabilité. La conclusion contraire rendrait inhabiles la majorité des conseillers à l’égard de toutes les questions qui sont décidées dans le cadre d’assemblées publiques au cours desquelles les opposants à une mesure ont le droit de se faire entendre.

[Non souligné dans l’original.]

[83] En d’autres termes, conformément à l’analyse du spectre quant à la teneur de la portée de l’équité procédurale, il faut s’attendre à un certain niveau de préjugement de la part des décideurs dans certaines circonstances, et il est acceptable dans la mesure où il n’équivaut pas à de l’intransigeance, soit à une fermeture de l’esprit au point que le décideur ne peut plus être convaincu d’autre chose.

[84] Dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureur général), 2015 CSC 25 [Commission scolaire francophone du Yukon], la Cour suprême du Canada a noté que l’objectif du critère de la crainte raisonnable de partialité « est d’assurer non seulement l’existence, mais l’apparence d’un processus décisionnel juste » et que la question de la partialité est donc « inextricablement liée au besoin d’impartialité » (au para 22). Plus précisément, en ce qui concerne le pouvoir judiciaire, les soupçons, les conjectures ou les possibilités de partialité ne suffisent pas. Le critère de la crainte raisonnable de partialité exige une « réelle probabilité de partialité » (Commission scolaire francophone du Yukon, au para 25, renvoyant à Arsenault-Cameron c Île-du-Prince-Édouard, [1999] 3 RCS 851).

[85] Cela dit, et comme cela est expliqué dans l’arrêt Baker, il faut également tenir compte du régime législatif, qui est la source de la légitimité du décideur, pour déterminer la nature de l’obligation d’équité dans le cadre d’une décision administrative précise (Baker, au para 24). Ainsi, en se penchant sur la question de la partialité, les cours de justice doivent également prendre en compte le processus particulier en question :

[traduction]
En droit administratif, il ne s’agit pas simplement de savoir si le décideur administratif a un parti pris. Il s’agit également de savoir si la partialité du décideur est autorisée par la loi. Il est important de faire cette distinction. Ne pas en tenir compte donnerait lieu à un catalogage inapproprié des processus administratifs, où les régimes administratifs individuels sont jugés selon des normes générales plutôt que selon les normes appropriées au processus particulier en cause.

[Non souligné dans l’original.]

(Robert W. Macaulay et James L.H. Sprague, Hearings Before Administrative Tribunals, 5e éd. (Toronto : Thomson Reuteurs, 2016), p. 39-5 - 39-6).

[86] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd c Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52 aux paragraphes 20, 22 et 42 [Ocean Port Hotel] :

[20] [...] Il est de jurisprudence constante que, en l’absence de contraintes constitutionnelles, le degré d’indépendance requis d’un décideur ou d’un tribunal administratif est déterminé par sa loi habilitante. C’est la législature ou le Parlement qui détermine le degré d’indépendance requis des membres d’un tribunal administratif. Il faut interpréter la loi dans son ensemble pour déterminer le degré d’indépendance qu’a voulu assurer le législateur.

[…]

[22] Toutefois, comme pour tous les principes de justice naturelle, le degré d’indépendance requis des membres du tribunal administratif peut être écarté par les termes exprès de la loi ou par déduction nécessaire. […]

[…]

[42] En outre, en l’absence de contrainte constitutionnelle, il est toujours loisible au législateur d’autoriser un cumul de fonctions qui contrevient par ailleurs à la règle de l’impartialité. […]

[Non souligné dans l’original.]

[87] Compte tenu des paramètres de la LMC, j’estime que, dans son rôle réglementaire et décisionnel, l’APVF se situe, pour reprendre les termes de l’arrêt Newfoundland Telephone, « [à] l’autre extrémité »« la norme [d’équité procédurale] est nettement moins sévère » et où, pour contester une décision pour des raisons de partialité, GCT doit établir « que l’affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire » (Newfoundland Telephone, à la p 638; Vieux St-Boniface, à la p 1197).

[88] Cela dit, le législateur peut autoriser un chevauchement des fonctions qui, autrement, serait contraire à la règle de partialité de la common law. Comme l’a déclaré la Cour suprême à la page 310 de l’arrêt Brosseau c Alberta Securities Commission, [1989] 1 RCS 301 [Brosseau] :

Les tribunaux administratifs sont créés pour diverses raisons et pour répondre à divers besoins. Lorsqu’il établit ces tribunaux, le législateur est libre de choisir la structure de l’organisme administratif. Il déterminera, entre autres, sa composition et les degrés de formalité requis pour son fonctionnement. Dans certains cas, il estimera souhaitable, pour atteindre les objectifs de la loi, de permettre un chevauchement de fonctions qui, dans des procédures judiciaires normales, seraient séparées. Dans l’appréciation des activités de tribunaux administratifs, les cours doivent tenir compte de la nature de l’organisme créé par le législateur. Si la loi autorise un certain degré de chevauchement de fonctions, ce chevauchement, dans la mesure où il est autorisé, n’est généralement pas assujetti per se à la théorie de la « crainte raisonnable de partialité ».

[Non souligné dans l’original.]

[89] GCT fait valoir que la question faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire ne concerne pas une éventuelle partialité structurelle admissible en raison du chevauchement des rôles de l’APVF prévus par la loi – auquel cas s’appliquerait, selon elle, l’arrêt Ocean Port Hotel –, mais plutôt une partialité réelle, où le décideur a l’esprit fermé et un intérêt direct dans l’affaire par la manière dont il a traité le projet DP4. GCT affirme que la [traduction] « poursuite acharnée du projet concurrent » de l’APVF a compromis la capacité de celle‑ci à évaluer objectivement le projet DP4. En résumé, GCT affirme que l’APVF, en tant que propriétaire, organisme de réglementation et promoteur, a fermé son esprit et ne peut pas examiner équitablement le projet DP4 et que, par conséquent, tout examen de son projet ne peut pas se poursuivre dans le cadre de la structure existante en raison d’une réelle partialité ou, du moins, d’une crainte raisonnable de partialité.

[90] Le procureur général du Canada n’a pas présenté d’observations sur la question de la partialité. En ce qui concerne la question d’une éventuelle partialité structurelle, l’APVF affirme qu’aucune disposition de la LMC, des lettres patentes ou des règlements n’oblige l’APVF à confier les activités réglementées dans le port de Vancouver à des exploitants tiers ou s’en remettre à des exploitants pour réaliser les objectifs opérationnels et de gestion à long terme fixés par l’APVF. Elle fait valoir que la structure décisionnelle en place est déterminée par la législation en vigueur et que, par conséquent, en l’absence de contraintes constitutionnelles, il était loisible au législateur d’autoriser un chevauchement des fonctions qui contreviendrait par ailleurs à la règle de l’impartialité. Par conséquent, selon l’APVF, même lorsque le cumul des fonctions conférées à une administration portuaire aux termes de la LMC « contrevien[drait] par ailleurs à la règle de l’impartialité, il est fort possible que cette structure ait été autorisée par la [LMC], à l’époque pertinente » (Ocean Port Hotel, aux paras 42 et 43) et que, par conséquent, le régime législatif de la LMC écarte l’obligation d’équité procédurale de la common law en l’espèce (Ocean Port Hotel, aux paras 20, 22 et 42; Démocratie en Surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CF 1290 aux para 5 et 128).

[91] Je suis d’accord avec l’APVF sur la question de la partialité structurelle. GCT définit la partialité comme une fermeture d’esprit et un refus de prendre une décision juste et rationnelle qui repose sur des considérations objectives fondées sur la preuve, et plutôt la prise d’une décision sur le fondement de questions tranchées à l’avance par l’APVF. Toutefois, comme dans l’affaire Vieux St‑Boniface, lorsqu’il y a, comme en l’espèce, un chevauchement des fonctions du décideur créées par la loi, y compris un rôle commercial et réglementaire, je pense qu’il faut s’attendre à ce que « un certain degré de préjugé [soit] inhérent » au processus décisionnel (Vieux St-Boniface, à la p 1196). Tout au long des observations qu’elle a présentées devant moi, GCT a habilement tenté de contourner ce problème épineux, à savoir que l’APVF a été créée en tant qu’instance non juridictionnelle, axée sur une exploitation commerciale et financièrement viable, et elle n’a jamais correctement abordé le point de l’analyse du spectre de l’équité procédurale où l’APVF, dans sa conduite ou ses manquements, a franchi le Rubicon, en passant de la partialité structurelle admissible à la partialité inadmissible. GCT s’est contentée d’affirmer que les indices de partialité qu’elle soulignait constituaient la preuve d’une partialité réelle.

[92] Le régime législatif créé par le législateur confie explicitement à l’APVF des fonctions qui se chevauchent : l’APVF est l’exploitant commercial du port de Vancouver, administration portuaire opérationnelle dont l’objectif est de gérer le port de Vancouver conformément aux activités portuaires définies à l’article 28 de la LMC en administrant, en occupant et en détenant des biens-fonds portuaires. Parallèlement, l’APVF agit en tant qu’organisme de réglementation chargé, entre autres, d’élaborer un plan d’utilisation des terres qui peut réglementer l’utilisation des biens qu’elle gère, détient et occupe, et d’autoriser certaines activités dans le port (paragraphes 28(1), 44(2) et 44(6) et articles 45 et 48 de la LMC; articles 20 à 28 du Règlement; article 3.2 des lettres patentes). La détermination du niveau d’impartialité attendu du décideur découle de la loi qui l’a créé et, dans le cas de la LMC, il s’agit d’un équilibre trouvé par le législateur entre des intérêts concurrents : d’une part, ce que l’on attend normalement d’un décideur totalement indépendant et, d’autre part, l’indépendance totale requise dans le processus décisionnel et l’engagement dans la planification stratégique à long terme afin de développer et de gérer une exploitation portuaire commercialement durable. L’APVF est libre d’exploiter elle-même les terminaux dans le port ou de louer le bien-fonds à des exploitants commerciaux tiers tels que GCT. En bref, en adoptant le régime législatif de la LMC, le législateur a choisi de confier à l’APVF tous ces rôles, qui ne peuvent être cloisonnés.

[93] Par conséquent, je suis conscient que, tout au long du processus décisionnel, il faut s’attendre à un certain niveau de préjugé de la part des dirigeants de l’APVF, qui sont avant tout des gens d’affaires chargés de prendre des décisions dans le cadre de la planification du développement à long terme et continu du port de Vancouver – un tel « préjugé » serait structurel et une conséquence du cumul des fonctions opérationnelles prévues par la loi de l’APVF. Je tiens à souligner que GCT n’a jamais vraiment contesté ce qui pourrait être un certain niveau de partialité structurelle autorisée de la part des dirigeants de l’APVF, et je vais examiner les arguments de GCT sur la partialité réelle à travers ce prisme.

[94] Je dois également mentionner que l’APVF a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’autoriser des activités qui sont incompatibles avec ses plans de développement à long terme et, selon son opinion que je juge raisonnable, avec les intérêts commerciaux du port de Vancouver. GCT affirme que la totalité du risque économique du projet RBT2 incombe pour l’instant à l’APVF. Cela peut être vrai, mais, bien que le projet RBT2 soit développé par l’APVF en tant que promoteur du projet – ce qui est normalement le cas pour les grands projets de développement de nouvelles infrastructures –, la preuve indique que l’APVF a l’intention de trouver, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres en cours, un locataire commercial tiers pour le projet RBT2 pour l’exploitation du nouveau terminal et, en fait, comme je l’ai mentionné précédemment, GCT avait demandé à être l’exploitant du terminal pour le projet RBT2. Je n’accepte pas l’argument de GCT selon lequel le fait que la totalité du risque économique pour le projet RBT2 repose actuellement sur l’APVF ait à voir avec la question de la partialité. Il se peut que, dans des circonstances optimales, on s’attende à ce qu’il y ait déjà un exploitant, un bail et une certaine structure opérationnelle avant la construction. Toutefois, le processus visant à trouver un exploitant commercial tiers pour le projet RBT2 se poursuit pour l’APVF, et je ne vois rien qui puisse indiquer qu’un tel exploitant ne sera pas trouvé avant le début de la construction du projet, même en supposant que la confirmation du choix d’un exploitant de terminal tiers soit nécessaire d’ici là. Quoi qu’il en soit, rien n’indique que, tout au long de ses relations avec GCT dans le cadre du projet DP4, l’APVF ait agi à un titre qui n’était pas autorisé par la législation en vigueur ou par ses lettres patentes. Même si l’on peut affirmer que le chevauchement des structures fonctionnelles prévu par la LMC crée une crainte raisonnable de partialité lorsque les administrations portuaires assument leur rôle d’organisme de réglementation, le législateur avait la possibilité de créer des administrations portuaires comme il l’a fait dans la LMC.

[95] Cela dit, dans l’arrêt Brosseau, la Cour suprême n’a pas fermé la porte à une conclusion de partialité réelle lorsqu’il y a cumul de fonctions assumées par le décideur. En d’autres termes, une structure de chevauchement créée par la loi n’équivaut pas à un laissez-passer permettant de tirer une conclusion de partialité réelle. Le fait que le législateur ait créé une structure de chevauchement qui, en soi, peut assurer l’indépendance de l’organisme décisionnel tout en permettant un certain niveau de partialité structurelle de sa part ne met pas cet organisme à l’abri d’une conclusion de partialité inadmissible dans l’exercice de sa fonction décisionnelle. J’utilise l’expression « partialité inadmissible » parce que je reconnais que la LMC, en conférant aux administrations portuaires des rôles qui se chevauchent – elles sont mandatées pour exploiter commercialement leurs ports d’une manière financièrement durable, agir en tant que promoteurs dans le cadre de projets de travaux majeurs, et gérer la communication externe avec les parties prenantes et les sensibiliser –, ne peut être interprétée que comme tolérant un degré moindre d’impartialité dans sa fonction réglementaire par rapport à une instance juridictionnelle traditionnelle, dont le rôle est d’agir en tant qu’arbitre entre deux positions concurrentielles. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Ocean Port Hotel, « le degré d’indépendance requis d’un décideur ou d’un tribunal administratif est déterminé par sa loi habilitante », qu’il faut « interpréter […] dans son ensemble pour déterminer le degré d’indépendance qu’a voulu assurer le législateur » (Ocean Port Hotel, au para 20). GCT ne prétend pas le contraire, mais affirme simplement que l’APVF était réellement partiale, à savoir qu’elle agissait même en deçà de tout degré inférieur d’indépendance ou de partialité admissible que le législateur aurait pu autoriser en promulguant la LMC.

[96] GCT affirme que l’APVF n’a jamais pris en considération sa DRPP, qui a été présentée le 5 février 2019, parce que l’APVF – organisme de réglementation en conflit d’intérêts – a laissé son penchant pour son propre projet obscurcir et supplanter ses obligations réglementaires. Dans le cas de fonctions qui se chevauchent, comme les pouvoirs conférés à l’APVF par la LMC, je soupçonne que l’administration portuaire sera toujours, dans une certaine mesure, en conflit d’intérêts lorsqu’elle jouera son rôle d’organisme de réglementation, étant donné qu’elle joue ce rôle en portant également la casquette d’exploitant portuaire, et qu’elle doit notamment tenir compte de ses plans à long terme pour le développement du port. Je pense qu’il s’agit de ce que les parties appellent la partialité structurelle, c.-à-d. l’assouplissement des principes de common law en matière d’équité procédurale prévu par la loi et autorisé par l’arrêt Brosseau. Toutefois, ce que la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Brosseau c’est que lorsqu’un décideur exerce des fonctions qui se chevauchent dans la mesure autorisée par la loi, ce chevauchement n’est généralement pas assujetti à la doctrine de la crainte raisonnable de partialité. Il me semble donc que l’interprétation législative seule ne mettra pas dans tous les cas un décideur à l’abri d’une conclusion de partialité réelle et inadmissible lorsqu’il exerce des fonctions qui se chevauchent. En d’autres termes, bien que l’APVF soit un organisme de réglementation ayant une préférence acceptable, elle ne peut pas permettre à cette préférence d’obscurcir et de remplacer ses obligations réglementaires, plus précisément la nécessité de respecter le degré de justice naturelle et d’équité procédurale exigé par les circonstances.

[97] Il est donc nécessaire d’examiner les indices qui, selon GCT, démontrent une partialité réelle et inadmissible ou, à tout le moins, démontrent qu’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de l’APVF dans l’exercice de sa fonction décisionnelle, autre que celle qui est structurellement permise. GCT affirme que les indices de partialité de la part de l’APVF sont clairs et que, quoi qu’il en soit, l’APVF a violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale lorsqu’elle a refusé d’agir conformément aux attentes légitimes de GCT en ne traitant pas sa DRPP conformément au processus d’EEP et au Guide. L’APVF conteste quant à elle ce que GCT appelle les indices de partialité, affirmant que ces « indices » n’établissent en aucune façon, ni même ne tendent à indiquer, une partialité de sa part.

(1) L’APVF a-t-elle fait preuve d’une partialité inadmissible en ayant un esprit fermé à l’égard du projet DP4?

[98] Comme l’a résumé le juge Pentney dans son ordonnance du 17 juin 2021, « [p]our l’essentiel, la version modifiée de l’avis de demande de contrôle judiciaire de GCT s’articule autour de l’argument selon lequel l’APVF manifeste clairement sa partialité effective à l’endroit de GCT dans ses deux lettres de décision : celle de mars 2019, dans laquelle elle expose son refus d’étudier le projet de GCT, comme celle de septembre 2019, où elle revient sur ce refus antérieur ». Plus précisément, GCT expose une série de faits primaires qui, selon elle, sont des éléments qui démontrent la partialité réelle de l’APVF, ainsi que la tentative de cette dernière de bloquer et de saper tout examen objectif du projet DP4, le point culminant de cette tentative étant la décision de mars 2019. Elle ajoute que cette partialité rend nul tout ce que l’APVF a pu faire par la suite pour tenter de redresser la barre, en particulier la décision de septembre 2019.

[99] GCT fait valoir que les éléments de partialité réelle qu’elle soulève sont mis en évidence dans les décisions de mars et de septembre 2019 elles‑mêmes, dans la manière dont ces décisions ont été orchestrées et dans la préférence déclarée de l’APVF pour le projet RBT2 par rapport au projet DP4. J’examinerai les arguments de GCT concernant chacun des indices recensés de la partialité dont aurait fait preuve l’APVF.

(a) Les décisions de mars et de septembre 2019, la manière dont elles ont été prises et les déclarations qui y ont été faites reflétaient-elles une réelle partialité ou même une crainte raisonnable de partialité de la part de l’APVF?

[100] Sur le plan chronologique, rien ne prouve que GCT ait considéré que l’APVF avait fait preuve de partialité à l’encontre du projet DP4 avant la décision de mars 2019. GCT a concédé devant moi que la preuve qui se rapporte le plus à cette question avait été présentée lors du contre-interrogatoire de M. Doron Grosman, président et directeur général de GCT. Celui‑ci avait déclaré que GCT savait que l’APVF devrait examiner une « myriade de facteurs » après la réception de la DRPP.

[101] Dans la décision de mars 2019 – que GCT appelle la [traduction] « déclaration initiale de partialité » – l’APVF a exposé le contexte et l’historique de l’agrandissement des terminaux à conteneurs dans le port de Vancouver, et plus précisément au terminal Deltaport, et le fait que le projet RBT2 est en cours de planification depuis 2013. L’administration portuaire a souligné qu’elle prévoit augmenter la capacité du côté ouest du terminal existant, dans des eaux plus profondes, comme le MPO l’a encouragée à le faire en 2003, et a noté que le document de justification actualisé du projet RBT2, déposé en 2018, indiquait (1) que le MPO interdisait toute bonification des terres à l’intérieur du terminal Deltaport, et (2) qu’une saine concurrence au sein du port serait encouragée. En ce qui concerne les études environnementales antérieures, l’APVF a rappelé que l’un des facteurs déterminants de la recommandation finale du projet DP3, qui est devenu opérationnel en 2010, était la réduction de la superficie au sol du projet, qui minimisait les effets potentiels sur les habitats actuels du poisson et des animaux sauvages. Par conséquent, l’APVF a confirmé qu’elle préférait le projet RBT2 pour augmenter la capacité du port afin de répondre à l’accroissement de la demande. Bien que l’APVF ait décidé de ne pas procéder à l’examen de la DRPP de GCT pour le projet DP4 à ce moment-là, notamment parce que le calendrier de développement proposé pour le projet DP4 entrerait en conflit avec la mise en œuvre de la capacité du projet RBT2, elle n’a pas fermé la porte à un examen futur du projet DP4 comme projet ultérieur d’accroissement supplémentaire de la capacité.

[102] GCT prétend que les motifs donnés par l’APVF pour justifier la décision de mars 2019 sont sans fondement, car ils reposent sur ce que GCT appelle une mauvaise interprétation par l’APVF des lettres du MPO de 2003 et sur des préoccupations relatives à la concurrence formulées de manière vague. L’essentiel de l’argument de GCT est que les motifs donnés, la manière stratégique dont les décisions ont été orchestrées et le fait que l’APVF a déclaré que le projet RBT2 était le projet qu’elle préférait sans avoir d’abord procédé à un examen en bonne et due forme du projet DP4 ne peuvent que conduire à une conclusion de partialité de la part de l’APVF dans l’exercice de sa fonction décisionnelle relativement au projet DP4. Je vais maintenant aborder chacune de ces questions.

(i) Motifs donnés

[103] GCT affirme que les déclarations contenues dans la décision de mars 2019 pour justifier le décision de refuser même d’examiner la DRPP, en particulier en ce qui concerne l’effet des lettres du MPO de 2003 et les préoccupations du MPO en matière de concurrence, démontrent à la fois une fermeture d’esprit quant à l’exercice objectif d’une fonction décisionnelle prévue par la loi concernant le projet DP4 et une intention de déformer et d’embellir les faits pour justifier la fermeture d’esprit de l’APVF.

1. La notion d’interdiction

[104] En ce qui concerne le premier motif, la décision de mars 2019 indique ce qui suit :

[traduction]
À Roberts Bank, l’agrandissement du terminal à conteneurs du terminal Deltaport actuel n’est pas envisageable pour deux raisons principales. Tout d’abord, le [MPO] a interdit toute nouvelle bonification des terres à l’intérieur du terminal Deltaport, en raison de la sensibilité de l’environnement. Le graphique ci-dessous montre qu’un nouvel agrandissement du terminal Deltaport devrait être construit presque entièrement dans l’habitat intertidal sensible de la zone se situant autour de la route en remblai.

[Non souligné dans l’original.]

[105] En ce qui concerne les lettres du MPO de 2003, GCT fait valoir que l’APVF savait que l’affirmation figurant dans le document de justification actualisé du projet RBT2 et qu’elle avait soulignée dans la décision de mars 2019, à savoir que le MPO avait interdit la bonification des terres à l’intérieur du terminal Deltaport – soit la zone proposée pour le projet DP4 –, était tout simplement fausse et qu’une telle affirmation est une preuve supplémentaire de son parti pris contre le projet DP4. Pour comprendre la position de GCT, un peu de contexte s’impose.

[106] Comme on l’a vu précédemment, le projet T2 parrainé par l’APVF a été suspendu en 2006 au profit de la version réduite du projet DP3, qui a été mené à terme. Toutefois, le projet qui allait devenir le projet RBT2 est resté à l’étude en vue d’un agrandissement futur après l’achèvement du projet DP3. Quand le projet DP3 est devenu opérationnel en janvier 2010, l’APVF s’est à nouveau penchée sur le développement d’un nouveau terminal à Roberts Bank, préférant le développer dans des eaux plus profondes, à l’ouest de la route en remblai, comme l’avait recommandé le MPO en 2003. Ayant suffisamment fait avancer le projet, l’APVF a entamé le processus d’examen du projet RBT2 en 2013 et a déposé en mars 2015 son évaluation d’impact environnemental aux fins d’examen par le gouvernement fédéral.

[107] À peu près à la même époque, GCT a commencé à discuter du développement du projet DP4 avec l’administration portuaire. Compte tenu du rôle de l’APVF en tant que promoteur du projet RBT2 et de son rôle simultané de contrôleur en matière de réglementation pour le projet DP4, le conseil d’administration de l’APVF a exigé, lors d’une réunion tenue le 31 mars 2015, à laquelle les dirigeants de l’APVF étaient également présents, qu’elle fasse preuve de transparence et d’objectivité à l’égard du projet DP4. À la suite d’une présentation PowerPoint du projet d’agrandissement de GCT au terminal Deltaport que l’un des dirigeants de l’APVF a donnée devant le conseil d’administration de l’APVF, ainsi qu’un résumé de l’évaluation préliminaire de la proposition de GCT par la direction de l’APVF, le conseil a noté qu’il était essentiel que l’APVF ait « un esprit ouvert » lors de son évaluation de la proposition de GCT, conformément aux exigences du processus d’EEP et aux obligations prévues par la loi qui incombent à l’administration portuaire.

[108] En janvier 2017, GCT a fait une présentation détaillée à l’APVF du projet DP4 proposé, qui comportait notamment l’analyse de rentabilité de la réalisation de son projet par rapport au projet RBT2 car, selon GCT, le projet DP4 est le moyen le plus compétitif et le plus rentable de répondre à la demande croissante de conteneurs sur la côte ouest du Canada. Il semble évident que GCT pensait alors que le projet RBT2 irait de l’avant, et envisageait donc qu’un nouvel exploitant de terminal vienne éroder la part existante du marché des conteneurs au port de Vancouver. À la suite de cette présentation, l’APVF a soulevé plusieurs questions d’ordre environnemental, en particulier celles abordées dans les lettres du MPO de 2003, qui rendraient difficile l’approbation du projet DP4. Finalement, comme je l’ai indiqué précédemment, tout cela a mené l’administration portuaire à retenir les services d’Hemmera. L’accord de non-divulgation qu’ont conclu GCT et l’APVF concernant le rapport Hemmera, déposé en novembre 2017, a expiré en mai 2019, ce qui a permis à GCT de présenter ce rapport à la commission d’examen constituée aux termes de la LCEE aux fins d’examen du projet RBT2. Comme il est indiqué, bien que le rapport Hemmera n’aborde pas directement la question de savoir si les lettres du MPO de 2003 faisaient état à l’époque d’une interdiction de développement dans la zone, le rapport – avec le recul des changements réglementaires apportés et des avancées en matière de connaissances scientifiques au cours des 14 années précédentes – est parvenu à définir huit facteurs d’atténuation à prendre en compte si un promoteur cherchait à développer la zone prévue pour le projet DP4 proposé. En fait, l’achèvement du projet DP3 témoigne du fait que le développement à l’est de la route en remblai, du côté continental, est possible avec la prise de mesures d’atténuation pour répondre aux préoccupations environnementales (comme cela a été le cas pour le projet DP3), y compris l’intégration de compensations pour la perte d’habitats pour les poissons et les animaux sauvages à la satisfaction des organismes de réglementation, et la réduction de la superficie au sol par rapport à ce qui était initialement proposé. Cependant, nous devons également garder à l’esprit que le rapport Hemmera indique clairement qu’il [traduction] « ne tire aucune conclusion quant à l’éventuelle possibilité d’obtenir des approbations et des autorisations pour des projets le long du côté est de la route en remblai du terminal Deltaport ».

[109] Disposant du rapport Hemmera ainsi que, comme on l’a vu, de la lettre du 2 février 2018, l’APVF a écrit à GCT pour confirmer le droit de l’exploitant du terminal de demander que le projet DP4 soit examiné dans le cadre du processus d’EEP et a ajouté que, [traduction] « compte tenu de l’historique des problèmes environnementaux liés à la partie est de la route en remblai, le promoteur [toutefois] doit s’attendre à des exigences importantes en matière environnementale [...] [et que], même si les problèmes environnementaux précédemment relevés associés à un tel projet se révélaient susceptibles d’être atténués dans une certaine mesure, ces effets devraient être pris en compte dans un contexte cumulatif au regard du projet [RBT2] ». L’APVF a poursuivi en déclarant que [traduction] « compte tenu du rôle multiple de l’APVF, nous pensons qu’il serait tout à fait approprié, et même qu’il incombe à l’APVF de prendre également en compte les effets du projet DP4 sur l’ensemble des activités portuaires. L’APVF examinerait également la question du calendrier, reconnaissant l’importance de respecter les délais requis pour de tels projets et le besoin imminent d’une plus grande capacité à court terme dans le port de Vancouver ». [Non souligné dans l’original.]

[110] GCT déclare que le fait est que, par la lettre du 2 février 2018, l’APVF confirme qu’elle examinera le projet si GCT souhaite le proposer, compte tenu des préoccupations exprimées, et aussi qu’il y aura des évaluations environnementales qui devront être menées à bien afin d’arriver à une conclusion objective fondée sur la preuve concernant l’impact sur l’environnement. En outre, GCT interprète la lettre comme indiquant qu’il incombe à l’APVF d’examiner le projet DP4 au regard de l’impact sur l’ensemble des opérations portuaires – ce qui, à mon avis, inclut la manière dont l’APVF envisage le développement et les activités portuaires à l’avenir et les décisions politiques prises par l’administration portuaire à cet égard – et qu’une procédure régulière sera suivie et des considérations objectives seront prises en compte pour parvenir à une décision finale sur la question de savoir si le projet DP4 peut aller de l’avant.

[111] Il me semble que la lettre du 2 février 2018 équivalait à une lettre préventive relative à l’équité procédurale, destinée à préciser les préoccupations de l’administration portuaire si elle était appelée à agir en sa qualité d’organisme de réglementation si GCT décidait de déclencher le processus d’EEP – je traiterai de cette question plus loin – et à donner à GCT un aperçu des considérations que l’administration portuaire jugerait importantes dans l’évaluation du projet DP4. GCT affirme que je vois dans cette lettre plus que ce qu’elle dit, que les audiences de la commission d’examen n’ont pas encore commencé et que la question de savoir si le projet RBT2 verra le jour n’est toujours pas tranchée. C’est peut-être le cas, et je reconnais que la réalisation du projet RBT2 n’était pas à ce moment-là un fait accompli, mais il n’en reste pas moins que l’APVF a entamé le processus d’évaluation environnementale relatif au projet RBT2 en septembre 2013 et qu’elle avait déjà présenté son évaluation d’impact environnemental concernant le projet RBT2 aux fins d’examen fédéral en mars 2015, soit environ trois ans plus tôt. GCT en était, quant à elle, encore au stade de la planification du projet DP4. Je pense que l’on peut dire sans risque de se tromper que lorsque l’APVF a mentionné que le projet DP4 devrait être examiné dans le contexte des activités portuaires globales et que la question du calendrier devrait également être prise en compte (compte tenu des délais très importants requis pour de tels projets et du besoin imminent d’une plus grande capacité à court terme dans le port), on devait s’attendre à que le fait que le projet RBT2 était déjà bien avancé par rapport au projet DP4 en ce qui concerne les examens réglementaires constitue un élément important dans la décision d’évaluation de l’administration portuaire.

[112] Un an plus tard, le 5 février 2019, GCT a présenté en bonne et due forme sa DRPP par le portail du processus d’EEP, ce qui a donné lieu à la décision de mars 2019, qui, selon GCT, traduit sans équivoque un esprit fermé et une réelle partialité, car il a été clairement établi que la motivation derrière le refus d’autoriser le projet DP4 à faire l’objet d’une évaluation réglementaire, et donc de l’exclure de tout examen objectif sur le fond, est que l’APVF préfère le projet RBT2. GCT soutient que l’APVF mélange, dans la décision de mars 2019, ses deux rôles concurrents, le premier de promoteur d’un projet, et le second d’organisme de réglementation, et, comme il a été expliqué précédemment, bien qu’elle ait pu à juste titre décider à un moment donné qu’il fallait préférer le projet RBT2, il était nécessaire qu’une telle décision ne soit prise qu’après avoir entrepris un processus décisionnel équitable, indépendant, objectif et fondé sur la preuve, afin qu’une telle décision puisse être prise sur le fond. Selon GCT, la décision de l’APVF de préférer le projet RBT2 a été prise au terme d’un processus décisionnel opaque, sans justification ni transparence, ce qui constitue un indice de partialité inadmissible.

[113] GCT renvoie au rapport Hemmera, ainsi qu’à la confirmation des témoins du MPO lors des audiences de la commission d’examen, pour faire valoir que les lettres du MPO de 2003 n’étaient pas censées faire état d’une interdiction de développer à l’avenir la zone proposée pour le projet DP4. GCT ajoute qu’en fait, l’APVF savait qu’il n’existait aucune interdiction et GCT renvoie aux notes d’allocution de Duncan Wilson, vice-président chargé de l’environnement, des affaires communautaires et gouvernementales [notes d’allocution de M. Wilson], préparées en vue de rendre compte de l’état d’avancement du projet RBT2 lors d’une réunion du conseil d’administration de l’APVF tenue le 21 mars 2018. Concernant la question du soutien et de l’opposition au projet RBT2, les notes d’allocution illustrent ce que M. Wilson a décrit comme [traduction] « un unique changement, mineur mais important, apporté à [sa] section ». Voici l’extrait pertinent :

[traduction]
GCT a mené une campagne plus discrète et plus ciblée contre le projet RBT2, car ce dernier créerait une concurrence supplémentaire pour elle. GCT a affirmé à plusieurs reprises qu’un nouvel agrandissement du terminal Deltaport (c.-à-d. le projet DP4) pourrait fournir la capacité nécessaire d’une manière plus économique et plus respectueuse de l’environnement. Et comme nous l’avons mentionné, la proposition de GCT ne pourrait probablement pas être approuvée sur le plan environnemental, entraîne une consolidation du contrôle du marché et n’est pas encore entrée dans un processus réglementaire.

[Non souligné dans l’original.]

[114] J’ai souligné le renvoi à la préoccupation de l’APVF concernant la concentration des parts de marché et le fait que le projet DP4 n’était pas encore entré dans le processus réglementaire à ce moment-là, questions sur lesquelles je reviendrai plus loin. Pour l’heure, on trouve dans la version modifiée des notes d’allocution de M. Wilson les mots [traduction] « se situait dans une zone qui a été rejetée par le MPO dans le passé (habitat intertidal peu profond de grande valeur) », qui remplacent les mots [traduction] « ne pourrait probablement pas être approuvée sur le plan environnemental ». GCT affirme que non seulement M. Wilson a évité d’utiliser le mot [traduction] « interdit » dans la première ébauche (choisissant simplement de dire que le projet DP4 [traduction] « ne pourrait probablement pas être approuv[é] »), mais qu’il s’est également éloigné davantage du concept d’interdiction dans l’ébauche modifiée, choisissant de dire seulement que l’emplacement se trouvait dans une zone [traduction] « qui a été rejetée par le MPO dans le passé ». Selon GCT, cela confirme clairement l’état d’esprit des dirigeants de l’APVF, et lorsque celle-ci a repris la déclaration dans sa décision de mars 2019 selon laquelle le développement dans la zone du projet DP4 proposé était [traduction] « interdit », l’administration portuaire savait qu’il s’agissait d’une contrevérité, révélant ainsi la partialité inadmissible dont elle faisait preuve à l’égard du projet DP4.

[115] Je reconnais que l’utilisation du mot [traduction] « interdiction » dans la décision de mars 2019 prête à confusion. Toutefois, je ne suis pas convaincu que le terme ait été utilisé par l’APVF de mauvaise foi, de manière à faire croire à GCT qu’une telle interdiction existait. J’aurais pu penser autrement si GCT n’avait pas eu en main une copie du rapport Hemmera, mais elle l’avait, et l’APVF le savait. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un cas où l’APVF a tenté d’induire en erreur GCT avec des renseignements dont elle seule disposait. GCT pouvait tirer ses propres conclusions indépendantes sur ce que le rapport disait ou ne disait pas au sujet de l’objet des lettres du MPO de 2003. Ce qui est clair, c’est que le rapport Hemmera n’aborde pas clairement la question de savoir si les lettres du MPO de 2003 font état d’une interdiction de développement dans la zone proposée pour le projet DP4. D’ailleurs, GCT a elle-même concédé devant moi qu’il faut lire dans le rapport que les experts considèrent que les lettres du MPO de 2003 ne font pas état d’une telle interdiction. En outre, je pense qu’il est important de souligner que la confirmation par le MPO que les lettres de 2003 du MPO ne faisaient pas état d’une interdiction de développement futur dans la zone n’a été obtenue que dans un témoignage rendu lors des audiences de la commission d’examen tenues en mai et juin 2019.

[116] GCT renvoie également à l’ébauche du 25 mars 2019 et, bien que la lettre n’ait jamais été envoyée, elle soutient que l’administration portuaire semble poser une question suggestive afin d’obtenir du MPO une justification après coup de son affirmation selon laquelle le MPO a interdit la poursuite du développement de la zone où le projet DP4 est maintenant proposé. L’ébauche du 25 mars 2019 prévoit ce qui suit :

[traduction]
L’[APVF] a récemment reçu une demande de renseignements d’un promoteur intéressé par l’agrandissement d’un terminal portuaire à Roberts Bank en gagnant des terres sur la mer à l’est des terminaux actuels, comme montré ci‑dessous :

L’administration portuaire est convaincue qu’il n’est plus possible d’agrandir le terminal dans la zone indiquée, comme le lui a indiqué le MPO dans les années 1970 et en 2003. Toutefois, le promoteur a déclaré que les modifications apportées à la Loi sur les pêches et les modifications proposées (projet de loi C-68) ont rendu les instructions antérieures désuètes.

Dans une lettre datée du 1er avril 2003 (ci-jointe), l’[APVF] a été informée par le [MPO] que : le MPO ne participera pas à l’examen de la proposition du terminal Deltaport, car la seule option proposée pour ce projet entraîne la destruction de l’habitat essentiel du poisson du côté est de la route en remblai [...].

Dans une lettre (ci-jointe) datée du 29 juillet 2003 ou vers cette date, le ministre des Pêches de l’époque a écrit : « [l]e personnel du MPO a clairement identifié les répercussions inacceptables sur l’habitat essentiel du poisson qui se produiraient [...].

Par conséquent, l’administration portuaire demande au MPO de confirmer que ses instructions antérieures sont toujours valables et qu’aucun agrandissement du terminal du côté est de la route en remblai ne sera autorisé ».

[117] Certes, l’ébauche du 25 mars 2019 peut raisonnablement être interprétée dans le sens que lui donne GCT, mais elle peut aussi être raisonnablement interprétée comme un reflet honnête de la manière dont l’APVF avait compris les lettres du MPO de 2003, et, compte tenu de la réaction de GCT et de l’affirmation selon laquelle [traduction] « les modifications apportées à la Loi sur les pêches et les modifications proposées (projet de loi C-68) ont rendu les instructions antérieures désuètes », l’APVF cherchait à savoir si son évaluation initiale des lettres du MPO de 2003 était correcte. En fait, M. Xotta l’a confirmé dans son contre-interrogatoire en déclarant que l’affirmation selon laquelle les lettres du MPO de 2003 faisaient état d’une « interdiction » de développement dans la zone du projet DP4 proposé était quelque chose [traduction] « que l’APVF pensait être exact à l’époque ». Aucune raison particulière n’a été donnée pour expliquer pourquoi la lettre n’a jamais été envoyée, si ce n’est que M. Xotta a déclaré lors de son contre‑interrogatoire que la décision de ne pas envoyer la lettre avait été prise [traduction] « à peu près au moment où d’autres choses se déroulaient et, pour une raison quelconque, [les dirigeants de l’APVF] ont décidé qu’il ne serait pas souhaitable d’envoyer cette lettre ». GCT soutient que l’ébauche du 25 mars 2019 n’a pas été envoyée parce que, quelques jours plus tard, GCT a introduit la présente demande de contrôle judiciaire et que l’APVF ne voulait tout simplement pas connaître la réponse. Cela dit, je constate que GCT n’a pas non plus sérieusement insisté auprès de M. Xotta, lors du contre‑interrogatoire de ce dernier, pour connaître la raison pour laquelle la lettre n’avait pas été envoyée. GCT ne voulait pas peut-être pas elle non plus connaître la réponse. Le jeu du chat et de la souris continue!

[118] Quoi qu’il en soit, je ne suis pas prêt à conclure à la mauvaise foi de l’APVF, et je préfère mettre sur le compte d’un malentendu ce qui a été confirmé par la suite par le MPO comme étant un emploi imprécis du mot « interdit ». Je note qu’après avoir reçu la décision de mars 2019, plutôt que de signaler à l’APVF ce qui semblerait être une interprétation erronée de la part de l’APVF des lettres du MPO, GCT a introduit la présente demande de contrôle judiciaire, comme il lui était loisible de le faire. En outre, le témoignage du MPO lors des audiences de la commission d’examen confirmant qu’une telle interdiction n’était pas prévue dans les lettres du MPO de 2003 a été un facteur mentionné par l’APVF dans la décision de septembre 2019 pour décider d’annuler la décision de mars 2019.

2. Les préoccupations liées à la concurrence

[119] En ce qui concerne le deuxième motif, la décision de mars 2019 indique ce qui suit :

[traduction]
Deuxièmement, l’agrandissement du terminal Deltaport signifierait qu’un seul exploitant de terminal contrôlerait une part considérable du marché des services de terminaux à conteneurs. Une concurrence saine est nécessaire pour garantir que les utilisateurs continuent à payer des tarifs raisonnables pour un service fiable. C’est pourquoi l’[APVF] s’engage à favoriser un niveau de concurrence approprié dans le port de Vancouver. Cet environnement concurrentiel est particulièrement important pour les exportateurs canadiens qui dépendent de la porte d’entrée de Vancouver.

[Non souligné dans l’original.]

[120] Dans la note d’information de décembre 2017, l’APVF a souligné la nécessité d’une concurrence sur le marché dans le port de Vancouver, et a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Il est de la plus haute importance pour l’[APVF] qu’une saine concurrence soit encouragée et maintenue entre les exploitants de terminaux à conteneurs dans le port de Vancouver et que toute domination sur les activités de manutention des conteneurs soit évitée. Le contrôle permanent par un seul exploitant de plus de 60 % de la capacité de conteneurs dans le port de Vancouver s’est avéré préjudiciable aux clients de la porte d’entrée. Ce point de vue a été confirmé par des études de marché et reflète la position du Bureau de la concurrence, qui voit d’un mauvais œil que les exploitants actuels s’étendent pour contrôler des marchés.

Permettre à l’un des deux exploitants actuels de gérer le nouveau terminal sans renoncer à certaines installations créerait un quasi-monopole dans les services de terminaux à conteneurs, à hauteur de 80 %, ce qui serait malsain pour le marché de la chaîne d’approvisionnement. En règle générale, les grands ports du monde disposent d’au moins trois terminaux à conteneurs concurrents, ce qui, nous en convenons, est le meilleur moyen d’assurer la compétitivité commerciale du Canada.

Conformément à cette approche, le projet [RBT2] ne fera l’objet d’aucune concession ni d’aucun accord qui permettrait à un exploitant de détenir plus de 60 % de la capacité de manutention des conteneurs dans le port de Vancouver. Pour cette raison, les exploitants du projet RBT2 et du terminal Deltaport devront nécessairement être totalement indépendants l’un de l’autre.

Les exploitants actuels de terminaux à conteneurs du port de Vancouver n’ont pas été empêchés de participer au processus de passation des marchés à l’intention des exploitants de terminaux [pour le projet RBT2], mais les participants ont dû démontrer clairement, à la satisfaction de l’administration portuaire, la manière dont ils garantiraient le maintien d’une concurrence équitable et confirmer que leur capacité totale de manutention de conteneurs dans le port de Vancouver ne dépasserait pas 60 % de la capacité totale disponible.

[Non souligné dans l’original.]

[121] GCT admet avoir eu connaissance des préoccupations de l’APVF en matière de concurrence dès 2017. Selon GCT, en prévision de la réunion préalable concernant la DRPP de janvier 2019 pour le projet DP4, il y a eu un dialogue continu concernant le développement du projet, et GCT a essayé d’amener l’APVF à partager sa façon de penser. Ce dialogue continu, plus précisément en ce qui concerne la question de la concentration du marché, a incité GCT à faire, le 8 décembre 2017, une présentation à l’APVF dans laquelle elle expliquait son point de vue sur la façon dont la concurrence devrait être mesurée et évaluée et dans laquelle elle affirmait que, en examinant la question de la concurrence de son point de vue, le projet DP4 est en fait bon pour les consommateurs. GCT a soutenu devant moi qu’elle a expliqué à l’APVF l’indice Herfindahl-Hirschman [l’IHH], qui serait une mesure communément acceptée de la concentration du marché et de la concurrence. Les préoccupations de l’APVF concernant la concentration du marché ont également été exprimées par son dirigeant au conseil d’administration de l’APVF en mars 2018, comme le montrent les notes d’allocution de M. Wilson.

[122] En ce qui concerne le fait d’avoir entrepris sa propre analyse des facteurs concurrentiels en jeu, M. Xotta a déclaré en contre-interrogatoire que l’APVF effectuait à l’occasion une analyse du marché des conteneurs, y compris une expertise sur la tarification, la demande et les prévisions, et que ces documents ont été déposés dans le cadre de la demande visant le projet RBT2 de l’administration portuaire présentée en vertu de la LCEE. M. Xotta a toutefois concédé que, dans le dossier soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il n’y a pas d’analyse de la tarification ni de rapport réalisé par un expert externe sur les questions de concurrence. M. Xotta a également témoigné que la LMC impose aux administrations portuaires l’obligation de prendre en compte les intérêts du port dans ses activités commerciales et que l’administration portuaire a, à l’occasion, des désaccords avec des locataires sur diverses questions, y compris le degré de part de marché que le locataire devrait détenir à l’avenir. Cependant, M. Xotta a admis qu’il n’existait pas, au moment où la décision de mars 2019 a été rendue, de politique de concurrence écrite officielle applicable définissant l’étendue de la part de marché qui serait appropriée pour un unique exploitant de terminal dans le port de Vancouver.

[123] GCT ajoute que, outre le fait que la Cour ne dispose d’aucune preuve d’une analyse qui aurait pu étayer les affirmations de l’APVF ou les motifs donnés par celle‑ci concernant ses préoccupations en matière de concurrence, l’APVF a, au lieu de demander un avis professionnel externe concernant les répercussions que le projet DP4 aurait sur la concurrence, entrepris une étude interne en utilisant un outil qui, selon GCT, était expressément conçu pour saper le projet DP4, mais dont le résultat réfute en fait l’hypothèse de l’APVF selon laquelle le projet DP4 réduirait la concurrence.

[124] GCT affirme qu’à la suite de la présentation du 8 décembre 2017, l’APVF a essayé de faire croire, pour faire obstacle au projet DP4, à un problème de concurrence qui ne reposait sur aucun souci réel d’ordre public. GCT soutient que l’administration portuaire a en fait essayé de créer une analyse pour soutenir son opinion préétablie – ce qui, selon GCT, est une preuve de partialité – selon laquelle autoriser GCT à construire le projet DP4 entraînerait une concentration inacceptable du marché dans l’espace des terminaux à conteneurs du port de Vancouver. GCT renvoie à un courriel interne de l’APVF envoyé deux jours après la réunion du 8 décembre 2017 avec GCT : M. Victor Pang a envoyé un message à M. Robin Silvester, chef de la direction de l’APVF, dans lequel il écrit qu’il a examiné l’IHH et note que l’IHH était utilisé par le ministère de la Justice des États-Unis pour évaluer les pratiques anticoncurrentielles dans les opérations de fusion et d’acquisition, et précise ce qui suit : [traduction] « [n]ous allons effectuer le calcul comme vous l’avez suggéré. Mais il semble que ce cadre (et la façon dont le ministère de la Justice l’interprète) soit un outil assez puissant pour nous! » [Non souligné dans l’original.]

[125] GCT s’interroge sur la signification de l’expression [traduction] « outil assez puissant pour nous », compte tenu notamment du courriel envoyé le lendemain par M. Pang au personnel financier de l’APVF pour lui demander d’entreprendre un examen de l’IHH. Après avoir exposé les fondements de l’IHH, M. Pang a déclaré ceci dans son courriel : [traduction] « Il semble que cela puisse être un très bon outil pour nos communications au sujet de la concentration du marché dans le secteur des conteneurs ». M. Pang demande ensuite que l’IHH soit calculé en fonction de divers scénarios envisageant différentes tailles de marché (des scénarios plus locaux allant la côte ouest canadienne uniquement à l’ensemble de la côte ouest de l’Amérique du Nord) ainsi que différents scénarios de capacité, y compris la capacité actuelle, la capacité avec l’agrandissement proposé de Vanterm, la construction du projet DP4 – que GCT se dessaisisse ou non de Vanterm ou que l’APVF exerce ou non son droit de résilier le bail de son terminal – et la construction du projet RBT2. Puis, après avoir présenté les différents matrices et scénarios permettant d’utiliser l’IHH, M. Pang a ajouté ce qui suit : [traduction] « Recherche sur l’applicabilité de l’IHH – il s’agit ici de monter un dossier nous permettant de parler à GCT ou aux fonctionnaires de la nécessité d’accroître la concurrence dans le secteur des conteneurs, en utilisant l’IHH comme outil » [non souligné dans l’original].

[126] M. Pang a indiqué qu’il souhaitait notamment savoir si les agences canadiennes utilisent cette mesure, si l’IHH a été utilisé dans des situations [traduction] « similaires à la position de GCT sur le marché et à ce que signifie l’agrandissement de Vanterm et la construction du projet DP4 », et s’il existe des exemples [traduction] « où l’IHH a été utilisé comme un facteur important pour arrêter ou imposer des conditions aux fusions, acquisitions, projets ou agrandissements ». Pour terminer, M. Pang a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Une partie de l’argument de GCT est que nous devrions utiliser une définition plus large du marché pour inclure les ports PNO [les ports du Pacifique Nord-Ouest] et LA/LB [les ports de Los Angeles et Long Beach, Californie]. Même si les sociétés maritimes considèrent effectivement que le marché s’étend de haut en bas de la côte ouest, je dirais qu’il existe des problèmes de concurrence particuliers qui doivent être abordés à l’échelle nationale et locale. Dans ce marché, les clients ne sont pas seulement les sociétés maritimes, mais aussi BCO et d’autres intéressés. Les questions de lutte antitrust sont également souvent examinées à l’échelle mondiale et nationale. Il serait bon de trouver des exemples où l’IHH a été évalué à la fois à l’échelle nationale ou locale et à l’échelle internationale, et où la commission ou le tribunal concerné a expressément mentionné que le point de vue national ou local est important ou primordial.

[Non souligné dans l’original.]

[127] GCT interprète le message de M. Pang comme une indication de la manière de monter un dossier en matière de concurrence contre le projet DP4. Je comprends que l’on puisse lire le message de M. Pang de cette façon, mais il y a aussi une autre façon raisonnable de l’interpréter. Il me semble que, compte tenu de l’importance du maintien d’une concurrence saine dans le port de Vancouver, M. Pang cherchait à appliquer différents scénarios à l’IHH et à obtenir une série de résultats correspondant à ces scénarios. La preuve concrète de cette possibilité réelle est que, lors de son contre-interrogatoire, M. Xotta a indiqué que GCT se fondait sur l’IHH [traduction] « pour faire valoir que les préoccupations relatives à la part de marché que l’APVF exprimait depuis un certain temps n’étaient pas fondées ». Cette discussion a donc mené [selon M. Xotta] à la réponse de l’APVF ou à l’analyse entreprise par celle-ci.

[128] Manifestement, l’APVF ne connaissait pas l’outil de mesure de la concentration du marché qu’est IHH, et c’est GCT qui l’a renseignée à cet égard. Cependant, étant donné la partialité dont fait elle-même preuve GCT en faveur du projet DP4 – parti pris légitime et compréhensible de tout promoteur purement commercial cherchant à préserver son propre projet et ses propres intérêts commerciaux –, il me semble qu’il incombait à l’administration portuaire d’examiner cette matrice et d’élaborer la série de scénarios afin de mieux comprendre comment la concentration du marché serait touchée, et le fait que l’APVF recherche les parties de la matrice que GCT pourrait ne pas vouloir partager avec elle dans sa promotion du projet DP4 est de bonne guerre. Je peux certainement comprendre que l’utilisation de la méthodologie de GCT – à savoir un examen de la concentration sur une zone plus large, par exemple l’ensemble de la côte ouest de l’Amérique du Nord – puisse diminuer le poids relatif d’une concentration du marché plus localisée par rapport à une zone d’analyse qui porterait seulement sur le port de Vancouver, par exemple. Toutefois, en fin de compte, l’APVF et GCT utilisent la même matrice, les résultats seront ce qu’ils seront et la discussion se poursuivra.

[129] S’agissant maintenant des résultats réels de l’analyse effectuée par l’APVF des différents scénarios préparés en mars 2018 à l’aide de l’IHH, GCT interprète les résultats comme indiquant que, quelle que soit la zone du marché adoptée – qu’il s’agisse uniquement du port de Vancouver, ou de l’ouest du Canada, ou de l’ouest du Canada plus le nord-ouest du Pacifique, ou de l’ensemble de la côte ouest de l’Amérique du Nord –, la réalisation du projet DP4 ne crée pas d’augmentation de la part de marché pour GCT. C’est peut-être vrai, mais il me semble que cela n’a rien à voir avec la question. À l’heure actuelle, en exploitant à la fois Vanterm et Deltaport, GCT contrôle 78 % de la part de marché des conteneurs du port de Vancouver, Centerm (l’autre exploitant de terminal à conteneurs du port de Vancouver) détenant 22 % du marché. La construction du projet DP4 ne modifiera pas ces chiffres – Centerm conservera sa part de 22 % du marché actuel et GCT sa part de 78 %. Avec la construction du projet DP4, et en supposant que GCT se sépare en même temps de Vanterm – bien que GCT ne se soit pas engagée à le faire devant moi –, sa part de marché fondée sur les volumes actuels de conteneurs tombe à 64 % lorsque l’évaluation est basée uniquement sur le port de Vancouver, ce qui est la vision la plus étroite de la zone de marché dont fait état la décision de mars 2019. Or, la part de marché de GCT tombe encore plus bas, à 47 %, même sans avoir à se séparer de Vanterm, si le projet RBT2 est construit et que la concession pour l’exploitation du terminal est donnée à un troisième exploitant.

[130] Toutefois, il existe une différence entre la part de marché actuelle et la capacité que pourrait atteindre le terminal. D’après ce que je peux voir, les statistiques liées à l’IHH ne tiennent pas compte de la croissance future du marché du trafic de conteneurs ou du fait que GCT disposera, avec la construction du projet DP4, de la capacité supplémentaire du terminal pour absorber l’augmentation future attendue du trafic total. S’il y l’augmentation attendue du volume total de conteneurs, la proportion du total des conteneurs traités par Centerm, en supposant que la pleine capacité soit atteinte à ce terminal, continuera à baisser, ce qui signifie que cette proportion continuera à augmenter pour GCT jusqu’à ce qu’elle atteigne sa pleine capacité avec l’entrée en service du projet DP4. C’est peut-être la raison pour laquelle l’APVF a déclaré dans sa note d’information de décembre 2017 qu’une concentration de près de 80 % de la part de marché dans le port de Vancouver représente une situation malsaine pour le marché de la chaîne d’approvisionnement et que le projet RBT2 ne fera l’objet d’aucune concession ni d’aucun accord qui permettrait à un exploitant de détenir plus de 60 % de la capacité de manutention des conteneurs dans le port de Vancouver.

[131] GCT n’a pas fait valoir que les résultats de l’analyse fondée sur l’IHH figurant dans le dossier de la Cour sont révélateurs d’un quelconque parti pris à l’encontre du projet DP4, pas plus qu’elle n’approuve ou n’adopte l’un des calculs ou l’une des méthodologies figurant dans le tableau présenté. GCT se contente d’affirmer que le tableau donne une idée de ce que pensait l’APVF à l’époque et soutient uniquement que les résultats de l’analyse ne confirment pas l’affirmation de l’APVF selon laquelle la concentration du marché de près de 80 % se poursuivra en cas de construction du projet DP4. Je n’interprète pas les statistiques de la manière proposée par GCT. L’APVF était préoccupée par la question de savoir comment gérer la croissance future et l’augmentation attendue du trafic de conteneurs dans le port de Vancouver. À tort ou à raison, je peux certainement comprendre l’inquiétude de l’APVF qui craint, avec la construction du projet DP4 et sans cession de Vanterm de la part de GCT, que davantage de conteneurs soient acheminés vers la zone de capacité disponible, c’est-à-dire que de plus en plus de conteneurs aillent vers un terminal contrôlé par GCT.

[132] En outre, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de GCT selon laquelle, dans la décision de mars 2019, l’APVF a indûment limité l’étendue du marché pour l’évaluation de la concentration du marché au seul port de Vancouver, entreprenant ainsi ce que GCT a soutenu devant moi être une [traduction] « vision restreinte » du marché. Selon GCT, lorsque les expéditeurs choisissent où expédier ou d’où expédier les marchandises le long de la côte ouest, ils ne se limitent pas géographiquement au port de Vancouver. Je suis d’accord. Les marchandises à destination ou en provenance du Canada ont souvent un port de chargement ou de déchargement sur la côte ouest des États-Unis, le reste du trajet s’effectuant par camion ou par chemin de fer. Mais là encore, c’est passer à côté de la question. L’APVF n’exerce pas ses activités sur l’ensemble de la côte ouest. Elle s’intéresse à la concentration du marché, à la logistique, à la gestion de la chaîne d’approvisionnement et à l’efficacité dans le port de Vancouver. Je ne vois pas en quoi le fait de diluer les résultats d’une étude sur la concentration du marché en élargissant la zone d’analyse est d’une quelconque utilité pour le port de Vancouver, mais, là encore, je n’ai pas en l’espèce à évaluer le bien-fondé des arguments sur la concentration du marché. Je laisse cette question aux spécialistes du marketing. Il suffit de dire que, en mettant de côté la question de l’équité procédurale, que j’examinerai plus loin, je considère M. Pang comme quelqu’un qui, dans ses courriels, montrait son enthousiasme d’avoir trouvé un nouvel outil pour accomplir son travail, sans se cantonner à un projet particulier – déclarant qu’il s’agissait [traduction] « [d’]un outil assez puissant pour nous » avant même qu’une analyse n’ait été entreprise en ce qui concerne le projet DP4 – et, en ce qui a trait au projet DP4 en particulier, comme quelqu’un doté d’une saine dose de scepticisme qui cherchait à contrer l’argument qu’avance GCT, à savoir, l’idée que l’étendue du marché pour l’évaluation de la concurrence n’est pas simplement le port de Vancouver ou même la côte ouest canadienne, mais plutôt le marché du trafic de conteneurs tout le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, et que, quoi qu’il en soit, la construction du projet DP4 n’augmentera pas la part de marché de GCT dans le port de Vancouver.

[133] Rien ne permet de penser que l’APVF n’aurait pas ensuite fait part de ses conclusions à GCT, améliorant ainsi le dialogue sur la concentration du marché. Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de GCT selon laquelle M. Pang cherchait un outil axé sur les résultats pour saper le projet DP4 en invoquant des questions de concurrence, et je ne suis pas non plus convaincu que les résultats de l’analyse contredisent les motifs donnés par l’APVF en ce qui concerne ses préoccupations en matière de concurrence. Étant donné que les parties semblent envisager différemment le point de départ de toute analyse de la concurrence, je ne vois rien de condamnable dans le courriel de M. Pang.

[134] Je n’accepte pas non plus l’affirmation de GCT selon laquelle le motif que l’APVF a donné dans la décision de mars 2019, à savoir que le projet DP4 réduirait le nombre d’exploitants de terminaux, est faux. Ce n’est pas ce qui était indiqué dans la décision de mars 2019. Cette décision indiquait simplement que [traduction] « l’agrandissement du terminal Deltaport signifierait qu’un seul exploitant de terminal contrôlerait une part considérable du marché des services de terminaux à conteneurs ». Même si, avec les volumes actuels, la construction du projet DP4 n’augmenterait pas nécessairement la part de marché actuelle de GCT dans le port de Vancouver, il me semble que la question porte davantage sur le contrôle de la capacité aux fins d’absorption de la croissance future.

[135] Pour ajouter de l’huile sur le feu, GCT soutient que si l’APVF était vraiment préoccupée, comme elle le prétend dans la décision de mars 2019, par le fait qu’un exploitant de terminal contrôle une part considérable du marché des services de terminaux à Vancouver, pourquoi alors l’APVF a-t-elle par la suite approuvé, en mars 2020, l’achat par DP World – un exploitant mondial de ports et de terminaux qui exploite Centerm au port de Vancouver – de Fraser Surrey Docks au groupe Macquarie, réduisant ainsi le nombre d’exploitants de terminaux dans le port de trois (GCT, DP World et Macquarie) à deux? Comme GCT posait la question de manière rhétorique, je lui ai demandé si c’était parce que l’APVF s’attendait à ce que l’entrée en service du projet RBT2, avec un exploitant différent, permette de préserver suffisamment la concurrence ou, tout simplement, si c’était le fait que Fraser Surrey Docks est un terminal polyvalent. Selon GCT, le dossier ne contient aucun élément à cet égard, mais elle insiste sur le fait que, quelle que soit la raison, l’achat en question fait en sorte que les préoccupations de l’APVF concernant le fait qu’un exploitant de terminal contrôle une part considérable du marché des services de terminaux à Vancouver ne sont rien d’autre que fallacieuses – indice supplémentaire d’une étroitesse d’esprit. Le problème que je vois dans les affirmations de GCT est que cette dernière fait certaines observations et insiste sur le fait qu’il n’y a qu’une seule façon de les interpréter. Je ne suis pas d’accord avec elle. Il pourrait y avoir une myriade de raisons pour lesquelles l’APVF a permis à un exploitant de reprendre les activités d’un autre terminal et, s’il est vrai que ces raisons ne figurent peut-être pas dans le dossier du tribunal, je ne vois pas pourquoi elles devraient y figurer. La vente de Fraser Surrey Docks n’est pas l’objet du litige qui nous occupe. En fin de compte, les insinuations ne sont pas la réalité, et le fait de les affirmer ne les transforme pas en la réalité.

[136] Pour en revenir à la décision de mars 2019, GCT allègue que les préoccupations relatives à la concentration du marché exprimées dans la note d’information de décembre 2017 sont hors sujet et que la question consiste à savoir ce qui a été pris en compte par l’administration au moment de la décision de mars 2019 alors que, deux mois plus tôt, GCT avait accepté de modifier son bail et son accord concernant le corridor d’accostage [modification du bail Vanterm] conclus avec l’APVF, ce qui était censé répondre aux préoccupations de l’administration portuaire en matière de concentration du marché. Le problème que je vois en ce qui concerne cet argument est que, en réponse aux éclaircissements demandés par la Cour, GCT a ajouté qu’elle ne concédait aucun droit à l’APVF qui permettrait à cette dernière d’obliger contractuellement GCT à se défaire de ses activités à Vanterm dans les circonstances énoncées dans la modification du bail Vanterm. En d’autres termes, GCT formule une proposition, mais ne concède pas la prémisse sur laquelle elle repose. Quoi qu’il en soit, GCT fait valoir que l’examen des motifs donnés par l’APVF pour justifier ses préoccupations en matière de concurrence en 2017, avant que M. Pang n’entreprenne son analyse de la concurrence et avant la modification du bail Vanterm, est d’une utilité limitée au regard du dossier du tribunal, qui est censé avoir été constitué à la même époque que la décision de mars 2019 et qui ne contient aucun document permettant d’évaluer les motifs de l’APVF au moment où la décision d’écarter le projet DP4 a été prise. Je ne suis pas de cet avis. L’argument de GCT aurait pu être valable si le décideur était un tribunal décisionnel plus traditionnel. Toutefois, en l’espèce, dans le contexte de la gestion d’une administration portuaire, GCT ne peut pas demander à l’APVF de limiter son processus décisionnel en se fondant sur un instantané de la situation dans le temps et de ne pas tenir compte de son historique et des préoccupations constantes et bien documentées concernant la concentration du marché. Le simple fait qu’une étude précise sur la question ne figure pas dans le dossier du tribunal ou n’ait pas été présentée aux dirigeants de l’APVF au moment où ils ont exprimé leurs préoccupations concernant la concentration du marché dans la décision de mars 2019 n’invalide pas ces préoccupations, qui existaient déjà depuis longtemps. Nous avons affaire à des gens d’affaires qui dirigent ce que la LMC considère comme une opération commerciale, et le projet DP4 était en cours d’élaboration depuis un certain temps. Si les préoccupations ne sont pas entièrement dissipées, elles continueront d’exister et ne cesseront pas simplement parce qu’elles ne sont pas documentées tous les jours. GCT ne m’a pas convaincu que l’analyse fondée sur l’IHH ou la modification du bail Vanterm auraient raisonnablement dû faire en sorte que l’APVF n’ait plus les préoccupations en matière de concurrence exprimées dans la note d’information de décembre 2017 au moment de prendre la décision de mars 2019, d’autant plus que GCT a refusé de concéder le droit de l’APVF de la contraindre à céder ses intérêts dans Vanterm dans des circonstances appropriées prévues dans la modification du bail.

[137] GCT soutient que l’APVF, en n’exprimant pas ses préoccupations en matière de concurrence sur une base objective fondée sur la preuve et en n’entreprenant aucune analyse pour déterminer si une consolidation plus poussée des exploitants de terminaux au port de Vancouver aurait une incidence sur la tarification pour les consommateurs ou mettrait en péril la compétitivité du Canada, ce qui fait partie intégrante de la mission de l’APVF aux termes de la LMC, était fermée à examiner la question, ce qui révélait un autre indice de partialité. Je ne suis pas d’accord. Comme je l’indique plus loin, le fait que la question n’ait pas fait l’objet d’un examen dans un cadre réglementaire approprié constituait un manquement à l’équité procédurale. Il se peut, comme le soutient GCT, que les préoccupations de longue date de l’administration portuaire en matière de concurrence ne soient pas suffisamment étayées, mais cela mettrait en cause le caractère raisonnable de la décision. Comme l’a dit l’avocat de GCT à M. Xotta lors du contre-interrogatoire de ce dernier, la discussion sur la concurrence est une question de jugement et d’opinion, et des personnes raisonnables peuvent avoir des avis différents sur cette question.

[138] Dans l’ensemble, on ne m’a pas convaincu que l’expression par l’APVF de préoccupations concernant la concentration du marché, parmi les motifs donnés à l’appui de la décision de mars 2019, était formulée de façon vague et injustifiable, et encore moins qu’elle constituait un indice de parti pris contre le projet DP4.

(ii) La manière tactique dont les décisions de mars et de septembre 2019 ont été orchestrées

[139] Outre les motifs donnés à l’appui des décisions de mars et de septembre 2019, CGT affirme que la manière tactique dont ces décisions ont été orchestrées permet également de conclure que l’APVF a fait preuve de partialité dans son processus décisionnel à l’égard du projet DP4. CGT invoque aussi d’autres indices de l’étroitesse d’esprit de l’APVF, dont je traiterai ci-dessous.

1. Le rôle de l’ancien cabinet d’avocats de l’APVF dans le processus décisionnel et l’insuffisance du dossier du tribunal

[140] GCT affirme que le refus d’examiner le projet DP4 de manière objective et au regard de la preuve a été opposé par le cabinet d’avocats précédent de l’APVF, qui était légalement empêché de conseiller l’APVF sur des questions liées à GCT en raison d’un conflit d’intérêts entraînant une inhabilité, comme l’a conclu par la suite le juge Pentney en septembre 2019. Elle fait valoir qu’il n’y aucune indication dans un ordre du jour ni dans des documents distribués, en particulier rien concernant les préoccupations en matière de concurrence ou les impératifs environnementaux, qui figure dans le dossier du tribunal et fait état du processus décisionnel. En fait, GCT affirme que la décision de mars 2019 continue d’être entourée de mystère en ce qui concerne la manière dont elle a été prise, les documents qui ont été examinés, les renseignements qui ont été fournis et qui les a fournis, et les éléments qui ont été rejetés.

[141] Il ressort du dossier que la décision de ne pas examiner la DRPP de GCT a été prise lors d’une réunion des dirigeants de l’APVF le 13 février 2019. GCT soutient que l’APVF, au lieu de jouer franc jeu afin de démontrer que cette décision était une décision légitime et autorisée d’un organisme de réglementation, comme elle l’affirme, s’est au contraire donné beaucoup de mal pour éviter une production appropriée du dossier du tribunal. En ce qui concerne l’absence de documentation dans le dossier du tribunal (outre celle couverte par le secret professionnel de l’avocat), GCT affirme que le dossier du tribunal ne décrit aucunement quand, comment, par qui et pourquoi les décisions concernant le projet DP4 ont été prises, et est au contraire complètement vide de toute documentation qui permettrait de comprendre la décision prise par l’APVF. GCT poursuit en affirmant que le secret professionnel de l’avocat en question est soit un privilège appartenant à un client relativement à un conseiller juridique qui agissait en ayant un conflit d’intérêts légalement inadmissible en mars 2019, soit un privilège rattaché à un conseiller juridique dans le but de faire échouer la présente demande de contrôle judiciaire, plutôt que de permettre un examen de bonne foi du projet DP4 sur le fond.

[142] Le témoignage de M. Xotta concernant la période précédant la décision de mars 2019 est le suivant :

[traduction]
J’ai participé à plusieurs discussions avec d’autres membres de la direction de l’APVF au sujet de la DRPP de GCT et, plus précisément, de la décision que doit prendre l’APVF sur la question d’accepter ou non la DRPP et de faire avancer le processus décisionnel de l’APVF prévu par la [LMC]. Les dirigeants de l’APVF se sont réunis le 13 février 2019 et une décision a été prise consensuellement par les membres de la haute direction. M’appuyant sur cette discussion, j’ai rendu [la décision de mars 2019]. Les motifs sous-tendant la décision exposés dans [la décision de mars 2019] reflètent le raisonnement qu’ont suivi les dirigeants lors de ses discussions.

[143] GCT affirme que je ne devrais pas avoir à tirer des hypothèses sur ce qui s’est passé dans la tête des dirigeants au cours de leurs délibérations qui ont abouti à la décision de ne pas procéder à l’évaluation de sa DRPP et que le silence créé par l’absence de toute preuve concernant toute analyse, tout rapport ou tout résumé des discussions ayant conduit à la décision de mars 2019 est assourdissant. D’après mon expérience, ce n’est toutefois pas le cas.

[144] Dans un environnement commercial où les gens d’affaires prennent souvent des décisions en entrant dans les bureaux d’autres personnes et en s’asseyant sur la chaise devant le bureau de celles-ci pour discuter d’un projet qui est au centre de leur vie professionnelle quotidienne, il n’est pas rare qu’il n’y ait pas de trace écrite du moment précis où la décision a été prise. Il est important de garder à l’esprit la nature de la décision qui doit être prise, à savoir la décision d’examiner ou non la DRPP. Depuis 2017, il y avait déjà eu un certain nombre de discussions, de présentations et d’échanges entre GCT et l’APVF concernant le projet DP4, y compris la lettre du 2 février 2018 adressée à GCT dans laquelle l’APVF a expressément exposé ses préoccupations et a informé GCT de la manière dont elle avait l’intention d’examiner sa demande relative au projet DP4 dans le cadre du processus d’EEP lorsque le moment serait venu.

[145] Je reconnais que l’APVF n’a peut-être pas respecté son engagement d’examiner la DRPP, question que j’aborderai lorsque je traiterai de la question des attentes légitimes de GCT. Cependant, il faut comprendre ici que les dirigeants de l’APVF s’étaient réunis pour décider de la manière de traiter la demande de GCT et de l’examiner ou non dans le cadre du processus d’EEP. Je ne trouve pas anormal que, compte tenu de cet objectif, nous ne trouvions pas dans le dossier du tribunal, comme ça devrait être le cas selon GCT, des documents tels que des documents fixant les réunions, des documents distribués, un ordre du jour, des rapports d’experts concernant la saturation du marché et la concurrence ainsi que les questions d’ordre environnemental, des procès-verbaux décrivant qui a présidé la discussion, qui a participé à la discussion, qui a éventuellement parlé en opposition, combien de temps la réunion a duré, qui a rédigé les décisions de mars et de septembre 2019, les modifications apportées aux éventuelles ébauches de décisions, ou des documents tels que ceux qui peuvent être exigés par le Guide, qui démontrent que des experts ont procédé à un examen et ont examiné la DRPP sur le fond.

[146] Le fait est que la DRPP n’a pas été examinée sur le fond et que la raison pour laquelle les dirigeants de l’APVF ont tenu une réunion était pour déterminer s’il fallait même examiner la DRPP sur le fond et lui permettre de passer par le processus d’EEP. Dans ces circonstances, je ne trouve pas anormal, pour les besoins de la discussion et la nature de la décision qui devait être prise, qu’il n’y ait eu aucun des documents que l’on peut s’attendre à trouver à la suite d’un examen complet de la demande de GCT dans le cadre du processus d’EEP, et que tout ce qui a pu exister soit des documents échangés avec les avocats de l’APVF en raison de la nature délicate et de l’importance de la décision pour les deux parties.

[147] Il me semble que ce qui peut être à l’origine de la consternation de GCT face à ce qu’elle prétend être l’insuffisance du dossier du tribunal, c’est son incapacité à comprendre que les dirigeants de l’APVF étaient, à cette époque, au courant du projet DP4 depuis environ cinq ans. Je suis d’avis que GCT rate sa cible en mettant continuellement l’accent sur le peu de documents qui se trouvaient entre les mains des dirigeants de l’APVF lorsqu’ils se sont assis pour discuter de ce que l’administration portuaire devait faire avec la demande de GCT concernant le projet DP4. Il ne serait pas surprenant que les dirigeants aient estimé qu’ils n’avaient pas besoin d’examiner le dossier parce que l’historique du projet et leurs évaluations et préoccupations persistantes et non résolues à son égard étaient gravées dans leur mémoire. Cela ne veut pas dire que l’APVF n’avait pas d’obligation d’équité procédurale envers GCT après le dépôt par celle‑ci de la DRPP par le portail du processus d’EEP. En fait, l’administration portuaire avait une telle obligation, et je traiterai de cette question plus loin. Cependant, le problème en l’espèce est que GCT me demande de considérer que le fait qu’aucun document n’ait été présenté aux dirigeants de l’APVF le 13 février 2019 allait au-delà du caractère déraisonnable de la décision de mars 2019, et qu’il s’agissait en fait d’un indice de l’étroitesse d’esprit dont faisait preuve l’APVF, équivalant à une partialité inadmissible. Je ne le ferai pas, car je ne suis pas d’accord avec l’hypothèse sous-jacente de GCT selon laquelle, dans un contexte commercial et compte tenu de la raison de la réunion et de la nature de la décision qui devait être prise à ce stade du processus réglementaire, j’aurais dû m’attendre à trouver un dossier du tribunal aussi complet. Les soupçons, les hypothèses ou les possibilités de partialité ne suffisent pas. Le critère de la crainte raisonnable de partialité exige une « réelle probabilité de partialité » (Commission scolaire francophone du Yukon, au para 25, renvoyant à Arsenault-Cameron c Île-du-Prince-Édouard, [1999] 3 RCS 851).

[148] En outre, la réunion du 13 février 2019 n’était pas une réunion du conseil d’administration, et on ne m’a pas montré que les procédures internes de l’APVF exigeaient que, lorsque l’équipe de la haute direction est réunie pour prendre une décision sur une question très précise que les membres connaissent déjà, une trace écrite de cette réunion doive être conservée. L’omission de conserver une telle trace écrite peut en fait rendre déraisonnable la décision prise, mais considérer qu’un tel possible manquement constitue un indice de partialité n’est pas défendable en l’espèce. Il me semble que cette question est une tempête dans un verre d’eau. Les administrations portuaires sont des exploitations commerciales, où des gens du milieu des affaires gèrent un établissement commercial, précisément de la manière dont le législateur a voulu qu’elles le soient lorsqu’il les a créées dans la LMC. On ne m’a pas convaincu que les critères de documentation du processus décisionnel dans un environnement commercial sont les mêmes que dans le contexte d’offices ou de tribunaux administratifs. GCT fait valoir devant moi que la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, doit être en mesure de suivre le processus décisionnel du décideur. En l’espèce, le dossier du tribunal contient environ 710 documents décrivant l’historique des projets RBT2 et DP4 jusqu’aux décisions de mars 2019 et de septembre 2019. Dans ces circonstances, les décisions de mars et de septembre 2019 font correctement état des décisions de l’APVF.

[149] En fin de compte, je ne suis pas convaincu que, dans les circonstances, l’omission de consigner par écrit les délibérations qui ont eu lieu lors de la réunion du 13 février 2019 et qui ont abouti aux décisions de mars et de février 2019, ou le fait qu’on n’ait pas présenté aux membres de la haute direction de documents autres que les avis des avocats, constituent des indices de partialité entraînant un manquement à l’équité procédurale. Dans ce scénario, il est tout à fait possible que les considérations qui sous-tendent la décision de ne pas procéder à l’examen de la DRPP de GCT n’aient rien à voir avec une partialité inadmissible ou un comportement sournois de la part de l’administration portuaire. Il n’existe même pas de crainte raisonnable de partialité, pour autant que je puisse en juger.

[150] En outre, il ne serait pas inhabituel que l’APVF ait cherché à obtenir des conseils juridiques concernant une décision qui était clairement controversée aux yeux de GCT, et on s’attendrait dans ce contexte à ce que l’APVP revendique le secret professionnel de l’avocat. Quoi qu’il en soit, la requête de GCT en divulgation des documents pour lesquels le secret professionnel de l’avocat a été invoqué a été rejetée par le juge Pentney dans son ordonnance du 17 juin 2021. Le juge Pentney n’était pas disposé à permettre de déroger au privilège associé aux communications avec les avocats, mais il a déclaré à juste titre que « si l’APVF ne parvient pas à convaincre la Cour du caractère raisonnable de ses décisions à partir du dossier qu’elle a (et qu’elle aura) divulgué, ces décisions seront annulées. Si les décisions pouvaient se justifier au regard d’un élément pour lequel elle a revendiqué le privilège des communications entre avocat et client ou qu’elle a par ailleurs omis de divulguer, l’APVF en sera l’unique responsable, en ce sens qu’il lui était possible de se doter d’un processus décisionnel qui lui aurait permis de présenter un meilleur dossier plus favorable ». Je suis d’accord avec le juge Pentney pour dire qu’il s’agit d’une question de caractère raisonnable du fond de la décision. Cependant, en l’espèce, l’argument de GCT est que la revendication du privilège a été en quelque sorte formulée pour éviter délibérément la divulgation et qu’un tel comportement est un indice de partialité inadmissible entraînant un manquement à l’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord avec GCT. L’APVF pouvait légitimement revendiquer le privilège, et le fait de prêter une intention malveillante à l’APVF n’y change rien.

[151] En outre, en ce qui concerne la participation de l’ancien avocat de l’APVF, le registre des documents confidentiels déposé par l’APVF montre que l’APVF a envoyé le 6 février 2019 un courriel à son avocat concernant la DRPP de GCT, ainsi que des indications d’un projet de réponse de l’avocat à l’intention à la fois à GCT et à la commission d’examen concernant la demande de GCT, et possiblement un avis juridique sur les questions soulevées. GCT a fait valoir en substance qu’il y avait eu une violation du principe de la séparation qu’il devait y avoir au sein du précédent cabinet d’avocats de l’APVF pour les services qui étaient fournis à cette dernière en tant qu’organisme de réglementation, d’une part, et en tant que « promoteur », d’autre part, et que l’associé qui avait assisté l’APVF à titre de promoteur pour faire avancer le projet RBT2 dans le processus réglementaire donnait maintenant des conseils à l’APVF sur le plan réglementaire sur la question de savoir si l’APVF pouvait légitimement refuser de traiter la DRPP de GCT.

[152] Je ne sais pas exactement ce qu’il faut penser des observations de GCT sur cette question. GCT ne soutient pas que l’APVF n’aurait pas dû faire appel à un avocat, et GCT ne dit pas non plus que l’avocat a conseillé à l’APVF qu’elle ne devait avoir à sa disposition aucun document lorsqu’elle a pris sa décision afin de ne pas créer de dossier du tribunal. Les insinuations seules ne sont pas convaincantes, même en supposant que je sache de quoi j’aurais dû être convaincu. Je n’ai aucune raison de douter que les anciens avocats de l’APVF se sont placés en situation de conflit d’intérêts, et qu’au final, le 6 septembre 2019, le juge Pentney leur en a fait payer le prix, obligeant l’APVF à retenir les services de nouveaux avocats. Le fait que les anciens avocats de l’APVF se soient placés en situation de conflit d’intérêts est regrettable. Cependant, je ne sais pas quoi en penser de plus. Ils ont en fin de compte été démis de leurs fonctions.

2. Le cabinet d’avocats actuel et la tactique utilisée pour tenter de déjouer le système

[153] GCT affirme qu’au milieu de la présente procédure, et immédiatement après que l’APVF eut engagé ses nouveaux avocats, la décision de septembre 2019 a été rendue, s’agissant d’une tentative de transformer en quelque sorte après coup la décision de mars 2019 en une décision intérimaire ou interlocutoire et d’empêcher ainsi tout examen judiciaire de sa partialité. GCT affirme que cette décision portant annulation de la décision précédente était une tentative de « déjouer le système », rédigée par des avocats plaidants afin de fournir le fondement d’un argument concernant le caractère théorique et la prématurité de sa demande, et était donc, en soi, une preuve de partialité. Tout comme la décision de mars 2019, la décision de septembre 2019 n’était pas fondée sur un examen sur le fond, objectif ou de bonne foi, du projet DP4, mais était au contraire une tactique de litige entièrement façonnée par les avocats. Quoi qu’il en soit, selon GCT, il n’y avait toujours pas de garantie qu’elle [traduction] « obtiendrait un traitement équitable » si elle devait réengager le processus d’EEP sans garanties supplémentaires, comme elle a été invitée à le faire dans la décision de septembre 2019.

[154] GCT souligne à nouveau le registre des documents confidentiels qui a été déposé par l’APVF et qui montre, plus précisément, que le 13 septembre 2019, les avocats actuels de l’APVF ont donné un avis juridique préliminaire concernant la présente demande de contrôle judiciaire et que M. Stewart – qui est censé s’intéresser aux fonctions de promoteur de l’APVF en ce qui concerne le projet RBT2 – a reçu une copie d’un message qui concernait la façon dont l’APVF exerçait son rôle de réglementation concernant le projet DP4. Le même jour, un avis préliminaire supplémentaire a été fourni concernant la DRPP de GCT et les anciens avocats de l’administration portuaire. Selon GCT, l’affaire devient problématique en raison de la collaboration directe, le 20 septembre 2019, entre M. Stewart et l’actuel et nouvel avocat de l’administration portuaire pour rédiger ce qui deviendra la décision de septembre 2019, comme en fait foi le registre des documents confidentiels. GCT affirme qu’il ressort clairement du registre qu’il s’agit d’un processus dirigé par l’avocat actuel de l’APVF, plus précisément en lien avec la demande de contrôle judiciaire, et que M. Stewart en est l’épicentre. GCT allègue que la décision de septembre 2019 n’est par conséquent pas une décision réglementaire prise de bonne foi et librement, fondée sur la preuve ou des considérations politiques, mais plutôt une tactique de litige, menée par l’avocat du contentieux et le dirigeant de l’APVF qui était principalement responsable du projet RBT2, et n’a rien à voir avec la valeur intrinsèque du projet DP4.

[155] Là encore, je ne peux pas aller là où GCT me demande d’aller sur cette question. L’argument de GCT est une pure conjecture. Tout d’abord, il n’y a rien de mal à ce que l’APVF cherche à obtenir, retienne et suive les conseils d’un avocat externe. Deuxièmement, l’intérêt de la décision de septembre 2019 est qu’elle reconnaît que la décision de mars 2019 posait des problèmes, plus précisément en ce qui concerne la compréhension par l’APVF de l’effet des lettres du MPO de 2003. Si la première décision ne comportait pas des problèmes, il n’y aurait peut-être jamais eu de décision portant annulation de cette première décision.

[156] GCT considère également la décision de septembre 2019 – plus précisément la déclaration de l’APVF selon laquelle, bien qu’elle continue de croire que le projet DP4 présente des risques considérables pour l’habitat du poisson, l’administration portuaire n’est plus convaincue que ces risques sont d’une nature telle que tout examen du projet DP4 est exclu – comme une excuse pour ne pas faire ce que l’APVF aurait dû faire en mars, et que la partialité qui existait en mars ne peut pas être rectifiée maintenant. GCT ne m’a pas convaincu. La décision de mars 2019 a soulevé la possibilité d’un risque pour l’habitat du poisson dû au développement dans la zone du projet DP4 proposé, exposé dans les lettres du MPO de 2003, comme une préoccupation qui milite contre la poursuite de l’examen du projet DP4. Compte tenu des audiences de la commission d’examen et, plus précisément, du témoignage du MPO au cours de ces audiences selon lequel les lettres du MPO de 2003 n’étaient pas censées interdire tout développement de la zone à l’avenir, je ne vois rien d’anormal à ce que l’APVF mette de côté la question du risque pour l’habitat du poisson en tant que facteur prohibitif, dans l’attente du processus d’évaluation du projet DP4.

[157] GCT soulève le même argument concernant la manière dont l’APVF a traité la question du maintien de la compétitivité au sein du port dans la décision de septembre 2019. L’APVF a clairement indiqué que, bien que la question du contrôle de la compétitivité ou de la capacité reste une question sérieuse dont il faut tenir compte dans le cadre de l’examen du projet DP4, elle était disposée à ne plus traiter cette question comme militant contre l’évaluation du projet, et était disposée à [traduction] « approfondir cette question grâce aux renseignements fournis et à l’analyse qui sera réalisée dans le cadre de l’évaluation d’impact fédérale du projet DP4 et de [son] processus d’EEP ». GCT soutient que le refus de l’APVF, en mars, de ne serait-ce que traiter sa DRPP est une indication manifeste de la partialité de l’administration portuaire, et que l’APVF n’était par la suite plus en mesure de poursuivre le processus d’examen de manière impartiale.

[158] Encore une fois, GCT ne m’a pas convaincu et je dois rejeter sa prétention selon laquelle l’APVF aurait eu un objectif inapproprié en annulant la décision de mars 2019, que je considère comme une simple affirmation. M. Xotta a déclaré ceci en contre-interrogatoire :

[traduction]
Le 23 septembre 2019, peu après avoir retenu les services du cabinet McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l., les dirigeants de l’APVF se sont réunis par téléphone pour examiner les répercussions de la décision de la Cour fédérale [je suppose qu’il s’agissait de la décision du juge Pentney de déclarer les anciens avocats de l’APVF inhabiles à exercer leurs fonctions] et la position de l’APVF exposée dans [la décision de mars 2019]. À la suite d’une nouvelle discussion entre les dirigeants de l’APVF, le directeur général de l’APVF, Robin Silvester a envoyé [la décision de septembre 2019] à GCT, annulant [la décision de mars 2019]. Les motifs sous-tendant la décision exposés dans cette lettre reflètent le raisonnement qu’ont suivi les dirigeants de l’APVF lors de la réunion du 23 septembre 2019.

[159] Il ressort clairement de la décision de septembre 2019 que des événements postérieurs à la décision de mars 2019, qui pouvaient légitimement éclairer le processus décisionnel, ont justement eu lieu et ont amené l’APVF à revoir sa position concernant l’examen de la demande relative au projet DP4. Dans la décision de septembre 2019, l’APVF a indiqué qu’elle avait pris en compte les préoccupations de GCT exprimées lors des audiences de la commission d’examen sur le projet RBT2 ainsi que dans la demande de contrôle judiciaire, notamment l’allégation de partialité inadmissible formulée par GCT. Le paysage a changé entre la décision de mars 2019 et celle de septembre 2019 : des audiences ont eu lieu devant la commission d’examen aux termes de la LCEE et l’adoption de la LEI a transféré la majeure partie du travail d’évaluation environnementale des « projets désignés » de l’APVF à l’Agence.

[160] Il est également probable que le changement d’avocats – que GCT voit avec méfiance – ait apporté une nouvelle perspective sur l’opportunité de poursuivre le processus d’EEP, que l’APVF avait non seulement mis en place, mais qu’elle avait déjà été engagé avant d’y mettre un terme. En outre, comme l’a admis l’APVF dans la décision de septembre 2019, l’introduction de la demande de contrôle judiciaire a également joué un rôle dans la décision d’annuler la décision de mars 2019. GCT ne m’a tout simplement pas convaincu d’aller aussi loin qu’elle le souhaite et de conclure que la décision de septembre 2019 était une décision tactique visant à mettre l’APVF à l’abri d’un contrôle judiciaire plutôt que, tout aussi probablement, le résultat d’une série de développements ayant pour effet d’attirer l’attention des gens d’affaires sur d’autres questions, gens d’affaires dont l’attention est plus normalement focalisée sur les activités portuaires commerciales. À la simple lecture des décisions de mars et de septembre 2019, l’APVF ne me semble pas être un décideur impétueux ou irritable qui s’en tient obstinément à sa décision face à des circonstances changeantes qui exigeraient raisonnablement un réexamen de ce qui était manifestement une décision importante pour GCT. On ne m’a pas convaincu que les décisions de mars et septembre 2019 doivent être considérées comme la preuve d’une étroitesse d’esprit allant au-delà d’un simple niveau de préjugé de la part des dirigeants de l’APVF, ce à quoi on peut s’attendre dans les circonstances, et certainement pas d’un préjugé tel qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté (Newfoundland Telephone; Vieux St-Boniface, à la p 1197).

[161] GCT demande également que je mette en contraste la décision de septembre 2019 avec l’une des lettres de mai 2020 envoyées par l’APVF à diverses communautés des Premières Nations – plus précisément la lettre du 25 mai 2020 envoyée à la Nation Malahat [la lettre adressée à la Nation Malahat], dans laquelle l’APVF affirme que l’option de donner suite au projet DP4 [traduction] « a été rejetée par l’administration portuaire pour un certain nombre de raisons, notamment des préoccupations environnementales liées à la poursuite du développement à cet endroit, des préoccupations en matière de concurrence et les besoins commerciaux prévus ». La lettre précise ensuite que l’APVF n’a pas l’intention de poursuivre le projet DP4, que GCT a besoin de l’approbation de l’administration portuaire pour poursuivre le projet, que GCT n’avait pas à ce moment-là d’échanges avec l’administration portuaire au sujet du projet DP4, et que rien n’obligeait l’APVF à s’assurer que GCT soit le seul terminal à conteneurs à Roberts Bank. GCT soutient que ces déclarations sont la preuve de l’étroitesse d’esprit de l’APVF et que le message véhiculé par la lettre est que le projet DP4 [traduction] « n’est pas en marche » et que GCT ne peut rien faire sans l’approbation de l’administration portuaire. Il s’agit là, selon GCT, d’une preuve indépendante de l’étroitesse d’esprit de l’APVF à l’égard du processus d’EEP.

[162] Je ne suis pas convaincu de cela. La lettre doit être lue dans son contexte. GCT s’était engagée dans ce que l’on peut appeler une campagne de relations publiques en faveur du projet DP4. Personnellement, j’estime qu’il s’agit d’un jeu loyal de promotion de ses intérêts commerciaux. La lettre que l’APVF a envoyée à la Nation Malahat comprend le paragraphe d’introduction suivant :

[traduction]
Au cours des dernières semaines, nous avons reçu plusieurs commentaires et questions de la part de groupes autochtones concernant des renseignements qui semblent avoir été fournis par [GCT]. Nous vous écrivons aujourd’hui pour répondre à des demandes de renseignements complémentaires sur l’état d’avancement du projet RBT2 par suite des affirmations de GCT concernant un projet qu’elle a déclaré proposer. À cet égard, j’ai le plaisir de vous communiquer ce qui suit.

[163] Il est clair que la lettre adressée à la Nation Malahat, comme les autres lettres de mai 2020 envoyées par l’APVF à d’autres communautés des Premières Nations, était destinée à répondre aux questions soulevées par les renseignements communiqués par GCT à l’appui du projet DP4. Je ne peux guère reprocher à l’APVF de chercher à clarifier le statut des deux projets en réponse aux questions des parties prenantes, et je ne vois pas non plus dans la lettre du 25 mai 2020 le moindre signe d’une étroitesse d’esprit donnant lieu à une partialité inadmissible. GCT n’a pas prétendu qu’une ou des déclarations faites par l’APVF dans cette lettre étaient incorrectes. Il me semble plutôt que l’APVF était passée à autre chose étant donné que GCT avait refusé de réengager le processus d’EEP. On ne peut attendre d’une administration portuaire qu’elle suspende ses plans de développement en attendant qu’un promoteur particulier engage le processus d’examen, ce que GCT a refusé de faire à la suite de la décision de septembre 2019. Les positions des parties ont été clairement exposées dans les échanges des mois de septembre et d’octobre précédents, et elles ont eu des conséquences pour les deux parties. La perspective d’une demande de contrôle judiciaire ne peut pas non plus créer une situation dans laquelle les fonctions vitales de l’administration portuaire sont momentanément suspendues. La vie continue, et GCT ne peut pas s’attendre à ce que le processus judiciaire agisse comme un frein à la poursuite des plans de développement de l’APVF en attendant l’issue de la procédure judiciaire, et si ces plans ne sont pas interrompus, prétendre que l’APVF a en quelque sorte fermé son esprit d’une manière qui la rend partiale. D’une certaine manière, chaque fois que nous avançons dans la vie, nous fermons notre esprit aux autres choses qu’on aurait pu faire, mais cela ne saurait être assimilé à un parti pris contre ces autres choses.

[164] Somme toute, je ne suis pas convaincu que l’APVF ait tenté de « déjouer le système ».

3. Le manque délibéré de transparence de la part de l’APVF pour échapper à l’allégation de partialité

[165] GCT affirme qu’elle a dû demander à plusieurs reprises à l’APVF un dossier du tribunal en bonne et due forme. Entre ce qu’elle prétend être des omissions flagrantes dans le dossier du tribunal, qui montre selon elle que l’APVF avait décidé de rejeter le projet DP4 avant même qu’une demande ne soit présentée, et le grand nombre de questions qui ont fait l’objet, à ses dires, de refus abusifs lors du contre-interrogatoire de l’APVF – lors duquel GCT a essayé d’obtenir des explications pour ces omissions afin qu’elles puissent être comprises et examinées par la Cour –, GCT affirme que l’approche de l’APVF à l’égard du dossier du tribunal témoigne de sa partialité et qu’il existe des éléments de preuve qui démontrent clairement que l’APVF a tenté d’écarter l’allégation de partialité. Là encore, il est nécessaire de mettre les choses en contexte.

[166] À la suite du rejet par la protonotaire Furlanetto de la requête de l’APVF en radiation de la demande de contrôle judiciaire pour cause de caractère théorique et de prématurité, GCT a présenté, le 12 mars 2020, une demande de production du dossier du tribunal conformément à l’article 317 des Règles – la requête initiale présentée en application de l’article 317, incluse dans la demande de contrôle judiciaire, a été radiée par la protonotaire –, environ un an après l’introduction de la présente demande de contrôle judiciaire et cinq jours avant la publication de la première Directive sur la procédure et ordonnance (COVID-19) de la Cour. La présente affaire a fait l’objet d’une gestion rigoureuse et, à la suite d’une série de conférences de gestion de l’instance portant, notamment, sur des questions de calendrier, l’APVF a produit le 9 septembre 2020 un dossier du tribunal composé d’environ 478 documents. GCT a estimé que la divulgation faite par l’APVF était inadéquate et a déposé une requête fondée sur le paragraphe 318(2) des Règles en vue d’obtenir la communication de documents supplémentaires, requête que le juge Pentney a accueillie le 17 juin 2021 [ordonnance du 17 juin 2021]. Le juge Pentney a notamment estimé que la communication des documents du conseil d’administration faite par l’APVF était incomplète et a jugé troublant le fait qu’aucun document n’ait été fourni pour l’ensemble de l’année 2019, étant donné que les décisions contestées ont été rendues cette année-là. Par conséquent, le juge Pentney a ordonné à l’APVF de communiquer certains documents expressément identifiés et de désigner un cadre supérieur pour superviser un examen de son fonds documentaire et produire certaines autres catégories de documents.

[167] Comme les contre-interrogatoires sur le fond de la présente demande devaient débuter à la mi-août 2021, l’APVF a produit 100 documents supplémentaires à la fin du mois de juillet 2021. L’APVF a parallèlement demandé à Mark Gustafson, son avocat général et secrétaire des services intégrés, de rédiger un affidavit décrivant la manière dont il a supervisé et ordonné la collecte des documents en réponse à l’ordonnance du 17 juin 2021. M. Gustafson a notamment déclaré dans son affidavit que certains documents demandés n’existaient pas. La demande officieuse de GCT de contre‑interroger M. Gustafson sur son affidavit a été autorisée par le juge Pentney le 25 août 2021 [l’ordonnance du 25 août 2021], qui visait en particulier à en savoir plus sur les efforts déployés pour produire des documents. Le juge Pentney a commenté la situation inhabituelle des parties, à savoir que l’APVF est à la fois le décideur et une partie à part entière à la procédure, alors que le décideur n’est habituellement pas une partie à la demande de contrôle judiciaire et communique automatiquement les éléments matériels en sa possession en application de l’article 317 des Règles, à savoir habituellement un dossier clair constitué essentiellement de la preuve qui lui a été présentée par les parties.

[168] Le 3 septembre 2021, quelques heures avant le début du contre-interrogatoire de M. Gustafson, l’APVF a annoncé la découverte de documents supplémentaires visés par l’ordonnance du 17 juin 2021. L’APVF a ainsi produit 100 documents supplémentaires, mais seulement plus tard dans l’après-midi du 3 septembre 2021, après le contre-interrogatoire de M. Gustafson. Enfin, comme l’a confirmé GCT, 10 autres documents ont été communiqués une semaine plus tard.

[169] GCT affirme qu’une telle chronologie ne correspond pas au comportement d’un organisme décisionnel établi par la loi qui tente de prendre, en toute transparence et de bonne foi, une décision sur le fondement de la preuve et qu’à cause de ce comportement l’APVF ne peut invoquer aucun élément du dossier, autre que le registre des documents confidentiels ou les simples assurances qui ont été faites, pour réfuter l’allégation de partialité ou pour prouver les motivations qui sous-tendent les décisions de mars et de septembre 2019. Selon GCT, l’insuffisance du dossier ne permet pas non plus à la Cour de vérifier les motivations qui sous‑tendent ces décisions, et a pour conséquence de limiter la capacité de GCT de vérifier son allégation de partialité lors du contre-interrogatoire qu’elle a fait subir à l’administration portuaire. GCT invoque les arrêts Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, Slansky c Canada (Procureur général), 2013 CAF 199, [2015] 1 RCF 81, et Lukács c Canada (Office des transports), 2016 CAF 103, pour faire valoir que, pour que la Cour puisse remplir sa fonction de supervision dans le cadre du contrôle judiciaire, elle doit avoir accès aux documents sous-jacents à la décision qui fait l’objet du contrôle et qu’un dossier de preuve inadéquat pourrait empêcher à certains égards le contrôle judiciaire des décisions du décideur.

[170] En ce qui concerne le contre-interrogatoire de M. Gustafson, GCT a énuméré une série d’engagements qu’elle a cherché à obtenir concernant certains documents, par exemple un ordre du jour de la réunion du conseil d’administration ou le procès-verbal de cette réunion, qui n’ont pas été produits parce que l’avocat de l’APVF s’est opposé aux questions et que la question d’un des engagements demandés a été prise en délibéré. Les engagements ont finalement été refusés au motif que les questions sortaient du cadre de l’ordonnance du 25 août 2021. Comme autre exemple de refus de production de la part de l’APVF, GCT souligne expressément le fait que l’APVF n’a pas produit les réponses aux courriels et les questions posées par les membres du conseil d’administration (y compris la liste des questions du conseil d’administration colligées, qui en comptait 39) avant la réunion du conseil d’administration du 21 mars 2018, qui auraient servi à la préparation des notes d’allocution de M. Wilson avant la tenue de cette réunion du conseil d’administration. Là encore, il semble, d’après le tableau des engagements, que la demande ait été prise en délibéré et finalement refusée au motif que la question n’entrait pas dans le champ d’application de l’ordonnance du 25 août 2021. L’audience sur le fond approchant à grands pas, c’est à moi qu’il revenait d’examiner les refus.

[171] GCT soutient que ses demandes de production supplémentaires, formulées lors du contre‑interrogatoire de M. Gustafson et finalement refusées par l’APVF, ont été expressément autorisées par le juge Pentney dans son ordonnance du 25 août 2021, qui énonce ce qui suit aux paragraphes 26 à 28 :

[traduction]
[26] Comme il est décrit ci-dessus, la question de savoir si le dossier est suffisant est étroitement liée à la plainte sous-jacente de GCT en l’espèce : les rôles simultanés de l’APVF en tant que décideur et partie au litige. Il est probable que la question du caractère suffisant du dossier continuera à diviser les parties, et le juge de l’audience pourrait être invité à se prononcer à cet égard ou à prendre en compte cette question dans sa décision sur le fond. Quoi qu’il en soit, le juge de l’audience bénéficiera d’une compréhension complète de la divulgation faite, et les réponses de M. Gustafson aux questions posées à ce sujet lors du contre‑interrogatoire pourraient fournir des éclaircissements utiles et pertinents.

[27] Permettre un contre-interrogatoire ajoutera une étape supplémentaire à la procédure, mais ne la retardera pas indûment et n’entraînera pas de dépenses importantes. Inversement, l’absence d’une telle ordonnance pourrait aboutir à un dossier incomplet pour le juge de l’audience, entravant ainsi la capacité de la Cour à statuer sur l’affaire de manière équitable.

[28] La portée du contre-interrogatoire sera limitée et ne devrait donc pas imposer un fardeau excessif à l’APVF ou à ses avocats. Les questions soulevées par GCT au sujet des incohérences ou lacunes dans la divulgation invoquées, dont fait état l’affidavit de M. Gustafson, devraient recevoir une réponse afin que le juge de l’audience ait une compréhension complète de la nature du dossier.

[172] Au paragraphe 31, le juge Pentney a déclaré ce qui suit :

[traduction]
[31] Par conséquent, j’ordonnerai que GCT soit autorisée à contre‑interroger M. Gustafson, à une date et en un lieu dont les parties devront convenir, uniquement en ce qui concerne son témoignage sur la nature et l’étendue de la recherche entreprise conformément à mon ordonnance du 17 juin 2021, et les documents qui ont été trouvés mais qui n’ont pas été produits. Aucune question ne lui sera posée sur le bien-fondé des décisions de l’APVF qui sont contestées ou sur le processus décisionnel de l’APVF.

[Non souligné dans l’original.]

[173] Le dispositif de l’ordonnance du 25 août 2021 est conforme au paragraphe 31. En outre, l’ordonnance du 17 juin 2021 prévoyait ce qui suit, aux paragraphes 71 et 72 :

[71] Dans cette perspective, je conclus que la production des documents liés au conseil d’administration est incomplète, et il est troublant de constater l’absence totale de documents relatifs à 2019, puisque c’est au cours de cette année qu’ont été prises les décisions contestées.

[72] L’APVF doit, à tout le moins, compléter le dossier de divulgation qu’elle a déjà produit, en y ajoutant notamment l’ordre du jour et le procès‑verbal de la réunion du conseil d’administration du 21 mars 2018 et tous les autres documents relatifs à cette réunion qui mentionnent le projet DP4. L’APVF doit également produire le contenu du dossier compressé (.zip) joint au courriel qui fait référence à la réunion du 25 février 2019 du « conseil » constitué pour le projet (pièce no 00028 de l’APVF), de même que le procès‑verbal de cette réunion, s’il en est, ce qui permettra au juge chargé du contrôle judiciaire de vérifier s’il s’agit d’une référence à une réunion du conseil d’administration, ou à une réunion du conseil constitué pour le projet, comme le prétend l’APVF. D’après la jurisprudence, si un document divulgué porte la mention « pièces jointes », ces dernières doivent également être produites (1185740 Ontario Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), 1999 CanLII 8774 (CAF), au para 6).

[174] Enfin, le dispositif de l’ordonnance du 17 juin 2021 prévoit entre autres ce qui suit :

[…]

[4] Il est enjoint à l’APVF de désigner un haut dirigeant qui sera chargé d’encadrer l’examen des fonds documentaires, sur support papier et électronique (fonds documentaires courants et archives compris), en vue d’effectuer une recherche des documents relevant des catégories suivantes :

[…]

d. Correspondance interne relative au projet DP4 :

i. L’APVF effectuera une recherche et produira tous les documents internes portant sur les analyses de l’EPP de GCT que ses responsables ont réalisées après sa présentation, le 5 février 2019, et avant la décision de mars 2019.

[Non souligné dans l’original.]

[175] GCT souligne un courriel daté du 12 février 2019 – journée qui se situe dans la fourchette des dates visées par l’ordonnance du 17 juin 2021 – qui figure dans le registre des documents confidentiels produit par l’APVF et que l’ancien avocat de l’administration portuaire a envoyé à diverses personnes de l’APVF, dont M. Bryan Nelson, identifié comme le directeur de la durabilité des infrastructures de l’APVF. Le courriel est décrit comme faisant notamment état de projets de réponses à la DRPP de GCT datée du 5 février 2019.

[176] GCT affirme également que l’ancien avocat a également envoyé une copie à Mme K. Bamford, identifiée comme étant la directrice du développement commercial de l’APVF. Je n’arrive pas à suivre l’argument de GCT à cet égard, car le courriel qui mettait en cause Mme Bamford avait en fait été envoyé par M. Xotta à cette dernière, est daté de la veille (11 février 2019), et ne concerne que les observations que GCT a présentées à la commission d’examen.

[177] Quoi qu’il en soit, le point essentiel est que GCT soutient que M. Nelson et Mme Bamford sont inclus dans les communications pertinentes qui font l’objet du secret professionnel de l’avocat, mais ne sont pas inclus dans les critères de recherche pour les recherches effectuées conformément à l’ordonnance du 17 juin 2021. En contre-interrogatoire, M. Gustafson a refusé d’accéder à la demande de GCT pour que l’APVF effectue des recherches dignes d’intérêt dans les dossiers de M. Nelson et de Mme Bamford au motif que leurs fonctions ne portaient sur aucun aspect de l’approbation des autorisations ou de l’examen préliminaire des projets et qu’ils n’étaient donc pas utiles.

[178] Tout d’abord, je n’interprète ni l’ordonnance du 17 juin 2021 ni celle du 25 août 2021 comme autorisant que des engagements soient demandés au cours du contre‑interrogatoire. L’ordonnance du 25 août 2021 a autorisé le contre-interrogatoire de M. Gustafson [traduction] « en ce qui concerne son témoignage sur la nature et l’étendue de la recherche entreprise conformément à [l]ordonnance du 17 juin 2021, et les documents qui ont été trouvés mais qui n’ont pas été produits » [non souligné dans l’original]. En outre, je ne suis pas d’accord pour dire que le témoignage auquel renvoie GCT appuie l’argument selon lequel les documents de Mme Bamford auraient dû être inclus dans les critères de recherche appliqués, conformément à l’ordonnance du 17 juin 2021, mais je suis d’accord en ce qui concerne M. Nelson.

[179] Le seul document auquel est associée Mme Bamford a été envoyé à cette dernière par M. Xotta le 11 février 2019, et est décrit comme étant les observations que GCT a présentées à la commission d’examen. Étant donné qu’elle était directrice du développement commercial, je peux comprendre pourquoi elle aurait pu être intéressée à lire ce que GCT avait à dire devant la commission d’examen. Il s’agit là, toutefois, d’une question totalement distincte de celle qui nous occupe. Rien n’indique que Mme Bamford faisait partie des dirigeants de l’APVF qui se sont réunis le 13 février 2019 et le 23 septembre 2019 pour prendre les décisions de mars et de septembre 2019, ni qu’elle participait à l’approbation des autorisations ou aux examens préliminaires des projets ou à toute analyse entreprise par les responsables de l’APVF concernant la DRPP de GCT après sa présentation le 5 février 2019 et avant la décision de mars 2019.

[180] Cependant, la situation est différente en ce qui concerne M. Nelson. Le fait que le moteur de recherche l’ait trouvé peut très bien être non concluant. M. Nelson a cependant été mis en copie du courriel de l’avocat précédent de l’APVF, qui a joint des projets de réponses pouvant être données à GCT pour la DRPP. L’avocat a peut-être reçu l’instruction de le mettre en copie. Il se peut aussi qu’il n’ait été mis en copie que parce que le courriel du 12 février 2019 contenait également un projet de réponse pouvant être donnée à la commission d’examen concernant les observations de GCT du 8 février 2019, question dont M. Nelson s’était peut-être occupé. Quoi qu’il en soit, et bien que le rôle qu’il a pu jouer dans l’analyse que les responsables de l’APVF ont pu faire de la DRPP de GCT ne soit pas clair, je suis d’avis que, pour donner plein effet à l’ordonnance du 17 juin 2021, il aurait dû être inclus dans la recherche. Je reconnais que la recherche peut avoir été limitée aux personnes qui, selon l’APVF, ont participé à l’approbation de l’autorisation ou à l’examen préliminaire du projet, mais l’ordonnance du 17 juin 2021 exigeait une recherche portant sur les documents relatifs à l’analyse que les responsables de l’APVF ont faite de la DRPP de GCT après sa présentation le 5 février 2019, et le fait que M. Nelson figure dans le registre des documents confidentiels n’a pas été expliqué de manière suffisante par l’APVF.

[181] GCT soutient que l’omission de produire les documents demandés est une preuve supplémentaire d’un manque de transparence, qui démontre une étroitesse d’esprit, et que les exemples de M. Nelson et de Mme Bamford ne sont que deux exemples supplémentaires d’une tentative de mettre l’APVF à l’abri d’un contrôle judiciaire et de racheter les décisions de mars et de septembre 2019. Je ne suis pas d’accord, et je ne trouve pas non plus que l’argument du secret professionnel de l’avocat était une invitation à jouer « à cache-cache », pour reprendre les termes employés par le juge Phelan au paragraphe 16 de Lafond c Ledoux, 2008 CF 1369. Les escarmouches entre avocats concernant la portée des ordonnances de production et de divulgation de documents ne sont pas rares, et je ne suis pas prêt à conclure que l’omission d’inclure M. Nelson dans les critères de recherche est une preuve de mauvaise foi de la part de l’APVF. Je ne suis pas non plus disposé à admettre que l’APVF revendiquait une acception trop large du privilège du secret professionnel de l’avocat afin de se mettre à l’abri d’un contrôle judiciaire. Il ne faut pas oublier qu’à la suite de l’ordonnance du 17 juin 2021, 210 documents supplémentaires ont été produits. Je comprends que GCT crie à l’injustice et qu’elle affirme que les efforts pour obtenir la divulgation de documents de la part de l’APVF – bien que toujours déficiente – pouvaient se comparer à une extraction de dents. Cependant, je suis également conscient du fait que nous avons affaire à un décideur réglementaire non traditionnel dont le dossier du tribunal n’est pas nécessairement bien regroupé avec les dossiers des parties et qui, contrairement aux décideurs réglementaires traditionnels, doit recourir à des outils d’investigation électronique pour se conformer aux exigences de production. Il ne s’agit pas, comme l’a mentionné le juge Pentney, de la situation plus courante, où le décideur n’est pas une partie à la demande de contrôle judiciaire et fournit automatiquement la divulgation visée à l’article 317 des Règles, généralement en s’appuyant sur un dossier clair qui est essentiellement la preuve que les parties lui ont présentée.

[182] Plus précisément, et en mettant de côté la question de savoir pourquoi des engagements seraient pris lors d’un contre-interrogatoire, je ne vois pas pourquoi les réponses aux courriels et les questions posées par les membres du conseil d’administration, ou tout autre document mentionné par GCT dans son mémoire des faits et du droit complémentaire, auraient nécessairement fait partie du dossier du tribunal. La présente instance n’est pas de la nature d’une action et le contre-interrogatoire de M. Gustafson ordonné par le juge Pentney n’était pas une communication préalable. Devant un décideur ayant des fonctions juridictionnelles, les parties comparaissent et présentent leurs documents, qui constituent ensemble, et sauf exception, le dossier du tribunal. En l’espèce, la LMC a créé ce que le juge Pentney a appelé une [traduction] « situation inhabituelle » dans laquelle l’APVF est à la fois le décideur et une partie à part entière à la procédure, une entité dotée d’une mission commerciale, et c’est cette situation qui doit nous guider sur ce que nous devrions ou ne devrions pas nous attendre à trouver dans le dossier du tribunal. Si j’accepte les affirmations de GCT, je devrais m’attendre à voir tous les courriels adressés à l’APVF ou provenant de celle-ci et portant sur le projet DP4, ou du moins sur les préoccupations de l’APVF concernant le projet DP4 qui justifiaient et sous‑tendaient les décisions de mars et de septembre 2019, et ce dès 2014, lorsque GCT a commencé à mettre sur pied le projet DP4. Cette thèse est indéfendable, car cela ne tient absolument pas compte de la nature du décideur.

[183] Comme je l’ai indiqué précédemment, dans un environnement commercial où des projets de grande envergure sont au cœur des préoccupations depuis plusieurs années, des décisions sont régulièrement prises en fonction d’un examen, d’un point de vue, de la compréhension et de la mémoire des gens d’affaires appelés à prendre des décisions au jour le jour, sans qu’il soit nécessaire de rassembler en permanence des milliers de courriels, rapports, soumissions, présentations, notes et lettres antérieures pour qu’une décision puisse être prise. Cela ne veut pas dire qu’il n’aurait pas été nécessaire, si le processus d’EEP s’était poursuivi, de conserver un dossier complet de la décision finale – dossier qui, à mon avis, devrait comprendre la demande et les présentations de GCT et tous les rapports, analyses et échanges à l’appui de cette décision finale, comme le prévoit le processus d’EEP, ainsi qu’une décision finale justifiée, transparente et intelligible. Cependant, les décisions de mars et de septembre 2019 visaient à déterminer s’il fallait ou non autoriser l’examen de la DRPP dans le cadre du processus d’EEP. Dans ce contexte, on ne m’a pas convaincu que je devrais m’attendre à trouver ce que GCT affirme que je devrais trouver dans les documents dont disposaient les dirigeants de l’APVF lorsqu’ils ont rendu les décisions de mars et de septembre 2019, et je suis encore moins convaincu que l’absence de ces documents témoigne d’une étroitesse d’esprit conduisant à une partialité inadmissible de la part de l’APVF à l’endroit du projet DP4.

4. Efforts visant à discréditer le projet DP4 auprès de parties prenantes tierces

[184] GCT fait valoir que, plutôt que de démontrer le bien-fondé des décisions, le dossier du tribunal décrit les nombreuses tentatives de l’APVF pour discréditer le projet DP4 auprès de tiers, ce qui constitue une preuve supplémentaire de son étroitesse d’esprit. C’est une chose, selon GCT, qu’un organisme de réglementation affirme qu’il a une préférence politique pour un projet d’agrandissement plutôt qu’un autre, mais c’en est une autre qu’il mène une campagne visant à discréditer activement le projet DP4 auprès d’autres parties prenantes, activité qui ne figure nulle part dans la mission de l’APVF prévue par la loi et qui démontre sa partialité.

[185] GCT souligne la lettre du 27 avril 2018 adressée par l’APVF au ministre des Transports de l’époque ainsi que la lettre du 5 mai 2018 adressée au ministre du Commerce international de l’époque, envoyées quelques mois seulement après le rapport Hemmera, qui exprimaient le point de vue selon lequel le développement dans la zone du projet DP4 proposé est [traduction] « un endroit très sensible qui, selon les déclarations non équivoques du ministre des Pêches en 2003, ne serait pas autorisé ». GCT affirme qu’une telle interprétation erronée des lettres de 2003 du MPO était intentionnelle, étant donné que le rapport Hemmera était déjà disponible et que la construction du projet DP3 a été autorisée dans cette zone en 2010.

[186] GCT souligne également le courriel du 29 mars 2019 que l’APVF a envoyé au bureau du premier ministre plus de quatre semaines après la décision de mars 2019 et le jour suivant le dépôt et la signification de la présente demande de contrôle judiciaire, dans lequel la même interprétation erronée a été exposée. Comme on l’a vu précédemment, la note d’information jointe au courriel indique que l’APVF a évalué la même zone que celle proposée pour le projet DP4 comme l’une des nombreuses options pour le projet RBT2, mais l’a rejetée parce que le MPO a indiqué qu’aucun permis ne serait délivré en vertu de la Loi sur les pêches pour cette zone en raison de la sensibilité des eaux intertidales. La décision concernant l’emplacement du projet RBT2 a donc été guidée en grande partie par les instructions données par le MPO en 2003, selon lesquelles seules les options d’agrandissement au-delà de l’actuel terminal Deltaport, dans des eaux plus profondes, devaient être envisagées et il n’y aurait pas d’octroi de permis pour des options dans des habitats très sensibles plus proches du rivage.

[187] GCT souligne également la réunion tenue entre l’APVF et le bureau du premier ministre le 10 avril 2019. Le lendemain, l’APVF a envoyé la note d’information, mise à jour le 3 avril 2019, ainsi que la présentation PowerPoint donnée lors de la réunion de la veille, et le document de justification du projet RBT2, avec la même interprétation erronée du prétendu problème environnemental insoluble que celle exprimée par l’APVF dans la correspondance précédente.

[188] GCT s’insurge également contre le fait qu’après la décision de septembre 2019, dans laquelle l’APVF prétend rouvrir le processus d’EEP pour la DRPP, elle ne corrige pas le dossier auprès du bureau du premier ministre ni d’aucun des ministres, qui restent avec la fausse impression créée précédemment concernant les prétendues préoccupations environnementales liées au projet DP4.

[189] Les affirmations de GCT concernant la mauvaise interprétation faite par l’APVF des lettres du MPO de 2003, compte tenu du rapport Hemmera et de l’élaboration du projet DP3, doivent être replacées dans leur contexte. En 2003, le projet discuté avec le MPO concernait l’agrandissement du terminal Deltaport, plus important que ce qui serait finalement construit dans le cadre du projet DP3. Le MPO a déclaré à l’époque, dans sa lettre du 1er avril 2003, qu’il [traduction] « ne participera pas à l’examen de la proposition du terminal Deltaport, car la seule option proposée pour ce projet entraîne la destruction de l’habitat essentiel du poisson du côté est de la route en remblai ». Dans sa lettre du 29 juillet 2003, le ministre des Pêches et des Océans a déclaré que [traduction] « le MPO n’envisagera pas de délivrer une autorisation aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour la destruction de cet habitat essentiel du poisson ». La lettre poursuit en précisant que le MPO a indiqué que l’APVF [traduction] « concentre ses efforts sur des options qui ont moins de chances d’endommager l’habitat essentiel du poisson [...] dans des eaux plus profondes, où la construction aurait probablement moins de répercussions sur l’habitat du poisson de l’estuaire [...] ».

[190] Le MPO a fini par approuver la construction du projet DP3, mais seulement après une réduction de la superficie au sol du projet d’environ 30 % au nord, dans la zone intertidale, pour tenir compte des préoccupations qu’il avait exprimées. Quant au projet DP4, selon ma lecture de la description du projet fournie par GCT, non seulement il vise le développement des 30 % qui n’étaient pas acceptables pour le MPO en 2003, mais il propose un agrandissement au nord, dans la zone d’eau intertidale du côté continental de la route en remblai. Il est injuste de prétendre, comme le fait GCT, que la construction du projet DP3 est la preuve que l’APVF a mal interprété les lettres du MPO de 2003. Si l’on examine la zone du projet DP4, elle se trouve en grande partie dans la zone que le MPO considère comme un [traduction] « habitat essentiel du poisson ».

[191] En ce qui concerne le rapport Hemmera, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation de GCT selon laquelle il n’y a pas eu, depuis 2017, de controverse sur le fait que le rapport a mis fin à l’idée d’une quelconque interdiction. Il est vrai que le rapport Hemmera avait été publié plusieurs mois auparavant et qu’il était entre les mains de l’APVF au moment où elle a envoyé les notes d’information au ministre des Transports et au ministre du Commerce international. Cependant, comme nous l’a vu, le rapport ne conclut pas que les lettres du MPO de 2003 ne faisaient pas état d’une « interdiction » de développement dans la zone proposée pour le DP4 – au nord de l’actuel projet DP3 et dans des eaux moins profondes –, mais fournit simplement des conseils et des suggestions sur la manière d’atténuer éventuellement les risques environnementaux exprimés par le MPO à l’époque, pour les projets en cours de construction aujourd’hui.

[192] En ce qui concerne la légitimité de l’affirmation selon laquelle les lettres du MPO de 2003 ne faisaient pas état d’une « interdiction » de développement dans la zone proposée pour le projet DP4, GCT soutient que ce point admis et que le dossier contient trois confirmations distinctes de l’absence d’interdiction de développement dans la zone proposée pour le projet DP4. GCT renvoie d’abord au témoignage de M. Magnan, le représentant du MPO, lors de l’audience de la commission d’examen au sujet du projet RBT2 tenue le 22 mai 2019, concernant les lettres du MPO de 2003, dont voici un extrait :

[traduction]
MEMBRE LEVY

D’accord. Étant donné que le monde a beaucoup changé depuis 2003, que nous avons une nouvelle politique en matière d’habitat, que nous avons une nouvelle Loi sur les pêches qui est actuellement devant le Sénat, le MPO est-il toujours d’avis que le développement autour de la route en remblai serait inacceptable?

M. MAGNAN

Là encore, je tiens à rappeler que la lettre indiquait que ce projet particulier, qui prévoyait une superficie au sol, un délai et un examen, n’aurait pas été approuvé ou autorisé. La lettre n’avait pas pour but d’énoncer une quelconque déclaration générale en ce qui a trait au développement dans cette zone. Elle visait expressément ce projet.

Donc – et encore là, chaque projet est évalué en fonction de la demande reçue, de la législation et des politiques en vigueur. À l’avenir, si un projet est présenté, le MPO examinera la demande et prendra une décision en fonction des renseignements qui nous seront présentés.

[193] GCT renvoie ensuite à l’affidavit, daté du 12 août 2020, de M. Dave Carter, qui travaille pour le MPO et qui est l’un des déposants du procureur général dans la présente instance. Il déclare ce qui suit au paragraphe 12 de son affidavit :

[traduction]
La lettre du 29 juillet 2003 que le ministre des Pêches et des Océans a envoyée à l’APVF était fondée sur les demandes de projets particulières de l’époque. À l’avenir, si un promoteur demande au MPO une autorisation pour le projet qu’il propose, le MPO examinera la demande et prendra une décision en fonction des renseignements présentés.

[194] Enfin, GCT souligne l’échange suivant qui a eu lieu le 20 août 2021 lors du contre‑interrogatoire de M. Carter dans le cadre de la présente instance :

[traduction]
Q. M. Carter, pouvez-vous confirmer que si GCT présente une demande visant le projet DP4, le MPO examinera cette demande et prendra une décision en fonction des renseignements demandés – ou fournis?

R. Oui, c’est le cas.

Q. Et j’en déduis de votre déposition au paragraphe 12 que cette décision comprendra un examen objectif du dossier de demande?

R. Il y aura certainement un examen du dossier de demande.

Q. Et cet examen sera impartial?

R. Oui.

Q. Et objectif?

R. Oui.

[…]

Q. M. Carter, puis-je vous amener au paragraphe 5 de votre affidavit? Il se trouve à la page 2.

R. Oui.

Q. À la deuxième phrase, vous décrivez les deux lettres de 2003 dont nous parlions tout à l’heure et vous dites que « l’APVF a demandé l’avis du MPO pour recenser les options qui présentaient le moins de risques pour l’obtention de l’approbation réglementaire ». Voyez-vous cela?

R. Oui, je vois cela.

Q. Et j’en déduis qu’aucune de ces deux lettres n’a empêché la présentation ultérieure de demandes au MPO concernant des projets dans cette zone?

R. C’est exact. Il n’y avait pas d’avis général – en effet.

Q. Pas d’interdiction générale?

Oui.

Q. Et je veux dire par là qu’il n’y a pas d’interdiction générale concernant de nouvelles demandes ou de nouveaux développements dans la zone de la route en remblai.

R. C’est exact.

[195] GCT affirme que le MPO a confirmé à trois reprises ce que l’APVF savait depuis novembre 2017, lorsqu’elle a reçu le rapport Hemmera, à savoir que l’idée d’interdire le développement du projet de DP4 est illogique, mais que l’APVF continuait à promouvoir, au moyen d’un libellé soigneusement choisi, la fiction d’une interdiction bien le dépôt et la signification de la présente demande de contrôle judiciaire.

[196] Je ne suis pas d’accord avec GCT. Il ne fait aucun doute qu’après le témoignage du MPO lors des audiences de la commission d’examen en mai et juin 2019, les lettres du MPO de 2003 ne devaient pas être considérées comme une interdiction générale concernant le développement de la zone proposée pour le projet DP4. Mais là encore, cela passe à côté de l’essentiel. Rétrospectivement, les choses sont parfaitement claires et, en fait, dans la décision de septembre 2019, l’APVF a clairement renvoyé au témoignage du MPO lors des audiences de la commission d’examen comme l’une des raisons pour lesquelles elle annulait la décision de mars 2019. La question est plutôt de savoir si, au moment où la décision de mars 2019 a été prise (avant les audiences de la commission d’examen et avant l’affidavit de M. Carter et son contre‑interrogatoire), la prétention de l’APVF selon laquelle il existait une telle interdiction était une preuve de mauvaise foi, d’étroitesse d’esprit allant au-delà du simple préjugé admissible, au point de constituer une partialité inadmissible. Étant donné le manque de clarté sur cette question dans le rapport Hemmera, je ne suis pas prêt à dire que c’est le cas. Là encore, comme l’a déclaré M. Xotta lors de son contre-interrogatoire, au moment de la décision de mars 2019, les dirigeants de l’APVF pensaient, à tort ou à raison, qu’une telle interdiction existait dans la zone située au nord de l’actuel projet DP3 et dans la zone du projet DP4 proposé.

[197] GCT cite ensuite la lettre adressée à la Nation Malahat, datée du 25 mai 2020, comme preuve supplémentaire d’une étroitesse d’esprit à l’égard du projet DP4. Il y est notamment écrit ce qui suit :

[traduction]
L’administration portuaire est, en vertu de la [LMC], entièrement responsable des décisions relatives aux développements sur les terrains portuaires. Après de nombreuses années de réflexion, nous avons décidé de poursuivre le projet RBT2 afin de répondre aux besoins croissants en matière de terminaux à conteneurs [...].

En prenant cette décision, l’administration portuaire a envisagé de nombreuses options, y compris la poursuite du développement sur le côté est de la route en remblai, à côté de l’actuel terminal Deltaport de GCT. Cela correspondrait généralement à ce que GCT appelle le projet potentiel « DP4 ».

Cette option a été rejetée par l’administration portuaire pour un certain nombre de raisons, notamment des préoccupations environnementales liées à la poursuite du développement à cet endroit, des préoccupations en matière de concurrence et les besoins commerciaux prévus. La commission d’examen fédérale indépendante a expressément pris en compte cette question et a tenu une journée d’audience expressément consacrée aux solutions de rechange. GCT y a largement participé. La commission s’est maintenant prononcée et a appuyé la conclusion de l’administration portuaire d’implanter le terminal dans des eaux plus profondes, en déclarant ceci à la page 57 de son rapport

[traduction]
La commission d’examen conclut que l’évaluation par le promoteur d’autres moyens de réaliser le projet était appropriée.

Pour être clair :

  • L’administration portuaire n’a pas l’intention de poursuivre le développement adjacent à l’installation actuelle de GCT;

  • GCT n’est pas habilitée à poursuivre son projet d’agrandissement sans l’approbation de l’administration portuaire (et à cet égard, il convient de noter que l’agrandissement précédent du troisième poste d’accostage du terminal Deltaport a été entrepris par l’administration portuaire – et non par GCT);

  • GCT ne discute pas actuellement avec l’administration portuaire au sujet d’un agrandissement de ses installations;

  • Rien n’oblige l’administration portuaire à s’assurer que GCT reste le seul exploitant de terminal à conteneurs à Roberts Bank.

[198] GCT fait valoir que l’APVF, malgré le fait qu’elle aurait fait preuve « d’ouverture d’esprit » et annulé sa décision de mars 2019 par la décision de septembre 2019, a ensuite affirmé dans la lettre adressée à la Nation Malahat que le projet DP4 avait été rejeté par l’APVF notamment en raison de préoccupations liées à l’environnement et à la concurrence.

[199] Je ne pense pas que GCT fasse une interprétation juste de la lettre adressée à la Nation Malahat. Comme je l’ai déjà dit, la lettre doit être lue dans le contexte de la réponse aux questions soulevées par les renseignements que GCT a communiqués aux communautés des Premières Nations à l’appui du projet DP4. L’APVF a énoncé son rôle prévu par la LMC et a déclaré qu’après de nombreuses années de réflexion, elle avait décidé d’aller de l’avant avec le projet RBT2 pour répondre aux besoins futurs du port. L’APVF a déclaré que pour arriver à cette conclusion, l’administration portuaire avait envisagé plusieurs options, y compris le projet DP4. Toutefois, le projet DP4 [traduction] « a été rejet[é] par l’administration portuaire pour un certain nombre de raisons, notamment des préoccupations environnementales liées à la poursuite du développement à cet endroit, des préoccupations en matière de concurrence et les besoins commerciaux prévus ». Au moment où a été prise la décision de mars 2019, cette déclaration de l’APVF était correcte. L’APVF a également affirmé dans la lettre adressée à la Nation Malahat qu’elle [traduction] « n’[avait] pas l’intention de poursuivre le développement adjacent à l’installation actuelle de GCT ». Cette déclaration était également correcte, d’autant plus que GCT n’a pas réengagé le processus d’EEP à la suite de la décision de septembre 2019.

[200] Pour comprendre ce que dit l’APVF, il est essentiel de rappeler que dans la décision de mars 2019, l’APVF a clairement indiqué qu’elle ne considérerait le projet DP4 que comme [traduction] « postérieu[r] et s’ajoutant au projet RBT2 ». Je ne suis pas d’accord avec GCT pour dire que, dans la lettre adressée à la Nation Malahat, l’APVF déclare que le projet DP4 est « mort ». Il se dégage de la preuve que l’APVF était préoccupée par le fait que l’approbation, le cas échéant, du projet DP4 au terme de l’évaluation environnementale prendrait plusieurs années de plus que ce qui était nécessaire pour le projet RBT2, d’autant plus que GCT cherchait à développer une zone déjà signalée comme étant problématique. L’APVF était également préoccupée par le fait que le projet DP4 entrerait en service alors que l’on ne savait pas exactement quelle capacité supplémentaire à celle du projet RBT2 serait nécessaire et que son calendrier des travaux entrerait en conflit avec celui du projet RBT2. La décision de septembre 2019 n’a pas modifié cette manière dont l’APVF invitait GCT à réengager le processus d’EEP. Cela correspond également à la manière dont l’APVF a fait savoir à GCT, dans sa lettre du 2 février 2018, qu’elle examinerait la demande relative au projet DP4 de GCT si elle était faite, et lorsqu’elle le serait. Dans cette lettre, l’APVF a déclaré [traduction] « [...] qu’il serait tout à fait approprié, et même qu’il incombe à l’APVF de prendre également en compte les répercussions du projet DP4 sur l’ensemble des activités portuaires. L’APVF examinerait également la question du calendrier, reconnaissant l’importance de respecter les délais requis pour de tels projets et le besoin imminent d’une plus grande capacité à court terme dans le port de Vancouver ».

[201] La préoccupation concernant le retard pris par le projet DP4 a également été exprimée dans la décision de mars 2019, lorsque l’APVF a déclaré : [traduction] « [n]ous constatons que le calendrier de développement que vous proposez serait incompatible avec la mise en œuvre de la capacité du projet RBT2 ». En effet, les notes d’allocution du dirigeant de l’APVF pour la réunion du conseil d’administration du 21 mars 2018 abordent le sujet des solutions de rechange au projet RBT2 qui ont été envisagées. En ce qui concerne plus particulièrement le projet DP4, les notes d’allocution de Cliff Stewart prévoient ce qui suit :

[traduction]
Le nouvel agrandissement du terminal Deltaport, ou projet DP4 comme on l’appelle, n’est pas une solution viable pour les raisons suivantes :

Les directives antérieures du [MPO], y compris une lettre du ministre fédéral des Pêches, selon lesquelles tout nouvel agrandissement du côté est de la route en remblai n’obtiendrait pas de permis en raison de préoccupations d’ordre environnemental. L’emplacement intertidal proposé détruirait également les efforts actuels de compensation de l’habitat des initiatives d’agrandissement antérieures.

Compte tenu de sa proximité avec des zones environnementales sensibles, la proposition de GCT serait probablement évaluée en tant que projet désigné, ce qui nécessite un long examen par le gouvernement fédéral. Comme GCT n’a pas entamé d’évaluation environnementale du projet, on peut supposer qu’elle a potentiellement jusqu’à 10 ans de retard par rapport au projet RBT2, même si son projet finissait par être approuvé.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[202] Je ne suis pas d’accord avec GCT lorsqu’elle affirme que la lettre adressée à la Nation Malahat exprimait clairement l’opposition au projet DP4 après que l’APVF eut déclaré ne plus faire preuve d’étroitesse d’esprit en annulant la décision de mars 2019. S’il y a eu « étroitesse d’esprit » de la part de l’APVF, c’était, comme l’indique clairement la décision de mars 2019, uniquement en ce qui concerne l’examen du projet DP4 [traduction] « pour le moment ». Cela n’indique pas, à mon avis, une partialité inadmissible dans ce contexte, en particulier compte tenu des préoccupations au sujet du projet DP4. Il s’agit plutôt d’une question de priorisation de projets conflictuels, qui relevait certainement de l’APVF telle qu’elle est constituée aux termes de la LMC. Je reconnais que la question de savoir si la fonction de « priorisation » de l’APVF relève de son rôle de promoteur du projet RBT2 ou de son rôle d’organisme de réglementation en ce qui concerne le projet DP4 peut se poser, et j’y reviendrai plus loin. Toutefois, pour l’instant, je ne considère pas qu’il s’agit d’une tentative de l’APVF de saper le projet DP4.

[203] Quant à la déclaration de l’APVF selon laquelle [traduction] « GCT ne discute pas actuellement avec l’administration portuaire au sujet d’un agrandissement de ses installations », rapportée précédemment, on ne peut attendre de l’administration portuaire qu’elle suspende ses plans de développement en attendant qu’un promoteur particulier décide de participer à son processus d’examen.

[204] GCT souligne également le Plan de gestion des problèmes élaboré juste avant la signification et le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, qui, outre la compensation financière des dirigeants de l’APVF dont je parlerai plus loin, révèle, selon GCT, les motivations qui sous-tendent la partialité de l’APVF. GCT renvoie à la déclaration suivante faite dans le Plan de gestion des problèmes, sous la section [traduction] « Analyse et hypothèses » : [traduction] « Étant donné que le projet DP4 proposé ne peut pas être construit, selon le ministre des Pêches en 2003, il est curieux que GCT le propose ».

[205] GCT soutient que cette affirmation n’est pas véridique. D’après ce que je comprends, le témoignage du MPO lors des audiences de la commission d’examen tenues quelques mois plus tard a peut-être montré que cette déclaration n’était pas nécessairement correcte, mais il semble qu’au moment où elle a été formulée dans le document, l’APVF la croyait effectivement véridique. L’affirmation figure dans la section [traduction] « Analyse et hypothèses » du Plan de gestion des problèmes. Cela veut dire que l’APVF parlait pour elle-même et exposait ce qu’elle estimait être la situation actuelle. L’affirmation ne me semble pas consister en une série de points de discussion préparés par un directeur de la communication pour aider l’APVF à faire connaître sa position au public. Par conséquent, de mon point de vue, cette affirmation confirme la déclaration de M. Xotta lors de son contre‑interrogatoire, à savoir que l’APVF croyait vraiment à l’effet prohibitif des lettres du MPO de 2003.

[206] En outre, on trouve le passage suivant dans la section [traduction] « Contexte » du Plan de gestion des problèmes :

[traduction]
GCT a entamé une campagne publique qui comprend au moins ce qui suit :

Une vidéo du projet proposé montrant l’agrandissement de la superficie au sol (bien que la vidéo indique que la capacité supplémentaire peut être gérée sur la superficie au sol actuelle).

Appels téléphoniques robotisés à la communauté de Delta, présentant le projet DP4 comme une « meilleure solution ».

Un important travail de lobbying auprès des gouvernements et des parties prenantes.

La mobilisation du public, par exemple par l’organisation de tables rondes à l’intention des communautés et des entreprises

Nous pouvons nous attendre à ce que GCT continue à communiquer avec les principales parties prenantes, telles que celles qui se sont inscrites pour s’exprimer en faveur du projet RBT2 lors de l’audience publique à venir.

[207] GCT soutient que le Plan de gestion des problèmes constitue un exposé de ce que l’APVF va faire pour saper le projet DP4, et qu’il s’agit d’une indication supplémentaire d’une étroitesse d’esprit équivalant à une partialité inadmissible de la part de l’APVF. Je ne suis pas de cet avis. La preuve m’amène à penser que, compte tenu de la préférence de l’APVF pour le projet RBT2, GCT avait entrepris sa propre campagne pour mousser le projet DP4 auprès du public et du gouvernement. Je ne m’attendais pas à autre chose de sa part et, comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un jeu loyal de la part de tout exploitant commercial qui a besoin du soutien du public et du gouvernement pour faire avancer sa stratégie de développement. Je n’y vois rien de mal. Selon l’APVF, il ne s’agit pas d’une opposition entre le projet RBT2 et le projet DP4. GCT affirme quant à elle le contraire, à savoir que la présente procédure porte sur l’opposition entre le projet RBT2 et le projet DP4. Quelle que soit la situation réelle, elle explique pourquoi l’APVF a ressenti le besoin d’adopter une approche concertée afin de répondre à ce qui aurait pu devenir une bataille pour l’opinion publique sur la poursuite du développement du terminal Deltaport. De façon générale, et pour être plus précis, je ne suis pas convaincu que l’APVF ait entrepris une campagne ouverte ou clandestine pour saper le projet DP4. GCT ne m’a montré aucune déclaration inexacte dans le Plan de gestion des problèmes, à l’exception d’opinions qui se sont avérées ultérieurement ne pas être nécessairement correctes. Chercher à rétablir la vérité n’est pas une preuve de conduite sournoise.

[208] GCT me demande également de comparer et d’opposer, d’une part, la déclaration faite dans le Plan de gestion des problèmes selon laquelle la commission d’examen n’est pas mandatée pour examiner la nécessité du projet ou les solutions de rechange, et ne peut donc pas formuler une recommandation qui favorise un projet plutôt qu’un autre et, d’autre part, la déclaration faite par l’APVF à la Nation Malahat dans sa lettre du 25 mai 2020 selon laquelle [traduction] « [l]a commission d’examen fédérale indépendante a expressément pris en compte [la décision de l’APVF de rejeter le projet DP4 pour des raisons environnementales et de concurrence] et a tenu une journée d’audience expressément consacrée aux solutions de rechange. [...] La commission d’examen s’est maintenant prononcée et a appuyé la conclusion de l’administration portuaire d’implanter le terminal dans des eaux plus profondes [...] ».

[209] Je reconnais que la manière dont l’APVF a exprimé le rôle de la commission d’examen, à savoir l’approbation du rejet du projet DP4, était imprécise. Je ne suis toutefois pas convaincu que cette formulation permettait de conclure à une fermeture d’esprit conduisant à une partialité inadmissible de la part de l’administration portuaire.

[210] GCT souhaite également que je compare le Plan de gestion des problèmes avec la manière dont le conseil d’administration a demandé à l’APVF, lors de sa réunion du 31 mars 2015, d’examiner le projet DP4 avec objectivité et ouverture d’esprit. On ne m’a pas convaincu que, depuis 2015, l’APVF a traité autrement le projet DP4 de GCT. Étant donné que l’APVF a dû répondre à une campagne concertée de GCT pour mousser le projet DP4 auprès du public et du gouvernement, je ne vois aucune contradiction entre la directive du conseil d’administration en 2015 et l’élaboration du Plan de gestion des problèmes. Dans l’ensemble, j’estime que l’argument de GCT selon lequel l’APVF cherchait stratégiquement à saper le projet DP4, voire selon lequel l’APVF dénaturait délibérément les conséquences des lettres du MPO de 2003, n’est pas étayé par la preuve.

[211] Enfin, GCT soutient qu’une crainte raisonnable de partialité découle du fait qu’il y avait préjugement apparent, même si l’on applique un critère moins rigoureux, à savoir l’apparence d’une étroitesse d’esprit. Plus précisément, GCT affirme que les motifs donnés dans la décision de mars 2019 démontrent que la décision de l’APVF était prise à l’avance en faveur du projet RBT2 et que les commentaires de cette administration portuaire, rendus publics, laissent entrevoir un préjugement ou une absence d’impartialité de sa part (Chrétien c Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802 aux para 78 à 80 et 106, conf. par 2010 CAF 283 [Gomery] et Canadian Broadcasting Corp c Canada (Human Rights Commission), 1993 CanLII 16517 (CF) au para 43 [CBC]). Abstraction faite du fait que les situations dans les affaires Gomery et CBC étaient sensiblement différentes de l’affaire qui m’occupe, je ne suis pas prêt, compte tenu des circonstances, à conclure que l’APVF a entrepris une campagne visant à saper le projet DP4 ou que ses déclarations concernant l’effet des lettres du MPO de 2003 ont été faites de mauvaise foi, sachant qu’elles étaient erronées. Je ne suis pas non plus convaincu que de telles déclarations publiques témoignent d’une étroitesse d’esprit conduisant à une réelle partialité inadmissible. Comme l’a déclaré M. Xotta au cours de son contre-interrogatoire, à l’époque où les déclarations concernant les préoccupations suscitées par les lettres du MPO de 2003 ont été faites, l’APVF pensait qu’elles étaient correctes. On ne m’a pas convaincu du contraire.

(iii) La déclaration de préférence pour le projet RBT2 sans une évaluation appropriée fondée sur la preuve

[212] Enfin, GCT affirme qu’outre les problèmes liés aux motifs donnés à l’appui des décisions de mars et de septembre 2019 et à la manière tactique dont ces décisions ont été orchestrées, le fait que l’APVF ait déclaré que le projet RBT2 était son projet préféré sans avoir d’abord procédé à un examen en bonne et due forme du projet DP4 au regard de la preuve ne peut que conduire à la conclusion que l’APVF a fait preuve de partialité dans son processus décisionnel en ce qui concerne le projet DP4. GCT demande que je garde à l’esprit que cette préférence obstinée pour le projet RBT2 découle du fait qu’il y a des personnes à l’APVF dont la carrière, les salaires et le legs dépendent de l’achèvement du projet RBT2. Ces personnes travaillent sur le projet depuis 2013 et ont donc développé, selon GCT, un état d’esprit proche de l’inertie bureaucratique dans leur dévouement à l’égard de ce projet.

[213] Je dois souligner que GCT ne soutient pas que le rôle réglementaire de l’APVF est d’agir comme un arbitre indépendant, mettant en balance le projet RBT2 et le projet DP4, ou que dans l’exercice de ses fonctions réglementaires, l’APVF ne peut pas tenir compte de l’historique des projets, des priorités de développement portuaire, des décisions et des engagements déjà pris par l’APVF, des discussions et échanges passés entre les parties, de la connaissance des deux projets par les parties, ou du stade de développement du projet RBT2, dans lequel l’APVF avait déjà investi du temps et de l’énergie dans le cadre de la mission d’exploitant commercial du port que prévoit la loi. GCT soutient plutôt que l’administration portuaire, avant de déclarer que le projet RBT2 était en fait le projet qu’elle préférait – décision que l’administration portuaire peut avoir prise dans le cadre de son rôle de promoteur du projet RBT2 – avait néanmoins l’obligation, sur le plan réglementaire, de permettre l’examen du projet DP4 dans le cadre d’un processus décisionnel équitable, indépendant, objectif et fondé sur la preuve, et que l’omission de l’avoir fait dans ces circonstances est la preuve d’une partialité inadmissible. Bien qu’elle ait indiqué à un moment donné que les questions en litige soulevées dans le cadre de la présente instance sont essentiellement centrées sur le projet RBT2, par opposition au projet DP4, GCT soutient également que pour déterminer la partialité de l’APVF, il ne s’agit pas d’évaluer un projet par rapport à un autre, mais plutôt de savoir si un projet comparable n’est même pas considéré.

[214] Quoi qu’il en soit, M. Grosman a admis en contre-interrogatoire qu’il savait que le projet RBT2 était le projet que préférait l’APVF depuis le moment où il s’est joint à GCT en juillet 2017. La préférence de l’APVF pour le projet RBT2 n’était pas un secret bien avant que GCT ne dépose sa DRPP en février 2019. Toutefois, GCT affirme qu’elle n’était pas consciente qu’une telle préférence équivalait à [traduction] « fermer la porte » à l’examen du projet DP4 sans qu’au moins le processus décisionnel préalable équitable, indépendant, objectif et fondé sur la preuve ne soit entrepris de manière à justifier la préférence, et ajoute que le fait de procéder comme l’APVF l’a fait est la preuve de la partialité de cette dernière à l’endroit du projet DP4, dont la décision de mars 2019 n’est que la manifestation.

[215] Là encore, je ne peux pas être d’accord avec GCT. La décision de mars 2019 expose très clairement la raison pour laquelle l’APVF a décidé de ne pas traiter la DRPP de GCT dans le cadre de son processus d’EEP.

[216] Comme je l’ai mentionné précédemment, la proposition selon laquelle l’APVF a fait preuve d’étroitesse d’esprit, argument que GCT a présenté tout au long de l’instance comme étant un indice de partialité inadmissible, me semble plutôt être la conséquence naturelle du fait que l’administration portuaire a pris, à tort ou à raison, des décisions commerciales et qu’elle a simplement voulu passer à autre chose. Pour l’APVF, le projet RBT2 a débuté en 2013 – si l’on ne tient pas compte des travaux entrepris avant l’achèvement du projet DP3 – et était en avance de plusieurs années sur le calendrier de développement par rapport au projet DP4. Il n’appartient pas à l’administration portuaire de retarder la prise de décisions politiques à long terme sur le développement de l’infrastructure portuaire jusqu’à ce qu’un promoteur soit prêt à présenter sa proposition, ce qui, en l’espèce, s’est produit en février 2019. En mettant de côté la question d’un éventuel manquement à l’équité procédurale de la part de l’APVF du fait qu’elle n’aurait pas autorisé au moins une évaluation initiale de la DRPP de GCT après sa présentation le 5 février 2019, je n’ai pas été convaincu de l’existence d’une étroitesse d’esprit telle qu’elle donnerait lieu à une partialité inadmissible de la part de l’APVF, traduite par le fait que cette dernière a décidé et déclaré, avant même d’évaluer la DRPP dans le cadre du processus d’EEP, sa préférence pour le projet RBT2.

(b) Non-respect de la politique de séparation des fonctions de promoteur et d’organisme de réglementation

[217] GCT fait valoir que, indépendamment de la question de savoir si les décisions de mars et de septembre 2019 reflétaient une réelle partialité de la part de l’APVF, la partialité de l’APVF peut être perçue dans la manière dont elle a fait fi de l’exigence, qu’elle a admise, de séparer son rôle de promoteur de projet de son rôle d’organisme de réglementation.

[218] GCT affirme que l’APVF reconnaît le conflit d’intérêts inhérent à son double rôle de promoteur et d’organisme de réglementation et assure les parties prenantes qu’elle prend des mesures pour séparer clairement les deux fonctions afin de résoudre ce conflit en s’assurant que les personnes qui travaillent pour son rôle de promoteur pour le projet RBT2 ne contaminent pas, par leur participation, son rôle d’organisme de réglementation en ce qui concerne le projet DP4.

[219] Alors que GCT présentait sa DRPP pour le projet DP4, l’APVF s’occupait également du projet RBT2 dans le cadre de la procédure réglementaire prévue par la LCEE. Dans une lettre datée du 22 février 2019 adressée à la commission d’examen (GCT souligne que cette lettre a été envoyée après la décision, prise par les dirigeants de l’APVF le 13 février 2019, de ne pas traiter sa DRPP dans le cadre du processus d’EEP) visant à aborder la capacité de l’APVF à surveiller la conformité aux conditions, et à obliger les intéressés à s’y conformer, et la manière dont les conditions seraient appliquées dans le cas où la réalisation du projet RBT2 serait approuvée, l’administration portuaire a également traité de son double rôle de promoteur et d’organisme de réglementation prévus par la LMC. Dans cette lettre, M. Stewart, qui fait partie de l’équipe qui travaille pour le l’APVF dans son rôle de promoteur du projet RBT2, s’exprime en ces termes :

[traduction]
Les administrations portuaires sont chargées d’examiner la valeur d’un projet sur le plan technique, y compris les incidences sur l’environnement et les mesures d’atténuation à cet égard. […]

Le rôle d’une administration portuaire canadienne est d’examiner les demandes de projet, y compris les études requises, d’évaluer la valeur de la demande sur le plan technique, puis de prendre une décision d’autorisation fondée sur la preuve. […]

L’[APVF] n’autorisera pas ou ne permettra pas la réalisation d’un projet proposé s’il est susceptible d’entraîner des effets environnementaux défavorables importants qui ne peuvent être atténués. Les demandes de permis de projet peuvent être rejetées si l’administration portuaire estime que le projet n’est pas dans l’intérêt supérieur des objectifs commerciaux globaux du Canada.

À l’instar d’autres organismes fédéraux, il arrive à l’occasion qu’une administration portuaire canadienne doive agir à la fois en tant qu’organisme qui délivre des permis et en tant que promoteur de projet, généralement pour des projets d’infrastructure à usage commun pour lesquels il n’y a aucun autre promoteur. Afin de garantir l’objectivité du processus d’examen des permis, l’[APVF] veille à séparer clairement les fonctions de réglementation de celles liées à la promotion des projets. Par exemple, les projets examinés par l’[APVF] sont confiés à des scientifiques et des spécialistes de l’environnement qui ne travaillent pas sur des projets menés par les administrations portuaires.

[Non souligné dans l’original.]

[220] GCT fait valoir que, tout en admettant que cette séparation soit une exigence minimale, il se dégage en fait de la preuve que, en violation de ses propres normes de justice naturelle et d’équité procédurale, l’APVF n’a mis en œuvre aucune protection de ce type en ce qui concerne le projet DP4. GCT renvoie au registre des documents confidentiels, qui montre que M. Stewart – que M. Xotta a décrit en contre-interrogatoire comme le cadre responsable de l’avancement du projet RBT2 ainsi que d’autres projets d’immobilisations dont s’occupait l’APVF – a participé aux décisions de mars et de septembre 2019 et que M. Armstrong était, selon GCT, au centre de la décision de mars 2019 en dépit de son rôle d’avocat de l’APVF pour les fonctions de promoteur du projet RBT2 de cette dernière. M. Xotta a également confirmé que la séparation des fonctions décrite par M. Stewart n’a pas été consignée par écrit dans une politique de l’APVF et qu’il n’existe aucun document définissant les modalités de cette séparation, mais que les procédures associées à l’examen des projets ont été énoncées dans le Guide. GCT considère qu’il s’agit d’un échec de gouvernance qui illustre une fois de plus l’étroitesse d’esprit de l’administration portuaire à l’égard du projet DP4. Selon GCT, l’élément de partialité est démontré parce qu’après avoir accepté qu’une séparation du type de celle entre l’église et l’État est nécessaire pour que les parties prenantes bénéficient d’une équité procédurale appropriée, l’APVF a secrètement fait le contraire, fait découvert seulement après que GCT eut déployé des efforts colossaux pour obtenir le vrai dossier.

[221] Je ne suis pas d’accord avec GCT. Premièrement, bien que GCT soutienne l’idée selon laquelle les deux projets étaient en concurrence, il me semble que ce n’était le cas que dans l’esprit de GCT. Plus important encore, je suis d’avis que GCT applique mal les principes énoncés dans la lettre que M. Stewart a adressée à la commission d’examen. Encore là, le contexte est important. La commission d’examen a été créée pour examiner le projet RBT2 et, dans la lettre du 22 février 2019, M. Stewart abordait la question de savoir comment l’APVF devait être constituée pour examiner le projet RBT2, projet pour lequel l’APVF elle-même agissait en tant que promoteur. Il est fort possible qu’une séparation du type de celle entre l’église et l’État aurait été mise en place si l’APVF était allée de l’avant en tant que promoteur du projet DP4, tout comme elle était le promoteur du projet DP3 et d’autres projets à grande échelle de bonification de terres dans le port de Vancouver, mais l’APVF a décidé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu’elle ne souhaitait pas aller de l’avant avec le DP4, préférant le projet RBT2 pour répondre à la croissance de la demande de capacité des terminaux à conteneurs, et je ne vois rien qui puisse tendre à indiquer qu’elle l’a fait en violant son propre engagement exprimé en faveur de la séparation des fonctions de promoteur et d’organisme de réglementation.

(c) Les décideurs de l’APVF sont-ils partiaux en raison d’un intérêt financier dans le développement du projet RBT2?

[222] Comme l’a précisé la Cour suprême dans l’arrêt Vieux St-Boniface, outre la fermeture d’esprit d’un décideur menant à l’intransigeance, une partialité entraînant une inhabilité peut également découler d’un conflit d’intérêts attribuable à un intérêt financier dans la décision à prendre. À la page 1196, le juge Sopinka a déclaré ceci :

Je fais une distinction entre la partialité pour cause de préjugé, d’une part, et la partialité découlant d’un intérêt personnel, d’autre part. Il se dégage nettement des faits de l’espèce, par exemple, qu’un certain niveau de préjugé est inhérent au rôle de conseiller. On ne peut pas en dire autant de l’intérêt personnel. En effet, il n’y a rien d’inhérent aux fonctions hybrides des conseillers municipaux, qu’elles soient politiques, législatives ou autres, qui rendrait obligatoire ou souhaitable de les soustraire à l’obligation de ne pas intervenir dans des affaires dans lesquelles ils ont un intérêt personnel ou autre. Il n’est pas exigé des conseillers municipaux qu’ils aient dans les dossiers qui leur sont soumis un intérêt personnel au‑delà de l’intérêt qu’ils partagent avec d’autres citoyens dans la municipalité. Quand on conclut à l’existence d’un tel intérêt personnel, alors, aussi bien en vertu de la common law que de la loi, un conseiller devient inhabile si l’intérêt est à ce point lié à l’exercice d’une fonction publique qu’une personne raisonnablement bien informée conclurait que cet intérêt risquerait d’influer sur l’exercice de la fonction en question. C’est ce qu’on appelle communément un conflit d’intérêts.

[Non souligné dans l’original.]

[223] GCT fait valoir que les dirigeants de l’APVF qui ont pris les décisions relatives au projet DP4, tant ceux qui agissaient dans le cadre des fonctions réglementaires que ceux qui agissaient dans le cadre des fonctions de promoteur, ont été et sont rémunérés en fonction du succès du projet RBT2, ce qui crée un conflit financier direct qui empêche la prise en compte légitime du projet DP4 et donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[224] Selon les articles 1.1 et 1.2 du Code de conduite, le but de ce code est de « renforcer la confiance du public dans l’intégrité et l’impartialité des administrateurs et dirigeants » de l’APVF « en établissant des règles claires sur les conflits d’intérêts », et le Code de conduite doit être interprété conformément à une série de principes généraux, à savoir que chaque administrateur et dirigeant doit exercer ses fonctions de façon à préserver et accroître la confiance du public, que pour s’acquitter de ces obligations il ne suffit pas simplement à un administrateur ou dirigeant « d’observer les exigences techniques » de l’instrument applicable, et que la simple apparence de conflit d’intérêts, par opposition à un conflit réel, peut compromettre la confiance du public dans l’intégrité et l’impartialité de l’APVF.

[225] En outre, la politique en matière d’évaluation environnementale et d’examen des projets de l’APVF [la politique d’EEP] a été créée entre autres pour établir un processus d’EEP qui réponde aux responsabilités de l’APVF en vertu de la législation applicable, qui garantisse que le développement portuaire tienne compte des objectifs environnementaux, économiques et sociaux, et qui fournisse un service efficace aux parties prenantes de l’APVF. Dans le cadre de la politique d’EEP, le conseil d’administration de l’APVF autorise le président et directeur général à établir des procédures et à délivrer des permis, des approbations ou des autorisations conformément à la politique d’EEP et au processus d’EEP, et à déléguer ces pouvoirs, le cas échéant, aux dirigeants et au personnel de l’APVF. En outre, la politique d’EEP indique clairement que le processus d’EEP doit être [traduction] « guidé par les principes et les exigences juridiques de raisonnabilité, d’équité procédurale et de conduite éthique ».

[226] GCT soutient que les dirigeants de l’APVF, en tant que décideurs, doivent être présumés partiaux en raison de leur intérêt financier dans le succès du projet RBT2. On peut présumer qu’il y crainte raisonnable de partialité lorsqu’un juge ou un membre d’un tribunal a un intérêt dans l’affaire qu’il est appelé à trancher (Ireland v Victoria Real Estate Board, [1996] 1 WWR 349 à la p 385).

[227] L’APVF a commencé par affirmer que je ne devrais pas examiner cet argument, car GCT n’avait pas soulevé cette question dans son avis modifié de demande de contrôle judiciaire et qu’elle ne pouvait désormais plus le faire (Tl'azt'en Nation c Sam, 2013 CF 226 au para 6 [Kenny Sam]; Air Canada c Administration Portuaire de Toronto, 2010 CF 774 au para 80). Il s’agit bien sûr du principe général. Toutefois, comme l’a précisé le juge O’Reilly dans la décision Kenny Sam, il y a de la place pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire lorsque, par exemple, la nouvelle question est liée à celles énoncées dans l’avis et est étayée par le dossier de preuve, que le défendeur ne subirait pas de préjudice et qu’il n’en résulterait pas de retard indu (Kenny Sam, au para 7; Al Mansuri c Canada (Ministre de la Sécurité publique Canada et de la Protection civile), 2007 CF 22 aux para 12 et 13). En l’espèce, je suis d’avis que l’éventuel intérêt financier des dirigeants dans le projet RBT2 est important dans le contexte d’une possible partialité. Étant donné que la partialité est la question primordiale soulevée par GCT, et la question qui imprègne toutes les autres en l’espèce, je pense qu’il est approprié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et que j’examine la question.

[228] En l’espèce, GCT prétend que le processus décisionnel de l’APVF était entaché de partialité, que chacun des décideurs ne pouvait éviter cette partialité dans la mesure où chacun des membres de la direction avait un intérêt pécuniaire direct à ce que le projet RBT2 soit approuvé au détriment du projet DP4, et qu’à aucun moment un membre de la direction n’a déclaré un tel conflit au moment où les décisions de mars et de septembre 2019 étaient envisagées. Comme indice d’une telle partialité et comme facteur supplémentaire expliquant pourquoi l’APVF « faisait preuve d’étroitesse d’esprit » à l’égard du projet DP4, GCT mentionne le rapport financier 2020 de l’APVF, qui illustre ce régime de rémunération au rendement à moyen terme, qui consiste en une rémunération sur une période de trois ans fondée sur le rendement, qui, selon GCT, est expressément liée à la construction de projets d’immobilisations, y compris le projet RBT2.

[229] Je suis d’avis que GCT interprète mal la description le régime de rémunération au rendement. Le passage invoqué par GCT est rédigé comme suit :

[traduction]
Le régime de rémunération au rendement à moyen terme adapte la rémunération des cadres à la réalisation d’initiatives à plus long terme nécessaires pour l’exécution du plan stratégique de l’administration portuaire et le succès plus large du port. Pour s’assurer que l’administration portuaire conserve et motive les candidats clés pendant la durée de ces projets pluriannuels, tous les dirigeants sont admissibles au régime de rémunération au rendement et aux subventions futures à moyen terme (2019-2021).

Les subventions pour les exercices 2019-2021 et 2020-2022 accordées en 2020 (appelées « subvention de 2020 ») se concentrent sur des projets d’immobilisations stratégiques visant la construction urgente afin de répondre à la capacité des conteneurs nécessaire (le projet d’expansion Centerm et le projet de terminal 2 de Roberts Bank) et sur des projets routiers et ferroviaires pour l’ensemble de la porte d’entrée. Collectivement, ces projets sont essentiels pour que le port puisse atteindre les objectifs commerciaux du Canada.

[230] GCT interprète ce passage comme indiquant que les dirigeants qui ont rendu les décisions de mars et de septembre 2019 étaient partiaux, car leur rémunération financière dépendait, au moins partiellement, de la réalisation du projet RBT2. Ce n’est pas la façon dont j’interprète ce passage. Il est clair que des matrices de rendement ont été introduites dans le système de rémunération des dirigeants, comme c’est souvent le cas dans les entreprises qui cherchent à attirer des cadres de grand talent. Toutefois, je ne pense pas que le régime de rémunération au rendement décrit repose sur l’approbation ou la non-approbation d’un projet en particulier. La mention du projet RBT2 n’est qu’une coïncidence, car ce projet a déjà été désigné comme l’un des principaux projets de développement entrepris par le port de Vancouver.

[231] Il me semble que si l’APVF avait également décidé d’aller de l’avant avec le projet DP4, ce projet aurait aussi été mentionné expressément dans le passage sur lequel GCT s’appuie pour faire valoir son argument. En l’espèce, le plan d’occupation du sol de l’APVF daté du 28 octobre 2014 – en vigueur au moment où les décisions de mars et de septembre 2019 ont été prises – mentionne notamment, comme l’un de ses objectifs, le développement du projet RBT2 dans le cadre de la stratégie à long terme de l’APVF visant à répondre à la croissance prévue. Il est donc parfaitement logique que ce soit le projet RBT2 qui soit mentionné, dans la description du régime de rémunération au rendement des dirigeants, comme l’un des projets d’immobilisations pertinents sur lesquels les matrices de rendement sont fondées.

[232] GCT affirme que, quelle que soit la nature ou l’importance de l’intérêt financier, ce qui importe est que cet intérêt existe. Si j’accepte l’argument de GCT, les dirigeants de l’APVF sont en conflit financier chaque fois qu’ils choisissent d’aller de l’avant avec un projet de développement particulier, quel que soit celui qu’ils ont choisi. Il ne saurait en être ainsi. Comme dans l’affaire Communities and Coal Society instruite par le juge O’Reilly, le régime de rémunération au rendement à moyen terme dont il est question en l’espèce ne récompense pas directement les approbations de projets. Ce qui doit pousser les cadres à choisir un projet plutôt qu’un autre est que le projet choisi puisse progresser conformément aux obligations et objectifs légaux de l’administration portuaire. Je trouve l’indignation de GCT déplacée.

(d) Les contradictions dans les positions de l’APVF comme preuve de partialité

[233] GCT fait valoir que les nombreuses positions contradictoires de l’APVF révèlent une volonté de la part de cette dernière d’inventer les règles au fur et à mesure, de dire les choses quand il est opportun de le faire, ce qui démontre sa partialité, qui est le résultat inévitable de ces contradictions et de ces positions intenables. GCT souligne les points suivants :

  1. L’APVF affirme publiquement qu’une séparation est nécessaire entre sa fonction de promoteur et sa fonction d’organisme de réglementation, mais elle n’a pas respecté cette exigence et ne dispose d’aucune politique écrite pour garantir l’observation de cette exigence.

  2. Bien que le processus d’EEP définisse les mesures qui seront prises pour garantir une prise de décision objective et fondée sur la preuve afin que la fonction réglementaire soit exercée sur le fond, l’APVF n’a pas suivi cette ligne de conduite lorsqu’elle a rejeté d’emblée la DRPP de GCT.

  3. Lorsque GCT a présenté sa DRPP le 5 février 2019, celle-ci a été reçue et distribuée au sein de la direction de l’APVF avec l’attente, même à l’interne, que le personnel commencerait l’examen de la proposition et que le processus d’EEP serait suivi. Or, ce processus a été interrompu par les dirigeants de l’APVF.

  4. L’affirmation de l’APVF selon laquelle elle a le droit de faire preuve d’étroitesse d’esprit sur le plan réglementaire en raison de la structure de la LMC est en contradiction avec l’invitation faite à GCT de présenter des observations sur la partialité dont elle aurait fait preuve dans sa lettre du 2 octobre 2019.

  5. L’APVF a invité GCT à soumettre à nouveau sa DRPP en septembre 2019, tout en affirmant devant la Cour qu’elle n’a aucun rôle à jouer en ce qui concerne le projet DP4 aux termes de la LEI.

  6. Bien que l’APVF affirme qu’elle est en droit de préférer le projet RBT2 au projet DP4 dans ses décisions, aucun document ou analyse portant sur le fond des deux projets, ni aucune preuve de réunions ou de discussions tenant compte de cette comparaison, ne peut être trouvé dans le dossier du tribunal.

[234] J’ai déjà examiné les questions que mentionne GCT. Je suis d’avis qu’il est préférable de traiter de toute éventuelle contradiction ou incohérence dans la conduite de l’APVF en lien avec la question de savoir si l’APVF a manqué à l’équité procédurale en ne respectant pas les attentes légitimes de GCT. Je ne vois aucun élément de partialité inadmissible de la part de l’APVF dans ce qu’a soulevé GCT.

(e) Dernières réflexions sur la question de la partialité

[235] Dans l’ensemble, et bien que je conclue, comme je l’explique ci-dessous, que l’APVF a manqué à son obligation d’équité procédurale envers GCT en ne lui permettant pas de répondre à ses préoccupations dans le cadre du processus réglementaire, je ne suis pas convaincu que les décisions de mars ou de septembre 2019 témoignent d’une partialité inadmissible de la part de l’APVF. Cette dernière avait déjà exprimé ses préoccupations quant au calendrier de mise en service du projet DP4, le cas échéant, un an plus tôt dans la lettre datée du 2 février 2018 qu’elle a adressée à GCT. L’APVF a souligné les obstacles environnementaux auxquels le projet DP4 se heurterait dans le cadre du processus d’approbation réglementaire, et a déclaré que lorsque le moment sera venu d’examiner le projet en bonne et due forme dans le cadre du processus d’EEP, l’administration portuaire devra prendre en compte les répercussions du projet DP4 sur l’ensemble des activités portuaires et dans un contexte cumulatif au regard du projet RBT2, et que concernant la question du calendrier, l’administration portuaire devra prendre acte des délais très importants requis pour les projets, et du besoin croissant de doter le port de Vancouver d’une augmentation de sa capacité à court terme. Par conséquent, l’APVF a indiqué dans sa décision de mars 2019 qu’elle ne traiterait pas la DRPP de GCT dans le cadre du processus d’EEP à ce moment-là, mais qu’elle serait disposée à examiner les plans de développement du terminal Deltaport lorsqu’elle pourrait projeter avec plus de précision le besoin d’augmenter la capacité prévue par le projet RBT2.

[236] Même si je traiterai cette question plus en détail lorsque j’examinerai la question de la frustration des attentes légitimes de GCT, je dirai qu’une administration portuaire constituée en vertu de la LMC est une instance non juridictionnelle et que son rôle réglementaire est lié à son rôle de gestionnaire et d’exploitant du port. À mon avis, il ressort de la décision de mars 2019 que l’APVF avait irrégulièrement fait passer ses intérêts commerciaux avant ses obligations réglementaires. Bien que cela puisse résulter de la structure de chevauchement créée par le législateur, à savoir la manière dont la LMC a constitué l’APVF, il ne s’agit pas, à mon avis, d’une manifestation de partialité réelle et inadmissible. Les gens d’affaires agissent en ayant des visées commerciales, ce qui ne constitue pas toujours une erreur susceptible de révision.

[237] Si le législateur a confié aux administrations portuaires des responsabilités commerciales et opérationnelles pour un port tout en leur confiant des responsabilités réglementaires, c’est uniquement parce que les fonctions réglementaires doivent être assumées parallèlement au rôle que les administrations portuaires jouent dans l’élaboration d’une planification stratégique et logistique à long terme pour le port, et ce, afin de maintenir la compétitivité commerciale et de faciliter les échanges, les administrations portuaires devant en même temps agir en bons défenseurs de l’environnement qu’elles gèrent. En fin de compte, l’APVF n’est pas, comme le prétend GCT, un concurrent de GCT qui promeut son propre projet avant celui de GCT. L’APVF est une administration portuaire qui a été autorisée par la loi à gérer commercialement le port de Vancouver, y compris à développer sa propre infrastructure, et c’est en fin de compte à l’APVF qu’il appartient de décider quel est le meilleur projet. Dans un cadre purement commercial, et en dehors de tout droit contractuel, les locataires n’ont normalement pas le droit d’imposer aux propriétaires l’obligation d’examiner leurs projets de développement ultérieurs. En l’espèce, je reconnais que nous ne sommes pas dans un cadre purement commercial et que les exigences administratives inhérentes au rôle réglementaire de l’APVF doivent être respectées, mais je fais cette remarque simplement pour souligner le contexte dans lequel se trouvait l’APVF, ce qui a influencé la manière dont elle a élaboré ses processus décisionnels, et donc pour déterminer si les indices de partialité que GCT signale peuvent raisonnablement appuyer une conclusion de crainte raisonnable de partialité de la part de l’administration portuaire. En l’espèce, je conclus par la négative.

[238] En outre, je ne vois pas dans ce retour en arrière sur la question de savoir si la DRPP peut être examinée dans le cadre du processus d’EEP un signe de mauvaise foi ou de partialité inadmissible. Je peux certainement comprendre la décision de mars 2019 d’un point de vue commercial – je la lis comme l’aboutissement de ce qui s’est passé jusqu’alors en ce qui concerne les projets RBT2 et DP4, plus précisément l’expression des préoccupations de l’APVF énoncées dans sa lettre du 2 février 2018, sauf que l’APVF est revenue sur son invitation précédente à traiter la DRPP de GCT dans le cadre de son processus d’EEP. Le problème ne réside pas tant dans les motifs de la décision de mars 2019, mais plutôt, comme je l’explique ci‑dessous, dans le moment où cette décision a été prise par rapport au processus réglementaire et décisionnel que GCT a déclenché en déposant sa DRPP dans le cadre du processus d’EEP. Le train du projet RBT2 était alors sur les rails depuis environ six ans, en voie de réalisation, et, somme toute, je ne suis pas convaincu que la décision de mars 2019 de l’APVF de ne pas envisager à ce moment-là un projet qui ajouterait une capacité supplémentaire de 2 millions d’EVP, alors que l’APVF n’avait pas encore exprimé le besoin d’augmenter la capacité prévue par le projet RBT2, était un signe d’étroitesse d’esprit de la part de l’administration portuaire dans le sens où l’entend GCT.

[239] En ce qui concerne l’invitation de l’APVF faite le 2 octobre 2019 à GCT pour que celle‑ci présente des observations concernant son allégation de partialité afin que l’administration portuaire puisse y répondre, GCT affirme que cette invitation constituait encore une autre décision tactique. Elle soutient que l’APVF n’a pas de procédure pour traiter une situation où sa partialité est soulevée, qu’à aucun moment au cours de la présente procédure l’APVF n’a formulé une procédure sur la façon dont un tel examen d’une allégation de partialité devait être entrepris, et que, quoi qu’il en soit, ce sont les mêmes membres de la direction contre lesquels l’allégation de partialité a été formulée qui auraient statué sur leur propre partialité. J’ai demandé à l’avocat de GCT si, en fait, ce que l’APVF invitait GCT à faire était de proposer un processus acceptable par lequel l’administration portuaire pourrait examiner s’il existait une partialité inadmissible de sa part et, dans l’affirmative, quelles mesures devaient être prises pour l’atténuer. La réponse de GCT a été qu’il ne s’agissait pas d’une bonne façon, pour un organisme décisionnel établi par la loi, de traiter sa propre partialité. Cependant, le contexte est important et nous ne devons pas oublier que l’APVF n’est pas constituée comme une commission ou un tribunal réglementaire traditionnel. GCT n’a fourni aucun exemple de processus permettant à un organisme décisionnel établi par la loi du type de l’APVF de traiter les allégations visant sa propre partialité, mais elle a contesté le fait que l’APVF indiquait qu’elle pouvait statuer sur sa propre partialité alors qu’il y avait une demande de contrôle judiciaire en cours dans le cadre de laquelle cette question était soulevée. La capacité d’un tribunal à statuer sur sa propre partialité est un aspect important du droit administratif (Lin, au para 6; CB Powell Limited, au para 33; Eckervogt v British Columbia, 2004 BCCA 398).

[240] GCT conteste également le fait que ce n’est qu’avec l’affidavit de M. Xotta, déposé en août 2021 dans le cadre de la présente instance, qu’elle a appris que ce sont les dirigeants de l’APVF qui ont pris les décisions reflétées dans les décisions de mars 2019 et de septembre 2019. Jusqu’à ce moment-là, le processus décisionnel était « opaque » selon GCT. Pour ma part, je ne vois rien de répréhensible dans le fait que l’APVF n’a révélé que dans les affidavits déposés à l’appui de sa défense à l’égard de la demande de GCT que c’était son équipe de direction qui avait pris les décisions de mars 2019 et de septembre 2019. Je ne suis pas tout à fait sûr de savoir quel moment avant cela aurait été plus approprié pour donner cette précision, indépendamment du fait que les décisions de mars et de septembre 2019 ont été signées par un dirigeant de l’APVF. GCT admet que c’est le conseil d’administration de l’APVF qui aurait délégué la prise de décision aux cadres de l’administration portuaire. Il est donc logique que ce soient les membres de l’équipe de direction de l’APVF qui aient pris les décisions en question.

[241] Selon GCT, l’annulation de la décision de mars 2019 par la décision de septembre 2019 et la dissimulation des documents dont disposaient les dirigeants de l’APVF qui ont pris les deux décisions en se cachant derrière le mur que constitue le secret professionnel de l’avocat démontrent également la partialité de l’APVF et ne remédient pas au problème d’équité procédurale découlant de la décision de mars 2019. Au cours de l’audience, j’ai demandé à l’avocat de GCT si l’APVF pouvait encore, après l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de mars 2019, changer d’avis et annuler cette décision. GCT a déclaré qu’une fois l’affaire portée devant les tribunaux, l’APVF ne pouvait se prévaloir du concept d’« auto-redressement » (réparer par elle-même une décision erronée) et que la décision de septembre 2019 était une stratégie de litige flagrante de la part de l’APVF, qui déjouait en quelque sorte le système pour tenter de se mettre à l’abri d’un contrôle judiciaire. GCT a tout de même concédé qu’il pourrait y avoir des circonstances où une administration portuaire estime qu’elle a réellement commis une erreur et annule une décision antérieure, mais l’avocat de GCT a mis la Cour au défi de trouver une procédure de l’APVF qui porte sur l’annulation d’une décision dans le contexte d’une allégation de partialité. En substance, GCT soutient que la décision de mars 2019 ne pouvait pas être annulée dans le contexte d’une allégation de partialité, et que l’APVF a fait preuve de partialité parce qu’elle a annulé sa décision de mars 2019. Je ne peux pas être d’accord, car il me semble que GCT est engagée dans un exercice de raisonnement circulaire.

[242] Quoi qu’il en soit, il s’agit à nouveau d’une tempête dans un verre d’eau. GCT déclare qu’elle pourrait accepter un scénario dans lequel un tribunal dispose d’une procédure de réexamen et, dans ce contexte, constate qu’il a commis une erreur et annule une décision antérieure. Cependant, en l’espèce, il n’existe pas de procédure de ce genre, donc pas de contrôle et pas de possibilité de révision, car le dossier du tribunal ne contient aucun document dont disposaient les dirigeants de l’APVF lorsque la décision de septembre 2019 a été prise. Là encore, GCT n’a pas réussi à me convaincre du bien-fondé de son argument. Je reconnais que le processus d’EEP n’a pas été suivi pour la décision de mars 2019, mais c’est la raison même pour laquelle l’APVF a rendu la décision de septembre 2019. Je reconnais également qu’il n’existe pas de procédure de réexamen d’une décision de l’APVF autre que le contrôle judiciaire, mais s’il devait y avoir une telle procédure interne, elle serait au bénéfice de la partie prenante qui cherche à obtenir le réexamen d’une décision de l’APVF. On ne m’a pas convaincu que l’APVF a besoin d’avoir une procédure permettant de réexaminer sa propre décision.

[243] Pour conclure sur la question de la partialité, GCT affirme qu’il n’y a pas d’autre moyen d’interpréter tous les indices de partialité mentionnés qu’en concluant que l’APVF a fait preuve d’étroitesse d’esprit en ce qui concerne le projet DP4, et qu’un esprit étroit suppose nécessairement une partialité réelle. GCT fait valoir que c’est une chose d’exercer un pouvoir discrétionnaire pour refuser d’approuver un projet après l’avoir examiné sur le fond, conformément aux obligations réglementaires de l’APVF aux termes de la LMC, mais que c’en est une autre de prétendre exercer un tel pouvoir discrétionnaire pour refuser même d’examiner le projet sur le fond. Tout ce que GCT doit faire, selon elle, c’est de démontrer qu’il existe un régime réglementaire que l’APVF est chargée par la loi d’administrer – régime qui comporte des obligations d’équité, d’impartialité, de transparence et d’objectivité – et qui ne donne pas à l’administration portuaire le droit d’avoir l’esprit fermé et de ne même pas examiner le projet au regard de la preuve présentée. Je suis d’accord avec GCT, mais je suis d’avis que même si l’exercice invoqué du pouvoir discrétionnaire de refuser d’examiner le projet DP4 sur le fond peut constituer un manquement à l’équité procédurale, cela ne signifie pas nécessairement que les dirigeants de l’APVF faisaient preuve d’étroitesse d’esprit telle qu’elle a donné lieu à une partialité inadmissible à l’encontre du projet DP4. L’APVF a pu, à tort ou à raison, s’estimer fondée à prendre la décision de mars 2019 pour les raisons mêmes qui y sont exposées, raisonnement qui, là encore, à tort ou à raison, ne permet pas de conclure nécessairement à une partialité inadmissible de sa part.

(2) L’APVF a-t-elle frustré les attentes légitimes de GCT?

[244] GCT a clairement dit devant moi qu’elle ne soutenait pas que, une fois sa DRPP présentée dans le cadre du processus d’EEP, l’APVF avait l’obligation de mener le processus d’examen à son terme avant de prendre une décision sur le projet dont, elle l’admet, l’administration portuaire avait déjà connaissance bien avant la présentation de la DRPP. GCT soutient plutôt que la présentation faite à l’APVF le 5 février 2019, en tant qu’organisme décisionnel établi par la loi qui assume une fonction de droit public soumise à des exigences de droit administratif et a des obligations d’équité procédurale, d’objectivité et de transparence, exigeait de l’administration portuaire qu’elle consacre les ressources nécessaires pour effectuer un semblant d’examen sur le fond de la proposition.

[245] GCT affirme que toute la structure de la politique d’EEP est conçue pour permettre l’examen de sa DRPP dans le cadre du processus, et qu’il n’y a donc pas de place dans la délégation, les procédures et le processus pour envisager que l’APVF puisse « fermer la porte » et ne pas permettre à GCT d’engager le processus d’EEP. GCT affirme que l’étroitesse d’esprit dont a fait preuve l’APVF dans le traitement du projet DP4 a frustré les attentes légitimes, que la communauté portuaire et elle avaient quant au respect, de la part de l’APVF, du processus d’EEP que cette dernière avait elle-même établi, et dans le cadre duquel l’APVF était censée confirmer la catégorie d’examen, nommer un chef de projet et réaliser des études tactiques, et après revue de la demande de GCT et confirmation qu’elle était complète, l’examen technique se poursuivrait et une décision finale serait prise, le permis de projet étant délivré avec des conditions, au besoin. Le projet DP4 aurait dû être autorisé à entrer dans le processus d’EEP mais, aux dires de GCT, l’APVF a sommairement refusé, par la décision de mars 2019, d’autoriser sa DRPP à suivre le processus d’examen, et, ce faisant, a fermé la porte à tout examen du projet DP4.

[246] L’APVF fait valoir que je ne dois pas prendre en considération l’argument de GCT concernant la théorie des attentes légitimes, étant donné que GCT ne l’a pas expressément invoquée dans l’avis modifié de demande de contrôle judiciaire, la soulevant pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit. Quoi qu’il en soit, selon l’APVF, le processus d’EEP ne crée pas un droit matériel pour un demandeur de voir sa proposition examinée, mais est simplement un guide non contraignant fourni pour aider les promoteurs de projets à présenter leur demande. En fait, le Guide contient une clause de non-responsabilité à la première page, rédigée en ces termes : [traduction] « [l]e présent guide de candidature et ses documents connexes sont fournis à titre d’information et ne doivent pas être considérés comme des conseils scientifiques, commerciaux, juridiques ou autres conseils professionnels ». L’introduction précise ce qui suit : [traduction] « le présent guide est fourni à titre d’information uniquement et peut être mis à jour de temps à autre sans préavis ». En dépit de l’objection soulevée par l’APVF, j’estime pour ma part que la question est suffisamment importante pour être traitée, compte tenu notamment de l’historique de la présente affaire et de la relation entre les parties.

[247] La théorie des attentes légitimes a été exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 93 à 97 :

[93] Ainsi que l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Dunsmuir, par. 79, « [l]’équité procédurale est un fondement du droit administratif canadien moderne. Les décideurs publics sont tenus de faire preuve d’équité lorsqu’ils prennent des décisions touchant les droits, les privilèges ou les biens d’une personne ». L’observation de la Cour selon laquelle « [l]’équité procédurale comporte de nombreuses facettes » (Dunsmuir, par. 77) revêt également de l’importance en l’espèce.

[94] La théorie des attentes légitimes constitue la facette particulière de l’équité procédurale qui nous occupe dans le présent pourvoi. Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans Baker, où la Cour a statué qu’il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale de la common law. Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. De même, si un organisme a fait une représentation à une personne relativement à l’issue formelle d’une affaire, l’obligation de cet organisme envers cette personne quant à la procédure à suivre avant de rendre une décision en sens contraire sera plus rigoureuse.

[95] Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‑ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites.

[…]

[96] Récemment, dans l’arrêt Mavi, le juge Binnie a expliqué ce que l’on entend par des affirmations « claires, nettes et explicites » en établissant une analogie avec le droit contractuel (par. 69) :

En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.

[97] L’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante (Baker, par. 26; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557). En d’autres mots, « [l]orsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la Cour peut [seulement] accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative “légitime” » (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131 [...]

(Premier soulignement ajouté; deuxième et troisième soulignement dans l’arrêt).

[248] Tout d’abord, la manière dont GCT a abordé la théorie des attentes légitimes semble indiquer une fusion de cette théorie avec l’obligation d’équité procédurale, aux termes de laquelle une conduite qui ne respecte pas les attentes légitimes mène nécessairement à une violation de l’obligation d’équité. Je suis d’avis qu’une telle expression de la théorie est incorrecte. La théorie des attentes légitimes n’est qu’un des facteurs censés éclairer le contenu ou la portée de l’obligation d’équité, obligation qui varie d’une affaire à l’autre (Baker, aux para 23‑27). Le contenu d’une telle obligation doit également être déterminé conjointement avec d’autres facteurs, et en particulier avec le régime législatif qui a créé l’APVF.

[249] En outre, la théorie des attentes légitimes ne peut donner lieu à des droits matériels. Les affirmations qui suscitent des attentes légitimes doivent être de nature procédurale et ne doivent pas aller à l’encontre de l’obligation légale du décideur (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 au para 68). Comme nous l’avons indiqué, l’APVF affirme que le processus d’EEP ne fournit que des orientations sur la procédure à suivre, et que toute revendication ou attente qu’une demande de projet soit évaluée dans le cadre du processus d’EEP ne pourrait être qu’un droit matériel, tout au plus, et, dans les circonstances, pourrait bien diluer l’obligation légale d’une administration portuaire de déterminer les projets qui font partie du plan stratégique à long terme pour le port. Je suis d’accord. Si j’admets que le processus d’EEP crée une obligation pour l’APVF de traiter intégralement toute proposition en toutes circonstances, cela signifierait que tout promoteur de projet serait en mesure de forcer l’administration portuaire à consacrer des ressources à l’examen d’une demande concernant, par exemple, un nouveau terminal de vrac liquide, alors que l’ajout d’un tel terminal est incompatible avec l’orientation commerciale que l’administration portuaire souhaite prendre à un moment donné pour une zone particulière du port, même si le développement d’un nouveau terminal de vrac liquide sera probablement, à un moment donné dans le futur, compatible avec les objectifs, les orientations politiques et l’affection des terres figurant dans le plan d’occupation du sol de l’administration. Cela équivaudrait à inverser l’ordre des choses, particulièrement lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le promoteur connaissait la préférence de l’administration portuaire pour un autre projet bien avant qu’il ne soumette sa DRPP.

[250] GCT ne soutient toutefois pas qu’elle a des droits matériels tels qu’elle a un droit à un résultat précis ou que ses attentes légitimes s’étendent au droit de voir sa proposition pour le projet DP4 passer par l’ensemble du processus d’EEP avant que l’APVF ne prenne sa décision. Ce que GCT affirme, c’est qu’une fois que le processus d’EEP est engagé, l’équité procédurale exige que sa DRPP ne soit pas rejetée d’emblée, d’autant plus que l’APVF avait antérieurement confirmé que GCT pouvait se prévaloir du processus d’EEP. L’APVF ne semble pas s’opposer à cet aspect de l’argument de GCT et admet que, bien que le processus d’EEP ne puisse pas donner lieu à des droits matériels, il peut faire intervenir le droit à l’équité procédurale dans le cadre de la fonction réglementaire et décisionnelle de l’APVF.

[251] Je reconnais que le Guide prévoit qu’avant de déposer une DRPP, le locataire doit examiner son entente à l’égard des biens [traduction] « pour s’assurer que les travaux et utilisations proposés sont autorisés ou vérifier si le consentement du propriétaire ou une modification du contrat est d’abord requis ». Je n’interprète toutefois pas cette disposition comme une condition préalable à l’enclenchement du processus réglementaire et décisionnel de l’APVF pour les projets nécessitant l’examen de l’administration portuaire. Avant la présentation en bonne et due forme d’une demande dans le cadre du processus d’EEP, toute discussion entre les promoteurs et l’APVF concernant un projet, ou toute réunion ou présentation de projet par les promoteurs, n’engagerait pas nécessairement le rôle décisionnel de l’administration portuaire à l’égard de tels projets. Peu importe les discussions antérieures que GCT a pu avoir avec l’APVF et les diverses présentations qu’elle a faites au sujet du projet DP4, je suis d’accord avec GCT pour dire que l’APVF n’avait pas pris de décision concernant le projet DP4 et qu’elle n’avait pas à le faire tant qu’elle n’exerçait pas son rôle réglementaire en tant qu’organisme décisionnel établi par la loi. C’est l’exercice de la fonction réglementaire et décisionnelle de l’administration portuaire (avec le dépôt d’une demande d’examen préliminaire de projet dans le cadre du processus d’EEP) qui déclenche l’obligation d’équité procédurale, à laquelle tout promoteur de projet a droit. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Baker : « [l]e fait qu’une décision soit administrative et touche “les droits, privilèges ou biens d’une personne” suffit pour entraîner l’application de l’obligation d’équité » (Baker, au para 20; Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 à la p 653).

[252] Par conséquent, comme GCT a déposé sa demande dans le cadre du processus d’EEP, je conclus que l’APVF avait une obligation d’équité procédurale à l’égard d’elle en ce qui concerne sa DRPP. Cela dit, la question suivante qui se pose est celle du contenu et de la portée d’une telle obligation. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Baker, le contenu et le niveau de l’obligation d’équité varient d’une affaire à l’autre en fonction des facteurs applicables (Baker, aux para 21-27). Comme l’a précisé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique, la cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54). Plus précisément, et c’est pertinent en l’espèce, l’un des facteurs à prendre en compte pour évaluer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale lorsque l’APVF a mis fin, au moment où elle l’a fait, à l’examen de la DRPP de GCT dans le cadre du processus d’EEP est, comme on l’a vu précédemment, « la nature du régime législatif et les “termes de la loi régissant l’organisme” » (Vieux St-Boniface, à la p 1191; Baker, au para 23).

[253] Comme nous l’avons déjà mentionné, la politique d’EEP indique clairement que le processus d’EEP doit être [traduction] « guidé par les principes et les exigences juridiques de raisonnabilité, d’équité procédurale et de conduite éthique ». En outre, la politique d’EEP contient une section [traduction] « Procédures » qui prévoit notamment que le président et directeur général de l’administration portuaire établit des procédures et des normes pour guider et administrer le processus d’EEP, qui doit s’appliquer à tous les ouvrages et activités physiques sur les terres et les eaux gérées par l’APVF, et qui garantit également que chaque projet proposé examiné dans le cadre du processus bénéficie d’un niveau d’évaluation suffisant pour déterminer la conformité aux exigences applicables. Je dois également ajouter que, selon les principes directeurs du processus d’EEP, le processus doit être transparent et il doit prévoir le niveau d’examen doit être approprié, eu égard aux répercussions potentielles, et une utilisation efficace des ressources.

[254] Comme l’indique le Guide, le processus d’EEP comporte six étapes : (1) la présentation par le promoteur de la DRPP au moyen du portail d’évaluation environnementale et d’examen de projet de l’APVF; (2) l’évaluation de la DRPP; (3) la présentation de la demande de projet complète; (4) une fois que la demande est considérée comme complète, l’examen de la demande; (5) la décision concernant le projet; (6) si la décision est accueillie, la remise des conditions d’autorisation. En l’espèce, l’APVF a reconnu le droit de GCT à engager le processus d’EEP dans sa lettre du 2 février 2018. En outre, lors de la présentation de la DRPP un an plus tard, un courriel interne de l’APVF a diffusé la DRPP et indiqué, conformément à l’étape 2 de la procédure, qu’un chef d’équipe serait nommé et que le personnel allait entreprendre un examen des observations préliminaires. C’est au stade de la mise en œuvre de l’étape 2 que, selon GCT, tout s’est arrêté. Par conséquent, c’est ce qui s’est passé entre ce moment et la décision de mars 2019 qui est en cause.

[255] Le Guide indique que la procédure doit permettre d’appliquer le niveau d’examen approprié en fonction des répercussions potentielles et d’assurer une utilisation efficace des ressources. Le Guide précise également que le processus d’EEP vise à garantir que les projets proposés sont [traduction] « attentivement examinés dans le cadre du processus visant à déterminer s’ils doivent aller de l’avant ». Un examen attentif ne suppose pas dans tous les cas une évaluation complète en six étapes du projet proposé. Si un élément d’une proposition est découvert à un stade précoce par l’administration portuaire comme étant prohibitif, par exemple lorsque des lois ou des règlements interdisent le développement dans la zone proposée pour un projet de la nature de celui proposé, le fait de permettre au processus d’examen de se poursuivre jusqu’à la fin ne changera rien et ne servira peut-être à rien, et ne constituera donc pas une utilisation efficace des ressources. Bien que je sois d’accord avec GCT pour dire que l’APVF doit [traduction] « faire ce qu’elle dit qu’elle va faire », l’efficacité commerciale a un rôle à jouer dans la manière dont le processus d’examen est entrepris.

[256] De même, je peux certainement envisager une situation où la mobilisation de ressources – afin d’évaluer, au-delà du stade de l’examen préliminaire, un projet qui a déjà fait l’objet de longues discussions, d’un examen préalable et de présentations en bonne et due forme par son promoteur aux administrateurs et dirigeants de l’administration – peut être inutile dans le cadre d’une procédure équitable, et où il ne serait pas déraisonnable ou contraire à l’équité procédurale que l’administration portuaire reporte ou abrège le long processus d’examen réglementaire, à plus forte raison lorsque le propre plan stratégique à long terme de l’APVF comprend un autre projet similaire.

[257] Cela dit, tous les promoteurs devraient avoir le droit d’amener le décideur à jouer son rôle d’organisme de réglementation. Comme nous l’avons indiqué, le processus d’EEP constitue le portail créé par l’APVF par lequel les promoteurs de projets enclenchent le régime réglementaire décisionnel de l’APVF pour l’évaluation des projets nécessitant l’examen de l’administration portuaire, et une fois qu’un promoteur de projet déclenche ce processus, l’administration portuaire ne peut pas se contenter de balayer la proposition du revers de la main.

[258] Après examen des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, qui nous guident sur le degré de l’obligation d’équité procédurale, j’admets que la nature de la décision prise par l’APVF est celle d’une instance non juridictionnelle, avec peu de ressemblance avec une décision judiciaire, ce qui appelle donc sans doute davantage l’entrée en jeu de considérations commerciales en ce qui concerne la manière dont se déroule le processus et dans quelle mesure il doit être suivi. Cette conclusion est également dans la logique de la nature du régime législatif décrit précédemment. Le rôle de l’APVF en tant qu’exploitant commercial du port, décrit dans le régime législatif, les lettres patentes et autres documents, tendrait également à appuyer la proposition selon laquelle les considérations commerciales et la nécessité d’une utilisation efficace des ressources doivent jouer un rôle dans la détermination de l’obligation d’équité liée à la décision de mars 2019. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces considérations commerciales doivent s’inscrire dans un contexte réglementaire une fois que le processus d’EEP est engagé. Il ne fait également aucun doute que la poursuite du projet DP4 revêt une importance financière pour GCT, car elle lui permettrait de disposer d’une superficie au sol nettement plus importante dans le port de Vancouver, question qui, comme nous l’avons déjà mentionné, préoccupe également l’APVF. Cela dit, un intérêt financier est beaucoup moins important pour déterminer la portée de l’équité procédurale que, par exemple, un droit à la liberté ou un autre droit protégé par la Charte, et GCT n’est pas allée jusqu’à soutenir que sa viabilité économique dépend de la décision d’autoriser la poursuite du projet DP4, que ce soit à l’échelle locale ou même internationale.

[259] La détermination du moment où le tribunal peut légitimement mettre fin au processus d’examen, le cas échéant, tout en respectant l’équité procédurale dépend grandement, comme l’indique l’arrêt Baker, du projet examiné et des circonstances de l’affaire. Je suis d’accord avec GCT pour dire que ni la LMC, ni son règlement, ni les lettres patentes de l’APVF n’autorisent l’administration portuaire à refuser de traiter sa DRPP dans le cadre de la procédure réglementaire d’examen des projets que l’administration portuaire a créée. GCT affirme que le pouvoir délégué visait la conduite d’un processus – et non la possibilité de refuser d’entamer le processus, ce qui aurait nécessité une formulation claire en ce sens – et que les parties prenantes du port devraient s’attendre à ce que l’APVF respecte les éléments cruciaux que sont la transparence et la cohérence dans le traitement des demandes. Toutefois, rien dans la LMC, les lettres patentes ou la délégation en vertu de la politique d’EEP n’oblige l’APVF à faire passer tous les projets par toutes les phases du processus d’EEP. Il me semble plutôt que, comme on l’a vu, ce qui est requis c’est que les procédures et les normes garantissent que chaque projet proposé examiné dans le cadre du processus reçoive un niveau d’évaluation suffisant pour que l’administration portuaire puisse déterminer si le projet respecte les exigences applicables, dont les besoins commerciaux du port et le respect des engagements et des stratégies de planification à long terme.

[260] GCT renvoie au paragraphe 52 de l’arrêt North End Community Health Association v Halifax (Regional Municipality) [North End Health], 2012 NSSC 330, pour soutenir qu’il existe une obligation d’agir conformément aux attentes légitimes, [traduction] « particulièrement lorsque le décideur a créé une procédure qu’il dit vouloir suivre ». Je reconnais que les attentes légitimes, en tant que facteur mentionné dans l’arrêt Baker, pourraient accroître le degré d’équité procédurale dont doit faire preuve un décideur au point où le simple non-respect des procédures équivaudrait à un manquement à l’équité procédurale. C’était le cas dans l’affaire North End Health, mais pas en l’espèce. Dans la présente affaire, on ne peut nier que d’autres facteurs doivent entrer en ligne de compte, notamment l’historique du développement de la zone autour du projet DP4 proposé et ce à quoi se sont engagées les parties, ainsi que le régime législatif prévu par la LMC, le rôle de l’administration portuaire en tant qu’organisme de réglementation non juridictionnel et l’objectif commercial poursuivi.

[261] Je dois également souligner qu’une DRPP est censée être, comme l’explique bien GCT, une description très générale du projet proposé. Si l’APVF doit abréger le processus d’examen, sa décision de ne pas donner suite au projet présenté doit néanmoins être raisonnable. Je peux imaginer qu’une décision de l’administration portuaire de refuser d’achever le processus d’examen d’un projet proposé puisse être annulée par une cour de justice dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsque le fondement même du refus n’aurait pu être raisonnablement établi qu’à l’issue du processus d’examen. Ce n’est pas le cas en l’espèce et, en fait, il ne s’agit pas de l’argument avancé par GCT.

[262] Cela dit, GCT doit pouvoir connaître les arguments qu’elle doit réfuter dans le cadre du processus réglementaire créé par le déclenchement du processus d’EEP. Comme nous l’avons vu, avant la présentation en bonne et due forme d’une demande dans le cadre du processus d’EEP, les discussions entre les promoteurs et l’APVF concernant un projet, ou les réunions ou présentations de projet par les promoteurs, ne relevaient pas du rôle réglementaire de l’administration portuaire et ne déclenchaient pas nécessairement le droit à l’équité procédurale. Certes, l’APVF pouvait avoir le droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour mettre un terme au processus d’examen à un certain moment, mais a-t-elle agi équitablement en « interrompant » le processus d’examen au moment où elle l’a fait? En fait, lors de son contre-interrogatoire, M. Xotta a confirmé que l’APVF n’avait entrepris aucune des étapes du processus d’EEP après l’étape 1, si j’ai bien compris.

[263] L’étape 2 du processus d’EEP est le stade de l’examen préliminaire, au cours de laquelle l’administration portuaire doit, entre autres, désigner un chef de projet de l’administration portuaire, tenir des réunions avec les promoteurs pour discuter du projet et préciser les renseignements ou études supplémentaires qui pourraient être nécessaires pour étayer une demande complète. Il semble que cette phase soit destinée à servir à l’échange entre les parties, à l’examen général, dans un premier temps, des demandes d’examen préliminaire de projet afin de repérer les projets voués à l’échec, à la détermination du niveau d’examen approprié et à l’organisation d’une première réunion avec le promoteur afin notamment de traiter des lacunes, des préoccupations et des besoins pour le projet avant de passer au stade de la présentation et de l’évaluation de la demande complète, où doit avoir lieu le gros du travail.

[264] En l’espèce, rien n’indique que des préoccupations aient été exprimées à GCT entre le moment où elle a enclenché le processus décisionnel réglementaire de l’administration portuaire et la décision de mars 2019, ce qui aurait permis à l’APVF de nouer le dialogue avec GCT sur la manière dont elle proposait de répondre aux préoccupations de l’APVF avant que le processus d’examen ne soit interrompu. En contre-interrogatoire, M. Xotta a indiqué que les préoccupations avaient été communiquées à GCT dans la lettre du 2 février 2018. En ce qui concerne la raison pour laquelle la DRPP de GCT a été écartée avant l’étape 2, M. Xotta a également déclaré ce qui suit :

[traduction]
Q. Quelqu’un a interrompu le processus que M. Yeomans pensait était en marche, n’est-ce pas?

R. Là encore, le projet ne s’est pas rendu aux étapes suivantes. En d’autres termes, il s’est arrêté à l’étape 2.

Q. En fait, il n’a pas atteint l’étape 2, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

Q. Et il n’a pas atteint l’étape 2 parce que quelqu’un à l’APVF a dit à M. Yeomans ou à vous de ne pas aller de l’avant, n’est-ce pas?

R. La DRPP n’abordait pas fondamentalement la question mentionnée dans [la lettre du 2 février 2018], à savoir le calendrier des projets qui entraient en conflit avec d’autres projets.

[265] À mon avis, tout promoteur a le droit d’obtenir la coopération du décideur qui exercera ses fonctions d’organisme de réglementation, et le refus d’un décideur d’engager le processus qu’il a lui-même créé pour déclencher sa fonction réglementaire constituerait un manquement à l’équité procédurale. Bien que j’admette que la lettre du 2 février 2018 ait pu constituer l’effort de l’APVF pour faire part de ses préoccupations à GCT, elle a été faite avant que GCT n’enclenche le processus réglementaire de l’administration portuaire. En l’espèce, GCT doit pouvoir connaître les arguments qu’elle doit réfuter dans le cadre du processus réglementaire créé par le déclenchement du processus d’EEP. Dans ces circonstances, l’obligation d’équité exigeait, à mon avis, que l’APVF permette à la demande de passer au stade de l’examen préliminaire du processus, à savoir l’APVF aurait dû désigner un chef de projet et tenir des discussions et des échanges avec GCT dans le contexte réglementaire. Cela ne signifie pas que l’APVF doive faire preuve d’amnésie lors de son examen du projet DP4. Il serait peu judicieux d’un point de vue commercial qu’elle doive reprendre le processus d’évaluation préliminaire à zéro chaque fois qu’une demande est introduite dans le cadre du processus d’EEP. L’administration portuaire devrait pouvoir s’appuyer sur ses connaissances, ses discussions et ses échanges antérieurs avec le promoteur au sujet d’un projet proposé pour déterminer s’il convient de passer au stade de l’examen préliminaire du projet.

[266] Je note en particulier qu’à la suite de la présentation de la DRPP de GCT, la demande a été diffusée à l’interne à la direction de l’APVF et le personnel devait procéder à un examen interne au cours des jours ou des semaines à venir. Le courriel souligne que la proposition de GCT devait être développée en deux étapes et qu’[traduction] « il ne fait aucun doute que plusieurs réunions initiales avec GCT seront nécessaires ». Comme nous l’avons indiqué précédemment, le 7 février 2019, l’APVF a accusé réception de la DRPP et a confirmé à GCT ceci : [traduction] « [le personnel] entreprendra un examen de la demande présentée pour mieux comprendre le projet et déterminer si nos critères de présentation ont été remplis afin de poursuivre le traitement ». Il semble également que la réunion proposée pour le 13 février 2019 ait été reportée parce que le personnel de l’APVF n’avait pas terminé l’examen des renseignements présentés par GCT, bien que l’APVF ait confirmé le 15 février 2019 que la demande de GCT et les documents soumis avaient été présentés à la direction de l’APVF. En fin de compte, il n’est pas clair si, ou dans quelle mesure, le cas échéant, le personnel de l’APVF a entrepris un examen initial de la demande de GCT.

[267] La DRPP était censée être une description générale du projet, mais elle comportait des renseignements concernant notamment les attentes de GCT lors de l’examen du processus d’EEP, une description du projet et de son emplacement proposé, le contexte et la justification du projet, des éléments clés du calendrier du projet et du cadre réglementaire, des informations données aux parties prenantes et, plus précisément, expliquait les efforts et les engagements en matière d’atténuation des incidences sur l’environnement. Cependant, tout ce que la preuve établit, c’est qu’aucun chef de projet n’a été désigné pour le projet DP4, qu’aucune réunion n’a eu lieu entre l’APVF et GCT, et qu’à aucun moment GCT n’a été informée d’un problème concernant particulièrement ses observations. L’APVF affirme que les délibérations de ses dirigeants sont prises en compte dans la décision de mars 2019. Toutefois, mettant de côté la question du caractère raisonnable et de l’absence de prise en compte des observations de GCT, je suis d’avis que cela est insuffisant dans les circonstances et que l’administration portuaire a manqué à son obligation d’équité procédurale à l’égard de GCT.

[268] Comme l’APVF avait confirmé que l’examen initial aurait lieu, les attentes légitimes de GCT ont pesé encore plus lourd dans la détermination de l’étendue de l’obligation d’équité procédurale. Il ne fait aucun doute que l’APVF a le droit, et j’irais même jusqu’à dire l’obligation, de fixer des priorités de développement pour le port de Vancouver et, sous sa casquette commerciale, de cesser l’examen d’un projet qui va à l’encontre de ces priorités à ce moment-là, et qui peut être source d’autres préoccupations —préoccupations qui, je pourrais ajouter, ont été exprimées dans la décision de mars 2019. Toutefois, avant de cesser cet examen, il incombait à l’APVF, en sa qualité d’organisme de réglementation, de faire part de ses préoccupations à GCT lors du processus réglementaire, dans le cadre duquel l’obligation d’équité procédurale est enclenchée, et au moins à un stade où l’administration portuaire se trouve encore à l’extrémité inférieure de l’échelle d’utilisation efficace et justifiable des ressources. En fait, M. Xotta a admis en contre‑interrogatoire que l’objet du processus d’EEP était également [traduction] « d’aider à informer les candidats potentiels de la profondeur de l’analyse et des questions qui pourraient être soulevées au cours du processus ». Cette obligation doit être remplie dans le cadre du processus réglementaire et décisionnel de l’administration portuaire, indépendamment des discussions commerciales qui ont pu avoir lieu avant l’engagement en bonne et forme de ce processus.

[269] Il se peut également qu’à l’issue du stade de l’examen préliminaire du projet et de la réunion prévue entre les parties, GCT n’ait pas présenté d’autres documents concernant ces questions ou préoccupations dans le cadre de sa demande plus complète. Toutefois, le processus prévoit à un stade précoce que les promoteurs discutent de ces préoccupations avec l’administration portuaire, qui agit alors à titre d’organisme de réglementation, période au cours de laquelle l’APVF peut identifier les renseignements qui seraient nécessaires à la poursuite du processus. En l’espèce, cette partie du processus n’a pas été entièrement réalisée. J’admets que GCT était consciente des préoccupations de l’APVF concernant le projet DP4 bien avant le 5 février 2019 et, comme l’a admis GCT devant moi, la nature du projet DP4 n’a pas changé de manière importante entre le moment où GCT a commencé à discuter en détail du projet DP4 avec l’APVF en 2016 et la décision de mars 2019. J’admets également que l’APVF a mis en garde GCT le 2 février 2018 quant à la façon dont elle tiendrait compte de toute demande d’évaluation du projet DP4 présentée en bonne et due forme. Cependant, la présentation de la DRPP dans le cadre du processus d’EEP a été la première présentation en bonne et due forme du projet DP4 que GCT a faite à l’APVF. Toutefois, comme on l’a vu, toutes les discussions et préoccupations soulevées par l’APVF jusqu’alors, comme celles qui sont mentionnées dans la lettre du 2 février 2018, ont été communiquées avant le déclenchement du processus décisionnel réglementaire et en dehors des protections offertes par un tel processus de par sa nature même. En effet, la lettre du 2 février 2018 ne contenait pas de décision et, par conséquent, ne pouvait pas faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[270] En outre, il est possible que la décision de mars 2019 aurait pu satisfaire aux exigences de l’équité procédurale si elle avait été rendue après l’achèvement de la phase d’examen préliminaire, au cours de laquelle les parties devaient discuter pour la première fois de la présentation faite en bonne et due forme par GCT, mais ce n’a pas été le cas. L’APVF a tout simplement agi prématurément.

[271] De façon générale, je conclus que l’APVF a manqué à son obligation d’équité procédurale en n’ayant pas, en l’espèce, entrepris les tâches prévues à l’étape 2 du processus d’EEP ni procédé à l’examen de la DRPP de GCT au moins au stade de l’examen préliminaire, et en ayant plutôt rendu la décision de mars 2019 au moment où elle l’a fait.

[272] GCT affirme en outre que je ne peux pas séparer la question de la partialité de celle de l’équité procédurale et que si je devais conclure que l’APVF a manqué à l’équité procédurale en refusant d’évaluer sa DRPP dans le cadre du processus d’EEP sans l’avoir préalablement examinée, un tel comportement de l’APVF équivaudrait à un préjugement qui ne pourrait être imputable qu’à un esprit fermé. Je ne suis pas d’accord avec GCT. Comme je l’ai déjà dit, je considère plutôt que l’équipe de direction de l’APVF a indûment fait passer son intérêt commercial avant son intérêt réglementaire en se fondant sur ce qu’elle savait, ou du moins pensait savoir, du projet DP4 et de la manière dont il aurait une incidence sur le projet RBT2, sans permettre que cette décision soit prise dans le cadre du processus réglementaire que tout promoteur, y compris GCT, avait le droit d’enclencher.

[273] GCT fait également valoir que, selon M. Xotta, la décision de ne pas procéder au traitement de la DRPP de GCT a été prise lors d’une réunion des dirigeants le 13 février 2019. Or, le 15 février 2019, l’APVF a informé GCT que la question était soumise à la haute direction – que je suppose être les dirigeants de l’APVF –, et il a fallu deux semaines supplémentaires pour que la décision de mars 2019 lui soit envoyée. Je ne sais pas ce qu’il faut penser de l’insinuation de GCT, mais je ne trouve rien d’anormal à ce que les dirigeants de l’APVF aient décidé de ne pas poursuivre le processus d’examen, puis, compte tenu de l’ampleur évidente de la décision, à ce que la décision soit révisée et à ce que l’APVF prenne le temps nécessaire pour rédiger la réponse appropriée – peut-être même en sollicitant un avis juridique pour la rédaction. En outre, comme je l’ai indiqué précédemment, la quasi-absence de documents attestant du processus décisionnel ne sortait pas, d’après mon expérience, de l’ordinaire dans le contexte de la présente affaire.

[274] Cela dit, et vu ma conclusion d’absence de partialité de la part de l’APVF en ce qui concerne son processus décisionnel, je suis également d’avis que tout manquement à l’équité procédurale a été corrigé par la décision de septembre 2019 par laquelle l’APVF a fait savoir, à la suite de l’adoption de la LEI, qu’elle annulait la décision de mars 2019 et que le personnel du port serait en contact avec GCT afin de réengager le processus d’EEP. En clair, l’APVF reste compétente dans le cadre du processus d’autorisation, sauf qu’avec l’adoption de la LEI, son rôle pendant et après le processus d’évaluation d’impact de l’examen était désormais limité.

[275] Je conclus également que la décision de septembre 2019 corrige toutes les préoccupations quant au caractère raisonnable de la décision de mars 2019. Plus précisément, je reviens à la lettre du 22 février 2019 que M. Stewart a envoyée à la commission d’examen, dans laquelle il déclare que l’APVF [traduction] « n’autorisera pas ou ne permettra pas la réalisation d’un projet proposé s’il est susceptible d’entraîner des effets environnementaux défavorables importants qui ne peuvent être atténués » et que [traduction] « [l]es demandes de permis de projet peuvent être rejetées si l’administration portuaire estime que le projet n’est pas dans l’intérêt supérieur des objectifs commerciaux globaux du Canada ». En l’espèce, le paysage a changé et une évaluation environnementale sera entreprise aux termes de la LEI, et la décision de l’Agence guidera la suite du processus d’autorisation dans le cadre du processus d’EEP. Bien qu’il soit possible que l’administration portuaire ait le pouvoir discrétionnaire de ne pas accepter une demande de permis pour un projet si elle estime que le projet n’est pas dans l’intérêt supérieur des objectifs commerciaux globaux du Canada, ce n’est pas la raison pour laquelle l’APVF a refusé d’autoriser la DRPP de GCT à passer par le processus d’EEP. La décision de septembre 2019 portant annulation de la décision de mars 2019 et invitant GCT à présenter à nouveau sa DRPP – vraisemblablement avec des modifications pour tenir compte du changement du paysage réglementaire entraîné par l’adoption de la LEI – corrige toute erreur susceptible de contrôle dont pourrait être entachée la première décision.

C. Caractère théorique et prématurité

[276] GCT n’aborde pas vraiment la question du caractère théorique, si ce n’est pour dire que l’affaire a maintenant force de chose jugée. Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne suis pas d’accord, mais j’ai conclu que les questions du caractère théorique et de la prématurité étaient intrinsèquement liées à la question de la partialité. Après avoir examiné la question de la partialité et conclu qu’il n’y avait pas de partialité inadmissible de la part de l’APVF, les questions du caractère théorique et de la prématurité se posent à nouveau.

[277] GCT a admis devant moi que si je ne trouvais aucune preuve de partialité inadmissible ou je concluais à l’absence de crainte raisonnable de partialité de la part de l’APVF, il serait difficile pour elle de faire valoir que les mesures de réparation qu’elle demande devraient être accordées. Je suis du même avis qu’elle. De fait, GCT ne soutient pas que je devrais néanmoins continuer l’examen de la question selon les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Borowski.

[278] Compte tenu de l’effet de la décision de septembre 2019, je suis d’avis que les questions relatives aux décisions de mars et de septembre 2019 sont désormais théoriques, car il n’existe plus de question en litige susceptible d’avoir une incidence sur les intérêts des parties. Premièrement, je constate que le statut de la DRPP de GCT a été réinitialisé avec la décision de septembre 2019. En outre, l’abrogation de la LCEE et l’adoption de la LEI ont remodelé le paysage et la relation réglementaire entre l’administration portuaire et GCT, la nécessité de mettre sérieusement en route le projet DP4 ayant été repoussée de beaucoup.

[279] Étant donné la modification de la législation, toute préférence perçue – même à supposer qu’une telle préférence soit inadmissible – n’est plus une question d’actualité si l’APVF est un jour appelée à examiner le projet DP4 dans le cadre de son processus d’EEP, car, aux termes de la LEI, le projet RBT2 fera nécessairement partie du processus d’évaluation d’impact du projet DP4. Contrairement à la commission d’examen constituée aux termes de la LCEE, la commission d’examen prévue par la LEI est tenue de prendre en considération plusieurs facteurs, notamment la nécessité de réaliser un projet désigné, les solutions de rechange et les effets cumulatifs d’autres projets à réaliser (LEI, art 22(1)a)(ii), d) et f)). L’APVF conserve le pouvoir de délivrer des permis, mais, selon la LEI, ce n’est plus elle, mais l’Agence qui déciderait de la nécessité de mener une évaluation d’impact et se prononcerait sur les éventuels effets négatifs du projet DP4.

[280] Étant donné que j’ai conclu que l’affaire est devenue théorique, je n’ai pas besoin d’examiner la question de la prématurité.

D. La Cour a-t-elle compétence pour faire droit à la réparation demandée par GCT?

[281] Compte tenu de mes conclusions selon lesquelles la preuve ne confirme pas l’existence d’une partialité inadmissible de la part de l’APVF en ce qui concerne les décisions de mars et de septembre 2019, il n’est pas non plus nécessaire d’examiner la possibilité pour GCT de demander d’autres mesures de réparation de la nature d’un mandamus ou autres réclamées dans l’avis modifié de demande de contrôle judiciaire.

XI. Conclusion

[282] Je ne vois aucun problème à ce que l’APVF affirme, en tant qu’organisme de réglementation, qu’elle a une préférence politique pour un projet d’agrandissement plutôt qu’un autre. Les décisions stratégiques supposent nécessairement de faire des choix entre deux visions concurrentes de développement du port. En l’espèce, le fait de préférer aller de l’avant avec le projet RBT2 n’a pas constitué une fermeture d’esprit de la part de l’APVF, en tant que décideur administratif, qui l’aurait rendue partiale au sens où l’entend GCT. Aller de l’avant avec le développement des infrastructures suppose nécessairement de mettre de côté d’autres solutions – d’une certaine manière, de faire preuve d’étroitesse d’esprit à leur endroit –, mais cela fait partie du processus décisionnel qui permet à l’administration portuaire d’aller de l’avant avec le développement et ne suscite pas nécessairement une crainte raisonnable de partialité de la part de l’administration portuaire en faveur du projet qu’elle préfère, ni ne signifie que les partisans de ces visions concurrentes du développement peuvent obliger l’administration à revenir en arrière et à revoir ses décisions stratégiques en jetant simplement de nouveaux ingrédients dans le mélange.

[283] GCT a soulevé plusieurs hypothèses censées être la preuve d’une étroitesse d’esprit de la part de l’administration portuaire à l’égard du projet DP4, ce qui constituerait une partialité inadmissible ayant une incidence sur les décisions de mars et de septembre 2019. Bien qu’elle fournisse une perspective intéressante sur le dossier, GCT ne m’a pas convaincu que son point de vue sur les éléments de fait qu’elle tire du dossier est celui que je devrais adopter. La sélection d’éléments du dossier factuel dans le but de réitérer une même thèse est difficile à soutenir lorsque les éléments peuvent être raisonnablement expliqués en dehors de cette thèse.

[284] Ayant conclu que GCT n’a pas réussi à établir que l’APVF avait fait preuve d’une partialité inadmissible, et conformément aux motifs de ma décision, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens en faveur des défendeurs. Je répondrai favorablement à la demande formulée à la fin de l’audience et j’accorderai aux parties du temps pour présenter des observations écrites sur les dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-538-19

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande est rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

  2. Les parties sont encouragées à se concerter et à parvenir à un accord sur les dépens. Si elles ne parviennent pas à s’entendre, les défendeurs peuvent signifier et déposer des observations écrites sur les dépens ne dépassant pas trois pages (à l’exclusion des annexes) dans un délai de 15 jours à compter du présent jugement. Le demandeur pourra alors signifier et déposer des observations écrites en réponse ne dépassant pas trois pages (à l’exclusion des annexes) dans un délai de 15 jours, et les défendeurs pourront à leur tour présenter des observations en réplique dans un délai de cinq jours. Je demeure saisi de l’affaire pour rendre une décision sur les dépens.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. de Azevedo
ANNEXE

Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

a) elle décide que la réalisation du projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants;

(a) the authority determines that the carrying out of the project is not likely to cause significant adverse environmental effects; or

b) elle décide que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants et le gouverneur en conseil décide, au titre du paragraphe 90(3), que ces effets sont justifiables dans les circonstances.

(b) the authority determines that the carrying out of the project is likely to cause significant adverse environmental effects and the Governor in Council decides, under subsection 90(3), that those effects are justified in the circumstances.

Lettres patentes de l’Administration portuaire de Vancouver – C.P. 2007-1885 6 décembre 2007

CERTIFICAT DE FUSION DES ADMINISTRATIONS PORTUAIRES

[…]

PAR CONSÉQUENT, aux termes de l’article 59.1 du Règlement sur la gestion des administrations portuaires, il est certifié que l’Administration portuaire de Vancouver, l’Administration portuaire du fleuve Fraser et l’Administration portuaire du North Fraser sont fusionnées et continuent à former une seule administration portuaire appelée l’Administration portuaire Vancouver Fraser, les lettres patentes de l’administration portuaire fusionnée étant contenues dans le présent document. La fusion entre en vigueur le 1er janvier 2008.

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

[…]

PAR CONSÉQUENT, aux termes de l’article 9 de la Loi, les lettres patentes de l’Administration portuaire Vancouver Fraser sont les suivantes :

[…]

ARTICLE 4

ADMINISTRATEURS ET RÉUNIONS DU CONSEIL

4.1 Pouvoirs généraux du conseil. Le conseil est chargé de la gestion des activités de l’administration.

[…]

ARTICLE 5

CODE DE DÉONTOLOGIE

5.1 Le code de déontologie régissant la conduite des administrateurs et dirigeants figure à l’annexe E aux présentes.

[…]

ARTICLE 7

ACTIVITÉS ET POUVOIRS DE L’ADMINISTRATION ET DES FILIALES

7.1 Activités de l’administration liées à certaines opérations portuaires. Pour exploiter le port, l’administration peut se livrer aux activités portuaires mentionnées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi dans la mesure précisée ci-dessous :

a) élaboration, application, contrôle d’application et modification de règles, d’ordonnances, de règlements administratifs, de pratiques et de procédures; délivrance et administration de permis concernant l’utilisation, l’occupation ou l’exploitation du port; contrôle d’application des règlements ou prise de règlements conformément au paragraphe 63(2) de la Loi;

[…]

ANNEXE E

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

CODE DE DÉONTOLOGIE

ARTICLE 1

OBJET ET INTERPRÉTATION

1.1 Objet du code. Le présent code a pour but de renforcer la confiance du public dans l’intégrité et l’impartialité des administrateurs et dirigeants de l’administration et des activités et transactions commerciales menées par l’administration en établissant des règles claires sur les conflits d’intérêts à l’intention des administrateurs et dirigeants de l’administration.

1.2 Principes. Le présent code doit être interprété conformément aux principes généraux suivants :

a) chaque administrateur et dirigeant doit exercer ses fonctions officielles et organiser ses affaires personnelles de façon à préserver et à faire accroître la confiance du public dans l’intégrité et l’impartialité de l’administration;

b) pour s’acquitter des obligations prévues à l’alinéa 1.2a), il ne suffit pas simplement à un administrateur ou un dirigeant d’observer les exigences techniques de la Loi, des règlements, des Lettres patentes, des règlements administratifs et des politiques et résolutions du conseil d’administration;

c) la confiance du public dans l’intégrité et l’impartialité de l’administration peut être remise en question tant par l’apparence de conflit d’intérêts que par un conflit réel.

1.3 Définitions. Dans le présent code, les termes utilisés s’entendent au sens de la Loi et des Lettres patentes et les termes suivants ont le sens qui leur est donné ci-après :

a) « cadeau » Bien, service, avantage, hospitalité, promesse ou faveur;

b) « personne apparentée » Relativement à un administrateur ou dirigeant de l’administration :

(i) conjoint, enfant, frère, sœur ou parent de l’administrateur ou du dirigeant;

(ii) personne parente avec l’administrateur ou le dirigeant (autre qu’un conjoint, un enfant, une sœur, un frère, un père ou une mère de l’administrateur ou du dirigeant) ou personne parente avec le conjoint de l’administrateur ou du dirigeant si la personne parente habite à la même adresse que l’administrateur ou le dirigeant;

(iii) société, société de personnes, fiducie ou autre entité contrôlée directement ou indirectement par cet administrateur ou dirigeant ou par le conjoint, l’enfant, le frère, la sœur ou le parent de cet administrateur ou de ce dirigeant ou encore tout groupe constitué de ces personnes;

(iv) associé de cet administrateur ou dirigeant agissant pour le compte d’une société de personnes dans laquelle l’administrateur ou le dirigeant et cette personne sont associés.

1.4 Application du code. Le présent code s’applique à tous les administrateurs et dirigeants de l’administration.

1.5 Portée des obligations. Il ne suffit pas à un administrateur ou un dirigeant de se conformer aux exigences particulières du présent code. Il lui incombe également de prendre toutes les mesures supplémentaires nécessaires pour se conformer à une ligne de conduite ou à un devoir imposé par la Loi, les règlements, les Lettres patentes, les règlements administratifs et les politiques et résolutions du conseil d’administration ou autres règles.

1.6 Attestation des administrateurs et dirigeants. Les administrateurs et dirigeants doivent signer et remettre au comité de régie un document attestant :

a) qu’ils ont lu et compris le présent code;

b) qu’au meilleur de leur connaissance, ils se conforment au présent code et que ni eux, ni une personne apparentée n’est en conflit, réel ou potentiel, au sens de l’article 2 du présent code;

c) dans le cas de chaque dirigeant, qu’il s’engage, comme condition d’emploi, à observer le présent code.

1.7 Moment de l’attestation. L’administrateur ou le dirigeant doit remettre l’attestation décrite au paragraphe 1.6 du présent code au comité de régie :

a) en ce qui a trait aux administrateurs en poste et aux dirigeants employés au moment de l’entrée en vigueur des Lettres patentes, immédiatement après l’entrée en vigueur des Lettres patentes;

b) en ce qui a trait à tous les autres administrateurs, au moment de leur nomination et, en ce qui a trait aux autres dirigeants, au moment de leur entrée en fonction.

1.8 Revue annuelle. Tous les administrateurs et dirigeants doivent revoir régulièrement leurs obligations en vertu du présent code et, chaque année le 15 mars, remettre au comité de régie une attestation écrite confirmant cette revue ainsi qu’une mention indiquant que, au meilleur de leur connaissance, les administrateurs ou dirigeants :

a) se conforment aux dispositions du présent code;

b) ni eux, ni une personne qui leur est apparentée est en situation de conflit au sens de l’article 2 du présent code.

ARTICLE 2

CONFLIT D’INTÉRÊTS

2.1 Conflits en général. Un administrateur ou un dirigeant ne doit pas laisser ses intérêts personnels ou ceux d’une personne qui lui est apparentée entrer en conflit ou donner l’impression d’entrer en conflit avec les fonctions et responsabilités de l’administrateur ou dirigeant ou avec les intérêts de l’administration.

2.2 Types précis de conflits d’intérêts. Sans restreindre la portée générale du paragraphe 2.1, les exemples suivants représentent des cas précis qui donnent naissance à un conflit, ou apparence de conflit d’intérêts, de la part de l’administrateur ou du dirigeant :

a) Concurrence avec l’administration : Administrateur ou dirigeant ou personne apparentée à l’administrateur ou au dirigeant qui se livre à une activité ou a un intérêt important dans une personne qui se livre à une activité qui entre ou pourrait entrer en concurrence avec les intérêts actuels ou potentiels de l’administration;

b) Transactions avec l’administration; intérêts importants : Administrateur ou dirigeant ou personne apparentée à l’administrateur ou au dirigeant qui :

(i) a un intérêt important dans un utilisateur;

(ii) doit des obligations importantes à l’administration ou à un utilisateur, autrement que dans le cadre des fonctions d’administrateur ou de dirigeant découlant de leur poste au sein de l’administration;

(iii) se livre à des activités avec l’administration ou un utilisateur;

(iv) possède un intérêt important dans une personne qui se livre à des activités avec l’administration ou un utilisateur, ou lui sert de consultant ou de conseiller;

c) Intérêt dans des marchés importants : Administrateur ou dirigeant qui :

(i) est partie à un marché important ou un projet de marché important avec l’administration;

(ii) est administrateur ou dirigeant d’une personne qui est partie à un marché important ou un projet de marché important avec l’administration ou possède un intérêt important dans cette personne;

d) Acceptation de postes au sein d’entités conflictuelles : Administrateur ou dirigeant qui accepte une nomination ou une candidature à un poste ou un emploi au sein d’une société, société de personnes, fondation, institut, organisation, association ou autre entité, dont les activités entrent ou pourraient entrer en conflit avec les intérêts de l’administration.

2.3 Approbation nécessaire. L’administrateur ou le dirigeant qui se livre aux activités énoncées ci-après ne sera pas réputé être en conflit d’intérêts, réel ou potentiel, au sens de l’article 2 du présent code à condition que l’administrateur ou le dirigeant obtienne l’approbation écrite du comité de régie avant de se livrer à ces activités :

a) Acceptation de postes au sein d’entités tirant un avantage de l’administration : Administrateur ou dirigeant qui accepte une nomination ou une candidature à un poste ou un emploi au sein d’une société, société de personnes, fondation, institut, organisation, association ou entité, dont les activités profitent ou pourraient profiter des activités ou des décisions de l’administration;

b) Utilisation des biens de l’administration : Administrateur ou dirigeant qui utilise les biens que possède l’administration ou dont la gestion lui a été confiée au profit personnel de l’administrateur ou du dirigeant ou d’une personne apparentée à l’administrateur ou au dirigeant.

Si l’administrateur ou le dirigeant omet d’obtenir l’approbation écrite du comité de régie avant de se livrer aux activités décrites aux alinéas a) ou b) du présent paragraphe, la participation de l’administrateur ou du dirigeant à cette activité sera réputée donner naissance à un conflit d’intérêts au sens de l’article 2 du présent code.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-538-19

 

INTITULÉ :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP c ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE PAMEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :


Le 26 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Peter H. Griffin

Matthew B. Lerner

Christopher Yung

 

Pour LA DEMANDERESSE

Joan M. Young

Komal Jatoi

Charlotte Conlin

 

Pour la défenderesse

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

Sarah Bird

Jordan Marks

Shane Hopkins-Utter

POUR le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour LA DEMANDERESSE

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR le défendeur

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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