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Date : 20220725


Dossier : IMM-92-22

Référence : 2022 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ZEINAB VAHDATI

VAHID ROSTAMI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas [l’agent des visas] a rejeté la demande de permis d’études présentée par Zeinab Vahdti [la demanderesse], au titre du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], de même que la demande de visa de visiteur présentée par son époux, Vahid Rostami [l’époux].

[2] La demanderesse et son époux [les demandeurs] sont des citoyens de l’Iran. Le 6 novembre 2021, la demanderesse a présenté, depuis l’étranger, une demande de permis d’études. Elle souhaitait suivre un programme de maîtrise de deux ans en sciences de l’administration avec une spécialisation en administration de la sécurité informatique et de l’informatique judiciaire à l’Université Fairleigh Dickinson en Colombie-Britannique.

Décision faisant l’objet du contrôle

[3] Dans une lettre datée du 22 novembre 2021, l’agent des visas a rejeté la demande présentée par la demanderesse au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige le paragraphe 266(1) du RIPR, en raison de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, ainsi que du but de sa visite.

[4] Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas, qui font partie des motifs de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, indiquent ce qui suit :

[traduction]
J’ai examiné la demande. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire. Je souligne ce qui suit : la cliente est mariée ou elle a des personnes à charge ou elle déclare avoir de forts liens familiaux dans son pays d’origine, mais elle n’y est pas suffisamment établie. La demanderesse principale sera accompagnée de son époux. Comme il est prévu que la famille immédiate de la demanderesse l’accompagne au Canada, les liens avec le pays d’origine sont affaiblis puisque la motivation de la demanderesse à retourner dans son pays d’origine diminuera en raison de la présence de sa famille immédiate au Canada. Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu des antécédents de la demanderesse au chapitre de l’emploi et de la scolarité. Je souligne ce qui suit : les études antérieures de la cliente n’étaient pas dans un domaine connexe; la cliente a déjà fait des études du même niveau que celles qu’elle souhaite faire au Canada; la demanderesse principale souhaite s’inscrire à un programme de maîtrise en administration de la sécurité informatique et de l’informatique judiciaire, alors qu’elle a déjà obtenu une maîtrise en sécurité des technologies de l’information et qu’elle travaille comme réalisatrice de logiciels. Étant donné que les études et l’expérience de travail de la demanderesse sont dans le même domaine, je ne suis pas convaincu qu’elle ne profite pas déjà des avantages de ce programme. Compte tenu des études antérieures et de l’emploi actuel de la demanderesse principale, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une progression raisonnable des études. Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans le cadre de la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

Questions en litige et norme de contrôle applicable

[5] La demanderesse affirme que la décision de l’agent des visas soulève non seulement la question de savoir si la décision était raisonnable, mais aussi la question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale. À mon avis, les deux questions avancées par la demanderesse portent sur le caractère raisonnable de la décision. Il n’est pas question d’équité procédurale.

[6] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que l’examen de la décision de l’agent des visas sur le fond commande l’application de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23, 25 [Vavilov]). Une cour de révision qui applique cette norme doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99).

Analyse

i. Liens familiaux

[7] Selon les notes de l’agent, [traduction] « […] la cliente est mariée ou elle a des personnes à charge ou elle déclare avoir de forts liens familiaux dans son pays d’origine, mais elle n’y est pas suffisamment établie ». Le raisonnement qui sous-tend cette conclusion quant à l’absence d’établissement semble s’appuyer sur le fait que l’époux de la demanderesse accompagnerait celle-ci pendant ses études au Canada. L’agent des visas a estimé que cela aurait pour effet d’affaiblir les liens de la demanderesse avec l’Iran et sa motivation à y retourner à la fin de ses études puisque sa famille immédiate serait avec elle au Canada.

[8] Les demandeurs ont formulé de nombreuses observations sur ce point, notamment un argument de principe fondé sur le sous-alinéa 205c)(ii) du RIPR. Cependant, ce qu’il y a de plus convaincant est que le dossier dont disposait l’agent des visas contenait des éléments de preuve démontrant ce qui suit :

  • - Les parents et les six frères et sœurs de la demanderesse, de même que les parents et les cinq frères et sœurs de son époux, demeurent en Iran (formulaires Renseignements sur la famille). Les demandeurs n’ont pas de famille au Canada.

  • - La demanderesse travaille comme réalisatrice de logiciels depuis 2014, et le dossier contient une lettre dans laquelle son employeur mentionne que si elle réussit le programme d’études qu’elle envisage de suivre au Canada, elle obtiendra un poste de gestionnaire de la sécurité réseau et de la détection d’intrusion assorti d’une hausse de salaire et d’avantages sociaux accrus.

  • - Dans sa lettre à l’appui de sa demande de permis d’études, la demanderesse explique qu’elle a accompagné son époux en Malaisie où il a suivi un programme de doctorat et que, durant cette période, elle a suivi un programme de maîtrise en sécurité informatique, qu’elle a terminé en 2020. Les coûts de ces études ont été assumés par le père de son époux, qui assumera aussi les coûts des études qu’elle envisage de faire au Canada, études durant lesquelles elle sera accompagnée de son époux. Elle affirme que leurs parents leur construisent une maison en Iran, qui sera prête à leur retour du Canada. Elle ajoute qu’ils ont promis de s’occuper de leurs familles en échange du soutien qu’ils ont reçu.

[9] Aucun de ces éléments de preuve n’est mentionné par l’agent des visas.

[10] À mon avis, même s’il peut être pertinent de tenir compte du fait que l’époux de la demanderesse compte accompagner celle-ci au Canada (Balepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 268 aux para 15-16), et même s’il est raisonnable d’en conclure que les liens familiaux qu’entretient la demanderesse en Iran seraient affaiblis, le problème en l’espèce est que l’agent des visas a terminé ainsi son analyse. Il n’a pas évalué ces éléments de preuve par rapport à ce qui suit : (1) le fait que tous les autres membres des familles de la demanderesse et de son époux demeureront en Iran; (2) le fait que les demandeurs n’ont pas de famille au Canada; (3) les autres éléments de preuve concernant l’établissement contenus dans le dossier, comme la lettre de l’employeur de la demanderesse. En l’espèce, je conviens avec la demanderesse que l’agent des visas semble s’être contenté de généraliser pour en arriver à sa conclusion quant à l’absence d’établissement.

[11] Je ne suis pas d’accord avec le défendeur, qui a affirmé, lorsqu’il a comparu devant moi, que la déclaration générale de l’agent des visas, selon laquelle [traduction] « […] la cliente est mariée ou elle a des personnes à charge ou elle déclare avoir de forts liens familiaux dans son pays d’origine, mais elle n’y est pas suffisamment établie », suffisait à démontrer que l’agent avait examiné et soupesé les liens familiaux réels de la demanderesse ou les autres éléments de preuve concernant l’établissement. En outre, si le défendeur affirme, dans ses observations écrites, que le fait que l’époux de la demanderesse ait l’intention d’abandonner son emploi en Iran pour l’accompagner au Canada [traduction] « […] semble aller à l’encontre de la déclaration de la demanderesse selon laquelle son époux et elle ont l’intention de retourner en Iran une fois son diplôme obtenu », un peu comme l’a soutenu l’agent des visas dans ses motifs, le fondement de cette déclaration n’est pas clair — au-delà du simple fait que l’époux de la demanderesse ait l’intention d’accompagner celle-ci.

[12] À mon avis, la conclusion de l’agent des visas selon laquelle il n’était pas convaincu que la demanderesse retournerait en Iran à la fin de ses études parce qu’elle n’était pas suffisamment établie dans ce pays n’est pas transparente, intelligible et justifiée. Cette conclusion est, par conséquent, déraisonnable.

ii. Plan d’études

[13] Je suis d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment que les conclusions de l’agent des visas concernant les études antérieures et les études prévues de la demanderesse sont contradictoires et inintelligibles.

[14] D’une part, l’agent a conclu que le plan d’études de la demanderesse n’était pas raisonnable étant donné que ses études antérieures [traduction] « n’étaient pas dans un domaine connexe ». D’autre part, l’agent a déclaré que le programme d’études que la demanderesse envisageait de suivre était un programme de maîtrise en administration de la sécurité informatique et de l’informatique judiciaire, mais qu’elle avait déjà obtenu une maîtrise en sécurité des technologies de l’information et qu’elle travaillait comme réalisatrice de logiciels. Étant donné que les études et l’expérience de travail de la demanderesse étaient dans le même domaine, l’agent des visas a déclaré qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse [traduction] « […] ne profit[ait] pas déjà des avantages de ce programme ». Il a donc conclu qu’il ne s’agissait pas d’une progression raisonnable de ses études.

[15] À première vue, cette conclusion est inintelligible. Les programmes ne peuvent pas être à la fois sans lien et redondants.

[16] En outre, dans sa lettre à l’appui de sa demande de permis d’études, la demanderesse a expliqué en quoi les deux programmes de maîtrise différaient, pourquoi elle souhaitait suivre le programme d’études au Canada et en quoi il ferait avancer sa carrière auprès de son employeur actuel — qui lui a offert une promotion qui prendra effet une fois qu’elle aura réussi le programme d’études. L’agent des visas n’était pas tenu d’admettre cet élément de preuve. Cependant, comme ce dernier semble être en contradiction avec la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse profite déjà des avantages du programme d’études canadien, l’agent a commis une erreur en n’en tenant pas compte (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 au para 17).

[17] Même si les demandeurs ont formulé diverses autres observations, les deux erreurs abordées précédemment suffisent à justifier l’intervention de la Cour puisque la décision n’est pas justifiée ni intelligible.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-92-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  4. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-92-22

 

INTITULÉ :

ZEINAB VAHDATI, VAHID ROSTAMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

Pour les demandeurs

 

Jessica Ko

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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