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Date : 20220726


Dossier : T‐1139‐18

Référence : 2022 CF 1112

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ALEXANDRU‐IOAN BURLACU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Alexandru‐Ioan Burlacu, se représente lui‐même dans le cadre de la présente demande. Il est agent principal des programmes à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] et a présenté une demande de contrôle judiciaire des décisions rendues au dernier palier relativement à quatre griefs distincts. Il sollicite également une ordonnance en application de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 [les Règles], autorisant l’examen des quatre décisions distinctes par voie de cette seule demande.

[2] Je suis convaincu que l’examen des quatre décisions dans le cadre de cette même demande permettra de trancher de manière juste et économique les questions sur le fond. Toutefois, après avoir examiné attentivement les arguments des parties, je ne suis pas convaincu que l’intervention de la Cour soit justifiée. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Contexte

[3] Les quatre griefs en cause sont liés aux préoccupations de M. Burlacu concernant le défaut de son employeur (1) d’établir un plan d’apprentissage pour lui‐même et (2) d’incarner, à son égard, les valeurs et comportements énoncés dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public [le Code], et dont le respect constitue l’une de ses conditions d’emploi, selon lui. Les préoccupations de M. Burlacu concernant le Code sont nées à la suite de nominations intérimaires dans son lieu de travail.

[4] Les lignes qui suivent offrent un bref résumé de chaque grief :

A. Grief 2017‐3941‐125197 [le grief no 197]

[5] En août 2017, la gestionnaire intérimaire de M. Burlacu l’a informé verbalement que son mandat était prolongé et qu’elle continuerait d’occuper ses fonctions de gestionnaire. Le 14 septembre 2017, M. Burlacu a contesté le fait de ne pas avoir été informé par écrit du nom de son gestionnaire, ni de la durée de sa nomination intérimaire. Il a affirmé que cela était contraire au Code et par conséquent à ses conditions d’emploi. M. Burlacu a demandé que lui soit communiqué par écrit le nom de son gestionnaire et, dans le cas d’une affectation intérimaire, une confirmation de la période d’affectation intérimaire. Il a également demandé une lettre d’excuse de la part de la personne qui avait la responsabilité de lui fournir un avis par écrit. Enfin, il a demandé à « [être] rétabli dans sa situation antérieure et que toutes les réparations jugées justes lui soient accordées ».

[6] Le décideur au dernier palier a conclu que le Code n’imposait pas à l’employeur l’obligation de fournir à M. Burlacu le nom de son gestionnaire par écrit. Le décideur a néanmoins souligné que l’ASFC avait fourni à M. Burlacu le nom de son gestionnaire, par écrit, en octobre 2017. Le décideur a accueilli en partie le grief et a décidé qu’aucune autre mesure corrective ne serait appliquée.

B. Grief 2017‐3941‐125198 [le grief no 198]

[7] Le 15 septembre 2017, M. Burlacu a déposé un grief au motif que son employeur n’avait pas établi de plan d’apprentissage personnel pour lui au cours de l’exercice financier 2017‐2018, comme l’exige la Directive sur la gestion du rendement du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Bien qu’il ait présenté une proposition de plan de formation à la direction, M. Burlacu n’a reçu aucune réponse officielle pour confirmer que son plan était accepté. À titre de mesure corrective, M. Burlacu a demandé qu’un plan d’apprentissage soit établi pour l’exercice financier 2017‐2018, qu’une lettre d’excuse de la part de la personne qui avait la responsabilité de veiller à ce que son gestionnaire établisse le plan d’apprentissage lui soit acheminée, et qu’il « soit rétabli dans sa situation antérieure et que toutes les réparations jugées justes lui soient accordées ».

[8] Le décideur au dernier palier a reconnu que la direction n’avait pas établi de plan d’apprentissage pour l’exercice financier 2017‐2018, et n’avait donc pas respecté les exigences de la Directive sur la gestion du rendement. Cependant, l’exercice financier 2017‐2018 avait pris fin au moment où la décision au palier a été rendue. Le décideur au dernier palier a accueilli le grief en partie, informant M. Burlacu que la direction veillerait à ce qu’un plan d’apprentissage soit établi pour l’exercice financier 2018‐2019, une fois qu’il aurait soumis son plan de formation proposé. Le décideur au dernier palier a indiqué qu’aucune autre mesure corrective ne serait appliquée.

C. Grief 2017‐3941‐125292 [le grief no 292]

[9] Le 20 septembre 2017, M. Burlacu a présenté un grief dans lequel il affirmait que le prolongement par l’employeur des nominations intérimaires de deux conseillers principaux en matière de programmes dans son lieu de travail avait été effectué de manière inéquitable. Selon lui, cela équivalait à un manquement de la part de l’employeur à son obligation d’incarner, à son égard, les valeurs et comportements énoncés dans le Code. M. Burlacu a demandé qu’on lui accorde une nomination intérimaire dans son lieu de travail et qu’il « soit rétabli dans sa situation antérieure et que toutes les réparations jugées justes lui soient accordées ». M. Burlacu a ensuite déposé des plaintes en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12‐13 [la LEFP], pour contester les nominations.

[10] Le grief de M. Burlacu a été rejeté. Le décideur au dernier palier a conclu que M. Burlacu disposait d’une voie de recours au titre du paragraphe 77(1) de la LEFP et que les nominations ne pouvaient donc pas faire l’objet d’un grief (art 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 [la LRTSPF]). Le décideur au dernier palier a souligné que M. Burlacu avait exercé son droit de recours relativement aux nominations intérimaires au titre de la LEFP, et a de plus conclu qu’aucun élément de preuve n’appuyait l’idée que le prolongement des nominations intérimaires avait été effectué de manière injuste.

D. Grief 2018‐3941‐126551 [le grief no 551]

[11] Le 28 février 2018, M. Burlacu a déposé un grief pour contester la décision rendue au troisième palier concernant le grief no 197. Il a affirmé que la décision rendue au troisième palier ne répondait pas de façon satisfaisante à l’argument qu’il avait présenté, qu’elle n’expliquait pas comment les renseignements qu’il avait fournis avaient été pris en compte par le décideur au troisième palier, et qu’elle s’appuyait sur un article non pertinent de la LRTSPF. Tout cela démontrait, selon lui, un manquement à l’obligation d’incarner les valeurs prescrites par le Code. Il a sollicité une lettre d’excuse et a demandé qu’il « [soit] rétabli dans sa situation antérieure et que toutes les réparations jugées justes lui soient accordées ».

[12] Le décideur au dernier palier a estimé que la décision rendue au troisième palier concernant le grief no 197 ne contrevenait pas au Code et qu’elle traitait de la question telle qu’elle avait été présentée par M. Burlacu. Le grief a été rejeté et aucune mesure corrective n’a été prise.

III. Question préliminaire – est‐il approprié d’examiner les quatre décisions par voie d’une seule demande?

[13] Dans sa demande en vue d’obtenir une ordonnance au titre de l’article 302 des Règles, M. Burlacu souligne que les quatre griefs ont été traités ensemble le même jour et par le même décideur au dernier palier. Il souligne que les questions soulevées dans le cadre du contrôle judiciaire sont les mêmes que pour chacun des griefs. Enfin, il souligne que deux des griefs (les griefs nos197 et 551) sont directement liés. Le défendeur ne s’est pas opposé à la demande.

[14] Les quatre griefs en cause, bien que tranchés de façon individuelle, ont été examinés par le même décideur, font généralement état de circonstances semblables et soulèvent des questions de même nature en contrôle judiciaire. Chacun de ces facteurs a été jugé pertinent lors de l’examen d’une demande présentée au titre de l’article 302 des Règles (Whitehead c Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270; Association des sourds du Canada c Canada, 2006 CF 971). Permettre à M. Burlacu de contester les quatre décisions par voie d’une seule demande serait également conforme au principe général énoncé à l’article 3 des Règles, selon lequel les règles doivent être interprétées de manière à garantir une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[15] M. Burlacu sera autorisé à contester les quatre décisions relatives aux griefs par voie d’une même demande.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[16] M. Burlacu a soulevé deux questions :

A. Le décideur a‐t‐il respecté les principes de justice naturelle et d’équité procédurale dans le traitement des quatre griefs?

B. Les décisions sont‐elles raisonnables dans chaque cas?

[17] Le défendeur n’est pas en désaccord avec les questions formulées par M. Burlacu, mais il soulève une troisième question. Le défendeur soutient que la demande de contrôle judiciaire est prématurée en ce qui concerne les griefs nos 197, 292 et 551.

[18] La norme de contrôle applicable n’est pas contestée. Les parties conviennent que les décisions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12‐13, 75 et 85). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue, mais centre son attention sur la décision effectivement rendue par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, aux para 15 et 83).

[19] Les parties conviennent également que, lorsqu’elle examine une question d’équité procédurale, la Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. Les questions relatives à l’équité obligent la cour de révision à mettre l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, pour déterminer si un processus juste et équitable a été suivi. Cet exercice de révision est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Canadien Pacifique]).

I. Analyse

A. La demande de contrôle judiciaire est‐elle prématurée?

[20] Le défendeur soutient que les griefs de M. Burlacu n’ont pas été dûment présentés, et que le contrôle judiciaire des décisions relatives aux griefs nos 197, 292 et 551 est prématuré. Pour cette raison, le défendeur affirme que les décisions ne devraient pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire et, par voie de conséquence, que les griefs n’auraient pas dû être examinés par le décideur au dernier palier. Le défendeur soutient également que la demande de contrôle judiciaire des trois décisions équivaut à un abus de procédure, puisque M. Burlacu a introduit des demandes s’appuyant sur les mêmes faits devant d’autres instances.

[21] Le paragraphe 208(1) de la LRTSPF établit le droit d’un fonctionnaire à présenter un grief. Le paragraphe 208(2) de la LRTSPF limite ce droit, et prescrit que si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, un fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel :

Droit du fonctionnaire

208 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

Réserve

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Right of employee

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

Limitation

(2) An employee may not present an individual grievance in respect of which an administrative procedure for redress is provided under any Act of Parliament, other than the Canadian Human Rights Act.

[22] Le recours administratif disponible visé au paragraphe 208(2) ne doit pas nécessairement fournir au fonctionnaire une réparation égale ou supérieure. Toutefois, il doit offrir une réparation véritable, qui traite de façon raisonnable et efficace le fond du grief (Canada (Procureur général) c Boutilier, [2000] 3 CF 27 au para 23 [Boutilier]).

[23] En ce qui concerne le grief no 197, le défendeur souligne que M. Burlacu a engagé une procédure distincte aux termes de l’article 127.1 du Code canadien du travail, LRC (1985), c L‐2 [le Code], alléguant un problème possible pour sa santé dans le cadre de son emploi. M. Burlacu ne conteste pas qu’il a engagé cette procédure. Le défendeur soutient que la disponibilité du processus de plainte au titre du Code déclenche l’application du paragraphe 208(2) de la LRTSPF. À la lumière des faits exposés, je ne suis pas d’accord.

[24] Le fondement du grief n197 est lié au fait que l’employeur de M. Burlacu ne l’a pas informé par écrit du nom de son gestionnaire. À l’inverse, M. Burlacu a introduit la plainte au titre du Code au motif que son employeur l’aurait informé verbalement, que ses efforts en vue d’obtenir l’information par écrit frôlaient l’insubordination.

[25] La plainte au titre du Code par laquelle M. Burlacu a allégué un problème possible pour sa santé dans le cadre de son emploi a été sans conteste introduite dans le contexte du grief no 197. Cependant, elle soulève et implique une question distincte. Le grief no 197 n’est ni prématuré, ni un abus de procédure.

[26] En ce qui a trait au grief no 292, le défendeur soutient qu’il concerne, en substance, une plainte en matière de dotation pour laquelle la LEFP prévoit un recours administratif de réparation. Plus précisément, le paragraphe 77(1) de la LEFP est ainsi libellé :

Motifs des plaintes

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi , présenter à celle‐ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

Grounds of complaint

77 (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Board’s regulations — make a complaint to the Board that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non‐advertised internal appointment process; or

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

[27] Le paragraphe 208(2) de la LRTSPF englobe les recours administratifs de réparation prévus sous le régime d’autres lois fédérales. Toutefois, la disposition a été adoptée à l’origine pour prévenir la possibilité d’un chevauchement des procédures prévues par la LRTSPF d’une part et la LEFP d’autre part (Chopra c Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 CF 445 au para 14 [Chopra]). Le défendeur affirme que c’est précisément ce qui se produit en l’espèce.

[28] Le grief no 292 a été déclenché par la décision de l’employeur de prolonger les nominations intérimaires de deux employés d’une manière qui, selon M. Burlacu, était injuste. Le grief est, à la base, lié à un processus de nomination interne et la LEFP prévoit explicitement un recours administratif de réparation lorsque les plaintes découlent de nominations internes. En outre, M. Burlacu a déposé une plainte au titre du paragraphe 77(1) de la LEFP relativement aux nominations internes qui font l’objet du grief no 292.

[29] Les questions relatives à l’équité et à la transparence soulevées dans le grief no 292, y compris l’incarnation des valeurs et des comportements attendus énoncés dans le Code, sont pertinentes et peuvent être examinées et traitées au moyen de la procédure de plainte prévue dans la LEFP. Par exemple, le modèle de justification pour les nominations non annoncées au sein de l’ASFC demande aux gestionnaires responsables de l’embauche de tenir compte des principes d’équité et de transparence, et ce document renvoie explicitement au Code (dossier du demandeur, aux pages 252‐255; voir également Renaud c Sous‐ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26 aux para 34‐36).

[30] Je prends acte de la réparation que souhaiterait obtenir M. Burlacu énoncée dans le grief no 292; une nomination à un poste intérimaire dans le lieu de travail n’est pas une réparation offerte au titre de la LEFP (voir art 82). Cependant, comme je l’ai souligné plus haut, il suffit qu’un autre recours fournisse une réparation véritable et significative pour déclencher l’application du paragraphe 208(2) de la LRTSPF (Boutilier, au para 23).

[31] M. Burlacu invoque la décision Burlacu c Canada (Procureur général), 2021 CF 610, où la Cour a rejeté des arguments semblables concernant la prématurité, au motif qu’il n’est pas certain que les autres moyens indiqués par le défendeur puissent répondre expressément aux préoccupations du demandeur (au paragraphe 20). En l’espèce, il est non seulement certain que l’autre recours administratif peut répondre à la plainte de M. Burlacu, puisque M. Burlacu l’a en fait utilisé.

[32] Le grief no 292 est prématuré. Il n’aurait pas dû être examiné et tranché aux termes de la LRTSPF. L’objet du grief no 292 soulève des questions qui doivent être dûment examinées et tranchées au moyen de la procédure prévue sous le régime de la LEFP, une procédure que M. Burlacu a en fait utilisée.

[33] Je suis également d’avis que le grief no 551 n’a pas été dûment présenté devant la Cour.

[34] Le grief no 551 vise essentiellement à contester la décision rendue au troisième palier dans le cadre du grief no 197.

[35] La convention collective applicable prévoit qu’un plaignant peut présenter un grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs qui suit le premier lorsque la décision ne lui donne pas satisfaction (Convention entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada – Groupe des Services frontaliers, 17 mars 2014, article 18.16 [la Convention collective]). Les objections de M. Burlacu relativement à la décision rendue au troisième palier concernant le grief no 197 sont des questions qui pourraient être à bon droit soulevées et déposées en présentant le grief no 197 au quatrième et dernier palier.

[36] M. Burlacu a présenté le grief no 197 au quatrième et dernier palier. À mon avis, l’introduction d’un grief distinct pour exprimer une insatisfaction à l’égard de la décision rendue au troisième palier dans le grief no 197 chevauche de manière inappropriée la procédure prévue dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et, par extension, celle prévue devant notre Cour en contrôle judiciaire. Je suis du même avis que le défendeur, soit que le but visé est de contrecarrer l’objectif de la procédure prévue dans la Convention collective et dans la LRTSPF.

[37] En résumé, le paragraphe 208(2) de la LRTSPF s’applique au grief no 292. Le grief no 551 fait fi de la procédure de règlement des griefs et du processus prévu dans la Convention collective et la LRTSPF. Ainsi, ces deux griefs sont prématurés, constituent un abus de procédure et n’ont pas été dûment présentés devant la Cour.

[38] J’en viens maintenant aux questions d’équité procédurale soulevées par M. Burlacu en lien avec les griefs nos 197 et 198.

B. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[39] La réponse à ce qu’exige l’équité dans une circonstance particulière est très variable et tributaire du contexte (Canadien Pacifique, au para 40, renvoyant à Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653, p 682). La teneur de l’obligation d’équité et le degré d’équité requis constituent des questions qui sont circonscrites par les cinq facteurs non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[40] En l’espèce, M. Burlacu affirme que les obligations d’équité procédurale et de justice naturelle n’ont pas été respectées pour les raisons suivantes :

  1. Un courriel indiquant que M. Burlacu [traduction] « remet souvent en question les décisions de la direction au point de frôler l’insubordination » a été mis à la disposition du décideur au dernier palier mais n’a pas été divulgué à M. Burlacu, ce qui l’a empêché de défendre sa cause pleinement et équitablement, ou de présenter des observations concernant ses craintes que la déclaration ait pu influer sur le décideur en sa défaveur;

  2. Un précis de grief présenté au décideur au dernier palier indiquait que son plan d’apprentissage n’avait pas été établi pour l’exercice 2017‐2018, en raison des problèmes de harcèlement qu’il avait soulevés concernant son directeur. Il soutient que cette explication a été soulevée pour la première fois dans le précis et qu’il n’aurait pas pu l’anticiper ou la contester, étant donné que le problème de harcèlement n’a été soulevé qu’une fois l’exercice financier 2017‐2018 terminé. Il n’aurait pas pu avoir une incidence sur l’établissement du plan d’apprentissage.

[41] M. Burlacu fait valoir que le degré d’équité qui lui était dû dans ces circonstances est très élevé, parce que ses griefs ont été présentés dans le contexte d’allégations de harcèlement. Je ne suis pas de cet avis.

[42] La décision Renaud c Canada (Procureur général), 2013 CF 18, sur laquelle s’appuie M. Burlacu, se distingue nettement de la situation qui nous occupe. Dans cette affaire, les griefs concernaient le résultat d’une enquête relative à deux plaintes de harcèlement. Les griefs portaient explicitement et directement sur des questions de harcèlement. En l’espèce, M. Burlacu reconnaît que les griefs en cause ne portent pas directement sur le harcèlement, mais affirme qu’ils ont été présentés dans le contexte de problèmes de harcèlement sous‐jacents.

[43] Il n’est pas contesté que le plaignant a droit à ce qu’on respecte à son égard l’obligation d’équité procédurale dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Cette obligation est satisfaite lorsque le plaignant connaît les arguments à réfuter et a eu la possibilité d’y répondre. En l’espèce, le dossier révèle que M. Burlacu a eu la possibilité de présenter des observations à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs; il s’est joint à son employeur pour tenter de régler ses plaintes et a eu la possibilité de présenter des observations par la suite.

[44] L’affirmation selon laquelle M. Burlacu défend ses opinions au point de frôler l’insubordination n’est ni nouvelle ni inédite pour M. Burlacu. En octobre 2017, il a lui‐même indiqué que c’était là le point de vue de son employeur. En fait, c’est sur l’expression de ce point de vue par son employeur que M. Burlacu s’est appuyé pour engager une procédure au titre de l’article 127.1 du Code. Par conséquent, l’information contenue dans le courriel figurait au dossier et était connue de M. Burlacu. L’inclusion de cette affirmation dans un courriel transmis au décideur au dernier palier sans qu’elle ait été divulguée à M. Burlacu n’était pas, dans les circonstances, inéquitable et ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale.

[45] Le fait de ne pas avoir divulgué le précis de grief ne constituait pas non plus un manquement à l’équité. M. Burlacu se dit préoccupé par le fait que le précis contient une explication justifiant que son plan d’apprentissage n’ait pas été établi, explication qui était illogique et qu’il n’aurait pas pu anticiper. Même si c’est peut‐être le cas, le décideur au dernier palier a reconnu qu’un plan d’apprentissage n’avait pas été établi et a accueilli en partie le grief sur ce point. Dans ce contexte, aucun manquement à l’équité n’a été établi.

[46] M. Burlacu affirme également qu’il ne pouvait pas savoir que le décideur au dernier palier serait une personne agissant au titre de vice‐président de la Direction générale des ressources humaines. Cela ne soulève pas de problème en matière d’équité. Nul ne prétend que M. Burlacu ignorait que les griefs seraient examinés par le vice‐président des ressources humaines de l’employeur ou que l’employeur n’a pas respecté son obligation, au titre du paragraphe 65(1) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005‐79, de fournir à M. Burlacu le nom ou le titre du décideur.

[47] La procédure par laquelle les griefs de M. Burlacu ont été examinés et tranchés était équitable dans les circonstances. Il n’y a pas eu manquement à la justice naturelle.

C. Les décisions prises au dernier palier dans les griefs nos 197 et 198 sont raisonnables

1) Grief no 197

[48] M. Burlacu soutient que la décision relative au grief no 197 [traduction] « ne contient aucun motif discernable » permettant de conclure que le Code ne contient aucune obligation de communiquer par écrit le nom du gestionnaire d’un employé. Je ne suis pas de cet avis.

[49] Dans le grief no 197, M. Burlacu affirme que l’employeur a enfreint le Code [traduction] « en refusant de confirmer par écrit » le nom de son gestionnaire intérimaire. La réponse au dernier palier a été la suivante : [traduction] « [a]ux termes du Code de valeurs et d’éthique du secteur public, il n’existe aucune obligation de fournir le nom de votre superviseur par écrit ». Il s’agit à la fois d’une déclaration de fait et d’une conclusion concernant la question soulevée. Cette déclaration et conclusion, bien que brève, est transparente, intelligible et justifiée.

[50] M. Burlacu souligne que ses observations écrites à l’appui du grief font état de divers règlements et politiques appuyant sa position selon laquelle l’employeur était tenu de fournir l’information par écrit. Il soutient que le fait que le décideur n’a pas pris en compte et examiné ces observations rend également la décision déraisonnable.

[51] Je suis sensible à cet argument, mais je ne suis pas prêt à intervenir sur ce motif. La décision indique que le nom de son gestionnaire a été communiqué par écrit à M. Burlacu le 3 octobre 2017. Le grief a été accueilli en partie pour ce motif. À titre de juge de révision, j’aurais préféré que l’on effectue d’une quelconque façon une analyse et un examen des arguments et des observations présentés par M. Burlacu. Toutefois, le fait que le décideur n’a pas fourni cette analyse ne suffit pas, selon ces faits, à justifier une intervention par contrôle judiciaire. La première mesure de réparation demandée a, dans les faits, été accordée.

2) Grief n198

[52] J’estime également que la réponse au grief no 198 était raisonnable. Le décideur au dernier palier reconnaît que l’employeur a omis d’établir un plan d’apprentissage personnel pour l’exercice 2017‐2018, comme il était tenu de le faire. La décision au dernier palier ayant été rendue après la fin de l’exercice financier 2017‐2018, il n’était pas déraisonnable que la mesure corrective porte sur l’établissement d’un plan d’apprentissage personnel pour l’exercice alors en cours.

[53] M. Burlacu soutient, et je suis d’accord, que la mesure de réparation décrite, à savoir l’établissement d’un plan d’apprentissage personnel pour l’exercice financier alors en cours, ne peut pas être précisément qualifiée de « mesure corrective ». L’employeur est par ailleurs tenu de produire le plan. Toutefois, la décision n’est pas pour autant déraisonnable.

[54] M. Burlacu soutient en outre que le fait que le décideur n’a pas réussi à s’attaquer de façon significative à la question des mesures correctives supplémentaires demandées – une lettre d’excuse et toute autre mesure de réparation jugée juste – rend la décision déraisonnable.

[55] Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées (Vavilov, au para 127). Cependant, un décideur n’a pas à s’attaquer à chacune des questions soulevées (Vavilov, au para 128). En l’espèce, le cœur du grief avait trait à un manquement à l’obligation de fournir un plan d’apprentissage personnel. Ce manquement a été reconnu et le grief a été accueilli en partie. Dans ces circonstances, les mesures correctives demandées ne constituent pas « des questions et préoccupations centrales » telles que le décideur était tenu d’en tenir compte.

[56] M. Burlacu affirme que l’obligation de prendre en compte les mesures correctives demandées découle du préambule de la LRTSPF, qui prescrit notamment que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste et crédible les problèmes liés aux conditions d’emploi. Je ne pense pas que les objectifs généraux de la loi, tels qu’ils sont décrits dans le préambule, imposent l’obligation qu’indique M. Burlacu.

[57] La décision en cause reconnaît et traite la question centrale soulevée par le grief. Le manquement de l’employeur est souligné, et le grief est accueilli en partie. En me concentrant sur la décision effectivement rendue, et non sur la décision que la Cour ou M. Burlacu aurait préférée, je conclus qu’elle possède les attributs requis de transparence, d’intelligibilité et de justification. La décision était raisonnable.

II. Conclusion

[58] Pour les motifs susmentionnés, la demande est rejetée.

[59] Le défendeur sollicite des dépens de 500 $, taxes et débours inclus, lesquels lui sont adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T‐1139‐18

LA COUR STATUE :

  1. Il est fait droit à la demande du demandeur, présentée au titre de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106, pour que les quatre décisions soient examinées dans le cadre d’une même demande de contrôle judiciaire.

  2. La demande est rejetée.

  3. La somme globale de 500 $ est adjugée au défendeur au titre des dépens.

 

« Patrick Gleeson »

En blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1139‐18

 

INTITULÉ :

ALEXANDRU‐IOAN BURLACU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Alexandru‐Ioan Burlacu

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Marylise Soporan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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