Date : 20220725
Dossier : T-1814-19
Référence : 2022 CF 1100
Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022
En présence de madame la juge Kane
ENTRE : |
NAVARATNAM KANDASAMY |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’un recours en révision exercé par le demandeur, M. Navaratnam Kandasamy, au titre de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [la Loi], visant la décision rendue le 25 février 2019 par le ministre de la Sécurité publique [la Sécurité publique] en réponse à sa demande de communication de renseignements personnels.
[2] M. Kandasamy soutient que le ministre de la Sécurité publique a commis une erreur en ne communiquant pas des renseignements personnels qui, selon le demandeur, sont consignés dans des banques de données de la Sécurité publique. Il sollicite une ordonnance de la Cour enjoignant la communication de ces renseignements.
[3] M. Kandasamy n’a pas relevé d’erreur précise dans la décision, mais affirme plutôt qu’il est convaincu que des renseignements le concernant ont été recueillis et conservés, et que ceux-ci devraient être communiqués.
[4] M. Kandasamy affirme qu’il a été suivi et a fait l’objet de harcèlement criminel au Canada et à l’étranger, et que ses communications ont été piratées ou supprimées, ou les deux. Il allègue avoir fait l’objet d’une surveillance constante de la part de plusieurs organismes non précisés, et que cette surveillance se poursuit. Il soutient avoir été [traduction] « pénétré par des armes à énergie »
et pris pour cible d’autres façons, ce qui a des répercussions sur sa vie quotidienne. Il croit également que des renseignements inexacts le concernant ont été transmis à d’autres pays, et il allègue avoir été maltraité lors de voyages à l’étranger entre 2008 et 2010. Il ajoute qu’il a déposé des plaintes auprès de la police locale, qui n’y a pas donné suite.
[5] M. Kandasamy sollicite aussi la révision de deux autres décisions relatives à des demandes de communication de renseignements personnels. Dans le dossier no T-167-20, il conteste la décision du Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS], et, dans le dossier no T-953-20, il conteste la décision de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC]. Les trois demandes ont été entendues ensemble. M. Kandasamy a demandé des renseignements semblables auprès du SCRS et de la GRC, et il a formulé des allégations similaires concernant la nature des renseignements qui, selon lui, auraient été conservés par ces organismes. Il a aussi fait valoir des arguments similaires dans les trois demandes et a réitéré sa crainte d’être surveillé et maltraité de façon générale.
[6] M. Kandasamy aurait eu avantage à obtenir des conseils juridiques indépendants et à se faire représenter. Il a expliqué qu’il n’était pas parvenu à retenir les services d’un avocat en raison des honoraires ou parce qu’il n’avait pas droit à l’aide juridique, et aussi parce que l’avocat qu’il avait consulté avait dit ne pas bien connaître la Loi ou les questions juridiques qu’il cherchait à soulever. Cependant, un avocat aurait peut-être été plus à même de lui expliquer les principes sur lesquels reposent la Loi et son application, qui concernent la communication de renseignements et la protection contre la divulgation d’autres renseignements. En outre, l’avocat aurait peut-être dirigé M. Kandasamy vers des ressources relativement à ses craintes et à ses convictions, qui n’étaient étayées par aucun élément de preuve présenté à la Cour. L’avocat aurait peut-être été plus à même de lui expliquer qu’un contrôle judiciaire vise à examiner si l’institution gouvernementale, en l’occurrence le ministre de la Sécurité publique, a appliqué les exceptions prévues par la Loi de manière raisonnable.
[7] Malgré les difficultés éprouvées par M. Kandasamy pour présenter ses observations, au titre de l’article 47 de la Loi, il incombe à l’institution gouvernementale d’établir le bien-fondé de son refus de communiquer les renseignements demandés. Je suis convaincue que le ministre de la Sécurité publique a établi que sa réponse à M. Kandasamy était raisonnable et prescrite par la Loi.
I. Le contexte
A. La demande de renseignements personnels
[8] Le 3 janvier 2019, M. Kandasamy a présenté un Formulaire de demande d’accès à des renseignements personnels au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile (selon son ancienne appellation) par lequel il sollicitait la communication de tous les documents relevant de la Sécurité publique datés du 4 avril 1991 au 7 janvier 2019 comportant des renseignements personnels le concernant.
[9] Compte tenu du manque de clarté dans le Formulaire de demande d’accès à des renseignements personnels de M. Kandasamy, la Sécurité publique a, avec le consentement de celui-ci, reformulé la requête de la façon suivante :
[traduction]
Tous les dossiers comprenant des renseignements personnels qui appartiennent à Navaratnam Kandasamh et qui relèvent de la Sécurité publique du Canada […] au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi), datés du 4 avril 1991 au 7 janvier 2019, notamment les banques et documents suivants :
Sécurité nationale (banque no PSPPU026)
Documents communiqués à l’étranger (que ce soit auprès de partenaires ou de pays) par la Division des affaires internationales (notamment le Sri Lanka, l’Inde et le Royaume-Uni) (document no PSPACB-02)
Système de repérage de la Stratégie nationale pour la prévention du crime (notamment la communication de renseignements sur les questions et enquêtes liées aux victimes, les documents correspondants, les contrats ou programmes gouvernementaux nouveaux et existants) (banque no PSPPU039)
Vérification des antécédents (c.-à-d. en ce qui concerne la cote de sécurité)
Atteinte à la vie privée (document no PsNcSb-09)
Toute communication personnelle relative à la surveillance électronique intérieure, permanente et continue (document no PSNCSB09)
[10] L’analyste de l’accès à l’information a communiqué la demande aux secteurs pertinents de la Sécurité publique afin de trouver les documents correspondant à la demande. Le Secteur des affaires du Portefeuille et des communications a trouvé 78 pages de documents comprenant des communications reçues par la Sécurité publique de la part de M. Kandasamy relativement au fait qu’il se croyait surveillé.
B. La réponse de la Sécurité publique
[11] La demande de M. Kandasamy visant des renseignements consignés dans la base de données de la sécurité nationale comprenait une recherche, par la Sécurité publique, dans la base de données du Programme de protection des passagers.
[12] M. André Chartrand, gestionnaire de l’Accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, n’a pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer que de tels renseignements existaient dans la banque de données du Programme de protection des passagers compte tenu de leurs répercussions potentielles sur la capacité du Canada de lutter contre les menaces à la sûreté aérienne. M. Chartrand a aussi indiqué que le paragraphe 20(2) de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, LC 2015, ch 20, art 11, interdit de communiquer le fait qu’une personne est inscrite au Programme de protection des passagers.
[13] Dans sa lettre du 25 février 2019, M. Chartrand a indiqué à M. Kandasamy que sa demande avait été traitée. Comme je l’ai mentionné, les renseignements, qui consistaient en des communications personnelles échangées entre M. Kandasamy et divers fonctionnaires concernant le fait qu’il se croyait surveillé, ont été communiqués. La lettre précisait également ce qui suit :
[traduction]
Conformément à l’article 16 de la Loi [sur la protection des renseignements personnels], nous ne confirmons ni n’infirmons l’existence de certains des documents que vous avez sollicités. Cependant, comme l’exige l’alinéa 16(1)b) de la Loi, nous vous avisons que, si de tels renseignements existaient, ils seraient vraisemblablement visés par l’exception prévue à l’article 21 (étant donné qu’ils se rapportent aux efforts du Canada en matière de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives).
[14] Insatisfait de cette réponse, M. Kandasamy a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée.
C. Le rapport du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada
[15] Dans sa lettre du 12 septembre 2019, un enquêteur principal à la protection de la vie privée [l’enquêteur] a informé M. Kandasamy que le Commissariat à la protection de la vie privée [le CPVP] avait ouvert un dossier afin d’enquêter sur sa plainte. Après avoir effectué un examen préliminaire, l’enquêteur a mentionné que la demande de M. Kandasamy comprenait une recherche dans la base de données de la sécurité nationale, qui comprend des renseignements relatifs au Programme de protection des passagers. L’enquêteur a avisé M. Kandasamy que tous les ministères sont tenus par la loi de s’abstenir de confirmer ou d’infirmer l’existence de renseignements qui concernent un individu et qui se rapportent au Programme de protection des passagers.
[16] Dans sa lettre du 19 septembre 2019, l’enquêteur a informé M. Kandasamy que le CPVP avait conclu, après avoir enquêté sur sa plainte, que celle-ci n’était pas fondée. Le rapport de l’enquêteur décrit la demande de renseignements de M. Kandasamy, les dispositions applicables de la Loi, notamment les articles 16 et 21, et confirme que, si les renseignements sollicités existaient, ils seraient visés par une exception prévue à l’article 21. Le CPVP a conclu que la Sécurité publique n’avait pas manqué à la Loi lorsqu’elle a répondu à la demande de renseignements.
II. Dispositions législatives applicables
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III. Les questions en litige et la norme de contrôle
[17] L’article 41 de la Loi prévoit l’exercice d’un recours en révision devant la Cour, mais ne précise pas la norme de contrôle applicable. L’article 41 se distingue de la disposition analogue figurant à l’article 44.1 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1 [la LAI], qui prévoit que les recours en révision sont entendus comme une nouvelle affaire.
[18] Il est bien établi en droit que le recours en révision prévu à l’article 41 de la Loi est un processus en deux étapes : en premier lieu, la Cour examine si les renseignements demandés sont visés par les exceptions invoquées et, en deuxième lieu, elle détermine si l’institution gouvernementale a exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer les renseignements de manière raisonnable. L’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], qui établit que la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, fait en sorte que les deux étapes du processus sont examinées selon la norme de la décision raisonnable. La Cour a expliqué ce qui suit dans la décision Chin c Canada (Procureur général), 2022 CF 464 aux para 14–17 [Chin] :
[14] Le contrôle judiciaire de la décision d’une institution fédérale de ne pas communiquer des renseignements est un processus qui se déroule en deux étapes (Russell c Canada (Procureur général), 2019 CF 1137 [Russell] au para 24). La Cour doit d’abord déterminer si les renseignements demandés, réels ou hypothétiques, sont visés par les dispositions qui ont été invoquées. Elle doit ensuite apprécier l’exercice, par l’institution fédérale, de son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements demandés.
[15] Avant que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], on considérait que la première étape était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la deuxième étape était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Braunschweig c Canada (Sécurité publique), 2014 CF 218 [Braunschweig] au para 29; Llewellyn c Service canadien du renseignement de sécurité, 2014 CF 432 [Llewellyn] au para 23).
[16] Dans l’arrêt Vavilov, toutefois, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de contrôle doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable (Vavilov, au para 23).
[17] Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle les deux étapes de l’analyse doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable, et la Cour n’interviendra donc que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La décision de ne pas communiquer les renseignements qui sont visés par l’exemption invoquée repose en grande partie sur des faits et elle s’accompagne d’une composante politique; ainsi, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’institution fédérale (Martinez c Canada (Centre de la sécurité des télécommunications), 2018 CF 1179 au para 13).
[19] Dans la décision Martinez c Canada (Centre de la sécurité des télécommunications), 2018 CF 1179 [Martinez], la Cour a confirmé que la décision de ne ni confirmer ni infirmer l’existence d’un document est aussi susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Cette situation continue à refléter l’état du droit.
[20] Par conséquent, la question en litige est de savoir si la Sécurité publique a appliqué les dispositions législatives et les exceptions de façon raisonnable et si elle a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements demandés.
IV. Les observations du demandeur
[21] M. Kandasamy soutient que la Sécurité publique a commis une erreur en se fondant sur l’article 21 de la Loi pour refuser de communiquer les renseignements personnels demandés. Il fait aussi valoir que la Sécurité publique a commis une erreur en refusant de confirmer ou d’infirmer l’existence d’autres renseignements. M. Kandasamy n’a pas relevé d’erreur précise dans la décision.
[22] Les observations de M. Kandasamy portent sur le fait qu’il continue à croire qu’il a été victime de cybertorture, qu’il a été maltraité (sans fournir de précisions à cet égard) et qu’il est toujours sous surveillance. Par conséquent, il croit qu’il existe des documents à son sujet et que ceux-ci devraient lui être communiqués pour que les fonctionnaires rendent des comptes.
[23] Comme dans ses observations écrites figurant dans les demandes connexes, M. Kandasamy a fait référence à des extraits d’articles de journaux et de sites Web, ainsi que d’autres réflexions et opinions sur les techniques de surveillance, le contrôle de l’esprit, l’intelligence artificielle et les armes à micro-ondes, lesquels n’ont aucun rapport avec les questions dont la Cour est saisie.
V. Les observations du défendeur
[24] Le défendeur note que les citoyens canadiens et les résidents permanents ont le droit de se faire communiquer, sur demande, les renseignements personnels les concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels, ou qui relèvent d’une institution fédérale, dans la mesure où ils peuvent fournir des indications suffisamment précises pour permettre leur localisation. Le défendeur renvoie à Info Source : Sources de renseignements du gouvernement fédéral et sur les fonctionnaires fédéraux en ce qui concerne les descriptions du contenu de diverses banques de données, y compris les bases de données de la sécurité nationale et sur le Programme de protection des passagers. Il fait également observer que la Loi, même si elle permet l’accès à l’information, comporte des limites et des exceptions raisonnables.
[25] Le défendeur soutient que la conclusion de la Sécurité publique selon laquelle les renseignements demandés par M. Kandasamy, s’ils existaient, seraient visés par une exception à la communication prévue à l’article 21 de la Loi, était raisonnable. En outre, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Sécurité publique de refuser de confirmer ou d’infirmer l’existence de ces renseignements en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi.
[26] Le défendeur note que l’article 21 de la Loi prévoit une exception fondée sur le préjudice, qui exige que le décideur analyse la question de savoir si la communication des renseignements pourrait aller à l’encontre des intérêts énoncés dans l’exception. Le défendeur fait référence aux paragraphes 33 et 34 de la décision Braunschweig c Canada (Sécurité publique), 2014 CF 218, où la Cour a précisé les types d’exceptions :
[33] La Loi et la LAI prévoient deux sortes d’exceptions à la communication : les exceptions fondées sur la qualification et celles fondées sur le préjudice. La Cour a résumé la distinction entre les deux catégories dans l’arrêt Bronskill c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2011 CF 983, [2011] A.C.F. no 1199, au paragraphe 13 :
[13] Les exceptions énoncées dans la Loi doivent être examinées sous deux angles par la cour siégeant en révision. Premièrement, les exceptions à la Loi sont fondées soit sur le préjudice, soit sur la catégorie. Les exemptions fondées sur la catégorie sont généralement invoquées lorsque la nature de la documentation sollicitée est intrinsèquement confidentielle. À titre d’exemple, l’exemption prévue à l’article 13 concerne les renseignements obtenus des gouvernements étrangers et est, de par sa nature, une exception fondée sur la catégorie. Les exceptions fondées sur le préjudice exigent que le décideur analyse la question de savoir si la communication des renseignements pourrait aller à l’encontre des intérêts exposés dans l’exception. L’article 15 est une exception fondée sur le préjudice : le responsable d’une institution fédérale doit examiner la question de savoir si la communication de l’information « risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives ».
[34] De plus, les exceptions prévues par la Loi et la LAI sont obligatoires ou discrétionnaires, selon le libellé de la disposition créant l’exception – le gouvernement « est tenu de refuser la communication » ou « peut refuser la communication ». Ainsi, d’après la disposition invoquée, le gouvernement peut avoir l’obligation d’appliquer l’exception ou peut, à sa discrétion, décider ou non de l’appliquer.
[27] Le défendeur explique que les intérêts énoncés à l’article 21 ont une très vaste portée. Le décideur doit établir si la communication des renseignements risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada, ou à la détection, la prévention ou la répression d’activités hostiles ou subversives. Dans la révision, le rôle de la Cour est d’établir le caractère raisonnable de cette décision.
[28] Le défendeur soutient que la réponse de la Sécurité publique était raisonnable puisque M. Kandasamy a sollicité l’accès à la base de données de la sécurité nationale, qui comprend des renseignements sur les personnes dont les activités sont soupçonnées de constituer une menace pour la sécurité du Canada ainsi que de l’information au sujet du Programme de protection des passagers, qui désigne les personnes susceptibles de poser une menace pour la sûreté aérienne. Le défendeur fait remarquer que ces documents sont créés afin de déceler et de prévenir les activités visées au paragraphe 15(2) de la LAI. La communication de tels renseignements porterait atteinte à la détection de ces activités. Le fait de divulguer des renseignements permettant de confirmer la tenue de ce type d’enquête causerait un préjudice, faisant ainsi jouer l’article 21 de la Loi.
[29] Le défendeur soutient aussi qu’il était raisonnable pour la Sécurité publique de refuser de confirmer ou d’infirmer l’existence des renseignements demandés conformément au paragraphe 16(2) de la Loi. De plus, conformément au paragraphe 20(2) de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, qui interdit la communication du fait qu’une personne est, a été, n’est pas ou n’a pas été inscrite au Programme de protection des passagers, la Sécurité publique était légalement tenue de ne pas communiquer les documents.
[30] Le défendeur explique que le fait de confirmer ou d’infirmer l’existence des renseignements serait contraire aux objectifs du Programme de protection des passagers, puisque cela indiquerait aux personnes susceptibles de représenter une menace si elles sont surveillées ou non. Le défendeur fait remarquer que toute personne sollicitant de tels renseignements recevra la même réponse.
VI. La décision est raisonnable
[31] La Loi débute par un énoncé de son objet, à savoir la protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et le droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent (à l’article 2).Toutefois, le droit d’accès d’une personne aux renseignements personnels consignés dans diverses banques de données est assujetti à certaines restrictions.
[32] M. Kandasamy semble penser que la Sécurité publique et d’autres organismes recueillent une grande quantité de renseignements à son sujet et qu’ils sont chargés de le faire. Cependant, l’article 4 de la Loi prévoit qu’une institution fédérale peut uniquement recueillir les renseignements personnels ayant un lien direct avec ses programmes ou activités. Comme l’a fait observer le défendeur, Info Source décrit différentes banques de données détenues par des institutions fédérales. M. Kandasamy n’a pas expliqué sur quoi reposait sa croyance selon laquelle des renseignements le concernant sont consignés dans une quelconque banque de données.
[33] M. Kandasamy n’a pas non plus répondu à la question pertinente en l’espèce, à savoir si la réponse de la Sécurité publique à sa demande de renseignements personnels est raisonnable. Malgré l’absence d’observations cohérentes, la Cour a examiné les questions pertinentes, les dispositions législatives, ainsi que la jurisprudence.
[34] Conformément à l’article 47 de la Loi, il incombe à l’institution gouvernementale, en l’espèce la Sécurité publique, de justifier qu’il était raisonnable de conclure que les renseignements demandés, s’ils existaient, seraient visés par une exception à la communication prévue à l’article 21, et qu’il était raisonnable de refuser de confirmer ou d’infirmer l’existence de ces renseignements au titre du paragraphe 16(2).
[35] La demande de renseignements de M. Kandasamy comprenait de l’information consignée dans la base de données de la sécurité nationale, qui contient également des renseignements du Programme de protection des passagers. Ces documents, s’ils existent, sont conservés dans le but de déceler et de prévenir les activités hostiles visées au paragraphe 15(2) de la LAI, dont il est question à l’article 21 de la Loi.
[36] Dans son affidavit, M. André Chartrand a expliqué que, si la Sécurité publique révélait si elle se trouve ou non en possession de certains documents, cette information pourrait être utilisée pour déterminer si une personne figure dans le Programme de protection des passagers, la nature de l’enquête relative à la menace perçue pour la sécurité ou d’autres renseignements en matière de sécurité. Agir ainsi pourrait mettre en péril les efforts visant à prévenir les menaces à la sécurité.
[37] Je conviens avec le défendeur que la communication de ces documents — s’ils existent bel et bien — porterait atteinte à la détection ou la prévention de telles activités. Il ne serait pas dans l’intérêt national de confirmer l’existence de cette information puisque cela indiquerait aux personnes susceptibles de poser une menace à la sécurité qu’elles sont inscrites dans le Programme et qu’elles sont surveillées.
[38] La jurisprudence a établi que le fait de communiquer des renseignements confirmant l’existence d’enquêtes liées aux intérêts énoncés à l’article 21 causerait un préjudice, et que ces renseignements sont visés par les exceptions établies au paragraphe 15(1) de la LAI et au paragraphe 21 de la Loi : voir par exemple VB c Canada (Procureur général), 2018 CF 394 [VB]; Westerhaug c Service canadien du renseignement de sécurité, 2009 CF 321 [Westerhaug]; Russell c Canada (Procureur général), 2019 CF 1137 [Russell]; Chin (toutes ces décisions ser rapportent au SCRS, mais le même principe s’applique en l’espèce).
[39] Je conclus qu’il était raisonnable de la part de la Sécurité publique de conclure que les renseignements demandés, s’ils existent, seraient visés par une exception à la communication prévue à l’article 21 de la Loi.
[40] Cette conclusion ne veut pas dire que M. Kandasamy est perçu comme une menace à la sécurité. Elle explique plutôt la raison pour laquelle les renseignements hypothétiques demandés ne peuvent pas lui être communiqués.
[41] Je conclus également qu’il était raisonnable pour la Sécurité publique de répondre qu’elle ne pouvait pas confirmer ou infirmer l’existence des renseignements demandés par M. Kandasamy au titre du paragraphe 16(2) de la Loi.
[42] Le paragraphe 16(2) prévoit que le responsable de l’institution fédérale (à qui la demande de renseignements est présentée) n’est pas tenu de faire état de l’existence des renseignements personnels demandés.
[43] En outre, le paragraphe 20(2) de la Loi sur la sûreté des déplacements aériens interdit de communiquer le fait qu’une personne est, a été, n’est pas ou n’a pas été une personne inscrite au Programme de protection des passagers. Bien qu’il y ait quelques exceptions, celles-ci visent généralement à autoriser la communication aux personnes chargées de garantir la sûreté des transports aériens et la sécurité nationale, et aucune ne s’applique en l’espèce.
[44] Par conséquent, il était raisonnable pour la Sécurité publique de refuser de confirmer ou d’infirmer l’existence des renseignements, ce qu’elle était légalement tenue de faire.
[45] Dans l’arrêt Ruby c Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589, 2000 CanLII 17145 (CAF) [Ruby], la Cour d’appel fédérale a conclu que l’adoption par une institution fédérale de la politique générale de ne pas confirmer ou infirmer l’existence de renseignements est conforme au paragraphe 16(2), et elle a expliqué son raisonnement aux paragraphes 65 à 67 :
[65] Le contexte factuel qui existe en l’espèce est le suivant : une demande de renseignements personnels concernant des enquêtes licites a été faite. Étant donné la nature du fichier en question, la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête.
[66] Dans ces circonstances, la nature et le but particuliers de la Loi et du paragraphe 16(2) montrent que l’adoption d’une politique générale selon laquelle on ne confirme jamais l’existence de renseignements dans le fichier en question constitue un exercice raisonnable d’un pouvoir discrétionnaire. Ailleurs dans la Loi, le gouvernement s’est vu conférer des pouvoirs étendus visant à protéger le caractère secret des fichiers ayant trait aux activités destinées à faire respecter les lois lorsque la chose est jugée opportune. En offrant le choix énoncé au paragraphe 16(2), à savoir refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels, le législateur a prévu un mécanisme additionnel, en donnant aux institutions fédérales la possibilité d’assurer la confidentialité des documents non seulement quant à leur contenu, mais aussi quant à leur existence. Étant donné que les espions et les criminels jouent au chat et à la souris avec les organismes d’application de la loi, si l’organisme en cause estimait être tenu de divulguer des renseignements dans certaines circonstances, cela permettrait de faire des conjectures raisonnées au sujet du contenu des fichiers de renseignements en se fondant sur le genre de réponses données. Cette menace est éliminée par l’adoption de la politique générale voulant que l’on refuse toujours de confirmer l’existence de renseignements personnels.
[67] Étant donné le contexte particulier et l’intention du législateur tels qu’ils existent dans ce cas-ci, il semble approprié qu’un pouvoir discrétionnaire ne soit pas exercé sur une base individuelle à l’égard du fichier en question. S’il est vrai qu’en règle générale les décideurs administratifs ne devraient pas limiter leur pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique générale selon laquelle ils répondront toujours de la même façon à certaines demandes, il s’agit ici de l’un des rares cas où l’adoption d’une telle politique générale constitue en soi un exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire.
[Non souligné dans l’original.]
[46] Plus récemment, dans la décision VB, la Cour a examiné la même question dans le contexte d’une décision du SCRS; malgré cette différence, les mêmes principes s’appliquent en l’espèce. La Cour a fait remarquer ce qui suit dans cette affaire :
[41] La LAI reconnaît expressément qu’en répondant à une demande de dossiers ou de documents relevant d’une institution fédérale, le responsable de l’institution fédérale peut refuser d’indiquer l’existence d’un document (LAI, paragraphe 10(2)) Une disposition parallèle est prévue au paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[42] Dans l’examen de la disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Cour d’appel fédérale a conclu que : (1) le paragraphe 16(2) permet à l’institution fédérale d’adopter une politique pour ne pas confirmer ou nier l’existence de renseignements lorsque les renseignements sont d’un type ou nature en particulier; (2) l’adoption d’une telle politique implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire; et (3) le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable (Ruby, aux paragraphes 66 et 67).
[43] La pratique du SCRS de ne pas confirmer ou nier l’existence de documents, lorsque les renseignements demandés concernant les documents d’enquête du SCRS ont été constamment considérés comme raisonnables étant donné que les renseignements ont été demandés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Llewellyn, au paragraphe 37, Cemerlic, aux paragraphes 44 et 45, Westerhaug, au paragraphe 18). La jurisprudence a conclu que le fait de confirmer l’existence de tels renseignements serait contraire à l’intérêt national, puisqu’il informerait des personnes qui représentent de manière potentielle un risque de sécurité si elles sont ciblées par une enquête du SCRS.
[…]
[47] Le recours aux FRP dans la réponse du SCRS n’est pas une confirmation selon laquelle les documents cherchés sont retenus par le SCRS. La réponse du SCRS de ne pas confirmer ou nier l’existence de documents ouvre la porte à deux scénarios également possibles : (1) les documents existent, mais ils ne sont pas communiqués sur le fondement qu’ils sont exemptés de communication en vertu des articles 15 et 16 de la LAI; ou (2) aucun document n’existe. L’absence de certitude que la présente circonstance crée peut naturellement être une source de frustration pour un demandeur, mais cette situation n’est pas unique au demandeur. Comme il a été noté par le juge Russel Zinn dans Westerhaug :
[18] Dans l’arrêt Ruby, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’adoption d’une politique de non-communication était raisonnable compte tenu de la nature du fichier en question, car le simple fait de révéler si l’institution détenait des renseignements sur une personne permettrait à l’appelant de savoir s’il avait fait l’objet d’une enquête ou non. Je suis d’accord. Si l’intérêt national exige de ne pas communiquer des renseignements à des personnes qui font l’objet d’une enquête, cela veut dire que l’intérêt national exige également de ne pas informer ces personnes du fait qu’elles font l’objet d’une enquête. L’une des conséquences malheureuses d’une politique générale de ce genre est que les personnes qui ne sont pas soumises à une enquête et qui n’ont rien à craindre d’une institution gouvernementale ne sauront jamais qu’elles ne sont pas soumises à une enquête. Néanmoins, et, comme l’a souligné le juge Kelen, cette politique s’applique à tous les citoyens du pays, et même les juges de la Cour recevraient la même réponse que celle obtenue par M. Westerhaug et ne seraient pas en droit d’obtenir plus. [Je souligne]
[47] Il est bien établi qu’il est raisonnable pour une institution gouvernementale de refuser de confirmer ou d’infirmer l’existence de renseignements susceptibles de révéler si une personne fait l’objet d’une enquête ou si elle en a fait l’objet par le passé. (Voir par exemple Ruby, aux para 65ff; Braunschweig, aux para 45, 48; Llewellyn c Service canadien du renseignement de sécurité, 2014 CF 432 aux para 35–36; Westerhaug, aux para 17‑18; Martinez, aux paras 30–31; Russell, au para 26; Chin, aux para 21–22).
[48] Comme dans les affaires VB, Westerhaug et de nombreuses autres, M. Kandasamy a reçu la même réponse que celle donnée à toute personne sollicitant ces mêmes renseignements. La réponse que la Sécurité publique a fournie à M. Kandasamy n’a rien d’inhabituel, d’exceptionnel ou de déraisonnable.
[49] En conclusion, je suis consciente qu’il est possible que M. Kandasamy croie sincèrement qu’il existe des documents à son sujet auxquels il devrait pouvoir avoir accès. Cependant, comme je l’ai mentionné, il n’a pas expliqué pourquoi il était de cet avis. De plus, la décision de la Sécurité publique relative à la demande de renseignements personnels de M. Kandasamy ne comporte aucune erreur. Comme je l’ai expliqué à l’audience, le rôle de la Cour est d’établir le caractère raisonnable de la décision, et non pas d’examiner les nombreuses autres allégations relatives aux mauvais traitements et à la cybertorture. De plus, comme je l’ai expliqué à M. Kandasamy à l’audience en réponse à sa requête visant à ce que la Cour ordonne la tenue d’une commission d’enquête sur les mauvais traitements qu’il aurait subis, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et celle-ci ne dispose d’absolument aucune preuve révélant le moindre mauvais traitement infligé par qui que ce soit à M. Kandasamy.
VII. Les dépens
[50] Le défendeur sollicite des dépens symboliques d’une somme globale de 750 $ pour la présente demande et les deux demandes connexes dans les dossiers no T-167-20 et T-953-20 (ou, à titre subsidiaire, 250 $ par demande). Le défendeur reconnaît que le demandeur n’est pas représenté par un avocat, mais fait remarquer qu’il a causé des retards dans la prise de décisions dans les trois demandes et que celles-ci étaient inutiles.
[51] L’article 400 des Règles dispose que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de décider si des dépens doivent être adjugés et d’en déterminer le montant. Les facteurs non exhaustifs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles guident la Cour dans sa décision (Francosteel Canada Inc. c African Cape (L’), 2003 CAF 119). Les facteurs comprennent le résultat de l’instance; l’importance et la complexité des questions en litige; la charge de travail; la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger la durée de l’instance; la question de savoir si une mesure prise en cours d’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile; et toute autre question que la Cour juge pertinente. Le résultat de l’instance a habituellement un poids important parce qu’en règle générale, les dépens doivent suivre le sort du principal (Merck & Co Inc c Novopharm Ltd, 1998 CanLII 8260 au para 24, 152 FTR 74 (CF 1re inst)).
[52] En l’espèce, le défendeur a droit aux dépens symboliques sollicités compte tenu du temps et des efforts déployés pour répondre aux trois demandes, y compris la préparation d’affidavits et du fait qu’il a obtenu gain de cause.
JUGEMENT dans le dossier T-1814-19
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Le demandeur doit payer au défendeur des dépens d’un montant de 250 $ pour la présente demande.
« Catherine M. Kane »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1814-19 |
INTITULÉ :
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NAVARATNAM KANDASAMY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE |
LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 JUILLET 2022
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : |
LA JUGE KANE
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
|
LE 25 JUILLET 2022
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COMPARUTIONS :
Navaratnam Kandasamy |
POUR SON PROPRE COMPTE |
Jacob Blackwell |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aucun |
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |