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Date : 20220725

Dossier : T‐1005‐21

Référence : 2022 CF 1087

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS,

CRAIG SCOTT, LESLIE GREEN, ASSOCIATION DES AVOCATS ARABO‐CANADIENS, VOIX JUIVES INDÉPENDANTES CANADA ET ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCAT(E)S MUSULMAN(E)S

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, CENTRE FOR FREE EXPRESSION, ASSOCIATION CANADIENNE DES PROFESSEURES ET PROFESSEURS D’UNIVERSITÉ ET LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B’NAI BRITH CANADA

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, des particuliers et des organismes ayant déposé des plaintes auprès du Conseil canadien de la magistrature [le CCM] concernant la conduite du juge David Spiro, demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le CCM a conclu que la conduite reprochée au juge ne justifiait pas la constitution d’un comité d’enquête chargé de statuer sur l’opportunité de recommander sa révocation. Le CCM a formellement exprimé des préoccupations et fermé le dossier.

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable pour plusieurs raisons et demandent un jugement déclaratoire selon lequel la décision doit être annulée et renvoyée au CCM pour réexamen. Les demandeurs prétendent en outre que les procédures du CCM sont inéquitables et devraient faire l’objet d’un contrôle. Plus particulièrement, ils ajoutent que le CCM a manqué à son obligation d’équité procédurale envers eux et que, par conséquent, la décision ne peut être maintenue.

[3] Le 25 octobre 2021, le CCM a obtenu l’autorisation d’intervenir afin d’expliquer les dispositions législatives et la procédure d’examen des plaintes et de présenter des observations concernant la portée de l’obligation d’équité procédurale envers les plaignants dans le cadre de cette procédure.

[4] Le 9 mars 2022, le Centre for Free Expression [le CFE] et l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université [l’ACPPU] ont obtenu l’autorisation d’intervenir conjointement pour faire des observations sur les répercussions que la conduite du juge Spiro a eu sur la liberté académique et sur l’allégation selon laquelle le CCM n’a pas examiné cette question.

[5] Le même jour, la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith [B’nai Brith] a obtenu l’autorisation d’intervenir sur la question de savoir comment les affiliations ou les positions d’un juge sur les conflits géopolitiques peuvent ou non affecter son impartialité, dans la mesure où ces questions se posent.

[6] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision du CCM est raisonnable. Le CCM a analysé la jurisprudence à partir de laquelle a été établi le critère de recommandation de la révocation d’un juge, et l’a appliqué aux faits dont il était saisi. Le CCM ne s’est pas mépris sur les répercussions de la conduite du juge Spiro sur la liberté académique et n’a pas ignoré les plaintes relatives à la crainte ou à la perception de partialité. Le CCM a reconnu que le juge Spiro avait commis une erreur grave; toutefois, considérant tous les facteurs pertinents, y compris le compte rendu factuel de la conduite en cause, le fait que le juge Spiro ait admis sa conduite, l’expression rapide de remords de sa part et les lettres d’appui témoignant de sa bonne réputation et de son intégrité tout au long de sa carrière, le CCM a raisonnablement conclu que la crainte future de partialité n’était pas fondée.

[7] En outre, je conclus que l’obligation d’équité procédurale incombant au CCM envers les plaignants en l’espèce est minimale et que le CCM n’a pas manqué à cette obligation.

I. Contexte

[8] Les demandeurs ont déposé des plaintes auprès du Conseil canadien de la magistrature à l’égard du juge David Spiro, de la Cour canadienne de l’impôt. Dans les plaintes, il était allégué que le juge Spiro s’était immiscé dans un processus de nomination à la Faculté de droit de l’Université de Toronto [l’Université]. Conformément aux Procédures du Conseil canadien de la magistrature pour l’examen de plaintes ou d’allégations au sujet de juges de nomination fédérale [les Procédures d’examen] et au Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2015‐203 [le Règlement administratif], le vice‐président du comité sur la conduite des juges a renvoyé les plaintes à un comité d’examen de la conduite judiciaire [le Comité d’examen]. Le Comité d’examen s’est penché sur la question de savoir si la conduite du juge Spiro pouvait s’avérer suffisamment grave pour justifier sa révocation et a estimé que ce n’était pas le cas. Le Comité d’examen s’est dit d’avis qu’aucune autre mesure corrective n’était nécessaire et a renvoyé l’affaire au vice‐président. Le vice‐président a formellement exprimé des préoccupations au juge Spiro, conformément à l’article 8.3 des Procédures d’examen; les plaintes ont ensuite été classées.

[9] Le 20 mai 2021, la directrice exécutive du CCM a informé chaque plaignant par écrit du résultat de l’examen de sa plainte par le CCM.

[10] Les faits à l’origine des plaintes déposées auprès du CCM se rapportent à des communications entre le juge Spiro et une cadre de l’Université. concernant la nomination éventuelle de Mme Valentina Azarova, docteure en droit, au poste de directrice du Programme international des droits de la personne [le Programme] de la Faculté de droit. Le contexte décrit ci‐dessous est tiré des informations fournies au CCM et consignées au dossier.

[11] La Faculté de droit de l’Université a constitué un comité de recherche chargé de superviser le processus de recrutement du nouveau directeur du Programme. En août 2020, Mme Azarova était la candidate pressentie par le comité de recherche. Mme Azarova est professeure de droit international de la personne, et résidait à l’époque en Allemagne. Des échanges étaient en cours entre Mme Azarova et les membres du comité de recrutement concernant les détails de sa nomination, notamment les questions de visa et la possibilité pour elle de retourner en Europe pendant l’été.

[12] En dépit du caractère confidentiel que devait avoir la campagne de recrutement, la nomination éventuelle de Mme Azarova a transpiré à l’extérieur de l’université, pour être connue notamment de certains membres du Centre consultatif des relations juives et israéliennes [le CIJA]. Le CIJA est un groupe de défense des droits dont la mission est de protéger la qualité de la vie des personnes juives au Canada.

[13] Par courriel, en date du 2 septembre 2020, le professeur Gérald Steinberg, établi à Jérusalem, a fait part à ses contacts au CIJA de son opinion selon laquelle Mme Azarova était une « importante militante anti‐Israël » et ses travaux étaient « presque entièrement axés sur la promotion du discours palestinien, le thème de l’“apartheid” israélien, les crimes de guerre, etc. ». Le professeur Steinberg a indiqué que la nomination serait « sur le plan universitaire, indigne » et suggéré que les représentants du CIJA s’enquièrent « discrètement » de l’état de la nomination de Mme Azarova. Le professeur Steinberg a fait parvenir au CIJA une note détaillée dans laquelle il exposait ses préoccupations à l’égard de la nomination possible de Mme Azarova et ses objections à celle‐ci.

[14] Judy Zelikovitz, vice‐présidente aux affaires universitaires et communautaires au CIJA, a reçu le courriel et la note du professeur Steinberg et a demandé à d’autres membres du CIJA s’il serait possible d’informer le juge Spiro, ancien directeur du CIJA et diplômé de la Faculté de droit de l’Université, de ces considérations.

[15] Le juge Spiro avait démissionné de son poste au CIJA lorsqu’il avait été nommé à la Cour canadienne de l’impôt. Il avait participé activement à des campagnes de financement de la Faculté de droit de l’Université, et lui et des membres de sa famille ont fait des dons.

[16] Un autre membre du CIJA, ayant reçu le courriel du professeur Steinberg, a répondu à Mme Zelikovitz comme suit et transmis l’échange de courriels au juge Spiro :

Je pense qu’on peut lui demander. Il est un ami du doyen, Ed Iacobucci. Je le mets en copie de ce courriel, puisque je ne crois pas qu’il compromette sa fonction judiciaire en faisant appel à Ed. David nous fera savoir si j’ai tort.

[17] Le 3 septembre 2020, le juge Spiro s’est entretenu par téléphone avec Mme Zelikovitz. Le juge Spiro rapporte que Mme Zelikovitz lui a fait part de ses préoccupations concernant la possible nomination de Mme Azarova. Le juge Spiro a accepté de recevoir la note du professeur Steinberg.

[18] Le 4 septembre 2020, le juge Spiro s’est entretenu par téléphone avec Chantelle Courtney, vice‐rectrice adjointe aux relations avec les divisions à la division de la valorisation universitaire de l’Université. Mme Courtney avait par le passé occupé un poste à la Faculté de droit. Le juge Spiro et Mme Courtney s’étaient liés d’amitié à l’occasion de leur collaboration lors de campagnes de financement. Les échanges de courriels au dossier montrent que c’est Mme Courtney qui a pris contact avec le juge Spiro, le 30 août 2020, en lui proposant une discussion pour se donner des nouvelles, ce qu’ils ont convenu de faire par téléphone la semaine suivante, soit le 4 septembre 2020.

[19] Le juge Spiro rapporte qu’il a alors demandé à Mme Courtney de se renseigner sur l’état du processus de nomination. Mme Courtney s’est renseignée, a appris que la nomination de Mme Azarova n’avait pas été officialisée et en a avisé le juge Spiro par courriel le même jour. Elle lui a indiqué qu’elle avait transmis au doyen les points dont ils avaient discuté.

[20] Dans ses observations au CCM, le juge Spiro a décrit son appel téléphonique avec Mme Courtney ainsi :

[Traduction]
J’ai mentionné que j’avais appris (de Mme Judy Zelikovitz, membre du personnel du [CIJA]) qu’une candidate au poste de directrice du [Programme] à la Faculté de droit avait écrit des articles et avait souscrit à un ensemble particulier de positions sur l’épineuse question politique du conflit israélo‐palestinien, que certains pourraient considérer comme partiaux et provocateurs.

Je n’ai pas dit à Mme Courtney ni à personne d’autre à l’Université que la candidate, Mme Valentina Azarova, ne devrait pas être nommée. Je n’ai exprimé aucune opinion, politique ou autre, au sujet du bien‐fondé de sa mission professorale ou des positions politiques qu’elle a défendues. J’ai toutefois exprimé l’espoir que l’on ferait preuve d’une diligence raisonnable suffisante avant de confirmer une telle nomination, pour permettre à l’Université de Toronto et à la Faculté de droit d’agir en conséquence advenant des critiques suscitées par la nomination de la candidate. J’ai soulevé la question auprès de Mme Courtney, à la fin d’une conversation téléphonique personnelle qu’elle avait organisée avec moi, parce que le sort de l’Université et de sa Faculté de droit me tient très à cœur.

Bien que Mme Zelikovitz ait suggéré que je discute de cette question avec le doyen Iacobucci, je n’ai pas cru approprié de le faire et m’en suis abstenu. Je n’ai pas non plus demandé à Mme Courtney de communiquer avec le doyen.

[21] Le 4 septembre 2020, le juge Spiro s’est aussi entretenu avec M. Weinrib, professeur à la retraite de l’Université. Le juge Spiro a informé le professeur Weinrib que, selon Mme Courtney, la nomination de Mme Azarova n’avait pas été confirmée.

[22] Le 4 septembre et les jours suivants, le doyen de la Faculté de droit a été informé de l’état d’avancement du processus de recherche et a exprimé des réserves concernant la nomination éventuelle de Mme Azarova pour plusieurs raisons. Le 9 septembre, il a indiqué au comité de recherche que Mme Azarova ne serait pas nommée, invoquant la nécessité que le candidat retenu soit disponible rapidement et les obstacles rencontrés en matière d’immigration. Le doyen a expliqué que cette décision n’avait été influencée ni par des considérations politiques ni par des pressions extérieures.

[23] Les membres du comité de recherche ont réagi de façon négative; par la suite, les membres du comité consultatif du Programme ont démissionné.

[24] En décembre 2020, l’Université a chargé monsieur Thomas Cromwell de procéder à un examen indépendant et impartial du processus de sélection pour le poste de directeur du Programme, de déterminer si les politiques de l’Université avaient été respectées et de fournir des recommandations pour l’avenir. Le 15 mars 2021, il a publié un rapport, intitulé « Independent Review of the Search Process for the Directorship of the International Human Rights Program at the University of Toronto, Faculty of Law » [le rapport Cromwell].

II. Les plaintes

[25] Malgré le caractère confidentiel que devait revêtir le processus de nomination du directeur [du Programme] à l’Université, la candidature de Mme Azarova et, ultérieurement, son rejet ont transpiré, notamment dans le milieu universitaire. Par la suite, les médias ont rapporté des allégations d’ingérence judiciaire dans le processus de recherche mené pour sélectionner la personne qui occuperait le poste de directeur du Programme.

[26] Entre la mi‐septembre et la mi‐octobre 2020, des plaintes ont été déposées auprès du CCM par plusieurs groupes et particuliers, notamment les demandeurs :

  • Le professeur Leslie Green, de la Faculté de droit de l’Université Queen’s, a informé le CCM par courriel, le 16 septembre 2020, qu’il craignait qu’un juge de la Cour de l’impôt (non nommé à l’époque) se soit immiscé dans un processus de nomination universitaire confidentiel. Le lendemain, il a de nouveau écrit au CCM pour déposer une plainte officielle, soulignant que si les allégations d’ingérence étaient fondées, une telle ingérence compromettrait l’intégrité et l’impartialité de la Cour de l’impôt et donnerait à toute partie ou tout avocat palestinien, arabe ou musulman comparaissant devant celle‐ci des raisons de craindre une partialité.

  • Le professeur Craig Scott de la Osgoode Hall Law School, Université York) a réitéré et secondé la plainte du professeur Green.

  • Le Conseil national des musulmans canadiens [le CNMC] a déposé une plainte et demandé une enquête sur la conduite alléguée. Le CNMC a admis que les allégations n’avaient pas été prouvées et [traduction] « n’étaient pas encore fondées sur des faits vérifiables de façon indépendante », mais a expliqué en quoi une enquête était nécessaire. Le CNMC a noté que les allégations remettaient en question l’intégrité du pouvoir judiciaire. Le CNMC a indiqué que des universitaires musulmans craignaient que cet incident témoigne d’une tendance plus large à l’ingérence des tribunaux judiciaires dans les décisions de recrutement et à l’atteinte à la liberté académique. Le CNMC s’est également dit préoccupé par la crainte raisonnable de partialité pouvant être éprouvée par les personnes comparaissant devant la Cour canadienne de l’impôt.

  • L’Association des avocats arabo‐canadiens, l’association Voix juives indépendantes et la British Columbia Civil Liberties Association ont déposé une plainte conjointe afin d’apporter des éléments de contexte sur la manière dont le racisme anti‐palestinien réduit les Palestiniens et leurs alliés au silence. La plainte ajoutait que la conduite alléguée du juge Spiro contrevenait à la norme d’intégrité imposée aux juges et minait la confiance du public dans la magistrature. Les plaignants ont réaffirmé leurs craintes concernant l’impartialité du juge Spiro ou la perception que pouvait en avoir le public.

  • La Canadian Association of Muslim Women in Law et l’Association canadienne des avocat(e)s musulman(e)s ont également déposé une plainte conjointe mettant en doute l’impartialité et l’indépendance du juge Spiro.

III. La réponse du CCM aux plaintes

A. L’examen préalable des plaintes

[27] Le CCM a accusé réception de chacune des plaintes par courriel, indiquant aux plaignants que les plaintes seraient examinées conformément à ses Procédures d’examen et que la directrice exécutive par intérim communiquerait avec eux par la suite. Le courriel indiquait par ailleurs que tout plaignant qui le souhaitait pouvait apporter un complément d’information à sa plainte et l’envoyer par courriel à l’adresse électronique indiquée. Il comportait également un lien vers une page du site Web du CCM fournissant plus de renseignements sur le processus de plainte.

[28] Le 30 septembre 2020, conformément aux Procédures d’examen du CCM, après un examen préalable des plaintes, la directrice exécutive du CCM par intérim [la directrice exécutive] a écrit au juge Spiro et au juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt, Eugène Rossiter, afin de les inviter à répondre aux plaintes.

[29] Dans sa réponse, datée du 23 octobre 2020, le juge en chef Rossiter a attesté du bon caractère du juge Spiro et de sa contribution à la Cour de l’impôt. Le juge en chef Rossiter s’est dit d’avis qu’il s’agissait d’un événement isolé et a affirmé avoir confiance en la capacité du juge Spiro de juger impartialement et sans préjudice. Le juge en chef a affirmé que la Cour de l’impôt avait pris l’initiative de demander au juge Spiro de se récuser dans toute affaire dans laquelle une partie ou un avocat semblait être musulman ou de confession islamique pour [traduction] « permettre de lever tout doute lié à une possible perception de partialité du juge Spiro ».

[30] Le 26 octobre 2020, le juge Spiro a répondu. Il a admis avoir commis une erreur en communiquant avec l’Université concernant le processus de nomination et a exprimé ses remords à l’égard de ses actions et de leurs répercussions sur la confiance du public dans la magistrature. Il a expliqué qu’il n’avait pas tenté d’exercer des pressions ou d’influencer la décision de recrutement, ni d’exprimer une désapprobation personnelle à l’égard des travaux de Mme Azarova. Il a déclaré que sa seule préoccupation était que l’Université et la Faculté de droit soient préparées à faire face à ce qui allait probablement être une réaction très négative et hautement publicisée. Il a ajouté qu’il ne nourrissait aucun sentiment anti‐palestinien, anti‐arabe ou anti‐musulman et que, tout au long de sa carrière, il avait consacré beaucoup de temps à mieux comprendre le conflit israélo‐palestinien et à jeter des ponts entre les communautés concernées.

[31] Conformément aux Procédures d’examen du CCM, la directrice exécutive a renvoyé les plaintes au vice‐président du comité sur la conduite des juges, juge en chef adjoint de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, Kenneth Nielsen.

B. Motifs du renvoi par le vice‐président du comité sur la conduite des juges

[32] Le vice‐président s’est penché sur les plaintes, ainsi que sur les réponses du juge Spiro et du juge en chef Rossiter. Dans une décision motivée et écrite datée du 5 janvier 2021, le vice‐président a conclu que la conduite pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la constitution d’un comité d’examen de la conduite judiciaire.

[33] Le vice‐président a analysé l’information et les observations reçues jusqu’alors. Prenant note que le juge Spiro affirmait avoir eu l’intention d’avertir la Faculté d’une polémique probable, le vice‐président a déclaré que l’objectif qu’avait le juge Spiro en indiquant à Mme Courtney que la nomination risquait de susciter des réactions négatives restait encore à établir. Le vice‐président a dit estimer que le juge Spiro avait fait preuve d’un manque d’intégrité et manqué à son devoir d’impartialité en recevant des renseignements du CIJA concernant les objections de ce dernier à la sélection de Mme Azarova, en transmettant ces renseignements à une cadre de l’Université, en omettant de préciser que les opinions exprimées n’étaient pas nécessairement les siennes, en demandant à cette cadre de se renseigner sur l’état du processus de sélection et en transmettant les renseignements obtenus à une autre personne. Le vice‐président a déclaré qu’à son avis, [traduction] « [l]a conduite du juge Spiro [avais mis] en péril la confiance du public dans l’intégrité, l’impartialité et l’indépendance de la magistrature » et que cette conduite, prise avec son manque de discernement quant au caractère inapproprié de celle‐ci, soulevait des doutes quant à son aptitude à exercer la fonction de juge.

[34] Le vice‐président a renvoyé les plaintes au Comité d’examen conformément au paragraphe 2(1) du Règlement administratif du CCM, qui prévoit que le président ou le vice‐président peut, s’il décide qu’« à première vue une plainte ou une accusation pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation d’un juge », constituer un comité d’examen.

C. Rapport du Comité d’examen

[35] Le 13 avril 2021, le Comité d’examen a publié un rapport de 14 pages. Le Comité a indiqué que sa mission consistait à déterminer s’il convenait de constituer un comité d’enquête chargé de se pencher sur la conduite du juge Spiro. Conformément au paragraphe 2(4) du Règlement administratif, le Comité d’examen ne peut exercer ce pouvoir que « s’il conclut que l’affaire pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation du juge ».

[36] Le Comité d’examen a pris note des diverses plaintes reçues et des problématiques qui y ont été soulevées. Le Comité d’examen a également décrit le contexte entourant les plaintes, de la manière exposée plus haut.

[37] Le Comité d’examen a noté que les paragraphes 1 et 4 de l’article 2 du Règlement administratif établissaient une distinction entre son rôle et celui du vice‐président, ce qui suggérait qu’il doive faire une enquête plus approfondie.

[38] Le Comité d’examen a précisé qu’il n’avait pas fait de constatation de fait; il avait plutôt soupesé les éléments de preuve au dossier pour déterminer si la conduite atteignait le seuil de « pourrait s’avérer » établi au paragraphe 2(4) du Règlement administratif. Le Comité d’examen a écrit à propos de ce critère : « il s’agit assurément d’un seuil plus élevé que “mince à nulle”, mais moins élevé que “la prépondérance des probabilités” ». Le Comité d’examen ajoutait que le critère « pourrait s’avérer », devait refléter la gravité de la réparation imposée, à savoir la révocation, la « peine » devant être proportionnelle au « crime ».

[39] Le Comité d’examen a relevé que les plaintes comportaient deux volets. Tout d’abord, le Comité d’examen a analysé la question de la perception de partialité, c’est‐à‐dire « pour être plus précis, ce qui serait perçu comme un parti pris contre les intérêts palestiniens, arabes ou musulmans ». Le Comité d’examen a déterminé qu’une personne informée, connaissant la conduite du juge Spiro au cours de sa carrière, y compris en l’espèce, ne pourrait conclure que ce dernier était incapable de statuer de façon impartiale. Le Comité d’examen a estimé que la crainte de partialité exprimée dans les plaintes était fondée sur de la désinformation et des suppositions concernant l’ampleur réelle de l’ingérence du juge Spiro. Le Comité d’examen a relevé que, comme le juge Spiro, qui siégeait auparavant à titre d’administrateur du CIJA, la plupart, sinon la totalité des juges avaient un parcours antérieur comprenant une participation active à des associations communautaires, religieuses ou culturelles semblables, et que ces affiliations ne suffisaient pas en elles‐mêmes à établir une perception de partialité.

[40] Le Comité d’examen a conclu que la crainte de partialité future n’était pas fondée et ne pouvait servir de fondement à la constitution d’un comité d’enquête.

[41] Le Comité d’examen a ensuite examiné l’allégation selon laquelle le juge Spiro avait commis une inconduite grave en aidant activement un groupe de défense des droits et en tentant d’empêcher la nomination d’une personne dont les opinions étaient en contradiction avec celles de ce groupe. Le Comité d’examen a retenu qu’il existait une distinction entre le fait de se dire préoccupé par la publicité que pourrait engendrer une nomination et le fait d’exercer activement des pressions contre la nomination en raison de sa désapprobation personnelle du choix de la candidate.

[42] Le Comité d’examen a conclu qu’il convenait de qualifier la conduite du juge Spiro d’expression d’une crainte que la nomination expose la Faculté de droit à des critiques et à une mauvaise publicité. Le Comité d’examen a noté que le rapport Cromwell confirmait cette qualification. Le rapport Cromwell avait conclu, sur la base de versions des faits détaillées, « que le [juge Spiro] était simplement d’avis que la nomination serait controversée auprès de la communauté juive et causerait du tort à la réputation de l’Université ».

[43] Le Comité d’examen a également cité la conclusion du rapport Cromwell selon laquelle on ne pouvait inférer que la conversation entre le juge Spiro et Mme Courtney avait influencé la décision d’annuler la nomination de Mme Azarova.

[44] Le Comité d’examen a retenu que la crainte de lobbyisme actif ou de pression reposait sur la prémisse erronée selon laquelle le juge Spiro avait agi à l’appui de l’objectif du CIJA d’empêcher la nomination de Mme Azarova, et qu’il l’avait fait en prenant contact avec le doyen. Le Comité d’examen a déterminé que tel n’était pas le cas et qu’on avait plutôt en l’espèce « un diplômé actif et généreux qui donn[ait] admirablement et depuis toujours son appui à sa Faculté de droit et qui crai[gnait] qu’une nomination facultaire éventuelle plonge l’institution au cœur d’une controverse indésirable et l’expose à de la publicité négative ».

[45] Le Comité d’examen a expliqué que le critère de révocation était rigoureux, citant le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Therrien (Re), 2001 CSC 35 au paragraphe 147 [Therrien] et par le Règlement administratif du CCM au paragraphe 2(4). Le Comité d’examen n’a pas pu conclure que la conduite du juge Spiro « pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier » sa révocation. Le Comité d’examen a relevé que le juge Spiro avait admis ses erreurs, ajoutant que « ces erreurs [étaient] graves, mais, au bout du compte, ne justifi[ai]ent pas, à notre avis, l’imposition de la peine ultime pour inconduite judiciaire ». Tenant compte du fait que le juge Spiro avait admis ses erreurs et exprimé des remords, le Comité d’examen s’est dit d’avis qu’il était inutile que le CCM ou que le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt prenne d’autres mesures correctives. Le Comité d’examen a renvoyé l’affaire au vice‐président, conformément au paragraphe 2(5) du Règlement administratif.

[46] Le 22 avril 2021, après que le Comité d’examen a établi son rapport et renvoyé l’affaire au vice‐président pour décision, mais avant que ce rapport n’ait été rendu public, le professeur Scott a communiqué d’autres observations au CCM. Notant que plusieurs mois s’étaient écoulés, le professeur Scott s’est dit préoccupé par le fait que le CCM n’avait pas sollicité d’autres observations de sa part. Les observations du professeur Scott consistaient essentiellement en une critique du rapport Cromwell et exhortaient le Comité d’examen à tirer ses propres conclusions. Le professeur Scott a joint plusieurs articles et lettres qui, eux aussi, commentaient défavorablement le processus et les conclusions du rapport Cromwell.

D. Décision du vice‐président

[47] Le 19 mai 2021, le vice‐président a écrit au juge Spiro pour l’informer que le Comité d’examen avait déterminé que sa conduite n’était pas suffisamment grave pour justifier sa révocation. Le vice‐président a indiqué que sa mission consistait à décider de la [traduction] « suite la plus appropriée à donner aux plaintes ». Le vice‐président a expliqué que, pour parvenir à la décision qu’aucune autre mesure n’était nécessaire, il avait tenu compte des remords sincères exprimés par le juge Spiro et de la prompte admission de son erreur, de l’appui apporté par son juge en chef et du rapport du Comité d’examen. Toutefois, le vice‐président a jugé nécessaire d’exprimer formellement des préoccupations, conformément à l’article 8.3 des Procédures d’examen.

[48] Le vice‐président a déclaré que la conduite du juge Spiro avait mis en péril la confiance que portait le public à l’intégrité, à l’impartialité et à l’indépendance de la magistrature et risquait également de diminuer la confiance en l’administration de la justice. Il a précisé que ses observations se voulaient constructives. Le vice‐président a mentionné les reportages parus dans les médias et les préoccupations exprimées par les plaignants, y compris des professeurs de droit et diverses associations d’avocats, affirmant que ceux‐ci [traduction] « témoigna[ient] de la perception du public et des retombées de [la] conduite [du juge Spiro] ». Le vice‐président a ajouté [traduction] « [qu’e]n tout temps, les juges devraient s’assurer que leur conduite, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des tribunaux, leur mérite le respect du public et [qu’]ils devraient cultiver une image d’intégrité, d’indépendance, d’impartialité et de bon jugement ».

E. Les lettres de la directrice exécutive aux plaignants

[49] Le 20 mai 2021, la directrice exécutive a informé chaque plaignant par écrit des procédures d’examen réalisées, des conclusions du Comité d’examen, ainsi que des principaux faits et raisons motivant la conclusion du Comité d’examen. La directrice exécutive a également expliqué le fondement de la décision du vice‐président d’opter pour une expression formelle des préoccupations, rapportant que celui‐ci était d’avis que « le juge Spiro a[vait] commis une grave erreur en discutant de la nomination du directeur [du Programme] erreur qu’il regrett[ait] et dont il affirm[ait] avoir tiré des leçons », mais que « le juge Spiro [était] très conscient de son devoir envers le public, en tant que juge, non seulement de s’assurer qu’il soit impartial, mais aussi d’être perçu comme tel ».

[50] La directrice exécutive a déclaré que le vice‐président lui avait donné pour instruction de fermer le dossier.

[51] Les lettres adressées à chacun des plaignants étaient identiques, sauf la lettre adressée au professeur Scott, qui comportait un paragraphe additionnel concernant les observations supplémentaires de ce dernier. Cette lettre précisait que [traduction] « [l]es Procédures d’examen et le Règlement administratif ne donnent pas aux plaignants l’occasion de faire des observations à l’intention du Comité d’examen, et [que] les comités d’examen ne sollicitent pas de telles observations. Néanmoins, le juge en chef adjoint Nielsen [le vice‐président] a mentionné qu’il avait tenu compte de vos observations en date du 22 avril 2021 lorsqu’il a pris sa décision concernant la suite à donner à la plainte ».

F. Les communiqués du CCM

[52] Le 11 janvier 2021, le CCM a publié un communiqué de presse intitulé « Le Conseil canadien de la magistrature constitue un comité d’examen dans l’affaire impliquant l’honorable D.E. Spiro » dans lequel il annonçait que le vice‐président avait renvoyé l’affaire à un comité d’examen.

[53] Le 21 mai 2021, le CCM a publié un communiqué de presse intitulé « Le Conseil canadien de la magistrature termine son examen de l’affaire concernant l’honorable D.E. Spiro ». Le communiqué contenait un résumé semblable à celui envoyé aux plaignants.

[54] Le 12 octobre 2021, le CCM a publié un communiqué de presse intitulé « Rapport du Comité d’examen concernant l’honorable D.E. Spiro », comportant un lien vers le rapport.

IV. Les questions à trancher et la norme de contrôle applicable

[55] La présente demande soulève deux questions.

[56] La première est de déterminer si la décision finale du CCM – c’est‐à‐dire la décision de clore le dossier sans constituer un comité d’enquête ni prendre de mesure corrective autre qu’une expression des préoccupations – était raisonnable. Comme décrit ci‐dessous, les demandeurs contestent le caractère raisonnable de la décision pour plusieurs motifs.

[57] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85, 102, 105‐107 [Vavilov]). Avant de pouvoir infirmer la décision, il faut être convaincu « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[58] Dans Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 au paragraphe 33 [Portnov], la Cour d’appel fédérale a confirmé que, comme dans la jurisprudence antérieure à Vavilov, la Cour peut prendre en compte des éléments autres que la décision pour déterminer du caractère raisonnable de celle‐ci :

Dans les contrôles effectués selon la norme de la décision raisonnable, notre Cour a le droit d’examiner les motifs exposés par le décideur, en conjonction avec les documents qui éclairent le raisonnement suivi, les observations présentées au décideur et le dossier dont disposait le décideur. Les motifs peuvent être explicites ou implicites. Voir, de façon générale, les paragraphes 30 à 42 de l’arrêt Mason et les extraits de l’arrêt Vavilov qui y sont cités.

[59] Dans l’arrêt Girouard c Canada (Procureur général), 2020 CAF 129 [Girouard], qui portait sur une décision du CCM, la Cour d’appel a conclu que, bien que la décision dont il était fait appel ait été rendue avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov, elle respectait les principes dégagés dans l’arrêt Vavilov.

[60] Dans l’arrêt Girouard, la Cour d’appel écrivait, au paragraphe 42 :

En bout de ligne, c’est toujours au demandeur qu’il appartient de démontrer qu’une décision n’est pas raisonnable, et la raisonnabilité doit s’apprécier en tenant compte tant du résultat de la décision que du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, aux para 75, 87). Le point de départ d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable demeure la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 75, 82). C’est dire que le rôle d’une cour de révision est d’examiner la raisonnabilité de la décision rendue, et non d’évaluer cette décision à l’aulne de la décision qu’elle aurait elle‐même rendue :

Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‐mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème.

Vavilov, au paragraphe 83.

[61] La deuxième question est de savoir si le CCM a manqué à son obligation d’équité procédurale envers les plaignants à la lumière des circonstances de l’affaire. Les demandeurs soulèvent également la question plus générale du caractère injuste des procédures d’examen des plaintes du CCM, y compris l’absence de possibilité pour les plaignants de présenter des observations additionnelles et en réponse.

[62] Lorsqu’elle est saisie d’une question d’équité procédurale, la Cour doit déterminer si la procédure suivie par le décideur était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker : Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 [Baker]; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [CP]. Lorsqu’un juge estime qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, il n’a pas à faire preuve de déférence envers le décideur.

V. Les observations des demandeurs

[63] Les demandeurs font valoir que la décision n’était pas raisonnable. Les demandeurs soutiennent également que le processus d’examen des plaintes du CCM n’est pas équitable sur le plan procédural et, en particulier, que le CCM a manqué à son obligation d’équité procédurale envers eux, en leur qualité de plaignants.

A. La décision

[64] Les demandeurs considèrent les lettres envoyées par la directrice exécutive aux plaignants le 20 mai 2021 comme constituant la décision susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Les demandeurs font valoir que ces lettres étaient le seul document en leur possession sur lequel ils pouvaient fonder leur demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs ajoutent que ce n’est qu’après le dépôt de leur demande, à la réception du dossier certifié du tribunal [le DCT] du CCM, qu’ils ont reçu d’autres documents.

B. Le caractère raisonnable de la décision

[65] Les demandeurs soutiennent que la décision n’est pas raisonnable; les lettres communiquant la décision n’expliquent pas le fondement de la décision et ne comportent aucun lien vers les motifs du Comité d’examen ou ceux sur lesquels s’est basé le vice‐président pour clore le dossier. D’une manière générale, les demandeurs avancent que la décision ne répond pas à la norme de la décision raisonnable établie dans Vavilov, en ce qu’elle n’est pas transparente, justifiée et intelligible.

[66] Les demandeurs allèguent que le CCM a commis une erreur à deux égards : le Comité d’examen a commis une erreur en ne concluant pas que les plaintes devraient être renvoyées à un comité d’enquête, et le vice‐président a commis une erreur en concluant qu’aucune autre mesure n’était justifiée. Les demandeurs font valoir que, le CCM ayant convenu que la conduite du juge Spiro constituait une grave erreur, la conclusion selon laquelle aucune autre mesure corrective n’était nécessaire est déraisonnable.

[67] Les demandeurs expliquent que le fondement des plaintes est l’ingérence indue du juge Spiro, après sa nomination au tribunal, dans un processus de recrutement universitaire pour le compte d’un groupe de pression. Les demandeurs précisent que ni les croyances personnelles du juge Spiro, ni ses activités de défense d’intérêts antérieures à sa nomination ne sont un aspect central de leurs allégations.

[68] Les demandeurs soutiennent que le CCM n’a pas compris que les plaintes soulevaient deux questions distinctes : celle de savoir si l’ingérence indue du juge Spiro dans une nomination universitaire en faveur d’une organisation de défense des intérêts d’un groupe à l’aide de ses contacts antérieurs constituait une faute, et celle de savoir si cette conduite faisait naître une crainte raisonnable de partialité.

(1) Absence d’analyse rationnelle

[69] Les demandeurs soutiennent que la décision n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle pour plusieurs raisons.

[70] Premièrement, les demandeurs avancent que le rapport du Comité d’examen ne reposait pas sur une analyse rationnelle, puisqu’il ne précisait pas le critère ou la norme juridique applicable pour déterminer si la conduite du juge Spiro était suffisamment grave pour justifier sa révocation.

[71] Deuxièmement, les demandeurs allèguent que le Comité d’examen a fait une distinction incompréhensible et inexpliquée à propos de la conduite du juge Spiro entre l’action d’exprimer des craintes quant aux retombées négatives de la nomination de Mme Azarova et celle de mener activement une campagne contre cette nomination.

[72] Les demandeurs évoquent plusieurs événements qui, selon eux, démontrent que l’intervention du juge Spiro ne se limitait pas à exprimer ses craintes et que sa conduite équivalait à un plaidoyer au nom du CIJA. Ils mentionnent entre autres :

  • le courriel du professeur Steinberg au CIJA, auquel ce dernier a joint une note exposant ses réserves à l’égard des travaux de Mme Azarova et par lequel il a demandé au CIJA de se renseigner sur l’avancement du processus de nomination, courriel qui a amené le CIJA à communiquer avec le juge Spiro;

· le courriel du juge Spiro à Mme Courtney et leur conversation téléphonique, lors de laquelle il a soulevé la question de la nomination de Mme Azarova;

· le fait que le juge Spiro ait admis qu’il ne serait pas approprié pour lui de contacter le doyen;

· la crainte que, même si le juge Spiro n’a pas demandé à Mme Courtney de communiquer avec le doyen, il savait qu’elle le ferait, l’échange de courriels révélant que Mme Courtney s’était engagée à informer le juge Spiro de l’état du processus de nomination et que le juge Spiro lui avait suggéré de le contacter si elle avait besoin de plus de renseignements;

· la crainte que le juge Spiro ait transmis au professeur Weinrib (professeur de l’Université à la retraite) la note rédigée par le professeur Steinberg, qui décrivait Mme Azarova comme [traduction] « l’une des plus infâmes partisanes universitaires anti‐israéliennes » et une « militante pure et dure ».

[73] Troisièmement, les demandeurs soutiennent que la décision n’a pas répondu à l’allégation qui était au cœur des plaintes, selon laquelle le juge Spiro avait acquiescé à la demande d’un groupe de pression, le CIJA, prouvant ainsi qu’il avait continué de défendre ce dernier après sa nomination au tribunal.

[74] Quatrièmement, les demandeurs affirment que la décision ne tenait pas compte des questions de la perception de partialité et de son effet sur la confiance en l’administration de la justice. Les demandeurs ajoutent que le CCM ne s’est pas spécifiquement penché sur les allégations de préjugés anti‐palestiniens figurant dans les plaintes et a amalgamé le racisme anti‐palestinien, le racisme anti‐musulman et le racisme anti‐arabe d’une manière qui renforce la marginalisation des Canadiens d’origine palestinienne. Les demandeurs relèvent que, bien que le juge en chef de la Cour de l’impôt ait reconnu l’existence d’une crainte de partialité, le Comité d’examen n’en a pas tenu compte.

[75] Cinquièmement, les demandeurs soutiennent que la décision n’explique pas pourquoi, alors que d’autres mesures correctives étaient possibles, le vice‐président a jugé que la clôture des plaintes était la meilleure résolution possible. Ils reprochent également au vice‐président de ne pas avoir expliqué en quoi les remords exprimés par le juge Spiro atténuaient la gravité de sa conduite.

(2) Absence de justification au regard des faits et du droit

[76] Les demandeurs soutiennent également que la décision est déraisonnable parce qu’elle n’est pas justifiée à la lumière des faits et du droit.

[77] Premièrement, les demandeurs font valoir que les faits n’étayent pas la conclusion selon laquelle aucune « personne sensée » n’aurait conclu qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité. Les demandeurs affirment que la preuve avait été amplement faite d’une crainte raisonnable de partialité, soulignant à ce titre le rôle qu’occupait auparavant le juge Spiro au CIJA, les opinions déjà exprimées par celui‐ci concernant la « propagande anti‐israélienne » et son ingérence dans ce processus de nomination, lesquels démontraient, selon les demandeurs, qu’il avait continué de défendre les intérêts du CIJA après sa nomination à la Cour. Les demandeurs répètent que le fait que le juge en chef de la Cour de l’impôt ait pris des mesures visant à retirer le juge Spiro de certains dossiers – signe que le juge en chef avait des réserves liées à une crainte raisonnable de partialité – aurait dû faire comprendre au CCM que la conduite du juge Spiro faisait naître des doutes quant à son intégrité, à son impartialité et à son indépendance. Pourtant, le CCM a estimé, de manière injustifiée, qu’aucune personne raisonnablement informée ne conclurait à l’existence d’une partialité ou d’une crainte de partialité.

[78] Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la décision n’est pas justifiée parce que le Comité d’examen a ignoré les raisons qui avaient motivé le vice‐président à renvoyer la plainte. Les demandeurs soulignent qu’alors que le vice‐président a recensé cinq actes constituant un manque d’intégrité de la part du juge Spiro, lesquels mettent tous en péril la confiance en l’indépendance de la magistrature, le Comité d’examen a tiré une conclusion différente des mêmes faits. Selon les demandeurs, les renseignements supplémentaires dont disposait le Comité d’examen ne permettaient pas d’expliquer la conduite du juge Spiro d’une manière qui justifierait le fait que le Comité d’examen soit parvenu à une conclusion différente. Les demandeurs font valoir que le vice‐président et le Comité d’examen étaient saisis des mêmes faits, de sorte qu’ils auraient dû parvenir à la même conclusion.

[79] Plus généralement, les demandeurs allèguent que la décision était incompatible avec le mandat du CCM et les principes d’impartialité et d’indépendance judiciaires. Ils prétendent que le CCM s’est contenté de conclure que le juge Spiro était conscient de son devoir envers le public, sans tenir compte de la très réelle perception de partialité que suscitaient ses actions. Ils affirment que la constitution d’un comité d’enquête est nécessaire pour s’assurer de la confiance du public en l’intégrité de la magistrature et en l’administration de la justice. Les demandeurs avancent en outre que la conduite du juge Spiro doit être examinée en fonction du contexte plus large de la discrimination historique et continue à l’encontre des Arabes, des musulmans et des Palestiniens en particulier, et en accordant une attention particulière à la perception qu’a le public de l’ensemble de la magistrature et à la position privilégiée des juges dans la société.

C. Équité des processus du CCM et de la procédure suivie

[80] D’une manière générale, les demandeurs affirment que les politiques et les procédures du CCM sont injustes envers les plaignants. Les demandeurs estiment que la Cour devrait déclarer que les procédures du CCM sont injustes et qu’elles devraient accorder un rôle plus important aux plaignants.

[81] Les demandeurs allèguent également que le CCM a rendu sa décision en violation de son obligation d’équité procédurale envers les plaignants. Les demandeurs prétendent que les plaignants ont été tenus dans l’ignorance quant à l’avancement de l’examen de leurs plaintes. Ils soutiennent que le processus a favorisé le juge Spiro, qui a eu plusieurs occasions de répondre aux allégations, et injustement défavorisé les plaignants, qui n’ont pas eu cette chance.

[82] Les demandeurs font remarquer que l’équité procédurale exige généralement de connaître les arguments [traduction] « avancés contre eux ». Ils soutiennent que cette obligation implique qu’un plaignant doit pouvoir prendre connaissance de la réponse à sa plainte, c’est‐à‐dire que les informations que le décideur a l’intention d’examiner et sur lesquelles il se fonde devraient lui être communiquées, et qu’il devrait avoir la possibilité de présenter des observations en réponse.

[83] Les demandeurs font valoir qu’il aurait fallu communiquer plus d’informations aux plaignants, notamment : la lettre du juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt datée du 23 octobre 2020; les motifs pour lesquels le vice‐président a renvoyé la plainte à un comité d’examen; la constitution du Comité d’examen; les observations présentées par le juge Spiro au Comité d’examen; la production du rapport Cromwell au dossier du Comité d’examen par l’avocat du juge Spiro; et le rapport du Comité d’examen.

[84] Les demandeurs admettent que le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans chaque cas d’espèce varie en fonction du contexte et peut être déterminé en appliquant les facteurs énoncés dans Baker. Les demandeurs soulignent l’importance de la décision du CCM pour les plaignants, pour les communautés qu’ils représentent et pour le public en général, qui a intérêt à protéger le droit à une audience équitable devant un tribunal impartial. Les demandeurs évoquent également l’alinéa 6a) des Procédures d’examen et soutiennent qu’ils avaient l’attente légitime de prendre part au processus, notamment en fournissant des renseignements complémentaires ou en recevant des communications du CCM avant qu’une décision finale soit rendue.

VI. Observations du défendeur

[85] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable, qu’elle présente une analyse rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des faits et du droit.

[86] En premier lieu, le défendeur conteste le fait que les demandeurs considèrent les lettres envoyées par la directrice exécutive aux plaignants comme constituant la décision et les motifs. Le défendeur affirme que la directrice exécutive n’est pas le décideur; son rôle consiste à informer les plaignants du résultat de l’examen de la plainte et à en fournir un résumé.

[87] Le défendeur fait valoir que les arguments des demandeurs ont largement passé outre aux motifs énoncés dans le rapport du Comité d’examen et aux motifs énoncés dans la lettre du vice‐président au juge Spiro, qui doivent tous être pris en considération pour évaluer le caractère raisonnable de la décision, ainsi que le dossier dans son ensemble.

[88] Le défendeur soutient qu’après l’examen initial fait par le vice‐président pour déterminer si la conduite ayant fait l’objet des plaintes pourrait « à première vue » s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation, le Comité d’examen est tenu de mener une enquête plus approfondie et de se prononcer sur le dossier dont il est saisi, lequel est plus étoffé que le dossier dont disposait le vice‐président à l’étape de l’examen initial. Le rapport du Comité d’examen expose les motifs pour lesquels l’affaire a été renvoyée au vice‐président pour décision. Le vice‐président a ensuite expliqué les motifs pour lesquels il avait formellement exprimé des préoccupations et décidé qu’aucune autre mesure ne serait prise.

A. Clarification des faits

[89] Le défendeur conteste que le CCM ait fondé ses conclusions sur une mauvaise compréhension des faits, y compris en ce qui concerne les préoccupations relatives à la liberté académique. Le défendeur estime plutôt que les demandeurs ont peut‐être présenté de façon erronée certains faits, y compris au sujet du rapport Cromwell.

[90] Le défendeur explique que l’avocat du juge Spiro a remis le rapport Cromwell au Comité d’examen à un stade avancé de son examen, le 30 mars 2021. Le Comité d’examen n’a tenu compte du rapport Cromwell qu’en constatant qu’il confirmait les faits déjà établis au dossier.

[91] Le défendeur fait observer que le rapport Cromwell rapporte que le souvenir de Mme Courtney quant à sa conversation avec le juge Spiro correspond à la description faite par le juge Spiro de cette conversation dans sa correspondance au CCM, à savoir qu’il craignait que la nomination de Mme Azarova porte atteinte à la réputation de l’Université.

[92] Le défendeur soutient également que, contrairement à ce que les demandeurs ont affirmé, à savoir que le juge Spiro a fait plus qu’exprimer des préoccupations et qu’il savait notamment que Mme Courtney transmettrait l’échange de courriels au doyen, aucune preuve n’a été apportée au dossier selon laquelle le juge Spiro aurait transmis à Mme Courtney le courriel du professeur Steinberg.

B. La raisonnabilité de la décision du Comité d’examen

[93] Le défendeur soutient que le Comité d’examen a raisonnablement déterminé qu’il ne pouvait conclure que la conduite du juge Spiro « pourrait s’avérer suffisamment grave » pour entraîner sa révocation et que la constitution d’un comité d’enquête n’était pas justifiée. Le défendeur souligne que le Comité d’examen a décrit le seuil et le critère juridique adéquat, qui est un critère prospectif, comme établi dans l’arrêt Therrien au paragraphe 147, et l’a appliqué raisonnablement.

[94] Selon le défendeur, le CCM était conscient de la question de la liberté académique et des répercussions de la conduite sur celle‐ci. Le défendeur convient qu’une conduite entravant la liberté académique pourrait répondre au critère établi dans l’arrêt Therrien dans d’autres circonstances, mais affirme que la conduite du juge Spiro n’a pas satisfait à ce critère.

[95] Le défendeur soulève que c’est de manière prospective, en se plaçant du point de vue du public informé des faits, qu’est évaluée l’opportunité de recommander la révocation d’un juge (la première étape de ce processus étant la constitution d’un comité d’enquête). La perception de partialité judiciaire est également évaluée du point de vue d’une personne raisonnable, impartiale et bien informée (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 aux para 20‐24 [Commission scolaire francophone du Yukon]). Le défendeur soutient que les motifs et la décision du Comité d’examen reflètent cette approche; le Comité d’examen a apprécié la possibilité de partialité future ou la perception de partialité future sur la base des faits. Par conséquent, le Comité d’examen a pris en compte les motivations derrière la conduite du juge Spiro.

[96] Soulignant les enseignements de la CSC dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, au paragraphe 61, le défendeur affirme également que le Comité d’examen a raisonnablement rejeté les allégations selon lesquelles le fait que le juge Spiro s’était, par le passé, engagé au sein de la communauté juive indiquait une partialité future.

[97] Le défendeur soutient que, contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, le Comité d’examen a établi une distinction entre faire activement campagne et exprimer des préoccupations, en particulier dans le contexte de l’évaluation de la possibilité de partialité future. Le défendeur allègue que la loyauté envers l’Université ne crée pas de crainte de partialité future; l’intention et les motivations du juge sont pertinentes et ont été prises en compte par le Comité d’examen.

[98] Le défendeur prétend que le CCM a raisonnablement conclu que le juge Spiro n’avait pas activement fait campagne, pour le compte du CIJA, contre la nomination de Mme Azarova. Le défendeur relève que rien ne contredit l’affirmation du juge Spiro selon laquelle il n’a pas exprimé d’opinion au sujet des travaux de Mme Azarova, ni fait aucune autredémarche que sa conversation téléphonique avec Mme Courtney.

[99] Le défendeur soutient que, compte tenu du dossier et du droit, le Comité d’examen pouvait tenir compte des antécédents professionnels, de la réputation et de la motivation du juge Spiro, ainsi que des remords que ce dernier avait exprimés, pour déterminer que sa conduite n’avait pas fait naître de crainte raisonnable de partialité future.

[100] Le défendeur affirme en outre que les conclusions du Comité d’examen sur la gravité de la conduite du juge Spiro sont raisonnablement justifiées par les faits au dossier, notamment les circonstances entourant ses communications avec Mme Courtney, les motivations qui l’ont poussé à faire part de préoccupations et l’admission rapide de son erreur. Pour le défendeur, le Comité d’examen a raisonnablement déterminé que la relation entre le juge Spiro et la Faculté de droit concordait bien avec l’explication selon laquelle il se soucie de bonne foi de la réputation de celle‐ci, et qu’il n’était pas intervenu en raison d’un désaccord personnel avec les travaux de Mme Azarova. Le Comité d’examen ayant déterminé que le juge Spiro n’avait pas agi dans l’intention d’empêcher la nomination de Mme Azarova, c’est à l’issue d’une analyse rationnelle qu’il a conclu que la conduite du juge Spiro ne faisait pas naître de crainte de partialité future qui justifierait la constitution d’un Comité d’enquête.

[101] Le défendeur rejette l’argument selon lequel le Comité d’examen a ignoré les préoccupations soulevées dans les plaintes quant à des préjugés à l’encontre des Palestiniens ou a fait l’amalgame entre ces préoccupations et d’autres. Le défendeur soutient qu’il est faux de dire que le Comité d’examen n’a pas considéré les allégations distinctes de partialité; celui‐ci a plutôt conclu de façon raisonnable qu’elles n’étaient pas étayées par les faits.

C. La raisonnabilité de la conclusion du vice‐président

[102] Le défendeur considère que la décision du vice‐président d’exprimer formellement des préoccupations constituait une véritable conséquence.

[103] Le défendeur soutient que, considérant la conduite du juge Spiro, l’admission immédiate de son erreur, ses observations supplémentaires, l’appui de son juge en chef et la recommandation du Comité d’examen, la décision du vice‐président d’exprimer des préoccupations était raisonnable, conforme au cadre juridique et justifiée par les faits.

VII. Observations du CCM en tant qu’intervenant

[104] En qualité d’intervenant, le CCM répond à l’argument des demandeurs selon lequel son processus n’est pas équitable sur le plan procédural envers les plaignants d’une manière générale et en l’espèce en particulier. Le CCM affirme que ses procédures et politiques de réception et d’examen des plaintes sont justes et ont été appliquées.

[105] D’une manière générale, le CCM soutient que la position des demandeurs selon laquelle les plaignants devraient se voir accorder le même degré d’équité procédurale que le juge qui fait l’objet de la plainte constituerait un écart important par rapport à la Loi sur les juges, LRC, 1985, c J‐1, au Règlement administratif, aux Procédures d’examen et à la jurisprudence.

[106] Le CCM note que le Parlement a le pouvoir de modifier la procédure d’examen des plaintes concernant les juges, y compris le rôle d’un plaignant, mais qu’à l’heure actuelle, le rôle du plaignant se limite à porter plainte et à être informé du résultat.

[107] Le CCM avance que les arguments des demandeurs sont fondés sur une compréhension erronée de la procédure de plainte et d’examen. Le CCM note qu’il ne s’agit pas d’une procédure contradictoire; ce n’est pas un différend entre le plaignant et le juge en question, mais plutôt un processus d’enquête qui commence à l’étape de l’examen préalable. Dans une affaire disciplinaire, le plaignant agit comme représentant et membre du public, tandis que le CCM a pour rôle de veiller au respect des normes de conduite de la magistrature.

[108] Le CCM allègue que les demandeurs recherchent un niveau d’équité procédurale bien supérieur à ce que prévoient les dispositions applicables; rien dans les Procédures d’examen ni dans le Règlement administratif n’indique que les plaignants ont le droit de dicter les mesures d’enquête à prendre, de consulter tous les documents soumis à l’examen du CCM, d’être interrogés ou de présenter des observations concernant des renseignements contredisant leur position.

[109] Le CCM soutient que le niveau d’équité procédurale lui incombant envers les plaignants est minimal : le seul droit que les dispositions législatives et réglementaires accordent au plaignant est de porter plainte, ce qui déclenche le processus d’enquête. En revanche, le processus d’examen des plaintes a un effet direct et substantiel sur les droits du juge dont la conduite fait l’objet d’une plainte, et une norme plus élevée d’équité procédurale s’applique à l’endroit de celui‐ci.

[110] Le CCM avance en outre que ses Procédures d’examen et son Règlement administratif sont équitables sur le plan procédural. L’ensemble de leurs dispositions établit clairement le processus à suivre à la réception d’une plainte, son examen, le pouvoir discrétionnaire qu’exerce le CCM dans l’examen d’une plainte, les droits du juge visé par la plainte et les renseignements à fournir aux plaignants.

[111] Le CCM affirme qu’il a appliqué la procédure indiquée pour répondre aux plaintes et que le processus a été équitable envers les plaignants. Conformément à la Loi sur les juges, au Règlement administratif et aux Procédures d’examen, le CCM a reçu les plaintes, fait enquête et informé les plaignants de l’issue de son examen. Le CCM a résumé les dispositions pertinentes, notant que certaines communications au plaignant sont obligatoires, alors que d’autres ne le sont pas. Par exemple, l’alinéa 6a) des Procédures d’examen permet au vice‐président de demander des renseignements supplémentaires aux plaignants; la décision de le faire ou non est laissée à sa discrétion.

[112] Les dispositions claires des Procédures d’examen n’imposant pas de divulguer des informations aux plaignants, de les interroger ou de leur offrir la possibilité de formuler des observations additionnelles et exigeant uniquement que la décision finale leur soit transmise, le CCM conteste que les attentes des plaignants d’avoir droit à une plus grande participation soient légitimes.

[113] Le CCM soutient que, au regard de son expertise considérable en matière d’éthique judiciaire, d’indépendance judiciaire et d’interprétation de la Loi sur les juges et du Règlement administratif, il doit bénéficier d’une certaine déférence quant au choix de la procédure d’examen des plaintes.

[114] Le CCM note que les tribunaux ont statué que, même si les Procédures d’examen du CCM n’ont pas force obligatoire, on s’attend à ce qu’elles soient observées, sauf s’il existe une raison valable d’y déroger (Douglas c Canada (Procureur général), 2014 CF 299, au para 10).

[115] Le CCM attire l’attention de notre Cour sur l’affaire Tran v College of Physicians and Surgeons of Alberta, 2017 ABQB 337 [Tran], aux paragraphes 16 à 24, dans laquelle la Cour était saisie d’une demande de contrôle judiciaire portant sur une décision du Collège des médecins et chirurgiens concernant une plainte déposée à l’encontre d’un médecin en vertu de la loi albertaine intitulée Health Profession Act (Loi sur les professions de la santé). Le CCM convient que la loi invoquée n’est pas la même dans les deux affaires; toutefois, il fait valoir que les conclusions de la Cour concernant le rôle d’un plaignant dans un processus disciplinaire sont analogues : il n’y a pas de lis [d’action ou de litige] entre le plaignant et la personne visée par la plainte, et la personne qui dépose une plainte auprès d’un organisme de réglementation a le même intérêt que n’importe quel membre du public à s’assurer que les membres de la profession respectent les normes établies par l’organisme de réglementation.

[116] Le CCM relève également que, dans l’affaire Slansky c Canada (Procureur général), 2013 CAF 199 [Slansky], la Cour d’appel fédérale a retenu, aux paragraphes 164 et 165, que le devoir d’équité envers le plaignant est plutôt faible et que le devoir de divulgation limité incombant au Conseil consiste simplement à informer le plaignant de l’issue du traitement de la plainte.

[117] Le CCM soutient que la jurisprudence invoquée par les demandeurs n’étaye pas la conclusion selon laquelle les plaignants ont droit à un degré plus élevé d’équité procédurale.

VIII. Observations de l’ACPPU et du CFE en tant qu’intervenants

[118] Le CFE et l’ACPPU soutiennent que le CCM n’a pas su mesurer l’importance de la liberté académique, malgré de nombreux éléments de preuve au dossier et, par conséquent, a mal évalué la gravité de la conduite du juge Spiro. Ils prétendent que le rôle du juge Spiro dans la réception de l’information et la communication de celle‐ci à des cadres de l’Université a été sous‐estimé.

[119] Le CFE et l’ACPPU soulignent l’importance que revêt la liberté académique pour le fonctionnement des établissements d’enseignement postsecondaire et leur rôle dans la démocratie canadienne. Ils expliquent que la liberté académique comprend la liberté de ne pas subir d’ingérences internes et externes dans les affaires universitaires, sans laquelle l’autocensure ou la modération de la part des universitaires pourraient compromettre le rôle essentiel des universités en tant qu’incarnation institutionnelle de la liberté d’expression et de pensée. Ils font observer que la raison d’être principale de la liberté académique est la protection de l’intégrité des universités.

[120] Le CFE et l’ACPPU affirment qu’une ingérence extérieure a influencé la décision d’annuler la nomination de Mme Azarova. Les intervenants reconnaissent que le doyen a donné deux autres raisons, mais allèguent que les préoccupations soulevées à propos de Mme Azarova n’en restaient pas moins un facteur ayant été pris en compte dans la décision.

[121] Le CFE et l’ACPPU soutiennent que les actions du juge Spiro constituent un « cas classique » d’ingérence extérieure de la part d’un membre de la magistrature, qui a exercé des pressions pour influer sur une décision de recrutement dans une université, portant ainsi atteinte à la liberté académique de Mme Azarova et d’autres universitaires de l’établissement par un effet dissuasif. Selon le CFE et l’ACPPU, une telle ingérence, si elle reste impunie, présente de graves risques pour la liberté académique.

[122] Le CFE et l’ACPPU font valoir que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, que l’on considère qu’il s’agit de la série de lettres envoyées aux plaignants ou des motifs du Comité d’examen, de même que les motifs de la décision ne répondent aucunement aux allégations relatives à la liberté académique, pourtant clairement énoncées dans les plaintes. Les intervenants ajoutent que le vice‐président a pris note de cette problématique lorsqu’il a renvoyé les plaintes au Comité d’examen, mais que celle‐ci n’a pas été étudiée plus avant.

[123] Le CFE et l’ACPPU avancent que le fait que le CCM n’ait pas traité des répercussions de l’intervention du juge Spiro sur la liberté académique constitue une lacune fondamentale dans son raisonnement. Ils soutiennent que cette lacune met en doute le fait que le CCM ait eu suffisamment conscience de la gravité de la conduite du juge Spiro. Ils font valoir que, pour assumer adéquatement sa fonction de supervision, qui est essentielle au maintien de la confiance du public en la magistrature, le CCM doit faire en sorte que les examens qu’il mène sur la conduite de juges tiennent dûment compte des effets de l’ingérence judiciaire sur la prise de décisions dans les institutions publiques.

[124] Le CFE et l’ACPPU soulignent que tous les éléments au dossier – notamment les plaintes, l’admission du juge Spiro selon laquelle il se souciait de la réputation de l’Université, la référence du vice‐président aux travaux de Mme Azarova dans les motifs de sa décision de renvoyer la plainte au Comité d’examen, la note communiquée par le CIJA critiquant les publications et les opinions de Mme Azarova, le rapport Cromwell et les articles critiquant le rapport Cromwell – viennent étayer la position selon laquelle la conduite du juge Spiro a porté atteinte à la liberté académique.

[125] En réponse à la question de la Cour, à savoir si le CCM est un organisme apte à enquêter sur des questions de liberté académique, comme le CFE et l’ACPPU le réclament afin de protéger l’intégrité de l’Université, ces derniers semblent estimer que, bien que le CCM n’ait pas d’expertise en la matière, il devrait se pencher sur ces questions. Ils soutiennent que les répercussions sur la liberté académique sont un élément contextuel essentiel à l’examen par le CCM des plaintes et à l’évaluation par celui‐ci de la gravité de la conduite.

IX. Observations de B’nai Brith en tant qu’intervenante

[126] B’nai Brith note que les demandeurs soutiennent que les seuls faits pertinents sont l’ingérence du juge Spiro dans le processus de recrutement, les plaintes et la décision du CCM. B’nai Brith souscrit à cette position. Cependant, B’nai Brith soutient que les arguments des demandeurs s’écartent de ces faits pertinents et soulignent la foi du juge Spiro, son engagement au sein de la communauté juive et sa promotion antérieure des intérêts d’Israël pour étayer leurs allégations de partialité contre les Palestiniens, les Arabes et les musulmans.

[127] B’nai Brith admet que les demandeurs ne se sont pas appesantis sur l’engagement antérieur du juge Spiro en faveur de causes juives dans leurs observations orales, comme ils l’ont fait dans leurs observations écrites.

[128] B’nai Brith soulève qu’il est impossible de cerner une partialité, sauf par inférence; or, en l’espèce, on ne peut déduire, par inférence, que le soutien manifesté par le juge Spiro à l’État d’Israël suscite une perception de partialité contre les personnes palestiniennes, arabes ou musulmanes. B’nai Brith prétend qu’une telle déduction repose sur des stéréotypes et va à l’encontre de la jurisprudence selon laquelle la religion et les autres affiliations ne peuvent servir de base à un constat de manque d’impartialité. B’nai Brith affirme qu’une personne peut défendre Israël sans avoir de préjugé contre la Palestine.

[129] B’nai Brith fait valoir que, dans la mesure où les demandeurs continuent d’invoquer les affiliations antérieures du juge Spiro à l’appui de leur position selon laquelle le CCM n’a pas considéré les allégations de partialité, leurs prétentions sont incompatibles avec les principes établis par la jurisprudence quant au sens du terme « impartialité », qui soulignent les mérites de la diversité au sein d’une magistrature dont les membres ont des profils variés et épousent différentes opinions sur les questions religieuses, politiques et sociales. B’nai Brith soutient que l’opinion d’un juge sur un conflit géopolitique – de même que l’expression publique et la défense de cette position avant sa nomination – ne saurait justifier l’allégation selon laquelle ce juge est partial envers les personnes qui ne partagent pas cette opinion (Commission scolaire francophone du Yukon, au para 36).

X. Contexte : Dispositions législatives et jurisprudence

[130] La confiance du public dans la magistrature est essentielle à l’efficacité et au bon fonctionnement du système de justice. Comme l’a indiqué la Cour au paragraphe 26 de l’arrêt Girouard :

Les garanties objectives qu’exige l’indépendance judiciaire, soit l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative ont pour objet de donner confiance au public dans l’administration de la justice et d’assurer la primauté du droit et la séparation des pouvoirs. Comme le rappelait la Cour suprême dans l’arrêt Conférence des juges de paix magistrats, « [...] l’indépendance judiciaire existe au profit, non pas des juges, mais du public » (au para 33). Dans la même veine, cette Cour écrivait dans l’arrêt Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714 au paragraphe 32 [Cosgrove] :

[...] l’indépendance judiciaire ne veut pas dire que la conduite des juges est à l’abri du droit de regard du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. Au contraire, un régime adéquat d’examen de la conduite des juges est essentiel si l’on veut préserver la confiance du public dans la magistrature : arrêt Moreau‐Bérubé c. Nouveau‐Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249, aux para 58, 59.

[131] Dans l’arrêt Therrien, aux paragraphes 110 et 111, la Cour suprême du Canada a souligné que les juges – dont les qualités personnelles, la conduite et l’image qu’ils projettent sont tributaires de celles de l’ensemble du système judiciaire – devront « être et donner l’apparence d’être un exemple d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité ». La Cour a également cité l’ouvrage The Canadian Legal System (1977), dans lequel le professeur G. Gall écrit que la population attend des juges qu’ils « fassent preuve d’une sagesse, d’une rectitude, d’une dignité et d’une sensibilité quasi‐surhumaines [sic] », ce qui entraîne une « certaine perte de liberté » pour la personne qui accepte une nomination à un poste de juge.

[132] Publiés par le CCM, les Principes de déontologie judiciaire (2021) [les Principes de déontologie] offrent des conseils d’ordre déontologique aux juges de nomination fédérale et expliquent ces notions fondamentales. L’obligation d’impartialité signifie que les juges doivent aborder toute affaire avec impartialité et un esprit ouvert : Commission scolaire francophone du Yukon, aux para 22‐24, citant Valente c La Reine, [1985] 2 RCS 673, p 685, 1985 CanLII 25 [Valente], et R. c S. (R. D.), [1997] 3 RCS 484, au para 9, 1997 CanLII 324. Cela suppose que les juges évitent toute conduite susceptible de donner lieu à une perception raisonnable de partialité, y compris, par exemple, en exprimant publiquement leur appui à des positions ou des points de vue donnés, en particulier sur des questions sujettes à controverse publique : Principes de déontologie, aux p 40, 42, 43. L’indépendance signifie que les juges exercent leurs fonctions judiciaires libres de toute intervention ou influence extérieure : Valente, aux p 685, 686; La Reine c Beauregard, [1986] 2 RCS 56, aux p 69, 70, 1986 CanLII 24; Principes de déontologie, aux p 13‐15. Il est enjoint aux juges d’« éviter toute communication – avec quiconque est étranger à l’affaire dont ils sont saisis – qui pourrait soulever des craintes raisonnables en ce qui concerne l’indépendance de la magistrature » et de « fermement repousser toute tentative inappropriée d’influencer leurs décisions » : Principes de déontologie, p 15. Faire preuve d’intégrité suppose pour les juges d’adopter, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la salle d’audience, une conduite irréprochable aux yeux d’une personne raisonnable et bien renseignée. Il s’agit notamment d’éviter tout abus ou utilisation abusive de leur autorité ou de leur statut de juge, notamment au profit d’un intérêt privé : Principes de déontologie, p 18.

[133] Ayant la responsabilité de surveiller la conduite des juges de nomination fédérale, le CCM instruit les juges sur leurs devoirs déontologiques et enquête sur les plaintes pour inconduite. Comme expliqué plus bas, le CCM peut, sur la base des résultats de l’enquête menée sur une plainte, recommander diverses mesures visant à rétablir la confiance du public au besoin, y compris la révocation du juge dans les cas les plus graves.

[134] La jurisprudence et les Principes de déontologie sont le reflet des normes de conduite très élevées qui sont imposées aux juges et qu’ils sont attendus d’observer. Cependant, tout écart à ces principes de déontologie n’appellera pas nécessairement la sanction la plus sévère que le CCM a le pouvoir d’imposer, à savoir la recommandation que le juge soit révoqué.

[135] Les Procédures d’examen et le Règlement administratif du CCM régissent le traitement et l’examen des plaintes. La personne occupant le poste de directeur exécutif du CCM procède à l’examen préalable de chaque plainte pour déterminer si celle‐ci justifie un examen, c’est‐à‐dire si elle vise la conduite d’un juge et si elle n’est pas futile, vexatoire ou manifestement sans fondement (Procédures d’examen, art 4.1 et 5). Le directeur exécutif défère toutes les plaintes qui justifient un examen au président ou au vice‐président du comité sur la conduite des juges, qui procède à un examen additionnel (Procédures d’examen, art 4.3). Le président ou le vice‐président peut demander des informations additionnelles au plaignant, ainsi que des observations au juge et au juge en chef (Procédures d’examen, art 6, 8). Le président ou le vice‐président peut, s’il décide qu’à première vue une plainte pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation du juge, déférer la plainte à un comité d’examen pour une analyse plus approfondie (Règlement administratif, art 2(1); Procédures d’examen, art 8.2d).

[136] Si, à l’issue d’un examen plus approfondi, le comité d’examen décide que la conduite ne justifie pas la constitution d’un comité d’enquête, il en avise le président ou le vice‐président, qui décidera de la manière la plus appropriée de régler l’affaire (Règlement administratif, art 2(5)). Le président ou le vice‐président peut mettre l’affaire en suspens pendant l’application de mesures correctives, comme une formation ou des consultations, ou rejeter l’affaire s’il en vient à la conclusion qu’il n’est pas nécessaire de prendre d’autres mesures (Procédures d’examen, art 8.2).

[137] S’il détermine que la conduite pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation du juge, le comité d’examen peut décider de constituer un comité d’enquête chargé d’enquêter davantage sur les allégations et d’établir un rapport dans lequel il consigne ses conclusions sur l’opportunité de recommander la révocation du juge (Règlement administratif, art 2(4) et 8(1)). À l’issue de l’enquête, le CCM présente au ministre de la Justice un rapport final et peut recommander la révocation du juge (Loi sur les juges, art 65).

[138] Le critère de recommandation de la révocation d’un juge est énoncé au paragraphe 65(2) de la Loi sur les juges et est interprété dans la jurisprudence. La Loi sur les juges est libellée ainsi :

65 (2) Le Conseil peut, dans son rapport, recommander la révocation s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

65 (2) Where, in the opinion of the Council, the judge in respect of whom an inquiry or investigation has been made has become incapacitated or disabled from the due execution of the office of judge by reason of

a) âge ou invalidité;

(a) age or infirmity,

b) manquement à l’honneur et à la dignité;

(b) having been guilty of misconduct,

c) manquement aux devoirs de sa charge;

(c) having failed in the due execution of that office, or

d) situation d’incompatibilité, qu’elle soit imputable au juge ou à toute autre cause.

(d) having been placed, by his or her conduct or otherwise, in a position incompatible with the due execution of that office,

 

the Council, in its report to the Minister under subsection (1), may recommend that the judge be removed from office.

[139] Dans l’arrêt Therrien, la Cour suprême a établi le critère devant guider la décision de recommander ou non la révocation d’un juge, écrivant, au paragraphe 147, « [il faut] se demander si la conduite qui est reprochée [au juge] porte si manifestement et si totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge ».

[140] Les Procédures d’examen et le Règlement administratif prévoient qu’un avis peut être donné au plaignant à certaines étapes du processus d’examen et doit l’être à d’autres. Le paragraphe 12.5 des Procédures d’examen dispose que le directeur exécutif peut informer le plaignant lorsque l’affaire est déférée à un comité d’examen. Le directeur exécutif doit informer le plaignant si le comité d’examen décide qu’un comité d’enquête doit être constitué [Règlement administratif, art 2(6)]. Le directeur exécutif doit informer le plaignant lorsque le président ou le vice‐président rejette une plainte ou met fin à une affaire et doit indiquer le fondement de cette décision (Procédures d’examen, art 12.1). Le CCM n’est pas tenu d’envoyer une copie des motifs du Comité d’examen au plaignant.

XI. La décision est raisonnable

A. Question préliminaire : quelle est la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire?

[141] Plusieurs des arguments des demandeurs à l’appui de leur position selon laquelle la décision n’est pas raisonnable sont fondés sur le fait qu’ils considèrent les lettres que la directrice exécutive a adressées aux plaignants comme constituant la décision et les motifs. Cependant, malgré cette interprétation, les demandeurs soutiennent que la « décision » du Comité d’examen – selon laquelle la constitution d’un comité d’enquête n’est pas justifiée – n’est pas raisonnable, et que la « décision » du vice‐président – qui a choisi de ne prendre aucune autre mesure qu’une expression de préoccupation – n’est pas raisonnable. Dans leur avis de requête, les demandeurs ont sollicité diverses mesures à l’encontre de ces « décisions ».

[142] L’argument des demandeurs selon lequel les seuls documents en leur possession sur lesquels ils pouvaient fonder leur avis de requête étaient les lettres de la directrice exécutive, de sorte que les lettres devaient constituer la décision, fait abstraction du fait que cette situation est typique de nombreuses décisions de commissions ou de tribunaux administratifs, qui sont communiquées par lettre; une version plus exhaustive des motifs est transmise par la suite, une fois le DCT fourni. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[143] Le directeur exécutif doit informer le plaignant par lettre lorsque le président rejette une plainte ou met fin à une affaire et indique le fondement de cette décision (Procédures d’examen, art 12.1). C’est exactement ce que la directrice exécutive a fait. Dans les lettres qu’elle a adressées aux plaignants le 20 mai 2021, la directrice exécutive a résumé les conclusions et l’issue de l’affaire et indiqué que le vice‐président lui avait « donné instruction » de clore le dossier.

[144] Le CCM a également publié un communiqué de presse le 21 mai 2021, contenant les mêmes renseignements que ceux qui figurent dans les lettres aux plaignants.

[145] De plus, les demandeurs n’ont pas été contrariés dans leurs démarches visant à déposer une demande de contrôle judiciaire. Ils ont déposé un avis de demande, reçu le DCT et exposé leurs arguments dans leur mémoire des faits et du droit après avoir pu examiner le DCT.

[146] La décision aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire est la décision rendue par le comité sur la conduite des juges du CCM, c’est‐à‐dire l’issue des plaintes contre le juge Spiro, à la lumière du rapport du Comité d’examen et des motifs énoncés dans la lettre du vice‐président à l’appui de sa décision d’exprimer des préoccupations et de clore le dossier. Que la demande de contrôle judiciaire émane des plaignants (en l’espèce, les demandeurs) ou du juge qui a fait l’objet de la plainte (en l’espèce, le juge Spiro, s’il avait décidé de demander un contrôle judiciaire), la décision qui fait l’objet de la demande est la même.

[147] Les motifs de la décision du CCM dans son ensemble comprennent les motifs figurant au rapport du Comité d’examen et les motifs énoncés par le vice‐président du comité sur la conduite des juges. La Cour doit établir si la décision est raisonnable « en tenant compte tant du résultat de la décision que du raisonnement à l’origine de ce résultat » (Girouard, au para 42) et au regard du dossier dont disposait le CCM (Portnov, au para 33).

B. La décision et le raisonnement sont raisonnables

(1) Résumé

[148] Au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a recensé deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : « La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. » Bien que les demandeurs affirment que ces deux lacunes sont présentes en l’espèce, je n’ai constaté l’existence d’aucune lacune fondamentale dans la décision qui soit « suffisamment capitale ou importante » (Vavilov, au para 100) pour rendre cette dernière déraisonnable.

[149] Contrairement à l’argument des demandeurs selon lequel le Comité d’examen n’a pas compris que les plaintes soulevaient deux questions distinctes, le Comité d’examen a clairement établi la distinction entre les deux questions et a traité l’une et l’autre. Le Comité d’examen a fait référence aux « deux volets » des plaintes : premièrement, l’allégation selon laquelle se joindre activement à des militants pour empêcher la nomination d’une personne qui défend des intérêts divergents de ceux des militants constitue une inconduite grave de la part d’un juge; deuxièmement, l’allégation selon laquelle, dans la mesure où le fait de participer à une telle campagne reflète les croyances personnelles du juge, cette participation incite à croire que le juge ne pourrait pas, dans l’exercice de sa fonction judiciaire, se libérer du parti pris que supposent ces opinions personnelles.

[150] Comme je l’explique plus loin, je conclus que la décision du CCM dans son ensemble est raisonnable, tout comme l’est son raisonnement. Les demandeurs contestent à la fois la décision du Comité d’examen, selon laquelle la constitution d’un comité d’enquête n’était pas justifiée, et la conclusion du vice‐président, selon laquelle il convenait d’exprimer formellement des préoccupations et de clore le dossier. Les motifs du Comité d’examen et ceux du vice‐président sont clairs et justifiés par les faits. Comme je l’explique plus loin, ces motifs présentent une analyse rationnelle menant à la conclusion finale. En résumé, le Comité d’examen s’est penché sur les deux volets des plaintes. Il a analysé les éléments de preuve dont il était saisi, a cerné le critère juridique pertinent et l’a raisonnablement appliqué. Il a ensuite conclu que, bien que la conduite était grave, elle n’était pas d’une gravité de nature à satisfaire au critère de recommandation de la révocation d’un juge, en l’espèce le juge Spiro, et a donc statué qu’un comité d’enquête ne serait pas constitué. Les motifs invoqués par le vice‐président montrent également une analyse rationnelle. Le vice‐président a examiné la conduite, les allégations des plaignants quant à une perception de partialité et les conséquences néfastes d’une telle perception. Toutefois, compte tenu de plusieurs facteurs, dont l’admission rapide par le juge Spiro de sa conduite, les remords que ce dernier a exprimés et l’appui de son juge en chef, le vice‐président a raisonnablement opté pour une expression formelle de préoccupations et la clôture des plaintes.

[151] Je conclus également, comme je l’explique plus loin, que la décision dans son ensemble est justifiée en fait et en droit. Bien que les demandeurs, le CFE et l’ACPPU soulignent que la gravité de cette conduite aurait dû aboutir à un résultat différent, leurs arguments reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de notre Cour. Comme je le mentionne plus haut, le Comité d’examen a cerné et appliqué les critères juridiques permettant d’apprécier l’opportunité de recommander la révocation d’un juge et l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, analysé la preuve et souligné à cet égard que les plaintes étaient, du moins en partie, fondées sur des informations erronées diffusées par les médias, lesquelles étaient différentes des informations fournies au Comité d’examen. Le vice‐président jouit d’un pouvoir discrétionnaire quant à la nature des mesures correctives qu’il convient d’imposer et il l’a exercé de manière raisonnable. L’expression de préoccupations est une sanction, contrairement à l’affirmation des demandeurs selon laquelle les plaintes ont été classées sans autre mesure.

[152] Comme je l’ai mentionné plus haut, les juges sont tenus d’observer les Principes de déontologie. Le rôle du CCM consiste notamment à sensibiliser les juges à ces principes et à veiller à leur respect, en enquêtant sur les plaintes relatives à la conduite de juges. Cependant, toutes les plaintes qui mettent en question le respect par un juge des Principes de déontologie n’entraînent pas nécessairement l’imposition de la sanction la plus sévère. Le Comité d’examen a conclu que la conduite était différente de ce qui avait été initialement rapporté et, bien qu’il qualifie encore cette conduite d’« erreur grave », le CCM a raisonnablement conclu qu’une expression de préoccupation était la mesure la plus indiquée.

(2) La décision du CCM est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle

(a) Le Comité d’examen n’a pas manqué d’énoncer un critère ou une norme juridique applicable afin de déterminer si la conduite était suffisamment grave pour justifier la constitution d’un comité d’enquête.

[153] Contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, le Comité d’examen a énoncé les critères applicables et fait la distinction entre le rôle du vice‐président et son propre rôle. Chacun d’eux a rempli son rôle respectif en appliquant le bon critère juridique et en fonction des informations dont il disposait.

[154] Dans son examen de la conduite en cause, le Comité d’examen a cité et appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Therrien, au paragraphe 147, qui consiste à déterminer :

si la conduite qui est [...] reprochée [au juge] porte si manifestement et si totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge.

[155] Le Comité d’examen a indiqué que sa mission consistait à déterminer s’il convenait de constituer un comité d’enquête chargé de se pencher sur la conduite du juge Spiro. Conformément au paragraphe 2(4) du Règlement administratif, le Comité d’examen ne peut exercer ce pouvoir que « s’il conclut que l’affaire pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation du juge ». Le Comité d’examen a estimé que le seuil correspondant à une conduite qui « pourrait s’avérer suffisamment grave » n’était pas défini, mais qu’il se situait quelque part entre une probabilité « mince à nulle » et la « prépondérance des probabilités ».

[156] Autrement dit, le Comité d’examen doit déterminer s’il y a des chances (même minces) qu’un comité d’enquête conclue que la conduite du juge porte si manifestement et totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle irrémédiablement la confiance du public en la magistrature. Le Comité d’examen a relevé que la distinction établie entre son rôle et celui du vice‐président supposait qu’il mène une enquête plus approfondie que le vice‐président. Son rapport révèle qu’il a effectivement procédé à une enquête plus approfondie.

[157] Le Comité d’examen s’est également explicitement référé au critère énoncé dans l’arrêt Therrien et au paragraphe 2(4) du Règlement administratif pour conclure que, bien que le juge Spiro ait fait une erreur grave, il n’avait pas commis d’inconduite justifiant la constitution d’un comité d’enquête.

(b) Le Comité d’examen s’est penché sur la distinction entre le fait d’exprimer des préoccupations et des actes de lobbyisme ou la promotion de certains intérêts.

[158] Comme je l’ai mentionné plus haut, les demandeurs soutiennent que le CCM a fait une distinction inexplicable entre la promotion de certains intérêts et l’expression de préoccupations et qu’il n’a pas répondu à l’allégation au cœur des plaintes selon laquelle le juge Spiro avait acquiescé à la demande d’un groupe de pression, prouvant ainsi qu’il continuait de s’engager auprès de ce groupe.

[159] Le Comité d’examen a pris note de la distinction entre des activités de lobbyisme et l’expression de préoccupations. Le Comité d’examen est conscient qu’il n’est pas toujours acceptable d’exprimer des préoccupations; cela dépend des faits de l’espèce. Le Comité d’examen a écrit :

Nous considérons qu’il est assez important de faire la distinction entre le fait d’exprimer sa préoccupation qu’une nomination imminente pourrait engendrer de la mauvaise publicité pour la Faculté de droit et le fait d’exercer activement des pressions contre la nomination en raison de sa désapprobation personnelle de la candidate Le premier cas nous donne à penser que la loyauté de la personne envers la Faculté et son amour de l’institution sont une motivation, tandis que le deuxième dépasse cette motivation et donne à penser que la personne se mêle à une controverse politique, sociale et culturelle. En établissant cette distinction, nous ne voulons pas laisser entendre que, bien qu’il soit clair que le deuxième cas n’est pas une conduite acceptable, le premier cas le serait.

[160] J’estime que le Comité d’examen a raisonnablement conclu que par sa conduite, le juge Spiro n’est pas allé jusqu’à faire campagne contre la nomination de Mme Azarova pour le compte du CIJA, mais qu’il a plutôt exprimé ses préoccupations en tant que diplômé et donateur de l’Université. Le Comité d’examen a expliqué la conclusion à laquelle il est parvenu sur la base de son analyse de la preuve qui lui a été soumise, selon laquelle la conduite du juge Spiro était l’expression de sa crainte que la nomination puisse exposer la Faculté de droit à des critiques et à une mauvaise publicité. Le Comité d’examen a fait mention du rapport Cromwell comme d’un document confirmant ses conclusions, mais il a tiré ses propres conclusions des éléments de preuve au dossier dont il était saisi.

[161] Le Comité d’examen a pris note de la conclusion du rapport Cromwell selon laquelle la description faite par Mme Courtney de sa conversation avec le juge Spiro correspondait à celle donnée par le juge Spiro, ainsi que de sa conclusion selon laquelle on ne pouvait inférer que l’intervention du juge Spiro « avait influencé la décision d’annuler la nomination de la candidate pressentie ».

[162] Le Comité d’examen a précisé qu’il s’était abstenu de consulter le rapport Cromwell et les articles des médias sur ce rapport jusqu’à leur production au dossier par l’avocat du juge Spiro.

[163] Le Comité d’examen a porté attention à la chronologie des événements et aux comptes rendus du juge Spiro et de Mme Courtney lors de son analyse l’ayant mené à la conclusion que la conduite du juge Spiro n’était pas motivée par son désaccord avec les travaux de Mme Azarova, mais plutôt par sa crainte d’une atteinte à la réputation de l’Université, dont il était un ancien diplômé engagé. Le Comité d’examen a conclu que les faits au dossier étaient incompatibles avec la version ou la qualification des faits par les plaignants, selon laquelle le juge Spiro était intervenu en raison d’un désaccord personnel avec les opinions et les travaux de Mme Azarova.

[164] Le Comité d’examen a relevé que le juge Spiro n’avait pas approché le doyen de la Faculté de droit et qu’il avait refusé de le faire. Le Comité d’examen a également considéré que, bien que le juge Spiro ait transmis la note du professeur Steinberg au professeur Weinrib, ce dernier n’avait pas donné suite à cette information. Mme Courtney a relayé au doyen les renseignements dont lui a fait part le juge Spiro et a ensuite informé ce dernier que la nomination n’avait pas été officialisée; le Comité d’examen a toutefois constaté que le juge Spiro n’avait pas pris l’initiative d’appeler Mme Courtney à cette fin et qu’il n’a effectué aucune autre démarche après avoir appris de Mme Courtney que la nomination n’avait pas été officialisée. Toutes ces conclusions sont raisonnables et fondées sur l’appréciation par le Comité d’examen de la preuve dont il était saisi.

(c) La décision du CCM n’a pas été prise en faisant abstraction des allégations de perception de partialité et de l’effet de cette perception sur l’administration de la justice.

[165] Le Comité d’examen et le vice‐président n’ont pas commis d’erreur en ne répondant pas spécifiquement à l’allégation de préjugés anti‐palestiniens et n’ont pas fait d’amalgame entre le racisme anti‐palestinien et le racisme anti‐musulman et anti‐arabe. Sur la base de son appréciation de la preuve et de la jurisprudence établissant le critère relatif à une crainte raisonnable de partialité, le Comité d’examen a conclu qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité dans les circonstances.

[166] Comme l’a fait observer le défendeur, c’est de manière prospective qu’est évaluée l’opportunité de recommander la révocation d’un juge (la première étape de ce processus étant la constitution d’un comité d’enquête). Lorsque la plainte concernant une conduite repose sur une allégation de partialité ou de perception de partialité, la perception de partialité judiciaire est évaluée de manière prospective et du point de vue d’une personne raisonnable, impartiale et bien informée (Commission scolaire francophone du Yukon, aux para 20‐24).

[167] Dans un premier temps, le Comité d’examen a défini avec justesse le critère d’une crainte raisonnable de partialité, citant le critère établi de longue date dans l’arrêt Committe for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, (1976), [1978] 1 RCS 369 à la page 394, 1976 CanLII 2, consistant à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée : « Croirait‐elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? ».

[168] Le Comité d’examen a déclaré que « toute personne sensée qui a connaissance de la conduite du juge Spiro depuis le début de sa carrière et qui a été informée de la présente affaire de sources fiables, par opposition aux “faits” que véhiculait la couverture médiatique au début de l’affaire, ne pourrait conclure que l’accusation de partialité contre le juge a été prouvée ». Le Comité d’examen a également mentionné le critère de révocation prévu dans la Loi sur les juges, relevant qu’il était de nature prospective. Le Comité d’examen s’est explicitement demandé : « Comment un Palestinien, un Arabe ou un musulman peut‐il croire que le juge tranchera son litige sans parti pris? »

[169] Le Comité d’examen a également conclu que l’appartenance antérieure du juge Spiro au CIJA ne pouvait pas à elle seule susciter une crainte raisonnable de partialité : Commission scolaire francophone du Yukon, au para 61. Le Comité d’examen a cité les observations faites par la Cour suprême au paragraphe 33 : « L’impartialité et la neutralité judiciaires ne signifient pas que le juge ne doit avoir aucune conception, opinion ou sensibilité préexistante. Ces notions requièrent plutôt que l’identité et l’expérience du juge ne l’empêchent pas de faire preuve d’ouverture d’esprit à l’égard de la preuve et des questions en litige. »

[170] Le Comité d’examen a également souligné que tous les juges avaient eu des affiliations avant leur nomination et qu’ils prêtaient serment de « subordonner [leurs] opinions personnelles à la primauté du droit ».

[171] Le Comité d’examen a raisonnablement conclu, en se fondant sur les éléments de preuve au dossier, y compris les lettres reçues qui décrivaient le juge Spiro comme « un homme très éthique, aux opinions modérées et empli d’empathie pour les gens de tous les milieux », que la conduite du juge Spiro ne suscitait pas, aux yeux d’une personne raisonnable et informée, la crainte que le juge Spiro ne déciderait pas équitablement des causes dont il serait saisi.

[172] Bien que le Comité d’examen n’ait pas traité séparément la question des préjugés anti‐palestiniens et celle des préjugés anti‐arabes et anti‐musulmans, il a reconnu que toutes ces questions avaient été soulevées. Le Comité d’examen a examiné la question de la partialité dans son ensemble, ce qui n’est pas une erreur, et a conclu qu’il n’y avait pas de perception raisonnable de partialité.

[173] La décision du Comité d’examen selon laquelle « toute personne sensée » ne pourrait conclure à l’existence d’une crainte ou d’une perception de partialité n’implique pas que les plaignants ne sont pas des « personnes sensées ». Elle reflète plutôt le critère énoncé dans la jurisprudence et signifie que les plaignants n’avaient pas connaissance des mêmes renseignements que le Comité d’examen.

[174] Comme je le mentionne plus loin, le vice‐président a également examiné les allégations de perception de partialité.

(d) Les motifs invoqués par le vice‐président expliquent pourquoi celui‐ci a formellement exprimé des préoccupations et fermé le dossier.

[175] Les demandeurs prétendent que le vice‐président a classé les plaintes sans prendre d’autres mesures, ce qui n’est pas le cas.

[176] Une expression formelle de préoccupation est une sanction. Il semble que seule la constitution d’un Comité d’enquête, prélude à une éventuelle recommandation de révocation, serait considérée par les demandeurs, le CFE et l’ACPPU – qui estiment la conduite du juge Spiro d’une grande gravité et y voient la source d’une crainte de partialité – comme une issue acceptable et raisonnable.

[177] Dans ses motifs, le vice‐président explique pourquoi il a formellement exprimé des préoccupations. Il dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la façon de traiter les plaintes et n’a pas commis d’erreur en n’expliquant pas pourquoi il n’aurait pas été opportun de prendre d’autres mesures correctives.

[178] Comme il l’explique dans ses motifs, le vice‐président a tenu compte à la fois de la nature et des répercussions de la conduite du juge Spiro (y compris celles que les plaignants ont alléguées), de l’admission par le juge Spiro de ces répercussions, de l’admission rapide de son erreur et de la sincérité de ses remords. Ces facteurs ont amené le vice‐président à formellement exprimer des préoccupations et à ne prendre aucune autre mesure corrective.

[179] Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, le vice‐président a expliqué en quoi l’admission par le juge Spiro de son erreur et ses remords ont pesé dans la décision qu’aucune autre mesure corrective n’était nécessaire. Toutefois, la décision du vice‐président d’exprimer des préoccupations et de formuler des observations constructives traduisent également la désapprobation par le vice‐président de la conduite du juge Spiro. À mon avis, la conclusion du vice‐président démontre une approche équilibrée. Le vice‐président a conclu que la conduite du juge Spiro avait mis en péril la confiance que portait le public à l’intégrité, à l’impartialité et à l’indépendance de la magistrature; toutefois, l’admission rapide par le juge Spiro de sa conduite, ses remords et le rapport du Comité d’examen, qui a mené une enquête approfondie sur les faits et pris note des lettres attestant l’intégrité du juge Spiro, ainsi que l’appui du juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt, ont amené le vice‐président à conclure qu’une expression de préoccupation était suffisante.

(3) La décision du CCM est justifiée à la lumière des faits et du droit

[180] Les demandeurs ont avancé des arguments similaires à l’appui de leur prétention plus générale selon laquelle la décision n’était pas justifiée à la lumière des faits et du droit.

[181] Les demandeurs soutiennent que les faits qui ont donné naissance aux plaintes n’étayent pas la conclusion du Comité d’examen selon laquelle « toute personne sensée » ne pourrait conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Selon les demandeurs, il y a « amplement de preuves » compte tenu de l’engagement antérieur du juge Spiro au sein du CIJA, de ses communications avec ses contacts à l’Université, des mesures prises par le juge en chef de la Cour de l’impôt en attendant le règlement des plaintes et de l’admission par le juge Spiro lui‐même que sa communication était une erreur.

[182] Le Comité d’examen n’a pas négligé ou mal interprété les éléments de preuve. L’argument des demandeurs selon lequel il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la conclusion d’une crainte raisonnable de partialité équivaut essentiellement à une demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de rendre une décision différente. Or, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou de rendre une nouvelle décision : Vavilov, au para 125.

[183] Comme je le mentionne plus haut, le Comité d’examen a conclu que la communication du juge Spiro avec ses contacts à l’Université ne constituait pas du lobbyisme ou la promotion de certains intérêts, et que son engagement antérieur au sein du CIJA était, comme les affiliations antérieures d’autres juges, une réalité bien connue qui ne justifiait pas une crainte raisonnable de partialité. Le Comité d’examen est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve, y compris les mesures provisoires prises par le juge en chef de la Cour de l’impôt. Comme je le mentionne plus haut, le Comité d’examen a appliqué un critère prospectif pour déterminer si une personne raisonnable et informée conclurait à la partialité.

[184] Le Comité d’examen a pris note des facteurs énoncés dans la publication du CCM intitulée La conduite des juges : Guide à l’intention des juges en chef, qui fournit aux juges en chef et au CCM un cadre de référence relativement au refus de constituer un comité d’enquête. Les facteurs à prendre en compte comprennent l’absence de mauvaise foi – qui est présentée comme une considération clef –, l’expression de confiance de la part du juge en chef, une carrière longue et distinguée et l’absence de tout comportement semblable par le passé. Le Comité d’examen a conclu que tous ces facteurs jouaient en faveur du juge Spiro. Cette conclusion est étayée par les éléments du dossier, notamment les observations du juge Spiro, l’appui du juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt et les autres lettres d’appui qui attestent de l’intégrité et de la bonne réputation du juge Spiro.

[185] Ainsi que je l’ai mentionné plus haut, le Comité d’examen a également examiné si le juge Spiro, par sa conduite, avait activement aidé un groupe de pression qui tentait d’empêcher la nomination d’une personne ayant des opinions divergentes de celles du groupe de pression, comme l’alléguaient les demandeurs. Le Comité d’examen a conclu que ce volet de la plainte était fondé sur une mauvaise compréhension des faits, ce qui ressort des informations au dossier dont le Comité d’examen était saisi, certains de ces faits étant également confirmés dans le rapport Cromwell.

[186] L’argument des demandeurs selon lequel la décision n’est pas justifiée parce que le Comité d’examen aurait ignoré les motifs de renvoi du vice‐président – et son opinion selon laquelle la conduite du juge Spiro aurait mis en péril la confiance du public dans son intégrité – méconnaît les différences entre l’examen qu’est chargé de faire le Comité d’examen et l’examen préalable qu’est chargé de faire le vice‐président. La prétention des demandeurs selon laquelle le Comité d’examen aurait dû arriver à la même conclusion que le vice‐président implique en outre que le Comité d’examen n’ait aucun rôle à jouer, ce qui est contraire au Règlement administratif et aux Procédures d’examen.

[187] Le vice‐président a renvoyé les plaintes au Comité d’examen en se fondant sur la conclusion que les plaintes révélaient « à première vue » un manque d’intégrité et d’impartialité de la part du juge Spiro. À l’époque, les seuls éléments en possession du vice‐président étaient les plaintes, la réponse initiale du juge Spiro et la lettre du juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt concernant les mesures provisoires. Le vice‐président a constaté que le juge Spiro avait reçu et relayé de l’information et qu’il avait omis de préciser que les opinions dont il a fait part à Mme Courtney n’étaient pas les siennes. Le vice‐président a également souligné le manque de jugement du juge Spiro.

[188] Le Comité d’examen disposait de plus d’éléments de preuve, y compris des observations plus détaillées du juge Spiro. Les demandeurs font valoir que les éléments de preuve supplémentaires ne modifient pas les faits. Cependant, il ne s’agit pas là d’une qualification pertinente des éléments de preuve et, encore une fois, cet argument implique que la Cour devrait soupeser ou apprécier à nouveau la preuve. Comme je le mentionne plus haut, le Comité d’examen a examiné tous les éléments de preuve et conclu que les plaintes étaient fondées sur des suppositions et de la désinformation.

[189] L’« enquête plus approfondie » du Comité d’examen a été réalisée sur la base de tous les éléments de preuve et d’une analyse plus poussé des circonstances. Comme je l’ai mentionné, le Comité d’examen n’a pas conclu que le juge Spiro s’était livré à des actes de lobbyisme. De plus, le Comité d’examen a tenu compte des lettres d’appui du juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt et d’autres lettres d’appui qui attestaient de la réputation d’homme éthique et empli d’empathie du juge Spiro.

[190] En ce qui a trait aux prétentions des demandeurs selon lesquels le Comité d’examen et le vice‐président n’ont pas analysé les observations du professeur Scott, auxquelles étaient joints de nombreux articles et lettres critiquant les constats et les conclusions du rapport Cromwell, il n’appartient pas au CCM de remettre en question les conclusions du rapport Cromwell. Le rapport Cromwell a été commandé par l’Université à des fins différentes. Peu importe le contexte, l’examen du CCM porte sur la conduite du juge. Le CCM a fait référence au rapport Cromwell concernant la conversation entre le juge Spiro et Mme Courtney, mais cette même information figurait au dossier dont le CCM était saisi; les deux versions concordaient en ce qui concerne les communications entre le juge Spiro et Mme Courtney.

[191] Quant à l’allégation du CFE et de l’ACPPU selon laquelle les actions du juge Spiro constituaient un « cas classique » d’ingérence extérieure dans une nomination universitaire, et aux allégations faites dans certaines des plaintes, qui suggéraient qu’il pourrait y avoir une tendance plus large à l’ingérence des tribunaux judiciaires dans les décisions de recrutement et la liberté académique, il n’y a aucune preuve au dossier qui corrobore ces allégations. L’examen du CCM portait sur une plainte isolée concernant le juge Spiro. Aucun élément au dossier n’indique qu’il y ait une tendance à laquelle le CCM devrait s’attaquer ou qui ne serait pas autrement visée par les Principes de déontologie qui guident la conduite des juges.

XII. Le CCM n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers les plaignants

[192] La question soulevée dans le cadre de la demande est de savoir si le CCM a manqué à l’obligation d’équité procédurale qui lui incombait envers les plaignants dans les circonstances. Bien que trancher cette question implique d’examiner les procédures du CCM d’une manière générale, la Cour n’a pas à chercher à statuer sur la prétention des demandeurs selon laquelle les procédures du CCM sont inéquitables envers tous les plaignants (ni sur leur demande que la Cour fasse une déclaration en ce sens). Tout éventuel examen ou toute révision de l’ensemble des procédures du CCM est du ressort du Parlement, dans le respect de la Loi sur les juges et de la délégation de pouvoirs que celle‐ci opère au bénéfice du CCM pour l’adoption de règlements administratifs, et devrait être guidé par diverses considérations d’ordre politique, qui dépassent celles soulevées par le scénario qui nous occupe. Il convient de noter que le projet de loi C‐9, intitulé Loi modifiant la Loi sur les juges, présenté le 16 décembre 2021, propose de modifier le processus d’examen des allégations d’inconduite, ce qui comprend à la fois les accusations d’inconduite qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier la révocation d’un juge et celles qui le sont.

[193] La prétention des demandeurs selon laquelle les plaignants ont le droit de « connaître la preuve à réfuter » ne tient pas compte du fait que ce sont les allégations des plaignants qui établissent la « preuve à réfuter » pour le juge visé. Les demandeurs demandent en réalité de plus grands droits de participation, y compris le droit à la divulgation de tous les éléments pris en considération dans le cadre de l’examen du CCM et le droit de pouvoir réfuter ces éléments. Bien que, comme le souligne le CCM, cette question dépasse largement la version actuellement en vigueur des Procédures d’examen, du Règlement administratif et la jurisprudence, la question que notre Cour doit trancher est, comme indiqué dans l’arrêt CP au paragraphe 54,

si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi.

[Non souligné dans l’original.]

[194] Premièrement, j’estime que l’obligation d’équité procédurale envers les plaignants est minimale, ce qui ne veut pas dire inexistante. Deuxièmement, le CCM s’est acquitté de son obligation dans les circonstances : les plaignants ont eu la possibilité de déposer des plaintes, qui étaient détaillées, le CCM a procédé à un examen impartial conformément à son Règlement administratif et à ses Procédures d’examen, et les plaignants ont été informés du résultat. De plus, le site CCM a informé le public sur son site Web du renvoi de la plainte à un Comité d’examen, ainsi que des résultats de l’enquête du CCM. Un lien vers le rapport du Comité d’examen était également fourni sur le site.

[195] Il n’y a pas de mesure précise permettant d’évaluer l’obligation d’équité procédurale, car cette obligation et ses modalités varient en fonction des circonstances. En l’espèce, tant les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker que la jurisprudence étayent la conclusion selon laquelle l’obligation d’équité procédurale envers les plaignants, dans le cadre du processus d’enquête du CCM, est minimale et n’est pas comparable à l’obligation envers le juge qui fait l’objet de la plainte et de l’enquête.

A. Les facteurs établis dans l’arrêt Baker

[196] Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a souligné que la portée de l’obligation d’équité procédurale est variable et doit être déterminée dans le contexte propre à chaque cas. Les facteurs pertinents pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale comprennent la nature de la décision, la nature du régime législatif, l’importance de la décision pour les personnes visées, les attentes légitimes de ces personnes et les choix de procédure que le décideur fait lui‐même.

[197] Bien que les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker servent plus souvent à déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale envers une personne qui a une « preuve à réfuter », ils peuvent être adaptés pour établir le contenu de l’obligation d’équité procédurale envers les plaignants dans le processus d’examen du CCM. La Cour suprême a souligné que l’équité procédurale est fondée sur le principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits ou intérêts soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, « adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (Baker, au para 28).

[198] Le premier facteur est la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir. L’arrêt Baker indique que, plus le processus ressemble à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que des protections procédurales proches du modèle du procès seront requises (Baker, au para 23).

[199] L’examen des plaintes relatives à la conduite des juges est un processus d’enquête et non un processus contradictoire. Le Comité d’examen ne fait pas de constatations de fait ni n’entend de témoignages. La décision de ne pas constituer un comité d’enquête et d’exprimer formellement des préoccupations est une décision administrative. Le processus ne ressemble pas au processus judiciaire, même si la décision est rendue par des juges.

[200] En ce qui a trait au facteur relatif à la nature du régime législatif, des protections procédurales plus importantes sont exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes (Baker, au para 24). En l’espèce, aucune procédure d’appel interne n’est prévue; toutefois, les plaignants pourraient demander un réexamen et présenter d’autres plaintes, le cas échéant. En outre, la décision peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire auprès de notre Cour déposée par le juge ou, comme c’est le cas en l’espèce, par les plaignants.

[201] L’importance d’une décision pour les personnes visées a donc une incidence significative sur la nature de l’obligation d’équité procédurale. Plus la décision est importante et plus ses répercussions sont grandes pour les personnes visées, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (Baker, au para 25). La décision de constituer un comité d’enquête ou de prendre d’autres mesures, comme une expression de préoccupations, revêt une grande importance pour le juge, car elle a une incidence sur sa carrière au sein de la magistrature et dans le milieu juridique, ainsi que sur sa réputation en général. La constitution d’un comité d’enquête pourrait aboutir à une recommandation de révocation. Sans vouloir minimiser l’importance de la décision pour le plaignant, je constate que, le processus de traitement des plaintes étant un processus d’enquête, il n’a pas les mêmes répercussions défavorables sur les intérêts du plaignant.

[202] Il est toutefois manifeste que la décision a de l’importance pour les plaignants. Ces derniers ont pris l’initiative de déposer les plaintes et ont expliqué de manière claire en quoi la conduite en cause les préoccupait. De plus, comme l’a fait observer la Cour d’appel dans l’arrêt Taylor c Canada (Procureur général), 2003 CAF 55 [Taylor], il y a un intérêt public important – que les plaignants représentent – dans la protection du droit à un procès équitable devant un tribunal impartial (au para 79). Le rôle joué par le CCM dans l’examen de la conduite des juges, y compris dans le cadre du processus de plaintes, renforce la confiance du public en l’administration de la justice.

[203] Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent servir à déterminer quelles procédures l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Si la personne s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure (Baker, au para 26).

[204] L’observation des demandeurs selon laquelle les plaignants s’attendaient légitimement à être tenus informés de l’avancée du processus et à pouvoir présenter d’autres observations n’est pas fondée. C’est peut‐être une interprétation erronée par les demandeurs de l’alinéa 6a) des Procédures d’examen qui les amène à invoquer cette disposition, laquelle prévoit que le président ou le vice‐président peut demander toute information additionnelle au plaignant. Rien dans les Procédures d’examen ou le Règlement administratif ne peut susciter une attente légitime de communication d’informations ou de participation plus importante au processus. L’accusé de réception de la plainte envoyé par courriel par le CCM ne suggérait pas non plus des droits procéduraux plus étendus que ceux qui sont effectivement conférés. Ce courriel contenait un lien vers une page du site Web du CCM contenant de l’information sur le processus de plaintes, laquelle correspondait en tout point à ce qui a été décrit plus haut.

[205] Le cinquième facteur énoncé dans l’arrêt Baker tient aux choix de procédure faits par le décideur lui‐même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances, ces choix devant être pris en considération et respectés (Baker, au para 27). L’alinéa 61(3)c) de la Loi sur les juges autorise le CCM à régir, par règlement administratif, la procédure relative aux enquêtes sur la conduite des juges, ce qui témoigne de l’intention du législateur de donner au CCM la possibilité de choisir ses propres procédures. Comme je l’ai expliqué plus en détail précédemment, le processus d’examen des plaintes du CCM est régi par le Règlement administratif et les Procédures d’examen, qui confèrent certains droits procéduraux aux plaignants; certaines des dispositions de ces textes accordent une permission, d’autres établissent une obligation. Sous le régime de ses propres procédures, le CCM n’est pas tenu de solliciter d’autres observations de la part du plaignant après le dépôt de la plainte, d’informer celui‐ci du renvoi de l’affaire à un comité d’examen, de lui communiquer les observations du juge faisant l’objet de la plainte, ni d’inviter le plaignant à répondre à ces observations ou à les réfuter. Le CCM n’est pas tenu d’informer le plaignant de l’état d’avancement de l’examen ou de l’imminence d’une décision, mais il doit l’informer, selon le cas, du rejet de la plainte, de la fermeture du dossier ou de la recommandation faite par le Comité d’examen de constituer un comité d’enquête.

[206] De plus, le CCM a une grande expérience et des compétences spécialisées dans l’examen et l’enquête des plaintes concernant la conduite des juges.

[207] Dans le contexte de l’espèce, l’examen des facteurs pertinents ressortant de l’arrêt Baker étaye la conclusion selon laquelle l’obligation d’équité procédurale incombant au CCM envers les plaignants dans le cadre de son processus d’examen – dans le cas présent, le processus d’examen préalable et intermédiaire des plaintes – est minimale. Dans d’autres circonstances, par exemple, lorsqu’un comité d’enquête est constitué, d’autres facteurs pourraient amener à des conclusions différentes. En résumé : l’examen préalable par la directrice exécutive, le choix du vice‐président quant au renvoi de l’affaire, l’analyse par le Comité d’examen qui s’ensuit et la décision finale prise par le vice‐président (après que le Comité d’examen eut déterminé que la constitution d’un comité d’enquête n’était pas justifiée) forment un processus d’enquête et non une prise de décision judiciaire; bien qu’il n’existe aucune procédure d’appel interne devant le CCM, un recours est offert sous la forme du contrôle judiciaire; les plaignants n’avaient aucune attente légitime d’un processus différent; le CCM a le pouvoir, en vertu de la Loi sur les juges, d’établir des règlements administratifs encadrant les examens et les enquêtes sur la conduite des juges, ce qu’il a fait; et le Règlement administratif et les Procédures d’examen indiquent clairement les choix de procédure faits par le CCM.

[208] L’importance que revêt la décision pour les plaignants, à elle seule, ne justifie pas de conclure à une obligation d’équité procédurale plus rigoureuse que celle qui a été accordée.

B. La jurisprudence

[209] La jurisprudence étaye également la conclusion que l’obligation d’équité procédurale incombant au CCM envers les plaignants dans le cadre de son examen des plaintes est minimale.

[210] La jurisprudence relative aux plaintes ou aux procédures disciplinaires dans d’autres professions, invoquée par les demandeurs, n’étaye pas leur argument selon lequel le processus du CCM est inéquitable, ou leur prétention voulant que des droits procéduraux plus importants auraient dû être accordés aux plaignants dans ce contexte.

[211] Dans l’affaire Tran, la Cour était saisie d’une demande de contrôle judiciaire portant sur une décision du Collège des médecins et chirurgiens concernant une plainte déposée à l’encontre d’un médecin en vertu de la loi albertaine intitulée Health Profession Act (Loi sur les professions de la santé). En vertu de cette loi, le plaignant avait le droit d’en appeler devant le décideur administratif. Toutefois, on peut tirer des enseignements de la description que la Cour a fait du rôle d’un plaignant dans une affaire disciplinaire concernant un professionnel. La Cour a analysé la jurisprudence qui établit l’absence de lis inter partes entre le plaignant et la personne faisant l’objet de la plainte; les parties sont l’organe disciplinaire et la personne faisant l’objet de la plainte. Le plaignant ne cherche pas à obtenir réparation d’un préjudice personnel, mais il a le même intérêt que tout autre membre du public à s’assurer que les membres de la profession observent les normes établies par l’organisme de réglementation.

[212] L’affaire Figueiras v (York) Police Services Board, 2013 ONSC 7419 [Figueiras], invoquée par les demandeurs, portait sur des plaintes contre des policiers. La conclusion de la Cour selon laquelle le plaignant avait les mêmes droits procéduraux que l’agent qui faisait l’objet de la plainte était fondée sur les dispositions de la Loi sur les services policiers, une loi ontarienne qui accordait aux plaignants le statut de partie à part entière dans le cadre des étapes ultérieures du processus d’examen. La décision Figueiras ne préconise pas l’élargissement des droits procéduraux des plaignants dans d’autres procédures disciplinaires.

[213] Dans l’affaire Taylor, le CCM avait rejeté une plainte concernant un juge qui avait refusé de permettre à M. Taylor de porter un kufi dans la salle d’audience. Entre autres arguments à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Taylor soutenait que le rejet de sa plainte, laquelle alléguait la partialité du juge de première instance, donnait raisonnablement lieu de craindre que le décideur, c’est‐à‐dire le président du comité sur la conduite des juges, était partial.

[214] Dans l’arrêt Taylor, au paragraphe 77, la Cour d’appel a reconnu que la jurisprudence actuelle étayait la proposition selon laquelle le CCM n’avait pas de devoir d’équité envers un plaignant dans l’exercice de son pouvoir de classer une plainte. La Cour d’appel a souscrit au raisonnement du défendeur (aux para 75, 76), qui affirmait notamment qu’un plaignant ne cherchait pas à faire valoir un droit ou un intérêt personnel; que la fonction du CCM était de dire si l’inconduite du juge était si grave qu’elle justifiait une destitution; et que le dépôt d’une plainte appelait simplement l’attention du CCM sur un cas possible d’inconduite, cas dont le Conseil était tenu de disposer « selon l’une des manières prévues par la loi ».

[215] Toutefois, la Cour d’appel a statué que les plaignants ne devraient pas être privés de leur droit à l’équité procédurale, car cela risquerait d’entraver l’aptitude du CCM à examiner les plaintes et par là accroître la confiance du public. La Cour d’appel explique, aux paragraphes 78 à 79 :

Le fait de classer une affaire peut ne pas préjudicier les intérêts personnels du plaignant, mais ce qui est en jeu va au‐delà d’une décision exacte. Nier à un plaignant le droit à l’équité procédurale risque d’entraver l’aptitude du Conseil à exercer sa fonction officielle, qui est d’améliorer la qualité de la justice en examinant les plaintes en profondeur et avec impartialité, afin de pouvoir prendre les mesures qui s’imposent et par là accroître la confiance du public dans la justice.

[...] on comprendrait mal le rôle délicat du Conseil, qui est de faire progresser l’administration de la justice au Canada, si l’on imposait au Conseil le devoir d’équité consistant à protéger l’indépendance de la justice, ainsi que l’intérêt personnel des juges dans leur réputation et leurs moyens d’existence, mais sans lui imposer l’obligation de protéger un intérêt public tout aussi important, le dépistage scrupuleux des cas d’inconduite chez les juges et l’adoption de mesures adéquates dans les cas semblables. En un sens, on pourrait considérer le plaignant comme quelqu’un qui a pris sur lui de représenter l’intérêt public dans la protection « du droit des justiciables à un procès équitable devant un tribunal impartial », pour reprendre les mots apparaissant au paragraphe 45 de l’arrêt Moreau‐Bérubé. Le Règlement administratif du Conseil accorde des droits de participation au juge qui fait l’objet de la plainte, tout en disposant que le plaignant ne sera informé que lorsque l’affaire sera classée, mais cela n’empêche pas à mon avis qu’il y a devoir d’équité à l’égard du plaignant.

[216] Dans l’affaire Taylor, le plaignant avançait également qu’il était inéquitable qu’une lettre écrite par le juge au CCM et prise en considération par le président ne lui ait pas été communiquée avant le prononcé de la décision. Le juge de la Cour d’appel a affirmé qu’il ne voyait pas du tout pourquoi cette lettre n’aurait pas dû être communiquée. Toutefois, le manquement allégué à l’obligation d’équité procédurale tenait, dans l’affaire Taylor, au manque d’impartialité ou à la partialité; la question n’était pas de savoir si la non‐communication de la lettre contrevenait au devoir d’équité procédurale, et la Cour n’a formulé aucune conclusion en ce sens (voir para 105).

[217] Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, je ne suis pas d’avis que l’arrêt Taylor énonce un principe voulant que les plaignants aient droit à la communication des informations prises en considération par le CCM ou à des droits procéduraux plus étendus que ceux prévus par le Règlement administratif et les Procédures d’examen, ou justifiés par l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. L’arrêt Taylor étaye la position selon laquelle les plaignants ne devraient pas se voir refuser l’équité procédurale, ce qui n’est pas contesté. Ce qui est en jeu, c’est le contenu ou le niveau du devoir d’équité. Comme je l’ai mentionné plus haut, les plaignants jouissent de certains droits procéduraux, mais pas autant que le juge qui fait l’objet de la plainte.

[218] Dans l’arrêt Slansky, la Cour d’appel fédérale a examiné si le CCM aurait dû communiquer au plaignant le rapport d’un enquêteur qu’il avait engagé. Dans ses motifs concourants, analysant les raisons de la non‐divulgation, le juge Mainville a expliqué la distinction entre les droits procéduraux du juge et ceux du plaignant, aux paragraphes 164 et 165 :

La confidentialité est dans une certaine mesure limitée pour le juge qui fait l’objet de l’enquête et qui sera directement touché par son issue. Le juge a le droit d’être avisé de l’objet de l’enquête, et il doit bénéficier de renseignements suffisants au sujet de la preuve matérielle recueillie : art. 64 de la Loi sur les juges et article 7.2 des Procédures relatives aux plaintes du Conseil. Lorsqu’il enquête sur une plainte portée contre un juge, le Conseil décide en fait si la conduite du juge peut être considérée comme un abus justifiant une enquête approfondie dans le but de décider si le juge doit être démis de ses fonctions. Comme les droits du juge peuvent être touchés directement et en profondeur par l’issue ultime de l’enquête, le Conseil doit s’acquitter d’un important devoir d’équité procédurale envers le juge pendant tout le processus, de sorte que le juge puisse bénéficier d’une réelle occasion de réagir à la situation.

Toutefois, comme le seul droit du plaignant est celui de déposer une plainte, le contenu de tout devoir d’équité du Conseil envers le plaignant lorsqu’il rejette la plainte est plutôt faible : Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C. F. 91, aux paragraphes 50 à 52; L’Hon. Lori Douglas c. Canada (Procureur général), 2013 CF 451, aux paragraphes 20 à 22; voir par analogie Jacko c. Ontario (Chief Coroner) 2008 CanLII 69579 (ON SCDC), 2008, 247 O.A.C. 318, 306 D.L.R. (4th) 126, au paragraphe 18. Le devoir de divulgation limité dont le Conseil doit s’acquitter conformément à ses Procédures relatives aux plaintes consiste simplement à informer le plaignant de l’issue du traitement de la plainte. Le Conseil s’est amplement acquitté de ce devoir en l’espèce. Il n’a plus de devoir de divulgation envers Me Slansky.

[Non souligné dans l’original.]

[219] La jurisprudence établit que le processus d’examen des plaintes du CCM a le caractère d’enquête (Slansky). Il n’y a pas de litige ou de lis entre le plaignant et le juge contre lequel la plainte est déposée. La plainte déclenche le processus d’enquête. La fonction du CCM est la recherche de la vérité, par ses propres recherches et celles du plaignant et du juge qui fait l’objet de la plainte : Girouard au para 36, citant Therrien au para 103 et Ruffo c Conseil de la magistrature, [1995] 4 RCS 267 aux para 72‐73, 1995 CanLII 49.

C. La procédure suivie par le CCM

[220] En l’espèce, les plaignants ont déposé des plaintes concernant la conduite du juge Spiro en se fondant sur les renseignements à leur disposition à l’époque, dont certains plaignants ont admis qu’ils étaient tirés des récits des événements faits dans la presse, et ils ont exprimé, avec beaucoup de détails, leurs préoccupations quant aux retombées de cette conduite. Il s’agissait là d’une occasion de formuler des observations. Le courriel du CCM répondant aux plaintes informait les plaignants qu’ils pouvaient communiquer d’autres informations, sans indiquer qu’ils seraient invités à le faire, et précisait clairement que les plaignants seraient contactés lorsque l’examen de la plainte serait terminé. Les Procédures d’examen prévoient que le directeur exécutif peut informer le plaignant lorsqu’une affaire est déférée à un comité d’examen (au para 12.5), mais n’impose aucune obligation à cet égard.

[221] Le professeur Scott atteste que les plaignants n’ont reçu qu’une réponse type de la part du CCM, laquelle indiquait, sans mention d’une date limite, qu’ils pouvaient soumettre d’autres renseignements au CCM et qu’ils recevraient d’autres communications une fois l’examen des plaintes terminé. Le professeur Scott affirme que le CCM n’a pas fait de suivi auprès des plaignants, qui n’ont pas été autrement invités à présenter d’autres observations ni informés des étapes du processus d’examen, et qui ne se sont pas vu offrir la possibilité de répondre aux observations du juge Spiro. Tout cela est vrai, mais ne prouve pas qu’il y ait eu atteinte à l’équité procédurale.

[222] L’obligation d’équité procédurale envers les plaignants n’exigeait pas la communication de la lettre adressée au CCM par le juge en chef de la Cour de l’impôt, des motifs de la décision du vice‐président de renvoyer la plainte ou des observations faites par le juge Spiro au vice‐président ou au Comité d’examen, de sorte que les plaignants puissent présenter des observations en réponse. Comme mentionné plus haut, la procédure du CCM, et en particulier ses étapes préliminaires, ne constitue pas un litige entre le plaignant et le juge. La fonction du CCM est d’examiner la plainte et de rechercher la vérité.

[223] Les demandeurs soutiennent, de façon plus générale, que les plaignants ont été « tenus dans l’ignorance », notamment parce qu’ils n’ont reçu que les lettres de la directrice exécutive et qu’ils n’ont pas reçu la décision du Comité d’examen en temps opportun, que les observations du professeur Scott n’ont pas été sollicitées ou analysées et qu’ils n’ont pas été avisés que le rapport Cromwell avait été soumis au Comité d’examen.

[224] Le renvoi de l’affaire par le vice‐président au Comité d’examen avait été annoncé par le CCM par communiqué de presse en janvier 2021, ce qui contredit l’allégation des demandeurs selon laquelle ils n’avaient pas même eu connaissance de la constitution d’un comité d’examen. Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une communication personnelle avec les plaignants, ces informations étaient accessibles. De plus, la réception par les plaignants des lettres de la directrice exécutive du 20 mai 2021 résumant la décision a été suivie par la publication, le 21 mai 2021, d’un communiqué de presse contenant des renseignements semblables.

[225] L’allégation des demandeurs selon laquelle, n’eût été la présente demande, le public n’aurait jamais appris la conduite du juge reprochée ou le règlement des plaintes par le CCM fait fi des nombreux communiqués publiés sur le site Web du CCM, dont ceux de janvier 2021, mai 2021 et octobre 2021 (ce dernier contenant un lien vers le rapport du Comité d’examen).

[226] En conclusion, comme je le mentionne plus haut, l’obligation d’équité procédurale incombant au CCM envers les plaignants dans les circonstances est minimale. Le CCM s’est acquitté de son obligation; les plaignants ont eu la possibilité de déposer des plaintes, lesquelles étaient détaillées; le CCM a effectué un examen et une enquête de manière impartiale dans le respect de son Règlement administratif et de ses Procédures d’examen; et le CCM a appliqué son Règlement administratif et ses Procédures d’examen en ce qui concerne les droits des plaignants, y compris en informant ceux‐ci du résultat de l’examen.


 

JUGEMENT dans le dossier T‐1005‐21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DOSSIER :

T‐1005‐21

 

INTITULÉ :

CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS, CRAIG SCOTT, LESLIE GREEN, ASSOCIATION DES AVOCATS ARABO‐CANADIENS, VOIX JUIVES INDÉPENDANTES CANADA ET ASSOCIATION CANADIENNE DES AVOCAT(E)S MUSULMAN(E)S c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, CENTRE FOR FREE EXPRESSION, ASSOCIATION CANADIENNE DES PROFESSEURES ET PROFESSEURS D’UNIVERSITÉ ET LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Alexi N. Wood, Laura MacLean et Sameha Omer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael H. Morris, Andrew Law, Elizabeth Koudys et Samantha Pillon

 

Pour le défendeur

 

Christopher D. Bredt, Ewa Krajewska et Veronica Sjolin

Pour l’intervenant DU CCM

Andrew Bernstein, Yael Bienenstock et Adrienne Oake

 

Pour l’intervenante DE B'NAI BRITH

 

David Wright, Rebecca R. Jones, Sarah Godwin et Immanuel Lanzaderas

Pour les intervenants DU CFE et DE L’ACPPU

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

St. Lawrence Barristers LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Borden Ladner Gervais s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANT DU CCM

 

Torys s.e.n.c.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANT DE B'NAI BRITH

 

Ryder Wright Blair & Holmes LLP

Toronto (Ontario)

Association canadienne des professeures et professeurs d’université

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTERVENANTS DU CFE ET DE L’ACPPU

 

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