Date : 20220719
Dossier : IMM-6757-21
Référence : 2022 CF 1066
Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2022
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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Renata ORTIZ ORTIZ
Daniela Guadalu PASILLAS ORTIZ
Emiliano PASILLAS ORTIZ
Santiago Emmanu PASILLAS ORTIZ
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demandeurs
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et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Les demandeurs, Mme Renata Ortiz Ortiz et ses trois enfants mineurs de 12, 10 et 6 ans, sont citoyens du Mexique et demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 31 août 2021 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rendue le 6 janvier 2020. Dans sa demande d’asile, Mme Ortiz a allégué craindre les membres du cartel Jalisco Nueva Generación [CJNG] parce qu’elle a été la cible d’extorsion de leur part à deux reprises. La question à trancher par la SPR et la SAR était celle de la possibilité de refuge intérieur [PRI] à Campeche ou à Mérida.
[2] Après avoir procédé à l’analyse à deux volets nécessaire pour établir l’existence d’une PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam]), la SAR a conclu à l’existence d’une PRI viable et a donc rejeté l’appel des demandeurs. Ayant entendu les parties et pris connaissance de leurs observations, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.
II.
Contexte
[3] Mme Ortiz est née à Aguascalientes au Mexique et est mère monoparentale depuis 2015. En septembre 2010, Mme Ortiz a commencé à exploiter un supermarché avec son père et sa sœur. Le 1er décembre 2014, trois hommes armés sont entrés dans le supermarché alors que son père y travaillait et ont exigé qu’il leur verse de l’argent pour continuer à exploiter le supermarché. Ils ne se sont pas identifiés, mais ils ont averti le père de Mme Ortiz qu’ils passeraient prochainement collecter la somme de cinq mille pesos. Le 10 décembre 2014, les trois mêmes hommes se sont présentés de nouveau au supermarché afin de collecter l’argent. Lorsque son père a refusé d’obtempérer, les hommes l’ont menacé avec un couteau et se sont identifiés comme étant des membres du CJNG. Le père de Mme Ortiz leur a donné cinq mille pesos de la caisse du supermarché. Après cet incident, des membres du CJNG se sont présentés au supermarché à la fin de tous les mois pour collecter de l’argent. En avril 2017, Mme Ortiz et son père n’étaient plus en mesure de payer le montant mensuel exigé par le CJNG. Ils ont alors décidé de fermer le supermarché, mais les membres du CJNG ont tout de même continué à extorquer de l’argent au père, qui payait avec ses revenus de chauffeur de taxi. En janvier 2019, le père de Mme Ortiz n’a plus eu les moyens de payer le CJNG, alors il a déménagé et a exploité son taxi dans un autre secteur. Le 4 février 2019, Mme Ortiz s’est fait intercepter par un homme agressif qui l’a menacée de mort si elle ne continuait pas de payer.
[4] Le 5 mai 2019, Mme Ortiz a décidé de quitter le Mexique et s’est rendue au Canada avec ses enfants en avion; son père n’a pas pu monter à bord de l’avion parce que son autorisation de voyage électronique du Canada avait été annulée. Le 15 juin 2019, un membre du CJNG aurait menacé son père, qui se trouvait toujours à Aguascalientes, pour lui extorquer de l’argent. À la suite de cet incident, le père de Mme Ortiz aurait déménagé à San Luis Potosí, qui se trouve à un peu plus de deux heures de route d’Aguascalientes. Le 4 juillet 2019, un homme s’est présenté chez la mère de Mme Ortiz et a demandé où se trouvait Mme Ortiz, menaçant de continuer de la chercher jusqu’à ce qu’ils la trouvent et la tuent. Après cet incident, sa mère a déménagé chez son autre fille, toujours à Aguascalientes.
[5] La SPR a conclu que les allégations des demandeurs étaient crédibles et qu’ils ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Ortiz était propriétaire d’un supermarché avec son père, lequel détenait aussi un permis de taxi, qu’ils ont été victimes d’extorsion de la part de membres du CJNG, qu’ils ont fermé leur commerce en avril 2017 parce qu’ils n’avaient plus les moyens de payer le CJNG, que Mme Ortiz a été menacée d’extorsion deux ans plus tard en février 2019 et que sa mère a reçu la visite d’un des membres du CJNG qui recherchait Mme Ortiz. Toutefois, la SPR a conclu que Mme Ortiz n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son père avait été retrouvé et menacé par le CJNG dans son taxi en 2019 et qu’il avait dû déménager à San Luis Potosí, en raison d’une contradiction entre le témoignage de Mme Ortiz, son formulaire de demande d’asile et la lettre présentée par son père relatant ces incidents. Cette dernière conclusion a eu des répercussions sur le premier volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam, soit le risque sérieux de persécution dans les PRI proposées.
[6] Selon la SPR, le CJNG n’avait pas la volonté, ni même la capacité très étendue, de retracer Mme Ortiz dans les PRI proposées. Puisqu’elle n’a accordé aucun poids à la lettre du père de Mme Ortiz relatant les incidents de 2019, la SPR a conclu qu’il n’avait pas été menacé ni contacté par des membres du CJNG. De plus, la SPR a noté que Mme Ortiz avait continué à travailler et à vivre chez sa mère trois mois après l’incident du 4 février 2019 et qu’elle n’avait jamais été recontactée par des membres du CJNG, que la mère de Mme Ortiz n’avait pas été contactée après avoir déménagé chez son autre fille et que cette dernière n’avait jamais été menacée par des membres du CJNG. En ce qui concerne le caractère raisonnable des PRI proposées, la SPR a conclu que la relocalisation des demandeurs dans celles-ci ne mettrait pas en péril leur vie ou leur sécurité. La SPR a noté que Mme Ortiz n’avait pas soulevé d’autres facteurs qui rendraient impossible la relocalisation dans les PRI proposées, sauf la difficulté à laquelle elle ferait face pour se trouver un emploi. La SPR a pris en considération ses nombreuses années d’expérience de travail et sa situation de mère monoparentale avant de conclure qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de se relocaliser dans les PRI proposées.
[7] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs une première fois dans une décision datée du 23 février 2021 qui a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire sur consentement des parties et a ordonné que le dossier des demandeurs soit renvoyé pour qu’il soit examiné de nouveau par une autre formation de la SAR (Renata Ortiz Ortiz et al c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (12 mai 2021), Ottawa IMM-1816-21 (CF)).
[8] Dans sa décision datée du 31 août 2021, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs, confirmant la décision de la SPR. Selon les demandeurs, la SPR avait commis une erreur dans son analyse en n’appliquant pas les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [Directives] et en n’analysant pas la demande d’asile au regard de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Selon la SAR, les demandeurs n’ont pas démontré comment la SPR n’a pas appliqué les Directives. La SAR a aussi conclu que, de toute manière, Mme Ortiz « n’a pas allégué devant la SPR son appartenance à ce groupe social particulier comme motif de persécution. Ni non plus dans son mémoire devant la SAR. »
Ainsi, la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse au regard de l’article 96.
[9] Ensuite, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur en concluant que le CJNG n’avait pas démontré d’intérêt à retrouver Mme Ortiz puisqu’il n’avait pas menacé de membres de sa famille depuis juillet 2019. La SAR n’a pas été convaincue par cet argument. À l’instar de la SPR, elle a conclu que ce laps de temps – qui, à la date de la décision de la SAR, était de plus de deux ans – était suffisamment long pour démontrer le manque d’intérêt de la part du CJNG envers les demandeurs, d’autant plus que ces derniers n’ont déposé aucun nouvel élément de preuve pouvant indiquer que le CJNG avait depuis démontré de l’intérêt envers les membres de leur famille se trouvant toujours au Mexique. De plus, la SAR n’a pas cru que le CJNG prendrait du temps et dépenserait de l’argent pour les retrouver dans des villes éloignées, puisque les demandeurs n’ont pas porté plainte contre le cartel, qu’ils n’ont pas de dettes importantes envers lui et que les membres du CJNG pourraient tout simplement extorquer de l’argent à d’autres commerçants locaux.
[10] En ce qui concerne le caractère raisonnable des PRI proposées, la SAR a fait observer que les demandeurs n’avaient pas contesté précisément dans leur mémoire la décision de la SPR sur ce point et elle a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son analyse.
III.
Question en litige et norme de contrôle
[11] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : est-ce que la décision de la SAR est raisonnable? Plus précisément, la SAR a-t-elle commis une erreur dans son analyse concernant l’article 96 de la LIPR et l’existence d’une PRI?
[12] La norme de contrôle applicable au contrôle de la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]). Le rôle de la cour est donc de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable, c’est-à-dire si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov aux para 85-86).
IV.
Analyse
A.
La SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse des motifs de persécution au regard de l’article 96 de la LIPR
[13] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont allégué, devant la SPR et dans leur mémoire soumis à la SAR, un motif de persécution prévu à l’article 96, soit la crainte d’être persécuté du fait de l’appartenance de Mme Ortiz à un groupe social en tant que femme, et que la SAR a omis d’analyser leur demande d’asile sous cet angle. Ils soutiennent de plus qu’il ne leur incombait pas de préciser les motifs de persécution (Duversin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 466 au para 34 [Duversin]).
[14] Devant la SAR, les demandeurs ont fait valoir que la SPR n’avait pas appliqué les Directives et que ceci indiquait qu’elle n’avait pas analysé la demande au regard de l’article 96 de la LIPR. La SAR n’a pas été convaincue par cet argument :
[23] […] À l’analyse de l’ensemble du dossier, je ne vois pas, pour ma part, en quoi la SPR aurait erré à ce sujet. Notamment, je constate que, bien que l’appelante soit une femme, elle n’a pas allégué devant la SPR son appartenance à ce groupe social particulier comme motif de persécution. Ni non plus dans son mémoire devant la SAR.
[24] En conséquence, le fait que la SPR n’ait pas analysé spécifiquement la demande d’asile sous l’angle de l’article 96 de la Loi ne constitue pas une erreur de sa part, comme le soumettent les appelants.
[15] Mme Ortiz fait valoir que le SAR aurait dû examiner la question au regard de l’article 96 simplement parce qu’elle était une femme et que la violence qu’elle risquait de subir en raison du fait qu’elle était une femme faisait partie des faits sous-jacents à leur demande, sans qu’elle soit tenue d’affirmer qu’elle craignait d’être persécutée en raison de son appartenance à ce groupe social. Cela ne peut pas être juste, et Mme Ortiz n’a fourni aucun élément concret étayant une telle affirmation.
[16] Dans la décision Duversin, citée par les demandeurs, la juge Gagné affirme que « les demanderesses ont indiqué à la question 2b) de leur FDA qu’elles craignaient être enlevées, violées, et tuées par les adversaires politiques et qu’elles ont produit une preuve documentaire fiable qui démontre que les femmes haïtiennes font régulièrement face à de la violence sexuelle »
(Duversin au para 34). C’est pourquoi elle a jugé que l’analyse du risque de persécution au regard de l’article 96 devait être faite par le tribunal. En effet, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 745, la Cour suprême du Canada a noté qu’il incombait « à l’examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies »
et ce, même si les motifs n’ont pas été soulevés par le demandeur pendant l’audience. Toutefois, « [c]ette évaluation doit […] être faite en fonction des faits allégés par les demandeurs »
(Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445 au para 37).
[17] En l’espèce, les demandeurs n’ont pas allégué la persécution fondée sur le sexe de Mme Ortiz et les faits allégués ne démontrent pas qu’elle était visée par les membres du CJNG au motif qu’elle était une femme. Ainsi, je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en omettant d’effectuer une analyse au regard de l’article 96 de la LIPR.
B.
La SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la PRI
[18] Pour démontrer l’existence d’une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, (1) que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la PRI proposée et (2) qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris la situation personnelle du demandeur, que le demandeur se relocalise à cet endroit (Rasaratnam à la p 710).
[19] Les demandeurs soutiennent que, puisque la SPR et la SAR ont conclu que leurs allégations étaient crédibles, qu’ils bénéficient de la présomption de véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CF) à la p 305) et que la preuve documentaire objective démontre la capacité du CJNG de les retrouver dans les PRI proposées.
[20] Je ne suis pas d’accord. Premièrement, le fait que la SAR juge crédible le témoignage de Mme Ortiz et de sa famille ne signifie pas automatiquement que les suppositions quant au risque futur, dont il n’existe aucune preuve, doivent également être jugées crédibles et tenues pour acquises.
[21] De plus, les demandeurs ont produit avec leur affidavit déposé à l’appui du présent contrôle judiciaire la Réponse aux demandes d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 8 septembre 2021 provenant du Cartable national de documentation [CND] du 29 septembre 2021, laquelle est donc postérieure à la décision de la SAR du 31 août 2021. Ce document ajouté au CND seulement huit jours après la décision de la SAR confirme, apparemment pour la première fois, que le CJNG est présent dans les deux PRI proposées.
[22] En règle générale, l’examen d’une décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire ne peut se faire qu’à la lumière des éléments dont disposait le décideur au moment où il a pris la décision, sauf (1) lorsque les nouveaux éléments de preuve contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui ne vont pas plus loin en fournissant de nouveaux éléments de preuve se rapportant au fond de la question, (2) lorsqu’ils font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée ou (3) lorsqu’ils portent à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif (Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20).
[23] Les demandeurs invoquent la deuxième exception à la règle générale, à savoir l’absence totale de preuve sur la question de savoir si le CJNG était présent dans les régions des PRI proposées. Selon les demandeurs, cette lacune devrait justifier l’annulation de la décision de la SAR et le renvoi de l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau à la lumière de la preuve objective plus récente en ce qui concerne la présence du CJNG dans les PRI proposées. Je ne peux être en accord avec les demandeurs puisque la plus récente preuve objective de la présence du CJNG dans les PRI proposées ne se rapporte pas à une conclusion déterminée de la SAR. La question déterminante pour la SAR n’était pas celle de la capacité du CJNG de poursuivre Mme Ortiz, mais plutôt l’intérêt et la motivation du cartel de poursuivre Mme Ortiz et, à aucun moment, la SAR n’est arrivée à la conclusion que le CJNG n’était pas présent dans les PRI proposées.
[24] Les demandeurs soulignent qu’il est constaté dans la décision de la SPR qu’il n’y a pas de preuve de la présence du CJNG dans les PRI proposées et elle soutient que la décision de la SAR doit être interprétée sur la base de cette conclusion préliminaire. Encore une fois, je ne peux être d’accord avec les demandeurs. Les questions soumises à la SPR et à la première formation de la SAR portaient sur la capacité et la motivation du cartel de poursuivre Mme Ortiz. La deuxième formation de la SAR n’a pas examiné la question de la capacité du cartel, et ne s’est donc pas penchée sur la question de savoir si le CJNG était présent dans les PRI proposées. Elle s’est plutôt concentrée sur les questions de l’intérêt et de la motivation de poursuivre Mme Ortiz dans les PRI proposées.
[25] Il convient de faire une distinction entre la capacité de l’agent de persécution de poursuivre sa cible et son intérêt ou sa motivation de le faire (Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 13 [Leon]). Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que la mise au jour de preuves objectives plus récentes montrant l’activité du CJNG dans les PRI proposées soit liée à une conclusion déterminée de la SAR.
[26] De toute manière, cette preuve documentaire ne fait qu’établir que le CJNG a la capacité de retrouver des personnes lorsqu’il a une « très forte motivation » de le faire, en raison de rivalités personnelles, de motivations politiques, de vengeances personnelles ou de trahisons présumées, etc. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que les membres du CJNG avaient la motivation de les retrouver dans les PRI proposées. L’absence de preuve démontrant que les agents de persécution ont déployé des efforts pour tenter de retrouver les demandeurs est un élément suffisant pour appuyer une conclusion voulant que ces agents n’ont pas d’intérêt continu à les poursuivre dans les PRI proposées (Leon au para 16; Gonzalez Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1013 au para 10; Gutierrez Molina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1404 aux para 33-34). Le fait que les membres du CJNG ont extorqué de l’argent à Mme Ortiz et à son père dans le passé ne démontre pas leur motivation de le faire dans le futur dans d’autres villes du Mexique. De plus, contrairement à ce que les demandeurs prétendent, la SAR n’a pas fait ses propres conjectures quant à la façon dont les incidents se sont réellement déroulés. La SAR a retenu les allégations de Mme Ortiz, mais elles n’étaient pas suffisantes pour démontrer la motivation des membres du CJNG de la retrouver dans les PRI proposées.
[27] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que le temps s’étant écoulé depuis la dernière fois que des membres de la famille des demandeurs ont été menacés par le CJNG était suffisamment long pour démontrer le manque d’intérêt de leur part. Selon les demandeurs, le fait qu’ils ont été persécutés antérieurement est suffisant pour donner des motifs de croire que cette situation pourrait toujours exister (renvoyant à Natynczyk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 914 au para 71). Cependant, pour l’analyse de l’existence d’une PRI, la question est de savoir si l’agent persécuteur a la motivation et les moyens de retrouver le demandeur afin de démontrer l’existence d’un risque prospectif, et comme je l’ai déjà indiqué, les demandeurs n’ont pas établi que le CJNG avait la volonté de les retrouver.
[28] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, les demandeurs soutiennent que la SAR a omis de considérer la preuve documentaire objective qui fait état de la discrimination à l’embauche dont font l’objet les femmes vivant seules. À leur avis, la décision de la SAR quant à la possibilité pour Mme Ortiz de se trouver un emploi dans les PRI proposées est déraisonnable.
[29] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration fait valoir que les demandeurs n’ont pas contesté précisément la décision de la SPR sur ce point dans leur mémoire présenté à la SAR et qu’il ne peut s’agir d’un motif d’intervention pour la Cour. De toute manière, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR soit déraisonnable. La SAR a conclu qu’elle ne voyait pas « où la SPR aurait erré à ce sujet »
puisque les demandeurs n’ont fait part d’aucun élément démontrant qu’il serait objectivement déraisonnable pour eux de s’établir dans les villes de Campeche ou de Mérida. La SPR avait pris en considération la situation de mère monoparentale de la demanderesse avant de conclure qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de se relocaliser dans les PRI proposées. En effet, afin de déterminer ce qui constituerait une PRI déraisonnable, il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF) au para 15).
V.
Conclusion
[30] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la SAR ait commis une erreur dans sa décision qui justifierait l’intervention de la Cour. Je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT au dossier IMM-6757-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
« Peter G. Pamel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6757-21
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INTITULÉ :
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RENATA ORTIZ ORTIZ, DANIELA GUADALU PASILLAS ORTIZ, EMILIANO PASILLAS ORTIZ, SANTIAGO EMMANU PASILLAS ORTIZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 mai 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PAMEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 19 juillet 2022
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COMPARUTIONS :
Me Susan Ramirez
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Pour leS demandeurS
|
Me Suzon Létourneau
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Susan Ramirez, avocate
Montréal (Québec)
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Pour leS demandeurS
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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