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Date : 20050225

Dossier : IMM-5177-04

Référence : 2005 CF 301

ENTRE :

NIMAL KARUNADAS SAMARAKKODIGE

KAMBAKARAGE SEETHA SAMARAKKODY

THARIKA THEJANI SAMARAKKODIGE

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                          - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en conformité avec le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 18 mai 2004, dans laquelle la Commission a décidé que les demandeurs n'avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.


[2]                Les demandeurs sollicitent une ordonnance de certiorari annulant la décision de la Commission de ne pas reconnaître qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger aux demandeurs.

Contexte

[3]                Les demandeurs, Nimal Karundas Samarakkodige (le demandeur principal), Kambakkarage Seetha Samarakkody et Tharika Thejani Samarrakkodige (son épouse et son enfant respectivement) sont des citoyens du Sri Lanka qui allèguent craindre d'être persécutés du fait des opinions politiques du demandeur principal.

[4]                Le demandeur principal allègue craindre les membres et les sympathisants du Front national uni (UNF), une coalition de partis dirigée par le Parti national uni (UNP), et des « personnages clandestins » recrutés par des partis politiques pour assassiner des personnalités politiques.

[5]                Le demandeur principal a commencé à s'engager activement en politique en 1989, lorsqu'il a appuyé le Parti sri-lankais de la liberté. En 1993, ce parti et plusieurs autres se sont regroupés pour former l'Alliance populaire (PA). Il a milité activement pour la PA aux élections générales de 1994 et d'octobre 2000 que l'Alliance a remportées les deux fois.


[6]                L'UNP a remporté les élections de décembre 2001 et, par la suite, la violence contre les membres de la PA s'est accrue. Il est allégué que la police se range généralement du côté du pouvoir. Vers janvier 2002, après les élections, le demandeur principal a commencé à recevoir des menaces par courrier et par téléphone. Il y avait tellement de violence à l'époque qu'il n'a pas signalé ces menaces à la police. Il a commencé à songer à quitter le pays et à préparer les documents de voyage de sa famille. Toutefois, des obligations familiales, notamment la maladie de son père et sa mort subséquente l'ont empêché de partir tout de suite. En outre, sa mère vivait avec lui et il devait d'abord prendre des dispositions pour elle.

[7]                Le demandeur principal allègue que, le 13 décembre 2002, un « personnage clandestin » connu l'a interpellé, agressé verbalement, forcé à monter dans sa voiture, menacé, puis relâché. Il a porté plainte à la police en nommant son agresseur, qui n'a cependant pas été arrêté. Apeurés, les demandeurs ont quitté le Sri Lanka pour le Canada le 20 décembre 2002, et ils ont demandé l'asile en février 2003.


[8]                Le demandeur principal a d'abord déclaré, en avril 2003, qu'il croyait que sa vie, ainsi que celle de sa famille, était menacée parce que l'UNP était au pouvoir et que, à cause des problèmes que posaient les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul, la situation politique était dangereuse au Sri Lanka. Vu l'évolution de la situation, notamment la victoire de l'UPFA (l'ancienne PA formée en grande partie par le Parti sri-lankais de la liberté) aux élections du 2 avril 2004, le demandeur principal a soutenu qu'en raison de son passé, de son expérience et de sa volonté politique, les demandeurs seraient toujours exposés à une menace à leur vie s'ils devaient retourner au Sri Lanka.

Motifs de la Commission

[9]                La Commission a décidé qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que les demandeurs craignaient avec raison d'être persécutés pour l'un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. De plus, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des personnes à protéger.

[10]            Compte tenu de la preuve produite, la Commission a reconnu que le père du demandeur principal était décédé le 8 avril 2002, que le demandeur avait soutenu le Parti sri-lankais de la liberté (PA) jusqu'à son départ du Sri Lanka, le 20 décembre 2002, et qu'il avait porté plainte à la police le 13 décembre 2002.

[11]            La Commission a conclu que, pendant l'audience, le demandeur principal avait essayé d'enjoliver sa demande en ce qui concerne ses activités politiques de la fin de 1994 jusqu'au moment de son départ du Sri Lanka, en décembre 2002, et elle a conclu que les rôles et activités qu'il s'était attribués pendant l'audience n'étaient tout simplement pas crédibles.

[12]            La Commission a mentionné que le demandeur principal s'était souvent réclamé à nouveau de la protection du Sri Lanka entre 1994 et octobre 2001, sans qu'il n'y ait aucune indication de violence à l'égard du demandeur alors même que la violence sévissait en période électorale au Sri Lanka, même si le demandeur prétendait avoir milité activement pour la PA pendant les élections de 1994 et avoir appuyé ce parti pendant les élections d'octobre 2000 et de décembre 2001.

[13]            La Commission a souligné que le demandeur principal s'était rendu au Canada et dans d'autres pays en 1996, en 2000 et en 2001, et qu'il n'avait jamais demandé l'asile pendant ces voyages. En outre, même si le demandeur principal avait dit que la violence politique avait pris des proportions alarmantes et que la police ne pouvait pas protéger les gens, il n'avait pas craint pour sa vie avant janvier 2002, soit après l'élection de décembre 2001.


[14]            La Commission a tiré une conclusion négative relativement à la crédibilité du témoignage du demandeur principal concernant sa participation à la politique en se fondant sur i) la déclaration du demandeur principal selon laquelle il avait surtout participé aux élections de 1994, ii) le fait qu'il n'avait pas mentionné, dans l'exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (FRP) et qu'il n'était pas inscrit, dans les notes prises pendant l'entrevue d'immigration, qu'il avait participé activement à la politique par la suite, iii) l'absence d'explications raisonnables des contradictions et des omissions. La Commission a donc également conclu que le profil du demandeur principal n'aurait pas fait de lui la cible qu'il prétendait être après les élections de décembre 2001. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur principal n'était menacé par personne pour des raisons politiques quand il a quitté le Sri Lanka et qu'il avait préparé ses allégations pour étayer une demande de protection non fondée.

[15]            La Commission a rejeté la prétention du demandeur principal selon laquelle, en 2001, ses opposants avaient voulu lui soutirer des renseignements concernant les méthodes politiques fructueuses qu'il avait employées, même si son parti avait perdu les récentes élections et que le demandeur n'avait jamais été incommodé auparavant, pendant qu'il s'engageait activement dans son parti et alors que le parti avait gagné ses élections. La Commission a donc conclu que le témoignage du demandeur concernant les menaces qu'il avait reçues après la défaite électorale de décembre 2001 n'était pas crédible et qu'en fait, il avait fabriqué ces menaces pour appuyer une demande de protection non fondée. La Commission a donc jugé que la menace écrite de deux lignes et la menace d'une seule ligne présentées en preuve n'étaient pas authentiques.

[16]            La Commission a également déclaré qu'il n'était pas raisonnable pour les demandeurs d'avoir attendu jusqu'en octobre 2002 pour présenter une demande de visas de visiteur puisque le demandeur principal alléguait avoir commencé à faire l'objet de menaces en janvier 2002.


[17]            La Commission a conclu qu'il était déraisonnable pour le demandeur principal de ne pas avoir mentionné précisément l'événement qui aurait précipité sa décision définitive de quitter le Sri Lanka aux agents d'immigration, lors de son entrevue. La Commission n'a pas accepté l'explication du demandeur principal selon laquelle il avait donné des réponses brèves parce qu'il croyait pouvoir fournir des précisions plus tard. La Commission a reconnu que l'incident du 13 décembre 2002 s'était réellement produit, mais elle a conclu qu'il n'avait rien à voir avec la politique.

[18]            La Commission a également conclu que le fait que le demandeur principal n'ait pas mentionné le prétendu motif pour lequel il aurait été enlevé et détenu le 13 décembre 2002 dans le rapport de police alors qu'il avait décrit ce que ses attaquants lui avaient dit nuisait gravement à sa crédibilité.

[19]            La Commission a conclu, après avoir examiné tous les éléments de preuve, que la demande de protection tardive du demandeur principal n'étayait pas l'existence d'une crainte subjective de persécution et nuisait davantage encore à sa crédibilité. La Commission a également relevé les contradictions entre le témoignage du demandeur principal et l'exposé circonstancié de son FRP sur des questions importantes.


[20]            Après avoir examiné brièvement certains renseignements contenus dans la preuve documentaire, ainsi que les allégations du demandeur principal concernant le fait qu'il ne serait pas en sécurité s'il devait retourner au Sri Lanka, à cause de ses activités politiques passées et des appels anonymes que sa mère avait reçus concernant le lieu où se trouvaient le demandeur et sa famille, la Commission a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque s'ils étaient renvoyés au Sri Lanka. La Commission a dit que :

Le tribunal tient toutefois compte des articles récents présentés à l'audience des demandeurs d'asile qui confirment les allégations du demandeur d'asile principal selon lesquelles la violence a continué entre le parti au pouvoir et des sympathisants de l'opposition après l'élection d'avril 2004, et qu'elle a fait des morts. Cependant, le tribunal constate également que, d'après les articles, la police mène des enquêtes, ses rangs sont renforcés par des soldats, si nécessaire, et des personnes impliquées dans plusieurs incidents violents ont été arrêtées et placées en détention. De plus, un porte-parole du gouvernement a déclaré ceci : « Nous punirons sévèrement les fonctionnaires pris en défaut de partialité ou de manquement à leur devoir. » Le tribunal accepte le fait que certains dirigeants politiques aient été victimes de graves préjudices après l'élection d'avril 2004 mais conclut néanmoins qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que le demandeur d'asile principal comptait parmi les dirigeants de la PA dans sa région après 1994.

Étant donné tout ce qui précède, même après avoir tenu compte des bouleversements actuels au Sri Lanka, le tribunal conclut qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que le demandeur d'asile principal, qui est membre de la PA, qui gouverne à présent, craint avec raison d'être persécuté au Sri Lanka aujourd'hui, le tribunal estimant, de plus, que le demandeur d'asile principal n'est pas particulièrement actif politiquement depuis 1994. Le tribunal en arrive aussi à cette conclusion après avoir établi que le demandeur d'asile principal n'est pas un témoin crédible. De plus, ayant déterminé que le demandeur d'asile principal n'est pas crédible, le tribunal n'accepte pas son témoignage selon lequel sa mère a reçu des menaces téléphoniques à son sujet, et il conclut que le demandeur d'asile principal cherche par ce témoignage à étayer sa demande d'asile.

Questions en litige

[21]            1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas régulièrement la demande des demandeurs en vertu de l'article 97 de la LIPR, précité?


Observations des demandeurs

[22]            Les inférences

Les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur en fondant sa décision en matière de crédibilité notamment sur le fait que le demandeur principal n'avait pas mentionné, dans le rapport de police concernant l'incident du 13 décembre 2002, que les sympathisants de l'opposition tentaient d'obtenir des renseignements précis concernant les méthodes politiques qu'il avait utilisées pour remporter les élections. Le demandeur principal n'a jamais dit, dans son témoignage, que lors de l'incident du 13 décembre 2002, des individus lui avaient posé des questions concernant les méthodes politiques qu'il avait employées pour remporter les élections. Le commissaire a demandé au demandeur principal de conjecturer sur les motifs de l'incident du 13 décembre, puis il a tiré une conclusion négative du fait que le demandeur principal n'avait pas mentionné cette réponse spéculative dans le rapport de police concernant l'incident du 13 décembre 2002.


[23]            Les demandeurs font également valoir qu'il s'agissait en fait d'une conclusion défavorable en matière de vraisemblance. Cependant, les faits en cause ne permettent pas de tirer facilement une telle conclusion (voir Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, 2001 CFPI 776). Il ne s'agit pas non plus d'une affaire dans laquelle il y a des sources ou des détails indépendants tirés de l'expérience personnelle d'un commissaire de la Commission qui permettent d'étayer une conclusion défavorable en matière de vraisemblance.

[24]            La Commission s'est fondée sur une preuve jugée non crédible

La Commission a commis une erreur en disant : « [...] qu'il n'existe pas assez d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que cet incident (du 13 décembre 2002) s'est produit pour des raisons politiques » , tout en reconnaissant que le rapport de police était authentique. Le rapport de police disait notamment : [traduction] « Il [Nevil Perera] a dit qu'ils avaient beaucoup souffert avec leurs chefs à cause de mes activités auprès de l'ancien gouvernement et que je devais, à mon tour, souffrir avec les miens » .

[25]            Les demandeurs prétendent également que la Commission a commis une autre erreur en déclarant que le demandeur principal avait inventé les motifs politiques sur lesquels était fondée l'attaque du 13 décembre 2002 quand il est arrivé au Canada et qu'il avait présenté sa demande d'asile « [...] pour étayer sa demande et expliquer pourquoi il a quitté le Sri Lanka en décembre 2002 et pas beaucoup plus tôt » . Les demandeurs soutiennent que la Commission a donc tiré une conclusion selon laquelle le demandeur principal avait inventé, après le 20 décembre 2002, une déclaration qui avait été faite, en réalité, le 13 décembre 2002.

[26]            Notes prises pendant l'entrevue d'immigration

Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en mentionnant la déclaration du demandeur principal aux agents d'immigration et en se fondant sur telle déclaration puisque la déclaration ne figure pas au dossier. Les notes de l'agent sont ses notes et ne sont pas une déclaration écrite du demandeur principal. Rien n'indique qu'au moment de l'entrevue, les notes ont été remises au demandeur principal pour qu'il ait l'occasion de présenter ses observations sur leur précision ou leur intégralité.

[27]            Les demandeurs prétendent également que la Commission a commis une erreur en mentionnant que l'incident du 13 décembre 2002 ne figurait pas dans les notes de l'agent. En fait, les notes disaient :

[TRADUCTION]

Le demandeur a reçu des menaces écrites du Parti national uni (le gouvernement actuel) puisqu'il avait appuyé le régime antérieur - l'Alliance populaire. Une menace a été proférée en personne et les autres messages menaçants étaient anonymes. Le demandeur n'a pas précisé le contenu des messages quand la question lui a été posée.

L'avertissement en personne était l'incident du 13 décembre 2002. La Commission a mentionné cette partie des notes dans ses motifs.


[28]            Les demandeurs allèguent également qu'en appréciant les notes prises par l'agent d'immigration, la Commission doit tenir compte du fait que c'est l'agent et non les demandeurs qui décide du contenu de l'écrit. On ne s'attend pas à ce que quelques brèves notes relatent tous les événements (voir Thambirasa, Sakuntalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), C.F. 1re inst. no IMM-1224-98, 3 février 1999).

[29]            Les demandeurs prétendent également que le demandeur principal a déclaré qu'il avait donné quelques brèves explications lors de l'entrevue en croyant qu'il pourrait préciser sa pensée par la suite. Cela est conforme au guide de l'immigration (Demandes de protection) 1, paragraphe 8.7 qui dit que, dans le traitement des demandes d'asile au point d'entrée, « [...] [l]'agent ne peut toutefois pas exiger du demandeur d'élaborer sur les fondements de sa demande sauf pour ce qui est de renseignements ayant trait à l'admissibilité et à la recevabilité » . La Commission a donc commis une erreur en tirant une conclusion négative en matière de crédibilité.

[30]            Motifs secondaires

La Commission a commis une erreur en décidant que les demandeurs avaient eu tort de tarder à demander l'asile puisque le délai n'était pas important, n'étant que de décembre 2002 à février 2003.


[31]            Les demandeurs soutiennent également que si l'incident du 13 décembre 2002 qui a précipité la décision de quitter le Sri Lanka a été mal apprécié, le fondement et la structure des motifs ne sont plus justifiés. Dans le même ordre d'idées, si on reconnaît que le demandeur principal a fait personnellement l'objet d'une menace politique en décembre 2001, il n'y a aucune raison de remettre en question son témoignage selon lequel il avait également reçu des appels téléphoniques menaçants de même nature.

[32]            Motifs élargis de protection (article 97)

Les demandeurs font valoir que même si les conclusions en matière de crédibilité font en sorte que le demandeur n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention, au motif de l'absence de lien, cela ne permet pas de dire qu'il n'a pas qualité de personne à protéger. La Commission n'a pas suffisamment et régulièrement motivé sa décision comme elle est tenue de le faire en vertu de l'alinéa 169b) de la LIPR.

Observations du défendeur


[33]            Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle relativement à des conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable. Les erreurs alléguées par les demandeurs dans le présent contrôle judiciaire sont des conclusions en matière de vraisemblance et de crédibilité. La Commission peut tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des questions de vraisemblance, sur la logique et sur la rationalité. Ces conclusions ne sont pas assujetties au contrôle judiciaire pourvu que les inférences de la Commission ne soient pas manifestement déraisonnables (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Si la Cour décide que la Commission a commis des erreurs de fait et de droit, le défendeur fait valoir que la Commission a examiné des questions qui étaient essentiellement des questions de fait et que la norme demeure celle de la décision manifestement déraisonnable.

[34]            Le défendeur prétend que la conclusion tirée par la Commission selon laquelle le demandeur principal n'était pas crédible, qu'il avait enjolivé sa demande et que certaines allégations n'étaient pas plausibles était raisonnable et étayée par la preuve.

[35]            Les inférences

Le défendeur prétend que la Commission était fondée à conclure que le rapport de police était authentique, mais que le demandeur principal n'avait pas été arrêté en raison de ses activités politiques. La Commission a conclu que l'incident du 13 décembre 2002 n'était pas relié à la politique en se fondant sur certains facteurs, notamment : i) le demandeur principal avait beaucoup voyagé sans aucune difficulté, ii) il n'avait pas demandé à être protégé pendant ses voyages même si son parti n'était pas au pouvoir et qu'il y avait eu des actes de violence, notamment pendant l'élection de décembre 2001, iii) il n'avait jamais été blessé et n'avait pas craint pour sa vie avant janvier 2002, iv) quand il a été interrogé au sujet de sa participation, après 1994, il n'avait pas été en mesure de donner des détails et il était possible qu'il n'ait pas été au pays pendant une partie de la période qui a suivi l'élection de 1994.


[36]            Le demandeur principal a complètement omis, dans ses documents, de mentionner sa participation à la vie politique après 1994. La Commission a jugé que, s'il avait réellement été actif sur le plan de la politique après 1994, comme il le prétend maintenant, il était invraisemblable qu'il n'ait pas été victime de violence politique alors qu'il a prétendu que d'autres membres du parti l'avaient été. La Commission a conclu qu'au contraire, il avait inventé les soi-disant menaces qui l'auraient incité à quitter le Sri Lanka. La Commission a jugé que ces menaces étaient inventées parce que le demandeur avait demandé des visas pour sa famille quelque temps après lesdites menaces. Même s'il a dit que sa femme et son enfant avaient été menacés, il n'a rien fait pour les protéger. Cette incohérence, ainsi que d'autres, ont amené la Commission a tirer les conclusions qu'elle a tirées.

[37]            La Commission connaissait la déclaration faite dans le rapport de police et elle a conclu que l'incident n'était pas d'ordre politique. La Commission a donné l'occasion au demandeur principal d'expliquer les raisons qui auraient pu provoquer l'incident et elle s'est fondée sur ces explications pour en apprécier la crédibilité et la vraisemblance. Il est raisonnable de croire que lorsqu'on fait un rapport de police, les raisons pour lesquelles on a été enlevé sont des éléments importants du rapport. La Commission a conclu que le rapport de police était authentique puisqu'il avait été fait. Mais elle a jugé qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir qu'il ne s'agissait pas d'un simple incident isolé.


[38]            Notes prises pendant l'entrevue d'immigration

Le défendeur prétend que le demandeur principal ne s'est pas plaint, pendant l'audience, que l'agent d'immigration n'avait pas correctement consigné ce qu'il avait dit. Il n'y a aucune preuve qu'il ait demandé de voir les notes et qu'on ne lui ait pas permis de le faire.

[39]            Le demandeur principal a eu l'occasion de préciser le contenu de l'avertissement et il n'a pas voulu le faire et il ne l'a pas fait. Puisque l'incident du 13 décembre 2002 était, selon le demandeur principal, la raison pour laquelle lui et sa famille avaient pris l'avion pour se rendre au Canada, il était raisonnable que la Commission s'attende à ce que l'incident soit mentionné et qu'elle tire une conclusion négative au sujet du lien possible. Les faits de l'espèce se distinguent des faits de Sawyer, précité, en ce que, dans la présente affaire, l'agent lui a demandé d'expliquer et qu'il ne l'a pas fait.

[40]            Le défendeur prétend que les demandeurs veulent que la Cour apprécie de nouveau la preuve. Le défendeur prétend que la Cour n'est pas appelée à jouer ce rôle lors d'un contrôle judiciaire.

[41]            Motifs secondaires


Le défendeur prétend que la Commission pouvait raisonnablement conclure que le délai était un facteur à prendre en considération. La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas une crainte subjective d'être persécutés. Il s'agissait d'un facteur pertinent mais non déterminant.

[42]            Crainte objective

Le défendeur prétend que la Commission a conclu que le demandeur principal n'avait pas participé à la vie politique après 1994. Par conséquent, la Commission a décidé que toutes les allégations subséquentes étaient des inventions ou, dans le cas des menaces écrites, fausses. L'exposé circonstancié du FRP du demandeur principal décrivait en détail sa participation avant 1994 et ne mentionnait aucune activité par la suite.

[43]            Motifs élargis de protection (article 97)

Le défendeur prétend que la Commission pouvait conclure que, puisque le parti politique auquel le demandeur principal était affilié était au pouvoir depuis avril 2004,

qu'objectivement, le demandeur principal pouvait retourner au Sri Lanka sans crainte. Il en est particulièrement ainsi puisqu'il n'avait pas été agressé alors qu'il s'engageait activement dans la politique avant 1994.


[44]            Le défendeur prétend que la Commission n'est pas tenue d'effectuer une analyse en profondeur d'une demande fondée sur l'article 97 lorsqu'elle juge qu'il n'y a aucune preuve qui lui permettrait de conclure que les demandeurs étaient des personnes à protéger (voir De Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1388). Il aurait été préférable que la Commission mentionne qu'il n'y avait aucune preuve convaincante, mais l'erreur n'est pas significative (voir Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1604).

Dispositions législatives applicables

[45]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR définissent en ces termes les expressions « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

[. . .]

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Norme de contrôle

[46]            La norme de contrôle applicable en matière de crédibilité est celle de la décision

manifestement déraisonnable (voir Aguebor, précité et De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.)).

Analyse et décision

[47]            Question 1

La Commission a-t-elle commis une erreur quand elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention?


Le commissaire a accepté la plupart des déclarations du demandeur principal, mais il n'a pas reconnu que l'incident du 13 décembre 2002 avait eu lieu pour des raisons d'ordre politique et il n'a pas non plus reconnu que le demandeur avait été très actif sur le plan de la politique après 1994. Le commissaire n'a pas cru que l'incident du 13 décembre 2002 avait un lien avec la politique pour deux raisons. Premièrement, le rapport de police ne mentionnait pas le lien et deuxièmement, le demandeur n'avait pas mentionné ce lien dans ses déclarations à l'agent d'immigration.

[48]            Déclaration de police

Un examen de la déclaration de police révèle que le demandeur principal a mentionné que Nevil Perera avait dit que le demandeur subirait les conséquences de ses activités avec le gouvernement antérieur. Il ne dit pas précisément que Nevil Perera tentait de lui soutirer des renseignements au sujet de ses activités politiques, mais il me semble que lorsque le demandeur principal le mentionne dans la déclaration de police, sa déclaration englobe les questions de politique puisque le demandeur avait dit qu'il subirait les conséquences de ses activités auprès du gouvernement antérieur.

[49]            Notes prises par l'agent d'immigration pendant l'entrevue

La Commission a dit, dans ses motifs, que le demandeur principal avait complètement omis de mentionner l'incident du 13 décembre 2002 dans sa déclaration à l'agent. Il faut souligner que l'agent a écrit ses notes pendant qu'il interrogeait le demandeur principal. Je ne suis pas d'accord avec le commissaire quand il dit que l'incident du 13 décembre 2002 n'est pas du tout mentionné dans les notes de l'agent. Les notes renferment le passage suivant :


[TRADUCTION]

Le demandeur a reçu des menaces du Parti national uni (le gouvernement actuel) puisqu'il avait appuyé le régime antérieur - l'Alliance populaire. Une menace a été proférée en personne et les autres messages menaçants étaient anonymes. Le demandeur n'a pas précisé le contenu des messages quand la question lui a été posée.

J'estime que la menace en personne était celle du 13 décembre 2002.

[50]            En outre, le document du défendeur, PP1 Traitement des demandes de protection au Canada - Évaluer l'admissibilité - paragraphe 8.7, dit :

Questions pertinentesL'agent pose au demandeur les questions habituelles sur la demande d'asile et consigne les réponses [...] L'agent ne peut toutefois pas exiger du demandeur d'élaborer sur les fondements de sa demande sauf pour ce qui est de renseignements ayant trait à l'admissibilité et à la recevabilité. Il n'incombe pas à l'agent de déterminer la crédibilité de la demande d'asile.

J'estime que cela indique que les renseignements inscrits dans les notes de l'agent d'immigration ne contiennent vraisemblablement pas tous les détails de la demande du demandeur principal.

[51]            Dans Valtchev, précité, le juge Muldoon a dit notamment :

[...] Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend [...]


[52]            J'ai examiné les conclusions de la Commission au sujet de la vraisemblance de la déclaration de police et des notes de l'agent d'immigration et je ne suis pas convaincu que, compte tenu de la preuve, la Commission pouvait conclure que le demandeur principal n'était pas crédible quant aux faits. Certes, la Commission a mentionné d'autres préoccupations, mais un examen de la décision révèle que ces deux conclusions ont constitué le fondement principal de la décision selon laquelle le demandeur principal n'était pas crédible. Si la Commission n'avait pas tiré ces conclusions en matière de vraisemblance, sa position concernant la crédibilité du demandeur aurait pu être différente.

[53]            Compte tenu de ma conclusion relativement à la question 1, il ne m'est pas nécessaire d'examiner la question 2.

[54]            Je n'ai pas tenu compte des observations présentées par le demandeur après l'audience en tirant ma conclusion.

[55]            La demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie et la question renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

[56]            Les parties disposeront d'une semaine à compter de la date de la présente décision pour soumettre toute question grave de portée générale aux fins de certification et de cinq jours pour présenter leur réponse.

                                                                            _ John A. O'Keefe _              

                                                                                                     Juge                           

Ottawa (Ontario)

le 25 février 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-5177-04

INTITULÉ :                            NIMAL KARUNADAS SAMARAKKODIGE et al.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 9 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           LE 25 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

David Matas                              POUR LES DEMANDEURS

Glennys Bembridge                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                              POUR LES DEMANDEURS

Winnipeg ( Manitoba)

John H. Sims, c.r.                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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