Date : 20220713
Dossiers : IMM-4638-21
IMM-4639-21
Référence : 2022 CF 1036
Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2022
En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière
Dossier : IMM-4638-21
ENTRE :
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ESSOSSOLIM ANGE-MARIE SILIADIN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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Dossier : IMM-4638-21
ET ENTRE :
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ANGE-MARIE BRIGHT PETRO SILIADIN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire présentées par deux citoyens togolais, Ange-Marie Bright Petro Siliadin [Bright], âgé de 17 ans, et Ange-Marie Essossolim Siliadin [Essossolim], âgé de 12 ans, à l’encontre des décisions rendues le 27 mai 2021 par un agent de la Section de l’immigration au Haut-commissariat du Canada au Ghana [l’Agent], refusant leur demande individuelle de résidence permanente parrainée par leur père, M. Adjessonou Siliadin.
[2] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que les décisions contestées sont raisonnables et que les demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées.
I.
Faits à l’origine des présentes demandes
[3] M. Siliadin a obtenu le statut de résident permanent du Canada en 2013, dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Il est devenu citoyen canadien le 10 octobre 2018.
[4] M. Siliadin est père de 5 enfants, tous citoyens du Togo. M. Siliadin cherchait à parrainer son épouse, connue sous le prénom de Véronique, leurs trois enfants, ainsi que ses fils, Bright et Essossolim [les demandeurs], issus de mères différentes qui n’ont pas d’intérêt à entrer au Canada.
[5] Lorsque M. Siliadin a fait sa demande de résidence permanente, il n’a mentionné ni enfant ni conjointe. Ce faisant, en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], l’épouse de M. Siliadin et tous ses enfants n’appartenaient pas à la catégorie du regroupement familial.
[6] Dans le cadre de leur demande de résidence permanente ou étude pour considérations humanitaires sous l'article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, les demandeurs ont présenté un affidavit de M. Siliadin daté du 19 juin 2019.
[7] L’affidavit porte principalement sur la situation personnelle de M. Siliadin. Ce dernier tente d’expliquer pourquoi il a omis de divulguer qu’il avait une épouse et des enfants au moment de faire sa demande de résidence permanente. Il exprime son grand regret d’avoir laissé sa famille se débrouiller toute seule au Togo. Il dit craindre pour la sécurité de sa famille. Selon lui, « il y a des soulèvements populaires en périodes électorales, la gendarmerie et l'armée tirent avec les balles réelles sur la population tuant par fois des innocents ».
Il indique qu’il veut « devenir un père plus présent qu’il était auparavant »
et donner à ses enfants la chance d'avoir un meilleur avenir.
[8] À l’appui des demandes, l’avocat des demandeurs invoque la réunification de la famille et l’intérêt supérieur des enfants.
II.
La décision de l’Agent
[9] L’Agent examine l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR en rendant sa décision et ne prête pas foi aux multiples explications de M. Siliadin justifiant pourquoi les membres de sa famille n’avaient pas été inclus dans sa demande de résidence permanente. L’Agent conclut que l’épouse de M. Siliadin et ses cinq enfants n’appartiennent pas à la catégorie du regroupement familial. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion.
[10] En outre, l’Agent estime que les éléments de preuve sont nettement insuffisants pour établir que les circonstances justifient la prise de mesures spéciales. L’Agent constate qu’il n’y a aucune indication que M. Siliadin ait joué un rôle quelconque dans la vie de Bright ou Essossolim ou, encore, que ces derniers connaissent des difficultés au Togo. Par ailleurs, il constate qu’il n’y a aucune preuve quant au soutien financier qui aurait été accordé par M. Siliadin à ses enfants depuis 2009, autre que des « chats »
qui reflètent que des transferts d’argent auraient été effectués en 2018 et 2019 par l’entremise de personnes interposées. L’Agent note qu’aucun relevé bancaire ou autre document financier venant établir des retraits ou des dépôts d’argent n’a été produit.
[11] L’Agent conclut qu’à la lumière des dossiers, tels que constitués, les demandes des demandeurs pour considérations d’ordre humanitaire doivent être refusées.
[12] Les demandeurs estiment que la demande de parrainage aurait dû être accueillie en raison de motifs humanitaires. Ils allèguent que la décision refusant leur demande de résidence permanente est déraisonnable, car l’Agent a omis de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants, à savoir leur intérêt, et a fait preuve d’un raisonnement circulaire en évaluant d’autres facteurs.
III.
Norme de contrôle et question en litige
[13] La norme de contrôle applicable dans un cas comme celui-ci est celle de la décision raisonnable. Cette norme est une norme déférente. Le rôle de la Cour est de s’assurer que la décision contestée, et la justification qui la sous-tend, possèdent les « attributs de la raisonnabilité »
(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 86). Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
.
IV.
Analyse
[14] Il convient de souligner que dans le cadre d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire, il incombe au demandeur de fournir tous les détails concernant sa demande, de démontrer les motifs pour lesquels il estime qu’une dispense devrait être accordée, et d’illustrer qu’il existe des motifs suffisants et convaincants afin de permettre cette dispense, tel que souligné par mon collègue le juge Andrew Little dans l’arrêt Garcia Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 321 au paragraphe 47 :
[47] Le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 [Kisana] (le juge Nadon) aux para 35, 45 et 61. Le manque d’éléments de preuve ou l’omission de renseignements utiles à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire se fait au péril du demandeur : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 [Owusu] (le juge Evans) aux para 5 et 8.
[15] Dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’Agent devait tenir compte de facteurs liés au bien-être émotionnel, social, culturel et physique des enfants. Compte tenu de la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant, cette évaluation est très contextuelle (Sibanda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 806 [Sibanda], au para 21).
[16] Or, les documents dont l’Agent était saisi contiennent fort peu de preuve au sujet des demandeurs. En fait, il n’y a aucun argumentaire particularisé sur la situation propre aux demandeurs. On ne retrouve dans le dossier qu’une courte lettre manuscrite des demandeurs adressée à leur père, et des photographies de M. Siliadin avec ses cinq enfants lors de visites au Togo en 2013, 2016 et 2019. Il n’y a aucune indication de contacts soutenus par M. Siliadin avec les demandeurs en dehors de ces périodes. Il était donc tout à fait raisonnable pour l’Agent de conclure que le dossier ne fait pas état de l’implication de M. Siliadin dans la vie des demandeurs.
[17] Les demandeurs prétendent que l’Agent s’est engagé dans un raisonnement circulaire. Selon eux, l’Agent ne s’est jamais demandé s’il serait dans leur meilleur intérêt de rester au Togo, séparés de leur père, ou qu’ils le rejoignent au Canada, en compagnie de leurs demi-frères, demi-sœurs et belle-mère.
[18] Certes, les demandes pour considérations d’ordre humanitaire « présentées en application de l’article 25 de la LIPR exigent un examen de la situation personnelle de l’étranger »
(Sibanda, au para 25). Cependant, les dossiers des demandeurs se caractérisent par une sévère pénurie de preuve à leur sujet. On ne peut reprocher à un agent de ne pas avoir tenu compte de preuve qui ne lui a pas été soumise.
[19] À l’instar de l’affaire Sibanda, M. Siliadin s’est contenté de parler de façon générale du taux de chômage élevé, de l’insécurité politique, des soins de santé prétendument déficients, et de l’espérance de vie de 45 ans plutôt que de soulever des arguments précis et fondés quant aux difficultés excessives que ses fils subiraient s’ils demeuraient au Togo. Il était donc loisible à l’Agent de refuser les demandes en l’absence complète d’éléments de preuve liés aux demandeurs.
V.
Conclusion
[20] La décision, quoique succincte, est transparente, intelligible et bien étayée par le droit et les faits pertinents. Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.
[21] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans les dossiers IMM-4638-21 et IMM-4639-21
LA COUR STATUE que :
Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées;
Aucune question n’est certifiée.
[en blanc]
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« Roger R. Lafreniѐre »
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En blanc/In blank
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Juge
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4638-21
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INTITULÉ :
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ESSOSSOLIM ANGE-MARIE SILIADIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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ET DOSSIER :
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IMM-4639-21
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INTITULÉ :
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ANGE-MARIE BRIGHT PETRO SILIADIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 22 juin 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE LAFRENIÈRE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 13 juillet 2022
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COMPARUTIONS :
Annabel E. Busbridge
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Pour leS demandeurS
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Daniel Latulippe
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
BDIA Bertrand Deslauriers, Avocats
Montréal (Québec)
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Pour leS demandeurS
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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