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Date : 20220614


Dossier : IMM-4503-21

Référence : 2022 CF 893

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

YONAS MULUGETA TEKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Yonas Mulugeta Teka est un citoyen éthiopien qui demande l’asile, car il craint d’être persécuté par l’État éthiopien à la suite de sa détention pour avoir contesté l’arrestation de sa sœur.

[2] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande du demandeur. Tant la SPR que la SAR ont conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour appuyer les allégations du demandeur et ont donc conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SAR a refusé d’admettre de « nouveaux » éléments de preuve – une lettre de soutien et un mandat d’arrestation (ou un avis de mandat d’arrestation) – conformément au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le demandeur conteste également l’évaluation de la crédibilité qu’a faite la SAR.

[4] Nul ne conteste que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 10, 25.

[5] Compte tenu des observations écrites et orales des parties ainsi que du droit applicable, je ne suis pas convaincue que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable : Vavilov, au para 100. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui suivent.

II. Analyse

A. Admissibilité de nouveaux éléments de preuve

[6] Je ne suis pas convaincue par l’argument du demandeur selon lequel la SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve parce qu’ils étaient incompatibles avec son témoignage devant la SPR, que la SAR a elle-même jugé non crédible. Au contraire, je conclus que les préoccupations de la SAR concernant la crédibilité des documents sont fondées sur les renseignements qui ressortent de ces documents, alors que les préoccupations de la SAR concernant la crédibilité du demandeur sont fondées sur l’incohérence de son témoignage. En d’autres termes, les motifs de la SAR permettent à la Cour de comprendre les raisons sur lesquelles la SAR s’est appuyée pour conclure que ces éléments n’étaient ni nouveaux ni crédibles, et la manière dont elle a traité, conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR et à la jurisprudence établie, les nouveaux éléments de preuve ou les éléments de preuve subséquents proposés : Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 438, au para 4; Ifogah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1139, au para 5.

[7] J’estime que la SAR a procédé à une analyse approfondie avant de conclure que les éléments de preuve ne satisfaisaient pas au critère de nouveauté, puisque les explications figurant dans la lettre de soutien et le mandat d’arrestation (ou l’avis) précédaient la date de l’audience devant la SPR et que le demandeur n’avait pas suffisamment expliqué pourquoi les documents n’auraient pas pu être fournis avant que la SPR ne rejette sa demande.

[8] Le demandeur soutient également que la terminologie utilisée par la SAR dans son appréciation des nouveaux éléments de preuve prêtait à confusion. Je n’en suis pas convaincue. Par ailleurs, je souligne que, dans tous les cas, les décideurs ne sont pas tenus à une norme de perfection lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov, au para 91.

[9] Enfin, je conclus que les arguments du demandeur concernant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve lors de l’appel de la décision de la SPR auprès de la SAR reviennent à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, au para 125.

B. Évaluation de la crédibilité par la SAR

[10] J’ai tenu compte des observations écrites et orales des deux parties concernant l’évaluation de la crédibilité faite par la SAR, même si le demandeur ne s’est pas strictement conformé à l’alinéa 70(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Je ne suis pas non plus convaincue que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’évaluation de la crédibilité par la SAR était déraisonnable. Je commencerai par traiter de la question préliminaire concernant le caractère opportun de l’affirmation du demandeur sur cette question, à laquelle le défendeur s’est opposé dans ses observations orales.

[11] Je constate que la seule question que le demandeur aborde dans son mémoire est celle de savoir si la SAR a mal appliqué le paragraphe 110(4) de la LIPR et a commis une erreur en jugeant inadmissibles les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. C’est plutôt dans sa réponse que le demandeur soulève pour la première fois la question de la crédibilité.

[12] Le défendeur a toutefois signifié et déposé son mémoire supplémentaire des arguments moins d’un mois avant l’audience devant la Cour. Dans ce mémoire, le défendeur ne s’est pas opposé au fait que le demandeur ait soulevé la question de la crédibilité dans sa réponse. En fait, il a répondu aux arguments du demandeur concernant cette question dans ses observations écrites et orales.

[13] Je conclus donc que l’objection du défendeur à cet égard n’est pas opportune.

[14] Cela dit, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur les éléments de preuve qu’elle n’était pas disposée à admettre pour attaquer la crédibilité du demandeur : Munyakayanza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16076 (CF), au para 31. Comme je l’ai déjà mentionné, à mon avis, les préoccupations de la SAR concernant la crédibilité du demandeur sont fondées sur l’incohérence de son témoignage.

[15] De plus, l’énumération que fait le demandeur des erreurs de la SAR s’apparente à « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Vavilov, au para 102. Je conclus que les erreurs soulevées sont mineures et ne compromettent pas le caractère raisonnable de la décision : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 946, au para 26, citant Martinez Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1504, au para 20. De plus, à mon avis, le demandeur cherche à isoler les erreurs alléguées de leur contexte dans les motifs de la SAR. Par exemple, il soutient que l’utilisation (erronée) que fait la SAR de l’expression [traduction] « nouveaux éléments de preuve » (soit la terminologie portant à confusion dont il est question ci-dessus) crée une « confusion linguistique ». Une lecture de la décision dans son ensemble révèle toutefois que la SAR est cohérente dans ses références aux deux éléments de preuve présentés par le demandeur.

[16] Comme autre exemple, le demandeur a contesté la qualification d’un des éléments de preuve comme étant un mandat d’arrestation alors qu’à première vue, il s’agit plutôt d’un avis concernant l’existence d’un mandat d’arrestation. À l’audience de la présente affaire devant la Cour, le demandeur a admis que rien ne dépend vraiment du manque d’exactitude de la description du document.

[17] Comme dernier exemple, l’une des principales conclusions de la SAR concernant la crédibilité du demandeur était l’incohérence de son témoignage au sujet de ses activités politiques et du risque de préjudice qui en résultait en Éthiopie. Devant la SPR, le demandeur a nié être membre du Parti bleu et a soutenu n’avoir participé à une manifestation qu’en raison de l’arrestation de sa sœur (plutôt qu’en raison de sa propre arrestation comme l’a affirmé par erreur la SAR, ce qui, à première vue, est une erreur mineure de la part de la SAR, à mon avis, contrairement à ce qu’affirme le demandeur).

[18] Néanmoins, le demandeur a indiqué lors de son entrevue initiale au point d’entrée, comme en témoigne la déclaration solennelle remplie par l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada qui l’a interrogé, qu’il avait peur [traduction] « parce [qu’il] a été emprisonné pendant trois jours en Éthiopie en raison de [ses] opinions politiques ». La SAR a expressément tenu compte de cette crainte déclarée dans son analyse. Elle a également noté que le demandeur a déclaré dans son formulaire de l’annexe A qu’il était membre du Parti bleu (ou Parti Semayawi) et qu’il participait notamment à des « manifestations ». Je conclus que la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur a fourni des éléments de preuve incohérents et variables sur la raison de son arrestation et sur le fait que celle-ci était liée à sa participation à une manifestation politique n’était pas déraisonnable.

III. Conclusion

[19] Pour les raisons qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

[20] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que l’affaire n’en soulève aucune dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4503-21

LA COUR STATUT que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4503-21

 

INTITULÉ :

YONAS MULUGETA TEKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 mai 2022

 

JUGEMENT AND MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Bashir Khan

David Matas

 

Pour le demandeur

 

Rebecca Kunzman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bashir Khan

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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