Date : 20220630
Dossier : T‑841‑21
Référence : 2022 CF 981
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 juin 2022
En présence de monsieur le juge Henry S. Brown
ENTRE : |
ROVI GUIDES, INC. |
demanderesse |
et |
VIDÉOTRON LTÉE. |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. La nature de l’affaire
[1] La Cour est saisie d’une requête présentée par la défenderesse en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], pour interjeter appel de l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance Aalto [le JGI], datée du 22 mars 2022 [l’ordonnance], laquelle a rejeté la requête de la défenderesse visant à radier des parties de la déclaration modifiée [la DM] de la demanderesse, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable et, à titre subsidiaire, à obtenir des précisions sur les allégations.
II. Les faits
[2] L’instance sous‑jacente est une action en contrefaçon de brevet intentée par la demanderesse Rovi Guides Inc. [Rovi] contre la défenderesse Vidéotron Ltd. [Vidéotron] relativement à quatre brevets. Les quatre brevets concernent certaines technologies de divertissement numérique, y compris des guides de programmation interactifs [GPI] et diverses caractéristiques de GPI. Les GPI permettent aux utilisateurs de trouver de la programmation, de naviguer d’un canal à l’autre ou d’une source à l’autre, de chercher du contenu, d’enregistrer du contenu, de consulter du contenu à distance, et plus encore.
[3] Rovi travaille au développement de technologies de divertissement numérique. Elle accorde des licences pour ses technologies à diverses entreprises de télécommunications. La défenderesse Vidéotron est une ancienne titulaire de licence de Rovi, mais sa licence a expiré en 2016 et n’a pas été renouvelée.
[4] Depuis 2016, Vidéotron commercialise des produits appelés « illico »
et « illico TV »
et, plus récemment, un nouveau produit appelé « Helix »
ou « Helix TV »
. Il y aurait eu contrefaçon de quatre brevets de Rovi par Helix TV et de deux brevets de Rovi par illico TV.
[5] Comme l’a fait remarquer le JGI, la DM est exhaustive. Elle compte 47 pages, en plus de quatre annexes contenant 358 pages qui énonçant des précisions [traduction] « non limitatives »
de la contrefaçon à l’égard de chacune des revendications invoquées des brevets de Rovi.
[6] La DM de Rovi allègue cinq actes de contrefaçon de la part de Vidéotron :
la contrefaçon directe par Vidéotron;
la contrefaçon par intention commune;
la contrefaçon par incitation;
la contrefaçon par mandat;
la contrefaçon directe par suite de l’attribution des actes de Comcast ou des abonnés.
[7] De ce nombre, seulement deux sont en cause. Vidéotron conteste l’allégation de contrefaçon par intention commune et l’allégation de contrefaçon par attribution [l’attribution]. Vidéotron a présenté sans succès devant le JGI une requête visant à obtenir une ordonnance radiant ces deux allégations. Elle faisait valoir que ces allégations n’étaient pas reconnues en droit canadien et qu’elles devraient donc être radiées, au motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles.
[8] Le JGI définit ainsi l’intention commune :
[traduction]
[9] En ce qui concerne l’attribution, le JGI fait remarquer ce qui suit :
[traduction]
La deuxième cause d’action contestée est la contrefaçon par « attribution ». Les tribunaux canadiens ne se sont pas encore penchés sur cette cause d’action en développement. Le principe d’« attribution » dans les actions en contrefaçon de brevet est analysé dans l’arrêt Akamai Technologies Inc v Limelight Network, 797 F3d 1020 (2015), un jugement de la Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral. Dans cet arrêt, la contrefaçon par attribution est reconnue et décrite ainsi :
La contrefaçon directe […] se produit lorsque toutes les étapes d’une méthode revendiquée sont exécutées par une seule entité ou sont attribuables à cette seule entité. […] Lorsque plus d’un acteur est impliqué dans la mise en œuvre des étapes, le tribunal doit déterminer si les actes de l’un sont attribuables à l’autre, de sorte qu’une seule entité est responsable de la contrefaçon. Nous tiendrons une entité responsable de l’exécution des étapes de la méthode par d’autres dans deux situations : 1) lorsque cette entité dirige ou contrôle l’exécution par d’autres et 2) lorsque les acteurs forment une coentreprise.
[…]
[…] Nous concluons que la responsabilité peut également être établie lorsqu’un contrefacteur prétendu fait dépendre la participation à une activité ou la réception d’un avantage de l’exécution d’une ou de plusieurs étapes d’une ou de plusieurs méthodes brevetées et établit la manière ou le moment de cette exécution. […] Dans ces cas, les actes du tiers sont attribués au contrefacteur prétendu, de sorte que celui‑ci devient le seul acteur à qui on peut imputer la contrefaçon directe. La question de savoir si un seul acteur a dirigé ou contrôlé les actes d’un ou de plusieurs tiers est une question de fait. […] [Renvois omis.]
Essentiellement, la contrefaçon directe exige qu’une seule entité exécute toutes les étapes d’une méthode revendiquée. Cependant, comme il est décrit dans l’arrêt Akamai, où les étapes d’une méthode revendiquées sont divisées entre deux ou plusieurs acteurs, le concept d’attribution découle d’une contrefaçon indirecte par l’un des acteurs.
[10] Vidéotron a également soutenu devant le JGI que les allégations de contrefaçon par intention commune et par attribution manquaient de faits substantiels et que, pour cette raison, elles devraient également être radiées au titre de l’article 174 des Règles :
[traduction]
33. Dans son acte de procédure (aux para 49‑56), Rovi allègue qu’en droit, certains actes de tiers abonnés à Comcast et/ou à Vidéotron doivent être « imputés » à Vidéotron et que, sur ce fondement, Rovi est en mesure d’établir la contrefaçon par Vidéotron. Le droit canadien ne reconnaît pas ce genre d’« imputation » ou d’« attribution » d’actes par des non‑parties pour appuyer les allégations de contrefaçon de brevets. En outre, Rovi n’a plaidé aucun fait substantiel à l’appui de ces allégations, même si une telle « imputation »/« attribution » était connue en droit canadien. Ces paragraphes devraient être radiés.
[…]
62. Au paragraphe 67, Rovi prétend plaider que les « activités » non identifiées de Vidéotron et de Comcast constituent une contrefaçon par intention commune.
63. Le droit canadien ne permet pas d’avancer qu’une personne peut être tenue responsable d’une contrefaçon de brevet sur la base de la théorie de l’intention commune. Ce paragraphe devrait être radié.
64. À titre subsidiaire, Rovi n’a plaidé que la simple allégation selon laquelle il y avait une « intention commune » pour l’atteinte d’un « objectif commun », mais n’a fourni aucun fait substantiel à l’appui. En fait, au paragraphe 68 de la déclaration, Rovi admet qu’elle n’a aucun fait substantiel se rapportant à la supposée « intention commune ».
65. Bien qu’à l’occasion, les tribunaux aient permis la « nouvelle » allégation de contrefaçon par intention commune, des faits substantiels définissant les rôles de chacune des entités identifiées sont requis.
66. Sous le régime du droit britannique, qui n’a pas été adopté au Canada, la responsabilité à titre d’auteurs conjoints d’un délit motivé par une « intention commune » exige d’établir qu’il y avait une « intention commune » entre les entités pour accomplir les actes qui équivalent à une contrefaçon, et que le principal auteur du délit a agi pour atteindre l’objectif.
67. Comme il a été mentionné ci‑dessus, Rovi n’a pas identifié d’intention commune ou d’objectif commun autre que la fourniture d’Helix TV, qui se rapportait à la fonctionnalité de contrefaçon alléguée. Rovi n’a pas non plus fourni de faits substantiels sur les actes qui auraient été posés dans le cadre d’une intention commune liée aux caractéristiques brevetées en cause. Rovi n’a même pas indiqué qui, selon elle, était le principal auteur prétendu de la contrefaçon directe des brevets revendiqués.
68. Par conséquent, ces paragraphes devraient être radiés, au motif qu’ils ne révèlent pas de cause d’action et qu’ils ne comportent aucun fait substantiel. Le simple fait d’alléguer l’existence d’un contact ou d’une entente ne suffit pas à délimiter les rôles des parties dans la supposée intention commune.
A. L’ordonnance du JGI
[11] Le 22 mars 2022, le JGI a rejeté la requête de la défenderesse visant à radier des parties de la DM, au motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable. Le JGI a également rejeté la demande subsidiaire de la défenderesse pour obtenir des précisions supplémentaires.
[12] Le JGI a procédé à une analyse en deux étapes, examinant d’abord si l’intention commune et la contrefaçon directe par attribution révélaient des causes d’action valables en droit canadien. Le JGI a ensuite examiné si ces causes d’action comportaient suffisamment de précisions. Le JGI a conclu que l’intention commune et l’attribution étaient toutes deux viables en droit. Il a ensuite jugé que chacune contenait suffisamment de précisions.
(1) Les allégations relatives à l’intention commune et les précisions
[13] En ce qui concerne l’argument de Vidéotron selon lequel la contrefaçon par intention commune n’est pas reconnue en droit canadien et que les allégations à cet égard devraient être radiées, le JGI Aalto s’est appuyé sur l’arrêt Nevsun Resources Ltd c Araya, 2020 CSC 5, et sur la décision La Rose c Canada, 2020 CF 1008 (le juge Manson) [La Rose] aux para 16‑19.
[14] Le JGI a jugé qu’il était possible de plaider l’intention commune dans une action en contrefaçon de brevet. Comme il a été mentionné, le JGI a défini ainsi l’intention commune :
[traduction]
Il y a contrefaçon par intention commune lorsqu’une partie est déclarée être coauteure d’un délit lorsqu’une autre partie commet le délit dans le cadre d’un plan commun. L’un des éléments essentiels de l’intention commune est que les parties doivent s’entendre sur une action commune et que l’acte de contrefaçon doit être commis dans le cadre de cette entente. Il doit y avoir une intention commune d’exécuter l’action qui constitue la contrefaçon alléguée.
[15] Le JGI a noté que l’arrêt de principe en matière de délit par intention commune émanait de la Cour suprême du Royaume‑Uni : voir Fish & Fish Ltd v Sea Shepherd UK, [2015] UKSC 10. Le JGI a fait remarquer que notre Cour avait examiné l’intention commune dans deux affaires récentes de contrefaçon de brevets : Packers Plus c Essential Energy, 2017 CF 1111 [le juge O’Reilly], conf par 2019 CAF 96 (bien que la décision du juge O’Reilly sur l’intention commune n’ait pas été une question en litige devant la CAF), et Genentech c Celltrion, 2019 CF 293 [la protonotaire Aylen; tel était alors son titre]. À la lumière de ces jugements, le JGI Aalto a conclu qu’il était possible de plaide l’intention commune dans une action en contrefaçon de brevet et a donc décidé que la cause d’action fondée sur l’intention commune ne devrait pas être radiée.
[16] Le JGI a également rejeté une demande visant à obtenir des précisions supplémentaires au sujet de l’« intention commune ».
(2) Les allégations relatives à l’attribution et les précisions
[17] En ce qui concerne la contrefaçon par « attribution »
comme cause d’action contestée, le JGI a convenu avec Vidéotron que le concept d’attribution n’avait pas encore été expressément pris en compte dans les affaires de contrefaçon de brevet. Cependant, le JGI a jugé, à juste titre à mon avis, que l’attribution était un principe bien établi en droit de la responsabilité délictuelle. Le JGI a conclu que, bien qu’il ait été nouveau d’importer le concept d’attribution associé à la responsabilité délictuelle dans la contrefaçon de brevets, il ne devrait pas être radié, car qu’il ne pouvait être déterminé que ce concept était sans possibilité de succès à ce stade‑là.
[18] Le JGI a également rejeté une demande visant à obtenir des précisions supplémentaires au sujet de l’« attribution ».
[19] Par conséquent, le JGI a ordonné ce qui suit :
[traduction]
La requête, dans la mesure où elle vise à radier les allégations d’intention commune et d’attribution, est rejetée.
La requête, dans la mesure où elle vise l’obtention de précisions supplémentaires, est rejetée.
Les dépens sont adjugés à Rovi. Si les parties ne peuvent s’entendre, de brèves observations peuvent être présentées à la Cour dans les 20 jours suivant la date de la présente ordonnance.
[20] Vidéotron interjette maintenant appel de l’ordonnance du JGI Aalto sur les questions de l’« attribution »
et de l’« intention commune »
. Elle sollicite la radiation des paragraphes 51 à 57 (attribution) et 67 à 69 (intention commune) de la DM.
III. Les questions en litige
[21] Voici les questions en litige :
Le JGI a‑t‑il commis une erreur en concluant que les allégations de contrefaçon de brevet par intention commune ne devraient pas être radiées au motif qu’elles ne révélaient pas de cause d’action valable?
Le JGI a‑t‑il commis une erreur en jugeant que les allégations de contrefaçon de brevet par attribution ne devraient pas être radiées au motif qu’elles ne révélaient pas de cause d’action valable?
Le JGI a‑t‑il commis une erreur en jugeant que la DM et les annexes révélaient suffisamment de faits substantiels sur l’intention commune pour qu’aucune précision supplémentaire ne soit requise?
Le JGI a‑t‑il commis une erreur en jugeant que la DM et les annexes révélaient suffisamment de faits substantiels sur l’attribution pour qu’aucune précision supplémentaire ne soit requise?
IV. La norme de contrôle
[22] La Cour saisie d’un appel interjeté, en vertu de l’article 51 des Règles, à l’encontre d’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire, applique les normes de contrôle établies dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 (le juge Nadon) [Hospira] aux para 27, 66. La Cour fédérale ne peut modifier une décision discrétionnaire d’un protonotaire que si celui‑ci a commis une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, ou s’il a commis une erreur sur une pure question de droit. Cette norme est énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] :
1 Il va sans dire qu’une cour d’appel ne devrait modifier les conclusions d’un juge de première instance qu’en cas d’erreur manifeste et déterminante. On reformule parfois cette proposition en disant qu’une cour d’appel ne peut réviser la décision du juge de première instance dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision.
[…]
8 Dans le cas des pures questions de droit, la règle fondamentale applicable en matière de contrôle des conclusions du juge de première instance est que les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance. La norme de contrôle applicable à une question de droit est donc celle de la décision correcte : Kerans, op. cit., à la p. 90.
[…]
10 Suivant la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, ces conclusions ne peuvent être infirmées que s’il est établi que le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et déterminante » : Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808; Ingles c. Tutkaluk Construction Ltd., [2000] 1 R.C.S. 298, 2000 CSC 12, par. 42; Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201, par. 57. On cite souvent cette norme, mais rarement les principes justifiant ce degré élevé de retenue. Pour les besoins du présent pourvoi, nous estimons qu’il est utile d’examiner brièvement les diverses considérations de principe qui incitent les cours d’appel à faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions de fait.
[…]
36 […] Les questions mixtes de fait et de droit s’étalent le long d’un spectre. Lorsque, par exemple, la conclusion de négligence est entachée d’une erreur imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable, une telle erreur peut être qualifiée d’erreur de droit et elle est contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Les cours d’appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit », assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse. Selon la règle générale énoncée dans l’arrêt Jaegli Enterprises, précité, si la question litigieuse en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et déterminante.
[Non souligné dans l’original.]
[23] Dans l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, le juge Stratas explique ce que le demandeur doit établir pour prouver une erreur manifeste et dominante en appel [traduction] :
[46] L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.
[Non souligné dans l’original.]
[24] La Cour d’appel fédérale, encore une fois sous la plume du juge Stratas, fournit des directives supplémentaires sur l’erreur manifeste et dominante dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 :
[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec approbation par la Cour suprême dans l’arrêt St. Germain, précité.
[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la notion de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.
[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.
[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.
[65] Il peut également y avoir des situations où une erreur manifeste en soi n’est pas dominante, mais lorsqu’on la prend en considération avec d’autres erreurs manifestes, la décision ne peut plus être maintenue. Pour ainsi dire, l’arbre est tombé non pas après un seul coup de hache déterminant, mais après plusieurs bons coups.
[Non souligné dans l’original.]
[25] Dans le cas d’un appel en vertu de l’article 51, on suppose qu’un juge responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les circonstances et les enjeux particuliers d’une instance, et il faut donc faire preuve de retenue à l’égard de sa décision, surtout en ce qui concerne les questions fondées sur les faits, voir Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986 (le juge Little) [Hughes] au para 67; Bande de Sawridge c Canada, 2001 CAF 338 au para 11; Apotex Inc c Merck & Co, 2003 CAF 438 au para 12.
[26] Vidéotron soutient que les erreurs commises par le JGI sont des erreurs de droit et que, par conséquent, la norme de la décision correcte s’applique.
[27] Rovi soutient que la norme de contrôle est une erreur manifeste et dominante, s’appuyant sur la décision Elbit Systems Electro‑optics Elop Ltd c Selex ES Ltd, 2016 CF 1129, où le juge Martineau déclare ce qui suit :
[15] La décision de radier un acte de procédure est de nature discrétionnaire. J’ai examiné les observations respectives des parties à la lumière de la norme de contrôle devant être appliquée dans la présente instance. Cependant, je ne suis pas d’accord avec les arguments de la défenderesse voulant qu’en l’espèce, la norme de contrôle appropriée soit la norme de la décision correcte. Au contraire, la norme de contrôle appropriée est l’existence d’une erreur manifeste et dominante telle qu’elle est définie dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 [Housen].
[16] Récemment, un tribunal de cinq juges de la Cour d’appel fédérale s’est penché sur la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires rendues par les protonotaires (Corporation de soins de la santé Hospira v. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2016] ACF no 943 [Hospira]). Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale, le rôle de surveillance des protonotaires que confère aux juges l’article 51 des Règles n’exige plus que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires donnent lieu à des instructions de novo. Conformément à l’arrêt Housen, à défaut d’erreur sur une question de droit ou un principe juridique isolable, notre intervention n’est justifiée que dans les cas d’erreurs manifestes et dominantes.
[17] La Cour d’appel fédérale a conclu que la norme Housen devrait s’appliquer à l’examen des décisions discrétionnaires des juges et des protonotaires. Selon cette norme, en ce qui concerne les conclusions factuelles des juges de première instance, la norme applicable est celle qui s’applique aux erreurs manifestes et dominantes et, en ce qui concerne les questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, lorsqu’il y a une question de droit isolable, la norme applicable est celle de la décision correcte : Hospira, au paragraphe 66, citant les paragraphes 19 à 37 de Housen; paragraphe 69; paragraphe 71, citant les paragraphes 25 à 29 de Imperial Manufacturing Group Inc.. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, [2016] 1 RCF 246 79; paragraphe 74, citant le paragraphe 12 de Turmel c. Canada, 2016 CAF 9, 481 NR 139; et le paragraphe 79.
[18] Dans la présente instance, comme la protonotaire n’a commis aucune erreur dans sa description du critère applicable et des principes juridiques régissant la radiation d’un acte de procédure en vertu de l’article 221 des Règles, et comme la défenderesse conteste l’application de l’article 221 des Règles par la protonotaire aux faits particuliers au cas, la norme de contrôle applicable à une telle question mixte de fait et de droit doit être celle de l’erreur manifeste et dominante. La protonotaire n’a rendu aucune décision finale concernant le bien‑fondé des allégations de contrefaçon et d’incitation à la contrefaçon de la demanderesse dans sa déclaration. Je doute fort que les questions soulevées aujourd’hui par la défenderesse dans le présent appel portent sur une pure question de droit ou sur une question de droit isolable.
[19] Même si l’ordonnance qui est contestée a été rendue par la protonotaire quelques semaines avant sa désignation comme juge responsable de la gestion de l’instance, vu sa vaste expérience de ce genre de dossier, comme l’a mentionné la Cour d’appel fédéral dans Hospira, au paragraphe 103 : « […] le juge des requêtes saisi d’un appel fondé sur l’article 51 des Règles fera toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention ne doit pas être décidée à la légère. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il faille laisser passer les erreurs de fait ou de droit. En fin de compte, l’expression "liberté d’action" signifie tout simplement que, sauf erreur donnant ouverture à annulation, la déférence est appropriée ou applicable aux décisions du protonotaire chargé de la gestion de l’instance — rien de plus, rien de moins. » Quoi qu’il en soit, vu que « les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira, au paragraphe 64), je n’ai aucun motif pour infirmer l’ordonnance rendue par la protonotaire, ayant conclu qu’aucune erreur de droit ou aucune erreur du genre d’erreur manifeste et dominante au sens de la norme Housen n’a été commise.
[Non souligné dans l’original.]
[28] Je conclus respectueusement de ce qui précède que la norme de contrôle applicable à la question de la cause d’action valable est l’erreur manifeste et dominante. Je juge qu’il en est ainsi en raison de la jurisprudence et parce qu’une décision de radiation d’un acte de procédure est de nature discrétionnaire et, de plus, qu’elle implique une question mixte de fait et de droit. Je ne suis pas en mesure de conclure que l’ordonnance du JGI relativement à la question de l’intention commune ou de l’attribution des causes d’action à Vidéotron implique soit sur une pure question de droit, soit sur une question de droit isolable.
[29] Pour ce qui est de la demande subsidiaire de précisions, je conclus que le critère est également une erreur manifeste et dominante. La suffisance des faits substantiels d’un acte de procédure aux termes de l’article 174 des Règles est une question mixte de fait et de droit, et ne soulève ni une pure question de droit ni une question de droit isolable.
V. Les dispositions applicables
[30] Le paragraphe 51(1) des Règles :
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[31] L’article 174 des Règles :
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[32] L’article 181 des Règles :
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[33] Le paragraphe 221(1) des Règles :
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VI. Analyse
A. Le JGI a‑t‑il commis une erreur en concluant que les allégations de contrefaçon de brevet par intention commune ne devraient pas être radiées au motif qu’elles ne révélaient pas de cause d’action valable?
[34] L’essentiel de l’appel de Vidéotron est énoncé au paragraphe 2 de ses observations [traduction] : « Dans son ordonnance, le JGI a commis une erreur de droit en concluant qu’il ne convenait pas qu’une allégation plaidée, fondée sur une nouvelle question de droit, soit radiée à l’étape des actes de procédure. »
Cet argument est repris tout au long du mémoire de Vidéotron. Au paragraphe 10, Vidéotron soutient ce qui suit : [TRADUCTION] « Le JGI a mentionné l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nevsun Resources Ltd c Araya comme exemple de l’"abondante jurisprudence" portant qu’"une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance". »
Au paragraphe 12, Vidéotron soutient ceci : [traduction] « Il a finalement conclu qu’une nouvelle cause d’action ne doit pas être radiée à cette étape de l’instance. »
Au paragraphe 15, Vidéotron fait valoir ceci : [TRADUCTION] « Les conclusions du JGI sur ces deux causes d’action étaient fondées sur l’affirmation répétée selon laquelle "une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance". »
Au paragraphe 29, elle ajoute ceci : [traduction] « Compte tenu des déclarations de la Cour suprême dans Nevsun et ALC, le JGI a commis une erreur de droit en concluant simplement "[qu’]il exist[ait] une abondante jurisprudence à l’appui de la proposition selon laquelle une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance". »
[35] Le même point a été soulevé dans les observations orales de Vidéotron.
[36] Vidéotron soutient qu’une nouvelle cause d’action ne devrait pas être maintenue simplement parce qu’elle est nouvelle. Je suis tout à fait d’accord. Il s’agit d’une proposition de droit non controversée et bien établie : voir Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 [Société des loteries de l’Atlantique].
[37] De la même façon, une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée simplement parce qu’elle est nouvelle.
[38] Le critère applicable à une requête en radiation pour absence de cause d’action implique des considérations qui vont bien au‑delà de la nouveauté, toujours selon l’arrêt Société des loteries de l’Atlantique :
[19] Bien sûr, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour une requête en radiation. Le droit n’est pas immuable, et les demandes inédites qui pourraient représenter une évolution graduelle du droit devraient pouvoir être instruites (Imperial Tobacco, par. 21; Das c. George Weston Ltd., 2018 ONCA 1053, 43 E.T.R (4th) 173, par. 73; voir aussi R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, p. 670). Cela dit, une demande ne pourra survivre à une requête en radiation simplement parce qu’elle est inédite. Il est bénéfique, et même essentiel à la viabilité de la justice civile et à l’accès du public à celle‑ci que les demandes, y compris les demandes inédites, qui sont vouées à l’échec soient tranchées tôt dans l’instance. Il en est ainsi parce que de telles demandes ne présentent pas « matière à un procès long et coûteux » (Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38, [2007] 3 R.C.S. 83, par. 19). Si un tribunal ne reconnaît pas une demande inédite dans le cas où les faits allégués sont tenus pour avérés, la demande est manifestement vouée à l’échec et doit être radiée. Il n’est pas rare qu’en rendant de telles décisions, les tribunaux règlent des questions complexes de droit et de principe (voir, p. ex., Imperial Tobacco; Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79, [2001] 3 R.C.S. 537; Syl Apps; Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261).
[Non souligné dans l’original.]
[39] Cela dit, après examen des motifs du JGI, et en toute déférence, je conclus que l’observation de Vidéotron n’est pas fondée. Je tire cette conclusion, parce que le JGI n’a pas jugé qu’une nouvelle cause d’action devrait être maintenue « simplement »
parce qu’elle est nouvelle. En toute déférence, dans les faits, ce n’est pas ce qui ressort des motifs du JGI en l’espèce, considérés de façon juste et complète. Par conséquent, cet aspect du présent appel sera rejeté, comme il est énoncé ci‑dessous.
[40] Dans ses observations, Vidéotron demande à la Cour de prendre une phrase hors contexte et de l’utiliser pour déformer le critère juridique effectivement appliqué à la question de savoir si la DM divulgue ou non une cause d’action valable en ce qui concerne l’intention commune.
[41] Je commencerai par reproduire le libellé des motifs du JGI :
[traduction]
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[…]
Rovi allègue cinq actes de contrefaçon de la part de Vidéotron, soit la contrefaçon directe par Vidéotron, la contrefaçon par intention commune, la contrefaçon par incitation, la contrefaçon par mandat et la contrefaçon directe par suite de l’attribution des actes de Comcast ou des abonnés. De ces causes d’action, Vidéotron conteste la contrefaçon par intention commune et la contrefaçon par attribution. Vidéotron fait valoir que ces causes d’action ne sont pas reconnues en droit canadien et qu’elles devraient être radiées.
Page 4
Toutefois, la proposition selon laquelle une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance est bien étayée [voir, par exemple, Nevsun Resources Ltd c Araya, 2020 CSC 5, et La Rose c Canada, 2020 CF 1008]. Dans cette dernière affaire, l’honorable juge Michael Manson a établi les lignes directrices générales suivantes concernant une requête en radiation :
[16] Le critère relatif à une requête en radiation consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable ou que la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, à la page 980; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au paragraphe 17 [Imperial Tobacco]). Le seuil à franchir pour une radiation est élevé et l’affaire doit être instruite lorsque la demande a des chances raisonnables d’être accueillie.
[17] Il faut tenir pour avérés les faits substantiels allégués dans la déclaration, à moins que les allégations ne soient fondées sur des suppositions et des conjectures (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, au paragraphe 27 [Operation Dismantle]). Il incombe aux demandeurs de plaider clairement et de manière suffisamment précise les faits à l’appui des déclarations et de la mesure sollicitée. Les faits substantiels sont le fondement en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 22; Mancuso v Canada (National Health and Welfare), 2015 CAF 227, aux paragraphes 16 et 17, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 36889 (23 juin 2016)).
[18] De plus, la lecture des actes de procédure doit être aussi généreuse que possible et permettre l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable (Imperial Tobacco, au paragraphe 21; Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19, au paragraphe 19 [Société des loteries de l’Atlantique]).
[19] Le critère relatif à une requête en radiation tient compte du contexte du droit et du processus judiciaire. Il « suppose […] que la demande sera traitée de la manière habituelle dans le système judiciaire — un système fondé sur le débat contradictoire dans lequel les juges sont tenus d’appliquer le droit (et son évolution) énoncé dans les lois et la jurisprudence » (Imperial Tobacco, au paragraphe 25).
Ce sont les principes applicables à la requête de Vidéotron visant à radier les allégations d’attribution et d’intention commune de Rovi.
[42] Les deux parties souscrivent à cet énoncé de principes tiré de la décision La Rose et l’invoquent. Je l’adopte également. Le JGI l’a également adopté ÷ il a énoncé ces principes et a déclaré qu’ils s’appliquaient à une requête en radiation. Le JGI l’a effectivement fait dans la dernière phrase qui vient d’être citée.
[43] Bien que la première phrase de la page 4 citée ci‑dessus, prise hors contexte, puisse sembler appuyer l’argument de Vidéotron, je juge qu’elle ne reflète pas les principes de droit qu’a réellement énoncés le JGI. C’est ce qui est ressort manifestement de la lecture de ce qui précède.
[44] Fait important, la phrase que Vidéotron prend hors contexte reflète également de façon inexacte la façon dont le JGI a examiné et appliqué les principes pour déterminer si le intention commune constituait une cause d’action valable.
[45] À mon avis, comme on le verra, le JGI a suffisamment examiné et appliqué les principes appropriés à l’allégation d’intention commune et n’a pas, comme l’a allégué Vidéotron, tranché la question en se fondant « simplement » sur la nouveauté.
[46] Pour commencer, voici les véritables motifs pour lesquels le JGI n’a pas radié les actes de procédure fondés sur l’intention commune au motif qu’ils ne révélaient aucune cause d’action valable :
[traduction]
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Il y a contrefaçon par intention commune lorsqu’une partie est déclarée être coauteure d’un délit lorsqu’une autre partie commet le délit dans le cadre d’un plan commun. L’un des éléments essentiels de l’intention commune est que les parties doivent s’entendre sur une action commune et que l’acte de contrefaçon doit être commis dans le cadre de cette entente. Il doit y avoir une intention commune d’exécuter l’action qui constitue la contrefaçon alléguée.
L’arrêt‑clé en matière de délit par intention commune émane de la Cour suprême du Royaume‑Uni. Dans l’arrêt Sea Shepherd UK v Fish & Fish Ltd, [2015] UKSC 10, la Cour suprême du Royaume‑Uni a examiné les principes qui sous‑tendaient le délit par intention commune dont les auteurs sont conjointement responsables. La Cour a souligné ceci :
55. Il me semble que, pour que le défendeur soit responsable envers le demandeur dans de telles circonstances, trois conditions doivent être remplies. Premièrement, le demandeur doit avoir aidé l’auteur principal du délit à commettre un acte; deuxièmement, l’aide doit résulter d’une intention commune du défendeur et de l’auteur principal de l’acte commis; troisièmement, l’acte doit constituer un délit à l’égard du demandeur. […]
Au Canada, la Cour a examiné l’intention commune de la contrefaçon de brevets dans deux affaires : Packers Plus c Essential Energy, 2017 CF 1111 [Packers Plus], et Genentech c Celltrion, 2019 CF 293 [Genentech].
Dans Packers Plus, la défenderesse avait fourni le système qui, lorsqu’il était utilisé dans la fracturation à découvert, s’inscrivait dans les revendications pertinentes du brevet en litige. Le système de la défenderesse avait été utilisé par l’entreprise qui possédait et exploitait les puits pour l’opération de fracturation. La défenderesse avait également participé à la planification et à la conception de la préinstallation, à l’assemblage, à l’installation ainsi qu’à l’exploitation de l’équipement, et avait fourni les services d’un superviseur sur place. L’honorable juge James O’Reilly avait conclu que la défenderesse n’était pas responsable en tant que participante à la réalisation d’une intention commune. Il avait déclaré ceci :
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48. Par ailleurs, Packers n’a fourni aucun fondement juridique étayant l’argument de la responsabilité d’Essential eu égard à l’incitation d’autres parties à commettre des actes de contrefaçon. Packers renvoie à une jurisprudence anglaise bien connue, l’arrêt Fabio Perini SPA c LPC Group PLC & Ors, [2009] EWHC 1929. Dans cet arrêt, le juge Floyd a conclu qu’une société ayant installé une machine dans les locaux de la défenderesse et en ayant autorisé l’utilisation selon le procédé breveté était solidairement responsable de contrefaçon avec la défenderesse (au paragraphe 179). Cette conclusion a été citée dans l’opinion incidente de la juge Johanne Gauthier dans l’arrêt Easton Sports Canada Inc. c Bauer Hockey Corp., 2011 CAF 83, au paragraphe 75. Toutefois, aucun précédent dans la jurisprudence canadienne n’appuie la proposition selon laquelle une personne peut être tenue responsable de contrefaçon selon le concept de l’intention commune. Cela dit, il est établi en common law que les parties qui agissent de concert pour commettre un acte délictueux peuvent chacune être tenues responsables si toutes les parties impliquées se sont entendues pour agir de manière délictueuse (Sea Shepherd UK c Fish & Fish Ltd, [2015] UKSC 10, au paragraphe 40).
49. Toutefois, aucun élément de preuve ne vient corroborer l’existence d’une quelconque entente entre Essential et les sociétés exploitantes, de forage ou de fracturation avec lesquelles elle collaborait. Par conséquent, Essential ne peut être tenue responsable de contrefaçon au titre d’une intention commune. [Non souligné dans l’original.]
Dans la décision Genentech, la protonotaire Aylen (tel était alors son titre) a conclu que l’allégation d’intention commune relativement à la contrefaçon de brevet était suffisante. Elle a fait remarquer ceci :
40. Notre Cour a déjà conclu que, bien que le concept de la contrefaçon découlant d’un but commun n’ait pas été appliqué dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet, son existence en droit canadien a été reconnue. […]
41. Dans la décision Hoffmann‑La Roche et al c Sandoz Canada Inc (ordonnance datée du 15 novembre 2018), j’ai conclu que l’utilisation de l’expression [traduction] « action concertée » tomberait sous le coup du concept de la contrefaçon découlant d’un but commun, puisqu’elles ne sont pas différentes sur le plan conceptuel. Comme il s’agissait d’une nouvelle demande, j’ai conclu qu’elle ne devrait pas être radiée dans le cadre d’une requête portant sur un acte de procédure.
42. En l’espèce, les demanderesses cherchent à faire valoir que CTHC agissait de façon concertée avec les défenderesses additionnelles dans le but commun de commercialiser HERZUMA, les défenderesses additionnelles et CTHC prenant diverses mesures pour la poursuite d’un but commun, comme on l’explique en détail dans l’acte de procédure et comme on l’a évoqué précédemment.
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43. CTHC affirme que les faits substantiels allégués dans les actes de procédure modifiés proposés ne sont pas suffisants, car les actes de procédure proposés ne précisent pas adéquatement les mesures que CTHC et les défenderesses additionnelles prendront ou ont prises pour réaliser leur but commun. Je rejette cette affirmation. Je suis convaincue qu’en délimitant les rôles de CTHC et des défenderesses additionnelles dans la mise en marché de HERZUMA, les demanderesses ont fait valoir un niveau minimal de faits substantiels, lesquels sont suffisants pour appuyer la cause d’action contre CTHC et me permettre de conclure que l’allégation proposée n’est pas vouée à l’échec. Pour arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit que cette allégation repose en grande partie sur des actes qui ne se sont pas encore produits, ce qui n’est pas étonnant dans une action intentée en vertu du Règlement. Fixer un seuil trop élevé quant aux faits substantiels suffisants serait à bien des égards injuste dans les circonstances.
44. Je suis également convaincue que l’allégation d’action concertée devrait être maintenue contre CTHC, malgré le fait que les défenderesses additionnelles n’ont pas été constituées comme parties aux actions, puisque rien dans la jurisprudence sur laquelle se fondent les parties ne laisse entendre que tous les éventuels auteurs conjoints du délit doivent être mis en cause pour justifier un droit d’action contre l’un d’entre eux. [Non souligné dans l’original.]
À la lumière de ces arrêts, il est possible d’invoquer l’intention commune dans une action en contrefaçon de brevet. Cette cause d’action ne sera pas radiée.
[47] En toute déférence, je ne vois aucune erreur manifeste, et encore moins une erreur manifeste et dominante, dans l’énoncé du critère juridique du JGI visant à déterminer si une allégation d’intention commune devrait être radiée, ou dans la prise en compte et l’application des critères par le JGI aux faits de la présente affaire.
[48] Citant le paragraphe 16 de la décision du juge Manson dans l’affaire La Rose, le JGI a conclu, à juste titre à mon avis, que le critère applicable à une requête en radiation au motif qu’aucune cause d’action valable n’est révélée « consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable ou que la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (
Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, à la page 980;
R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au paragraphe 17 [
Imperial Tobacco]). Le seuil à franchir pour une radiation est élevé et l’affaire doit être instruite lorsque la demande a des chances raisonnables d’être accueillie. »
Les parties se sont entendues sur ce principe de droit.
[49] Il n’est pas contesté qu’il incombait à Vidéotron d’établir que la déclaration de Rovi n’avait « aucune possibilité raisonnable d’être accueillie »
, selon l’arrêt R c Imperial Tobacco Canada Ltd., 2011 CSC 42 au para 17 [Imperial Tobacco]. À cet égard, la Cour suprême confirme qu’il y a un lourd fardeau pour la partie requérante, déclarant que « [l]’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable »
, selon Imperial Tobacco, au para 21.
[50] Vidéotron a convenu — comme il se doit — que la contrefaçon par intention commune était reconnue par la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Fish & Fish Ltd v Sea Shepherd UK, [2015] UKSC 10 [Sea Shepherd]. Toutefois, Vidéotron prétend que le concept d’intention commune au Royaume‑Uni ne s’applique que lorsqu’un ensemble restreint d’exigences définies est satisfait. En effet, Vidéotron « accepte que, si des faits substantiels sont fournis pour chaque exigence, cette cause d’action puisse être maintenue au Canada à l’étape des actes de procédure »
[souligné dans l’original] : voir le paragraphe 47 des observations écrites de Vidéotron devant la Cour.
[51] Toutefois, et citant le paragraphe 58 de l’arrêt Sea Shepherd, Vidéotron soutient qu’un « auteur principal du délit »
est une exigence du délit par intention commune. Dans la présente affaire, Vidéotron affirme que Rovi n’a pas identifié d’auteur principal d’une contrefaçon directe pour les besoins de ses allégations d’« intention commune »
. Vidéotron a donc soutenu que le JGI avait commis une erreur en permettant que la cause d’action par intention commune soit examinée.
[52] En réponse, Rovi soutient que l’utilisation par Vidéotron du terme « auteur principal du délit »
n’est pas corroborée en droit. Je suis d’accord. À cet égard, Rovi fait référence au paragraphe 55 de l’arrêt Sea Shepherd, où le lord Neuberger n’a pas utilisé le terme « auteur principal du délit »
pour signifier que les deux parties à l’intention commune devaient être indépendantes. Le terme « auteur principal du délit »
est plutôt utilisé pour désigner la partie à l’intention commune qui se joint au défendeur dans le délit (mais qui n’est pas nommée comme défenderesse).
[53] Particulièrement, comme il a été énoncé au paragraphe 38 de l’arrêt Sea Shepherd, le lord Sumption cite, en l’approuvant, le lord Neuberger dans l’arrêt Vestergaard Frandsen A/S v Bestnet Europe Ltd, [2013] 1 WLR 1556 au para 34 : « pour qu’un défendeur soit partie à une intention commune, il doit partager avec l’autre partie ou les parties à l’intention commune chacune des caractéristiques du but qui en font un délit. Si, et seulement si, toutes ces caractéristiques sont partagées, le fait que certaines parties à l’intention commune n’ont commis que certains des actes pertinents, tandis que d’autres n’ont commis que d’autres actes pertinents, ne les empêchera pas toutes d’être conjointement responsables »
. [Non souligné dans l’original.]
[54] De plus, dans la jurisprudence canadienne, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, dans la décision ICBC v Stanley Cup Rioters, 2016 BCSC 1108 [ICBC], s’appuie sur les principes énoncés dans l’arrêt Sea Shepherd pour examiner la responsabilité conjointe des auteurs de délit. La décision ICBC a été citée par la Cour suprême du Canada, qui l’a approuvée, dans l’arrêt Montréal (Ville) c Lonardi, 2018 CSC 29 au para 66, qui a décrit la décision comme étant celle où les auteurs de délit : « avaient uni leurs forces pour renverser une voiture ou autrement agi de concert avec d’autres personnes qui vandalisaient un véhicule en même temps qu’eux »
.
[55] Je note que ni la Cour suprême du Canada ni la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’exigent qu’un « auteur principal du délit »
commette tous les actes nécessaires pour endommager un véhicule.
[56] Par conséquent, je rejette l’argument de Vidéotron selon lequel il existe une exigence en droit canadien et en droit britannique qu’il y ait un « auteur principal du délit »
, ainsi que son argument concomitant selon lequel un acte de procédure fondé sur l’intention commune exige l’identification d’un « auteur principal du délit ».
[57] En toute déférence, je souscris également à l’observation de Rovi selon laquelle la question de savoir si le fait d’invoquer une intention commune révèle une cause d’action valable n’est pas non plus entièrement en cause dans le présent appel. Je dis cela, parce que Vidéotron a admis au paragraphe 47 de son mémoire que « si des faits substantiels sont fournis pour chaque exigence, cette cause d’action peut être maintenue au Canada à l’étape des actes de procédure »
.
[58] Pour conclure sur le plan de l’intention commune, je ne suis pas en mesure de conclure à une erreur manifeste, à une erreur manifeste et dominante ou à toute autre erreur dans la déclaration du JGI ou dans son examen et son application des principes établis dans la décision La Rose concernant la radiation de cet acte de procédure comme ne révélant aucune cause d’action valable. Le JGI a conclu que l’allégation d’intention commune ne devrait pas être radiée, et je suis d’accord avec cette conclusion. Par conséquent, l’appel alléguant que la contrefaçon par intention commune ne révèle aucune cause d’action sera rejeté.
B. Le JGI a‑t‑il commis une erreur en jugeant que les allégations de contrefaçon de brevet par attribution ne devraient pas être radiées au motif qu’elles ne révélaient pas de cause d’action valable?
[59] Le JGI a ensuite examiné la question de savoir si les allégations de contrefaçon par « attribution »
devraient être radiées au motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable. Bien entendu, il n’était pas nécessaire que le JGI répète le passage de la décision La Rose énonçant le droit à cet égard; il l’a fait dans le cadre de son examen de l’intention commune.
[60] Cela dit, on ne peut pas interpréter l’examen, par le JGI, des critères pour radier les allégations d’attribution sans faire référence à l’énoncé de droit tiré de la décision La Rose qui s’appliquait aux deux. La déclaration du JGI sur ces critères juridiques n’est pas contestée. J’en ai déjà parlé au paragraphe 41.
[61] Les principes énoncés dans la décision La Rose constituent également le point de départ de la décision du JGI de radier ou non les allégations fondées sur la contrefaçon par attribution au motif qu’ils ne révèlent aucune cause d’action valable. Pour plus de certitude sur ce point, le JGI a déclaré ce qui suit à la page 4 de ses motifs, immédiatement après avoir exposé les principes énoncés dans la décision La Rose : [traduction] « Ce sont les principes applicables à la requête de Vidéotron visant à radier les allégations d’attribution et d’intention commune de Rovi. »
[62] Pour les mêmes raisons que j’ai données ci‑dessus au sujet de l’intention commune, je conclus que le JGI a dûment et correctement examiné bien plus que la question de la nouveauté pour déterminer si la contrefaçon par attribution révélait une cause d’action valable. Après avoir correctement exposé les principes établis dans la décision La Rose, et après les avoir examinés et appliqués à l’intention commune, le JGI s’est penché sur la question de savoir si l’attribution révélait une cause d’action valable. On peut le constater dans ses motifs :
[traduction]
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La deuxième cause d’action contestée est la contrefaçon par « attribution ». Les tribunaux canadiens ne se sont pas encore penchés sur cette cause d’action en développement. Le principe d’« attribution » dans les actions en contrefaçon de brevet est analysé dans l’arrêt Akamai Technologies Inc v Limelight Network, 797 F3d 1020 (2015), un jugement de la Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral. Dans cet arrêt, la contrefaçon par attribution est reconnue et décrite ainsi :
La contrefaçon directe […] se produit lorsque toutes les étapes d’une méthode revendiquée sont exécutées par une seule entité ou sont attribuables à cette seule entité. […] Lorsque plus d’un acteur est impliqué dans la mise en œuvre des étapes, le tribunal doit déterminer si les actes de l’un sont attribuables à l’autre, de sorte qu’une seule entité est responsable de la contrefaçon. Nous tiendrons une entité responsable de l’exécution des étapes de la méthode par d’autres
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dans deux situations : 1) lorsque cette entité dirige ou contrôle l’exécution par d’autres et 2) lorsque les acteurs forment une coentreprise.
[…]
[…] Nous concluons que la responsabilité peut également être établie lorsqu’un contrefacteur prétendu fait dépendre la participation à une activité ou la réception d’un avantage de l’exécution d’une ou de plusieurs étapes d’une ou de plusieurs méthodes brevetées et établit la manière ou le moment de cette exécution. […] Dans ces cas, les actes du tiers sont attribués au contrefacteur prétendu, de sorte que celui‑ci devient le seul acteur à qui on peut imputer la contrefaçon directe. La question de savoir si un seul acteur a dirigé ou contrôlé les actes d’un ou de plusieurs tiers est une question de fait. […] [Renvois omis.]
Essentiellement, la contrefaçon directe exige qu’une seule entité exécute toutes les étapes d’une méthode revendiquée. Cependant, comme il est décrit dans l’arrêt Akamai, où les étapes d’une méthode revendiquées sont divisées entre deux ou plusieurs acteurs, le concept d’attribution découle d’une contrefaçon indirecte par l’un des acteurs.
Le concept d’attribution n’avait pas encore été expressément pris en compte dans les affaires de contrefaçon de brevet. Toutefois, il s’agit d’un principe bien établi en droit de la responsabilité délictuelle. Comme il est indiqué dans les observations écrites de Rovi, l’attribution de la responsabilité d’une partie à l’autre découle des principes de common law que sont la responsabilité du fait d’autrui et le mandat. Rovi invoque en particulier la décision Reading & Bates Construction Co c Baker Energy Resources Corp, [1986] ACF no 185 au para 61, où le juge Barry Strayer a fait remarquer ce qui suit :
[…] J’en conclus que lorsqu’on cherche à déterminer qui peut être considéré comme partie à une contrefaçon et donc tenu responsable en vertu de l’article 57 de la Loi sur les brevets, on ne doit pas recourir au droit de la province dans laquelle a eu lieu la contrefaçon mais aux principes s’appliquant aux délits civils dans la common law, que l’on peut présumer avoir été adoptés implicitement par le Parlement lorsqu’il a promulgué cet article de loi.
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Je suis convaincu que, bien qu’il soit nouveau d’importer le concept d’attribution associé à la responsabilité délictuelle dans la contrefaçon de brevets, il ne devrait pas être radié, car il ne peut être déterminé que ce concept est sans possibilité de succès à cette étape. Comme il a été mentionné précédemment, une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance.
La requête sera donc rejetée concernant la radiation de ces deux causes d’action.
[63] Je retiens la dernière phrase de l’avant‑dernier paragraphe qui vient d’être cité. À mon humble avis, cette phrase ne peut pas non plus être prise hors contexte. Elle doit plutôt être interprétée avec les diverses pages d’analyses qui la précèdent. En toute déférence, c’est inattaquable.
[64] Devant moi, Vidéotron réitère son argument selon lequel la contrefaçon directe par attribution n’est pas une cause d’action valable. Elle affirme que cette allégation est véritablement une [traduction] « nouvelle allégation »
en droit canadien.
[65] Le JGI a rejeté cet argument et a plutôt accepté, à la page 7 de son ordonnance, le fait que [traduction] « [l]es tribunaux canadiens ne [s’étaient] pas encore penchés sur cette cause d’action en développement ».
À la page 9, le JGI a qualifié la contrefaçon par attribution [traduction] « d’import[ation du] concept d’attribution associé à la responsabilité délictuelle dans la contrefaçon de brevets ».
[66] À mon humble avis, l’acte de procédure de Rovi constitue une « évolution progressive du droit »
qui devrait être autorisée à passer à l’étape du procès, conformément à l’arrêt Société des loteries de l’Atlantique, précité, au para 19 :
[19] Bien sûr, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour une requête en radiation. Le droit n’est pas immuable, et les demandes inédites qui pourraient représenter une évolution graduelle du droit devraient pouvoir être instruites (Imperial Tobacco, par. 21; Das c. George Weston Ltd., 2018 ONCA 1053, 43 E.T.R (4th) 173, par. 73; voir aussi R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, p. 670). […]
[Non souligné dans l’original.]
[67] En particulier, je suis d’accord avec l’observation suivante de Rovi :
[traduction]
37. En l’espèce, Rovi allègue que l’attribution est un prolongement logique des principes reconnus en matière de responsabilité délictuelle, étant donné qu’actuellement, au Canada, les recours pour les brevetés sont inadéquats et ne leur permettent pas de remédier au préjudice causé lorsque les éléments essentiels d’une revendication sont exécutés par deux parties qui sont liées dans leur intention ou autrement. Cette lacune dans la jurisprudence ouvre la porte à la possibilité pour les parties de contourner les revendications des brevets en travaillant avec une tierce partie ou en s’appuyant sur une tierce partie pour mettre pleinement en œuvre une invention. Dans un monde où la mise en œuvre d’inventions se fait de plus en plus à travers des réseaux, y compris les appareils mobiles et l’équipement des utilisateurs individuels, il est nécessaire que le droit des brevets évolue et s’adapte. Pour progresser dans ce contexte technologique, il ne faut pas radier une allégation d’une nouvelle cause d’action qui est suffisamment détaillée et de nature progressive au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable.
[68] Je suis également d’accord avec le JGI et Rovi pour dire que le concept d’attribution n’est pas nouveau. Il est bien établi en droit de la responsabilité délictuelle. Je ne vois pas pourquoi, en principe, on ne pourrait pas au moins l’envisager dans le contexte de la contrefaçon de brevet pour la même raison qu’il sert maintenant une fin utile en droit canadien de la responsabilité délictuelle. À ce stade‑ci. je ne conclus pas, et le JGI n’a pas conclu non plus, qu’il s’agit d’une cause d’action reconnue, mais seulement qu’il s’agit d’une cause d’action valable qui ne devrait pas être radiée sur requête préliminaire ou dans le présent appel. Je suis conscient qu’en tranchant la question de savoir si une cause d’action a une chance raisonnable de succès, « la Cour a le devoir d’évaluer minutieusement le caractère raisonnable ou la validité d’une demande à la lumière des principes juridiques applicables » :
voir Elbit Systems Electro‑Options Elop Ltd c Selex ES Ltd, 2016 CF 1129 [le juge Martineau] au para 13, citant Merck & Co c Apotex Inc, 2014 CF 883 [le protonotaire Lafrenière; tel était alors son titre] au para 38. Cette prétention me semble raisonnable et potentiellement viable.
[69] Le JGI s’est penché non seulement sur le droit canadien en matière de responsabilité délictuelle, où l’attribution est couramment appliquée dans les affaires, dans ce domaine, relevant de la responsabilité conjointe et de la responsabilité du fait d’autrui, mais aussi sur le droit américain des brevets, c’est‑à‑dire le droit applicable chez notre plus important partenaire commercial, où l’attribution est reconnue dans le contexte de la contrefaçon de brevets. Le JGI a ensuite conclu, à la page 8 de son ordonnance, que [traduction] « l’attribution de la responsabilité d’une partie à l’autre découle des principes de common law que sont la responsabilité du fait d’autrui et le mandat »
, et a conclu que ces causes d’action similaires en droit canadien penchent en faveur d’une conclusion portant que les allégations d’attribution ne devraient pas être radiées à cette étape de l’instance.
[70] Je note que le JGI s’est appuyé sur l’arrêt Akamai Techs, Inc v Limelight Networks, Inc, 797 F3d 1020 (2015) [Akamai], où la Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral a utilisé des principes similaires du droit de la responsabilité délictuelle pour accepter l’attribution des actions d’un tiers à la partie principale afin d’établir la contrefaçon par la partie principale.
[71] Vidéotron laisse entendre que le JGI a commis une erreur en s’appuyant sur cette affaire américaine, parce que l’arrêt Akamai porte sur une conclusion de [traduction] « contrefaçon directe »
sous le régime du droit américain des brevets, qui propose ainsi un concept juridique inconnu dans le droit canadien des brevets, où les actes d’un tiers sont considérés comme étant attribuables à la partie contrevenante prétendue. En réponse, Rovi soutient que l’interprétation du JGI est juste et qu’il s’est appuyé sur l’arrêt Akamai pour conclure que [traduction] « le concept d’attribution découle d’une contrefaçon indirecte »
. Il n’a pas qualifié l’attribution de forme de contrefaçon indirecte. Le JGI a plutôt caractérisé l’acte de procédure de Rovi comme alléguant [traduction] « la contrefaçon directe par suite de l’attribution des actes de Comcast ou des abonnés
» et a cité des sections pertinentes de l’arrêt Akamai décrivant la présence d’attribution lorsque [traduction] « les actes du tiers sont attribués au contrefacteur prétendu, de sorte que celui‑ci devient le seul acteur à qui on peut imputer la contrefaçon directe »
. En toute déférence, je ne suis pas en mesure de conclure que l’examen de l’arrêt Akamai par le JGI constitue une erreur manifeste et dominante.
[72] Vidéotron soutient en outre que les allégations de Rovi relatives à [traduction] « [l’]attribution »
visent à importer une théorie de complicité de contrefaçon dans le droit canadien, à savoir [traduction] « [qu’]une allégation de partage de la responsabilité lorsque les actions non contrefaisantes d’une partie (Comcast ou les abonnés) contribuent aux actions non contrefaisantes d’une autre partie (Vidéotron), de sorte qu’il ressort que, globalement, une seule entité (prétendument Vidéotron) est responsable de la contrefaçon ».
[73] Vidéotron allègue que le JGI importe effectivement le concept de complicité de contrefaçon, que les autorités canadiennes ont rejeté comme théorie de contrefaçon partagée : voir, par exemple, MacLennan c Produits Gilbert Inc, 2008 CAF 35 [MacLennan], et Apotex Inc c Nycomed Canada Inc, 2011 CF 1441 (la juge Simpson) [Nycomed].
[74] Cependant, Rovi affirme qu’elle ne cherche pas à importer une théorie de complicité de contrefaçon dans le droit canadien, et elle fait remarquer que la contrefaçon directe par attribution est une cause distincte d’action par rapport à la complicité de contrefaçon. Rovi fait également remarquer, et je suis d’accord, que les jugements invoqués par Vidéotron (MacLennan et Nycomed) peuvent être distingués, parce qu’aucune des deux affaires n’impliquait une allégation relative à l’attribution. De plus, les tribunaux canadiens n’ont tenu compte que d’arguments limités concernant la complicité de contrefaçon et n’ont pas fermé la porte à toute forme de contrefaçon partagée au Canada.
[75] En toute déférence, prenant appui sur le droit canadien en matière de responsabilité délictuelle et sur le droit américain en matière de brevet pour étayer la contrefaçon directe par attribution, le JGI n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur manifeste et dominante en décidant que l’attribution, comme l’a plaidé Rovi, était une cause d’action valable qui devait pouvoir procéder à ce stade‑ci.
[76] Pour conclure sur ce point, je juge que l’énoncé, par le JGI, des principes applicables à la requête en radiation de l’allégation relative à l’attribution ne contient aucune erreur manifeste et dominante ou autre. Je ne suis pas convaincu qu’il y ait une erreur manifeste et dominante ou autre dans son analyse subséquente ou son application de ces principes visant à déterminer si l’allégation d’attribution devrait être radiée au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable. Je conclus qu’elle ne devrait pas être radiée. L’appel alléguant que la contrefaçon de brevet par attribution ne révèle aucune cause d’action sera donc rejeté.
C. Le JGI a‑t‑il commis une erreur en jugeant que la DM et les annexes révélaient suffisamment de faits substantiels sur l’intention commune pour qu’aucune précision supplémentaire ne soit requise?
[77] Le JGI ayant conclu que ces deux causes d’action ne devaient pas être radiées, il a ensuite cherché à déterminer si les allégations d’intention commune et d’attribution contenaient suffisamment de précisions.
[78] Ce faisant, il a énoncé les principes suivants concernant la spécification applicable aux deux questions d’intention commune et d’attribution :
[traduction]
Page 9
Les autres questions en litige dans le cadre de la présente requête sont celles de savoir si la déclaration contient suffisamment de précisions et si certains de ses éléments devraient être radiés par manque de précision.
Vidéotron fait valoir que diverses parties de la déclaration contreviennent à l’article 221des Règles, car elles ne contiennent pas les faits substantiels nécessaires pour que Vidéotron ait une connaissance suffisamment précise de ce qu’elle doit réfuter.
La jurisprudence est vaste en ce qui concerne les actes de procédure appropriés [voir, par exemple, Mancuso c Canada, 2015 CAF 227, et Simon c Canada, 2011 CAF 6]; nous nous abstiendrons d’y faire renvoi en l’espèce. Qu’il suffise de dire que la Cour connaît la jurisprudence et l’a appliquée dans l’examen des positions des parties.
En règle générale, les précisions sont des faits substantiels allégués par la partie qui plaide et qui, s’ils sont prouvés, appuient l’allégation (Throttle Control Tech Inc c Precision Drilling Corporation, 2010 CF 1085 au para 10 [Throttle Control]). Les précisions visent à faciliter la capacité de plaider (Imperial Manufacturing Group Inc c Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100 au para 32). L’article 181 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106, exige qu’une partie inclue les précisions sur les allégations dans ses actes de procédure et permet à la Cour d’ordonner le dépôt de précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans l’un de ses actes de procédure.
Page 10
Lorsqu’elle est saisie d’une requête pour précisions, la Cour pose deux questions (Throttle Control, au para 10) :
1) Les précisions demandées sont‑elles des faits importants ou des éléments de preuve? Dans le premier cas, il peut être ordonné de les fournir; dans le dernier, il ne devrait pas être ordonné de le faire.
2) Les précisions demandées sont‑elles nécessaires pour répondre à l’acte de procédure?
Il importe également de noter que les faits substantiels qui sont recherchés au moyen d’une requête pour précisions ne doivent pas être connus de la partie requérante. Dans la mesure où ce n’est pas le cas, un affidavit devrait être fourni pour expliquer pourquoi les précisions sont requises (voir Tommy Hilfiger Licensing Inc c 2970‑0085 Québec Inc, [2000] ACF no 88]. Toutefois, le défaut de fournir un affidavit n’est pas nécessairement fatal à une requête pour précisions (voir Throttle Control, aux para 8, 9).
[79] Avant d’examiner cet aspect de l’appel, il vaut la peine de rappeler que la DM en l’espèce comptait 47 pages et qu’elle était accompagnée d’annexes contenant 358 pages supplémentaires dans lesquelles figuraient des précisions. Malgré cela, Vidéotron a allégué que les actes de procédure et les précisions n’étaient pas suffisamment précis.
[80] À cet égard, Vidéotron affirme au début de son mémoire (au para 3) que [traduction] « [l]’appel de Vidéotron est axé sur les allégations de Rovi relatives à l’"attribution" et à l’"intention commune" ».
Je suppose que c’est le cas en ce qui concerne les observations de Vidéotron quant aux deux questions de cause d’action et de spécification.
[81] En ce qui concerne la spécification des allégations d’intention commune, le JGI a déclaré ce qui suit à la page 16 :
[traduction]
Page 16
Les paragraphes 67 à 69 Ces paragraphes traitent de la contrefaçon par intention commune entre Vidéotron et Comcast. Bien que Vidéotron ait fait valoir que la cause d’action n’existait pas en droit canadien, j’ai conclu précédemment que, même si elle était nouvelle, elle devait pouvoir procéder.
La question est de savoir s’il y a suffisamment de faits substantiels dans la déclaration ou si des précisions devraient être ordonnées. À mon avis, la déclaration fait état de la connaissance limitée qu’a Rovi de la relation entre Vidéotron et Comcast. Dans la déclaration, il est également affirmé que Vidéotron et Comcast ont agi de concert pour concevoir, fabriquer et vendre Helix TV aux abonnés et que cette conduite visait un intention commune. Vidéotron connaît les arguments qu’elle doit réfuter.
[82] Dans son mémoire, Vidéotron soutient ce qui suit :
[traduction]
24. Le fait d’autoriser des allégations sur la base d’énoncés imprécis, spéculatifs ou catégoriques invite les parties à faire les allégations les plus vagues, sans faits substantiels, à prétendre que tout est pertinent et à lancer leur filet à l’aveuglette. [Note de bas de page : Merchant Law Group c Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184, CLRJDV, onglet 15, au para 34; R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, CLRJDV, onglet 18, au para 25.] Le JGI a conclu que Rovi avait fait ce type d’allégations larges et imprécises au sujet de l’implication de Vidéotron avec Comcast, prenant acte du fait que « Rovi reconna[issait] implicitement qu’il n’exist[ait] aucun fait substantiel démontrant précisément ce qu’une entité de Comcast a[vait] fait qui équivalait à une contrefaçon directe ». [Note de bas de page : ordonnance, à la p 15.]
25. Le JGI a conclu que l’acte de procédure de Rovi « ne prévo[yait] pratiquement aucune limite à la portée de l’enquête sur la relation entre Vidéotron et Comcast », ce qui « [pourrait] mener à une communication préalable sans limite ». L’acte de procédure ne définit pas les questions à trancher. Il n’y a pas d’indication sur les faits qui devront être prouvés au procès pour établir la responsabilité, ni sur les faits contraires qui serviraient à une défense.
26. Les conclusions du JGI auraient dû l’amener à radier les allégations de Rovi, car le JGI a également conclu que « l’implication de Comcast avec Vidéotron, selon une interprétation holistique de la déclaration, constitue une partie essentielle des contrefaçons alléguées ». [Note de bas de page : ordonnance, à la p 15.] C’était particulièrement le cas en raison de la nouveauté des allégations plaidées.
[…]
53. En outre, plutôt que de définir clairement les rôles que Vidéotron, Comcast et les abonnés jouent dans la contrefaçon alléguée, Rovi reconnaît expressément qu’elle n’a pas connaissance de ces faits requis. Rovi déclare ce qui suit : « En ce qui concerne Helix TV, les rôles précis que Vidéotron et Comcast jouent dans i) l’utilisation et/ou la fourniture des méthodes énoncées dans ces revendications et ii) la distribution, l’offre de vente, la vente, la location, l’approvisionnement, ou par ailleurs l’utilisation ou la mise à disposition de Helix TV d’une manière qui contrevient aux systèmes et aux méthodes énoncés dans ces revendications, ne sont pas connus de Rovi, mais le sont de Vidéotron ». (Non souligné dans l’original.)
54. Le JGI a par erreur accepté que l’allégation d’intention commune soit maintenue, parce qu’il n’a pas examiné si, compte tenu des faits plaidés, la nouvelle allégation avait une chance raisonnable d’être accueillie. Étant donné que Rovi n’a pas fourni suffisamment de faits substantiels à l’appui de l’existence d’un auteur principal du délit, comme l’exige la nouvelle allégation d’intention commune, cette allégation doit être radiée.
[83] En ce qui concerne le dernier paragraphe cité ci‑dessus, comme j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un « auteur principal du délit »
dans une cause d’action fondée sur l’intention commune, cette demande de précisions doit être rejetée.
[84] Rovi conteste les observations de Vidéotron, et fait remarquer que le JGI a examiné et considéré les allégations factuelles sous‑jacentes relatives à l’attribution et à l’intention commune, aux pages 14 à 16 de ses motifs, et a conclu que des faits substantiels suffisants avaient été plaidés. Le JGI a conclu [traduction] « [qu’]étant donné le caractère exhaustif de la déclaration, les précisions qu’elle contient et les annexes, Vidéotron connaît les arguments qu’elle doit réfuter »
, « [qu’]il ne s’agit pas d’une affaire où une partie fait un acte de procédure ouvert, dans l’espoir de trouver une cause d’action au moyen du processus de communication préalable »
, et « [que] Rovi a plaidé une cause d’action et a fourni des précisions ».
[85] Vidéotron n’a fourni aucune preuve indiquant que cela exigeait d’autres précisions sur l’intention commune ou l’attribution. En toute déférence, le JGI a noté à juste titre que, pour ordonner des précisions, le tribunal doit répondre à deux questions : 1) les précisions demandées sont‑elles des faits importants ou des éléments de preuve? et 2) les précisions demandées sont‑elles nécessaires pour répondre à l’acte de procédure? (Throttle Control Tech Inc c Precision Drilling Corporation, 2010 CF 1085 [le juge Zinn] au para 10).
[86] Le JGI a répondu à ces questions. Il a souligné la jurisprudence selon laquelle les faits substantiels ne devaient généralement pas être connus de la partie requérante, et il a fait observer à juste titre que, si les faits substantiels n’étaient pas connus de la partie requérante, il fallait alors, en général, fournir un affidavit expliquant pourquoi les précisions étaient requises (voir Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c 2970‑0085 Québec Inc., [2000] ACF no 88 [le protonotaire Lafrenière; tel était alors son titre] au para 43). Un affidavit peut avoir une valeur persuasive lorsque le besoin de précisions n’est pas évident au vu du dossier (voir Brantford Chemicals Inc c Merck & Co Inc, 2004 CAF 223 au para 4). Le JGI n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur claire et manifeste en énonçant ces principes.
[87] Le seuil pour un appel est très élevé, et il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions rendues par les juges de la Cour responsables de la gestion de l’instance, y compris les protonotaires : voir Apotex Inc c Canada (Santé), 2016 CF 776 [la juge Kane] aux para 13, 15, citant J2 Global Communications Inc c Protus IP Solutions Inc, 2009 CAF 41 :
[16] Notre Cour a maintes fois réaffirmé qu’en raison de leur connaissance intime du procès et de sa dynamique, les protonotaires et les juges de première instance doivent pouvoir jouir d’une grande latitude dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion des instances (voir également les articles 75 et 385 des Règles des Cours fédérales). Comme notre Cour se tient loin de la mêlée, elle ne doit intervenir que pour empêcher des injustices flagrantes et pour corriger des erreurs graves et évidentes. Or, aucune erreur de cette nature n’a été démontrée en l’espèce. Au contraire, l’ordonnance de la protonotaire Tabib me semble être une solution créative et efficace pour faire avancer un procès qui semble s’empêtrer depuis un bon moment.
[88] Il est également pertinent de rappeler que la Cour d’appel fédérale, dans un formation de cinq juges, a examiné et rejeté la proposition selon laquelle les décisions des juges responsables de la gestion de l’instance, y compris les protonotaires, étaient révisées de novo par les juges de notre Cour. Bien qu’elles l’aient déjà été, l’arrêt Hospira, précité, a mis fin à cette exigence :
[64] Cette situation « change radicalement la donne » pour ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires. À mon avis, le rôle de surveillance des protonotaires que confère aux juges l’article 51 des Règles n’exige plus que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires donnent lieu à des instructions de novo. Ce point de vue, comme le juge Low l’a bien fait comprendre dans Zeitoun, est maintenant dépassé par l’évolution et la rationalisation des normes de contrôle, ainsi que par la présomption d’aptitude, tant des juges que des protonotaires, à remplir les fonctions que le législateur leur a attribuées. Autrement dit, les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits.
[Non souligné dans l’original.]
[89] En l’espèce, le JGI a déterminé que le besoin de précisions n’était pas évident au vu du dossier. De plus, Vidéotron n’a pas déposé d’affidavit à l’appui de son argument selon lequel il n’y avait pas suffisamment de faits substantiels pour qu’elle connaisse les arguments qu’elle doit réfuter. Fait important, je remarque que, dans son mémoire, Vidéotron souligne qu’il n’y a pas d’erreur manifeste ou dominante à cet égard.
[90] Pour ce qui est du reste des allégations, le JGI y répond, à mon humble avis, dans ses motifs cités ci‑dessus. Je ne suis pas convaincu qu’il y ait une erreur manifeste et dominante relativement à la décision du JGI concernant la demande de Vidéotron de préciser davantage les allégations d’intention commune. Par conséquent, l’appel concernant les précisions relatives à l’allégation d’intention commune sera rejeté.
D. Le JGI a‑t‑il commis une erreur en jugeant que la DM et les annexes révélaient suffisamment de faits substantiels sur l’attribution pour qu’aucune précision supplémentaire ne soit requise?
[91] D’entrée de jeu, nous devons nous rappeler que le JGI a énoncé des principes directeurs régissant les précisions, lesquels s’appliquent à la fois aux allégations d’intention commune et de contrefaçon par attribution. Ils sont reproduits au paragraphe 78 ci‑dessus.
[92] Il convient également de rappeler que la DM en l’espèce est longue et compte 47 pages et qu’elle est accompagnée d’annexes contenant 358 pages supplémentaires dans lesquelles figurent des précisions.
[93] Pour ce qui a trait à la spécification des allégations d’attribution, Vidéotron soutient que Rovi a omis de plaider, en ce qui concerne les caractéristiques prétendument contrefaites, quelles mesures ont été prises par Comcast ou quels éléments ont été fournis par Comcast, et pourquoi ces activités devraient être attribuables à Vidéotron.
[94] Cependant, en toute déférence, Vidéotron a présenté le même argument devant le JGI dans le cadre de la requête en radiation.
[95] De plus, comme il a été mentionné précédemment, la Cour n’est plus tenue de mener une analyse de novo des actes de procédure dans le cadre d’un appel relatif à une requête en radiation : voir Hospira, précité, au paragraphe 64 :
[…] À mon avis, le rôle de surveillance des protonotaires que confère aux juges l’article 51 des Règles n’exige plus que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires donnent lieu à des instructions de novo. […] Autrement dit, les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits.
[96] Je n’ai pas besoin d’aller plus loin pour rejeter le présent appel.
[97] Cependant, à cet égard, Rovi a également fourni les exemples suivants d’allégations déjà plaidées qui, à mon avis, appuient la conclusion du JGI selon laquelle des faits substantiels suffisants sont plaidés quant à la raison pour laquelle les actes de Comcast sont attribuables à Vidéotron :
a)Rovi a indiqué la ou les étapes prises par Comcast en plaidant que chacune des étapes de la méthode énoncée dans les revendications est utilisée ou fournie par Vidéotron, Comcast et/ou l’abonné;
b)Rovi a identifié les composants ayant été fournis par Comcast en plaidant que tous les éléments du système étaient fournis ou autrement rendus disponibles par Vidéotron, Comcast et/ou l’abonné;
c)Rovi a expliqué pourquoi ces activités devraient être attribuables à Vidéotron, en plaidant que :
vers 2017, Vidéotron a annoncé une entente pour lancer un nouveau produit GPI avec Comcast;
Helix TV est basé sur le produit Xfinity X1 IPG (le
« X1 »
) de Comcast. Vidéotron a personnalisé le X1 pour Helix TV, en choisissant de mettre en œuvre certaines fonctionnalités du X1 et/ou en exigeant que Comcast modifie certains aspects du X1 pour Helix TV;Vidéotron a fait dépendre la participation à une activité ou la réception d’un avantage de l’exécution par Comcast d’une ou de plusieurs étapes d’une méthode brevetée ou à la fourniture par Comcast d’un ou de plusieurs composants d’un système breveté en concluant un contrat avec Comcast pour le développement et l’exploitation d’Helix TV;
Vidéotron a établi la manière et le moment de l’exécution de Comcast, en donnant des instructions à Comcast au moyen de la correspondance, des négociations contractuelles, des propositions techniques, des spécifications techniques, des demandes de propositions, des contrats et de documents semblables; par téléphone, en ligne et des discussions en personne. À ce titre, toute exécution d’une ou de plusieurs étapes d’une méthode brevetée ou toute fourniture d’un composant d’Helix TV par Comcast est imputée à Vidéotron;
Vidéotron contrôle la façon dont Comcast met en service Helix TV et le lieu où elle le fait, et Vidéotron a établi la façon de déterminer le délai d’exécution de Comcast, en donnant des instructions à Comcast par divers moyens, comme la correspondance, les négociations contractuelles, les propositions techniques et les spécifications techniques.
[98] Aux pages 14 et 15 de son ordonnance, le JGI a examiné les actes de procédure de Rovi. Ils ont été qualifiés, y compris leurs annexes, comme étant [traduction] « exhaustifs
» et [traduction] « suffisamment »
détaillés. De plus, le JGI a conclu que Vidéotron connaissait les arguments qu’elle devait réfuter. Il faut faire montre de retenue à l’égard des conclusions du JGI dans le cadre du présent appel sous le régime de l’article 51 des Règles, selon le résumé fait au paragraphe 67 de la décision Hughes. Je vais leur accorder cette retenue.
[99] Bien que les motifs du JGI soient nécessairement brefs, la Cour d’appel fédérale a statué que « des motifs détaillés ne sont pas requis dans une ordonnance d’un protonotaire »
(Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230 au para 11). Il en est ainsi parce que [traduction] « [l]es protonotaires doivent se prononcer sur un nombre extraordinaire de questions de nature procédurale »
(Novopharm Limited c Nycomed Canada Inc, 2011 CF 109 (le juge Mandamin) au para 22 [Novopharm]). Je remarque que [TRADUCTION] « [s]'il fallait que chaque ordonnance discrétionnaire soit assortie d’une série complète de motifs en vue de dissuader la partie déboutée d’interjeter appel et d’inviter la Cour à exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire, la situation serait intolérable et, de ce fait, la justice suivrait péniblement son cours »
(Novopharm, précitée).
[100] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les conclusions du JGI concernant la spécification de l’attribution étaient le résultat d’une erreur manifeste et dominante ou autre. Par conséquent, l’appel à cet égard sera rejeté.
VII. Conclusion
[101] À mon humble avis, Vidéotron n’a pas réussi à établir que le JGI avait commis une erreur manifeste et dominante ou autre en rejetant sa requête visant à radier des parties de la DM de Rovi relatives à l’intention commune ou à l’attribution. Je suis en outre convaincu qu’aucune erreur manifeste et dominante ou autre n’a été commise à l’égard du rejet par le JGI des prétentions de Vidéotron concernant des précisions supplémentaires relativement à l’intention commune ou à l’attribution. Par conséquent, l’appel sera rejeté dans son intégralité.
VIII. Les dépens
[102] Les parties ont conjointement proposé que la partie déboutée verse la partie aurait gain de cause, à titre de dépens, la somme forfaitaire de 4 000 $, tout compris. À mon avis, cela est raisonnable et je vais rendre une ordonnance en faveur de la demanderesse Rovi.
JUGEMENT dans le dossier T‑841‑21
LA COUR ORDONNE :
L’appel est rejeté.
La défenderesse devra verser à la demanderesse, à titre de dépens, la somme forfaitaire de 4 000,00 $, tout compris.
« Henry S. Brown »
Juge
C. Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑841‑21 |
INTITULÉ :
|
ROVI GUIES, INC. c VIDEOTRON LTÉE |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 31 MAI 2022 |
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE BROWN |
DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
|
Le 30 JUIN 2022 |
COMPARUTIONS :
Sana Halwani
Andrew Moeser
Veronica Tsou
Jacqueline Chan |
POUR LA DEMANDERESSE |
Bruce W. Stratton
Alan Macek
Michal Kasprowicz
|
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lenczner Slaght LLP Avocats et procureurs Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
DLA Piper (Canada) LLP Avocats et procureurs Toronto (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE |