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Date : 20220704

Dossier : T‑893‑21

Référence : 2022 CF 974

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 4 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

WI‑LAN INC.

 

demanderesse (intimée)

 

et

 

APPLE CANADA INC. ET APPLE INC.

 

défenderesses (appelantes)

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les défenderesses ont interjeté appel, au titre de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), d’une ordonnance qu’elles cherchent à faire annuler; celle‑ci est datée du 6 octobre 2021 et elle a été rendue par la juge adjointe Milczynski, qui agit à titre de juge responsable de la gestion de la présente instance en matière de brevets. La juge adjointe a rejeté la requête des défenderesses par laquelle ces dernières cherchaient à obtenir une ordonnance radiant la déclaration datée du 3 juin 2021 et, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir des précisions relativement à certaines allégations figurant dans cet acte de procédure.

[2] Pour les motifs exposés ci‑dessous, l’appel sera rejeté avec dépens fixés par la Cour.

I. Les allégations énoncées dans la déclaration

[3] La demanderesse, Wi‑LAN Inc., allègue dans sa déclaration qu’« au moins » 59 appareils mobiles Apple contrefont certaines revendications du brevet canadien no 2 686 159 (le brevet 159), parce qu’ils appliquent certaines normes pour les technologies de communications mobiles définies dans l’acte de procédure comme étant les [traduction] « normes de la 4G » et les [traduction] « normes de la 5G » (les normes 4G et 5G). Dans la déclaration, il est question des normes 4G et 5G qui intégreraient les méthodes revendiquées dans le brevet 159. Par conséquent, selon la demanderesse, les défenderesses contrefont le brevet 159 en fabriquant, en utilisant et en vendant des appareils mobiles compatibles avec ces normes. Dans la déclaration, il est également question des produits Apple qui seraient fabriqués ou spécifiquement configurés pour appliquer les normes 4G et 5G, s’y conformer ou interopérer avec elles.

[4] Au paragraphe 20 de la déclaration, on y affirme qu’en termes généraux, non limitatifs et non techniques, le brevet 159 divulgue et revendique des technologies liées à l’utilisation [traduction] « d’identificateurs d’accès réservés non litigieux par des stations mobiles (par ex. les téléphones cellulaires) pour permettre un accès aléatoire efficace à des fins diverses ». Un exemple est donné dans l’acte de procédure : une station mobile (soit un téléphone cellulaire) peut faire l’utilisation des technologies divulguées et revendiquées dans le brevet 159 pour effectuer un transfert efficace lorsqu’elle se déplace d’une station de base (une antenne‑relais de téléphonie mobile) à une autre station de base.

[5] Dans la déclaration, il est indiqué que toute station mobile Apple qui applique les normes 4G et 5G, s’y conforme ou interopère avec elles contrefait les revendications énoncées dans le brevet 159 lorsqu’elle est utilisée, fabriquée, importée, distribuée, mise en vente, vendue, fournie et/ou mise à disposition de quelque manière que ce soit au Canada.

[6] Les annexes sont jointes à la déclaration. Il est allégué que l’annexe B est un rapport d’essai rédigé par un tiers indépendant qui avait mis à l’essai un appareil Apple, soit l’iPhone 12 Pro.

[7] L’annexe C est un tableau de revendications. Les paragraphes 71‑72 de la déclaration invoquent le fait que l’annexe C :

[traduction]
[…] fournit une illustration préliminaire et non limitative de la contrefaçon commise par Apple au moyen des appareils contrefaits en ce qui concerne les revendications invoquées; en outre, elle fait référence à des parties illustratives du rapport d’essai ainsi que des normes 4G et des normes 5 G.

Wi‑LAN ignore l’étendue et la nature des activités de contrefaçon commises par Apple, mais Apple les connaît. Wi‑LAN demande réparation pour tous les actes de contrefaçon, directs ou autres, commis par Apple.

[8] Les défenderesses ont demandé la radiation de la déclaration et, subsidiairement, l’obtention de précisions. La juge adjointe a rejeté leur requête.

II. Les normes de contrôle applicables à un appel et les positions des parties

A. Les normes énoncées dans l’arrêt Hospira pour les appels fondés sur l’article 51 des Règles

[9] Les normes de contrôle applicables au présent appel ne sont pas contestées. Dans le cadre d’un appel interjeté au titre de l’article 51 à l’encontre d’une ordonnance discrétionnaire d’un juge adjoint, la Cour applique les normes de contrôle établies par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331 [Hospira]. La Cour fédérale ne peut intervenir dans une décision discrétionnaire d’un juge adjoint que si ce dernier a commis une erreur sur une question de droit, ou s’il a commis une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit (Hospira, aux para 68, 69 et 79). Dans l’arrêt Hospira, la Cour d’appel fédérale a adopté la même norme pour les appels fondés sur l’article 51 des Règles que celle établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, pour le contrôle en appel des décisions des juges de première instance : Housen, aux para 19‑37.

[10] La norme de la décision correcte peut également s’appliquer à une question de droit ou à un principe juridique isolable d’une question mixte de fait et de droit : (Hospira, aux para 66 et 71‑72). Voir aussi Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344 aux para 57 et 74; Teal Cedar Products Ltd c Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 RCS 688 au para 44. La norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique si les conclusions contestées sont axées sur les faits ou si un principe juridique n’est pas facilement isolable : Mahjoub, aux para 60, 156 et 318; Housen, au para 36; Teal Cedar Products, aux para 43‑44.

[11] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : Benhaim c St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 RCS 352 au para 38; Mahjoub, aux para 61‑64. La norme de la décision correcte permet à la Cour de substituer sa propre conclusion à celle de la juge adjointe.

[12] Un juge responsable de la gestion de l’instance est censé très bien connaître les questions et les faits particuliers d’une affaire. Les décisions doivent être traitées avec déférence, surtout en ce qui concerne les questions où les faits dominent : Hospira, aux para 102‑103.

B. Les positions des parties à l’égard de l’appel

[13] L’avis de requête des défenderesses (appelantes) et leurs observations écrites dans le cadre du présent appel visaient l’obtention d’une ordonnance annulant l’ordonnance de la juge adjointe et radiant la déclaration au titre de l’article 221 des Règles, au motif qu’aucun fait substantiel révélant une cause d’action valable n’avait été invoqué.

[14] L’avis de requête visait également à obtenir, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir des précisions supplémentaires aux termes de l’article 181 des Règles. Toutefois, dans le cadre de l’appel, les défenderesses n’ont pas présenté d’observations écrites ou orales concernant le fond de cette question. La juge adjointe a relevé que les défenderesses n’ont produit aucun élément de preuve pour démontrer qu’elles n’étaient pas en mesure de comprendre la cause à laquelle elles devaient répondre et/ou de préparer de manière adéquate une plaidoirie en réponse à la déclaration.

[15] À bien des égards, l’appel des défenderesses visait à faire valoir de nouveau leurs arguments figurant dans la requête en radiation présentée à la juge adjointe, tout en cherchant à cerner une erreur susceptible de contrôle dans le raisonnement de cette dernière. Les défenderesses ont présenté plusieurs observations visant à cerner des erreurs de droit dans l’ordonnance de la juge adjointe. Les défenderesses ont cherché à qualifier de [traduction] « nouvelle question de droit » la question de savoir si la déclaration révélait une cause d’action valable pour une [traduction] « réclamation fondée sur des normes ».

[16] Les observations principales des défenderesses concernaient l’existence de faits substantiels suffisants dans la déclaration. Les défenderesses soutiennent que la juge adjointe a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que la déclaration révélait une cause d’action, et en particulier en concluant qu’elle comprenait suffisamment de faits substantiels pour alléguer la contrefaçon du brevet 159. Les défenderesses ont fait valoir que certains aspects de la déclaration ont été plaidés [traduction] « de manière illustrative et non de manière circonscrite ». À ce titre, la juge adjointe aurait commis une erreur en déclarant que la demanderesse avait plaidé que l’invention revendiquée était [traduction] « incorporée dans des sections particulières des normes 4G et 5G pour les télécommunications cellulaires », sans tenir compte de l’insuffisance de ce plaidoyer. Les défenderesses ont fait valoir que la déclaration devait leur indiquer « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » leur responsabilité avait été engagée, comme l’exige l’arrêt Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227 au para 19. Elles ont mis l’accent sur le « comment » de l’exposé des faits substantiels. Les défenderesses ont fait valoir de manière très détaillée que l’acte de procédure n’invoquait pas de manière satisfaisante les dispositions spécifiques de toutes les versions publiées (intitulées « Releases » (versions)) des normes 4G et 5G qui auraient été contrefaites; elles soutiennent que l’acte de procédure invoquait plutôt certaines dispositions de manière illustrative.

[17] Lors de l’audience du présent appel, les défenderesses se sont concentrées sur le paragraphe 71 de la déclaration, dans lequel il est invoqué que le tableau des revendications à l’annexe C constituait une [traduction] « illustration préliminaire et non limitative » des allégations de contrefaçon les visant. Les défenderesses ont fait valoir qu’en permettant à l’acte de procédure de comprendre une description « préliminaire » et « non limitative » de la contrefaçon, la juge adjointe n’a pas respecté les principes juridiques énoncés respectivement dans l’arrêt R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45 aux para 22 et 24, et dans la décision Throttle Control Tech Inc c Precision Drilling Corporation, 2010 CF 1085 au para 26.

[18] La demanderesse (intimée) a fait valoir que la première erreur de droit alléguée n’en était pas une; il s’agissait plutôt d’une erreur [traduction] « créée de toutes pièces » lorsque les défenderesses ont qualifié la question de [traduction] « nouvelle question de droit ». Au contraire, selon la demanderesse, les défenderesses ont simplement exprimé leur désaccord quant à l’application par la juge adjointe du droit établi, dans le cadre d’une requête en radiation, aux faits précis de la présente affaire tels qu’ils sont allégués dans la déclaration.

[19] La demanderesse a également fait valoir que le recours à une formulation ouverte ou illustrative dans la déclaration ne constitue pas un fondement pour radier celle‑ci ou ordonner des précisions supplémentaires (citant Reliance Comfort Limited Partnership c Commissaire de la concurrence, 2013 CAF 129). En outre, lors de l’audience du présent appel, la demanderesse a fait valoir que les défenderesses avaient indûment soulevé de nouveaux arguments qui n’avaient pas été débattus devant la juge adjointe : ces arguments se rapportaient aux allégations du paragraphe 71 de la déclaration.

[20] Pour répondre aux arguments des défenderesses, la demanderesse a présenté des arguments tout aussi détaillés à l’appui de la conclusion de la juge adjointe selon laquelle la déclaration comprenait des faits substantiels suffisants pour soutenir les allégations de contrefaçon.

[21] Dans leurs observations écrites, les défenderesses ont également fait valoir que la juge adjointe avait commis une erreur de droit en concluant que, considérée dans son ensemble, la déclaration faisait valoir que les méthodes revendiquées par le brevet 159 étaient « essentielles ». Selon les défenderesses, une déclaration ne peut se prêter qu’à une seule interprétation correcte et l’interprétation formulée par la juge adjointe était erronée. La demanderesse n’est pas de cet avis; elle soutient que la juge adjointe a correctement relevé qu’il était évident, d’après la déclaration, que les défenderesses se livraient forcément à de la contrefaçon dès lors que leurs appareils appliquaient les normes 4G et 5G intégrant l’invention revendiquée, s’y conformaient ou interopéraient avec celles‑ci. La demanderesse a reconnu que la juge adjointe avait correctement caractérisé l’essentiel de sa réclamation dans l’ordonnance qu’elle avait rendue et dans laquelle elle avait mentionné ce qui suit :

[traduction]
Wi‑LAN plaide que l’invention revendiquée décrite ci‑dessus est intégrée dans des sections particulières des normes 4G et 5G pour les télécommunications cellulaires. Ces normes 4G et 5G ont été élaborées par une organisation mondiale (3GPP) qui établit des normes de compatibilité pour les réseaux de télécommunications cellulaires. Si les appareils appliquent ces sections des normes 4G ou 5G, s’y conforment ou interopèrent avec celles‑ci, Wi‑LAN soutient que ces appareils font forcément usage de l’invention revendiquée. Dans la mesure où Apple fabrique, utilise ou vend de tels appareils mobiles conformes aux normes 4G ou 5G, Wi‑LAN allègue qu’Apple a contrefait le brevet 159.

[22] La demanderesse a fait observer qu’il appartient au juge du procès de trancher si, sur le fond, la réclamation était fondée au regard de la preuve au dossier. Pour le moment, l’acte de procédure a révélé l’existence d’une cause d’action valable.

III. Analyse

A. Les questions relatives au défaut allégué de plaider des faits substantiels

[23] À mon avis, les arguments des défenderesses quant à un défaut allégué de plaider des faits substantiels dans la déclaration ne peuvent pas être retenus.

[24] Tout d’abord, les défenderesses n’ont pas fait valoir que la juge adjointe avait appliqué une norme incorrecte ou un mauvais principe de droit au titre de l’article 221 des Règles des Cours fédérales. Les défenderesses n’ont pas non plus cerné une véritable question de droit attribuable au caractère « nouveau » de la déclaration. Au lieu de cela, les arguments des défenderesses en appel sont décrits à juste titre comme étant l’application du droit établi sur une requête en radiation quant à des allégations de contrefaçon d’un brevet. La position des défenderesses consistait essentiellement en une nouvelle argumentation de la requête en radiation, avec une insistance et des arguments différents, dans le but de montrer que la juge adjointe avait commis une erreur en appliquant aux faits (c’est‑à‑dire aux allégations comprises dans la déclaration qui sont tenues pour avérées) le critère incontesté qui s’applique à une requête en radiation. Ce type d’erreur alléguée est une erreur mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : Bewsher c Canada, 2020 CAF 216 aux para 6‑7.

[25] Deuxièmement, en examinant le bien‑fondé de la position des défenderesses, je conclus que la juge adjointe n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son analyse des allégations figurant dans la déclaration.

[26] Selon l’article 174 des Règles, « [t]out acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits ». Une partie est tenue d’alléguer des faits substantiels suffisamment précis à l’appui de la déclaration, ou de la cause d’action avancée, et de la mesure sollicitée (Mancuso, aux para 16‑17). Les objectifs de l’exposé de faits substantiels suffisamment précis sont d’aviser l’autre partie (ou les autres parties) de façon à lui (ou leur) permettre de préparer un système de défense, de cerner les questions en litige avec une précision raisonnable, d’encadrer les interrogatoires préalables et de permettre aux avocats de conseiller leur(s) client(s), de préparer leurs moyens et d’établir une stratégie en vue du procès, ainsi que de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès : (Mancuso, au para 17).

[27] Il est inapproprié, dans un acte de procédure, de faire des allégations laconiques et catégoriques qui ne reposent sur aucun fait substantiel invoqué : Merchant Law Group c Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184 aux para 34‑35. Cependant, il n’existe pas de démarcation nette entre les faits substantiels et de telles allégations laconiques. Un acte de procédure doit être apprécié à la lumière des éléments constitutifs de la ou des causes d’action avancées et des faits substantiels tels qu’ils ont été allégués. Si l’on considère l’acte de procédure dans son ensemble, celui‑ci doit faire état des questions « avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction » : Mancuso, au para 18. Pour décider si les actes de procédure permettront d’assurer « la saine gestion et l’équité » de l’instruction, la Cour saisie d’une requête en radiation « doit examiner l’ensemble des circonstances, y compris la connaissance relative et les moyens de connaissance des parties » : Enercorp Sand Solutions Inc c Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 au para 36.

[28] Dans le passage tiré de l’arrêt Mancuso sur lequel les défenderesses ont insisté, le juge Rennie a également affirmé ce qui suit :

[19] La pertinence des faits est établie en fonction du moyen et des dommages‑intérêts réclamés. Le demandeur doit énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée.

[Non souligné dans l’original.]

[29] La Cour d’appel fédérale a déclaré que la phrase soulignée de l’arrêt Mancuso doit être interprétée à la lumière de l’exigence d’assurer la « saine gestion et l’équité » Enercorp, au para 37; McCain Foods Limited c J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4 au para 39.

[30] Compte tenu des règles de droit mentionnées ci‑dessus et de la norme appelant à la déférence qu’il convient d’appliquer en appel, je conclus que l’ordonnance de la juge adjointe dans la présente affaire ne contenait pas d’erreur manifeste et dominante.

[31] L’ordonnance de la juge adjointe indiquait ce qui suit quant à la nature illustrative de l’acte de procédure :

[traduction]
Wi‑LAN a relevé 59 produits Apple. Elle a testé l’un d’entre eux pour obtenir des précisions quant à la contrefaçon et elle allègue que les 58 autres produits présentent les mêmes caractéristiques. La liste n’est pas exhaustive, car Wi‑LAN déclare ne pas connaître les autres produits qui pourraient être en cours d’élaboration. À ce stade précoce de la procédure, la liste non exhaustive des appareils allégués comme étant contrefaits n’est pas inappropriée. Bien qu’elle indique que tous les produits Apple conformes aux normes 4G ou 5G font l’objet d’une contrefaçon, seule Apple sait précisément quels sont ces produits. Comme les paragraphes 5‑6 de l’arrêt LeddarTech Inc. c Phantom Intelligence Inc., 2017 CAF 224 le relèvent, les plaidoiries non limitatives en matière de contrefaçon sont admissibles, à condition qu’il existe un lien entre les caractéristiques particulières donnant lieu à la contrefaçon et les caractéristiques des produits non spécifiés dont la contrefaçon est alléguée.

Dans la présente affaire, il existe un lien (conformité/compatibilité avec la norme 4G ou 5G) entre les produits définis qui seraient contrefaisants et les autres produits susceptibles de présenter les mêmes caractéristiques dont la contrefaçon est alléguée (voir aussi Emerson Electric Co. c La société Canadian Tire Limitée 2016 CF 308).

[32] Les défenderesses n’ont pas expressément contesté le premier paragraphe de ce passage. Je n’y trouve aucune erreur manifeste et dominante (ni d’erreur de droit).

[33] Le point central de la position des défenderesses dans le présent appel est passé d’un argument fondé sur l’arrêt LeddarTech Inc. c Phantom Intelligence Inc., 2017 CAF 224 et la décision Emerson Electric Co. c La société Canadian Tire Limitée, 2016 CF 308, à un argument qui visait à établir une distinction entre ces affaires et celle qui nous intéresse et à démontrer que la déclaration n’avait pas suffisamment étayé l’existence d’un lien en raison de la présentation illustrative des dispositions relatives aux versions des normes 4G et 5G, dans le cadre des allégations de contrefaçon. Je conviens avec la demanderesse que les arguments présentés par les défenderesses ne reflétaient pas le fondement de la position qu’elles avaient fait valoir devant la juge adjointe; ces arguments ont été présentés sommairement dans le cadre d’un argument plus vaste formulé dans les observations écrites des défenderesses (en réplique, ces dernières se sont référées aux paragraphes 58‑60 de ces observations, et en particulier au paragraphe 60(a)). Il n’y a pas lieu de reprocher à la juge adjointe de ne pas s’être concentrée sur l’argument invoqué à présent en appel.

[34] La demanderesse a fait valoir que sa position était forcément « préliminaire », parce qu’il était question d’une allégation dans le cadre d’un acte de procédure; celle‑ci demeure sujette à la preuve qui ressortirait du processus d’interprétation des revendications à la lumière du témoignage d’un expert chargé de l’interprétation du brevet 159.

[35] En ce qui concerne les formulations illustratives dans la déclaration, la demanderesse a expliqué que les références précises à certaines versions des normes 4G et 5G à l’annexe C (les versions 8 et 15) s’avéraient des exemples éclairants, dans la mesure où les autres versions renfermaient essentiellement les mêmes formulations. La demanderesse a fait valoir qu’il serait lourd et très répétitif d’énoncer à nouveau les mêmes allégations à l’égard de chacune des versions (9 à 14 et 16 et suivantes). En outre, la demanderesse a fait valoir que le rapport d’essai figurant à l’annexe B fournissait des renseignements qui illustraient la manière dont tous les autres (58) appareils Apple auraient contrefait le brevet 159.

[36] La demanderesse s’appuie également sur l’arrêt Reliance, dans lequel la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel d’une ordonnance rendue par le juge Rennie, lequel avait refusé de radier les allégations d’un acte de procédure déposé auprès du Tribunal de la concurrence. La Cour d’appel a relevé que le juge Rennie avait conclu qu’un des actes de procédure révélait une cause d’action sans égard à la vaste portée de ces derniers. La Cour d’appel a conclu que l’arrêt Reliance ne constituait pas une affaire où il était possible d’affirmer que l’existence de la cause d’action dépendait des faits pouvant apparaître lors de l’interrogatoire préalable : Reliance, aux para 6‑7, faisant référence à l’arrêt Imperial Tobacco Canada, au para 22.

[37] À mon avis, la juge adjointe, en sa qualité de juge responsable de la gestion de l’instance, n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant à l’existence de faits substantiels suffisants pour permettre aux défenderesses de plaider leur cause et pour que le procès passe à l’étape relative à l’interrogatoire préalable. Comme l’a fait la juge adjointe en l’espèce, le contenu des actes de procédure doit être interprété dans son ensemble et doit permettre d’établir si, sur le fond, le plaideur a invoqué des faits substantiels suffisants pour permettre à l’autre partie de présenter sa cause de façon conséquente.

[38] La juge adjointe a conclu que la déclaration en l’espèce répondait à cette exigence. Elle avait connaissance du contenu de la déclaration, y compris de ses annexes. La juge adjointe a expressément conclu que la déclaration exposait de manière suffisante le lien entre les produits définis qui seraient contrefaits et les autres produits susceptibles de présenter les mêmes caractéristiques qui constitueraient de la contrefaçon.

[39] En outre, les explications de la demanderesse et l’arrêt Reliance suffisent pour répondre aux arguments des défenderesses dans le cadre du présent appel en ce qui concerne la nature préliminaire ou illustrative des allégations contenues dans la déclaration et ses annexes. Même si les termes « illustrative » et « non limitative » employés dans l’annexe C, combinés à l’utilisation du terme « illustratif » au paragraphe 71 de la déclaration, pourraient être interprétés de la manière préconisée par les défenderesses, ce qui pourrait mener à la formulation de réserves quant à l’absence d’une liste exhaustive des dispositions relevant des normes 4G et 5G, et du même coup, à des points litigieux à l’étape relative à l’interrogatoire préalable, il ne s’ensuit pas que la décision de la juge adjointe contient une erreur qui soit manifeste et dominante : Mahjoub, au para 61; Enercorp Sand Solutions au para 36 (faisant référence à la connaissance relative et aux moyens de connaissance des parties). Comme dans l’affaire Reliance, il n’est pas question en l’espèce d’un acte de procédure qui nécessite la découverte de faits nouveaux lors de l’interrogatoire préalable pour être recevable. La position des défenderesses n’a pas démontré que la déclaration ne révélait absolument aucune cause d’action en contrefaçon, en raison de la formulation non limitative ou de l’absence d’une liste exhaustive de toutes les dispositions spécifiques relevant de toutes les versions. Les défenderesses n’ont pas non plus démontré en quoi la formulation non limitative les empêchait de formuler une défense en bonne et due forme et de procéder ensuite à la communication préalable de documents et à l’interrogatoire préalable oral. Je conclus qu’il n’y a pas de motifs suffisants de croire qu’en retenant la déclaration telle qu’elle se présente, les actes de procédure ou l’interrogatoire préalable ne permettraient pas d’assurer la saine gestion et l’équité au point de justifier une intervention en appel : Enercorp Sand Solutions, aux para 36‑37.

[40] Par conséquent, je rejette les arguments des défenderesses relatifs à l’insuffisance alléguée des faits substantiels invoqués dans la déclaration.

B. La déclaration de la juge adjointe selon laquelle les méthodes revendiquées étaient « essentielles »

[41] Comme il a été mentionné précédemment, les défenderesses ont également soutenu que la juge adjointe a commis une erreur de droit en concluant que, considérée dans son ensemble, la déclaration faisait valoir que les méthodes revendiquées par le brevet 159 étaient « essentielles ».

[42] La juge adjointe a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Dans la mesure où Apple a soutenu que Wi‑LAN n’a pas expressément plaidé que les méthodes revendiquées par le brevet 159 sont « essentielles », j’interprète la déclaration dans son ensemble comme alléguant une telle chose, au moyen des allégations selon lesquelles le brevet 159 est intégré dans les normes 4G et 5G elles‑mêmes. En ce qui concerne l’argument selon lequel la conformité aux normes 4G et 5G peut être assurée par d’autres moyens, il s’agit d’une allégation qui peut être invoquée dans la défense d’Apple.

[43] Les observations des défenderesses présentées dans le cadre de l’appel n’ont pas révélé de question de droit isolable à cet égard. Quoi qu’il en soit, je ne relève aucune erreur dans la déclaration de la juge adjointe.

[44] La demanderesse a soumis à la Cour qu’il était [traduction] « évident au regard de la déclaration » qu’elle n’alléguait pas qu’Apple pouvait contrefaire le brevet 159 ou qu’elle le faisait à titre facultatif; en revanche, l’allégation reposait [traduction] « clairement sur le fait qu’Apple se livrait forcément à de la contrefaçon » dès lors que ses appareils appliquaient les normes 4G ou 5G, s’y conformaient ou interopéraient avec celles qui intégraient son invention revendiquée (souligné dans l’original). Il n’était pas nécessaire pour la demanderesse de plaider des faits substantiels supplémentaires pour démontrer l’existence d’une cause d’action valable.

[45] À la lecture de la déclaration et de ses annexes, les défenderesses ne m’ont pas convaincu que la juge adjointe avait commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour en parvenant à la conclusion énoncée ci‑dessus. Elles pourront obtenir auprès de la demanderesse des renseignements supplémentaires dans le cadre du processus d’interrogatoire préalable.

C. Les précisions

[46] Comme il a déjà été mentionné, l’avis de requête des défenderesses dans le cadre du présent appel visait à obtenir, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir des précisions supplémentaires aux termes de l’article 181 des Règles.

[47] La juge adjointe a refusé de rendre une telle ordonnance. Elle a jugé que les défenderesses devaient établir, preuve à l’appui, qu’elles n’étaient pas en mesure de comprendre les arguments qu’elles devaient réfuter et/ou de préparer de manière adéquate un acte de procédure en guise de réplique. La juge adjointe a jugé qu’en l’absence d’une telle preuve déposée dans le cadre d’une requête pour précisions, les lacunes de l’acte de procédure faisant l’objet de la requête doivent être évidentes au vu de l’acte de procédure lui‑même.

[48] Les défenderesses n’ont pas contesté ces conclusions et n’ont pas présenté d’observations de fond dans le cadre de l’appel concernant expressément la nécessité d’obtenir des précisions supplémentaires. Par conséquent, et compte tenu de mes conclusions énoncées ci‑dessus, il n’y a pas lieu d’infirmer la décision de la juge adjointe sur cette question.

IV. Conclusion

[49] L’appel des défenderesses est donc rejeté.

[50] Après avoir examiné les observations sur les dépens présentées par les parties lors de l’audience, la Cour exerce la compétence discrétionnaire qui lui est conférée aux termes des Règles des Cours fédérales et fixe les dépens du présent appel à 7 500 $, tout compris, payables par les défenderesses à la demanderesse dans les 30 jours de la présente ordonnance.


ORDONNANCE dans le dossier T‑893‑21

LA COUR ORDONNE que :

  1. L’appel soit rejeté;

  2. Les défenderesses paient, dans les 30 jours de la présente ordonnance, les dépens du présent appel à la demanderesse qui sont fixés à 7 500 $.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑893‑21

 

INTITULÉ :

WI‑LAN INC. c APPLE CANADA INC. ET APPLE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Nisha Anand et Andrea Rico Wolf

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Tait et Sanjaya Mendis

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert’s LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

McCarthy Tétrault, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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