Dossier : IMM-3818-19
Référence : 2022 CF 976
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 juin 2022
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
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JOHAN BUENO GARCIA
KRISTEL GINED JULIO ROJAS
THOMAS BUENO JULIO
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 mai 2019 [la décision] par la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. La SPR a conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et qu’ils disposent d’une possibilité de refuge intérieur viable [la PRI] à Tunja, en Colombie.
[2] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Contexte factuel
[3] Kristel Gined Julio Rojas [Kristel], Johan Andres Bueno Garcia [Johan] et leur enfant mineur [collectivement, les demandeurs] sont tous citoyens de Colombie.
[4] Kristel affirme qu’elle craint d’être persécutée par son ancien supérieur hiérarchique [l’ancien supérieur]. Le comportement harcelant de l’ancien supérieur a poussé Kristel à quitter son emploi. Kristel a déposé une plainte contre l’ancien supérieur auprès du ministère du Travail et du Secrétariat à la condition féminine [le ministère]. Les demandeurs affirment également qu’ils craignent d’être persécutés par Los Urabeños, le gang criminel qui a agressé Johan le 26 février 2018 alors qu’il quittait son travail. Les demandeurs allèguent que le 6 février 2018, ils ont commencé à recevoir des appels téléphoniques à leur domicile lors desquels on les menaçait « d’arrêter ce qu’ils faisaient ». La SPR avait des réserves concernant l’existence de ces appels téléphoniques. Le 15 mars 2018, les demandeurs ont dénoncé l’agression de Johan auprès du bureau du procureur général [le Fiscalia] et ont quitté la Colombie. Les demandeurs sont arrivés au Canada en passant par les États-Unis et ont présenté leur demande d’asile.
III.
Décision
[5] La SPR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI viable dans la ville de Tunja et a rejeté leur demande d’asile.
[6] La SPR a reconnu que Johan avait été agressé une fois par Los Urabeños, mais elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils étaient ciblés en raison de leurs opinions politiques. Par conséquent, leur crainte de Los Urabeños n’avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas reçu d’appels téléphoniques menaçants. Elle a tiré cette conclusion après avoir relevé des incohérences dans le témoignage des demandeurs et parce que les appels téléphoniques menaçants n’ont pas été mentionnés lorsque l’agression a été signalée au Fiscalia. La SPR a également relevé une incohérence entre le témoignage de Johan et l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de demande d’asile (formulaire FDA) de Kristel. Johan a témoigné que Kristel avait également reçu des appels téléphoniques, mais cette dernière ne l’a pas mentionné dans son formulaire FDA.
[7] La SPR a conclu que les demandeurs disposaient d’une PRI à Tunja. Tout en reconnaissant que Los Urabeños a la capacité de retrouver des personnes en Colombie, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas démontré que le gang criminel avait la motivation de les rechercher. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que le groupe poursuive les demandeurs à Tunja, une région où ce groupe n’est pas actif.
[8] La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, car, lors de son témoignage oral, Kristel a révélé pour la première fois que l’ancien supérieur l’avait agressée sexuellement. Ce témoignage contredisait l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA et la preuve corroborante, dans lesquels les interactions étaient décrites comme du harcèlement sexuel sous forme de commentaires inappropriés et de cadeaux non désirés. La SPR a également conclu que l’ancien supérieur ne posait aucun risque prospectif, car il n’avait pas contacté Kristel depuis qu’elle avait quitté son emploi.
IV.
Questions en litige et norme de contrôle
[9] La seule question en litige est celle de savoir si la décision est raisonnable.
[10] La décision sur le fond doit être évaluée selon la norme du caractère raisonnable. La présente affaire ne fait pas intervenir l’une des exceptions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Par conséquent, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée (Vavilov, aux para 23‑25, 53).
[11] Le contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable exige que la Cour examine l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision. Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner à la fois le résultat de la décision et le raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci »
(Vavilov, au para 99). Toutefois, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125) Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85‑86).
V.
Analyse
A.
La décision est-elle raisonnable?
1)
Thèse des demandeurs
a)
Los Urabeños
[12] La SPR a fait remarquer que Johan n’était pas en mesure de dire pourquoi il était la cible de Los Urabeños. Johan n’était pas obligé de mentionner les raisons pour lesquelles il était persécuté. Il incombait plutôt à la SPR de décider si la définition de la Convention était respectée (Duversin c Canada (Citoyenneté et l’Immigration), 2018 CF 466 au para 34, citant Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 745).
[13] La SPR a reconnu que les demandeurs ont fourni des éléments de preuve démontrant leur implication politique, mais elle a conclu de manière déraisonnable qu’ils n’avaient aucun lien avec un motif prévu par la Convention. De plus, la preuve sur la situation au pays dans le cartable national de documentation [le CND] contredisait la conclusion de la SPR selon laquelle Los Urabeños n’a pas de motivations politiques.
[14] Enfin, la SPR a écarté de façon déraisonnable la preuve corroborant les appels téléphoniques menaçants en raison d’incohérences mineures dans ces éléments de preuve.
b)
L’ancien supérieur
[15] En rejetant l’explication donnée par Kristel pour avoir omis de mentionner l’agression sexuelle dans son exposé circonstancié joint au formulaire FDA, la SPR n’a pas respecté les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe]. La SPR a tiré une conclusion d’invraisemblance déraisonnable selon laquelle il était peu probable que le ministère mentionne des commentaires et des cadeaux inappropriés sans faire état de l’agression sexuelle (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux para 5‑7).
[16] La SPR a également minimisé les incidents en concluant qu’il suffit de quitter son emploi pour mettre fin au harcèlement sexuel. Le fait que Kristel ait quitté son emploi ne peut raisonnablement mener à la conclusion qu’il n’y a pas de risque prospectif.
c)
PRI
[17] Si la conclusion de la SPR au sujet du lien est jugée déraisonnable, sa conclusion sur la PRI doit également être rejetée.
2)
Thèse du défendeur
a)
Los Urabeños
[18] La crainte à l’égard de Los Urabeños n’était pas liée à la situation parce que rien ne prouvait que Los Urabeños ciblait Johan en raison de ses opinions politiques. La SPR a conclu que la preuve sur la situation au pays décrivait Los Urabeños comme un gang criminel, et non comme une organisation ayant un objectif politique. Il incombait aux demandeurs d’établir un lien avec un motif prévu par la Convention au moyen d’éléments de preuve (Casteneda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1012 aux para 14, 16 [Casteneda]).
[19] La SPR a raisonnablement conclu que le dépôt d’un rapport de police des semaines après l’agression de Johan sans mentionner l’appel téléphonique menaçant ne démontrait pas que les demandeurs avaient un véritable intérêt à être protégés par l’État. La SPR a accepté que l’agression isolée a eu lieu, mais elle a conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que cette agression avait un objectif politique. La SPR a raisonnablement souligné que les incohérences dans les versions des événements des demandeurs concernaient la question de savoir si Kristel avait reçu ou non des appels téléphoniques menaçants sur son propre téléphone. Johan a déclaré que Kristel ne l’avait pas mentionné dans son exposé circonstancié, car elle avait immédiatement raccroché le téléphone.
b)
L’ancien supérieur
[20] La SPR a analysé et appliqué les Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe. L’exposé circonstancié et les dénonciations inclus dans le formulaire FDA ne faisaient aucune mention d’une agression sexuelle. Par conséquent, la SPR a raisonnablement conclu qu’il ne s’agissait pas d’une situation où la demanderesse ne souhaitait pas divulguer des détails traumatisants, mais plutôt d’une nouvelle allégation essentielle qui ne figurait nulle part dans la preuve au dossier.
[21] Les demandeurs n’ont pas établi que l’ancien supérieur représentait un risque prospectif. La SPR a fait remarquer que, d’une part, l’exposé circonstancié de Kristel contenu dans son formulaire FDA indiquait qu’elle n’avait pas eu de nouvelles de l’ancien supérieur depuis qu’elle avait quitté son emploi. D’autre part, Kristel a affirmé dans son exposé circonstancié que son ancien supérieur l’appelait sans cesse après qu’elle eut eu quitté son emploi. Elle a ensuite expliqué qu’elle avait d’abord pensé que les appels téléphoniques venaient de lui, mais qu’elle avait ensuite cru que les appels venaient de Los Urabeños. Cette incohérence importante a conduit la SPR à conclure raisonnablement que l’ancien supérieur ne s’était pas intéressé à Kristel depuis qu’elle avait quitté son emploi.
c)
PRI
[22] La conclusion à l’égard de la PRI était également raisonnable. La SPR a conclu que ni Los Urabeños ni l’ancien supérieur n’ont manifesté d’intérêt à l’égard des demandeurs. Par conséquent, il était raisonnable de conclure que les agents de persécution allégués ne feraient pas d’efforts pour rechercher les demandeurs aux quatre coins de la Colombie. Deuxièmement, la SPR a conclu que le déménagement à Tunja ne serait pas déraisonnable, car les demandeurs n’ont pas démontré l’existence de conditions qui compromettraient leur vie et leur sécurité s’ils s’y installaient.
3)
Conclusions
a)
Los Urabeños
[23] Il incombe aux demandeurs d’établir un lien avec un motif prévu par la Convention au moyen d’éléments de preuve (Casteneda, au para 16). J’estime que la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’ont pas démontré avec suffisamment d’éléments de preuve crédibles que l’attaque commise par Los Urabeños avait un objectif politique (Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 au para 49). Compte tenu du dossier dont je dispose, j’estime que les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve clairs démontrant qu’ils font l’objet d’une persécution fondée sur des opinions politiques réelles ou perçues à l’appui de leur demande.
[24] La SPR a pris note des cartes d’identité à un parti politique des demandeurs. Cependant, Johan n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi Los Urabeños le ciblait. Comme l’a fait remarquer la SPR au paragraphe 21 de la décision, la commissaire a posé cette question pour déterminer si Johan savait pourquoi il était pris pour cible ou si ce n’était que son hypothèse. Au paragraphe 22 de la décision, la SPR a expliqué que la question visait à déterminer si l’attaque avait un objectif politique. Ces paragraphes illustrent le fondement sur lequel la SPR s’est appuyée pour conclure qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention. J’estime qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que l’agression isolée contre Johan ne permettait pas d’établir un lien. Cela dit, je souligne que la SPR n’a pas fondé sa conclusion d’absence de lien sur ce seul élément.
[25] La SPR a examiné la preuve sur la situation au pays aux paragraphes 25 et 26 de la décision. Les demandeurs invoquent un extrait d’une réponse à une demande d’information (point 7.15 du cartable national de documentation en date du 6 mars 2015) pour faire valoir que la preuve sur la situation au pays contredit la conclusion de la SPR selon laquelle Los Urabeños était un gang criminel. En tout respect, le même document expose, en détail, les affrontements entre Los Urabeños et les forces de police et ce document ne contient aucun élément de preuve permettant de conclure que Los Urabeños est un acteur politique. Au contraire, ce document sert de fondement à la conclusion de l’agent selon laquelle Los Urabeños est un gang criminel.
[26] En raison des incohérences dans le témoignage des demandeurs, il était également raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité concernant les appels téléphoniques. Dans la décision Bushati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 803, notre Cour a conclu ce qui suit :
[33] Les contradictions, omissions et divergences dans les éléments de preuve d’un demandeur d’asile sont depuis longtemps reconnues comme des éléments pouvant étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 135 NR 300, 1991 CarswellNat 851, au paragraphe 14 (WL Can) (CAF); Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 241, aux paragraphes 16 à 18).
[27] Les conclusions relatives à la crédibilité ont été décrites comme étant « l’essentiel »
de l’expertise de la SPR et, par conséquent, la cour de révision doit faire preuve de retenue lorsque les conclusions contestées ont trait à la crédibilité d’un demandeur (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 15). Les demandeurs n’ont pas signalé d’erreur dans l’évaluation de leur crédibilité. Ils sont simplement en désaccord avec les conclusions de la SPR.
[28] Pour toutes les raisons mentionnées précédemment, j’estime que l’analyse et les conclusions de la SPR sur l’absence de lien avec un motif prévu par la Convention sont raisonnables.
b)
L’ancien supérieur
[29] J’estime que la SPR a raisonnablement conclu, en se fondant sur le dossier dont elle disposait, que l’ancien supérieur ne présentait pas de risque prospectif. La SPR a raisonnablement conclu que l’ancien supérieur n’avait manifesté aucun intérêt pour Kristel depuis qu’elle avait quitté son emploi.
[30] Les demandeurs soutiennent que Kristel était réticente à parler des agressions sexuelles qu’elle a subies et que cette omission n’était pas une tentative de dernière minute de fabriquer une histoire en vue d’étayer sa demande d’asile. Le défendeur fait remarquer que son formulaire FDA et ses dénonciations ne mentionnent pas qu’une agression sexuelle a eu lieu. Les observations du défendeur m’ont convaincu.
[31] Les Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe ne constituent pas des règles de droit, mais elles servent à guider les décideurs (Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 401 au para 27 [Olah]). Le défaut de se conformer aux Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe peut constituer une erreur susceptible de contrôle (Olah, au para 29). Aux paragraphes 59 à 67 de la décision, la SPR explique son approche concernant la divulgation tardive de l’agression sexuelle présumée, y compris l’application des Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe. La SPR souligne que la grande majorité de l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire FDA de Kristel traite du harcèlement par l’ancien supérieur et que ce n’est que vers la fin de l’audience que la SPR a dû demander plus de détails sur l’agression sexuelle alléguée sur la foi de certaines affirmations faites par Kristel. La SPR a également fait remarquer qu’aucun des documents corroborants, comme la plainte auprès du ministère, ne faisait état d’une agression sexuelle. La SPR a conclu qu’« [é]tant donné que l’exposé circonstancié de [Kristel] et tous ses documents corroborants décrivent le traitement dont elle a fait l’objet comme un cas de harcèlement sexuel et non d’agression sexuelle, j’estime qu’il est plus probable que le contraire que [Kristel] a subi du harcèlement sexuel en milieu de travail et non une agression sexuelle ». J’estime que cette conclusion est raisonnable et sensible et qu’elle respecte les Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe.
[32] Comme l’a admis le défendeur, la conclusion de la SPR selon laquelle « il est facile de mettre fin [au harcèlement sexuel] en quittant son emploi »
était clairement maladroite. Toutefois, la décision dans son ensemble révèle que la SPR a examiné et analysé les Directives concernant les persécutions fondées sur le sexe et qu’elle a tenu compte de la preuve qui lui a été présentée :
[59] Cependant, dans son témoignage, la demandeure d’asile a commencé à suggérer ou à laisser entendre que [l’ancien supérieur] avait fait plus que ce qu’elle a écrit dans son exposé circonstancié. De manière générale, les commissaires de la SPR sont extrêmement sensibles lorsqu’ils posent des questions concernant des traumatismes sexuels aux demandeures d’asile. Habituellement, je tente de m’abstenir de demander des détails ou des précisions dans ce genre d’affaires, afin d’éviter de traumatiser de nouveau une demandeure d’asile. Toutefois, dans la présente affaire, je ne savais pas au préalable que la demandeure d’asile présentait ce genre d’allégation. Par conséquent, je lui ai demandé plus de détails, étant donné qu’elle semblait suggérer autre chose que ce qu’elle a écrit dans son exposé circonstancié, mais que je ne savais pas de quoi il s’agissait. La demandeure d’asile a fini par déclarer que M. Cabrera l’avait agressée sexuellement lors de leur dernier voyage d’affaires, alors qu’il était assis à côté d’elle dans un avion. Cette révélation était choquante et portait à confusion, puisque rien dans l’exposé circonstancié ni dans la preuve corroborante ne laissait entendre qu’une telle agression s’était produite.
[60] J’ai demandé à la demandeure d’asile pourquoi elle avait omis ce fait extrêmement important de son exposé circonstancié. Elle a répondu qu’il était trop difficile pour elle d’en parler. Bien que je reconnaisse que certaines femmes puissent être réticentes à divulguer leurs expériences de violence sexuelle, je me serais attendue à voir certaines indications, dans la preuve, de la nature de l’allégation, avant que la demandeure d’asile en parle dans son témoignage de vive voix.
[33] Je conclus que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la divulgation tardive de l’agression sexuelle alléguée.
c)
PRI viable
[34] Une PRI viable signifie qu’une personne peut chercher refuge dans une partie de son pays d’origine autre que celle où elle risque d’être persécutée ou de subir un préjudice. Le critère en deux volets permettant de conclure à l’existence d’une PRI viable a été établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) [Rasaratnam]. Récemment, au paragraphe 37 de la décision Armando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 94, le juge Pamel a formulé le critère conjonctif en deux volets pour déterminer l’existence d’une PRI :
1) [la Commission doit être convaincue] selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que l’intéressé soit persécuté dans la région de la PRI;
2) la situation dans la PRI envisagée est telle qu’il ne serait pas déraisonnable, au regard de toutes les circonstances, que l’intéressé y cherche refuge.
[35] Il incombe aux demandeurs de réfuter l’un des deux volets. Les demandeurs ont fait peu d’observations sur la question de la PRI, comme je l’ai résumé plus haut au paragraphe 17, bien que cette question soit déterminante. Les observations du défendeur étaient plus complètes.
[36] En ce qui concerne le premier volet, la SPR a conclu que Los Urabeños n’a montré aucun intérêt à l’égard des demandeurs qui inciterait l’organisation à consacrer des ressources pour les retrouver en Colombie. De plus, la SPR a raisonnablement conclu que, depuis que Kristel a quitté son emploi, elle n’a pas été contactée par son ancien supérieur, et ce dernier n’a pas manifesté d’intérêt continu à son égard. Dans le cadre du premier volet du critère de la PRI, il faut se demander si l’agent de persécution a vraisemblablement les moyens et la motivation de retrouver le demandeur dans la ville proposée comme PRI (Nimako c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 540 au para 7). En l’espèce, les éléments de preuve montrent que ni Los Urabeños ni l’ancien supérieur n’ont démontré de motivation à retrouver les demandeurs dans le cas où ils se réinstalleraient à Tunja.
[37] En ce qui concerne le deuxième volet, la SPR a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de déménager à Tunja. Lorsque la commissaire de la SPR a demandé à Johan si sa famille et lui pouvaient déménager à Tunja, il a déclaré que c’était impossible parce que Tunja est un endroit plus calme, orienté vers l’agriculture, et que la ville ne dispose pas de bonnes écoles pour son fils. La SPR a conclu qu’en dépit du fait que Los Urabeños ait la capacité de retrouver les demandeurs, la preuve n’a pas établi que l’organisation avait l’intérêt ou la motivation de le faire (Abdullah c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2021 CF 76 au para 17, citant Essel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1025 au para 13).
[38] Je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas réfuté les deux volets du critère. En ce qui concerne le premier volet, je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils pourraient être persécutés dans la ville proposée comme PRI, car Los Urabeños et l’ancien supérieur n’ont pas la motivation de les rechercher dans cette ville.
[39] Quant au deuxième volet, je conclus que les demandeurs n’ont pas répondu à l’exigence élevée consistant à démontrer que les conditions dans la ville proposée comme PRI sont telles qu’il leur serait déraisonnable de s’y installer. Les demandeurs n’ont pas démontré que le fait de vivre ou de se réinstaller à Tunja compromettrait leur sécurité. La SPR a également pris note de leur situation individuelle, comme leur niveau d’éducation et leurs antécédents professionnels.
[40] Par conséquent, lorsque j’examine la décision dans son ensemble, j’estime que la conclusion de la SPR concernant la PRI était raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait.
VI.
Conclusion
[41] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3818-19
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a pas de question à certifier.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Paul Favel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean-François Vincent
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-3818-19
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INTITULÉ :
|
JOHAN BUENO GARCIA, KRISTEL GINED JULIO ROJAS, THOMAS BUENO JULIO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 1er FÉVRIER 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE FAVEL
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 30 JUIN 2022
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COMPARUTIONS :
Terry Guerriero
Avocat
London (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
|
Alison Engel-Yan
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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