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Date : 20220705


Dossier : IMM-3885-21

Référence : 2022 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 juillet 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

GILBERTO NOVOA GONZALEZ

MONICA JARAMILLO VEGA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 25 mai 2021 [la décision] d’un agent principal d’immigration [l’agent] par laquelle la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 des demandeurs [la demande CH] a été rejetée.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie.

  1. Contexte

[3] Les demandeurs, Gilberto Novo Gonzalez [le demandeur principal] et sa conjointe de fait, Monica Jaramillo Vega [la demanderesse secondaire], sont des citoyens de la Colombie. En 2012, ils ont présenté une demande d’asile, faisant valoir que leur fils avait été enlevé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC] et que leur famille continuait d’être prise pour cible et menacée.

[4] La demande d’asile a été rejetée en 2019. En outre, une demande de contrôle judiciaire a été rejetée peu après. Les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations humanitaires en août 2019, laquelle a été rejetée parce qu’elle avait été faite moins d’un an après le rejet de la demande d’asile. Une mesure de renvoi a ensuite été prise en octobre 2019, mais a été reportée en raison de l’interdiction de voyager du gouvernement du Canada visant la Colombie.

[5] Le 14 décembre 2020, les demandeurs ont déposé la demande CH en cause dans la présente demande. Le 25 mai 2021, la demande CH a été rejetée. L’agent a conclu, au vu de leurs antécédents professionnels, de leurs amitiés, de leur bénévolat et de leur scolarité, que les demandeurs s’étaient modérément établis au Canada. L’agent s’est penché sur les risques auxquels les demandeurs prétendaient être exposés vis-à-vis des FARC. Toutefois, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indépendants ou corroborants pour démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’ils éprouvent des difficultés à leur retour en Colombie.

[6] L’agent a admis que la demanderesse secondaire souffre d’un trouble dépressif majeur [TDM] et d’un trouble de stress post-traumatique [TSPT] et a accordé un certain poids à ce facteur ainsi qu’aux éléments de preuve fournis par son psychiatre et son psychothérapeute. Cependant, l’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que la demanderesse secondaire serait incapable d’accéder à des services psychiatriques en Colombie au besoin.

[7] L’agent a conclu que, bien que les demandeurs subiraient certaines difficultés s’ils devaient quitter le Canada, celles-ci n’étaient pas suffisantes pour justifier l’octroi de la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et la demande a été rejetée.

  1. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Le demandeur principal soulève les deux questions suivantes :

  • (A) L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des répercussions d’un retour en Colombie sur la santé mentale de la demanderesse secondaire?

  • (B) L’agent a-t-il commis une erreur dans l’examen des éléments de preuve concernant la menace des FARC en Colombie?

[9] La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent relativement à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 777 au para 13. Aucune des situations permettant de renverser la présomption selon laquelle les décisions administratives sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable n’est présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16‑17.

[10] En évaluant le caractère raisonnable de la décision, la Cour doit déterminer si celle-ci est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision raisonnable, quand elle est lue dans son ensemble et qu’elle tient compte du contexte administratif, possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov aux para 91-95, 99-100.

[11] Comme je le précise plus loin, je suis d’avis que la première question est déterminante. Par conséquent, mon analyse se limitera à la première question.

III. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte des répercussions d’un retour en Colombie sur la santé mentale de la demanderesse secondaire?

[12] Les demandeurs soutiennent que l’agent avait l’obligation d’examiner les répercussions que le retour en Colombie aurait sur la santé mentale de la demanderesse secondaire, en plus de se pencher sur la question de savoir si un traitement approprié était disponible en Colombie.

[13] Le défendeur fait valoir que les observations des demandeurs concernant la demande CH portaient principalement sur la disponibilité d’un traitement pour la demanderesse secondaire en Colombie. Il soutient qu’il n’était donc pas déraisonnable pour l’agent d’analyser la question de ce point de vue.

[14] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] aux paragraphes 47-48, la Cour suprême a conclu qu’une fois qu’un diagnostic psychiatrique est admis comme étant fondé sur les expériences d’un demandeur dans son pays d’origine, un agent doit non seulement examiner si un traitement est disponible dans le pays d’origine, mais aussi déterminer et évaluer les effets d’un retour dans ce pays sur la santé mentale du demandeur (voir aussi Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1081 au para 29).

[15] Les demandeurs ont présenté à l’agent les rapports d’un psychothérapeute agréé et d’un psychiatre portant sur la santé mentale de la demanderesse secondaire, les diagnostics de TDM et de TSPT, et les effets sur sa santé mentale si elle devait retourner en Colombie. Le psychothérapeute a exprimé de sérieux doutes quant à l’accès de la demanderesse secondaire à un soutien psychologique en Colombie en raison de sa peur et de sa méfiance, et a déclaré que si elle devait retourner en Colombie, il pourrait y avoir un [traduction] « effondrement de sa santé mentale ».

[16] Le psychiatre a déclaré que la demanderesse secondaire [traduction] « doit pouvoir vivre dans un environnement sûr et favorable et suivre un traitement et prendre des médicaments afin de retrouver sa santé mentale ». En outre, le rapport souligne que la demanderesse secondaire prend certains médicaments pour dormir et prévoit un autre plan de traitement si son état ne s’améliore pas. Le rapport indique qu’elle [traduction] « bénéficierait également d’une thérapie continue pour sa santé mentale ». Il est indiqué que la situation incertaine de la demanderesse secondaire et sa crainte pour sa propre sécurité et celle de sa famille en cas de retour en Colombie seraient [traduction] « très déstabilisantes pour sa santé mentale et un obstacle pour qu’elle puisse se concentrer sur ses objectifs ».

[17] Dans les observations de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs font mention de ces rapports et du préjudice éventuel que pourrait subir la demanderesse secondaire si elle devait retourner en Colombie. Une grande partie des observations porte sur le caractère adéquat des soins qui seraient offerts à la demanderesse secondaire pour traiter ses symptômes, notamment le TDM et le TSPT. Toutefois, les demandeurs soulignent également dans leurs observations les commentaires susmentionnés dans le rapport du psychiatre, selon lesquels le bien-être mental de la demanderesse secondaire est fortement menacé si elle est renvoyée en Colombie, car sa crainte pour sa propre sécurité et celle de sa famille serait déstabilisante. À mon avis, ces facteurs ne sont pas suffisamment pris en compte dans l’analyse de l’agent.

[18] Dans la décision, l’agent a reconnu que la demanderesse secondaire souffre de TDM et de TSPT. L’agent a fait renvoi aux observations des demandeurs, qui ont déclaré que [traduction] « la santé mentale de la demanderesse secondaire sera affectée si elle est expulsée vers la Colombie, où l’accès à l’aide psychiatrique est limité ». L’agent a tenu compte des rapports du psychothérapeute et du psychiatre, mais s’est concentré sur l’accès de la demanderesse secondaire aux soins de santé mentale en Colombie. L’agent a conclu en déclarant : [traduction] « Je reconnais qu’il y a plus de problèmes en matière de soins de santé mentale en Colombie qu’au Canada et, par conséquent, je suis sensible à l’état de santé mentale de la demanderesse secondaire et j’accorde un certain poids à ce facteur ».

[19] Le défendeur soutient que la décision doit être lue de manière globale et contextuelle (Vavilov au para 97) et qu’il est raisonnable de relier les points pour constater que les répercussions du retour de la demanderesse secondaire en Colombie sur sa santé mentale ont été prises en compte dans le cadre de l’analyse de l’agent. Selon lui, l’agent a compris que la santé mentale de la demanderesse secondaire pouvait être affectée, et ce facteur a pesé en sa faveur, mais a finalement conclu que celui-ci était insuffisant pour justifier d’octroyer une dispense.

[20] À mon avis, il n’est pas raisonnable de supposer qu’une telle prise en compte a eu lieu, d’autant plus que l’analyse s’est concentrée sur la disponibilité d’un traitement et non sur les répercussions du retour lui-même sur la santé mentale de la demanderesse secondaire.

[21] Je souscris à l’argument des demandeurs selon lequel l’agent semble accepter que la maladie mentale de la demanderesse secondaire a été causée par ses expériences en Colombie, même s’il n’admet pas tous les éléments de preuve relatifs aux événements qui auraient eu lieu avec les FARC. Ce fait n’a pas été contesté dans la décision ou lors des plaidoiries. Une fois ce fait accepté, l’agent a été obligé d’examiner si la maladie mentale de la demanderesse secondaire s’aggraverait si elle retournait en Colombie. Bien qu’il ait pu être loisible à l’agent de conclure que ce facteur ne pèserait finalement pas en faveur des demandeurs, une certaine analyse de ce facteur était nécessaire dans la décision de l’agent. Sur ce fondement, je conclus que la décision était déraisonnable.

[22] Par conséquent, la demande sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il prenne une nouvelle décision.

[23] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3885-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 25 mai 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3885-21

 

INTITULÉ :

GILBERTO NOVOA GONZALEZ, MONICA JARAMILLO VEGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Aminder Kaur Mangat

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Andrea Mauti

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aminder Kaur Mangat

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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