Date : 20220622
Dossier : IMM-4776-20
Référence : 2022 CF 938
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 juin 2022
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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ALEXANDER LOTSOV
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue le 4 septembre 2020, à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (ERAR).
II.
Le contexte
[2] Le demandeur est né avant la chute de l’Union soviétique, dans la ville que l’on appelle aujourd’hui Saint-Pétersbourg, en Russie (soit, à l’époque, Léningrad). Il n’est pas un citoyen de la Russie et il n’a pas automatiquement le droit à la citoyenneté de ce pays, mais il peut présenter une demande pour l’obtenir.
[3] Le 2 juillet 1990, le demandeur est entré au Canada en provenance de l’URSS avec ses parents; il était âgé de 13 ans. Il est devenu résident permanent, mais a perdu son statut en juillet 2003 après avoir été interdit de territoire en raison de déclarations de culpabilité criminelle. Il s’identifie par ailleurs comme un juif apatride.
III.
Les questions en litige
[4] Les questions en litige sont les suivantes :
La décision de l’agent est-elle raisonnable?
L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en refusant de tenir une audience?
IV.
La norme de contrôle
[5] Le demandeur a soulevé, à l’égard de la décision de l’agent d’ERAR, à la fois la question du contrôle judiciaire sur le fond et celle de l’équité procédurale.
[6] Sur les questions de fond, il est clair et bien établi en droit — les parties en conviennent aussi — que la norme applicable est la décision raisonnable. Comme l’a exposé la Cour suprême du Canada au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond […] [l]’analyse a […] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable »
. Je ne vois, en l’espèce, aucun motif de déroger à cette présomption générale. De ce fait, la norme de contrôle est la décision raisonnable.
[7] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible pour la personne qui en fait l’objet, et atteste « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
lorsqu’elle est lue dans son ensemble et compte tenu du contexte administratif, du dossier dont le décideur était saisi et des observations des parties (Vavilov, aux para 81, 85, 91, 94‑96, 99, 127, 128).
[8] En ce qui concerne le droit à une audience, je renvoie à l’analyse détaillée de mon collègue le juge Gascon, aux paragraphes 21 à 24 de la décision Garces Canga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 749. Dans le contexte d’une demande d’ERAR, le droit à une audience découle de l’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). L’alinéa 113b) de la Loi prévoit qu’« une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires »
, et l’article 167 du Règlement énonce les facteurs pour décider si la tenue d’une audience est requise : « a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur; b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection; c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection »
.
[9] En somme, donc, une audience est requise si les éléments de preuve concernent la crédibilité du demandeur sont essentiels pour la prise de la décision et s’ils pourraient justifier que soit accueillie la demande d’ERAR. Je suis d’avis, à l’instar du juge Gascon, que la norme de la décision raisonnable s’applique, étant donné que la décision sur cette question dépend de l’interprétation et de l’application par l’agent de sa loi habilitante, à savoir l’alinéa 113b) de la Loi, qui prévoit qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis, en fonction des facteurs précis prévus à l’article 167 du Règlement. Depuis l’arrêt Vavilov, il n’est plus contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’une question en est une d’interprétation législative au cœur de l’expertise d’un décideur administratif. De ce fait, la norme de contrôle applicable à cette question est la décision raisonnable.
V.
Analyse
A.
L’examen de la preuve documentaire
[10] Le demandeur soutient que l’agent a procédé à un examen sélectif de la preuve, et qu’il n’a pas pris en considération des éléments de preuve qui contredisaient ses propres conclusions. Il affirme que l’agent a fait fi d’éléments de preuve documentaire qu’il avait présentés, et qu’il s’agit-là d’une erreur susceptible de contrôle. Plus précisément, le demandeur fait valoir que l’agent s’est concentré sur des récits modérés de la persécution subie par les juifs en Russie, tout en négligeant d’autres incidents plus graves. Enfin, il soutient que l’agent a fait fi d’éléments de preuve qui illustraient les mauvais traitements que subissaient les étrangers en Russie, omettant ainsi que de tenir compte de l’ampleur de la preuve.
[11] Il est bien établi que les agents sont présumés avoir examiné toute la preuve dont ils disposaient, et qu’il n’est pas nécessaire qu’ils mentionnent chaque élément ou chaque observation qu’ils ont examinés (voir p. ex., Kooner c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1201). Le demandeur reconnaît que les récits de persécution de juifs en Russie varient et qu’il en est de même de leurs expériences. L’agent a pris en considération ces différentes expériences ainsi que l’éventail des risques possibles auxquels le demandeur serait exposé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Le demandeur aurait préféré que l’agent conclue que la situation était manifestement et nécessairement dangereuse, plutôt qu’il fasse état des diverses possibilités. Cela ne signifie pas pour autant que l’agent a procédé à un examen de la preuve documentaire déraisonnablement sélectif. En fait, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, de manière à tirer une conclusion différente de celle de l’agent. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125), et je conclus que l’appréciation de la preuve par l’agent était raisonnable.
B.
L’examen du risque et de la preuve
[12] De façon générale, le demandeur estime que l’agent n’a pas raisonnablement examiné le risque et les circonstances auxquels il serait exposé en Russie. Il affirme que l’agent a déraisonnablement omis de se demander si les deux facteurs de risque le concernant (il est juif et il serait perçu comme un étranger) atteignaient de manière cumulative le seuil de risque. Il cite de la jurisprudence selon laquelle il peut s’agir d’une erreur susceptible de contrôle si l’agent d’ERAR n’apprécie pas ou ne prend pas en compte le profil cumulatif du demandeur. S’appuyant sur cette jurisprudence, le demandeur soutient que l’agent n’a pas examiné de manière cumulative son profil de risque, et qu’il a plutôt procédé à une analyse déraisonnable des deux facteurs séparément et de manière isolée. Le demandeur fait valoir que la conclusion de l’agent, selon laquelle il serait personnellement exposé à peu de risques, établit une barre déraisonnablement haute, étant donné qu’il n’avait pas vécu dans son pays d’origine depuis 30 ans et qu’il n’y a jamais été un réfugié, et qu’elle est déraisonnable en raison de son profil de risque et de la preuve documentaire.
[13] Je me penche tout d’abord sur l’interprétation proposée par le demandeur pour l’examen cumulatif du risque. Elle est incompatible avec la jurisprudence pertinente. Dans la décision Shire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 795, la juge Strickland a traité d’un argument semblable et a écrit ce qui suit :
[68] Le demandeur soutient aussi que l’agent a commis une erreur en n’examinant pas l’effet cumulatif des motifs de persécution qu’il a invoqués. Il est exact de dire que dans les cas où la preuve établit une série d’actions qui sont considérées comme de la discrimination et non de la persécution, il faut tenir compte de l’effet cumulatif de ces incidents ([Canada (Citoyenneté et Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84]). Or, selon le demandeur, l’agent n’a pas pris en compte les motifs de persécution et le risque d’être perçu à la fois comme étant un Occidental et un Marehan. Il ne s’agit pas ici d’une série d’actions discriminatoires, mais plutôt de deux motifs distincts de risque, lesquels ont été évalués par l’agent. Les décisions que cite le demandeur n’étayent pas son interprétation et l’agent n’a pas commis d’erreur en n’examinant pas l’effet cumulatif de ces risques distincts.
[Non souligné dans l’original.]
[14] Les observations qui m’ont été soumises sont en grande partie du même ordre, à savoir que l’agent n’avait pas examiné ensemble le risque d’être juif et celui d’être étranger. De ce fait, je conclus, comme l’a fait la juge Strickland et en conformité avec la jurisprudence qui a suivi, que le fait pour l’agent de ne pas avoir examiné de manière cumulative les deux facteurs de risque n’est pas une erreur. Comme l’a souligné la juge Strickland, quand la preuve établit une série d’actions qui sont considérées comme de la discrimination, et non de la persécution, il faut tenir compte de l’effet cumulatif de ces incidents. Toutefois, en l’espèce, l’agent a bel et bien examiné les deux aspects du profil de risque du demandeur, et il n’était pas nécessaire qu’il les examine de manière cumulative, compte tenu des circonstances et de ses conclusions à l’égard de ces deux aspects. Il s’agit-là de deux motifs de risque distincts que l’agent a raisonnablement appréciés. Je conclus que l’agent a traité les effets cumulatifs de manière raisonnable.
[15] Mon examen porte maintenant sur l’argument du demandeur selon lequel l’agent a fait fi de plusieurs éléments de preuve dans les observations relatives à l’ERAR. En premier lieu, il y a l’assertion qu’il était déraisonnable pour l’agent de s’attendre à ce que le demandeur présente une preuve de persécution en Russie pour établir son profil. Le demandeur a affirmé que c’était impossible, puisqu’il avait quitté le pays à l’âge de 13 ans et qu’il était au Canada depuis maintenant 30 ans. De plus, le demandeur a fait valoir que l’agent n’avait pas tenu compte de ses observations sur sa capacité limitée à parler russe, et qu’il avait plutôt émis des hypothèses quant à ses possibles aptitudes linguistiques. Le demandeur a affirmé que ce deuxième point était d’autant plus déraisonnable qu’en Russie, la capacité à parler russe était une exigence pour l’obtention de la citoyenneté, les demandeurs devant passer un test dans cette langue.
[16] Concernant le risque auquel le demandeur serait personnellement exposé, je conclus que l’agent n’a pas déraisonnablement demandé qu’il présente une preuve qu’il n’était pas en mesure de présenter. Il a plutôt souligné — comme l’a d’ailleurs admis le demandeur — que les expériences de personnes ayant le même profil de risque que lui en Russie variaient, et a conclu que, compte de la preuve du demandeur et des conditions objectives dans le pays, le demandeur ne l’avait aucunement convaincu qu’il serait personnellement exposé à un risque.
[17] Je me penche maintenant sur la capacité du demandeur à communiquer en russe, et sur la manière dont l’agent a examiné la preuve à cet égard. Je conclus que le traitement de la preuve par l’agent n’était pas déraisonnable. Dans sa déclaration sous serment, le demandeur montre qu’il a une [traduction] « connaissance limitée »
de la langue. Pour cette raison et compte tenu du fait que le demandeur avait vécu en Russie jusqu’à l’âge de 13 ans, l’agent a conclu qu’il [traduction] « [était] raisonnable de croire qu’il lui rest[ait] une certaine connaissance de la langue, puisqu’il n’exist[ait] aucune preuve au contraire dans le dossier »
. Le demandeur, sur qui repose le fardeau de fournir une telle preuve, n’a rien fourni d’autre qu’une déclaration dans laquelle il affirme avoir une connaissance limitée de la langue. Cette reconnaissance d’une certaine connaissance du russe figure dans les observations écrites du conseil en lien avec la demande, ainsi que dans la déclaration sous serment du demandeur. Il ne revient pas à l’agent de prouver que le demandeur peut comprendre le russe suffisamment pour réussir son test de citoyenneté. Comme il est souligné précédemment, il incombe plutôt au demandeur de démontrer, au moyen d’une preuve suffisante, qu’il ne comprend pas le russe. Or, il n’a pas réussi à s’acquitter de ce fardeau. Pensons, par exemple, au fait qu’en plus de la preuve mentionnée ci-dessus, il y a une preuve dans le dossier certifié du tribunal démontrant que la langue maternelle des parents du demandeur est le russe. Ce dernier n’a présenté aucun élément de preuve relatif à la langue parlée à la maison ou à ses capacités limitées à l’oral ou à l’écrit. Compte tenu du peu d’information à sa disposition, l’agent est parvenu à une conclusion raisonnable qui était fondée sur une « analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle […] qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
, comme l’exige le paragraphe 85 de l’arrêt Vavilov.
[18] Cette preuve est au cœur des commentaires de l’agent au sujet de la capacité du demandeur à obtenir la citoyenneté, puisque réussir un examen en russe est l’une des trois exigences mentionnées. De ce fait, le demandeur n’a pas présenté sa meilleure preuve à ce sujet, puisque la seule preuve relative à sa capacité à comprendre la langue dans un contexte aussi sérieux est vague, et il ne peut être reproché à l’agent le fait que ses motifs au sujet des aptitudes linguistiques du demandeur ne sont pas détaillés, étant donné le manque de précision des observations dont il dispose.
C.
Le refus de tenir une audience
[19] Le demandeur fait valoir que l’agent d’ERAR a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience, en dépit du fait qu’il avait tiré des conclusions voilées en matière de crédibilité. Il s’est appuyé sur la jurisprudence selon laquelle une audience est requise lorsque la crédibilité est en cause, et lorsque des conclusions voilées quant à la crédibilité sont tirées (voir p. ex. Abdiliahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 422; Jystina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 912). Par ailleurs, dans les cas où la conclusion de l’agent est fondée sur le caractère suffisant de la preuve, il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire de tenir une audience.
[20] Bien qu’il ne soit d’ordinaire pas nécessaire de tenir une audience dans les affaires d’ERAR, le demandeur soutient que le fait que l’agent ne lui ait pas accordé d’audience malgré ses conclusions voilées en matière de crédibilité est inéquitable sur le plan procédural.
[21] Le demandeur soutient que les conclusions voilées en matière de crédibilité en l’espèce sont survenues quand l’agent a à la fois négligé et rejeté certains éléments de sa preuve et de ses observations. Le demandeur renvoie à la jurisprudence concernant la distinction entre les conclusions relatives à l’insuffisance de la preuve et les conclusions voilées relatives à la crédibilité, et soutient que, dans la présente affaire, l’agent a tiré des conclusions voilées en matière de crédibilité, lesquelles ont influé sur son appréciation des deux motifs de persécution.
[22] Tout d’abord, sur la question de la persécution religieuse, l’agent a conclu que peu d’éléments de preuve avaient été présentés en lien avec un risque personnel et que, par conséquent, le demandeur ne serait pas exposé à de la persécution. Ce dernier soutient que, puisqu’il a présenté sa demande sur place et qu’il a quitté l’Union soviétique à l’âge de 13 ans, il ne pouvait pas présenter une preuve d’un risque personnel et a plutôt présenté des éléments de preuve relatifs à des personnes dans une situation semblable en Russie, et fait une affirmation solennelle. Le demandeur a soutenu que le fait que l’agent ait rejeté ces éléments de preuve et cette affirmation signifiait qu’il ne le croyait pas et que la suffisance de la preuve n’était donc pas en cause. En outre, le demandeur a affirmé que, si l’agent ne le croyait pas, il aurait dû lui accorder une audience. Ensuite, concernant le fait que le demandeur n’a pas de statut en Russie et qu’il y serait perçu comme un étranger, l’agent a conclu, d’une part, qu’il y avait peu d’information démontrant qu’il ne serait pas en mesure de répondre aux exigences pour l’obtention de la citoyenneté et, d’autre part, qu’il était raisonnable de croire, en l’absence d’une preuve au contraire dans le dossier, qu’il avait une certaine connaissance de la langue. Le demandeur a soutenu que la conclusion de l’agent selon laquelle il avait une [traduction] « certaine »
connaissance du russe est en réalité une conclusion en matière de crédibilité, compte tenu de la déclaration sous serment où il affirme avoir une connaissance [traduction] « limitée »
de cette langue. Ce serait, à son avis, parce que cette conclusion contredit ce qu’il a affirmé et que cela voudrait dire qu’il pourrait répondre aux exigences pour l’obtention de la citoyenneté russe. Le demandeur soutient donc qu’il s’agit aussi d’une conclusion voilée relative à la crédibilité.
[23] Ma collègue la juge Rochester a écrit ce qui suit dans la décision Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 :
[24] Par conséquent, la tenue d’une audience est généralement requise si des éléments de preuve importants pour la prise de la décision soulèvent des doutes quant à la crédibilité et que ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifient que la demande soit accueillie (Hare au para 20). L’article 167 du Règlement devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d’une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable (Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27 au para 16). La question qui se pose alors est de savoir si un agent avait des motifs de s’intéresser aux facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement et, le cas échéant, s’il devait les prendre en considération. Si les doutes quant à la crédibilité sont importants pour la prise de la décision au point où l’article 167 du Règlement devient opérant, il serait déraisonnable qu’un agent ne tienne pas compte de la pertinence de tenir une audience.
[24] De ce fait, en l’espèce, la nécessité d’une audience, et la question de savoir si l’agent a offert un degré suffisant d’équité procédurale en refusant la tenue d’une telle audience, dépend de la question de savoir ce qui, de la crédibilité ou de la suffisance de la preuve, est en cause. À mon avis, la conclusion de l’agent concernait la suffisance de la preuve. Plutôt que de ne pas croire le demandeur ou de conclure qu’il ne disait pas la vérité — ce qui serait clairement une conclusion relative à la crédibilité et qui nécessiterait une audience — l’agent a simplement conclu qu’il n’existait [traduction] « aucune preuve au contraire dans le dossier »
. Je ne suis pas d’avis que le fait qu’il n’y a pas eu d’audience constitue un manquement à l’équité procédurale. La conclusion de l’agent concernait plutôt la suffisance de la preuve et n’était pas une conclusion voilée relative à la crédibilité.
D.
L’apatridie du demandeur
[25] Enfin, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte de son apatridie. Le demandeur fait valoir que l’agent s’est concentré sur la possibilité d’obtenir la citoyenneté russe, et que celui-ci s’est livré à des conjectures en déclarant qu’il était raisonnable de croire qu’il pourrait obtenir la citoyenneté, mais a souligné que l’appréciation ne confirmait pas cette possibilité. Il affirme que l’agent n’a pas tenu compte de ce qui risquait de se produire s’il avait tort, ni du fait que le demandeur se retrouvait sans statut dans un pays où les étrangers sont activement persécutés. Le demandeur souligne qu’une bonne partie du droit en matière d’apatridie ne s’applique pas à sa situation, mais il cite Huynh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 148, en faveur de la proposition selon laquelle il ne suffit pas qu’un agent connaisse les observations du demandeur au sujet de son apatridie, mais il doit aussi étudier la preuve présentée à l’appui de ces observations. Compte tenu de ce qui précède, le demandeur soutient que la décision de l’agent, en l’espèce, ne démontrait pas qu’il avait sérieusement pris en considération son apatridie.
[26] Je ne peux conclure que la manière dont l’agent a pris ce facteur en considération était déraisonnable. L’agent a raisonnablement apprécié tous les éléments de preuve à sa disposition, les a analysés et est parvenu à une conclusion raisonnable et justifiée au regard des faits et du droit. Comme il a déjà été mentionné dans la présente décision, l’agent est présumé avoir examiné toute la preuve et toutes les observations dont il disposait, et le fait qu’il n’ait pas accordé à l’apatridie du demandeur le degré d’attention que ce dernier souhaitait ne rend pas la décision déraisonnable. Ce que le demandeur qualifie de conjecture est en fait l’illustration d’une preuve insuffisante.
[27] En terminant, il importe aussi de souligner qu’il semble que le demandeur peut demander un autre ERAR, puisque le précédent date d’il y a plus d’un an, et qu’il peut présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[28] Les parties n’ont pas présenté de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DANS L’AFFAIRE IMM-4776-20
LA COUR STATUE que :
La demande est rejetée;
Aucune question n’est certifiée.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4776-20
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INTITULÉ :
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ALEXANDER LOTSOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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audience tenue par vidéoconférence
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 16 juin 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE MCVEIGH
|
DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
|
LE 22 juin 2022
|
COMPARUTIONS :
Evan C. Duffy
|
Pour le demandeur
|
Meenu Ahluwalia
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
PARLEE McLAWS LLP
Edmonton (Alberta)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
|
Pour le défendeur
|