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Date : 20220610


Dossier : IMM‑4340‑21

Référence : 2022 CF 867

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

DAVID AYODEJI ALABI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENTS ET MOTIFS

Monsieur le juge Phelan

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Abuja, au Nigéria.

[2] Pour les raisons qui suivent, la Cour craint que la SAR et, avant elle, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] n’aient pas procédé à un examen assez approfondi du profil de risque du pasteur pentecôtiste, qui a contesté l’autorité des gangs locaux. Toute conclusion à l’égard de la PRI doit découler d’une évaluation rigoureuse du profil de risque du demandeur.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un pasteur chrétien pentecôtiste qui a dirigé les Rivergate Ministries (Ministères Rivergate), à Lagos. Il demande l’asile par crainte de représailles de la part de diverses sectes au Nigéria, dont le Black Axe Movement (Confrérie de la hache noire), les gangs One Million Boys (Un million de garçons) et Awawa Boys (les Garçons Awawa), ainsi que l’O’odua People’s Congress (le Congrès du peuple oodua) [les gangs]. Il a déjà été persécuté par ces gangs en raison de son travail auprès des Rivergate Ministries dans le cadre duquel il a fait la promotion de campagnes contre les sectes, s’est opposé à ces gangs et a dénoncé les violations des droits des femmes.

[4] Le demandeur a produit en preuve un calendrier des événements démontrant que, de 2006 à 2009, il vivait à Abuja à la suite d’une attaque aux mains d’un gang à Lagos. Pendant cette période, sa famille et lui ont reçu des menaces d’un gang. Il est ensuite retourné à Lagos, où il est resté de 2009 à 2011.

[5] En 2011, le gang One Million Boys a harcelé le demandeur et d’autres pasteurs adjoints et a attaqué les Rivergate Ministries, à Lagos. Le demandeur est alors retourné à Abuja.

[6] Entre 2011 et 2013, le demandeur a de nouveau reçu des menaces d’un gang et est retourné à Lagos.

[7] En 2017, le Black Axe Movement a lancé une importante campagne de recrutement. Les Rivergate Ministries ont alors été plus actifs dans leur opposition, ce qui a valu des menaces au demandeur.

[8] En 2018, alors que le demandeur était aux États‑Unis, où il est resté jusqu’à son arrivée au Canada, sa congrégation à Lagos a été attaquée par le Black Axe Movement, qui voulait savoir où il se trouvait. D’autres attaques visant un ou plusieurs pasteurs de Rivergate sont survenues. En 2019, des gens sont entrés par effraction dans l’appartement de l’ex‑femme du demandeur et ont laissé une note afin de lui faire savoir qu’ils reviendraient pour s’en prendre au reste de la famille. Le demandeur croit que les Awawa Boys sont derrière cette attaque.

[9] Le demandeur est arrivé au Canada en 2019.

[10] La SPR a refusé la demande d’asile du demandeur et relevé des problèmes liés à la crédibilité et à l’exagération, mais sa décision a été ultimement motivée par l’existence d’une PRI. La SPR a souligné que le demandeur avait déménagé sans problème à Abuja à deux reprises et a conclu que ces gangs ne s’intéressaient pas à lui.

[11] La SAR a rejeté les efforts du demandeur, qui souhaitait présenter de « nouveaux » éléments de preuve, et a confirmé l’analyse de la SPR en ce qui concerne la violence des gangs.

III. Analyse

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[13] En temps normal, la Cour n’interviendrait pas pour modifier les conclusions de la SAR. Toutefois, la Cour n’est pas convaincue que l’évaluation par la SAR du profil de risque soit assez approfondie.

[14] La SAR n’a pas traité explicitement de la preuve contenue dans le cartable national de documentation [le CND], qui démontre que les personnes qui s’opposent aux sectes sont victimes de violence. Pourtant, la SAR avait accepté que le demandeur était l’une de ces personnes et le Black Axe Movement figurait parmi les gangs nommés expressément dans le CND.

[15] À la lumière des renseignements fournis dans le CND, il était déraisonnable de soutenir qu’il existait peu d’éléments de preuve sur les activités des sectes et des gangs.

[16] La SAR a déraisonnablement donné trop de poids aux périodes où le demandeur n’était pas la cible d’attaques. Il semble qu’elle n’ait pas tenu compte du fait que, pendant ces périodes, le demandeur n’était pas à Lagos ou il se cachait.

[17] La SAR a rejeté l’argument selon lequel les gangs s’intéressaient encore au demandeur et n’a pas adéquatement tenu compte du fait qu’un gang cherchait toujours le demandeur, même un an après son départ du Nigéria.

[18] Étant donné les éléments de preuve documentaire et l’acceptation par la SAR, du moins en partie, de l’histoire du demandeur, j’estime que l’analyse du profil du demandeur et des risques qu’il court s’il retourne à Abuja, où il a reçu des menaces et où, selon ses dires, il continuerait de s’opposer aux gangs et aux sectes au moyen de son ministère, n’est pas assez approfondie. Rien ne permet de douter de la sincérité de sa motivation à cet égard et de sa perception de ses obligations relatives au ministère.

IV. Conclusion

[19] Par conséquent, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, que la décision de la SAR doit être annulée et que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué.

[20] Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 10 juin 2022

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4340‑21

 

INTITULÉ :

DAVID AYODEJI ALABI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Sherritt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Keelan Sinnott

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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