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Date : 20220630


Dossier : T‑89‑18

Référence : 2022 CF 943

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2022

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

MUD ENGINEERING INC.

demanderesse

et

SECURE ENERGY (DRILLING SERVICES) INC. ET SECURE ENERGY SERVICES INC.

défenderesses

ET ENTRE

SECURE ENERGY (DRILLING SERVICES) INC.

demanderesse reconventionnelle

et

MUD ENGINEERING INC. ET AN‑MING (VICTOR) WU

défendeurs reconventionnels

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demanderesse Mud Engineering Inc. et les défendeurs reconventionnels, Mud Engineering Inc. et M. An‑Ming (Victor) Wu (ci‑après collectivement appelés Mud) dans l’action sous‑jacente, ont déposé une requête en procès sommaire en vertu des articles 213 et 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] à l’égard d’une question soulevée dans l’action sous‑jacente [la requête].

[2] Dans son avis de requête, Mud demande à la Cour de reconnaître qu’elle est titulaire des brevets canadiens no 2,635,300 [le brevet 300] et 2,725,190 [le brevet 190] (ci‑après collectivement appelés les brevets en litige) par voie de procès sommaire. Mud demande également le rejet sommaire de l’affirmation des défenderesses, Secure Energy (Drilling Services) Inc. et Secure Energy Services Inc. (ci‑après collectivement appelées Secure), et de la demanderesse reconventionnelle, Secure Energy (Drilling Services) Inc., selon laquelle Secure Energy (Drilling Services) Inc. est la propriétaire légitime des brevets en litige.

[3] Dans sa requête en procès sommaire, Mud soulève un certain nombre d’allégations factuelles et demande une ordonnance, qui essentiellement :

[4] En réponse à la requête en procès sommaire de Mud, et dans la mesure où le procès sommaire est jugé approprié, Secure demande essentiellement une ordonnance :

[5] Dans la présente requête, la Cour doit décider, à la lumière des observations des parties, (1) à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire; (2) s’il est approprié de trancher la question de la propriété des brevets en litige par voie de procès sommaire; (3) quant à la propriété des brevets en litige, si Mud a droit à la déclaration de propriété qu’elle demande; et (4) dans la négative, si Secure a droit à la déclaration de propriété ou de copropriété qu’elle demande.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que (1) Mud, en tant que partie requérante, a le fardeau de prouver qu’il est approprié de procéder par voie de procès sommaire. Si Mud réussit ce premier test, le fardeau de preuve sera fonction de ce qui est allégué dans la requête en procès sommaire, et non de ce sur quoi porte l’action sous‑jacente (ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2021 CAF 122 au para 44 [ViiV CAF], citant ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2020 CF 486 [ViiV CF] aux para 19 à 22); (2) Mud s’est acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il était approprié de procéder par voie de procès sommaire; (3) quant à la propriété des brevets en litige, Mud n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, les allégations qu’elle a soulevées dans sa requête en procès sommaire, à savoir que Mud Engineering Inc. est la propriétaire des brevets en litige. Mud n’a donc pas droit à la déclaration de propriété qu’elle demande et son action doit être rejetée; et (4) Secure n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, les allégations qu’elle a soulevées dans la présente requête, de sorte que Secure Energy (Drilling Services) Inc. a droit à la déclaration de propriété ou de copropriété qu’elle demande.

II. Contexte procédural

[7] La requête en procès sommaire de Mud s’inscrit dans le contexte de l’action sous‑jacente que celle‑ci a intentée, le 16 janvier 2018, et dans laquelle elle allègue qu’il y a eu contrefaçon des brevets en litige relativement à des compositions de fluides de forage que Secure aurait vendues pour le forage de puits dans les sables bitumineux de l’Ouest du Canada.

[8] Dans sa déclaration modifiée à deux reprises, Mud demande un jugement déclarant, entre autres, que les brevets en litige sont valides et que Mud Engineering Inc. en était la propriétaire à toutes les dates pertinentes. C’est sur la question de la propriété des brevets en litige que porte la requête en procès sommaire que Mud a présentée.

[9] Secure conteste l’action sous‑jacente pour des raisons de non‑contrefaçon, d’invalidité et de propriété, et allègue, entre autres, que Mud Engineering Inc. n’est pas la propriétaire des brevets en litige et que c’est plutôt Secure Energy (Drilling Services) Inc. qui en est la propriétaire légitime. Secure Energy (Drilling Services) Inc. a également présenté une demande reconventionnelle et demande, entre autres, un jugement déclarant que l’objet des brevets en litige est la propriété légitime de Secure Energy (Drilling Services) Inc.

[10] Compte tenu de l’incertitude concernant la compétence de la Cour sur la question de la propriété, Mud a intenté une action contre Secure devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Le 12 novembre 2020, le juge Kevin R. Aalto, responsable de la gestion de l’instance à la Cour fédérale, a conclu que la propriété du brevet était une question préliminaire et a statué sur un point de droit en vertu de l’article 220 des Règles. S’appuyant sur l’arrêt Salt Canada Inc c Baker, 2020 CAF 127, le juge Alto a confirmé que la Cour fédérale a compétence pour statuer sur la demande de Secure Energy (Drilling Services) Inc., qui revendique le titre des brevets en litige dans le contexte (i) d’une défense de non‑contrefaçon de ces brevets; et (ii) d’une demande reconventionnelle visant à obtenir un jugement la déclarant propriétaire desdits brevets et une ordonnance fondée sur l’article 52 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 [la Loi sur les brevets] et modifiant les registres du Bureau des brevets de façon à ce que Secure (Drilling Services) Inc. soit inscrite en tant que propriétaire de ces brevets, comme elle le fait valoir dans l’action sous‑jacente (Mud Engineering Inc c Secure Energy Services Inc, 2020 CF 1049).

[11] À l’appui de sa requête en procès sommaire, Mud a déposé l’affidavit d’un auxiliaire juridique auquel étaient jointes quatre (4) pièces se rapportant à la poursuite intentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Elle a également déposé un affidavit souscrit par M. Wu, directeur, président et actionnaire minoritaire de Mud Engineering Inc., et témoin des faits, auquel étaient jointes 37 pièces. Mud n’a déposé aucune preuve d’expert. J’ai supprimé des parties de l’affidavit de M. Wu ainsi que des pièces, tel que mentionné dans l’ordonnance rendue à l’issue de la requête en radiation de Secure.

[12] Secure a déposé l’affidavit souscrit par M. Anderson, vice‑président principal des services de production et de forage de Secure Energy (Drilling Services) Inc., auquel sont jointes 37 pièces, et le rapport d’expert de M. Eric Rivard, PhD, expert en chimie des polymères à l’Université de l’Alberta, ainsi que 29 pièces.

[13] Mud a déposé la requête en procès sommaire dans laquelle elle ne soulève que la question de la propriété de ses brevets et demande un jugement déclarant qu’elle en est la propriétaire.

[14] La Cour a entendu l’affaire, et MM. Wu et Anderson, en tant que témoins des faits, et M. Rivard, en tant que témoin expert, ont témoigné et ont été contre‑interrogés. Les parties ont chacune déposé des conclusions finales écrites et, à la demande de la Cour, ont eu la gentillesse de présenter des observations orales et écrites supplémentaires sur des questions particulières. Je profite de l’occasion pour les remercier de leur patience.

III. Les questions dont la Cour est saisie

[15] Comme il a été mentionné ci‑dessus, la Cour doit décider, à la lumière des observations des parties, (A) à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire; (B) s’il est approprié de trancher la question de la propriété des brevets en litige par voie de procès sommaire; (C) quant à la propriété des brevets en litige, si Mud a droit à la déclaration de propriété qu’elle demande; et (D) dans la négative, si Secure a droit à la déclaration de propriété ou de copropriété qu’elle demande.

[16] Comme l’a dit Mud, la Cour n’est pas saisie de la question de la validité des brevets en litige.

A. Le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire

[17] Premièrement, comme elles l’ont reconnu, les deux parties doivent, dans une requête en procès sommaire, défendre au mieux leur cause (United Yacht Transport LLC c Blue Horizon Corporation, 2020 CF 1067 au para 20).

[18] La question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire a fait l’objet de débats entre les parties. Celles‑ci reconnaissent qu’il incombe à la partie requérante de prouver que la tenue d’un procès sommaire est une mesure appropriée, mais elles divergent d’opinion quant à ce qui se passe ensuite.

[19] Mud fait valoir que le fardeau se rattache à ce qui est allégué dans l’action sous‑jacente. Ainsi, Mud affirme que, dans la présente requête en procès sommaire, c’est à Secure qu’il incombe de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que Secure Energy (Drilling Services) Inc. est la propriétaire ou la copropriétaire légitime des brevets en litige, puisque c’est elle qui a soulevé la question de la propriété dans sa défense et demande reconventionnelle.

[20] Mud fait en outre valoir que les faits mentionnés dans son avis de requête l’ont été en réponse aux trois (3) raisons que Secure a invoquées à l’appui de son droit de propriété dans sa défense et demande reconventionnelle. Mud soutient que, dans la jurisprudence en matière de procès sommaire, on ne dit jamais qu’à la deuxième étape de l’analyse, le fardeau incombe simplement à la partie requérante. En fait, selon Mud, le fardeau lié à la question de fond sur laquelle porte le procès sommaire incombe à la partie à qui est imposé le fardeau sur cette question dans l’action sous‑jacente, et le fardeau de preuve dont cette partie doit s’acquitter est celui qui s’applique habituellement en matière civile : la partie qui formule une allégation doit en établir le bien‑fondé au moyen des éléments de preuve et des règles de droit pertinents (ViiV CF, aux para 19 et 20; Teva Canada Limited c Wyeth and Pfizer Canada Inc, 2011 CF 1169 aux para 35 et 36 [Teva Canada]; Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776 au para 95; Miura c Miura, [1992] BCJ No 819 au para 14; Premium Sports Broadcasting Inc c 9005‑5906 Québec Inc (Resto‑bar Mirabel), 2017 CF 590 au para 60 [Premium Sports]). Mud suggère que, puisque dans l’arrêt ViiV CAF, la Cour d’appel fédérale n’a présenté aucune analyse détaillée de la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans un procès sommaire, elle ne l’a donc pas examinée.

[21] Selon la proposition de Secure, s’il y a un procès sommaire, c’est à la partie qui soulève une question qu’incombe le fardeau ultime d’en établir le bien‑fondé. Secure affirme donc que dans un procès sommaire, le fardeau de la preuve s’attache à ce qui est allégué dans la requête, et non à ce qui est allégué dans l’action sous‑jacente. D’après elle, Mud doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que Mud Engineering Inc. est la propriétaire légitime des brevets en litige pour avoir droit à la déclaration de propriété qu’elle demande.

[22] Compte tenu de l’arrêt ViiV CAF de la Cour d’appel fédérale et du principe du stare decisis, je suis d’accord avec Secure.

[23] Dans la décision ViiV CF, le juge Manson a confirmé que l’action sous‑jacente avait été intentée par les demanderesses, ViiV Healthcare Company, Shionogi & Co Ltd, et ViiV Healthcare ULC (ci‑après collectivement appelées ViiV), qui alléguaient que Gilead Sciences Canada Inc. [Gilead] avait contrefait le brevet canadien no 2,606,282 [le brevet 282] en fabriquant, en utilisant, en vendant ou en offrant à la vente du bictégravir à titre de composant de son produit BIKTARVY. La défenderesse Gilead avait nié toutes les allégations de contrefaçon et déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle alléguait que le brevet 282 était invalide. Elle avait déposé la requête en procès sommaire dans laquelle elle soulevait deux questions : (1) celle de l’interprétation correcte du cycle A défini dans les revendications 1, 11 et 16 du brevet 282; et (2) celle de savoir si, sur la base de cette interprétation, le bictégravir était visé par les revendications 1, 11 et 16 du brevet 282.

[24] Comme le souligne Secure, dans un procès normal en matière de brevets, la demanderesse et détentrice du brevet, ViiV, aurait eu le fardeau de prouver la contrefaçon selon la prépondérance des probabilités. Pourtant, dans la requête en procès sommaire, Gilead affirmait que son produit n’était pas contrefait et qu’il y avait, par conséquent, inversion du fardeau de la preuve par rapport à celui normalement imposé dans le procès sous‑jacent.

[25] Dans la décision ViiV CF, le juge Manson a confirmé que « [s]ur le fond de la question du procès sommaire, le fardeau habituel dans un procès civil s’applique, c’est‑à‑dire que “ la partie qui formule une allégation doit l’établir au moyen des éléments de preuve et des règles de droit pertinents ”(Teva Canada, au para 36) » (ViiV CF, au para 20). Il a également confirmé que, dans la requête en procès sommaire, il incombait à Gilead de prouver l’absence de contrefaçon, un fardeau qui ne lui incombait pas dans l’action sous‑jacente. Il confirmait ainsi que, dans une requête en procès sommaire, le fardeau de la preuve se rattache à ce qui est allégué dans la requête, et non à ce qui est allégué dans l’action sous‑jacente (ViiV CF, aux para 19 et 20; voir aussi au para 14).

[26] Dans l’arrêt ViiV CAF, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision ViiV CF et, au paragraphe 44 de sa décision, elle a rejeté l’allégation de ViiV selon laquelle la Cour fédérale n’avait pas tenu compte de la question du fardeau de la preuve. La Cour d’appel fédérale n’a pas commenté davantage la conclusion de la Cour fédérale, et elle n’a pas non plus offert d’analyse détaillée de la question précise de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire. Toutefois, elle a renvoyé aux paragraphes 19 à 44 de la décision ViiV CF, où le juge Manson confirme qu’il incombait à Gilead de prouver qu’il n’y avait pas eu de contrefaçon. Contrairement à ce que Mud fait valoir, j’estime que la Cour d’appel fédérale s’est intéressée à la question. Il est raisonnable de supposer que la Cour d’appel fédérale n’aurait pas cité expressément ces paragraphes de la décision ViiV CF si elle avait été d’avis que la Cour fédérale avait commis une erreur. Par conséquent, j’estime que l’opinion de la Cour fédérale sur la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire, telle qu’exprimée dans la décision ViiV CF, a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt ViiV CAF.

[27] Les parties ont attiré l’attention de la Cour sur une décision récente dans laquelle le juge Manson a examiné à nouveau la question du fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire. Le juge Manson a reconnu avoir conclu, dans la décision ViiV CF, que la défenderesse, Gilead, avait le fardeau de prouver qu’il n’y avait pas eu de contrefaçon comme elle l’alléguait dans sa requête en procès sommaire (Janssen Inc c Pharmascience Inc, 2022 CF 62 au para 55 [Janssen Inc] citant ViiV CF, au para 20). Toutefois, à la lumière des arguments et de la preuve qui lui avaient été présentés, et après avoir examiné la jurisprudence, le juge Manson a énoncé ce qu’il estimait être la bonne approche. Il a déclaré que « [l]orsque les articles 213 et 216 des Règles sont lus à la lumière de l’intention des modifications réglementaires et de la jurisprudence, le fardeau de la preuve qui s’applique au fond d’un procès sommaire est le même que celui qui s’applique à l’action sous‑jacente [Premium Sports Broadcasting Inc c 9005‑5906 Quebec Inc (Resto‑bar Mirabel), 2017 CF 590; 0871768 BC Ltd c Aestival (The), 2014 CF 1047 [Aestival]; Collins c Canada, 2014 CF 307] » (Janssen Inc, au para 56).

[28] Or, selon le principe du stare decisis, je ne peux me rallier à l’opinion de mon collègue. Je suis liée par l’arrêt ViiV CAF de la Cour d’appel fédérale. Ainsi, dans l’état actuel des choses, dans une requête en procès sommaire, le fardeau de la preuve se rattache à ce qui est allégué dans la requête.

[29] Comme l’a souligné Secure, les décisions ViiV CF et ViiV CAF ont confirmé à qui incombait le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire, en plus d’expliquer qu’il pouvait y avoir inversion de ce fardeau relatif dans une requête en procès sommaire parce que, dans ce cas, c’est la partie qui allègue un fait ou une conclusion juridique en particulier qui a le fardeau d’en prouver le bien‑fondé selon la prépondérance des probabilités. Secure souligne qu’elle n’est pas tenue de prouver les faits allégués par Mud dans sa requête simplement parce qu’elle a remis ces faits en cause dans l’action sous‑jacente : ce serait contourner le processus judiciaire que de lui imposer ce fardeau, alors qu’elle n’a pas encore pu bénéficier des avantages de l’interrogatoire préalable.

[30] En l’espèce, Mud est la partie requérante et elle sollicite un jugement déclarant que Mud Engineering Inc. est la propriétaire des brevets en litige, compte tenu d’un ensemble particulier d’allégations.

[31] Mud soutient que, dans la présente requête, elle ne remet en cause que les faits qui sous‑tendent l’affirmation de Secure selon laquelle celle‑ci est la « véritable propriétaire » des brevets en litige. Comme je l’ai mentionné, Mud ajoute que tous les faits mentionnés dans son avis de requête l’ont été en réponse aux trois (3) raisons que Secure a invoquées à l’appui de son droit de propriété dans sa défense et demande reconventionnelle. Cependant, Mud est la partie requérante et, selon l’arrêt ViiV CAF, c’est elle qui a le fardeau de prouver les allégations qu’elle a soulevées dans sa requête en procès sommaire au moyen d’éléments de preuves pertinents et des règles de droit applicables.

[32] Dans l’action sous‑jacente, Mud a demandé un jugement déclarant que les brevets en litige appartenaient à Mud Engineering Inc. à toutes les dates pertinentes. Il semble que la question de la propriété n’ait donc pas été soulevée uniquement par Secure, bien que seule Secure ait ensuite présenté les allégations factuelles à l’appui de sa demande reconventionnelle.

[33] Dans la présente requête, il incombe à Mud de prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits invoqués à l’appui du droit de propriété qu’elle affirme avoir dans les brevets en litige et du jugement qu’elle demande à cet égard.

[34] D’autre part, Secure affirme que Mud ne peut pas être la propriétaire des brevets en litige et que c’est Secure Energy (Drilling Services) Inc. qui en est la propriétaire. Secure soulève donc son propre ensemble d’allégations pour étayer sa demande. C’est à Secure qu’incombe ce fardeau. Dans chaque cas, la norme qui s’applique est celle qui s’applique habituellement en matière civile, soit la prépondérance des probabilités.

[35] Comme nous le verrons ci‑dessous, la réponse à la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire est déterminante en l’espèce.

B. Il convient de trancher cette question de propriété par voie de procès sommaire

[36] Mud soutient qu’il convient de procéder par voie sommaire et qu’il n’est pas nécessaire, pour trancher la question de la propriété, de se livrer à une interprétation des revendications des brevets en litige. Mud admettrait que la procédure sommaire n’est pas appropriée si la Cour devait juger nécessaire de procéder aux analyses suggérées par Secure sur le plan de l’interprétation et de la validité. Comme il est mentionné ci‑dessous, je suis d’accord avec Mud pour dire qu’il n’est ni nécessaire ni approprié de se pencher sur la validité des brevets en litige dans le cadre de la présente requête, étant donné que la seule question en litige est celle de la propriété.

[37] Une partie peut présenter une requête en procès sommaire après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés. Fait à noter, la tenue d’un procès sommaire n’est pas réservée aux cas où chaque question en litige sera tranchée. En fait, dans certains cas, la Cour peut examiner une ou plusieurs questions distinctes par voie de procès sommaire (art 213(1) des Règles; voir aussi ViiV CF).

[38] La partie qui demande la tenue d’un procès sommaire, en l’espèce Mud, a le fardeau de démontrer que cette mesure est appropriée : (i) la ou les questions soulevées se prêtent à la tenue d’un procès sommaire; et (ii) le procès sommaire est susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action. Dans le cas contraire, la requête devrait être rejetée. La Cour peut rendre un jugement sur une question si elle est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de le faire. Le principe devant guider l’interprétation des Règles, y compris les dispositions en litige en l’espèce, est énoncé à l’article 3. En outre, « [les] Règles doivent être interprétées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (Teva Canada, au para 30).

[39] Il est à noter que le procès sommaire est considéré comme un moyen approprié pour trancher une question circonscrite et bien définie, dont la résolution permettra de faire avancer l’action plus rapidement, et lorsque les faits nécessaires à la résolution de la question ressortent clairement de la preuve. Au paragraphe 11 de la décision ViiV CF, la Cour relève un certain nombre de facteurs à prendre en considération.

[40] Si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de le faire (art 216(6) des Règles). Dans la présente affaire, je suis d’avis que la tenue d’un procès sommaire est un bon moyen d’apporter à la question en litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. La question de la propriété des brevets en litige est au cœur du différend entre les parties et, si la Cour conclut que Mud ne s’est pas acquittée du fardeau dont elle doit s’acquitter pour obtenir une déclaration de propriété, tant sa requête que son action seront rejetées. Les déposants ont été contre‑interrogés en personne devant la Cour et les questions de crédibilité peuvent donc être résolues. Je suis d’accord avec Mud pour dire que la question de la propriété est bien définie et circonscrite, et qu’un procès sommaire contribuera au règlement de l’action.

[41] Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑dessous, aucune des parties ne s’est acquittée du fardeau dont elle devait s’acquitter pour obtenir la déclaration de propriété qu’elle demande, chacune en raison de l’insuffisance de la preuve, même si ce n’est pas dans la même mesure ni pour les mêmes raisons. La stratégie de Mud dépendait en grande partie de son évaluation du fardeau dont elle devait s’acquitter dans la requête. Il serait tentant de conclure qu’il n’est pas approprié de procéder par voie de requête en procès sommaire, précisément parce que la preuve produite est insuffisante, et de permettre aux parties de faire une deuxième tentative, pour ainsi dire, en allant au procès. Toutefois, une telle conclusion irait à l’encontre de ce qui a déjà été confirmé, à savoir que les parties doivent présenter leurs meilleurs arguments dans une requête en procès sommaire.

[42] En conclusion, j’estime que Mud s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il convient de procéder par voie de procès sommaire pour trancher la question de la propriété qu’elle a soulevée.

C. La propriété des brevets en litige

(1) Contexte

[43] La présente instance porte sur les brevets suivants :

  • Le brevet 300 (l’un des deux brevets en litige) s’intitule : « Composition de fluide de forage comprenant des polymères s’associant hydrophobiquement et procédés d’utilisation connexes ». L’invention a pour objet la composition de fluides de forage à utiliser pour la récupération de bitume dans des sables bitumineux et, plus particulièrement, la composition de fluide de forage contenant des polymères d’association hydrophobes, ainsi qu’une méthode d’utilisation de cette composition pour encapsuler le bitume. La demande de brevet 300 a été déposée le 18 juin 2008 et le brevet a été délivré le 12 avril 2011. Elle revendique une date de priorité fondée sur la demande de brevet américain 60/947,969 [brevet provisoire 969]. L’inventeur est M. Wu et la titulaire est Mud Engineering Inc.

  • Le brevet provisoire 969(de la société Mud) s’intitule : [traduction] « Composition de fluide de forage comprenant des polymères s’associant hydrophobiquement et procédés d’utilisation connexes ». L’invention a pour objet des fluides de forages à utiliser pour la récupération de bitume dans des sables bitumineux et, plus particulièrement, des fluides de forage contenant des polymères d’association hydrophobes, ainsi qu’une méthode d’utilisation de ces fluides pour empêcher les déblais de coller aux composants de forage lors du forage dans les gisements de sables bitumineux. La demande de brevet a été déposée le 4 juillet 2007, et M. Wu est le demandeur et l’inventeur.

  • Le brevet 190 (un des deux brevets en litige) s’intitule : « Fluide de forage comportant des agents tensio‑actifs ». L’invention a pour objet la composition de fluides de forage contenant des surfactants dont le rapport hydrophile/lipophile [HLB] est inférieur à environ sept (7), destinés à la récupération de bitume dans les sables bitumineux, ainsi qu’une méthode d’utilisation de la composition pour encapsuler le bitume. La demande de brevet 190 a été déposée le 13 décembre 2010 et le brevet a été délivré le 9 décembre 2014. Les co‑inventeurs sont M. Wu et M. Xiao Wu, et la titulaire est Mud Engineering Inc.

  • Le brevet canadien no 2,451,585 [brevet 585] (Marquis Fluids Inc. [Marquis] ‑ désormais appelée Secure) s’intitule : « Fluide de forage à base de polymère émulsifié et méthodes pour le préparer et l’utiliser ». L’invention a pour objet un fluide de forage polymère à base d’eau, contenant des quantités efficaces d’agents tensio‑actifs, ayant des valeurs HLB égales ou supérieures à 7 environ, qui permet d’émulsifier l’huile et le bitume contenus dans les déblais de sables bitumineux, résultant dans la dispersion de l’huile et du bitume sous forme d’émulsion. La demande de brevet 595 a été déposée le 1er décembre 2003 et le brevet a été délivré le 25 juillet 2006. Les co‑inventeurs sont M. Wu et M. Jay Brockhoff, et la propriétaire est la société Marquis, ultérieurement acquise par Secure.

  • Le brevet canadien no 2,508,339 [brevet 339](New West Drilling Fluids Inc. [New West] – désormais appelée Secure) s’intitule : « Fluide de forage et procédés de son utilisation ». Le brevet concerne un fluide de forage aqueux utilisé pour forer dans des formations de bitume ou riches en huiles lourdes. Le fluide de forage aqueux comprend : un polymère cationique hydrosoluble capable d’encapsuler le bitume ou l’huile lourde. L’encapsulation du bitume empêche l’accrétion du bitume aux composants de forage. La demande de brevet 339 a été déposée le 2 décembre 2003 et le brevet a été délivré le 24 octobre 2006. Les co‑inventeurs sont M. John Ewanek et M. Simon J.M. Levey, et la titulaire est New West, société ultérieurement acquise par Secure.

[44] La preuve révèle, et elle n’est pas contestée, que du 1er décembre 2001 au 18 septembre 2006, la prédécesseure de Secure, M. Wu a travaillé pour la société Marquis en vertu d’un contrat de travail valide pour une période de six mois, dont une copie a été jointe comme pièce 10 à l’affidavit souscrit par M. Wui le 10 novembre 2020. D’après les modalités du contrat de travail, M. Wu avait comme tâche de découvrir des solutions pour une formulation permettant l’élimination des silicates, la lubrification et l’utilisation à haute température qui soit équivalente aux aphrons (bulles), et de contribuer aux activités sur le terrain et au dépannage de temps en temps. L’emploi de M. Wu a été prolongé et, en 2002, M. Wu a commencé des travaux de recherche et développement sur un système de fluide de forage, dont le produit a finalement fait l’objet du brevet 585 et a été commercialisé par Marquis sous le nom de Bitumen Activated Stable Emulsion (BASE). M. Brockhoff était alors le superviseur de M. Wu.

[45] Le 8 octobre 2003, M. Wu a également signé une entente de non‑sollicitation et de confidentialité, dont une copie est jointe comme pièce L à l’affidavit souscrit par M. Anderson, le 12 mars 2021. Entre autres, ladite entente prévoit que tout droit de propriété intellectuelle découlant des travaux réalisés par l’employé, c’est‑à‑dire M. Wu, dans l’exercice de ses fonctions, appartient à la société et qu’à la demande de la société, l’employé doit signer tous les documents raisonnablement nécessaires pour le prouver et aider cette dernière à faire valoir tous les droits qu’elle peut avoir à cet égard.

[46] Alors qu’ils travaillaient à la société Marquis, M. Wu et M. Brockhoff ont mis au point l’invention qui a fait l’objet du brevet 585, mentionné ci‑dessus. M. Wu a cédé l’invention à Marquis. Les parties ne s’entendent pas sur l’objet du brevet 595 : Mud soutient que le brevet 585 concerne uniquement l’[traduction] « émulsification du bitume », tandis que Secure, par l’entremise de son témoin expert, M. Rivard, soutient que le brevet vise également l’[traduction] « encapsulation de particules de bitume ».

[47] Le 2 décembre 2003, soit à peu près en même temps que Marquis a déposé la demande de brevet 585, une autre entreprise du nom de New West a déposé la demande ayant mené au brevet 339. Le brevet 339, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, se rapporte à l’encapsulation.

[48] Le 10 juillet 2006, M. Wu a fait part de son intention de démissionner de Marquis. Marquis et lui ont discuté de la possibilité qu’il puisse continuer à travailler pour l’entreprise.

[49] Le 25 juillet 2006, le brevet 585 a été délivré, et MM. Wu et Brockhoff y étaient désignés comme co‑inventeurs.

[50] Le 8 août 2006, M. Dave Rawlyk, cofondateur et vice‑président de Marquis, a écrit à M. Wu pour lui dire qu’il souhaitait étudier la possibilité de concevoir un système d’encapsulation. Selon la pièce 12 jointe à l’affidavit de M. Wu, M. Rawlyk a écrit ceci : [traduction] « [e]ntretemps, je crois que nous devons examiner la possibilité de concevoir un système d’encapsulation pour SAGD afin de concurrencer les autres entreprises de boues de forage où notre système ne fonctionne pas aussi bien ». Deux jours plus tard, M. Wu a répondu qu’il ne pensait pas avoir suffisamment de temps pour mener à bien le projet. Le 16 août 2006 et le 1er septembre 2006, M. Wu a écrit encore une fois à M. Rawlyk pour lui dire, d’une part, qu’il pensait être capable de mettre au point le système de boues de forage à encapsulation, mais qu’il avait besoin de plus de temps pour lire la documentation scientifique et, d’autre part, qu’il effectuerait certains travaux sur le système de boues à encapsulation la semaine suivante.

[51] Les négociations concernant la possibilité que M. Wu puisse continuer à travailler pour la société Marquis n’ont pas abouti et, le 18 septembre 2006, M. Wu a quitté son poste. Il a ensuite commencé à travailler pour Saudi Aramco. Le 23 octobre 2006, la société Marquis lui a écrit pour l’informer qu’il avait contrevenu à l’entente de non‑sollicitation et de confidentialité qu’il avait signée et, le 8 janvier 2007, M. Wu a répondu qu’il n’avait commis aucune violation.

[52] Selon le témoignage de M. Wu, il a entendu parler pour la première fois des polymères hydrophobiquement associatifs le 12 avril 2007, lors d’une discussion informelle avec M. Ming Han, discussion qui a eu lieu à une réception mondaine privée en Arabie Saoudite. Cette discussion l’aurait mené à la recherche qu’il a faite sur le sujet qui, a‑t‑il dit, deviendrait l’objet du brevet 300. M. Wu n’a fourni aucun élément de preuve concernant le travail réellement effectué pour mettre au point son invention, divulguée la première fois dans le brevet provisoire américain 969. Dans son témoignage, il a affirmé avoir fait des recherches sur google.com pour trouver des documents techniques sur les polymères hydrophobiquement associatifs et est tombé sur un article de la Society of Petroleum Engineers (voir la pièce no 3 de l’affidavit de M. Wu), dont l’auteur est M. Han, qui a commencé à travailler pour Saudi Aramco en février 2007. M. Wu a affirmé avoir eu dès lors connaissance du brevet 339, c.‑à‑d. le brevet de la société New West concernant les fluides de forage à encapsulation et les polymères cationiques de polyacrylamide. Donc, dans son affidavit, M. Wu confirme avoir su que la société New West utilisait des polymères cationiques (c.‑à‑d. chargés positivement) comprenant du polyacrylamide cationique pour encapsuler du bitume. Cependant, il a indiqué que l’article de M. Han se rapportait à différents types de polyacrylamides, c.‑à‑d. des polymères hydrophobiquement associatifs.

[53] M. Wu a affirmé que le 14 avril 2007, il avait effectué une recherche auprès du United States Patent Office et avait obtenu une liste de 21 brevets, tandis qu’une autre recherche lui avait permis d’identifier deux (2) brevets, dont le brevet américain no 4,734, 205, et qu’une autre recherche lui avait permis d’identifier la demande de brevet canadien no 2,623, 834. À cet égard, M. Wu n’a fourni aucune preuve concernant le travail réel effectué pour mettre au point l’invention divulguée dans la demande de brevet provisoire 969, et il a admis qu’il n’avait fait aucune expérience entre septembre 2006 et le 4 juillet 2007.

[54] M. Wu affirme cependant dans son affidavit avoir travaillé à la préparation d’une demande de brevet provisoire et l’avoir fait déposer aux États‑Unis par son avocat spécialisé en brevets, c’est‑à‑dire la demande de brevet provisoire 969.

[55] En mai et en juin 2007, MM. Rawlyk et Brockhoff, qui travaillaient tous deux pour la société Marquis, ont communiqué avec M. Wu et lui ont demandé de signer une déclaration concernant la demande de brevet américain liée au brevet 585 susmentionné, que M. Wu avait cédé à Marquis. Ils ont fourni à M. Wu, à sa demande, de nombreux documents.

[56] Le 4 juillet 2007, M. Wu a déposé aux États‑Unis la demande de brevet provisoire 969, sur le fondement de laquelle le brevet 300 revendique une date de priorité.

[57] Le 11 juillet 2007, M. Wu a finalement refusé de signer la déclaration susmentionnée concernant la demande de continuation du brevet américain lié au brevet 585 de Marquis, et le 25 juillet 2007, M. Wu a constitué en personne morale la société Mud.

[58] Le 11 octobre 2007, M. Wu a signé une entente de coopération avec une entreprise établie en Chine qui aurait synthétisé certains polymères. Il n’y a aucune preuve que M. Wu était en Chine aux fins de la synthèse des produits chimiques par l’entreprise chinoise. M. Wu ignore quel produit de départ a été utilisé, et il n’y a rien au dossier concernant la composition de ces polymères.

[59] Le 18 juin 2008, M. Wu a déposé la demande relative au brevet canadien 300 et à son équivalent aux États‑Unis. Dans le cas de cet équivalent américain, la revendication 1 a dû être restreinte, car elle aurait autrement été non brevetable pour cause d’évidence en raison de l’équivalent américain des brevets canadiens 339 (New West) et 585 (Marquis).

[60] Le 13 décembre 2010, M. Wu a déposé la demande relative au brevet 190. Là encore, aucun élément de preuve n’a été produit à l’appui des expériences divulguées dans le brevet 190 et, selon M. Rivard, ces expériences divulguées dans le brevet 190 montrent qu’il n’y aucune différence dans les résultats des essais, peu importe qu’un surfactant dont le rapport HLB est inférieur à sept (7) soit utilisé dans la composition du fluide de forage.

[61] En 2011, Secure a acquis Marquis, et en 2012, la filiale en propriété exclusive de Secure, Marquis Alliance Energy Group Inc. [Marquis Alliance], a acheté les actifs de New West, y compris ses éléments de propriété intellectuelle et ses renseignements confidentiels. En fin de compte, Secure est devenue propriétaire des brevets 585 et 339. Pendant que M. Wu travaillait pour Marquis (de 2001 à 2006) et lorsqu’il a déposé chacune des demandes de brevets en litige (2008 et 2010), Marquis ou Secure n’était pas propriétaire du brevet 339, ni d’aucun élément de propriété intellectuelle ou information confidentielle connexe.

[62] De septembre 2006 au 31 octobre 2012, M. Wu a travaillé pour Saudi Aramco en tant que scientifique principal de laboratoire. Après ce dernier emploi et jusqu’en août 2014, il a travaillé exclusivement pour Mud, et d’août 2014 à mai 2017, il a travaillé pour Secure.

[63] Avant qu’elle ne dépose sa défense et demande reconventionnelle dans la présente instance, le 26 mars 2018, Secure n’a jamais contesté le titre de propriété de Mud sur les brevets en litige.

(2) Mud a‑t‑elle droit à la déclaration de propriété qu’elle demande au nom de Mud Engineering Inc. dans la présente requête en procès sommaire?

(a) Position et preuve de Mud

[64] Mud soutient qu’une présomption prima facie de « propriété » et de « paternité de l’invention » s’attache au brevet qui a été délivré, sauf preuve contraire, conformément au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets. Elle cite l’ouvrage Clarizio, Dino P et al., Hughes and Woodley on Patents, 2e éd. (Toronto : LexisNexis Canada, 2005) (feuilles mobiles mises à jour en mai 2021, numéro 81) à l’appui de la proposition selon laquelle cette présomption légale n’est pas irréfutable; il s’agit d’une présomption « faible », mais elle impose à la partie qui conteste la propriété du brevet le fardeau de prouver qu’il appartient à quelqu’un d’autre. Si elle le prouve, la présomption est réfutée et la question doit être tranchée suivant la norme de preuve habituellement applicable en droit civil.

[65] Mud reconnaît que le titre ou la propriété d’un brevet est d’abord attribué à l’inventeur ou aux inventeurs qui y sont désignés, conformément au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets. Mud explique qu’étant donné que la propriété d’un brevet est d’abord attribuée à l’inventeur, la présomption de propriété doit nécessairement s’étendre également à la paternité de l’invention. Une fois le brevet délivré, il est possible de demander à la Cour, en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, qu’elle ordonne que le nom d’un inventeur soit supprimé des registres ou qu’il y soit ajouté, mais là encore il faut prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne en question était ou n’était pas un co‑inventeur.

[66] Mud affirme qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’une invention a été réalisée (ou qu’elle existe) pour faire la preuve du droit de propriété, car il s’agit d’une question de validité. Elle ajoute que, pour ce faire, il faut identifier l’inventeur des brevets en litige et, en l’espèce, déterminer si M. Brockhoff était le seul inventeur des brevets en litige ou s’il en était le co‑inventeur. À cet égard, Mud affirme que la Cour n’a pas besoin de se livrer à une interprétation détaillée des brevets en litige pour se prononcer sur cette allégation.

[67] Mud soutient que la question de savoir quand M. Wu a mis au point les inventions visées par les brevets en litige et s’il avait l’obligation de céder l’invention à Secure est liée aux faits.

[68] La question est présentée comme étant au cœur de l’affaire, et Mud soutient donc qu’aucune preuve d’expert n’est nécessaire et elle n’en a produit aucune.

[69] Mud affirme que les brevets en litige concernent les fluides de forage à encapsulation, tandis que le brevet 585 se rapporte aux fluides de forage à émulsification. Elle soutient que 1) l’émulsification du bitume et l’inhibition de la dispersion du bitume (c.‑à‑d. l’encapsulation) sont des solutions en contradiction absolue; 2) Marquis et M. Wu n’ont pas travaillé sur les fluides à encapsulation avant septembre 2006, et Secure n’a pas contesté la preuve présentée par M. Wu à ce sujet; 3) Secure a même cherché à acquérir les droits afférents aux brevets en litige.

[70] Mud soutient qu’il n’y a aucune preuve au dossier qui (i) réfuterait la présomption qu’elle est propriétaire des brevets en litige; ou qui (ii) soutiendrait autrement les allégations selon lesquelles Secure a un droit de propriété sur ces brevets.

[71] Comme il a été mentionné précédemment, Mud allègue que le fardeau de la preuve incombe à la partie qui présente la demande ou la défense en cause lors d’un procès sommaire. Comme Secure a soulevé la question de la propriété dans sa défense et demande reconventionnelle, Mud affirme que c’est à elle seule qu’incombe le fardeau de la preuve. Mud n’a donc produit aucune preuve, autre que le témoignage de M. Wu, à l’appui du droit de propriété qu’elle revendique dans sa requête en procès sommaire.

[72] M. Wu a témoigné à titre de témoin des faits. Il est directeur et président de Mud Engineering Inc. depuis que celle‑ci a été constituée en société le 25 juillet 2007. M. Wu est l’inventeur désigné du brevet 300 et le co‑inventeur désigné du brevet 190. Il a témoigné à l’appui de la requête en procès sommaire sur la question du titre des brevets en litige et a affirmé avoir une connaissance personnelle de tous les faits mentionnés dans son affidavit.

[73] M. Wu a témoigné sur un certain nombre de questions, dont certaines ont été supprimées. Ainsi, celles portant sur les notions de base techniques et l’interprétation des brevets en litige, entre autres, ont été supprimées.

[74] M. Wu a donc fourni des précisions sur ses antécédents, ses titres de compétences et son expérience, les emplois qu’il avait occupés à la société Marquis de 2001 à 2006, son emploi à Saudi Aramco, sa connaissance des polymères d’association hydrophobes, les travaux qu’il a faits en parallèle et qui ont mené à la création de Mud Engineering Inc. et aux brevets en litige, et son emploi à la société Secure de 2014 à 2017.

[75] Comme je l’ai mentionné plus tôt, M. Wu a affirmé qu’on lui avait demandé, en août 2006, de se pencher sur un système d’encapsulation, et que, bien qu’il ait indiqué par écrit qu’il étudierait cette possibilité, il ne l’avait pas fait pendant qu’il était à l’emploi de la société Marquis.

(b) Position et preuve de Secure

[76] Secure affirme essentiellement qu’il incombait à Mud de prouver l’allégation qu’elle avait soulevée dans sa requête en procès sommaire quant à son droit de propriété. Comme je l’ai mentionné plus tôt, et pour les raisons que j’ai mentionnées, je suis d’accord avec Secure en ce qui concerne le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire.

[77] Secure affirme qu’il y a deux façons de considérer la question, à savoir (1) sous l’angle de la présomption de « l’employé inventeur » dans le contexte d’un emploi (Comstock Canada c Electec Ltd, [1991] ACF no 987 [Comstock]), alors Mud avait le fardeau de prouver que M. Wu est le seul inventeur, que l’invention a été réalisée après son départ de Marquis et que l’invention n’a pas été réalisée en utilisant des renseignements confidentiels de Marquis, ce qui nécessite de déterminer le véritable objet de l’invention; et (2) sous l’angle de la présomption de validité découlant de la Loi sur les brevets, alors la question devient : dans quelle mesure les renseignements sur l’identité apparente du propriétaire du brevet et la paternité apparente de l’invention peuvent‑ils être pris au pied de la lettre et quelle preuve est nécessaire pour que cette présomption soit réfutée?

[78] Secure soutient que Mud ne s’est pas acquittée de son fardeau puisqu’elle n’a pas prouvé que M. Wu avait réalisé l’invention après avoir quitté Marquis, ni que les fluides de forage avec lesquelles M. Wu avait travaillé pendant qu’il était à l’emploi de Marquis étaient complètement différents des fluides de forage dont il est question dans les brevets en litige.

[79] Secure soutient que Mud ne s’est pas acquittée de son fardeau, car (1) le témoignage de M. Wu n’étaye pas la position de Mud; (2) les revendications doivent être interprétées de sorte à définir l’objet de l’invention, ce qui est nécessaire pour déterminer qui est l’inventeur et qui est le propriétaire; et (3) M. Wu ne sait pas en quoi consiste son invention. Secure ajoute que Mud Engineering Inc. n’est pas la propriétaire de l’invention visée par les brevets en litige, car (i) l’objet des brevets 300 et 190 a été antérieurement divulgué dans les brevets 339 et 585 (les brevets 585 et 339 se chevauchent, et M. Wu a changé d’opinion sur ce qui était au cœur de l’invention visée par le brevet 300); (ii) M. Wu a travaillé sur l’objet des brevets en litige alors qu’il était encore à l’emploi de Marquis; et (iii) M. Wu n’est pas l’inventeur de l’objet visé par les brevets en litige.

[80] Secure prétend que la Cour est en mesure de rejeter la requête dans son intégralité. Toutefois, elle ajoute que la preuve présentée à la Cour permet de conclure que M. Wu n’est pas l’inventeur et que Mud Engineering Inc. n’est pas la propriétaire des brevets en litige.

[81] Secure est d’accord avec Mud pour dire qu’il existe une présomption de paternité et de propriété de l’invention, et que cette présomption est faible (Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 1; Diversified Products Corp c Tye‑Sil Corp (CAF), 35 CPR (3d) 350; Abbott Laboratories c Canada (Health), 2007 CAF 153; Apotex c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77 [Apotex]). Secure prétend que la preuve qu’elle a présentée permet de réfuter cette présomption, de sorte qu’il incombait à Mud de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est propriétaire des brevets en litige. Secure affirme que Mud ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[82] M. Anderson a témoigné à titre de témoin des faits pour le compte de Secure. On lui a demandé de décrire la série de transactions et d’événements qui ont permis à Secure Energy (Drilling Services) Inc. de devenir propriétaire des brevets 339 et 585. M. Anderson a joint à son affidavit des lettres qui concernent M. Wu, qu’il a examinées, et qui donnent des exemples de l’objet sur lequel M. Wu travaillait pendant qu’il était à l’emploi de Marquis, de 2001 à 2006, et lorsque M Wu a quitté Marquis.

[83] M. Anderson a joint 37 pièces à son affidavit, dont une dans laquelle M. Wu confirmait, en août 2006, alors qu’il était à l’emploi de Marquis, qu’il examinerait un système d’encapsulation. Rappelons que M. Wu a déclaré qu’il ne l’avait pas fait. Il semble clair, cependant, que le terme « encapsulation » est un terme connu de tous les intéressés, qui se passe d’explication, et aucune explication n’a été fournie, apparemment.

[84] M. Rivard a témoigné à titre de témoin expert pour le compte de Secure. M. Rivard est professeur de chimie à l’Université de l’Alberta. Il a terminé son baccalauréat en chimie, avec distinction, à l’Université du Nouveau‑Brunswick en 1999, et il a obtenu son doctorat sur le thème des polymères inorganiques de l’Université de Toronto en 2004.

[85] On a demandé à M. Rivard de donner son opinion sur une série de questions relatives au brevet 300, au brevet provisoire 969, au brevet 190, au brevet 585 et au brevet 339, afin essentiellement d’identifier l’invention visée par chaque brevet, de comparer ces inventions et d’examiner si elles pouvaient se chevaucher.

[86] On a demandé à M. Rivard de décrire l’objet des travaux réalisés par M. Wu pendant qu’il était à l’emploi de Marquis, entre 2001 et 2006, et en quoi cet objet concernait l’invention visée par les brevets en litige. On lui a aussi demandé de donner son opinion sur le moment où l’invention visée par le brevet 300 et le brevet 190 s’était cristallisée, c’est‑à‑dire si c’était pendant que M. Wu était à l’emploi de Marquis.

[87] Dans son affidavit, M. Rivard a donné son opinion sur ce que le terme « polymère d’association hydrophobes » pouvait englober, et indiqué si ses propriétés étaient connues avant la publication du brevet 300.

[88] À la page 10 de son affidavit, M. Rivard résume son opinion en cinq (5) conclusions. En fin de compte, M. Rivard estime, entre autres, que M. Wu a travaillé sur ou avec tous les éléments essentiels des brevets en litige, ou qu’il les connaissait à tout le moins, alors qu’il était à l’emploi de Marquis entre 2001 et 2006, et que plusieurs de ces éléments sont divulgués dans les brevets 585 et 339. En fin de compte, M. Rivard s’est dit d’avis que M. Wu n’avait pas inventé l’objet à large portée revendiqué dans les brevets en litige.

(c) Analyse et décision

[89] Les parties ont reconnu qu’il existe une présomption quant à la propriété et à la paternité de l’invention, et qu’il s’agit d’une présomption faible et assurément réfutable. À cet égard, j’estime que Secure a présenté des éléments de preuve, par l’intermédiaire de MM. Rivard et M. Anderson, qui permettent de réfuter la présomption selon laquelle l’inventeur désigné, M. Wu, est le véritable inventeur, et que de ce fait, Mud est la propriétaire des brevets en litige. C’est tout ce que requiert le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets pour réfuter la présomption quant à la paternité ou à la propriété apparente de l’invention visée par les brevets en litige.

[90] Étant donné que la présomption est réfutée, il incombe à la partie qui fait une allégation d’en prouver le bien‑fondé selon la prépondérance des probabilités. Comme Mud a allégué dans la présente requête en procès sommaire qu’elle était propriétaire des brevets en litige, et qu’elle demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire en ce sens, il lui incombe de prouver ses allégations. Les parties ont convenu que, pour que Mud puisse être reconnue comme propriétaire légitime des brevets en litige, celle‑ci doit établir que M. Wu, l’inventeur désigné, a inventé ce qu’il revendique.

[91] Dans sa requête, Mud a fait valoir certains faits à l’appui de la déclaration de propriété qu’elle demande, notamment :

  • ·Les inventions visées par les brevets en litige n’ont rien à voir avec les activités entreprises par M. Wu, ou avec les renseignements confidentiels auxquels il a été exposé, alors qu’il était à l’emploi de Marquis;

  • Malgré leur objectif commun, les fluides de forage avec lesquels M. Wu a travaillé pendant qu’il était à l’emploi de Marquis sont d’un type différent des fluides de forage visés par les brevets en litige. Les brevets en litige concernent un type de fluides de forage appelés fluides à encapsulation. En revanche, les travaux réalisés par M. Wu pendant qu’il était à l’emploi de Marquis visaient essentiellement à mettre au point des fluides de forage appelés fluides à émulsion;

  • Avant que M. Wu ne démissionne, en septembre 2006, Marquis ne possédait pas de système d’encapsulation des fluides de forage, et n’avait non plus lancé aucun programme de recherche et développement dans le domaine des fluides à encapsulation;

  • L’étincelle inventive à l’origine des brevets en litige a eu lieu en avril 2007, alors que M. Wu travaillait en Arabie Saoudite et qu’un autre chimiste, rencontré par hasard, lui a dit qu’il avait travaillé sur un groupe de composés appelés « polymères d’association hydrophobiques ». Intrigué, M.Wu a commencé à faire des recherches sur ces composés et leurs utilisations pendant ses soirées et ses jours de congé. À partir de ces travaux,M.Wu a mis au point les formulations de fluides à encapsulation qui sous‑tendent le brevet 300;

  • Le 4 juillet 2007, M. Wu a déposé une demande de brevet provisoire aux États‑Unis afin de protéger son invention;

  • Mud a retenu les services d’une entreprise de produits chimiques en Chine pour synthétiser des échantillons de polymères d’association hydrophobiques. Elle a réalisé des essais en décembre 2007 et elle a déposé la demande relative au brevet 300, en juin 2008;

  • L’objet du brevet 190 a été mis au point en août 2010 par suite des tentatives répétées de Mud d’améliorer son produit.

[92] Mud s’est fiée à M. Wu et à une simple lecture des brevets en litige qui divulguaient à première vue qu’ils portaient sur les fluides de forage à encapsulation.

[93] Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivée plus tôt au sujet de la partie à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire, de la déclaration de propriété et de l’ordonnance sollicitées par Mud, ainsi que des allégations que celle‑ci a avancées à l’appui des réparations qu’elle demande, je conclus qu’il appartenait effectivement à Mud d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits qu’elle avait allégués, notamment que les divers fluides de forage avec lesquels M. Wu avait travaillé pendant qu’il était à l’emploi de Marquis étaient d’un type complètement différent de ceux dont il est question dans les brevets en litige et que M. Wu avait fait des recherches et a mis au point les formulations de fluides qui sous‑tendent le brevet 300. Mud n’a pas réussi.

[94] Comme Mud l’a dit, elle s’est appuyée entièrement sur le témoignage de M. Wu. Or, ce témoignage doit être examiné avec circonspection. M. Wu n’a pas donné l’impression d’être un témoin des faits direct, sincère et franc, impression qui ne saurait s’expliquer par des problèmes de traduction ou des difficultés linguistiques en général. Comme l’a souligné Secure, M. Wu n’était pas préparé, a reconnu qu’il n’avait pas examiné les brevets en cause depuis dix (10) ans, qu’il n’avait pas lu attentivement le brevet provisoire 969 ou les brevets en litige même après leur dépôt, qu’il ne comprenait pas certaines parties de ses propres brevets et, aussi, qu’il ne comprenait pas certaines parties de son propre affidavit. Si je ne les avais pas supprimées parce qu’elles constituaient une opinion d’expert inadmissible, je n’aurais accordé aucun poids aux parties de l’affidavit de M. Wu qui portaient sur les brevets en litige et les notions de base techniques, compte tenu des circonstances.

[95] Pour citer le juge Muldoon dans la décision Comstock, M. Wu n’a pas fait montre de la compréhension dont ferait preuve l’inventeur.

[96] Comme l’a mentionné Secure, M. Wu n’a pas pu expliquer sa propre invention et, il va sans dire, n’a pas pu établir que les fluides de forage avec lesquels il travaillait alors qu’il était à l’emploi de Marquis, donc ceux visés par le brevet 585, étaient complètement différents de ceux dont il est question dans les brevets en litige.

[97] Pendant son contre‑interrogatoire, M. Wu a souvent éludé les questions ou donné des réponses sans rapport avec les questions, il a posé de sérieux problèmes de crédibilité (White v The King, [1947] RCS 286), et je n’accorde à son témoignage que très peu de poids.

[98] Je suis d’accord avec Secure pour dire que la preuve présentée par Mud est insuffisante pour établir que M. Wu a inventé ce qu’il a divulgué dans les brevets en litige.

[99] Ce manque de preuve est en outre exacerbé par le témoignage d’expert de M. Rivard. M. Rivard a été direct, franc, clair et intéressant. Il a donné l’impression d’être bien informé, indépendant, crédible et minutieux, et il s’est aussi montré solide et franc lors du contre‑interrogatoire. J’accorde beaucoup de poids à son opinion.

[100] M. Rivard décrit chacune des inventions visées par les brevets aux pages 43 et suivantes et aux pages 57 et suivantes de son rapport d’expert. Il estime que M. Wu a travaillé sur ou avec tous les éléments essentiels des brevets en litige, ou qu’il les connaissait à tout le moins, alors qu’il était à l’emploi de Marquis entre 2001 et 2006. Enfin, il est aussi d’avis que les ressemblances entre le brevet 585 de Marquis, dont M. Wu est co‑inventeur, et les brevets en litige sont frappantes.

[101] La preuve de Mud, qui repose entièrement sur le témoignage problématique de M. Wu, n’établit pas que les fluides de forage faisant l’objet des brevets en litige sont complètement différents de ceux sur lesquels M. Wu a travaillé lorsqu’il était à l’emploi de Marquis.

[102] Je suis consciente du fait qu’en août 2006, M. Rawlyk a demandé à M. Wu de travailler sur un système d’encapsulation, car Secure ne disposait pas d’un tel système. Toutefois, cet élément ne suffit pas à faire pencher la balance en faveur de Mud.

[103] De même, Mud n’a présenté presque aucun élément de preuve sur les travaux faits par M. Wu pour mettre au point les formulations de fluides de forage faisant l’objet du brevet 300. D’après la preuve, M. Wu n’a effectué que quelques recherches d’antériorités de brevets sur Internet entre avril et juin 2007, lorsque le brevet provisoire 969 a été déposé. Comme le souligne Secure, M. Wu n’a pu expliquer les travaux qui l’ont mené au dépôt des brevets en litige, il n’était pas présent pour la synthèse des polymères mis à l’essai en Chine, il n’était pas présent lors des essais relatifs au brevet 190, il n’a pas pu fournir le cahier de laboratoire ou la documentation étayant les essais relatifs au brevet 190, alors que le cahier de notes en mandarin a été radié du dossier.

[104] Mud ne m’a donc pas convaincue qu’il est plus probable qu’improbable que M. Wu ait fait des recherches sur les composés et leurs utilisations et qu’à partir de ces travaux il ait mis au point les formulations sous‑tendant le brevet 300, ce qui est un autre élément essentiel de sa prétention au sujet de la paternité de l’invention et de la propriété du brevet. M. Wu n’a fourni aucune preuve concernant les travaux qu’il avait réellement effectués pour mettre au point l’invention divulguée dans la demande de brevet provisoire 969, à l’exception des recherches d’antériorités sur Internet, et il a admis n’avoir effectué aucune expérience entre septembre 2006, lorsqu’il a quitté la société Marquis, et le 4 juillet 2007, date à laquelle la demande de brevet provisoire 969 a été déposée. Les éléments de preuve que Mud a présentés en l’espèce quant aux travaux effectués par M. Wu pour réaliser l’invention visée par le brevet 300 consistent en une photo de M. Wu avec un autre scientifique, une photo d’un mélange de fluides de forage non identifié et des cahiers de notes rédigés en mandarin, que j’ai radiés du dossier. En ce qui concerne le brevet 190, M. Wu n’a pas fourni de documentation.

[105] Compte tenu de ma conclusion sur la partie à qui incombe le fardeau de la preuve dans une requête en procès sommaire, du fait que Mud devait présenter ses meilleurs arguments pour prouver ses allégations, et de la preuve extrêmement limitée que Mud a produite pour démontrer que M. Wu est l’inventeur de l’invention divulguée dans les brevets en litige, j’estime que Mud n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que M. Wu est l’inventeur et que Mud Engineering Inc. est donc la propriétaire des brevets en litige.

[106] Pour ce motif, la requête de Mud doit être rejetée et, puisque celle‑ci n’a pas établi que Mud Engineering Inc. est la propriétaire des brevets en litige, l’action sous‑jacente doit également être rejetée.

(3) Secure a‑t‑elle droit à la déclaration de propriété ou de copropriété des brevets en litige qu’elle demande pour le compte de Secure Energy (Drilling Services) Inc.?

(a) Position et preuve de Secure

[107] En guise de contexte, dans sa défense et demande reconventionnelle, Secure Energy (Drilling Services) Inc. demande à l’encontre de Mud, entre autres, un jugement déclarant qu’elle est la propriétaire légitime de l’objet des brevets en litige. Elle fait trois (3) propositions afin d’établir qu’elle est propriétaire des brevets en litige : (1) M. Wu a travaillé sur l’objet des brevets en litige pendant qu’il était à l’emploi de Marquis; (2) le brevet 585 chevauche le brevet en litige et M. Brockhoff est un co‑inventeur; et (3) le brevet 339 chevauche les brevets en litige et M. Wu a utilisé cette information concernant Marquis/Secure afin de revendiquer la paternité de l’invention divulguée dans les brevets en litige.

[108] Dans la présente requête en procès sommaire, les arguments de Secure sont formulés différemment, et ce sont ces arguments que je dois examiner.

[109] Dans la requête, Secure affirme que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déclarer, en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, que Secure Energy (Drilling Services) Inc. est propriétaire, ou à tout le moins copropriétaire, des brevets en litige. À titre subsidiaire, Secure soutient que, compte tenu de la réparation retenue dans la décision Comstock, la Cour peut offrir à Secure de faire un choix entre se faire déclarer propriétaire des brevets en litige et demander que ceux‑ci soient déclarés invalides. Comme je l’ai déjà mentionné, la validité des brevets n’est pas en litige en l’espèce et je n’examinerai donc pas cette question non plus qu’aucune mesure de réparation à cet égard.

[110] Quant aux allégations sur la propriété ou la copropriété des brevets en litige formulées par Secure, il n’y en a que très peu dans la présente requête. Dans son exposé introductif, Secure a principalement expliqué pourquoi Mud ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer le droit de propriété de Mud Engineering Inc. et, comme je l’ai mentionné plus tôt, je suis d’accord avec elle.

[111] S’agissant de sa propre revendication du droit de propriété sur les brevets en litige, Secure a brièvement fait allusion au fait que (1) certains des travaux relevant de la portée des revendications des brevets en litige ont été réalisés pendant la période où M. Wu était à l’emploi de Marquis, ce qui signifie que M. Wu a travaillé sur l’objet des brevets en litige; (2) il était relativement opportun pour M. Wu de déposer sa demande provisoire le 4 juillet 2007, compte tenu de son insistance pour obtenir des documents avant de consentir à signer une confirmation de cession de droits de propriété intellectuelle en lien avec la demande de continuation du brevet 585; (3) M. Wu n’a pas communiqué avec Secure après avoir reçu les 500 pages d’information technique, et il a déposé sa propre demande de brevet avant de communiquer avec Secure; (4) il y a un chevauchement entre les brevets 300, 190, 339 et 585, et les travaux réalisés par M. Wu lorsqu’il était à l’emploi de Marquis; (5) en 2012, Secure a acquis le brevet 339 de New West, ainsi que les droits de propriété intellectuelle et les renseignements confidentiels y afférents; et (6) M. Wu connaissait le brevet 339.

[112] Secure a soulevé les mêmes allégations dans ses premières conclusions finales écrites. Elle a ajouté que (1) l’exercice de réflexion qui sous‑tend les brevets en litige n’est rien de plus qu’une tentative de revendiquer une nouvelle nomenclature pour une invention qui était déjà connue, et que la Cour devrait, pour cette raison, déclarer Secure propriétaire ou copropriétaire des brevets en litige; (2) alors qu’ils étaient à l’emploi de Marquis, MM. Wu et Brockhoff ont mis au point une invention qui a fait l’objet du brevet 585, dans lequel ils sont désignés comme co‑inventeurs, et qui revendique, entre autres, certains fluides de forage; selon l’opinion d’expert de M. Rivard, le brevet 585 vise également l’encapsulation, et selon M. Wu, si des travaux sur l’encapsulation ont été réalisés en lien avec le brevet 585, il s’agit assurément des travaux de M. Brockhoff qui ont été cédés à Marquis; 3) M. Wu n’a fait état d’aucuns travaux qu’il aurait réalisés et qui auraient résulté en la délivrance des brevets en litige; et (4) en 2012, Marquis a acquis tous les actifs de New West, y compris tous les éléments de propriété intellectuelle et renseignements confidentiels.

[113] Dans les observations supplémentaires qu’elle a déposées à la demande de la Cour, Secure a invoqué la présomption de l’employé inventeur, se fondant à cet égard sur la décision Comstock. Au paragraphe 59 de ses observations, Secure a écrit que Mud avait admis que, [traduction] « [...] à moins que M. Wu n’ait réalisé l’invention après avoir quitté la société Marquis, l’invention est la propriété de Secure Drilling ». Cette admission pourrait avoir des conséquences, mais je ne l’ai pas trouvée dans l’enregistrement de l’audience du 17 décembre. J’ai trouvé à 1:25:46 un passage où Mud mentionnait que [traduction« [s]i M. Wu a inventé l’invention, alors qu’il était à l’emploi de Marquis, s’il l’a fait dans les deux semaines qui ont précédé son départ, si elle [Secure] peut le démontrer, alors oui, il aurait eu l’obligation en vertu de son contrat de travail de céder cette invention. C’est ainsi que l’on conteste le titre », ce qui est évidemment très différent. Je n’examinerai donc pas l’argument soulevé par Secure à cet égard.

[114] Encore une fois, dans ses observations supplémentaires, Secure soutient que la preuve démontre clairement que M. Wu a été embauché comme chimiste chercheur pour réaliser des inventions, qu’une entente avec Marquis l’obligeait à céder ses inventions et qu’il avait expressément cédé ses droits dans le brevet 585 à Marquis. Secure affirme donc que, si M. Wu a travaillé sur l’objet des brevets en litige alors qu’il était à l’emploi de Marquis, Secure Energy (Drilling Services) Inc. est la propriétaire légitime de l’objet de ces brevets.

[115] Secure souligne que M. Wu a travaillé à améliorer le pouvoir lubrifiant de l’acide oléique et de l’huile de canola lorsqu’il travaillait pour Marquis, comme le décrivent les revendications 27 à 32 du brevet 190 (conclusions finales de Secure, au para 102; voir aussi le contre‑interrogatoire de Wu, jour 1, au para 89). Secure allègue notamment que 1) les cahiers de laboratoire de M. Wu montrent qu’il a effectué les essais sur le pouvoir lubrifiant de l’huile de porc et de l’huile de canola alors qu’il travaillait pour Marquis sur l’objet des revendications 27 à 32 du brevet 190; 2) M. Rivard a expliqué que l’huile de porc était un synonyme d’acide oléique; 3) la combinaison d’acide oléique et d’huile de canola est visée par les revendications du brevet 190; 4) l’acide oléique a été ajouté à la composition du brevet 190 pour améliorer le pouvoir lubrifiant des fluides de forage; 5) les expériences mentionnées dans le brevet 190 ont fait appel à l’acide oléique; et 6) M. Wu était bien au courant que la formulation avec l’acide oléique était la propriété exclusive de Marquis.

[116] Secure poursuit en soutenant, à titre subsidiaire, que si M. Wu est le seul inventeur et que l’invention a été réalisée après son départ de Marquis, alors M. Wu a détourné des renseignements confidentiels de Marquis afin de mettre au point l’invention divulguée dans les brevets en litige, et elle s’appuie à cet égard sur les paragraphes 112 à 116 de ses premières conclusions finales écrites. Dans ces paragraphes, Secure parle de renseignements techniques se rapportant à la continuation du brevet 585, et précise que M. Wu était au courant du brevet 339.

[117] Secure ajoute qu’en l’espèce, il importe de savoir qui est l’inventeur parce que la réponse à cette question a une incidence sur la chaîne des titres. Essentiellement, Secure affirme que si Mud ne s’acquitte pas de son fardeau, alors elle, Secure, peut se voir accorder la réparation qu’elle demande, y compris un jugement qui la déclare propriétaire ou, subsidiairement, copropriétaire des brevets en litige.

[118] Cependant, je dois chercher dans les observations de Secure les arguments que celle‑ci fait valoir à l’appui de la demande et des allégations concernant la propriété des brevets qu’elle a formulées en réponse à la requête en procès sommaire, ainsi que les éléments de preuve qui étayent chacune de ces allégations.

[119] Je rappelle que Secure a produit, à l’appui de la présente requête, l’affidavit de M. Anderson, qui a été appelé à témoigner au sujet de la façon dont les choses s’étaient déroulées chez Marquis et de la question du droit de propriété, des circonstances dans lesquelles Secure en était venue à acquérir le brevet 339, les éléments de propriété intellectuelle et les renseignements confidentiels de New West. M. Anderson n’était pas à l’emploi de Marquis au cours de la période de 2001 à 2006.

[120] En ce qui concerne les « renseignements confidentiels », M. Anderson a confirmé qu’en 2012, Marquis Alliance avait acheté les actifs de New West, y compris le brevet 339, ainsi que tous les éléments de propriété intellectuelle et les renseignements confidentiels y afférents.

[121] Encore une fois, je rappelle que Secure a également présenté le témoignage d’expert de M. Rivard qui, à ce sujet, s’est dit d’avis que les brevets 585 et 339 chevauchaient les brevets 300 et 190, ce qui, selon Secure, montre que l’invention sous‑tendant les brevets en litige a été mise au point chez Marquis.

(b) Position et preuve de Mud

[122] Comme Mud affirme que c’est à Secure seule qu’il incombe en l’espèce de prouver qu’elle est propriétaire des brevets en litige, elle présente des arguments plus détaillés en réponse aux allégations de Secure qu’à l’appui de ses propres allégations de propriété.

[123] En substance, Mud impose à Secure seule le fardeau de prouver le bien‑fondé de sa demande reconventionnelle et affirme que, puisque Secure n’a pas réussi à le faire, Mud a droit à la déclaration de propriété qu’elle demande.

[124] Dans son exposé introductif, Mud a affirmé que les travaux de M. Wu à la société Marquis portaient sur les fluides de forage à émulsion et qu’il avait inventé BASE, le produit phare de la société, protégé par le brevet 585. Mud a ajouté que, selon le témoignage de M. Wu, lorsqu’il était à l’emploi de Marquis, il n’avait jamais travaillé sur les fluides de forage à encapsulation, l’élément clé des brevets en litige.

[125] Dans son premier mémoire, déposé après la première audience relative à la requête, Mud a fait valoir 1) que contester la propriété d’un brevet est une tactique défensive employée par Secure; 2) que le brevet 585 sur l’objet duquel M. Wu a travaillé lorsqu’il était à la société Marquis concerne des fluides de forage à émulsion; 3) que le bitume émulsifiant et la dispersion inhibitrice du bitume (encapsulation) sont des solutions diamétralement différentes; 4) que Marquis et M. Wu n’ont pas travaillé sur des fluides à encapsulation avant septembre 2006, comme le confirment le courriel que M. Rawlyk a envoyé le 8 août 2006 à M. Wu, les détails des différents projets sur lesquels M. Wu a travaillé et la compilation des produits du travail de M. Wu joints à l’affidavit de M. Anderson; et 5) que Secure a cherché à acquérir les droits des brevets en litige.

[126] Mud soutient que la question est étroite, que le fait que les brevets en litige « chevauchent » les brevets de l’art antérieur est sans importance pour la question de savoir qui a inventé les brevets en litige, et qu’il ne faut pas confondre la question de la paternité de l’invention avec la question de l’évidence (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2000] ACF no 1770 aux para 24 à 27). Elle ajoute qu’il n’est pas nécessaire de recourir à une preuve d’expert ou de se livrer à un exercice complexe d’interprétation des revendications pour trancher la question de la propriété des brevets en litige, mais qu’il suffit de comprendre que ces brevets sont liés aux fluides de forage à encapsulation utilisés dans les sables bitumineux pour surmonter certains problèmes causés par le bitume lors du forage, citant à cet égard Drexan Energy Systems Inc. c Canada (Commissaire aux brevets), 2014 CF 887 aux para 3, 27; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 au para 38; Valence Technology Inc c Phostech Lithium Inc, 2011 CF 174 au para 208.

[127] Mud affirme que, pour avoir gain de cause dans sa demande visant à faire reconnaître son droit de propriété, Secure doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que (1) M. Wu a mis au point les inventions divulguées dans les brevets en litige alors qu’il était à l’emploi de Marquis; (2) M. Brockhoff a contribué à la mise au point de ces inventions; ou (3) M. Wu a détourné des renseignements confidentiels de Marquis pour mettre au point ces inventions.

[128] Mud affirme que Secure n’a prouvé aucun de ces trois (3) éléments. Mud met en garde la Cour contre le danger de confondre la paternité de l’invention et l’inventivité, et elle allègue que même si les affirmations de M. Rivard sont exactes et que certains éléments sont visés par une combinaison des brevets 585 et 339, Secure n’a aucun droit de facto sur cette combinaison (Apotex).

[129] Dans les observations supplémentaires qu’elle a présentées à la Cour, outre les questions soulevées par la Cour et examinées précédemment, Mud a mentionné qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’une invention a été réalisée ou qu’une invention existe pour prouver à qui elle appartient, et qu’il est nécessaire d’identifier l’inventeur des brevets en litige pour prouver à qui ils appartiennent.

[130] Mud ajoute qu’il n’y a aucune preuve que M. Wu, ou toute autre personne de la société Marquis, ait travaillé à la mise au point d’un système de fluides de forage à encapsulation avant que M. Wu quitte Marquis, le 18 septembre 2006. Elle soutient que [traduction« [...] le dossier est sans ambiguïté en ce qui concerne la nature du produit des travaux réalisés par M. Wu lorsqu’il était à l’emploi de Marquis. M. Wu a travaillé sur les additifs pour fluides de forage conventionnels, les fluides de forage à émulsion (c’est‑à‑dire en dispersion) (y compris le BASE/brevet 585 de Mud) et les fluides de forage à base de silicates et autres fluides de forage non utilisés pour les applications liées aux sables bitumineux » [Soulignement ajouté.]

[131] Mud ajoute que Secure n’a pas réussi à prouver que M. Wu avait mis au point les inventions lorsqu’il était à l’emploi de Marquis. Elle explique que les différences entre la nature des brevets en litige et les travaux réalisés par M. Wu chez Marquis sont évidentes, et elle souligne les conclusions de M. Rivard, selon qui : 1) inhiber (c.‑à‑d. empêcher) la dispersion du bitume dans des fluides de forage reviendrait à inhiber (c.‑à‑d. empêcher) l’émulsification; 2) les inventions visées par les brevets en litige comprennent toutes deux le recours à des polymères d’association hydrophobes, dans les fluides de forage, pour encapsuler et inhiber l’adhérence et/ou la dispersion du bitume; et 3) l’objectif du brevet 585, mis au point en premier lieu par M. Wu en 2002 pendant qu’il était à l’emploi de Marquis, est d’émulsifier le bitume (ou de disperser le bitume dans les fluides de forage). Mud affirme qu’aucun des travaux de M. Wu à la société Marquis ne portait sur l’utilisation de polymères d’association hydrophobes ou d’« agents d’encapsulation » destinés à inhiber la dispersion du bitume dans les fluides de forage, mais plutôt, que les travaux de M. Wu relatifs aux sables bitumineux à la société Marquis visaient à favoriser la dispersion du bitume (c.‑à‑d. l’émulsification).

[132] Mud affirme que Secure suggère que les inventions visées par les brevets en litige ont déjà été divulguées dans l’art antérieur, et que Secure semble invoquer au moins l’un des arguments suivants : (1) que M. Wu n’aurait rien pu inventer parce qu’il y a chevauchement entre les inventions et l’objet des brevets 585 et 339; ou (2) qu’en tant que titulaire actuelle des brevets 585 et 339, Secure est propriétaire de tout objet qui peut chevaucher ces brevets en combinaison.

[133] Selon Mud, pour retenir l’argument de Secure selon lequel M. Wu n’a rien inventé et donc que Mud Engineering Inc. ne peut pas être propriétaire des brevets en litige, la Cour devrait nécessairement se lancer dans une analyse de la validité. Mud rappelle à la Cour que la question de la paternité de l’invention est distincte de la question de l’inventivité.

[134] Mud explique que M. Rivard décrit les brevets en litige comme étant une combinaison des brevets 585 et 339. Elle soutient que [traduction] « [m]ême si les affirmations de M. Rivard sont exactes, une invention brevetable peut découler d’une combinaison d’éléments de l’art antérieur. De plus, et contrairement à ce que suggère Secure, même si ces éléments sont visés par une combinaison des brevets 585 et 393, Secure n’a aucun droit de facto sur cette combinaison », et cite l’article 32 de la Loi sur les brevets.

[135] Mud ajoute que M. Rivard s’est livré à une interprétation des revendications qui était inutilement complexe, littérale et sélective bien que [traduction] « les questions relatives à la validité des brevets, y compris la suffisance de la divulgation, l’utilité/la prédiction valable, la question de savoir si les revendications ont une portée plus large que l’invention réalisée ou divulguée, l’antériorité et l’évidence ne sont pas soumises à la Cour ».

(c) Analyse et décision

[136] Premièrement, rien ne prouve que M. Wu se soit approprié des renseignements confidentiels ou exclusifs. Secure a fourni très peu de détails et de renseignements sur cette allégation, mais elle semble découler du fait que (1) M. Wu a demandé et obtenu quelque 500 pages de documents relatifs à la continuation du brevet 585 juste avant de déposer sa demande de brevet provisoire 969; et (2) M. Wu était au courant du brevet 339 de New West lorsqu’il travaillait chez Marquis, et en 2012, Marquis a acquis le brevet 339 de New West ainsi que les éléments de propriété intellectuelle et les renseignements confidentiels y afférents.

[137] Secure n’a pas confirmé quels documents, le cas échéant, étaient confidentiels dans le dossier de continuation du brevet 585 remis à M. Wu en juin 2007. Aussi, Secure n’a pas expliqué comment M. Wu aurait pu obtenir des renseignements confidentiels sur le brevet 339 de New West ou des renseignements protégés par des droits de propriété intellectuelle pendant ou parce qu’il travaillait pour Marquis, entre 2001 à 2006, étant donné que ces renseignements sont devenus la propriété de Marquis en 2012, selon le témoignage de M. Anderson. M. Wu a admis qu’il était au courant des travaux de New West et du brevet 339, mais pas plus. De même, la preuve ne permet pas de savoir quel document ou renseignement confidentiel aurait été détourné.

[138] Deuxièmement, l’allégation selon laquelle M. Brockhoff est copropriétaire découle du témoignage de M. Rivard, selon qui il y a chevauchement entre le brevet 585 et les brevets en litige, ainsi que du témoignage de M. Wu qui a affirmé ne pas avoir travaillé sur les fluides de forage à encapsulation lorsqu’il était à l’emploi de Marquis. La Cour est invitée à conclure que M. Brockhoff, en tant que co‑inventeur du brevet 585, aurait donc inévitablement travaillé sur l’aspect « chevauchement » au point de pouvoir être l’inventeur ou le co‑propriétaire des brevets en litige.

[139] Compte tenu de la preuve, ou de l’absence de preuve, je ne peux pas arriver à cette conclusion selon la prépondérance des probabilités.

[140] Je suis d’accord avec Mud que la preuve présentée par Secure n’est pas suffisante pour que celle‑ci puisse s’acquitter de son fardeau et que Secure n’a pas démontré que M. Brockhoff avait contribué aux brevets en litige comme elle le prétend. Secure n’a fourni aucune preuve tendant à démontrer que M. Brockhoff avait en particulier travaillé avec des fluides de forage à encapsulation, qu’il avait tenté d’inhiber la dispersion du bitume dans les fluides de forage, ou qu’il avait contribué d’une quelconque façon aux formulations ou aux combinaisons spécifiques de fluides de forage décrites dans les brevets en litige.

[141] Notamment, Secure n’a présenté aucune preuve provenant de M. Brockhoff, même si elle était tenue de présenter ses meilleurs arguments et que M. Brockhoff travaille toujours pour Secure, et a plutôt choisi de présenter le témoignage de M. Anderson qui ne travaillait pas pour Marquis au cours de la période de 2001 à 2006. Je tire une conclusion défavorable du fait que Secure n’a pas produit sa meilleure preuve comme l’exige le paragraphe 216(4) des Règles. Dans ses observations, Secure a elle‑même souligné que la Cour pouvait tirer des conclusions défavorables, par exemple [TRADUCTION] « […] lorsqu’une des parties ne produit aucune preuve touchant des faits dont elle a particulièrement connaissance, la Cour pourra en tirer une inférence défavorable », citant la décision Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2003 CF 1428 au para 13.

[142] La dernière allégation avancée par Secure en vue de se faire reconnaître la propriété des brevets en litige est que M. Wu a travaillé sur les éléments essentiels des brevets en litige alors qu’il était à l’emploi de Marquis, entre 2001 et 2006, ce qui, toujours selon Secure, aurait déclenché l’application de la clause de non‑sollicitation et de confidentialité contenue dans l’entente que M. Wu a signée en 2003.

[143] Cette clause confirme que « tout droit de propriété intellectuelle découlant des travaux réalisés par l’employé dans l’exercice de ses fonctions appartient à la société » [Soulignement ajouté.] Il n’est pas contesté que M. Wu avait l’obligation contractuelle de céder son invention, à supposer, comme le confirme le contrat, qu’elle ait été mise au point dans l’exercice de ses fonctions.

[144] Dans sa conclusion, M. Rivard confirme que M. Wu « a travaillé sur ou avec » l’objet des brevets en litige, ou « qu’il le connaissait », pendant qu’il travaillait pour Marquis. Je souligne que Secure n’a pas expliqué en quoi M. Wu, à supposer qu’il soit prouvé qu’il travaillait sur l’objet des brevets en litige alors qu’il était à l’emploi de Marquis, satisfait aux exigences de la clause de non‑sollicitation et de confidentialité, de sorte que la propriété des brevets en litige lui soit cédée. Secure n’a pas expliqué ni prouvé en quoi le fait pour M. Wu de travailler sur l’objet des brevets en litige lorsqu’il était à l’emploi de Marquis, si ce fait est établi, équivaut à « mettre au point une invention dans l’exercice de ses fonctions ». Étant donné l’absence d’arguments expliquant en quoi cela s’appliquerait à l’obligation contractuelle de M. Wu, l’argument de Secure m’apparaît davantage comme une attaque voilée contre la validité des brevets en litige. Comme le dit Mud, et comme je l’ai dit plus tôt, la validité des brevets n’est pas en jeu dans la présente requête.

[145] En outre, je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Wu a travaillé sur l’objet des brevets en litige alors qu’il était à l’emploi de Marquis. Dans sa conclusion, M. Rivard confond « a travaillé sur ou avec » et « connaissait », alors que le courriel du 8 août 2006 envoyé par M. Rawlyk est le premier message dans lequel quelqu’un travaillant pour Marquis parle d’un système d’encapsulation, et ce courriel a été rédigé seulement après que M. Wu eut annoncé sa démission. Ce courriel confirme que Marquis n’avait à l’époque aucun système de fluides de forage à encapsulation.

[146] Une fois de plus, Secure n’a présenté le témoignage d’aucun témoin ayant une connaissance personnelle des faits sous‑tendant cette allégation. Secure n’a pas fait témoigner M. Brockhoff ou M. Rawlyk dont les témoignages auraient pu jeter un peu de lumière sur ce qui s’était passé chez Marquis pendant que M. Wu y travaillait.

[147] Je ne peux pas conclure que Secure a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que Secure Energy (Drilling Services) Inc. est propriétaire ou copropriétaire des brevets en litige.

IV. Conclusion

[148] Dans son avis de requête, Mud demande que les dépens de la requête lui soient adjugés, et payés sans délai, ainsi que toute autre réparation que la Cour peut estimer juste.

[149] De même, Secure sollicite une ordonnance lui accordant les dépens de la requête ainsi que toute autre réparation que la Cour peut estimer juste.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


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