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Date : 20220630


Dossier : T‑1184‑21

Référence : 2022 CF 979

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

ROVI GUIDES, INC.

demanderesse

et

BCE INC., BELL CANADA, BELL MEDIA INC., BELL EXPRESSVU LIMITED PARTNERSHIP, NORTHERNTEL, L.P., TELEFONAKTIEBOLAGET L M ERICSSON, ERICSSON CANADA INC., MK SYSTEMS USA INC. ET MK MEDIATECH CANADA INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Le présent appel est interjeté par les défenderesses BCE Inc., Bell Canada, Bell Media Inc., Bell Expresssvu Limited Partnership, Northerntel, L.P., Telefonaktiebolaget L M Ericsson, Ericsson Canada Inc., MK Systems USA Inc. et MK Mediatech Canada Inc. [« Bell Mediakind » ou « les défenderesses »], conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles des Cours fédérales], dans le cadre de la présente action en contrefaçon de brevet [l’action Bell Mediakind]. L’appel porte sur deux parties de l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance Aalto [le JGI], datée du 22 mars 2022 [l’ordonnance]. Premièrement, l’appel porte sur le rejet, par le JGI, de la requête des défenderesses en radiation de la déclaration de la demanderesse contre les défenderesses Telefonaktiebolaget L M Ericsson, Ericsson Canada Inc., MK Systems USA Inc. et MK Mediatech Canada Inc. [collectivement, Mediakind], pour défaut allégué de plaider des faits substantiels à l’appui de ses allégations de contrefaçon. Les défenderesses interjettent également appel de l’ordonnance du JGI refusant de radier les allégations de contrefaçon de la demanderesse par intention commune et mandat, car elles ne révélaient aucune cause d’action valable. Subsidiairement, les défenderesses avaient demandé d’autres précisions au JGI, demande qui a été rejetée, décision contre laquelle les défenderesses n’interjettent pas appel.

II. Les faits

[2] L’action sous‑jacente en l’espèce est l’une des deux actions en contrefaçon de brevet intentées par la demanderesse [« Rovi Guides Inc. » ou « Rovi »]. Les deux actions sont gérées ensemble. L’action sous‑jacente en l’espèce vise les défenderesses Bell Mediakind. L’autre action de Rovi vise Vidéotron Inc. (T‑841‑21) [l’action Vidéotron].

[3] Dans chaque action, il est allégué que quatre brevets ont été contrefaits, bien qu’il ne s’agisse pas des mêmes brevets. Les brevets dans les deux actions concernent des technologies de divertissement numérique qui comprennent des guides de programmation interactifs [GPI] et diverses caractéristiques des GPI. Les GPI permettent aux utilisateurs de trouver de la programmation, de naviguer d’un canal à l’autre ou d’une source à l’autre, de chercher du contenu, d’enregistrer du contenu, de consulter du contenu à distance, et plus encore.

[4] Les technologies de l’action Bell Mediakind sont décrites en détail dans la déclaration et se rapportent à la télévision par abonnement de Bell, par l’entremise de plateformes connues sous les noms Bell Crave TV, Bell Fibe TV et Bell Satellite TV. La déclaration compte 61 pages et est accompagnée de quatre annexes contenant 207 pages supplémentaires de précisions [traduction] « non limitatives » de la contrefaçon qui couvrent toutes les revendications invoquées. Les défenderesses n’ont pas de licence de Rovi pour la technologie de brevet alléguée de Rovi.

[5] Les défenderesses ont présenté une requête, en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, sollicitant la radiation de la demande de Rovi contre Mediakind, au motif qu’il n’y avait pas de faits substantiels ou que les faits étaient insuffisants pour appuyer ses allégations de contrefaçon. De plus, Bell Mediakind a cherché à radier de nombreux paragraphes et/ou mots de la demande pour divers motifs, mais essentiellement en raison d’un manque de faits substantiels.

[6] Subsidiairement, Bell Mediakind a demandé des précisions au titre de l’article 181 pour les paragraphes contestés.

[7] Les requêtes en radiation ou, subsidiairement, pour des précisions, présentées par Bell Mediakind dans la présente action Bell Mediakind, et par Vidéotron dans l’action Vidéotron, ont été entendues l’une après l’autre. Le JGI a rejeté les deux requêtes, bien qu’il ait accordé une réparation limitée en l’espèce et a radié l’expression [traduction] « au moins » de la déclaration. Vidéotron et Bell Mediakind ont toutes deux interjeté appel devant la Cour. La Cour rend son jugement dans l’appel de Vidéotron en même temps que son jugement dans le présent appel de Bell Mediakind.

A. L’ordonnance du JGI

[8] Le 22 mars 2022, le JGI a rejeté la requête des défenderesses visant à radier Mediakind à titre de défenderesse. Bien que le JGI ait radié certaines phrases et ordonné des précisions limitées pour quelques paragraphes, il a rejeté le reste de la requête en radiation et pour précision de Bell Mediakind.

[9] Les motifs du JGI dans la présente affaire suivaient ceux publiés dans l’action Vidéotron. Le JGI a fait remarquer que l’ordonnance rendue dans l’action Vidéotron examinait un certain nombre de questions communes à la requête de Bell Mediakind dans la présente action. Fait important et, par conséquent, le JGI a adopté en l’espèce ses motifs dans l’action Vidéotron, dans la mesure où ils examinent le critère relatif aux précisions et à la radiation des causes d’action, et n’a donc pas répété ces motifs dans ceux en l’espèce.

[10] En ce qui concerne la radiation de Mediakind en tant que défenderesse, les défenderesses soutiennent que la déclaration ne contient aucun fait substantiel concernant la conduite de Mediakind qui constituerait de la contrefaçon. Elles soutiennent que, parce que les défenderesses Mediakind ne fournissent pas de services de télévision au Canada, elles ne peuvent pas contrefaire directement les revendications invoquées, par incitation, mandat, intention commune ou autrement.

[11] Toutefois, et c’est important, au paragraphe 51 de la déclaration, Rovi plaide comme un fait substantiel que le 18 janvier 2018, la défenderesse Bell a annoncé qu’elle offrirait [traduction] « une expérience de télévision à écrans multiples améliorée, personnalisée et convergente », découlant de sa relation avec diverses entités de Mediakind. Cet acte de procédure doit être considéré comme vrai, et il n’y a aucune indication contraire.

[12] Le contenu de l’entente entre Bell et Mediakind n’a pas été divulgué par les défenderesses. Tout le monde s’entend pour dire que Rovi ne connaît pas les stipulations de cette entente. Rovi plaide la même chose, ce qui, encore une fois, doit être et est accepté comme vrai. Rovi concède qu’elle ne connaît pas les rôles précis que chacune des entités de Mediakind joue dans les diverses plateformes de télévision en cause, mais affirme que ces renseignements sont à la connaissance des défenderesses.

[13] Comme dans le cas de l’action Vidéotron, le JGI a fait remarquer que Rovi avait fourni des précisions non limitatives sur la contrefaçon dans quatre annexes jointes à sa déclaration. Pour les motifs exposés dans l’action Vidéotron, le JGI a également conclu que les annexes de précisions non limitatives ne devraient pas être radiées et que d’autres précisions ne devraient pas être ordonnées, parce que Rovi a plaidé une cause d’action valable et a fourni suffisamment de précisions.

[14] Cependant, le JGI a conclu que certaines restrictions devraient être imposées à la déclaration de Rovi dans l’action en l’espèce et a jugé que l’expression [traduction] « au moins » devait être radiée. Cette expression se trouve partout dans la déclaration et est utilisée en lien avec Mediakind en faisant référence à (1) [TRADUCTION] « Bell (et/ou Mediakind pour au moins Fibe TV) » ou (2) [traduction] « à l’égard d’au moins Fibe TV ». Le JGI a conclu que l’expression [traduction] « au moins Fibe TV » invitait à une recherche à l’aveuglette pour déterminer si d’autres plateformes de télévision de Bell au sujet desquelles Rovi n’avait plaidé aucun fait substantiel contrefaisaient également. Par conséquent, le JGI a radié l’expression [traduction] « au moins » partout où elle se trouvait, en rapport avec les deux expressions ci‑dessus. Autrement, la requête de Bell Mediakind a été rejetée.

[15] Le JGI a également souligné, comme il l’a fait dans l’ordonnance Vidéotron, qu’il s’agissait d’une action faisant l’objet d’une gestion de l’instance. Le processus de communication préalable serait surveillé de près par la Cour pour s’assurer qu’il ne se transforme pas en un exercice non ciblé et excessif. Cela a été souligné dans les motifs du JGI, qui a également statué qu’un plan détaillé de communication préalable serait élaboré et approuvé par la Cour avant le début des interrogatoires préalables. En outre, dans la mesure où il pourrait être nécessaire de contrôler la communication préalable et de limiter les refus, les interrogatoires préalables pourraient avoir lieu lorsque la Cour serait disponible pour rendre des décisions sur les domaines d’interrogation à mesure que les interrogatoires se dérouleraient.

[16] Par conséquent, le JGI a ordonné ce qui suit :

  1. La déclaration devra être modifiée conformément à son ordonnance.

  2. Les dépens suivront l’issue de la cause.

  3. Une conférence préparatoire sera convoquée pour discuter des prochaines étapes.

[17] Bell Mediakind interjette appel de l’ordonnance du JGI et demande ce qui suit :

  1. Une ordonnance annulant en partie l’ordre du 22 mars 2022;

  2. Une ordonnance, en vertu du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, radiant la déclaration de la demanderesse contre les défenderesses Mediakind pour avoir omis de plaider des faits substantiels révélant une cause d’action valable;

  3. Une ordonnance, en vertu du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, qui radie les allégations de contrefaçon par intention commune et mandat;

  4. Les dépens des défenderesses relativement à la présente requête;

  5. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

III. La question en litige

[18] La seule question à trancher dans le présent appel est de savoir si le JGI a commis une erreur en rejetant la requête de Bell Mediakind visant à radier la déclaration de Rovi contre Mediakind. Les défenderesses ne contestent pas le rejet, par le JGI, de leur demande subsidiaire de précisions.

IV. La norme de contrôle

[19] Dans le cadre d’un appel interjeté contre une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire en vertu de l’article 51, la Cour applique les normes de contrôle établies dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira] aux paragraphes 68, 69, 79. Dans cet arrêt, une formation de cinq juges de la Cour d’appel fédérale a conclu que notre Cour ne pouvait modifier une décision discrétionnaire d’un protonotaire que s’il y avait une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit. La norme de la décision correcte est la norme de contrôle pour les erreurs de droit isolables.

[20] Cette norme est établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] :

1 Il va sans dire qu’une cour d’appel ne devrait modifier les conclusions d’un juge de première instance qu’en cas d’erreur manifeste et déterminante. On reformule parfois cette proposition en disant qu’une cour d’appel ne peut réviser la décision du juge de première instance dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision.

[…]

8 Dans le cas des pures questions de droit, la règle fondamentale applicable en matière de contrôle des conclusions du juge de première instance est que les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance. La norme de contrôle applicable à une question de droit est donc celle de la décision correcte : Kerans, op. cit., p. 90.

[…]

10 Suivant la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, ces conclusions ne peuvent être infirmées que s’il est établi que le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et déterminante » Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808; Ingles c. Tutkaluk Construction Ltd., [2000] 1 R.C.S. 298, 2000 CSC 12, par. 42; Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201, par. 57. On cite souvent cette norme, mais rarement les principes justifiant ce degré élevé de retenue. Pour les besoins du présent pourvoi, nous estimons qu’il est utile d’examiner brièvement les diverses considérations de principe qui incitent les cours d’appel à faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions de fait.

[…]

36 […] Les questions mixtes de fait et de droit s’étalent le long d’un spectre. Lorsque, par exemple, la conclusion de négligence est entachée d’une erreur imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable, une telle erreur peut être qualifiée d’erreur de droit et elle est contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Les cours d’appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit », assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse. Selon la règle générale énoncée dans l’arrêt Jaegli Enterprises, précité, si la question litigieuse en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et déterminante.

[Non souligné dans l’original.]

[21] Fait important, dans l’arrêt Hospira, la Cour d’appel fédérale a statué que les décisions des juges responsables de la gestion de l’instance, y compris les protonotaires, n’étaient plus assujetties à des audiences de novo en appel devant la Cour fédérale :

[64] Cette situation « change radicalement la donne » pour ce qui concerne la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires. À mon avis, le rôle de surveillance des protonotaires que confère aux juges l’article 51 des Règles n’exige plus que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires donnent lieu à des instructions de novo. Ce point de vue, comme le juge Low l’a bien fait comprendre dans la décision Zeitoun, est maintenant dépassé par l’évolution et la rationalisation des normes de contrôle, ainsi que par la présomption d’aptitude, tant des juges que des protonotaires, à remplir les fonctions que le législateur leur a attribuées. Autrement dit, les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits.

[Non souligné dans l’original.]

[22] Dans l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, le juge Stratas explique ce que le demandeur doit établir pour prouver une erreur manifeste et dominante en appel :

[46] L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[Non souligné dans l’original.]

[23] Le juge Stratas a fourni des lignes directrices supplémentaires dans l’arrêt Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 :

[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St‑Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la Cour suprême dans l’arrêt St‑Germain, précité.

[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.

[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.

[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’ait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.

[65] Il peut également y avoir des situations où une erreur manifeste en soi n’est pas dominante, mais, lorsqu’on la prend en considération avec d’autres erreurs manifestes, la décision ne peut plus être maintenue. Pour ainsi dire, l’arbre est tombé non pas après un seul coup de hache déterminant, mais après plusieurs bons coups.

[Non souligné dans l’original.]

[24] Dans le cas d’un appel en vertu de l’article 51, on suppose qu’un juge responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les circonstances ainsi que les enjeux particuliers d’une instance, et il faut donc faire preuve de retenue à l’égard de sa décision, surtout en ce qui concerne les questions axées sur les faits : voir Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986 (le juge Little) [Hughes] au para 67; Bande de Sawridge c Canada, 2001 CAF 338 au para 11; Apotex Inc c Merck & Co, 2003 CAF 438 au para 12.

[25] Bell Mediakind soutient que les erreurs commises par le JGI sont des erreurs de droit et que, par conséquent, la norme de la décision correcte s’applique à toutes les questions en litige.

[26] Rovi soutient que la norme de contrôle est une erreur manifeste et dominante pour un appel d’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire, en l’absence d’une erreur de droit ou d’un principe juridique isolable, citant correctement, selon moi, l’arrêt Hospira, précité. Comme dans ses observations dans l’action Vidéotron, Rovi s’appuie également sur la décision Elbit Systems Electro‑optics Elop Ltd c Selex ES Ltd, 2016 CF 1129 [Elbit], où le juge Martineau déclare ce qui suit :

[17] La Cour d’appel fédérale a conclu que la norme Housen devrait s’appliquer à l’examen des décisions discrétionnaires des juges et des protonotaires. Selon cette norme, en ce qui concerne les conclusions factuelles des juges de première instance, la norme applicable est celle qui s’applique aux erreurs manifestes et dominantes et, en ce qui concerne les questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, lorsqu’il y a une question de droit isolable, la norme applicable est celle de la décision correcte : Hospira, au paragraphe 66, citant les paragraphes 19 à 37 de Housen; paragraphe 69; paragraphe 71, citant les paragraphes 25 à 29 de Imperial Manufacturing Group Inc.. [sic] Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, [2016] 1 RCF 246 79; paragraphe 74, citant le paragraphe 12 de Turmel c. Canada, 2016 CAF 9, 481 NR 139; et le paragraphe 79.

[18] Dans la présente instance, comme la protonotaire n’a commis aucune erreur dans sa description du critère applicable et des principes juridiques régissant la radiation d’un acte de procédure en vertu de l’article 221 des Règles, et comme la défenderesse conteste l’application de l’article 221 des Règles par la protonotaire aux faits particuliers au cas, la norme de contrôle applicable à une telle question mixte de fait et de droit doit être celle de l’erreur manifeste et dominante. La protonotaire n’a rendu aucune décision finale concernant le bien‑fondé des allégations de contrefaçon et d’incitation à la contrefaçon de la demanderesse dans sa déclaration. Je doute fort que les questions soulevées aujourd’hui par la défenderesse dans le présent appel portent sur une pure question de droit ou sur une question de droit isolable.

[…]

[37] Le rôle du juge des requêtes, lorsqu’il se prononce sur le bien‑fondé d’un appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire, se limite à vérifier si le protonotaire a commis une erreur susceptible de révision (Hospira, aux paragraphes 64, 69, 78 et 79). En l’espèce, il n’est pas évident et manifeste pour la protonotaire que les paragraphes contestés de la décision devraient être radiés en vertu de l’article 221 des Règles, parce qu’ils ne révèlent aucune cause d’action raisonnable ou qu’ils présentaient des lacunes. À défaut d’erreur sur une question de droit ou un principe juridique isolable, notre intervention n’est justifiée que dans les cas d’erreurs manifestes et dominantes par la protonotaire. Tel n’est pas le cas en l’espèce, et je n’ai aucune raison d’intervenir aujourd’hui dans l’exercice par la protonotaire de son pouvoir discrétionnaire de refuser de radier une procédure.

[27] Respectueusement, compte tenu de la jurisprudence qui précède, y compris la décision Elbit, et parce que les défenderesses contestent l’application discrétionnaire de l’article 221 par le protonotaire aux faits de la présente affaire, je conclus que la norme de contrôle applicable est la suivante pour les questions mixtes de fait et de droit : l’erreur manifeste et dominante.

V. Les dispositions applicables

[28] Le paragraphe 51(1) des Règle des Cours fédérales :

Appel

Appeal

51 (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

51 (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

[29] L’article 181 des Règles des Cours fédérales :

Précisions

Particulars

181 (1) L’acte de procédure contient des précisions sur chaque allégation, notamment :

181 (1) A pleading shall contain particulars of every allegation contained therein, including

a) des précisions sur les fausses déclarations, fraudes, abus de confiance, manquements délibérés ou influences indues reprochés;

(a) particulars of any alleged misrepresentation, fraud, breach of trust, wilful default or undue influence; and

b) des précisions sur toute allégation portant sur l’état mental d’une personne, tel un déséquilibre mental, une incapacité mentale ou une intention malicieuse ou frauduleuse.

(b) particulars of any alleged state of mind of a person, including any alleged mental disorder or disability, malice or fraudulent intention.

Précisions supplémentaires

Further and better particulars

(2) La Cour peut, sur requête, ordonner à une partie de signifier et de déposer des précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans l’un de ses actes de procédure.

(2) On motion, the Court may order a party to serve and file further and better particulars of any allegation in its pleading.

[30] Le paragraphe 221(1) des Règle des Cours fédérales :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

Preuve

Evidence

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

VI. Analyse

A. Le JGI a‑t‑il commis une erreur en rejetant la requête de Bell Mediakind visant à radier la déclaration de Rovi pour défaut de plaider des faits substantiels suffisants?

[31] À la page 4 de l’ordonnance, le JGI a adopté le critère relatif à la radiation des causes d’action, ainsi que celui relatif aux précisions dans son ordonnance dans l’action Vidéotron. Par conséquent, le JGI déclare que le critère [traduction] « ne sera pas répété ici ».

[32] Je passe donc aux motifs dans l’action Vidéotron. Dans cette affaire, le JGI cite de la jurisprudence applicable au critère relatif aux requêtes en radiation, y compris La Rose c Canada, 2020 CF 1008 [La Rose], où le juge Manson a conclu ceci, au paragraphe 16 : « Le critère relatif à une requête en radiation consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable ou que la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, à la page 980; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au paragraphe 17 [Imperial Tobacco]). Le seuil à franchir pour une radiation est élevé et l’affaire doit être instruite lorsque la demande a des chances raisonnables d’être accueillie. »

[33] Voici l’énoncé du JGI des principes juridiques applicables à la question de la radiation, tiré de l’ordonnance dans l’action Vidéotron :

[traduction]

Page 3

[…]

Rovi allègue cinq actes de contrefaçon de la part de Vidéotron, soit la contrefaçon directe par Vidéotron, la contrefaçon par intention commune, la contrefaçon par incitation, la contrefaçon par mandat et la contrefaçon directe par suite de l’attribution des actes de Comcast ou des abonnés. De ces causes d’action, Vidéotron conteste la contrefaçon par intention commune et la contrefaçon par attribution. Vidéotron fait valoir que ces causes d’action ne sont pas reconnues en droit canadien et qu’elles devraient être radiées.

Page 4

Toutefois, la proposition selon laquelle une nouvelle cause d’action ne devrait pas être radiée à cette étape de l’instance est bien étayée [voir, par exemple, Nevsun Resources Ltd c Araya, 2020 CSC 5, et La Rose c Canada, 2020 CF 1008]. Dans cette dernière affaire, l’honorable juge Michael Manson a établi les lignes directrices générales suivantes concernant une requête en radiation :

[16] Le critère relatif à une requête en radiation consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable ou que la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, à la page 980; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au paragraphe 17 [Imperial Tobacco]). Le seuil à franchir pour une radiation est élevé et l’affaire doit être instruite lorsque la demande a des chances raisonnables d’être accueillie. [17] Il faut tenir pour avérés les faits substantiels allégués dans la déclaration, à moins que les allégations ne soient fondées sur des suppositions et des conjectures (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, au paragraphe 27 [Operation Dismantle]). Il incombe aux demandeurs de plaider clairement et de manière suffisamment précise les faits à l’appui des déclarations et de la mesure sollicitée. Les faits substantiels sont le fondement en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 22; Mancuso v Canada (National Health and Welfare), 2015 CAF 227, aux paragraphes 16 et 17, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 36889 (23 juin 2016)). [18] De plus, la lecture des actes de procédure doit être aussi généreuse que possible et permettre l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable (Imperial Tobacco, au paragraphe 21; Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19, au paragraphe 19 [Société des loteries de l’Atlantique]). [19] Le critère relatif à une requête en radiation tient compte du contexte du droit et du processus judiciaire. Il « suppose […] que la demande sera traitée de la manière habituelle dans le système judiciaire — un système fondé sur le débat contradictoire dans lequel les juges sont tenus d’appliquer le droit (et son évolution) énoncé dans les lois et la jurisprudence » (Imperial Tobacco, au paragraphe 25). Ce sont les principes applicables à la requête de Vidéotron visant à radier les allégations d’attribution et d’intention commune de Rovi.

[34] Il n’y a pas de contestation, et j’accepte l’extrait de la décision La Rose qui énonce avec exactitude le critère applicable à une requête en radiation.

[35] Le JGI examine aussi correctement le critère applicable à une requête pour précisions aux pages 9 et 10 de son ordonnance. Il juge que, lorsqu’elle est saisie d’une telle requête, la Cour pose deux questions (Throttle Control Tech Inc c Precision Drilling Corporation, 2010 CF 1085 [le juge Zinn], au paragraphe 10) :

1) Les précisions demandées sont‑elles des faits importants ou des éléments de preuve? Dans le premier cas, il peut être ordonné de les fournir; dans le dernier, il ne devrait pas être ordonné de le faire.

2) Les précisions demandées sont‑elles nécessaires pour répondre à l’acte de procédure?

[36] Bell Mediakind soutient que le JGI a commis une erreur en refusant de radier la demande contre Mediakind, parce qu’il a utilisé, pour sa requête en radiation, le critère juridique applicable à une demande de précisions. Par conséquent, Bell Mediakind soutient que le JGI a commis une erreur de droit isolable (Housen, précité, au para 27; Film City Entertainment Ltd c Chinatown Electronics Centre Ltd, 2008 CF 778 [la juge Heneghan] au para 10).

[37] J’ai conclu que le critère applicable était l’erreur manifeste et dominante, et je le fais compte tenu de la jurisprudence, et parce que la question soulevée par Bell Mediakind porte sur une question mixte de fait et de droit concernant l’application des principes aux faits de la présente affaire en particulier. Cela est confirmé par l’ordonnance du JGI, dans laquelle il reconnaît, à la page 4, que les défenderesses ont sollicité deux formes de redressement, soit une radiation et, subsidiairement, des précisions.

[38] Bell Mediakind souligne ce qui suit comme des cas où elle soutient que le JGI a appliqué des considérations concernant une requête pour précisions à son observation selon laquelle Rovi n’avait pas plaidé des faits substantiels suffisants.

[39] Le premier cas signalé par Bell Mediakind se trouve à la page 7 de l’ordonnance du JGI :

[traduction]

Bell fait beaucoup de cas du fait que ni elle ni Mediakind ne savent ce que fait Mediakind pour faire un acte de contrefaçon et que les références aux « plateformes » sont vagues et imprécises. Rien ne prouve qu’elles ne le sachent pas. Bell et Mediakind offrent toutes sortes d’émissions de télévision. Il ne sied pas qu’elles se plaignent de ne pas pouvoir comprendre les brevets en litige ainsi que les allégations et les faits volumineux dans la demande et les exemples de contrefaçon dans les annexes.

À l’exception des parties de la demande décrites ci‑dessus, les autres parties de la requête sont rejetées. […]

[Soulignement ajouté par les défenderesses.]

[40] Avec respect, il s’agit d’un paragraphe sommaire qui traite des deux questions, la radiation et les précisions. Le JGI a répondu à l’allégation de Bell Mediakind selon laquelle elle ne savait pas comment il était allégué qu’elle était en violation des brevets de Rovi — essentiellement, elle ne [traduction] « sait pas ce que fait Mediakind comme acte de contrefaçon ». Le JGI note ensuite que, si c’est le cas, [traduction] « [r]ien ne prouve qu’elles ne le sachent pas ». Il s’agit d’une conclusion selon laquelle il est invoqué suffisamment de faits et de précisions dans la déclaration. Les motifs du JGI répondent à la fois à la requête en radiation et à celle, connexe, pour précisions. Je ne vois rien d’importun dans les motifs du JGI à cet égard. La réponse à la requête en radiation se trouve dans la conclusion du JGI selon laquelle Bell Mediakind a une connaissance et des précisions suffisantes quant à la cause d’action alléguée pour déposer sa défense. Par conséquent, la conclusion du JGI n’est pas un exemple du fait qu’il aurait appliqué des considérations pertinentes à une requête pour précisions à celle en radiation.

[41] Le deuxième exemple cité par Bell Mediakind se trouve aux pages 4 et 5 de l’ordonnance du JGI, où l’on peut lire ce qui suit :

[traduction]

De plus, les défenderesses sollicitent la radiation de nombreux paragraphes de la demande, et/ou des mots ici et là, pour divers motifs, mais, essentiellement, en raison d’un manque de faits substantiels. Subsidiairement, les défenderesses demandent des précisions sur les paragraphes contestés. Les défenderesses n’ont fourni aucune preuve concernant le fait qu’elles ne connaissaient pas ce qu’il leur fallait réfuter ou les précisions demandées.

[Soulignement ajouté par les défenderesses.]

[42] À cet égard, Rovi soutient à juste titre que la partie soulignée par Bell Mediakind est précédée de la phrase suivante : [traduction] « Subsidiairement, les défenderesses demandent des précisions sur les paragraphes contestés. » La phrase soulignée, à mon avis, met bien en évidence l’absence totale de preuve de Bell Mediakind à l’appui d’une ordonnance de fournir d’autres précisions. Il s’agit simplement d’une réponse à la requête des défenderesses pour précisions. Il n’y a aucun fondement à la proposition selon laquelle cela implique une mauvaise application du critère bien connu relatif à la radiation d’actes de procédure qui est énoncé en détail par le JGI (par incorporation de l’action Vidéotron que j’ai exposée plus tôt). Compte tenu du paragraphe dans son ensemble, il ne s’agit pas d’un exemple où le JGI applique des considérations pertinentes à une requête pour précisions à celle en radiation.

[43] Compte tenu de ce qui précède, et avec respect, il n’y a aucun fondement à l’observation de Bell Mediakind selon laquelle le JGI [traduction] « a utilisé, pour la requête en radiation des défenderesses, le critère juridique applicable à une demande de précisions ». En toute déférence, il s’agit simplement de cas où Bell Mediakind a tenté de sélectionner des parties de l’ordonnance dans un effort infructueux pour fabriquer une question de droit isolable. Je ne trouve rien d’importun, et certainement aucune erreur manifeste et dominante, dans le fait que le JGI mentionne et applique les critères juridiques convenus pour une requête en radiation et une requête pour précisions, comme il l’a fait en l’espèce.

[44] Bell Mediakind soutient également qu’un demandeur est tenu de plaider des faits substantiels à l’appui de la contrefaçon de brevet et doit énoncer « les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé » (Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227 au para 19). Je suis d’accord. Cela dit, le JGI a conclu que Rovi avait allégué suffisamment de faits substantiels et fourni suffisamment de précisions pour appuyer sa demande. C’était la conclusion du JGI, et je ne suis pas convaincu qu’il ait commis une erreur manifeste et dominante à l’égard de l’un ou l’autre.

[45] À cet égard, il faut se rappeler qu’une requête en radiation est un recours sérieux — souvent décrit comme une « mesure draconienne » — mesure qui ne devrait être prise que dans les « cas manifestes et évidents » (Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd, 2005 CF 1310 [le juge Blanchard] aux para 31 à 33). De plus, comme le juge Addy l’a expliqué il y a de nombreuses années, dans une affaire tirée des propres sources des défenderesses : « Si une partie perd le droit d’obtenir des détails relatifs à la plaidoirie d’une partie adverse, elle ne peut, bien entendu, demander que soit radiée la plaidoirie pour défaut de renseignements » (Caterpillar Tractor Co c Babcock Allatt Ltd, [1983] 1 CF 487 au para 7). C’est effectivement le cas en l’espèce — Bell Mediakind s’est vu refuser des précisions et n’a pas interjeté appel de cette décision, tout en affirmant de façon plutôt incohérente que la déclaration devrait être radiée pour manque de faits substantiels.

[46] Les conclusions du JGI selon lesquelles il est allégué un nombre suffisant de faits substantiels et que les défenderesses n’ont pas droit à des précisions supplémentaires concordent. Le protonotaire a droit à la déférence en l’espèce, aux termes de l’article 51, résumée au paragraphe 67 de la décision Hughes. Bien que les motifs du JGI soient nécessairement brefs, la Cour d’appel fédérale a statué que « des motifs détaillés ne sont pas requis dans une ordonnance d’un protonotaire » (Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230 au para 11). Il en est ainsi, parce que [traduction] « [l]es protonotaires doivent se prononcer sur un nombre extraordinaire de questions de nature procédurale. » (Novopharm Limitée c Nycomed Canada Inc, 2011 CF 109 [le juge Mandamin] au para 22 [Novopharm]). Je remarque que [TRADUCTION] « [s]’il fallait que chaque ordonnance discrétionnaire soit assortie d’une série complète de motifs en vue de dissuader la partie déboutée d’interjeter appel et d’inviter la Cour à exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire, la situation serait intolérable et, de ce fait, la justice suivrait péniblement son cours » (Novopharm, précité).

[47] En toute déférence, le lourd fardeau devant le JGI incombait à Bell Mediakind afin d’établir que la demande de Rovi « n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie » et que Bell Mediakind ne disposait pas de suffisamment de précisions pour passer à l’étape suivante et déposer une défense. Bell Mediakind ne s’est pas acquitté de ce fardeau à la lumière des faits en l’espèce. Bien que les défenderesses n’aient pas interjeté appel de la décision du JGI concernant les précisions, je ne peux conclure que le JGI a commis une erreur manifeste et dominante à l’égard de l’une ou l’autre de ces décisions.

[48] Il me semble également que les allégations de Bell Mediakind sont une tentative de débattre à nouveau des allégations qu’elles ont faites devant le JGI, et de le faire de novo, ce qui est contraire à l’arrêt Hospira (précité, au para 21) selon lequel les appels en vertu de l’article 51 ne sont plus tranchés de novo.

B. Rovi a‑t‑elle plaidé suffisamment de faits substantiels contre Mediakind?

[49] Bell Mediakind soutient également que [traduction] « même si l’on suppose que Rovi a plaidé suffisamment de faits substantiels pour étayer ses allégations contre Bell, aucun de ces faits substantiels n’est plaidé contre Mediakind et Ericsson ». Bell Mediakind poursuit :

[traduction]

31. Rovi soutient que « l’utilisation, la fabrication, la distribution, la mise en vente, la vente, la fourniture et la mise à disposition de Mediaroom et de Mediafirst de Mediakind à Bell dans le cadre de son service Fibe TV » constituent une contrefaçon directe des brevets invoqués. Cependant, ces termes ne sont que la récitation de catégories de conduite qui pourraient constituer une contrefaçon de toute manière, si cette conduite était liée aux éléments essentiels des revendications invoquées. Rovi ne plaide nulle part dans l’acte de procédure : (1) ce que les plateformes « Mediaroom » et « Mediafirst » sont censées faire; (2) quelles caractéristiques de Mediaroom et Mediafirst sont censées contrefaire les brevets invoqués; ou (3) comment l’incorporation de ces « plateformes » dans Fibe TV est prétendue enfreindre les brevets invoqués. Par conséquent, rien ne lie Mediaroom ou Mediafirst d’abord aux éléments essentiels de l’une ou l’autre des revendications invoquées, et encore moins aux 111 d’entre elles.

32. L’acte de procédure contient plutôt l’énoncé générique suivant : « l’utilisation, la fabrication, la distribution, la mise en vente, la vente, la fourniture et la mise à disposition de Mediaroom et de Mediafirst de Mediakind à Bell dans le cadre de son service Fibe TV constituent la réalisation, la construction, l’utilisation et/ou la vente de Mediakind aux termes de la Loi sur les brevets ». D’autres « précisions » fournies par Rovi au paragraphe 73 sont identiques aux allégations de contrefaçon directe contre les services de télévision de Bell, malgré le fait que les plateformes « Mediaroom » et « Mediafirst » sont des technologies différentes et ne sont pas censées être des services de télévision. L’acte de procédure contient d’autres allégations génériques contre Mediakind et Ericsson, y compris la fourniture des plateformes à d’autres, la mise à l’essai du contrôle de la qualité, la démonstration des plateformes dans divers contextes, la possession du logiciel et l’exécution du logiciel installé sur les plateformes. Ces allégations sont identiques à celles avancées contre Vidéotron pour contrefaçon directe à l’égard d’Illico TV et d’Helix TV, ce qui démontre encore davantage la nature générique de ces allégations et le défaut de Rovi de fournir des faits substantiels propres aux activités de Mediakind ou d’Ericsson.

[50] Particulièrement, la déclaration en l’espèce compte 61 pages et est accompagnée de quatre annexes contenant 207 pages qui présentent les précisions [traduction] « non limitatives » de la contrefaçon pour chacune des revendications invoquées des brevets. À la lumière de son analyse, le JGI a conclu que Rovi avait invoqué des motifs d’action valable et fourni suffisamment de précisions.

[51] L’argument de la défenderesse est examiné par le JGI :

[traduction]

Premièrement, en ce qui concerne Mediakind, l’essence de l’argument des défenderesses est que la demande ne comporte aucun fait substantiel concernant la conduite de Mediakind qui équivaut à une contrefaçon, étant donné que Mediakind ne fournit pas de services de télévision au Canada et qu’elle ne peut donc pas contrefaire directement les revendications invoquées, par incitation, mandat, intention commune ou autrement.

En particulier, les entités Mediakind sont décrites aux paragraphes 46 à 53 de la demande. Plus précisément, le paragraphe 51 allègue comme un fait substantiel qu’une annonce a été faite selon laquelle Bell offrirait une « expérience de télévision personnalisée améliorée et convergente à écrans multiples » découlant d’une relation avec diverses entités de Mediakind. Rovi concède qu’elle ne connaît pas les rôles précis que chacune des entités de Mediakind joue dans les différentes plateformes de télévision en cause, mais que ces renseignements sont à la connaissance des défenderesses.

Comme dans le cas de l’action Vidéotron, Rovi a fourni des précisions non limitatives sur la contrefaçon dans quatre annexes jointes à la demande. Pour les motifs exposés dans l’action Vidéotron, les annexes de précisions non limitatives ne seront pas radiées, et il ne sera pas ordonné de fournir d’autres précisions. Il ne s’agit pas d’un cas où une partie présente un acte de procédure non limitatif dans l’espoir de trouver une cause d’action dans le cadre du processus de communication préalable. Rovi a plaidé une cause d’action et a fourni des précisions. Toutefois, comme il est indiqué ci‑dessous, certaines restrictions devraient être imposées à l’acte de procédure. Les précisions de la contrefaçon qui sont mentionnées dans les annexes sont les seules précisions auxquelles les défenderesses doivent répondre. Il serait toutefois avantageux pour Rovi de préciser quelles autres fonctionnalités constituent de la contrefaçon sans ajouter des centaines de pages de précisions supplémentaires. Ces précisions peuvent être obtenues lors du processus de communication préalable. Ce processus ne sera pas utilisé comme une recherche à l’aveuglette pour tenter de déterminer s’il y a eu contrefaçon d’autres aspects des brevets, à part ce qui a été plaidé.

[52] Le JGI a conclu que les entités de Mediakind étaient décrites aux paragraphes 46 à 53 de la demande et, plus précisément, que le paragraphe 51 plaidait comme un fait substantiel qu’une annonce avait été faite selon laquelle Bell offrirait [traduction] « une expérience de télévision personnalisée améliorée et convergente à écrans multiples » découlant d’une relation avec diverses entités de Mediakind. Cet acte de procédure de Rovi doit être accepté comme vrai au titre du paragraphe 221(2) des Règles. En toute déférence, ces ententes sont plaidées, et doivent être acceptées comme telles, pour établir le lien entre Mediakind et les autres défenderesses dans la présente poursuite pour contrefaçon de brevet.

[53] Les détails de l’entente ou des ententes entre les défenderesses ne sont pas connus de Rovi ou de la Cour. Cependant, Rovi allègue que la contrefaçon consiste en [traduction] « l’utilisation, la fabrication, la distribution, l’offre de vente, la vente, la fourniture et la mise à disposition de Mediaroom et de Mediafirst de Mediakind à Bell dans le cadre de son service Fibe TV ». Encore une fois, dans le cadre de leur requête en radiation, les défenderesses doivent accepter la vérité de cet acte de procédure quant à l’utilisation, à la fabrication, etc.

[54] La question dont le JGI était saisi consistait à savoir si les actes de procédure fournissaient suffisamment de faits substantiels pour permettre aux défenderesses de déposer leur défense. Le JGI a conclu que les actes de procédure étaient suffisants et a rejeté la requête en radiation. Il a également appliqué le bon critère à la requête subsidiaire pour précisions et l’a rejetée également, concluant en fait que les défenderesses pouvaient maintenant se défendre adéquatement.

[55] Encore une fois, on me demande de tirer une conclusion différente de celle du JGI sur les actes de procédure et les détails de la présente action en contrefaçon de brevet. Les conclusions du JGI sont largement axées sur les faits et, comme il a été mentionné précédemment, les juges de la Cour n’examinent plus de novo de telles décisions du JGI. Elles sont plutôt soumises la norme de l’erreur manifeste et dominante. Il est tout aussi important de souligner que les conclusions du JGI méritent la déférence. Je ferai preuve d’une telle déférence dans ce cas‑ci.

[56] Je dois ajouter qu’en l’espèce, et de façon générale en ce qui concerne la section VI.A. ci‑dessus, les avocats de Rovi ont fait valoir que les faits substantiels qui seraient manquants quant aux aspects [traduction] « comment » et [traduction] « quoi » de la contrefaçon sont en fait plaidés au moyen de multiples paragraphes de la déclaration : concernant le [traduction] « quoi », aux paragraphes 9 à 12, 50 à 53, 57 et 69; concernant la contrefaçon directe, aux paragraphes 72 à 74; concernant la contrefaçon par incitation, aux paragraphes 80 et 82; concernant le [traduction] « comment », au paragraphe 92. Je suis d’avis qu’ils énoncent des faits substantiels concernant les contrefaçons alléguées.

[57] À la suite de cet examen, compte tenu de mes conclusions ci‑dessus et de la déférence due au protonotaire dans une affaire comme celle‑ci, je réitère que je ne suis pas convaincu que le JGI ait commis une erreur manifeste et dominante, ou toute autre erreur, en rejetant la contestation des actes de procédure par les défenderesses. Par conséquent, l’appel à cet égard sera également rejeté.

C. La radiation des allégations de contrefaçon par intention commune et mandat

[58] Les défenderesses font également valoir que les allégations contenues dans la déclaration de la demanderesse concernant l’intention commune et le mandat devraient être radiées.

[59] En ce qui concerne l’intention commune, les défenderesses demandent à la Cour de radier la demande pour les motifs avancés par Vidéotron dans l’appel connexe de Vidéotron [traduction] « qui sont incorporés aux présentes par renvoi » : voir le mémoire de Bell Mediakind, au para 37. Je tiens à rappeler que, dans le dossier Vidéotron T‑841‑21, je n’ai trouvé aucun fondement à sa demande de radiation des allégations d’intention commune. Je vais répéter ces motifs ici :

[46] Pour commencer, voici les véritables motifs pour lesquels le JGI n’a pas radié les actes de procédure fondés sur l’intention commune au motif qu’ils ne révélaient aucune cause d’action valable :

[traduction]

Page 5

Il y a contrefaçon par intention commune lorsqu’une partie est déclarée être coauteure d’un délit lorsqu’une autre partie commet le délit dans le cadre d’un plan commun. L’un des éléments essentiels de l’intention commune est que les parties doivent s’entendre sur une action commune et que l’acte de contrefaçon doit être commis dans le cadre de cette entente. Il doit y avoir une intention commune d’exécuter l’action qui constitue la contrefaçon alléguée.

L’arrêt‑clé en matière de délit par intention commune émane de la Cour suprême du Royaume‑Uni. Dans l’arrêt Sea Shepherd UK v Fish & Fish Ltd, [2015] UKSC 10, la Cour suprême du Royaume‑Uni a examiné les principes qui sous‑tendaient le délit par intention commune dont les auteurs sont conjointement responsables. La Cour a souligné ceci :

55. Il me semble que, pour que le défendeur soit responsable envers le demandeur dans de telles circonstances, trois conditions doivent être remplies. Premièrement, le demandeur doit avoir aidé l’auteur principal du délit à commettre un acte; deuxièmement, l’aide doit résulter d’une intention commune du défendeur et de l’auteur principal de l’acte commis; troisièmement, l’acte doit constituer un délit à l’égard du demandeur. […]

Au Canada, la Cour a examiné l’intention commune de la contrefaçon de brevets dans deux affaires : Packers Plus c Essential Energy, 2017 CF 1111 [Packers Plus], et Genentech c Celltrion, 2019 CF 293 [Genentech].

Dans Packers Plus, la défenderesse avait fourni le système qui, lorsqu’il était utilisé dans la fracturation à découvert, s’inscrivait dans les revendications pertinentes du brevet en litige. Le système de la défenderesse avait été utilisé par l’entreprise qui possédait et exploitait les puits pour l’opération de fracturation. La défenderesse avait également participé à la planification et à la conception de la préinstallation, à l’assemblage, à l’installation ainsi qu’à l’exploitation de l’équipement, et avait fourni les services d’un superviseur sur place. L’honorable juge James O’Reilly avait conclu que la défenderesse n’était pas responsable en tant que participante à la réalisation d’une intention commune. Il avait déclaré ceci :

Page 6

48. Par ailleurs, Packers n’a fourni aucun fondement juridique étayant l’argument de la responsabilité d’Essential eu égard à l’incitation d’autres parties à commettre des actes de contrefaçon. Packers renvoie à une jurisprudence anglaise bien connue, l’arrêt Fabio Perini SPA c LPC Group PLC & Ors, [2009] EWHC 1929. Dans cet arrêt, le juge Floyd a conclu qu’une société ayant installé une machine dans les locaux de la défenderesse et en ayant autorisé l’utilisation selon le procédé breveté était solidairement responsable de contrefaçon avec la défenderesse (au paragraphe 179). Cette conclusion a été citée dans l’opinion incidente de la juge Johanne Gauthier dans l’arrêt Easton Sports Canada Inc. c Bauer Hockey Corp., 2011 CAF 83, au paragraphe 75. Toutefois, aucun précédent dans la jurisprudence canadienne n’appuie la proposition selon laquelle une personne peut être tenue responsable de contrefaçon selon le concept de l’intention commune. Cela dit, il est établi en common law que les parties qui agissent de concert pour commettre un acte délictueux peuvent chacune être tenues responsables si toutes les parties impliquées se sont entendues pour agir de manière délictueuse (Sea Shepherd UK c Fish & Fish Ltd, [2015] UKSC 10, au paragraphe 40).

49. Toutefois, aucun élément de preuve ne vient corroborer l’existence d’une quelconque entente entre Essential et les sociétés exploitantes, de forage ou de fracturation avec lesquelles elle collaborait. Par conséquent, Essential ne peut être tenue responsable de contrefaçon au titre d’une intention commune. [Non souligné dans l’original.]

Dans la décision Genentech, la protonotaire Aylen (tel était alors son titre) a conclu que l’allégation d’intention commune relativement à la contrefaçon de brevet était suffisante. Elle a fait remarquer ceci :

40. Notre Cour a déjà conclu que, bien que le concept de la contrefaçon découlant d’un but commun n’ait pas été appliqué dans le contexte d’une action en contrefaçon de brevet, son existence en droit canadien a été reconnue. […]

41. Dans la décision Hoffmann‑La Roche et al c Sandoz Canada Inc (ordonnance datée du 15 novembre 2018), j’ai conclu que l’utilisation de l’expression [traduction] « action concertée » tomberait sous le coup du concept de la contrefaçon découlant d’un but commun, puisqu’elles ne sont pas différentes sur le plan conceptuel. Comme il s’agissait d’une nouvelle demande, j’ai conclu qu’elle ne devrait pas être radiée dans le cadre d’une requête portant sur un acte de procédure.

42. En l’espèce, les demanderesses cherchent à faire valoir que CTHC agissait de façon concertée avec les défenderesses additionnelles dans le but commun de commercialiser HERZUMA, les défenderesses additionnelles et CTHC prenant diverses mesures pour la poursuite d’un but commun, comme on l’explique en détail dans l’acte de procédure et comme on l’a évoqué précédemment.

Page 7

43. CTHC affirme que les faits substantiels allégués dans les actes de procédure modifiés proposés ne sont pas suffisants, car les actes de procédure proposés ne précisent pas adéquatement les mesures que CTHC et les défenderesses additionnelles prendront ou ont prises pour réaliser leur but commun. Je rejette cette affirmation. Je suis convaincue qu’en délimitant les rôles de CTHC et des défenderesses additionnelles dans la mise en marché de HERZUMA, les demanderesses ont fait valoir un niveau minimal de faits substantiels, lesquels sont suffisants pour appuyer la cause d’action contre CTHC et me permettre de conclure que l’allégation proposée n’est pas vouée à l’échec. Pour arriver à cette conclusion, je garde à l’esprit que cette allégation repose en grande partie sur des actes qui ne se sont pas encore produits, ce qui n’est pas étonnant dans une action intentée en vertu du Règlement. Fixer un seuil trop élevé quant aux faits substantiels suffisants serait à bien des égards injuste dans les circonstances.

44. Je suis également convaincue que l’allégation d’action concertée devrait être maintenue contre CTHC, malgré le fait que les défenderesses additionnelles n’ont pas été constituées comme parties aux actions, puisque rien dans la jurisprudence sur laquelle se fondent les parties ne laisse entendre que tous les éventuels auteurs conjoints du délit doivent être mis en cause pour justifier un droit d’action contre l’un d’entre eux. [Non souligné dans l’original.]

À la lumière de ces arrêts, il est possible d’invoquer l’intention commune dans une action en contrefaçon de brevet. Cette cause d’action ne sera pas radiée.

[47] En toute déférence, je ne vois aucune erreur manifeste, et encore moins une erreur manifeste et dominante, dans l’énoncé du critère juridique du JGI visant à déterminer si une allégation d’intention commune devrait être radiée, ou dans la prise en compte et l’application des critères par le JGI aux faits de la présente affaire.

[48] Citant le paragraphe 16 de la décision du juge Manson dans l’affaire La Rose, le JGI a conclu, à juste titre à mon avis, que le critère applicable à une requête en radiation au motif qu’aucune cause d’action valable n’est révélée « consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable ou que la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, à la page 980; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au paragraphe 17 [Imperial Tobacco]). Le seuil à franchir pour une radiation est élevé et l’affaire doit être instruite lorsque la demande a des chances raisonnables d’être accueillie. » Les parties se sont entendues sur ce principe de droit.

[49] Il n’est pas contesté qu’il incombait à Vidéotron d’établir que la déclaration de Rovi n’avait « aucune possibilité raisonnable d’être accueillie », selon l’arrêt R c Imperial Tobacco Canada Ltd., 2011 CSC 42 au para 17 [Imperial Tobacco]. À cet égard, la Cour suprême confirme qu’il y a un lourd fardeau pour la partie requérante, déclarant que « [l]’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable », selon Imperial Tobacco, au para 21.

[50] Vidéotron a convenu — comme il se doit — que la contrefaçon par intention commune était reconnue par la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Fish & Fish Ltd v Sea Shepherd UK, [2015] UKSC 10 [Sea Shepherd]. Toutefois, Vidéotron prétend que le concept d’intention commune au Royaume‑Uni ne s’applique que lorsqu’un ensemble restreint d’exigences définies est satisfait. En effet, Vidéotron « accepte que, si des faits substantiels sont fournis pour chaque exigence, cette cause d’action puisse être maintenue au Canada à l’étape des actes de procédure » [souligné dans l’original] : voir le paragraphe 47 des observations écrites de Vidéotron devant la Cour.

[51] Toutefois, et citant le paragraphe 58 de l’arrêt Sea Shepherd, Vidéotron soutient qu’un « auteur principal du délit » est une exigence du délit par intention commune. Dans la présente affaire, Vidéotron affirme que Rovi n’a pas identifié d’auteur principal d’une contrefaçon directe pour les besoins de ses allégations d’« intention commune ». Vidéotron a donc soutenu que le JGI avait commis une erreur en permettant que la cause d’action par intention commune soit examinée.

[52] En réponse, Rovi soutient que l’utilisation par Vidéotron du terme « auteur principal du délit » n’est pas corroborée en droit. Je suis d’accord. À cet égard, Rovi fait référence au paragraphe 55 de l’arrêt Sea Shepherd, où le lord Neuberger n’a pas utilisé le terme « auteur principal du délit » pour signifier que les deux parties à l’intention commune devaient être indépendantes. Le terme « auteur principal du délit » est plutôt utilisé pour désigner la partie à l’intention commune qui se joint au défendeur dans le délit (mais qui n’est pas nommée comme défenderesse).

[53] Particulièrement, comme il a été énoncé au paragraphe 38 de l’arrêt Sea Shepherd, le lord Sumption cite, en l’approuvant, le lord Neuberger dans l’arrêt Vestergaard Frandsen A/S v Bestnet Europe Ltd, [2013] 1 WLR 1556 au para 34 : « pour qu’un défendeur soit partie à une intention commune, il doit partager avec l’autre partie ou les parties à l’intention commune chacune des caractéristiques du but qui en font un délit. Si, et seulement si, toutes ces caractéristiques sont partagées, le fait que certaines parties à l’intention commune n’ont commis que certains des actes pertinents, tandis que d’autres n’ont commis que d’autres actes pertinents, ne les empêchera pas toutes d’être conjointement responsables ». [Non souligné dans l’original.]

[54] De plus, dans la jurisprudence canadienne, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, dans la décision ICBC v Stanley Cup Rioters, 2016 BCSC 1108 [ICBC], s’appuie sur les principes énoncés dans l’arrêt Sea Shepherd pour examiner la responsabilité conjointe des auteurs de délit. La décision ICBC a été citée par la Cour suprême du Canada, qui l’a approuvée, dans l’arrêt Montréal (Ville) c Lonardi, 2018 CSC 29 au para 66, qui a décrit la décision comme étant celle où les auteurs de délit : « avaient uni leurs forces pour renverser une voiture ou autrement agi de concert avec d’autres personnes qui vandalisaient un véhicule en même temps qu’eux ».

[55] Je note que ni la Cour suprême du Canada ni la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’exigent qu’un « auteur principal du délit » commette tous les actes nécessaires pour endommager un véhicule.

[56] Par conséquent, je rejette l’argument de Vidéotron selon lequel il existe une exigence en droit canadien et en droit britannique qu’il y ait un « auteur principal du délit », ainsi que son argument concomitant selon lequel un acte de procédure fondé sur l’intention commune exige l’identification d’un « auteur principal du délit ».

[57] En toute déférence, je souscris également à l’observation de Rovi selon laquelle la question de savoir si le fait d’invoquer une intention commune révèle une cause d’action valable n’est pas non plus entièrement en cause dans le présent appel. Je dis cela, parce que Vidéotron a admis au paragraphe 47 de son mémoire que « si des faits substantiels sont fournis pour chaque exigence, cette cause d’action peut être maintenue au Canada à l’étape des actes de procédure ».

[58] Pour conclure sur le plan de l’intention commune, je ne suis pas en mesure de conclure à une erreur manifeste, à une erreur manifeste et dominante ou à toute autre erreur dans la déclaration du JGI ou dans son examen et son application des principes établis dans la décision La Rose concernant la radiation de cet acte de procédure comme ne révélant aucune cause d’action valable. Le JGI a conclu que l’allégation d’intention commune ne devrait pas être radiée, et je suis d’accord avec cette conclusion. Par conséquent, l’appel alléguant que la contrefaçon par intention commune ne révèle aucune cause d’action sera rejeté.

[60] En ce qui concerne le mandat, en fait, les défenderesses n’ont présenté aucune observation détaillée dans leur mémoire ou leur plaidoirie, sauf dans le cadre de leurs observations sur la contrefaçon directe et la contrefaçon par incitation. Il ne semble pas qu’elles contestent le fait que la contrefaçon par mandat est ou peut être une cause d’action valable; il semble plutôt qu’elles allèguent l’absence de faits substantiels concernant le mandat dans la déclaration et les annexes de précisions.

[61] Le JGI a rejeté toutes les prétentions des défenderesses concernant la suffisance des allégations qui, bien sûr, incluaient celles liées au mandat ainsi qu’à la contrefaçon directe et à la contrefaçon par incitation.

[62] L’allégation relative au mandat est encore une fois liée à l’annonce par Bell de son ou ses accords avec Mediakind, dont le contenu n’est pas connu de Rovi. Le JGI n’a pas été persuadé de radier la demande ou d’ordonner la production d’autres précisions concernant le mandat, pas plus qu’il l’a été de le faire concernant la contrefaçon directe ou la contrefaçon par incitation. Je ne suis pas convaincu que les allégations liées au mandat dans la déclaration devraient être traitées différemment de celles liées à la contrefaçon directe et à la contrefaçon par incitation. Par conséquent, cet aspect du présent appel sera également rejeté.

VII. Conclusion

[63] Bell Mediakind n’a pas réussi à établir que le JGI a commis une erreur manifeste et dominante, ou toute autre erreur, en rejetant la requête en radiation pour manque de faits substantiels, ou en rejetant sa demande de retrait de Mediakind de la déclaration, ou relativement aux allégations d’intention commune et de mandat. Les défenderesses n’ont pas interjeté appel de la décision du JGI concernant les précisions ou autrement. Par conséquent, le présent appel sera rejeté.

VIII. Les dépens

[64] Les parties ont convenu à l’audience que la partie déboutée devrait verser à la partie qui aurait gain de cause une somme forfaitaire de 3 500 $, tout compris, ce qui, à mon avis, est raisonnable. Par conséquent, j’adjugerai ces dépens, payables par les défenderesses à la demanderesse.


JUGEMENT dans le dossier T‑1184‑21

LA COUR STATUE :

  • 1L’appel des défenderesses est rejeté.

  • 2Les défenderesses devront verser à la demanderesse, à titre de dépens, une somme forfaitaire de 3 500 $, tout compris.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1184‑21

 

INTITULÉS :

ROVI GUIDES, INC. c BCE INC., BELL CANADA, BELL MEDIA INC., BELL EXPRESSVU LIMITED PARTNERSHIP, NORTHERNTEL, L.P., TELEFONAKTIEBOLAGET L M ERICSSON, ERICSSON CANADA INC., MK SYSTEMS USA INC. ET MK MEDIATECH CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 30 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Sana Halwani

Andrew Parley

Kaitlin Soye

Jim Lepore

 

POUR LA DEMANDERESSE

Steven G. Mason

Steven Tanner

Richard J. Lizius

 

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght LLP

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

McCarthy Tétrault LLP

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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