Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220628


Dossier : IMM‐1746‐20

Référence : 2022 CF 964

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 28°juin°2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MOHAMMED FAISAL SIDDIQUE

ASHI MUHAMMAD FAISAL SIDDIQUE

SIMRAH MOHAMMED FAISAL SIDDIQUE

SAMARAH MOHAMMED FAISAL SIDDIQUE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR ou le tribunal) confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle ils n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

[2] Le demandeur principal, Mohammed Faisal Siddique, et la demanderesse mineure aînée, Simrah Mohammed Faisal Siddique, sont des citoyens de l’Inde. La codemanderesse, Ashi Muhammad Faisal Siddique, est l’épouse du demandeur principal et est une citoyenne du Pakistan. La demanderesse mineure cadette, Samarah Mohammed Faisal Siddique, est une citoyenne des États‐Unis. Le demandeur principal allègue qu’il ne peut pas retourner en Inde en raison de menaces émanant d’éléments du crime organisé dans ce pays. La codemanderesse soutient qu’elle ne peut pas retourner au Pakistan parce qu’elle est exposée à des menaces de la part des mêmes éléments criminels dans ce pays. De plus, elle prétend qu’elle est exposée à un risque en tant que femme sans conjoint et sans proches parents pour la soutenir si elle est forcée de retourner au Pakistan.

[3] Les demandeurs soutiennent que l’audience tenue devant la SAR était inéquitable parce que le tribunal a omis d’accorder le poids qui lui revenait à la représentation inadéquate offerte par leur ancienne conseil, qui les a représentés à l’audience devant la SPR. De plus, ils affirment que la procédure était injuste parce que la SAR a omis de renvoyer aux plus récents éléments de preuve documentaire sur la situation en Inde et au Pakistan. En outre, ils prétendent que la décision est déraisonnable parce que la SAR a omis de prendre en compte les menaces auxquelles ils seraient exposés en tant que famille composée de citoyens de l’Inde et du Pakistan, les risques auxquels le demandeur principal serait exposé en tant que musulman en Inde, et la perspective de la séparation de la famille.

[4] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la SAR a manqué à l’équité procédurale ou que la décision est déraisonnable.

I. Contexte

[5] Le demandeur principal allègue que sa famille et lui ne peuvent pas retourner en Inde et que la codemanderesse ne peut pas retourner au Pakistan parce qu’il a été menacé par une puissante organisation mafieuse indo‐pakistanaise appelée la « D‐Company » ainsi que par un homme du nom d’Abu Salem. Il affirme qu’Abu Salem a travaillé pour la D‐Company, mais qu’il a ensuite mis sur pied sa propre organisation mafieuse. Le père du demandeur principal aurait été faussement impliqué dans les activités menées par Abu Salem et il est détenu en Inde depuis 2005. Le demandeur principal affirme que l’implication de son père avec Abu Salem et la D‐Company est à l’origine des menaces qu’il a reçues; il prétend que les menaces ont commencé en 2004 et qu’elles se sont poursuivies jusqu’à ce qu’il quitte l’Inde, en 2016.

[6] Le demandeur principal a épousé la codemanderesse à Dubaï en 2005. Le couple a résidé à Dubaï jusqu’en 2014, année où le demandeur principal a perdu son emploi, et pour cette raison, il ne pouvait plus résider dans ce pays. Le demandeur principal est retourné en Inde pour chercher un travail et il y a résidé pendant un an avec la demanderesse mineure aînée. La codemanderesse est restée à Dubaï pendant cette période. En novembre 2016, le demandeur principal, la codemanderesse et la demanderesse mineure aînée se sont rendus aux États‐Unis munis d’un visa de visiteur. La demanderesse mineure cadette est née pendant que la famille séjournait aux États‐Unis. En octobre 2017, les demandeurs, y compris la demanderesse mineure cadette, sont entrés au Canada, où ils ont demandé l’asile.

[7] La SPR a rejeté les demandes d’asile présentées par le demandeur principal et la demanderesse mineure aînée parce qu’elle a conclu qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Bangalore ou à Delhi. La demande d’asile présentée par la codemanderesse à l’égard du Pakistan a été rejetée parce que celle‐ci n’a pas démontré un risque prospectif et qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu dans la Convention.

[8] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision devant la SAR au motif que leur conseil ne les avait pas représentés de façon adéquate devant la SPR et que les conclusions relatives à une PRI en Inde et à l’absence de risque au Pakistan étaient erronées.

[9] La SAR a accepté que l’ancienne conseil des demandeurs ne s’était pas bien préparée en vue de l’audience et qu’elle avait omis de produire des éléments de preuve pertinents. Pour cette raison, elle a accepté la demande faite par les demandeurs quant à la présentation de nouveaux éléments de preuve au sujet de l’organisation mafieuse et de nouvelles informations sur la situation dans le pays se rapportant à la montée du nationalisme hindou en Inde et aux relations entre l’Inde et le Pakistan, ainsi que des renseignements concernant le visa de la codemanderesse. La SAR n’a pas tenu d’audience parce que les demandeurs n’en avaient pas demandé.

[10] En ce qui concerne le fond de l’appel interjeté par les demandeurs, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR. La SAR a conclu, tout en soulignant les dénégations vigoureuses de la conseil quant aux allégations la visant, que la qualité de la représentation fournie par l’ancienne conseil n’était pas déterminante et que le principal grief que nourrissaient les demandeurs envers leur ancienne conseil était son omission de présenter des éléments de preuve pertinents – ce qui fut réparé par l’admission et la prise en compte par la SAR des éléments de preuve en question. La SAR a établi que la SPR avait apprécié correctement le risque auquel chaque demandeur était exposé dans son pays de citoyenneté respectif, et qu’elle avait dûment pris en compte l’intérêt de préserver l’unité familiale dans son appréciation. Selon les éléments de preuve dont elle disposait, la SAR a conclu que la séparation de la famille ne serait pas une conséquence inéluctable du rejet des demandes d’asile en raison de l’existence d’un mécanisme juridique permettant à la codemanderesse et à la demanderesse mineure cadette d’obtenir la permission de résider en Inde.

[11] Même si la codemanderesse a prétendu que la SPR avait commis une erreur en omettant de prendre en compte le risque de persécution fondée sur le genre auquel elle était exposée au Pakistan, la SAR a conclu que la SPR n’était pas tenue d’examiner cet aspect parce que la codemanderesse avait affirmé que le seul risque qu’elle craignait émanait de la D‐Company et d’Abu Salem. Elle a fait savoir qu’elle croyait être en mesure de résider et de trouver un travail au Pakistan si elle devait retourner dans ce pays.

[12] La SAR a aussi confirmé les conclusions relatives à la PRI, en faisait remarquer que les nouveaux éléments qu’elle avait admis en preuve démontraient que la D‐Company ne pouvait pas mener ses activités en Inde en toute impunité et que les éléments de preuve ne montraient pas que l’organisation avait les moyens ou la volonté de trouver le demandeur principal dans les villes proposées comme PRI.

[13] Même si la SAR a reconnu l’existence de tensions croissantes entre hindous et musulmans en Inde, elle n’était pas convaincue que les demandeurs étaient exposés à un risque de violence au sein de la communauté. La SAR a souligné qu’aucun des demandeurs n’avait mentionné qu’eux‐mêmes ou des membres de leur famille avaient été victimes d’agressions, et qu’ils n’avaient pas de caractéristiques qui les rendraient particulièrement vulnérables. De plus, la SAR a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse mineure cadette à l’égard des États‐Unis parce que ce que craignaient vraiment les demandeurs, c’était que la demanderesse mineure cadette s’y retrouve seule s’ils devaient retourner en Inde et au Pakistan, et que, selon la SAR, il ne s’agissait pas d’une conséquence inéluctable du rejet de la demande d’asile.

[14] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[15] La présente affaire soulève deux questions :

  1. La procédure était‐elle équitable, y compris la façon dont la SAR a traité la question des cartables nationaux de documentation, la décision de ne pas tenir d’audience, et la réponse aux allégations de représentation inadéquate?

  2. La décision de la SAR était‐elle raisonnable?

[16] De plus, le défendeur a soulevé une question préliminaire en s’opposant à certaines parties de l’affidavit présenté par les demandeurs dans la présente instance parce qu’elles soulevaient des questions litigieuses. Il n’est pas nécessaire que je m’étende sur cette question parce que les demandeurs n’ont pas tenté d’invoquer ces parties des éléments de preuve, et je ne leur ai accordé aucun poids dans mon examen de l’affaire.

[17] Les questions relatives à l’équité procédurale exigent une approche similaire à la norme de contrôle de la décision correcte, qui amène la cour de révision à se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54). Comme il est souligné dans l’arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ».

[18] La seconde question doit être appréciée selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Selon le cadre établi dans l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat canadien des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 2). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100, cité avec approbation dans l’arrêt Société canadienne des postes, au para 33).

III. Analyse

A. Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale

[19] Les arguments avancés par les demandeurs relativement à l’équité procédurale se rapportent à trois éléments : 1) l’invocation par la SAR de cartables nationaux de documentation désuets sur le Pakistan et l’Inde; 2) l’omission de tenir une audience; 3) la façon dont la SAR a traité leur allégation selon laquelle leur ancienne conseil les avait mal représentés. J'examinerai ces questions une par une.

(1) Les cartables nationaux de documentation

[20] Les demandeurs soutiennent que l’invocation par la SAR du cartable national de documentation sur le Pakistan daté du 30 avril 2018 était injuste à leur égard parce que le tribunal aurait dû se fonder sur les renseignements plus récents figurant dans la dernière version du cartable national de documentation (daté du 29 mars 2019) qui était disponible lorsqu’il a rendu sa décision. De même, ils affirment que l’omission de la SAR de se fonder sur le plus récent cartable national de documentation sur l’Inde était également injuste, étant donné que certains des nouveaux documents qui ont été ajoutés à ce cartable national de documentation se rapportaient directement à leurs demandes d’asile.

[21] Je ne suis pas convaincu par cet argument. La SAR est censée effectuer une analyse prospective du risque et, pour cette raison, elle doit généralement se fonder sur l’information la plus récente qui est disponible au sujet du pays visé. Elle n’est toutefois tenue d’aviser les parties que lorsqu’elle se fonde sur un nouveau cartable national de documentation qui n’est devenu disponible qu’après que l’appel a été mis en état et que l’information la plus récente déroge aux renseignements plus anciens (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 380 [Lin] au para 26, et les affaires citées en l’espèce). Selon la jurisprudence, la SAR a le droit de se fonder sur des versions plus anciennes du cartable national de documentation, sauf si le nouveau cartable national de documentation contient des renseignements « différents, nouveaux et importants » qui n’étaient pas disponibles lorsque les demandeurs ont fait valoir leur argument (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1031 au para 60).

[22] En l’espèce, la SAR a cité les cartables nationaux de documentation que les demandeurs avaient expressément invoqués, et elle ne peut pas être blâmée d’avoir répondu aux arguments particuliers des demandeurs. En ce qui concerne l’argument selon lequel les versions plus récentes du cartable national de documentation contenaient de nouvelles informations, je ne peux pas conclure que les renseignements étaient à ce point « différents, nouveaux et importants » que l’omission de les invoquer ou de donner aux demandeurs la possibilité de formuler des observations à leur sujet constituait un manquement à l’équité procédurale.

[23] Les nouveaux renseignements sur le Pakistan montraient que la situation des femmes se détériorait à certains égards, mais la SAR a reconnu que le contexte était très difficile pour les femmes au Pakistan, en se fondant sur le cartable national de documentation antérieur. Je reviendrai sur cet élément plus loin, mais je ne suis pas convaincu que cette information était à ce point différente ou nouvelle qu’elle nécessitait qu’un avis soit donné aux demandeurs. Il en va de même pour l’information sur la situation en Inde, et, en particulier, sur la façon dont ce pays traite les personnes originaires du Pakistan. La SAR a reconnu que la codemanderesse connaîtrait certaines difficultés en Inde parce qu’elle est une citoyenne du Pakistan, et la nouvelle information ne faisait que le confirmer. Là encore, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale découlant de l’omission de renvoyer expressément à cette information ou de donner aux demandeurs la possibilité de présenter des arguments à son sujet.

[24] De façon plus générale, la SAR est censée avoir pris en compte l’ensemble des éléments de preuve figurant au dossier, y compris les renseignements accessibles au public figurant dans les plus récents cartables nationaux de documentation sur les pays visés. Le fait que le tribunal ne cite expressément que les versions sur lesquelles les demandeurs se sont fondés ne prouve pas, en soi, que les versions plus récentes ont été laissées de côté, particulièrement étant donné que les nouveaux renseignements ne sont pas très différents de ceux qui figurent dans les versions citées par les demandeurs.

[25] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’omission par la SAR de citer expressément les documents figurant dans les cartables nationaux de documentation les plus récents sur le Pakistan ou l’Inde, ou de donner aux demandeurs la possibilité d’y renvoyer, équivalait à un manquement à l’équité procédurale.

(2) L’omission de tenir une audience

[26] Les demandeurs soutiennent que la SAR était tenue d’établir si une audience était requise, même s’ils n’en avaient pas demandé une, en citant quelques affaires, dont les décisions Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911, et Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1145. Ils prétendent que les circonstances exigeaient la tenue d’une audience, d’autant plus que la SAR a reconnu que leur ancienne conseil ne s’était pas bien préparée en vue de l’audience devant la SPR et que, par conséquent, il était injuste de s’en tenir au témoignage qu’ils avaient présenté.

[27] Je ne peux accepter cet argument pour plusieurs motifs. En premier lieu, les demandeurs n’ont pas demandé la tenue d’une audience. Même s’ils ont fondé leur appel devant la SAR en partie sur leurs allégations de représentation inadéquate, ils n’ont pas fait valoir l’argument soulevé en l’espèce, à savoir qu’il était injuste de s’en tenir au témoignage qu’ils ont présenté devant la SPR puisqu’ils avaient été mal préparés en vue de l’audience. La SAR ne peut pas être blâmée pour ne pas avoir pris en compte un argument qui n’a jamais été soulevé devant elle. De plus, la SAR était liée par les dispositions restreignant sa capacité à tenir une audience qui sont énoncées dans la loi pertinente, et les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils répondaient aux critères définis au paragraphe 110(6) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SPR n’a pas soulevé de véritable question quant à leur crédibilité, et la SAR a accepté le fondement factuel de la crainte de la D‐Company et d’Abu Salem alléguée par les demandeurs.

[28] L’omission de tenir une audience n’a pas privé les demandeurs d’une procédure équitable. La SAR a procédé à un nouvel examen de la preuve, y compris les nouveaux éléments de preuve qu’ils ont présentés, les demandeurs ont bénéficié d’une possibilité pleine et équitable de faire valoir leur appel, et le tribunal a examiné attentivement les arguments qu’ils ont avancés. Les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils répondaient aux exigences prévues par la loi pour la tenue d’une audience, et, par conséquent, l’omission de la SAR de tenir une audience ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale à leur égard.

(3) Les allégations de représentation inadéquate

[29] Les demandeurs affirment que la qualité de la représentation de leur ancienne conseil constitue une question déterminante parce que cela les a privés d’une possibilité d’examen équitable de leur demande d’asile. Ils soutiennent que l’absence de préparation adéquate en vue de l’audience a eu pour effet de les priver d’une possibilité de bien faire valoir leur dossier. La SAR a reconnu que leur ancienne conseil ne s’était pas bien préparée en vue de l’audience et, pour cette raison, elle a admis de nouveaux éléments de preuve. Les demandeurs affirment toutefois que la SAR a omis de retenir cette conclusion lorsqu’elle a examiné l’incidence de l’incompétence de la conseil eu égard à l’équité de l’audience devant la SPR.

[30] Cet argument ne me convainc pas. Les dispositions législatives prévoient un critère très rigoureux pour que les demandeurs d’asile démontrent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison d’une représentation inadéquate. Selon la jurisprudence, le demandeur d’asile doit établir qu’il y a eu, certes, représentation incompétente, mais aussi qu’il y a une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent n’eût été l’incompétence du conseil (Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 aux para 84‐89).

[31] En l’espèce, la SAR a admis de nouveaux éléments de preuve en raison de préoccupations quant à la qualité de la représentation offerte par l’ancienne conseil relativement à la préparation en vue de l’audience devant la SPR. La SAR a ensuite procédé à un nouvel examen de l’ensemble des éléments de preuve et a donné la possibilité aux demandeurs de formuler des observations sur ces éléments de preuve ainsi que sur le dossier original. Dans ce contexte, il n’est pas possible de conclure que la SAR devait infirmer la décision de la SPR uniquement pour des préoccupations quant à la qualité de la représentation par l’ancienne conseil. Il ne s’agit pas d’une des « circonstances extraordinaires » dans lesquelles est survenu un manquement à l’équité procédurale (voir les décisions Sabitu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 165 au para 90 et El Kaissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1234 au para 18).

B. La décision de la SAR était raisonnable

[32] Les demandeurs prétendent que la décision de la SAR est déraisonnable dans son ensemble, et ils se concentrent particulièrement sur l’omission de prendre en compte les risques auxquels la codemanderesse serait exposée si elle retournait au Pakistan. Ils affirment que la SPR et la SAR avaient l’obligation d’examiner ses risques en tant que femme sans conjoint et instruite au Pakistan ne jouissant pas de la protection d’un homme; cela constitue le groupe social auquel appartient la codemanderesse, et les risques auxquelles elles pourraient être exposées devaient être appréciés selon ces critères. Les demandeurs soutiennent que la SAR a omis de prendre en compte des éléments de preuve figurant dans le cartable national de documentation qui étayaient les risques auxquels sont confrontées les membres de ce groupe social et que, pour cette raison, la décision de la SAR est déraisonnable.

[33] Les demandeurs estiment que la mention par la SAR, au paragraphe 41 de la décision, du rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‐Uni , selon lequel [traduction] « [l]e fait d’être une femme n’établit pas à lui seul la nécessité d’une protection internationale », élude la question. Ils soutiennent que les éléments de preuve documentaire montrent que les femmes sont exposées à des risques considérables au Pakistan, mais que celles qui sont sans conjoint, qui sont instruites et qui ne bénéficient pas de la protection d’un homme sont exposées à des dangers encore plus grands. Ils affirment que l’omission de la SAR de renvoyer aux éléments de preuve qui appuient cet aspect de la demande d’asile de la codemanderesse est déraisonnable.

[34] Les demandeurs s’opposent à l’affirmation de la SAR selon laquelle « [p]lus la [femme]est instruite et riche et plus elle vit en zone urbaine, moins elle est susceptible d’être exposée à un risque. » (Décision de la SAR au paragraphe 42). Ils citent les renseignements figurant dans le plus récent cartable national de documentation sur le Pakistan, qui montrent que la distinction entre la campagne et la ville ne constitue plus une jauge fiable du risque auquel sont exposées les femmes, et que les femmes riches et instruites sont exposées à des risques plus grands parce qu’elles sont perçues comme étant plus susceptibles de contester les rôles genrés traditionnels. Les demandeurs font remarquer que le cartable national de documentation contient beaucoup d’information sur les risques auxquels sont exposées les femmes au Pakistan, qui peuvent se résumer par le classement du Pakistan au 143e rang sur 144 pays pour l’égalité des genres au chapitre de l’économie, de la vie politique, de l’éducation et des soins de santé. Ils soutiennent que l'omission de la SAR d’analyser ces éléments de preuve, et la conclusion selon laquelle la codemanderesse n'a pas démontré un lien avec un motif prévu dans la Convention, sont déraisonnables.

[35] En appliquant le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Vavilov, je ne peux pas conclure que la décision de la SAR est déraisonnable. Même si un autre décideur avait pu tirer une conclusion différente eu égard aux éléments de preuve, la décision de la SAR repose sur l’appréciation de la preuve se rapportant aux conditions propres au pays et à la situation particulière de la codemanderesse. La SAR explique son processus de raisonnement, et le mode d’analyse est clair et n’est pas brouillé par des lacunes sur le plan de la logique. C’est tout ce que l’examen du caractère raisonnable exige.

[36] La SAR a fait remarquer que la SPR avait omis d’examiner le risque posé par la violence fondée sur le genre parce que la codemanderesse n’en avait pas fait mention dans son formulaire Fondement de la demande d’asile ou pendant son témoignage. Devant la SPR, la codemanderesse a affirmé qu’elle craignait de retourner au Pakistan à cause des menaces posées par la D‐Company et par Abu Salem. Elle a soutenu qu’elle pourrait trouver du travail si elle devait retourner au Pakistan étant donné son expérience de travail acquise dans d’autres pays. Elle a exprimé une crainte quant au fait qu’elle n’avait pas de proche parent au Pakistan, tout en faisant valoir qu’elle était en contact avec des voisins de son père dans ce pays, de sorte qu’elle y connaissait des gens. La SAR a examiné tous ces éléments de preuve.

[37] De plus, la SAR a examiné les arguments avancés par les demandeurs au sujet du risque de persécution fondée sur le genre auquel était exposée la codemanderesse au Pakistan. Le tribunal a souligné qu’elle devait démontrer un risque personnalisé de préjudice, parce que le niveau de discrimination à l’égard des femmes au Pakistan n’équivalait pas à de la persécution. La SAR avait plus tôt retenu l’argument avancé par les demandeurs selon lequel les femmes ne jouissant pas de la protection d’un homme étaient expressément vulnérables à la violence fondée sur le genre, qui est désormais normalisée, au Pakistan. L’examen effectué par le tribunal, à la lumière de la situation particulière de la codemanderesse, a mené à la conclusion que, advenant le cas où elle devrait retourner seule au Pakistan, les nombreuses qualités qu’elle semble posséder pourraient l’aider à s’y établir en toute sécurité, et, ainsi, aucun risque sérieux de persécution du seul fait de son genre n’a été cerné (Décision de la SAR au paragraphe 42).

[38] Les demandeurs soutiennent que ces conclusions sont déraisonnables et citent à l’appui des éléments de preuve contraires figurant dans le cartable national de documentation. L’extrait cité par les demandeurs, selon lequel plus une femme est riche et instruite, plus les risques auxquelles elle est exposée sont grands, se trouve dans une section portant sur le risque de violence conjugale, et il n’est pas pertinent en l’espèce. Bien qu’il y ait des sources qui indiquent que la situation des femmes en milieu urbain empire, les éléments de preuve, dans l’ensemble, ont tendance à étayer l’opinion de la SAR selon laquelle les risques sont plus grands pour les femmes pauvres qui vivent en milieu rural.

[39] Il convient également de souligner que, dans son témoignage, la codemanderesse a exprimé sa croyance qu’elle avait le bagage et les ressources personnels voulus pour résider et travailler au Pakistan, s’il le fallait. Enfin, la SAR a fait remarquer ailleurs dans la décision que la codemanderesse avait la possibilité de demander la permission nécessaire de résider en Inde, et cela constitue une considération pertinente, parce qu’il se peut qu’elle n’ait jamais à affronter la perspective de retourner au Pakistan.

[40] Pour tous ces motifs, je ne peux pas conclure que la décision de la SAR à cet égard est déraisonnable. Là encore, le fait qu’un autre décideur pourrait tirer une conclusion différente ne constitue pas en soi un motif pour infirmer une décision. Les motifs donnés par la SAR montrent que le tribunal a pris en compte les éléments de preuve, qu’il a apprécié les éléments de preuve sur la situation dans le pays eu égard aux circonstances personnelles de la codemanderesse, et qu’il a ensuite expliqué son raisonnement. C’est ce qu’exige la norme de la décision raisonnable.

[41] En ce qui concerne l’argument avancé par les demandeurs selon lequel la SAR a commis une erreur en omettant de prendre en considération la persécution à laquelle ils étaient exposés en tant que famille, je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve étayent leur affirmation. Les demandeurs affirment qu’ils ont fait l’objet de menaces de la part de la D‐Company et d’Abu Salem, mais les éléments de preuve n’étayent pas une conclusion selon laquelle toute la famille a été exposée à un quelconque risque en raison de menaces analogues. La conclusion tirée par la SAR selon laquelle le demandeur principal et la demanderesse mineure aînée disposaient d’une PRI en Inde repose sur les éléments de preuve, et aucun motif ne permet de l’infirmer.

IV. Conclusion

[42] Pour les motifs mentionnés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐1746‐20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐1746‐20

INTITULÉ :

MOHAMMED FAISAL SIDDIQUE ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR vidÉoconfÉrence

DATE DE L’AUDIENCE :

le 4 octobrE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 28 juin 2022

COMPARUTIONS :

Jatin Shory

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Shiroky

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shory Law

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LEs DEMANDEURs

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.