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Date : 20020320

Dossier : IMM-2815-01

Référence neutre: 2002 CFPI 292

ENTRE :

                         CARLOS ALBERTO SERVELLON RODRIGUEZ ET AUTRES

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

BEAUDRY, J.

[1]           Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 (la Loi) à l'encontre de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 3 mai 2001 selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention).


[2]           Tous les demandeurs sont citoyens du Salvador. Le demandeur principal est M. Carlos Alberto Servellon Rodriguez (le demandeur) et les revendications de tous les membres de sa famille reposent sur les faits qu'il allègue. L'épouse et les enfants du demandeur principal revendiquent donc le statut de réfugié en fonction de leur appartenance au groupe de la famille. M. Rodriguez allègue une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques réelles et imputées.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]           La présente affaire soulève les questions suivantes:

1. Le tribunal a-t-il erré en concluant que le comportement du demandeur était incompatible avec une crainte subjective de persécution?

2. Le tribunal a-t-il omis de considérer certains éléments de preuve? A-t-il commis des erreurs d'interprétation à l'égard des faits?

3. Le tribunal a-t-il violé son obligation d'agir équitablement envers le demandeur?

FAITS


[4]           Diplômé de l'École militaire d'El Salo en 1976, le demandeur a été un militaire de carrière au Salvador jusqu'au 31 octobre 1995, date à laquelle il démissionne. Il dit craindre pour sa vie parce qu'il a dénoncé la corruption dont il a été témoin au sein de différents départements de l'armée salvadorienne. Plus particulièrement, le demandeur allègue craindre la « tendona » , un groupe d'anciens haut-gradés qui sont en quelques sortes des "escadrons de la mort".

[5]           À une occasion, le demandeur aurait eu connaissance que certains haut-gradés des forces armées auraient acheté des médicaments avec des fonds salvadoriens et auraient touché des commissions pour ce faire. Le revendicateur aurait manifesté son opposition à ces transactions et on l'aurait alors muté au détachement militaire du génie. À cette époque, vers 1990, on aurait aussi tenté de séquestrer ses enfants.

[6]           Alors qu'il était au détachement militaire du génie, le demandeur aurait été témoin de fraude. Présumément en raison de son opposition à la corruption, on aurait attenté à sa vie le 24 juillet 1991. Un deuxième attentat à sa vie serait survenu le 26 juillet 1991, alors qu'il assistait à un mariage. Le demandeur aurait aussi été poursuivi à maintes reprises alors qu'il était dans son automobile.

[7]           Le demandeur aurait encore une fois été témoin de fraude en 1993, alors qu'il était à la brigade d'infanterie. Il aurait subi des pressions afin de garder le silence. De surcroît, on l'aurait menacé de le démettre de ses fonctions et sa ligne téléphonique aurait été mise sous écoute. Le demandeur et sa famille auraient aussi été la cible de filatures à quelques reprises.

[8]           En juin et juillet 1995, le demandeur se serait rendu aux États-Unis, sans toutefois demander la protection de ce pays.


[9]           Tous ces événements auraient finalement amené le demandeur à démissionner de l'armée le 31 octobre 1995.

[10]      En septembre 1996, certaines dénonciations publiques de corruption faites par un colonel auraient généré des enquêtes. Le demandeur, craignant alors pour sa vie, aurait quitté le pays pour se rendre à Los Angeles où il aurait visité le consulat de son pays. Ne pouvant obtenir de l'aide de ce dernier, il serait retourné au Salvador.

[11]      De janvier 1997 à novembre 1997, le demandeur et sa famille auraient bénéficié d'une période d'accalmie. Cependant, les épisodes de harcèlement auraient repris en novembre 1997. En décembre de cette même année, le demandeur aurait finalement décidé de quitter le pays pour se rendre au Canada. Sa famille et lui arrivèrent au Canada le 8 février 1998 et revendiquèrent le statut de réfugié le même jour.

DÉCISION DU TRIBUNAL

[12]      En ce qui concerne la preuve testimoniale de monsieur Adolfo Arnoldo Majano Ramos, le tribunal mentionne que ce témoin n'a pas eu de contact direct avec le demandeur après 1980. Pour cette raison, le tribunal décide de ne pas se baser sur son témoignage en ce qui concerne les faits allégués par le demandeur après 1980.


[13]      Dans un premier temps, le tribunal conclut que le demandeur n'était pas exclu sous l'article 1Fa) de la Convention. Cette question n'est donc pas matière à révision.

[14]      Ensuite, le tribunal aborde la question à savoir si le demandeur et sa famille sont des réfugiés au sens de la Convention. Il conclut que le comportement du demandeur est incompatible avec la crainte subjective qu'il allègue, donc, ce dernier ne s'est pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombe quant à la justification de possibilité raisonnable de persécution advenant un retour au Salvador. Le tribunal ajoute que certaines déclarations à la fiche au point d'entrée remplie par le demandeur à son arrivée au Canada sont contradictoires avec son témoignage.

[15]      À l'appui de ses conclusions, le tribunal mentionne que compte tenu de tous les problèmes que le demandeur a connus depuis 1991, il est difficile à comprendre pourquoi ce dernier n'a pas demandé la protection aux États-Unis dès 1995. Le tribunal trouve également difficile à comprendre le fait que le demandeur fasse des allées et venues entre son pays et les États-Unis à au moins deux reprises en revenant volontairement au Salvador à chaque fois.

[16]      De plus, considérant que le demandeur allègue avoir été suivi et que son téléphone était sous écoute électronique, le tribunal ne comprend pas comment les allées et venues du demandeur ne lui posait pas de problèmes. Quant aux explications fournies par le demandeur, le tribunal trouve qu'elles sont inacceptables et qu'elles entachent la crédibilité de ce dernier.


[17]      Le tribunal ajoute que malgré les attentats commis dès 1991 et 1992, malgré la filature et malgré les tentatives d'agression des membres de sa famille, le demandeur et sa famille n'ont quitté le Salvador qu'en 1998. D'après le tribunal, ces comportements sont incompatibles avec la crainte subjective alléguée par les demandeurs.

[18]      Pour ces raisons, le tribunal ne croit pas le demandeur concernant les problèmes qu'il dit avoir vécus.

[19]      La méconnaissance et le manque d'intérêt du demandeur par rapport aux enquêtes entamées relativement à la corruption au sein des forces armées sont aussi perçues par le tribunal comme étant incompatibles avec les convictions alléguées par celui-ci.

[20]      Quant à la démission du père du demandeur, le tribunal dit croire que celle-ci est reliée à l'âge et non pas aux problèmes du demandeur. Le tribunal est aussi d'avis que le demandeur n'a pas eu droit à sa pension car il n'avait pas encore 45 ans, et non pas en raison de ses opinions politiques.

[21]      Une autre invraisemblance relevée par le tribunal est le fait que le demandeur ait transmis une copie de son Formulaire de Renseignements Personnels (FRP) à sa belle-soeur qui travaille dans une organisation non gouvernementale (ONG) au Salvador, alors que le demandeur a rapporté qu'à cause de ses dénonciations, sa vie était en danger.


[22]      Le tribunal explique qu'il a accordé peu de poids à certains documents soumis par le demandeur, tel une lettre de son frère et de sa belle-soeur, parce qu'il ne croit pas le récit des événements faits par le demandeur, et aussi parce que ces lettres sont rédigées après l'arrivée du demandeur au Canada. De plus, en ce qui concerne la plainte que le demandeur a portée à Codefam au Salvador en décembre 1997, le tribunal trouve surprenant que le demandeur n'ait pas déposé une telle plainte suite aux attentats faits à sa vie. Le tribunal fait remarquer que le demandeur n'a pas fourni d'explication raisonnable à cet effet et que ce fait le mène à douter des attentats contre la vie du demandeur survenus en 1991.

[23]      Pour ces raisons, le tribunal conclut que le demandeur et sa famille ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

ANALYSE

Norme de contrôle


[24]      La section du statut est un tribunal spécialisé qui a juridiction exclusive pour entendre et décider des questions de droit et de fait en ce qui concerne les demandes de réfugiés au sens de la Convention. Il est clairement établi qu'en ce qui concerne les conclusions de fait, la Cour ne devrait intervenir qu'en présence d'une erreur manifestement déraisonnable (Sivasamboo c. Canada (M.C.I.), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.)). D'ailleurs, en ce qui concerne la vraisemblance ou la crédibilité d'un témoignage, le juge Décary fait remarquer que la section du statut possède une juridiction complète à ce sujet (Aguebor c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.)). Aussi, dans Boye c. Canada (M.E.I.) (1994), 83 F.T.R. 1 à la p. 2 (1re inst.), le juge en chef adjoint Jérôme énonce ce qui suit:

[TRADUCTION] La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[...]

De plus, la section du statut de réfugié peut tirer une conclusion défavorable à l'égard de la crédibilité du demandeur en raison de l'invraisemblance de son récit, pourvu que l'on puisse raisonnablement dire que les déductions qu'elle fait existent. Le tribunal peut régulièrement tirer des conclusions défavorables à l'égard de la crédibilité d'un individu, à condition qu'il motive sa décision dans des termes clairs et sans équivoque.

[25]      Finalement, en autant que le tribunal n'a pas ignoré la preuve, ce n'est pas à cette Cour de substituer sa décision à celle de la section du statut (Oduro c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 560 (1re inst.)). De plus, la cour de révision ne doit pas intervenir en ce qui a trait à la crédibilité ou la vraisemblance si la décision de la section du statut est appuyée par la preuve.

[26]      En ce qui a trait aux questions de droit, la Cour suprême du Canada établit que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).

Crainte objective et subjective de persécution

[27]      L'expression « réfugié au sens de la Convention » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi, qui se lit en partie comme suit:



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:             a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2) [...]

             "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2) [...]


[28]      Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 à la p. 723, la Cour suprême détermine ce qu'un requérant doit faire pour établir une crainte de persécution:

[...] le critère comporte deux volets: (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen [55 N.R. 129], précité, à la p. 134:

    

"L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugie pour déterminer si elle est fondée."

[29]      Le critère de "la possibilité raisonnable" selon l'affaire Adjei c. MCI, [1989] 2 F.C. 683 aux paras. 6-8 (C.A.F.) est retenu pour savoir s'il y a risque de persécution.


Les parties ont convenu que l'on peut correctement décrire le critère applicable en parlant de [TRADUCTION] « possibilité raisonnable » : existe-t-il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine?

Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d'appel, dans Seifu c. Commission d'appel de l'immigration (A-277-82, en date du 12 janvier 1983, non publié):

... que pour appuyer la conclusion qu'un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il « avait été ou serait l'objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d'être persécuté pour l'une des raisons énoncées dans la Loi » . [C'est moi qui souligne].

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50% (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.

[30]      En l'espèce, le tribunal conclut que le demandeur ne s'est pas déchargé du fardeau qui lui incombe de prouver qu'il existe une possibilité raisonnable de persécution advenant son retour au Salvador.

[31]      Plus spécifiquement, le tribunal juge que le comportement du demandeur est incompatible avec la crainte subjective qu'il allègue.

[32]      Récemment, le juge Tremblay-Lamer conclut de la façon suivante:

L'absence de preuve quant à l'élément subjectif de la revendication constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés.


Tabet-Zatla c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. no 1778 au para. 6 (1re inst.). Voir aussi Vallipuram c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 1519 (1re inst.); Fernando c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 1129 (1re inst.).

[33]      À mon avis, c'est à bon droit que le tribunal a conclu que le demandeur n'avait pas de crainte subjective de persécution et que conséquemment, sa revendication devait échouer. Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal s'est fondé sur la preuve qu'il avait devant lui.

[34]      Le demandeur allègue aussi que le tribunal a fait une erreur dans l'interprétation de ses sorties aux États-Unis. Je ne suis pas d'accord.

[35]      Le fait pour le demandeur d'être retourné au Salvador en raison de son désir de cohabiter avec sa famille ne peut lui être reproché. Cependant, le tribunal a considéré que ceci est incompatible avec une crainte de persécution. Il peut y arriver toutefois qu'une personne craigne pour sa vie mais retourne quand même dans son pays pour des motifs pressants tels que s'occuper de sa mère malade (Ali c. Canada (MCI), [1996] A.C.F. no 558 (1re inst.)). Je ne vois pas ici de motifs d'intervention pour cette Cour.

[36]      Compte tenu de ces faits, je suis d'avis que les conclusions du tribunal quant à la crainte subjective du demandeur sont raisonnables.

Erreurs de droit et de fait


[37]      Le demandeur soumet que le tribunal a rejeté le témoignage de M. Majano sans aucune raison valide. Je ne partage pas cette opinion. Les questions de poids de la preuve relèvent de la compétence du tribunal en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention (voir notamment Ithibu c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 499 au para. 77 (1re inst.)). Le tribunal en l'espèce a clairement indiqué pourquoi il n'accordait pas beaucoup de poids au témoignage de M. Majano. Cette décision n'est pas déraisonnable.

[38]      Le demandeur prétend aussi que le tribunal n'a pas tenu compte de la preuve sur la situation au Salvador et que sa décision ne se fonde pas sur la preuve qu'il avait devant lui. Selon le demandeur, le tribunal a douté de la crédibilité du demandeur de façon arbitraire et sans donner de motifs valables. Je ne suis pas d'accord.

[39]      Les soumissions du demandeur portent sur le poids qui devrait être attribué aux éléments de preuve présentés. Or, encore ici, en l'absence d'une erreur manifestement déraisonnable de la part du tribunal, cette Cour n'interviendra pas.

[40]      Le tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire (Florea c. Canada (MCI), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.)). Aussi, le tribunal n'est pas obligé de faire référence à chaque élément de preuve dont il est saisi, en autant que sa décision se fonde sur l'ensemble de la preuve (Hassan c. Canada (MEI), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.)).

[41]      En l'espèce, la décision du tribunal est très bien motivée. Celui-ci explique pourquoi il ne croit pas que le demandeur a une crainte subjective de persécution.


[42]      En ce qui a trait aux invraisemblances relevées par le tribunal, celles-ci sont étayées par la preuve et ne sont pas, à mon avis, déraisonnables.

[43]      Le demandeur n'a pas non plus démontré que le tribunal a ignoré certains éléments de preuve concernant la situation au Salvador. À la lecture des motifs du tribunal, il me semble que ce dernier était au courant de cette preuve. Le poids à accorder à cette preuve relevait de sa discrétion (Hassan, supra).

[44]      Pour ces raisons, le demandeur ne m'a pas convaincu que le tribunal a omis de considérer certains éléments de preuve, ou qu'il a tiré des conclusions de faits erronées.

Obligation d'agir équitablement

[45]      Très récemment, la Cour suprême nous a enseigné que l'obligation d'agir équitablement comporte deux volets: le droit d'être entendu et le droit à une audition impartiale (Therrien (Re), [2001] A.C.S. no 36 cité dans Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091 au para. 6 (C.A.F.).

[46]      Une audience pleine et entière, et notamment, le droit d'être entendu, signifie que le revendicateur a l'opportunité de présenter sa cause et peut faire valoir les motifs sous-jacents à sa revendication. Dans Kouama c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 1852 au para. 15 (1re inst.), le juge Teitelbaum s'est exprimé de la façon suivante:


À mon avis, le droit de se faire entendre exige, entre autres, d'un tribunal qu'il donne l'opportunité à une personne de répondre aux questions qui lui sont soumises ainsi que de faire des représentations sur chaque fait ou facteur qui est susceptible d'affecter la décision. En l'espèce, le requérant prétend qu'il y a eu une injustice du fait qu'il n'a pu se faire entendre, mais il n'a allégué aucun élément démontrant qu'il y a eu un déni de justice. Il n'a pas établi non plus qu'on l'a empêché de déposer tout autre élément de preuve. À mon avis, l'injustice qu'invoque le requérant, si injustice il y a eu, découle de son appréciation et de son interprétation personnelle du déroulement de l'audience [...].

Voir aussi Siba c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 1890 (1re inst.)

[47]      En l'espèce, le demandeur allègue qu'il n'a pas eu une telle opportunité. De plus, il allègue que le tribunal a fait preuve de partialité.

[48]      Le critère est le suivant afin de prouver qu'un tribunal n'a pas agit de façon impartiale: une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique arriverait-elle à la conclusion qu'il y a partialité ? Les motifs de crainte doivent être sérieux, particulièrement lorsqu'il s'agit d'un tribunal administratif (Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369).

[49]      Après avoir lu attentivement les pages de la transcription indiquées par le procureur du demandeur où le Tribunal aurait violé le droit de son client d'être entendu, je dois dire que je n'ai constaté en aucune occasion le bien-fondé de cette allégation. En fait, le demandeur a pu procéder à présenter sa preuve dans son entier, et la Cour n'a pas trouvé non plus dans les notes sténographiques des commentaires hargneux et déplacés pouvant justifier une intervention.


[50]      En ce qui concerne l'allégation de partialité, je ne crois pas qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique arriverait à la conclusion qu'il y a eu partialité.

[51]      Le demandeur allègue, entre autres, que la commissaire Lavoie a fait preuve de partialité en faveur du représentant du ministre, qu'elle a échangé des blagues avec ce dernier et qu'elle s'est comportée de façon peu professionnelle. Le demandeur allègue aussi que la commissaire Lavoie s'est comportée de façon peu courtoise avec le témoin du demandeur.

[52]      Je ne partage pas cette opinion. Tout au plus, le tribunal a participé de façon active à l'interrogatoire afin de clarifier certaines choses.

[53]      Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je suis d'avis que le tribunal n'a pas fait preuve de partialité. Il n'a pas non plus empêché le demandeur d'être entendu. J'adopte à cet effet les propos du juge Blais dans Ithibu c. Canada (MCI), [2001] A.C.F. no 499 au para. 54 (1re inst.):

On ne peut blâmer la Commission pour ces quelques interruptions et les allégations du demandeur selon lesquelles il a été constamment interrompu sont exagérées par rapport à ce qui s'est réellement passé à l'audience. En l'espèce, on ne peut même pas dire que la Commission a interrompu fréquemment le demandeur [...].

Il en va de même en l'espèce.

La Charte


[54]      À maintes reprises, cette Cour a indiqué qu'en contrôle judiciaire, un argument basé sur la Charte était prématuré. Tout récemment, le juge Blais a réitéré ceci dans Ithibu, supra au paras. 102-104:

Le demandeur soutient que son expulsion portera atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7 et 12 de la Charte et l'article 3 de la Convention contre la torture.

La présente instance consiste en une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission portant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Elle ne touche pas l'expulsion du demandeur et j'attire l'attention du demandeur sur la décision rendue par le juge Teitelbaum dans l'affaire Cruz c. Canada (M.C.I.) [1999] A.C.F. no 1266 (1re inst.), dans laquelle il a statué :

En ce qui concerne les questions soulevées en vertu de la Charte, la jurisprudence de notre Cour indique clairement que le rejet d'une demande de revendication au statut de réfugié n'entraîne pas l'application des articles 7 et 12 de la Charte et ce, au motif qu'il ne s'agit pas d'un renvoi. [...] Donc, il est prématuré pour le demandeur de soulever des questions relatives à la Charte dans sa demande de contrôle judiciaire.

Je crois qu'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission n'est pas le recours approprié pour soulever cette question car la Cour n'est saisie d'aucune mesure d'expulsion.

Voir aussi Kabengele c. Canada (MCI), [2000] A.C.F. no 1866 (1re inst.).

[55]      Je suis donc d'avis que l'argument du demandeur quant à la Charte doit échouer.

[56]      Dans la conclusion du juge Blais dans Ithibu, supra, au paragraphe 110, il mentionne:

Le demandeur a suggéré trois questions graves: [TRADUCTION] 1. Un modèle d'audition a été mis en place à Montréal, selon lequel on dit au demandeur du statut de réfugié qu'il n'est pas nécessaire qu'il expose sa version des faits figurant dans le formulaire de renseignements personnels, on demande à l'agent d'audience de commencer l'interrogatoire, ce qui inverse l'ordre habituel de la présentation de la preuve, et on anéantit le droit à une audition complète en mettant l'accent uniquement sur le contre-interrogatoire du demandeur du statut de réfugié. Ce modèle d'audition entraîne des injustices systématiques. L'utilisation de la conclusion du nouveau modèle d'audition pour l'audition des revendications du statut de réfugié à Montréal porte-t-elle atteinte aux garanties juridiques prévues par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et au droit à l'égalité prévu par l'article 15 de la Charte? [...]


Le juge Blais n'a pas considéré que cette question en était une de portée générale. Le Procureur du demandeur m'invite à certifier cette même question ici. Le Procureur du défendeur s'objecte. Je n'ai pas l'intention de la certifier. Aucune question ne sera donc certifiée.

[57]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     "Michel Beaudry"       

                                                                                          Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 20 mars 2002             


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR: IMM-2815-01

INTITULÉ: CARLOS ALBERTO SERVELLON RODRIGUEZ ET AUTRES c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE: 12 MARS 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDR EN DATE DU 20 MARS 2002

COMPARUTIONS

ME STEWART ISTVANFFY POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

ME GUY M. LAMB POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ME STEWART ISTVANFFY POUR LA PARTIE DEMANDERESSE MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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