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Date : 20220623


Dossier : IMM-3447-21

Référence : 2022 CF 946

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

HABATAMU BESHU TULLU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à l’issue d’un examen des risques avant renvoi [l’ERAR] par laquelle l’agent a conclu qu’il ne serait pas exposé à des risques, du fait de son origine ethnique ou de ses activités politiques au Canada, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, l’Éthiopie.

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée, car les arguments du demandeur n’établissent pas que la décision rendue à l’issue de l’ERAR est déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural.

II. Contexte

[3] Le demandeur, un citoyen de l’Éthiopie, est entré au Canada pour la première fois en janvier 2016, puis a demandé l’asile peu après. Il avait alors soutenu qu’il serait exposé à des risques s’il était renvoyé en Éthiopie du fait de ses opinions politiques réelles ou présumées et de son origine ethnique mixte oromo-sidama. Il avait également déclaré avoir participé en décembre 2015 à une manifestation étudiante contre le gouvernement éthiopien à la suite de laquelle il avait été détenu par les forces de sécurité.

[4] En août 2016, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a accueilli la demande d’asile du demandeur. Même si elle a jugé que le demandeur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’avait présenté aucune preuve crédible à l’appui de ses allégations, la SPR a tout de même conclu qu’il était un réfugié au sens de la Convention qui risquerait sérieusement d’être persécuté en Éthiopie du fait de son origine ethnique et de ses opinions politiques présumées.

[5] Le ministre a interjeté appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. En février 2017, la SAR a accueilli l’appel et a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans l’analyse de la SAR, la question déterminante était celle de la crédibilité du demandeur. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en concluant que le demandeur était exposé à des risques en tant qu’étudiant oromo se livrant à des activités politiques antigouvernementales. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAR, mais sa demande a été rejetée en mai 2017.

[6] En octobre 2019, le demandeur a présenté une demande d’ERAR. Devant l’agent d’ERAR [l’agent], il a soutenu qu’il craignait d’être détenu et torturé s’il était renvoyé en Éthiopie en raison de ses opinions politiques réelles et présumées, de ses activités politiques au Canada, de son profil de demandeur d’asile débouté et de son origine ethnique à moitié sidama.

[7] Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve démontrant que son père et son frère avaient été arrêtés à la suite d’une manifestation publique visant à réclamer la création d’un État pour les Sidamas. Il a également déposé des éléments de preuve montrant sa participation aux activités de l’organisation Unity for Human Rights and Democracy Toronto [l’UHRDT], qui travaille à dénoncer les violations des droits de la personne commises par le gouvernement éthiopien, ainsi que des éléments de preuve sur la situation dans le pays.

III. Décision à l’issue de l’examen des risques avant renvoi

[8] Dans la décision du 10 février 2020 par laquelle il a rejeté la demande d’ERAR du demandeur, l’agent souligne qu’en application de l’alinéa 113a) de la LIPR, seuls les éléments de preuve survenus après la décision de la SAR visant le demandeur peuvent être pris en considération.

[9] Dans son évaluation du principal risque avancé par le demandeur en lien avec son origine ethnique sidama, l’agent renvoie aux éléments de preuve du demandeur faisant état de l’agitation sociale dans la région ethnique et cite un article expliquant les efforts déployés par le peuple sidama pour tenir un référendum afin de transformer la zone sidama d’une unité administrative de niveau inférieur à un État régional au sein de la fédération éthiopienne. L’agent mentionne que cette évolution politique a mené à des affrontements mortels entre l’État et les manifestants. Il ajoute ensuite que le référendum a eu lieu le 20 novembre 2019 et que les résultats ont été massivement en faveur de la création d’un État.

[10] L’agent examine ensuite la prétention du demandeur selon laquelle il serait personnellement exposé à des risques, car sa famille a été ciblée et menacée, comme le démontre un rapport de police faisant état des accusations portées contre son frère et son père en lien avec l’appel à un référendum. L’agent souligne que, comme la traduction anglaise de ce document n’est pas certifiée, il lui accorde peu de poids. Il ajoute que les accusations décrivent des incidents survenus en 2018 et en 2019, années où le demandeur était au Canada, et que le rapport ne laisse pas croire que le père du demandeur a été ciblé uniquement en raison de son origine ethnique ou que le demandeur lui-même serait arrêté. De plus, selon l’agent, le fait que le référendum a déjà eu lieu limite la valeur probante de cet élément de preuve.

[11] En ce qui a trait aux publications sur Facebook (traduites) concernant l’activisme du père du demandeur, l’agent fait remarquer qu’elles ne mentionnent pas le demandeur ou ne démontrent pas qu’il est personnellement exposé à des risques. Il conclut également que, bien qu’elles puissent renforcer la preuve selon laquelle le père du demandeur est un activiste sidama, les publications ne présentent aucune menace ni aucun risque. L’agent leur accorde donc peu de valeur probante.

[12] En ce qui concerne les éléments de preuve sur la situation dans le pays présentés par le demandeur relativement aux manifestations et aux morts qui en ont résulté, l’agent mentionne que les articles concernent des journalistes et des personnes ayant participé aux manifestations, le demandeur n’étant ni l’un ni l’autre. Il conclut que, bien que la situation dans le pays ne doive pas être prise à la légère, aucun des articles ne fait état d’un risque auquel serait exposé le demandeur en raison de son profil. L’agent souligne également qu’aucun des articles ne laisse croire qu’une personne serait ciblée simplement en raison de son origine ethnique sidama et que, comme le référendum a déjà eu lieu, le demandeur ne militerait pas pour la création d’un État.

[13] L’agent explique aussi que les articles ne donnent pas à penser que les membres de la famille d’une personne qui participe à l’agitation sociale sont exposés à des risques. Après avoir constaté que le demandeur nomme plusieurs autres membres de sa fratrie habitant à Hawassa, sans préciser qu’ils ont été victimes de persécution ou de préjudice en raison de la situation avec son père ou ses frères, l’agent conclut que la preuve ne démontre pas que le demandeur serait personnellement exposé à des risques prospectifs. L’agent ne conclut donc pas que le demandeur serait exposé à un risque en raison de son origine ethnique sidama ou des activités politiques de son père.

[14] L’agent analyse ensuite le risque auquel le demandeur est exposé sur place en raison de sa participation au Canada à des manifestations et à des activités visant à dénoncer le gouvernement éthiopien. Il reconnaît que le demandeur est membre de l’UHRDT sur la foi de la lettre provenant de cette organisation et des photos du demandeur prises lors des événements. Cependant, en ce qui concerne les déclarations dans la lettre selon lesquelles le demandeur est exposé à des risques, l’agent estime que l’organisation ne fait que reprendre ce que le demandeur lui a dit et ne fournit aucune nouvelle information.

[15] Bien que, dans sa lettre, l’UHRDT mentionne que le gouvernement exerce une surveillance sur les dissidents de la diaspora, l’agent juge hypothétique la conclusion selon laquelle le demandeur sera de ce fait exposé à des risques. L’agent accorde un certain poids à ce document pour établir l’adhésion du demandeur à l’UHRDT, mais il affirme que ce document ne permet pas de démontrer que le demandeur serait exposé aux risques allégués en Éthiopie.

[16] En ce qui concerne les éléments de preuve sur la situation dans le pays que le demandeur invoque et qu’il considère comme pertinents pour démontrer cet aspect de son profil, l’agent déclare que, même s’ils sont antérieurs à la décision de la SAR, les articles seront admis, compte tenu des nouveaux éléments de preuve du demandeur concernant ses activités politiques au Canada. Cependant, l’agent fait également remarquer que ces documents sont antérieurs à un changement de politique survenu après qu’Abiy Ahmed est devenu premier ministre en 2018. Il fait référence au rapport du ministère de l’Intérieur du R.-U. de 2019 qui indique qu’après l’arrivée au pouvoir du premier ministre Ahmed, il y a eu un changement radical de la position du gouvernement envers l’opposition politique, la libération de milliers de prisonniers politiques, une diminution des arrestations et des confrontations avec les membres des partis, une tolérance généralement accrue à l’égard des dissidents politiques et la fin de l’état d’urgence.

[17] L’agent fait également référence à un rapport du Département d’État des É.-U. sur l’Éthiopie qui fait état de changements positifs dans la situation des droits de la personne, notamment une plus grande tolérance à l’égard des manifestations pacifiques et une diminution des cas de conditions de détention difficiles et d’arrestations et de détentions arbitraires. Il conclut que la situation s’est grandement améliorée depuis l’élection du premier ministre Ahmed en avril 2018 et la fin de l’état d’urgence en juin 2018.

[18] L’agent examine ensuite l’argument du demandeur selon lequel la situation ne s’est pas améliorée et traite plus particulièrement du fait que ce dernier s’appuie sur un article concernant des jeunes détenus dans des « camps de réhabilitation » et sur d’autres documents faisant état de la poursuite du conflit ethnique et de la répression violente des manifestants. Même s’il reconnaît que la situation sous le régime du premier ministre Ahmed est loin d’être idéale, l’agent conclut que ces documents ne portent pas sur le risque allégué découlant du fait de participer à des manifestations politiques à l’étranger.

[19] L’agent souscrit également au motif pour lequel la SPR a rejeté en 2016 la demande d’asile sur place du demandeur. Il conclut que la situation des personnes qui manifestent à l’étranger s’est probablement améliorée et que le demandeur n’a pas démontré que sa présence à quatre autres manifestations en 2019 attirerait l’attention des autorités sur lui.

[20] L’agent conclut que le demandeur ne serait pas exposé à des risques en raison de ses activités politiques au Canada. En l’absence d’éléments de preuve concernant la situation propre au demandeur, l’agent conclut que la prétention selon laquelle les autorités éthiopiennes sont au courant des activités politiques du demandeur au Canada et qu’elles s’y intéressent est hypothétique.

[21] Enfin, en ce qui concerne les éléments de preuve sur la situation dans le pays présentés par le demandeur concernant la violence ethnique dans la région d’Oromia, l’agent reconnaît encore une fois que ces articles démontrent que la situation en Éthiopie est loin d’être idéale, mais fait remarquer que le demandeur ne vient pas de cette région. Après avoir souligné que les articles en question ne traitent pas du profil du demandeur en tant qu’ancien résident d’Hawassa ayant participé à des manifestations au Canada, l’agent conclut que ces articles ne démontrent pas que le demandeur est connu des autorités éthiopiennes ou que le gouvernement s’intéresse à ses activités.

[22] Par conséquent, l’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[23] Dans le cadre de la présente demande, le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la persécution à laquelle le demandeur est exposé du fait de son origine ethnique sidama?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’évolution de la situation en Éthiopie?

  3. Y a-t-il eu manquement au droit du demandeur à l’équité procédurale?

  4. La décision était-elle raisonnable?

[24] Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable à ces questions, sauf à celle concernant l’allégation de manquement à l’équité procédurale, est celle de la décision raisonnable. Bien que la norme de la décision correcte soit souvent considérée comme s’appliquant aux questions d’équité procédurale, dans son analyse, la Cour doit principalement se demander si la procédure suivie était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (voir Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14).

V. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la persécution à laquelle le demandeur est exposé du fait de son origine ethnique sidama?

[25] Tout d’abord, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur dans son évaluation du rapport de police (traduit) concernant les accusations portées contre son père et son frère. Il fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’agent d’avoir accordé peu de poids au rapport parce que sa traduction n’était pas certifiée et qu’il était inéquitable sur le plan procédural de l’avoir fait sans lui donner l’occasion de remédier à la situation.

[26] Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle découlant de ces arguments. Bien qu’il exprime des réserves quant au fait de s’appuyer sur la traduction non certifiée du rapport de police, l’agent examine néanmoins le contenu du rapport et juge qu’il ne permet pas de conclure que le demandeur est exposé à des risques. L’agent explique que le demandeur était au Canada au moment des incidents ayant mené à l’arrestation de son père et de son frère, et que le rapport ne laisse pas croire que ces derniers avaient été ciblés uniquement en raison de leur origine ethnique.

[27] Le demandeur conteste également ce raisonnement au motif que la détention des membres de sa famille devrait être considérée comme un facteur plus que suffisant pour démontrer qu’il est personnellement exposé à des risques en tant que membre de la famille et que l’agent n’a pas procédé correctement à l’analyse personnalisée requise. J’estime que ces arguments sont sans fondement. L’agent a fait remarquer que le père et le frère ont été arrêtés en raison d’incidents dans lesquels ils étaient impliqués. Compte tenu des circonstances, l’agent a eu raison de conclure que le demandeur n’était pas lui aussi exposé à des risques.

[28] Le demandeur conteste également l’examen des publications sur Facebook, soutenant que l’agent a mal interprété le langage métaphorique utilisé dans celles-ci, lesquelles constituaient des menaces contre le père du demandeur. Cependant, l’agent a également fait remarquer que les publications sur Facebook ne mentionnaient pas le demandeur et a conclu qu’elles ne démontraient pas qu’il serait personnellement exposé à des risques. Là encore, je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans ce raisonnement.

B. L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’évolution de la situation en Éthiopie?

[29] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en procédant à une évaluation sélective des éléments de preuve sur la situation dans le pays et en concluant que la situation en Éthiopie s’était améliorée. Invoquant certains des éléments de preuve sur la situation dans le pays dont était saisi l’agent, le demandeur fait valoir que cette conclusion est incompatible avec la preuve démontrant que les améliorations ayant suivi l’élection du premier ministre Ahmed étaient passagères.

[30] Je souscris à la position du défendeur selon laquelle ces arguments ne prouvent pas l’existence d’une erreur susceptible de contrôle, puisqu’il ressort clairement de la décision que l’agent était au fait de l’évolution de la situation dans le pays. L’agent a pris acte des éléments de preuve sur la situation dans le pays concernant le conflit ethnique, la répression violente des manifestants et les arrestations massives en lien avec une tentative de coup d’État. Il a reconnu que la situation sous le régime du premier ministre Ahmed était loin d’être idéale. Cependant, cette partie de la décision se rapporte aux allégations de risques formulées par le demandeur en raison de sa participation à des manifestations au Canada. Faisant référence à l’analyse et au rejet par la SPR en 2016 de la demande d’asile sur place du demandeur, l’agent a conclu que la participation du demandeur à quatre autres manifestations en 2019 ne démontrait pas qu’il était susceptible d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette analyse.

C. Y a-t-il eu manquement au droit du demandeur à l’équité procédurale?

[31] Le demandeur invoque également un argument d’équité procédurale lié à l’évolution de la situation dans le pays. Bien que la décision soit datée du 10 février 2020, il ressort de la preuve qu’elle n’a été communiquée au demandeur que le 7 mai 2021, date à laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada la lui a signifiée. Il renvoie à des éléments de preuve sur la situation dans le pays selon lesquels la guerre civile a éclaté en Éthiopie en novembre 2020 et que la situation difficile des Sidamas de souche s’est poursuivie. Selon le demandeur, le fait de ne pas avoir évalué les changements à la situation dans le pays qui sont survenus dans les 15 mois entre le prononcé de la décision et sa communication constitue un manquement à l’équité procédurale.

[32] Pour étayer sa position, le demandeur invoque la décision Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 6 au para 6, où la Cour reconnaît qu’il y a des circonstances où un délai entre le prononcé de la décision issue de l’ERAR et sa communication cause un préjudice au demandeur et que des recours appropriés doivent être offerts dans ces cas. À cette même fin, le demandeur invoque la décision Ragupathy c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1370 [Ragupathy], où la Cour a considéré l’examen des risques comme une mesure adoptée par le Canada afin d’éviter que des personnes soient expulsées vers un pays où elles seraient torturées ou maltraitées, ce qui donne effet aux droits garantis par l’article 7 de la Charte. La Cour a également fait remarquer que ces droits deviendraient illusoires si les faits sur lesquels est fondé l’examen des risques ne correspondaient pas à la situation actuelle du pays vers lequel cette personne est expulsée.

[33] Cependant, selon le défendeur, dans la décision Ragupathy, le demandeur avait présenté des éléments de preuve démontrant que la situation dans le pays s’était nettement détériorée après l’évaluation des risques. Dans cette affaire, le demandeur avait sollicité le report de son renvoi jusqu’à l’évaluation de la nouvelle preuve, et la Cour avait accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution de rejeter cette demande de report. Le défendeur renvoie également à une jurisprudence selon laquelle, pour démontrer qu’un délai dans la communication d’une décision d’ERAR constitue un facteur de l’équité procédurale, le demandeur doit démontrer que le délai lui a causé un préjudice, ce qui n’est pas le cas lorsque le demandeur n’a pas tenté de mettre à jour ses observations aux fins de l’examen des risques.

[34] Dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 867 [Singh], la Cour a expliqué que les demandeurs d’ERAR doivent s’assurer que leurs demandes sont fondées sur les conditions existant dans leur pays au moment où elles sont présentées. Semblable à l’espèce, la décision Singh portait sur un cas où il y avait un long délai (21 mois) entre la date où une décision d’ERAR avait été rendue et le moment où elle avait été communiquée au demandeur. La Cour a conclu que le demandeur n’avait pas été privé de son droit à l’équité procédurale parce qu’il n’avait pas présenté à l’agent d’ERAR des observations à jour sur la situation dans le pays et que rien n’indiquait que l’évolution de la situation l’exposerait à de la persécution ou à d’autres risques (aux para 23-28).

[35] En l’espèce, le demandeur n’a fait aucun effort pour présenter des éléments de preuve ou des observations à jour à l’appui de sa demande d’ERAR avant de recevoir la décision. De plus, je suis d’accord avec le défendeur que le demandeur n’a pas démontré que l’évolution de la situation en Éthiopie au cours des 15 mois précédant la communication de la décision a fait en sorte qu’il était personnellement exposé à des risques. Bien que je reconnaisse que les éléments de preuve sur la situation dans le pays mentionnés dans les observations présentées par le demandeur à la Cour peuvent être considérés comme montrant une détérioration de la situation dans le pays, le demandeur n’a pas démontré que cette détérioration représentait un risque pour lui.

[36] Le demandeur invoque également un argument d’équité procédurale en raison de la décision de l’agent de ne pas tenir d’audience. Il reconnaît que, lorsqu’un agent d’ERAR ne tire aucune conclusion quant à la crédibilité, mais qu’il conclut plutôt que la preuve est insuffisante pour accueillir la demande, aucune audience ne sera nécessaire. Cependant, il soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve était insuffisante pour réfuter les conclusions de la SPR constituait une conclusion voilée quant à la crédibilité, de sorte que l’équité procédurale exigeait la tenue d’une audience.

[37] Cet argument a trait à ce que le demandeur décrit comme les doutes de l’agent concernant certaines de ses activités politiques au Canada. J’estime que cette observation n’a aucun fondement. Il est évident que l’agent ne doutait pas que les activités avaient eu lieu. Il a simplement jugé que la participation du demandeur à quatre autres manifestations en 2019 ne démontrait pas qu’il était susceptible d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes.

D. La décision était-elle raisonnable?

[38] Selon le demandeur, la dernière question que la Cour doit examiner est celle de savoir si la décision était raisonnable. Plusieurs des arguments déjà énoncés dans les présents motifs concernent également le caractère raisonnable de la décision. Cependant, pour cette dernière question, le demandeur soutient que l’agent a mal interprété ou a omis de prendre en considération certains éléments de preuve se rapportant à sa demande d’asile sur place. Il s’appuie sur certains des éléments de preuve sur la situation dans le pays faisant état d’une surveillance présumée de la part des autorités éthiopiennes des activités politiques de la diaspora ainsi que de la détention, des mauvais traitements et de la torture de dissidents renvoyés en Éthiopie.

[39] La décision ne mentionne pas expressément ces éléments de preuve précis sur lesquels le demandeur s’appuie. Cependant, le décideur administratif est réputé avoir examiné la preuve dont il dispose et n’est pas obligé de faire référence à chaque élément de preuve contraire à ses conclusions, sous réserve du principe que plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément est importante, plus une cour de justice sera disposée à conclure qu’elle n’a pas été examinée (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 aux para 16-17).

[40] Comme je l’ai déjà mentionné, l’agent a jugé que, dans le contexte de l’analyse de la demande d’asile sur place effectuée par la SPR, la participation du demandeur à quatre autres manifestations en 2019 au Canada ne démontrait pas qu’il était susceptible d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Les éléments de preuve invoqués par le demandeur n’ont pas la force probante nécessaire pour infirmer les conclusions et ainsi me permettre de conclure qu’ils n’ont pas été examinés.

VI. Conclusion

[41] Après avoir examiné les arguments du demandeur, je conclus que la décision est raisonnable et qu’elle a été prise d’une manière équitable sur le plan procédural. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3447-21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3447-21

INTITULÉ :

HABATAMU BESHU TULLU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Teklemichael Ab Sahlemariam

POUR LE DEMANDEUR

Idorenyin Udoh-Orok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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