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Date : 20220623


Dossier : T‑921‑17

Référence : 2022 CF 874

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ROVI GUIDES, INC.

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

VIDÉOTRON LTÉE

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

I. Introduction

[1] Le 23 juin 2017, Rovi Guides, Inc. [Rovi] et TiVo Solutions Inc. [TiVo] ont intenté la présente action contre la défenderesse, Vidéotron Ltée [Vidéotron], pour contrefaçon alléguée de quatre brevets appartenant à Rovi, dont les numéros sont indiqués au paragraphe 2 ci‑dessous, et de deux brevets appartenant à TiVo, soit les brevets canadiens nos 2,333,460 et 2,323,539 [les brevets de TiVo]. Le 21 janvier 2020, TiVo s’est désistée de l’action intentée contre Vidéotron concernant ses brevets.

[2] Rovi cherche à obtenir une réparation pour la contrefaçon alléguée des brevets suivants touchant la technologie de « guide de programmes de télévision interactif » [GPI] :

  • 1)le brevet canadien no 2,337,061 [le brevet 061];

  • 2)le brevet canadien no 2,339,629 [le brevet 629];

  • 3)le brevet canadien no 2,730,344 [le brevet 344];

  • 4)le brevet canadien no 2,336,870 [le brevet 870]

[collectivement, les brevets en cause].

[3] La notion de GPI est au cœur de ces brevets. Décrit de façon générale, un GPI est un logiciel qui affiche des listes de programmes télévisés et un contenu enregistré sous forme électronique que l’utilisateur peut consulter par des moyens électroniques. Dans un GPI, l’information sur les émissions télédiffusées est téléchargée ou transmise à l’équipement de télévision d’un utilisateur, le plus souvent un boîtier décodeur, qui la stocke en mémoire. (En anglais, on appelle cet appareil un « set‑top box », ou STB, parce qu’on le plaçait originellement sur le téléviseur. On l’appelle aussi en français un décodeur de câblodistribution, ou tout bonnement un décodeur.)

[4] Les brevets couvrent de nombreux aspects de la conception et de l’ingénierie d’un GPI accessible par un téléviseur ou une autre plate‑forme, comme un téléphone mobile ou un site Web. Ces brevets découlent de demandes déposées à la fin des années 1990 et, au moment de l’instruction, ils avaient tous expiré.

[5] Plus d’une centaine de revendications des brevets en cause étaient en litige lorsque l’action a été introduite, mais leur nombre avait été réduit à quatorze (14) au moment où l’instruction a débuté. Rovi ne fait valoir que quatre (4) ensembles de revendications. Dans les présents motifs, le terme « revendications invoquées » désigne collectivement ces revendications.

[6] Vidéotron nie les allégations de contrefaçon et fait valoir, en demande reconventionnelle, que les brevets en cause sont invalides pour divers motifs, notamment l’antériorité, l’évidence, la divulgation insuffisante et l’ambiguïté. Elle soutient que les revendications invoquées concernent des choix de conception simples et courants dans les interfaces utilisateur et des méthodes d’accès aux décodeurs et aux GPI, qu’aucun problème technologique pour lequel l’objet revendiqué fournit une solution n’a été relevé, et qu’il n’y a rien de nouveau ou d’inventif dans les brevets en cause. Vidéotron soutient en outre qu’il existe des différences substantielles entre les revendications invoquées et les mises en œuvre particulières qu’a faites Vidéotron des logiciels de décodeur et de GPI, et qu’elle n’a en rien porté atteinte aux droits de Rovi.

[7] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que toutes les revendications invoquées sont invalides parce qu’elles sont antériorisées ou évidentes, voire les deux, au regard de l’art antérieur et des connaissances générales courantes [les CGC] de la personne versée dans l’art (que je définis ci‑après). Par conséquent, l’action de Rovi est rejetée et la demande reconventionnelle de Vidéotron est accueillie.

[8] D’abord, je tiens à souligner que les deux parties ont déposé des observations écrites méticuleuses et bien motivées. Je me suis largement inspiré de leurs mémoires pour parvenir à mes conclusions.

II. Aperçu

A. Guide de programmes interactif

[9] Une courte description de l’évolution des GPI au fil des années est ici utile pour mettre en contexte les questions soulevées par la présente action.

[10] Au tout début, les téléspectateurs obtenaient des informations sur la programmation des divers postes sur papier, comme un encart dans un quotidien ou un guide séparé qu’ils pouvaient acheter.

[11] Vers le tournant des années 1980‑1990, ces guides imprimés sont passés à une version électronique, ou GPE, pour guide de programmes électronique. Les premiers GPE consistaient essentiellement en une simple liste non interactive des émissions de télévision actuelles et prévues sur tous les canaux disponibles, qui défilait automatiquement. L’utilisateur devait attendre l’affichage de la période de télédiffusion qui l’intéressait pour savoir ce que proposait chaque canal.

[12] Voici un exemple d’un GPE sous ces premières formes :

Early EPG Screenshot

FR

EN

GUIDE DE PROGRAMMES JONES INTERCABLE

JONES INTERCABLE PROGRAM GUIDE

LUN 12 OCTOBRE

MON OCT 12

02:00

2:00 AM

01:33:56

1:33:56 AM

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02:30:00

2:30 AM

2 WBBM‑NIGHTWATCH (SUITE)

2 WBBM‑NIGHTWATCH CONT.

5 WMAQ‑(2:45) GAMUT

5 WMAQ‑( 2:45) GAMUT

7 WLS‑(1:15) FILM “STATE’S ATTORNEY” (SUITE)

7 WLS‑( 1:15) MOVIE “STATE’S ATTORNEY” CONT.

9 WGN‑(CHICAGO) TONY RANDALL

9 WGN‑(CHICAGO) TONY RANDALL

11 WTTW‑SNN HEADLINE NEWS (SUITE)

11 WTTW‑SNN HEADLINE NEWS CONT.

[13] Le mode de transmission de ces données aux téléviseurs des consommateurs a changé au fil du temps. L’évolution des technologies a permis de rendre les GPE interactifs; les utilisateurs pouvaient alors interagir avec le contenu affiché.

[14] Ces nouveaux GPE, qu’on pouvait maintenant appeler GPI (guides de programmes interactifs), consistaient habituellement en des tableaux plein écran qui affichaient les listes de programmes par heure et par canal. À l’aide d’une télécommande, l’utilisateur pouvait interagir avec le guide pour afficher la programmation présente ou ultérieure sur d’autres canaux plutôt que de dépendre du défilement automatique des guides habituels de cette époque. Les GPE à défilement automatique sont graduellement disparus au fil de l’essor des GPI.

[15] Vers le milieu des années 1990, des interfaces de présentation et de navigation plus modernes ont été introduites sur le marché. En voici deux exemples, mis sur le marché en 1994 et en 1996 respectivement.

Examples of IPGs

FR

EN

Listes par titre

Listings By Title

Points clés

Key Points

Recherche d’un programme sans devoir savoir quel canal le présente ni quand.

Can find a program without having to know when or where it’s on.

Intégration de tout ce qui a été présenté précédemment dans les autres saisies d’écran.

Can do all the things we did in the other listings screens

Guide TV à l’écran (Western Cable and Television Trade Show, 1994) (pièce 44)

Tv Guide on Screen Western Cable and Television Trade Show 1994 (EX 44)

RECHERCHE DE PROGRAMME

PROGRAM SEARCH

Guide de référence interactif Prevue (pièce 48)

Prevue Interactive Reference Guide (EX 48)

[16] Comme les capacités de traitement et de stockage des décodeurs, au début et au milieu des années 1990, étaient habituellement limitées, les fonctions des GPI sur ces plates‑formes l’étaient aussi. Mais d’autres fonctions interactives, comme l’affichage des programmes par période ou par genre, l’affichage d’autres renseignements sur des programmes précis et la simplification de l’enregistrement des programmes, ont été graduellement introduites, selon l’augmentation des capacités et de la mémoire des décodeurs, et avec la transition inévitable de l’industrie de la câblodistribution des systèmes analogiques aux systèmes numériques.

B. Les parties

(1) Rovi

[17] Rovi et diverses filiales (appelées collectivement Rovi) possèdent un portefeuille de milliers de brevets accordés par des administrations du monde entier, dont des centaines de brevets canadiens. Rovi propose aux consommateurs des technologies de divertissement numérique, y compris des GPI, pour les aider à trouver les émissions qui les intéressent.

[18] Au cours de l’instruction, de nombreux éléments de preuve ont été produits afin de démontrer en quoi les prédécesseurs de Rovi étaient des pionniers à l’avant‑garde des technologies de guides de programmation. À titre d’entreprise, Rovi a commencé avec le périodique TV Guide, lancé sur papier aux États‑Unis en 1953, et elle exploite toujours aujourd’hui les technologies de GPI modernes.

[19] Depuis au moins 1996, Rovi a conclu une série de transactions, dont des acquisitions de sociétés concurrentes et des fusions avec d’autres sociétés. Elle compte parmi ses prédécesseures United Video, StarSight Telecast, Inc. [StarSight], TV Guide on Screen, Gemstar et Macrovision.

[20] L’histoire de Rovi et de ses prédécesseures est clairement présentée dans le graphique ci‑dessous.

Rovi Corporate History

FR

EN

1953 : Lancement du périodique TV Guide

1953 : Launch of TV Guide Magazine

1965 : Fondation de United Video

1965 : United Video founded

1992 : Fondation de Gemstar

1992 : Gemstar founded

1993 : Intégration de TV Guide On Screen à United Video

1993 : TV Guide On Screen folded into United Video

1996 : Acquisition de StarSight par Gemstar

1996 : Gemstar acquires StarSight

1998 : Acquisition de TV Guide par United Video

1998 : United Video acquires TV Guide

2000 : Fusion de Gemstar et de TV Guide

2000 : Gemstar and TV Guide merge

2007 : Acquisition d’Aptiv par Gemstar‑TV

2007 : Gemstar‑TV Guide acquires Aptiv

2008 : Fusion de Macrovision et de Gemstar‑TV Guide

2008 : Macrovision and Gemstar‑TV Guide merge

2009 : Changement du nom de Macrovision, qui devient Rovi

2009 : Macrovision changes name to Rovi

2014 : Acquisition de Veveo et de Fanhattan par Rovi

2014 : Rovi acquires Veveo and Fanhattan

2016 : Fusion de Rovi et de TiVo

2016 : Rovi and TiVo merge

[21] Au fil des ans, Rovi a effectué d’importants investissements dans la recherche et le développement – de l’ordre d’un milliard de dollars américains – afin de mettre au point de nouveaux produits et services liés à son activité principale, qui est l’octroi de licences d’exploitation d’innovations brevetées à des sociétés tierces qui créent ou utilisent leurs propres solutions numériques de divertissement intégrant ses technologies brevetées.

[22] Le plus grand marché de Rovi pour l’octroi de licences est celui de la télédiffusion par abonnement [la télévision payante]. Rovi a octroyé des licences d’exploitation de ses technologies et de ses brevets connexes à de nombreux fournisseurs de télévision payante de premier plan partout dans le monde, dont la plupart des plus grands fournisseurs de télévision payante au Canada et aux États‑Unis.

[23] Les prédécesseures de Rovi sont reconnues par l’industrie pour leurs innovations au fil de nombreuses années et elles ont reçu des prix et des distinctions pour leurs contributions à la technologie du GPI. De plus, Rovi a une longue et fructueuse expérience dans l’octroi de licences d’exploitation de ses technologies, ce qui a généré des milliards de dollars de revenus au fil des ans.

[24] Toutefois, le litige dont la Cour est saisie ne concerne pas les succès passés de Rovi ni son sens des affaires en matière d’octroi de licences d’utilisation de ses produits. Le rôle de la Cour est d’examiner le bien‑fondé de chaque revendication de brevet invoquée et de décider si Rovi a droit à la mesure de réparation qu’elle sollicite : une restitution des bénéfices réalisés par Vidéotron au moyen de la contrefaçon alléguée des brevets en cause ou une redevance raisonnable.

(2) Vidéotron

[25] Vidéotron est une entreprise canadienne de télécommunications et un fournisseur de télévision payante. L’entreprise propose des services de câblodistribution, surtout au Québec, depuis les années 1960. Les activités de Vidéotron comprennent la fourniture de points d’extrémité et de services aux abonnés afin de leur donner accès à la télédiffusion et à d’autres contenus. Elle propose aussi à ses clients des services d’accès à Internet, de téléphonie mobile, de diffusion en continu et de téléphonie à domicile. Vidéotron a lancé son service interactif sous le nom « Vidéoway » en 1989. En 2001, Vidéotron a lancé le service « Illico » [illico 1].

[26] Au Canada, les principaux fournisseurs de contenu, tels que Bell, Rogers et Shaw Cablesystems G.P., ont obtenu des licences d’exploitation des brevets liés aux technologies de GPI qui font partie du portefeuille de Rovi, dont les brevets en cause dans la présente instance. Vidéotron elle‑même a conclu avec Rovi un contrat de licence d’exploitation des brevets liés au GPI [le contrat de licence], qui est entré en vigueur le 1er avril 2010.

[27] En 2012, Vidéotron a lancé le système « illico nouvelle génération » [illico 2]. Après que Vidéotron eut refusé de renouveler le contrat de licence, à la fin de l’année 2016, Rovi a sélectionné quatre de ses brevets et, dans la présente action, elle allègue que le système illico 2 contrefait ces brevets.

[28] Au fil du temps, le matériel et les services détaillés fournis dans le cadre des services de Vidéotron [le service illico 2] ont varié. En particulier, Vidéotron a lancé un nouveau service de diffusion de contenu télévisuel et de contenu audio‑vidéo commercialisé sous le nom de « Helix ». Les parties sont d’accord pour dire que le service illico 2 n’a subi aucune modification ayant une importance pour les questions soulevées en l’espèce avant les dates d’expiration des brevets en cause. Les parties sont également d’accord pour dire que Vidéotron n’a contrefait aucun des brevets en cause avant le 1er janvier 2017.

III. L’instruction

[29] Le volet « présentation de la preuve » de l’instruction, qui s’est entièrement déroulé par voie électronique, a duré 20 jours. Dix‑sept témoins ordinaires ou experts ont été entendus et 164 pièces totalisant plusieurs dizaines de milliers de pages ont été admises en preuve. Les trois premiers témoins ont témoigné en personne à Toronto, tandis que les autres ont participé à distance, par vidéoconférence, après l’éclosion de la pandémie de COVID‑19, en mars 2020 (voir Rovi Guides, Inc c Vidéotron Ltée, 2020 CF 596).

[30] Les observations finales devaient être présentées quelques semaines après la fin de la présentation de preuve, mais l’audience a dû être reportée en raison d’une indisponibilité subite de ma part pour des raisons médicales. Je regrette le retard qui en a résulté dans l’examen des observations écrites et orales des parties ainsi que dans le prononcé du présent jugement.

[31] Avec le consentement des parties, la présente action a été instruite en premier, avant l’instruction conjointe des actions en contrefaçon de brevets intentées par Rovi contre d’autres sociétés de télécommunications canadiennes, collectivement appelées « Bell » et « Telus » dans les dossiers de la Cour numéros T‑113‑18 et T‑206‑18, respectivement. Les actions intentées contre Bell et Telus concernent la contrefaçon alléguée de quatre brevets appartenant à Rovi, dont les brevets 629 et 870. J’ai veillé à ce que la preuve en l’espèce soit distincte de celle des deux autres affaires, et je rends la présente décision indépendamment de la preuve et des observations présentées dans ces deux autres affaires.

IV. Les témoins

[32] Voici une brève description des témoins des faits et des témoins experts, dans l’ordre dans lequel ils ont comparu à l’instruction.

(1) Les témoins de Rovi

[33] Rovi a d’abord fait entendre trois témoins ordinaires : Samir Armaly, William (Bill) Thomas et Clay Gaetje.

[34] M. Armaly était conseiller stratégique en propriété intellectuelle pour TiVo, la société mère de Rovi. À ce poste, il était responsable de tous les aspects des activités de la société liées à la propriété intellectuelle. M. Armaly a présenté l’historique des sociétés Rovi et TiVo et de leurs prédécesseures. Il a témoigné au sujet des affaires de Rovi, dont ses produits et services proposés à ses clients, ses pratiques d’octroi de licences et ses revenus générés au fil des ans. Il a également décrit la stratégie générale de Rovi en ce qui concerne la propriété intellectuelle, son historique de recherche et de développement ainsi que ses investissements. Entre la fin de 2008 et janvier 2009, il a travaillé en coulisses lors des négociations qui ont débouché sur le contrat de licence conclu avec Vidéotron.

[35] M. Thomas, qui est titulaire d’une maîtrise ès sciences en ingénierie électrique, est l’un des inventeurs nommés dans tous les brevets invoqués, sauf le brevet 629. Il était responsable de l’ingénierie des produits que concevait la société. Il a déclaré qu’en 1993, des sociétés ont commencé à travailler sur des GPI, dont TV Guide On Screen, StarSight, Jerrold et Scientific Atlanta. De 1996 à 2000, il a travaillé pour TV Guide on Screen. À l’époque, il faisait partie d’une équipe chargée du développement des GPI au sein de TiVo. Il a parlé de l’évolution du secteur et des processus de recherche et de développement qu’utilisait Rovi dans ses premières années. Il a présenté les antécédents des inventeurs des brevets en cause et expliqué le processus qui a mené aux inventions invoquées dans les brevets.

[36] Entre 2007 et 2014, M. Gaetje a travaillé pour Gemstar‑TV Guide, qui est devenue Rovi en 2009, en tant que vice‑président à l’octroi de licences de propriété intellectuelle. Dans la période où il a travaillé pour Rovi, M. Gaetje était chargé de tous les aspects de l’octroi de licences à des sociétés et dans des marchés en particulier et des négociations alors en cours aux États‑Unis et au Canada. Il a parlé des pratiques de Rovi en ce qui concerne l’octroi de licences en général, et, en particulier, des contrats de licence que la société avait conclus, notamment au Canada et aux États‑Unis. Il a témoigné au sujet des contrats de licence conclus entre Rovi et Vidéotron ainsi que des négociations ayant mené à ces contrats.

[37] Rovi a fait appel à un expert technique, M. Ravin Balakrishnan, professeur d’informatique à l’Université de Toronto. M. Balakrishnan a été reconnu comme expert pour livrer un témoignage dans le domaine de l’informatique, y compris la programmation et les interfaces interactives pour ordinateur (sur télévision, plates‑formes mobiles et ordinateurs personnels), la visualisation de données et les graphiques interactifs sur ordinateur.

[38] Pour terminer, Rovi a convoqué trois témoins experts qui ont livré des témoignages au sujet de la réparation à accorder : Coleman Bazelon, Andrew Harington et Sean Iyer.

[39] M. Bazelon est titulaire d’un doctorat en économie. Il a été reconnu comme expert pour donner son avis sur les facteurs économiques, l’évaluation de la propriété intellectuelle, la reconstitution de marché, le calcul de redevances raisonnables dans les affaires de contrefaçon de brevet et l’évaluation quantitative des dommages‑intérêts.

[40] M. Harington est comptable agréé, analyste financier agréé et expert en évaluation d’entreprise. Il a été reconnu comme expert pour donner son avis en matière de juricomptabilité, d’évaluation d’entreprise et d’évaluation quantitative de mesures de réparation financière, dont la restitution des bénéfices dans les affaires de contrefaçon de brevet.

[41] M. Iyer est titulaire d’une maîtrise en économie. Il a été reconnu comme expert pour donner son avis sur les méthodes d’étude de marché et les enquêtes ainsi que leur élaboration dans le cadre de litiges en matière de propriété intellectuelle. Il a préparé un sondage visant à estimer l’utilisation, par les abonnés de Vidéotron, des fonctions brevetées, et en a supervisé la réalisation.

(2) Les témoins de Vidéotron

[42] Pour sa part, Vidéotron a cité six témoins ordinaires : Caroline Paquet, Daniel Proulx, Mark Christiano, Francis Claprood, Martial Gourde et Mario Lessard. M. Christiano a témoigné en anglais, tandis que les autres ont témoigné principalement en français.

[43] Mme Paquet est vice‑présidente du marketing et des contenus de Vidéotron. Ses responsabilités sont liées au marketing des services de Vidéotron et à l’organisation des contenus offerts par l’intermédiaire des services de vidéo sur demande [la VSD] et de la télédiffusion. Elle a témoigné au sujet de la vision, de l’approche et des décisions de Vidéotron concernant le marketing de ses services de télévision, ainsi que de la réception de cette approche et de ces décisions dans le marché. Elle a également témoigné au sujet de facteurs tels que la tarification, les fonctions de système et le service à la clientèle. Mme Paquet a parlé précisément des fonctions du système de Vidéotron visées par l’allégation de contrefaçon. D’après son témoignage, l’absence de telles fonctions n’aurait pas d’incidence sur le nombre d’abonnés de Vidéotron.

[44] M. Lessard, directeur général de la stratégie mégadonnées et de l’intelligence d’affaires de Vidéotron, a livré un témoignage semblable à celui de Mme Paquet à propos de la valeur marchande des fonctions du système de Vidéotron et de leur incidence sur le choix et la fidélité des abonnés.

[45] M. Proulx était vice‑président principal de l’ingénierie de Vidéotron au moment où la société a négocié un contrat de licence avec Rovi. Il en a ensuite été chef de la direction technologique jusqu’à sa retraite, en 2016. Il a témoigné au sujet de son rôle au sein de Vidéotron, des circonstances dans lesquelles Vidéotron a conclu son premier contrat de licence avec Rovi, en 2011, et des objectifs de négociation de Vidéotron. Il a parlé des droits de propriété intellectuelle que, selon Vidéotron, Rovi détenait alors et des avantages que Vidéotron était censée tirés de l’obtention d’une licence de Rovi alors qu’elle allait lancer son nouveau système, illico 2.

[46] M. Christiano s’est joint au service de l’approvisionnement de Vidéotron à titre de directeur principal de l’approvisionnement stratégique et de la gestion générale et chef de l’approvisionnement en septembre 2015. Il a participé aux négociations concernant le renouvellement du contrat de licence avec Rovi. Il a témoigné au sujet de l’approche que Rovi avait adoptée dans les négociations et du contexte des négociations dans les bureaux de Vidéotron. Il a parlé des questions examinées, dont l’expiration de nombreux brevets du portefeuille de Rovi et les brevets qui, selon Rovi, ont été contrefaits par Vidéotron. Il a expliqué pourquoi Vidéotron avait décidé de ne pas renouveler le contrat de licence.

[47] M. Claprood est directeur principal au sein du groupe des finances de Vidéotron. Il a témoigné au sujet de la structure de déclaration des coûts et des revenus dans les différentes branches d’activités de Vidéotron et, en particulier, de la façon dont Vidéotron comptabilise et déclare ses coûts et ses revenus.

[48] M. Gourde est architecte d’entreprise principal au sein du service informatique de Vidéotron. Depuis qu’il s’est joint à Vidéotron, en 2008, il a occupé divers postes techniques, principalement celui de directeur des systèmes illico et du développement d’applications. Il a témoigné au sujet du lancement commercial du système illico 2, auquel Vidéotron a procédé en 2012, et il a décrit de manière générale certaines caractéristiques techniques ainsi que leur intégration.

[49] Comme Rovi, Vidéotron n’a fait appel qu’à un seul expert technique : Frank Sandoval. M. Sandoval a été reconnu comme expert pour donner son avis sur les décodeurs de câblodistribution, y compris les fonctions interactives et l’interactivité avec les utilisateurs.

[50] L’instruction s’est terminée par le témoignage de trois experts sur la question de la réparation : Andrew Carter, Farley Cohen et Itamar Simonson.

[51] M. Carter est un comptable professionnel agréé [un CPA] et un professionnel de l’octroi de licences agréé. Il a été reconnu comme expert en évaluation, en octroi de licences et en investissement dans le domaine de la propriété intellectuelle ainsi qu’en évaluation des dommages‑intérêts dans les litiges en matière de propriété intellectuelle.

[52] M. Cohen est aussi un CPA. Il a été reconnu comme expert dans les domaines de la juricomptabilité, de l’évaluation quantitative des préjudices économiques, de la restitution des bénéfices, des pertes de profits, de l’évaluation d’entreprise et de la détermination du revenu.

[53] M. Simonson est professeur de marketing à la Graduate School of Business de l’Université Stanford. Il a été reconnu comme expert du comportement des consommateurs, de l’effet du prix, de la marque et des fonctions ou des caractéristiques des produits sur le comportement des consommateurs et des décisions d’achat ainsi que des méthodes d’enquête.

(3) Observations générales

[54] Je ne répète pas les témoignages des témoins dans les présents motifs. J’y expose plutôt les éléments de preuve les plus importants et, selon mon appréciation de ceux‑ci, leur incidence sur ma décision.

[55] Les parties n’acceptent pas l’ensemble des témoignages donnés par les témoins ordinaires de la partie adverse, mais elles ne remettent pas en cause la crédibilité de ces témoins, à deux exceptions près. Rovi soutient que M. Lessard et Mme Paquet n’ont pas été crédibles et que, par conséquent, peu ou pas de poids devrait être accordé à leurs témoignages. Je traite des réserves de Rovi à propos des témoignages de ces deux témoins plus loin dans les présents motifs, dans la partie consacrée à la question de la réparation. Quant aux autres témoins ordinaires, je les ai jugés généralement crédibles, car ils ont été francs et ils ont tenté de répondre avec honnêteté et précision aux questions qui leur ont été posées.

V. Les experts techniques

[56] Chaque partie a présenté un expert chargé de donner son avis sur l’interprétation des éléments des revendications invoquées, les titres de compétence, les caractéristiques et les CGC de la personne versée dans l’art, l’état de la technique et les questions de contrefaçon et de validité.

[57] Il va sans dire que le rôle des témoins experts est d’aider la Cour en l’informant et en donnant leur avis sur des sujets qui pourraient dépasser son expérience. M. Balakrishnan et M. Sandoval ont été soumis à un contre‑interrogatoire exhaustif lors de l’instruction, et les parties ont consacré une partie considérable de leurs observations finales à critiquer l’expert de la partie adverse ou à défendre leur propre expert. Comme souvent dans les affaires de contrefaçon de brevet, l’instruction a pris des allures de bataille d’experts techniques. Mon rôle consiste à décider lequel des témoignages divergents des experts doit être retenu, s’il y a lieu.

[58] Au paragraphe 64 de la décision SNF Inc c Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited, 2015 CF 997, le juge Michael Phelan a énoncé quelques facteurs à prendre en considération pour apprécier la crédibilité d’un témoin expert et juger du poids à accorder à son témoignage :

Le témoin était intransigeant, surtout lors de son contre‑interrogatoire. Il évitait de répondre aux questions qui risquaient de faire ressortir les faiblesses de sa théorie et il était bien décidé à réitérer ses vues, chaque fois qu’il le croyait nécessaire, et ce, sans se demander s’il répondait ou non aux questions qui lui étaient posées (notamment en donnant des réponses qui débordaient considérablement le sujet de la question qu’on lui avait posée).

Il insistait sur les aspects favorables à son interprétation et hésitait à répondre à certaines des questions qui lui étaient posées.

Il refusait fréquemment d’admettre un point qui paraissait évident ou logique et, quand il [le] faisait, c’était de façon réticente et de mauvaise grâce.

Il répondait de façon franche, juste et raisonnable à toutes les questions qui lui étaient posées, tant lors de son interrogatoire principal qu’au cours de son contre‑interrogatoire.

En témoignant sur les enseignements de l’art antérieur ou sur le brevet en cause, il modifiait quelquefois son interprétation de manière à parvenir au résultat recherché.

[59] Gardant ces facteurs à l’esprit, j’expose dans la partie ci‑dessous les principales critiques formulées à l’encontre des deux experts techniques ainsi que mes observations générales à propos de leur crédibilité et de la fiabilité de leur témoignage.

(1) M. Balakrishnan

(a) Son expérience pertinente

[60] À l’instruction, Vidéotron a d’abord objecté que M. Balakrishnan n’avait pas l’expertise requise pour donner un avis sur les plateformes de télévision et de téléphonie mobile. Elle a retiré son objection après avoir convenu que la réserve qu’elle avait soulevée se rapportait au poids du témoignage plutôt qu’aux compétences du témoin. Dans ses observations finales, Vidéotron a soulevé une nouvelle objection à propos de l’expertise de M. Balakrishnan. Elle a alors soutenu qu’il n’avait pas d’expérience [traduction] « pratique » avec les décodeurs ni avec les GPI dans la période pertinente. Je rejette cet argument.

[61] Le parcours universitaire de M. Balakrishnan est assez impressionnant. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en informatique en 1993, une maîtrise en 1997 et un doctorat en 2001. Il a étudié et enseigné la programmation informatique et l’interaction humain‑machine pendant plus de 30 ans, et il travaille dans ce domaine depuis 1993.

[62] M. Balakrishnan n’a pas d’expérience concrète des décodeurs ou des GPI autre qu’à un niveau d’abstraction élevé, mais pendant la période pertinente, il a travaillé pour une société de logiciels ayant créé des logiciels pour diverses applications médiatiques, notamment la conception de logiciels de médias pour les décodeurs et les guides de programmation.

[63] Le fait que M. Balakrishnan ne se soit pas rappelé précisément quels étaient les décodeurs ou les fonctions auxquels lui ou son équipe avaient pu avoir accès et dont ils avaient pu faire l’essai dans les années 1990 n’enlève rien à son expertise dans les domaines à propos desquels il a témoigné. Son rôle était de donner son avis sur les brevets en cause, les CGC et l’art antérieur du point de vue de la personne versée dans l’art; ses connaissances personnelles particulières n’ont pas d’importance.

[64] J’estime que les travaux de recherche de M. Balakrishnan ont permis à celui‑ci d’acquérir une compréhension fondamentale de la version des GPI et des décodeurs qui existait au cours de la période pertinente ainsi que des technologies alors disponibles et de leurs limites.

(b) Les lacunes du témoignage

[65] Vidéotron soutient que le témoignage de M. Balakrishnan souffre de nombreuses lacunes, notamment parce que M. Balakrishnan n’a pas lu les documents d’antériorité du point de vue de la personne versée dans l’art et avec un esprit désireux de comprendre, qu’il n’était pas prêt à faire des concessions raisonnables et qu’il a refusé de répondre à des questions qui lui avaient été directement posées.

[66] Comme je l’explique ci‑après, j’ai les mêmes réserves. J’estime que le témoignage de M. Balakrishnan, notamment en ce qui concerne sa conception de l’art antérieur, était moins convaincant, cohérent, objectif et équilibré que ce à quoi il est raisonnable de s’attendre de la part d’un expert indépendant.

[67] Les principes juridiques applicables à l’interprétation des revendications sont clairs. Les revendications d’un brevet doivent être lues avec un esprit désireux de comprendre. La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et téléologique (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 49 [Whirlpool]). Ces principes s’appliquent également à la lecture des documents d’antériorité. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 25 de l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 [Sanofi], la personne versée dans l’art est « censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire ». L’analyse des questions de l’antériorité et de l’évidence doit également s’inscrire dans une démarche d’examen souple, contextuelle et large axée sur les faits. Or, M. Balakrishnan s’est écarté de ces principes à plusieurs reprises. Dans son examen des antériorités, il était plutôt à la recherche de revendications à la teneur précise et il écartait le document lorsqu’il constatait qu’elle n’y était pas. À l’instruction, il a également été réticent à accepter des propositions des avocats de Vidéotron qui allaient de soi ou qui militaient en faveur de la position de Vidéotron. Pour illustrer ce point, je ne donnerai qu’un exemple.

[68] Les revendications invoquées du brevet 061 portent sur l’utilisation d’un appareil distant présentant un guide limité afin de programmer un enregistrement sur un appareil local, chez l’utilisateur. Il y a eu tout d’abord un différend entre les experts sur la question de savoir s’il y avait divulgation de l’accès à distance d’un décodeur connecté à un réseau domestique dans le document DAVIC[1].

[69] Le document DAVIC est une antériorité sur laquelle Vidéotron s’appuie fortement pour contester la validité des brevets 061, 344 et 870. Il est le fruit des travaux du Digital Audio‑Visual Council [le Conseil], un organisme industriel siégeant à Genève. Du milieu à la fin des années 1990, ce Conseil a élaboré des normes visant les applications audiovisuelles numériques, selon des soumissions de fabricants, de fournisseurs de services, d’organismes gouvernementaux et d’intervenants de l’extérieur. Le document DAVIC, publié en 1998, est un long document qui décrit en détail [traduction] « les outils et le comportement dynamique minimal requis par les systèmes audiovisuels numériques pour une interopérabilité de bout en bout entre pays, applications et services ». (Je souligne.)

[70] Le document DAVIC décrit à la section 7.2, sous la rubrique « HOME NETWORK » (RÉSEAU DOMESTIQUE), la capacité d’échanger des données, de manière possiblement directe et simple, entre des périphériques d’un réseau domestique, accompagnée d’une illustration simple (qui a fait l’objet d’une longue discussion pendant l’instruction).

[traduction]

Vu la pénétration prévue des services numériques grand public, un réseau numérique domestique, qui permettra de choisi les services accessibles à partir de plusieurs appareils domestiques, deviendra nécessaire. L’introduction dans les domiciles d’appareils numériques de stockage rendra ce besoin plus pressant. Les réseaux domestiques DAVIC doivent ainsi prendre en charge les fonctions requises pour relier les appareils numériques grand public afin d’échanger des données entre ces appareils de manière simple et directe.

Davic - Home Network

FR

EN

UPI

UPI

Figure 7.2 : Réseau domestique

Figure 7.2: Home Network

[71] À la section 7.3, le document DAVIC présente un tableau des fonctions prévues d’un système complet, y compris la fonction 15.17, encadrée ci‑dessous en vert.

DAVIC 15DAVIC 15

FR

EN

FONCTIONS D’UN RÉSEAU DOMESTIQUE

HOME NETWORK FUNCTIONS

Le réseau doit prendre en charge les notions d’utilisateur, de droits d’accès et de priorité.

The network should support the notion of users, privileges, and priorities.

Le réseau doit prendre en charge un signal d’horloge unique.

The network should support a single wall clock time capability.

Le réseau doit prendre en charge l’accès à distance (c’est‑à‑dire à partir d’un périphérique situé à l’extérieur du domicile).

The network should support remote access (i.e. access from a device outside of the home).

[72] Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan a témoigné qu’il n’a pas lu ici, dans le document DAVIC, une « divulgation expresse » d’un accès à distance à partir d’un décodeur connecté à un réseau domestique. Il a fait l’objet d’un long contre‑interrogatoire sur ce point et c’est dans ce contexte que l’échange suivant a eu lieu :

[traduction]

Q. Ce que je fais, c’est prendre ce que comprend dans le document DAVIC une personne versée dans l’art pour l’appliquer aux revendications du brevet 061. Nous avons ainsi déjà cerné ce qu’une personne versée dans l’art comprend à la lecture du document DAVIC. Ce que je suggère ici, c’est que cette norme décrit un décodeur domestique, et c’est ce que quelqu’un versé dans l’art comprendrait à la lecture de la section du document DAVIC que nous venons de lire.

R. Eh bien, parlons‑nous de la section 15.17 de DAVIC? Ce point précise simplement que le réseau doit prendre en charge l’accès à distance. Il n’y a rien sur un décodeur domestique dans la section que vous citez. Bref, je veux simplement être certain. De quelle section du document DAVIC parlez‑vous?

Q. La section 15.17. N’est‑il pas clair pour vous, à titre de personne versée dans l’art pratiqué à l’époque, que nous parlons de l’accès à distance par un décodeur, celui‑ci étant dans la maison et l’accès se faisant à l’extérieur de la maison? J’ai devant moi la page 11 de la pièce 90, l’ensemble.

R. Je ne pense pas que c’est obligatoirement ce que dit cette phrase. Elle peut aussi vouloir dire que le réseau prendrait en charge l’accès à distance à l’extérieur du domicile. Elle ne veut pas obligatoirement dire l’accès à distance par un décodeur local. Il peut s’agir d’un accès à distance par le réseau, ou par l’équipement de tête de ligne.

Q.Nous parlons ici d’un domicile. Vous le voyez?

R. Oui, je le vois. Cela porte sur l’accès à partir d’un appareil à l’extérieur de la maison. En d’autres termes, le réseau doit prendre en charge l’accès à distance à partir d’un appareil situé à l’extérieur de la maison. Je pourrais donc avoir accès à la tête de ligne de l’extérieur de la maison; c’est là une interprétation raisonnable de ce point. Il ne dit en rien que le réseau devrait prendre en charge l’accès à distance de l’extérieur de la maison vers un GPI situé dans la maison.

Q. Ce que vous dites serait‑il la seule interprétation que quelqu’un pourrait faire en lisant cela? Une personne versée dans l’art penserait seulement, à la lecture de cette phrase, qu’elle porte sur l’accès à un serveur central quelconque, par opposition à l’accès à un décodeur situé dans la maison? Une personne versée dans l’art ne penserait pas du tout à l’accès à un décodeur dans la maison?

R. Je pense que la première chose qui viendrait à l’esprit, c’est l’accès au réseau de l’extérieur de la maison, au même titre que le décodeur local, dans la maison, accède au réseau. Je ne pense donc pas que la deuxième interprétation, qui présuppose une étape supplémentaire d’accès au réseau à distance puis à l’appareil domestique, est juste. Je ne vois pas comment le document DAVIC divulgue cela expressément.

Q. Il n’est pas question ici de divulgation expresse. Ce que je dis, c’est ce qu’une personne versée dans l’art, sachant que le document DAVIC traite de décodeurs et de systèmes de câblodistribution, s’il parle d’un accès à l’extérieur de la maison, ce serait — une des choses qu’une personne versée dans l’art comprendrait immédiatement est que le réseau permet un accès à distance de l’extérieur de la maison à ce qui se trouve à l’intérieur. Niez‑vous qu’une personne versée dans l’art en serait venue à cette conclusion à la lecture de cette phrase?

R. Je ne pense pas que c’est là la conclusion immédiate, telle que vous l’avez formulée, à laquelle on arrive à la lecture de la phrase.

Q. Qu’est‑ce qui serait la deuxième chose qui se passerait dans la minute ou deux qu’un lecteur prendrait pour lire cette phrase?

R.Ce peut être ce qui se passe si d’autres choses sont ajoutées, mais je ne pense pas que de parler d’une minute ou deux soit approprié.

[73] Les experts ont convenu que les décodeurs seraient connus de la personne versée dans l’art. L’exposé du brevet 061 lui‑même précise que les GPI sont généralement mis en œuvre dans un décodeur situé dans le foyer de l’utilisateur. Les experts ont également convenu que la personne versée dans l’art connaîtrait aussi les réseaux domestiques. La connaissance de ces notions de base est d’autant plus vraie pour la personne versée dans l’art provenant du domaine du génie informatique. Que M. Balakrishnan ai insisté à l’instruction sur le fait que le document DAVIC ne dit rien sur les décodeurs domestiques me laisse donc perplexe. Cela est évident en regardant simplement la figure 7.2. Il est aussi étrange qu’il ait soutenu que le document DAVIC ne décrit pas un accès à distance à un réseau domestique, si cette fonction est décrite dans le tableau des fonctions du document DAVIC sous la rubrique HOME NETWORK FUNCTIONS (fonctions d’un réseau domestique).

[74] M. Balakrishnan a cherché à marginaliser les enseignements du document DAVIC parce que celui‑ci ne détaille pas les technologies mises en œuvre à l’époque sur le terrain et qu’il énonce plutôt une « liste de souhaits » des fonctions voulues. Il a aussi décrit le document DAVIC comme étant « obscur ». Je trouve, au contraire, que le document DAVIC a fait à l’époque verser beaucoup d’encre. Il nous donne un aperçu de ce que l’industrie a compris comme étant un ensemble évolutif des fonctions qui seraient éventuellement disponibles sur les plates‑formes de télévision. Les fonctions précises décrites dans le document DAVIC étaient si répandues dans l’industrie qu’il a fallu les normaliser.

[75] Le document DAVIC était un document incontournable pour tous ceux qui s’intéressaient aux applications audiovisuelles numériques, y compris les GPI. Il a été pour moi une ressource utile, objective et probante.

[76] M. Balakrishnan a adopté une attitude tout aussi désobligeante et à courte vue à l’égard des autres antériorités citées par Vidéotron, notamment dans son refus de reconnaître la divulgation implicite d’un décodeur dans le brevet Florin[2] ou d’un GPI dans le document Blake[3], alors lorsqu’une lecture objective des antériorités dans leur ensemble montre une telle divulgation.

[77] J’estime que M. Balakrishnan n’a pas examiné l’art antérieur d’un point de vue neutre. À l’instruction, il a manifesté une tendance marquée à s’accrocher à des points de vue ou à des positions qui pourraient être considérées comme favorables à Vidéotron ou défavorables à Rovi.

[78] Il est important de faire remarquer que les enseignements contenus dans les documents d’antériorité ne concernaient pas des questions périphériques mineures. Ces questions sont au cœur même de la défense de Vidéotron contre l’allégation de contrefaçon et de ses attaques quant à la validité des brevets en cause.

[79] Pour ce qui est du comportement, j’estime que M. Balakrishnan a toujours été respectueux et courtois. Cependant, il s’est parfois montré pointilleux et exigeant au point d’être évasif. Au cours de son contre‑interrogatoire, il a coupé les cheveux en quatre à propos de termes utilisés par les avocats de Vidéotron.

[80] J’ai été particulièrement frappé par sa réponse à une question assez anodine posée par l’avocat. À la question de savoir s’il était d’accord pour dire que Microsoft, Apple et d’autres entreprises, « à titre de sociétés informatiques », s’intéressaient dans les années 1990 au domaine des technologies télévisuelles comme les décodeurs, M. Balakrishnan a ignoré l’essentiel de la question et s’est écarté du sujet.

[traduction]

R Je dirais que je ne suis pas sûr d’être d’accord avec vous pour dire que ce sont des sociétés informatiques en tant que telles. Ce sont de vastes conglomérats, des sociétés technologiques axées sur le calcul sous diverses formes. Apple, Microsoft et autres s’intéressaient certes, à cette époque, à toutes les formes de calcul.

[81] Le contre‑interrogatoire a mis en évidence d’autres faiblesses que présentaient les avis et le témoignage de M. Balakrishnan. M. Balakrishnan a répondu à des questions simples par des protestations dans lesquelles il donnait de nombreux détails superflus. Il a commencé à répondre à bon nombre de questions en disant [traduction] « de manière générale » pour tenter, de façon évidente, de se laisser une marge de manœuvre au cas où les avocats essaieraient de le prendre en défaut sur un point particulier. Il a donné des réponses vagues à de nombreuses questions des avocats de Vidéotron qui n’exigeaient qu’un oui ou un non, tant et si bien que j’ai dû user de fermeté pour qu’il réponde à la question.

(c) La crédibilité et la fiabilité

[82] Bien que j’aie jugé utiles et fiables certaines parties du témoignage de M. Balakrishnan, j’ai considéré ses rapports, ses avis et ses conclusions avec beaucoup de prudence et de scepticisme. Sa conception générale de l’art antérieur était particulièrement troublante et a eu pour seul effet de soulever des questions à propos de la fiabilité de l’ensemble de son témoignage.

(2) M. Sandoval

[83] Rovi soutient que M. Sandoval n’est pas un témoin crédible ou fiable en raison de son manque d’expérience pertinente, de sa sagesse rétrospective, de son incapacité à faire montre d’indépendance en ce qui concerne l’art antérieur et de son interprétation changeante des revendications. Comme je l’explique ci‑après, bien que certains éléments de son témoignage m’aient donné à réfléchir, j’estime que, dans l’ensemble, M. Sandoval a été un témoin franc, crédible et fiable.

(a) L’expérience pertinente

[84] M. Sandoval est un entrepreneur en technologie ayant créé son propre cabinet d’experts‑conseils axé sur les technologies télévisuelles. Il détient un diplôme de premier cycle en anglais et une mineure en informatique de l’Université du Nouveau‑Mexique. M. Sandoval a été ingénieur logiciel de 1985 à 1999. En 2001, l’entreprise CableLabs l’a embauché comme architecte logiciel principal. Parmi ses travaux chez CableLabs, mentionnons le développement de la plate‑forme OCAP, une norme que Vidéotron a adoptée par la suite.

[85] Pendant son contre‑interrogatoire, M. Sandoval a admis en toute candeur qu’il n’avait avant 2001 aucune expérience de la télévision par câble, des appareils mobiles, ni d’expérience dans l’industrie des télécommunications ni des décodeurs ou des GPI. Selon Rovi, la Cour ne devrait accorder que peu de poids à ce témoignage, vu que M. Sandoval n’avait, aux dates pertinentes des brevets en cause, aucune expérience dans le domaine dont relève l’invention.

[86] Bien que ce puisse être le cas, il n’est pas nécessaire qu’un expert ait réellement travaillé dans le domaine dont relève l’invention au cours de la période pertinente pour donner son avis sur la façon dont la personne versée dans l’art interpréterait un brevet et sur les CGC de cette personne. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que la preuve d’expert sur l’état de la technique à un moment donné vienne d’une personne possédant les compétences requises (Halford c Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275 au para 17).

[87] M. Sandoval a consacré l’essentiel de sa carrière professionnelle au génie logiciel et au développement d’applications pour les systèmes audiovisuels intégrés. En outre, il était le seul expert ayant une expérience pratique du développement d’interfaces utilisateur pour les systèmes intégrés pendant la période pertinente. Dans ces circonstances, je juge M. Sandoval amplement qualifié pour parler des décodeurs de télévision, y compris les fonctions de télévision interactive et l’interactivité avec les utilisateurs en cause ici.

(b) La sagesse rétrospective

[88] Rovi soutient que le travail de M. Sandoval chez CableLabs exigeait qu’il pose un regard rétrospectif sur la technologie de base et que, ce faisant, il risquait grandement de juger les inventions visées par les brevets en cause plus simples et plus prévisibles qu’elles ne l’étaient avant que la technologie soit mise au point.

[89] M. Sandoval ne pouvait pas s’appuyer sur les connaissances personnelles qu’il avait acquises à l’époque pour parler l’état des CGC aux dates pertinentes en ce qui a trait aux brevets en cause (en 1998 et 1999). Son point de vue sur les CGC et d’autres questions liées à la présente affaire devait s’appuyer sur d’autres renseignements. Il y a donc lieu d’avoir des réserves au sujet de la fiabilité de ce type de témoignage rétrospectif et de se préoccuper du risque de s’appuyer sur la sagesse rétrospective. Les experts, à l’instar de la Cour, doivent se méfier de la sagesse rétrospective dans tout litige en matière de brevets, car ils sont inévitablement appelés à se prononcer sur une technologie conçue dans le passé, et ce, souvent après une longue période intermédiaire au cours de laquelle le développement technologique s’est sensiblement accéléré.

[90] Mes préoccupations au sujet de la sagesse rétrospective de M. Sandoval ont été quelque peu atténuées par le fait que M. Sandoval s’est penché sur des technologies résidentielles déployées commercialement qui n’ont pas beaucoup changé au cours des quelques dernières années. De plus, M. Sandoval n’est pas parti de rien pour devenir l’architecte logiciel en chef de CableLabs. Entre 1985 et 1999, il a travaillé dans plusieurs sociétés qui ont développé des logiciels pour des applications interactives, notamment une plate‑forme multimédia interactive sur disques laser, et dans l’industrie des jeux, pour 3DO et Electronic Arts. À cette époque, 3DO collaborait avec d’autres entreprises pour créer des systèmes de décodeurs destinés à la diffusion vidéo sur demande. Même si M. Sandoval n’a peut‑être pas fait partie de l’équipe qui travaillait sur ce projet, il connaissait le projet et s’y intéressait.

[91] Je fais également remarquer que M. Sandoval a mené ses recherches pour se familiariser avec des questions qui étaient pertinentes et que devait connaître au moins une partie de l’équipe versée dans l’art en 2001. À son nouveau poste, il devait comprendre l’historique de la technologie. Il a également fondé ses avis sur des renseignements objectifs antérieurs aux dates de priorité des brevets en cause ainsi que sur des questions découlant directement de son expertise principale.

[92] M. Sandoval est un expert dans le développement d’applications sur des appareils intégrés en général. De son point de vue, qu’il s’agisse de présenter le contenu d’un disque multimédia ou d’un syntonisateur de télévision, les défis, les principes de conception et les méthodes de développement des applications sur un appareil intégré sont les mêmes. Il était donc en bonne position, vu sa vaste expérience, pour fournir un témoignage pertinent sur ce que la personne versée dans l’art aurait connu et compris à l’époque pertinente.

[93] Je garde à l’esprit qu’un certain degré de rétrospection pourrait être inévitable. La question qui se pose alors est celle du poids à accorder à ce témoignage, comme l’a succinctement affirmé la juge Karen Sharlow au paragraphe 25 de l’arrêt Apotex Inc c Bayer AG, 2007 CAF 243 :

[25] Cela ne signifie pas que le juge des faits est tenu, en droit, de rejeter une analyse d’expert rétrospective. Après tout, la preuve d’une partie alléguant la non‑validité pour cause d’évidence s’appuie nécessairement dans une certaine mesure sur une analyse rétrospective, puisqu’elle répond à une question hypothétique au sujet d’un moment dans le passé. Cela dit, il est entendu qu’une allégation peut être affaiblie si la preuve n’explique pas, directement ou implicitement, pourquoi l’invention n’a pas été faite par d’autres.

(c) L’indépendance

[94] M. Sandoval reconnaît qu’il s’est appuyé sur des documents d’antériorité fournis par Vidéotron et qu’il n’a pas effectué sa propre recherche d’antériorités. Selon Rovi, M. Sandoval a simplement tenus les documents d’antériorité pour pertinents et, sachant qu’il était dans l’intérêt de Vidéotron qu’il juge les brevets en cause invalides, il a conclu que chacun de ces documents constituerait une antériorité par rapport à un ou plusieurs de ces brevets ou rendraient un ou plusieurs de ces brevets évidents. Cette façon de faire jetterait un doute considérable sur l’indépendance de M. Sandoval. Je ne suis pas de cet avis.

[95] Règle générale, on s’attend à ce que les experts effectuent leurs propres recherches d’antériorités et qu’ils ne se contentent pas de s’appuyer sur les documents fournis par les avocats, tel qu’il est affirmé dans la décision Astrazeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 322 au para 203. Comme l’a expliqué le juge Robert Barnes au paragraphe 231 de cette décision :

Un expert qui effectue une analyse de l’évidence en se fondant principalement ou uniquement sur des références d’antériorité qu’ont choisies les avocats qui retiennent ses services s’expose au risque réel de formuler une opinion formée après coup.

[96] Il reste que le choix des documents d’antériorité est entièrement entre les mains de la partie qui invoque l’évidence (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc, 2017 CAF 225 au para 60). Il n’est aucunement inapproprié qu’une partie oriente l’expert vers des documents d’antériorité pertinents, pour autant que les instructions qui accompagnent ces documents soient neutres et transparentes, et qu’elles ne limitent pas la capacité de l’expert à se préparer à donner son avis. En fait, dans le cadre de la gestion de l’instance, la Cour invite les parties à restreindre le domaine couvert par les antériorités et à se concentrer uniquement sur les documents qui se rapportent aux questions soulevées dans l’instance.

[97] En l’espèce, les parties étaient d’accord pour dire que l’ensemble des documents d’antériorité cités par M. Sandoval était accessible au public à l’époque pertinente. M. Sandoval a confirmé que ces documents d’antériorité se rapportaient aux revendications qu’il devait interpréter. De plus, rien n’indique que M. Sandoval ait omis d’inclure dans ses rapports tout ce qu’il considérait personnellement comme lié à l’avis qu’il exprimait.

[98] Rovi n’a relevé aucun document d’antériorité qui pourrait raisonnablement mener à une conclusion différente et qui n’avait pas été porté à l’attention de M. Sandoval. Dans ces circonstances, je conclus que l’absence de recherches indépendantes a une incidence sur le poids à accorder à ce témoignage, et non pas sur la question de son admissibilité.

(d) Les lacunes du témoignage

(i) Définir la personne versée dans l’art

[99] En premier lieu, la Cour doit définir la personne versée dans l’art. Cette étape est fondamentale pour l’interprétation et la validité des revendications. La personne versée dans l’art est une construction fictive qui représente un travailleur normalement compétent dans le ou les domaines dont relève l’invention et dans la période pertinente. Ce peut être une personne ou une équipe formée de plusieurs personnes dont les connaissances combinées sont pertinentes pour l’invention à l’examen (Pfizer Canada Inc c Pharmascience Inc, 2013 CF 120 au para 28 [Pfizer 2013 CF]).

[100] M. Sandoval a reçu de la part de Vidéotron des instructions claires et conformes à la jurisprudence mentionnée ci‑dessus. Toutefois, lors du contre‑interrogatoire, en réponse à la question de savoir s’il voyait la personne versée dans l’art comme une personne ou comme une équipe, il a affirmé que [traduction] « ce [devait] être une personne ». Il a ajouté qu’une personne du service du marketing pouvait être une personne versée dans l’art relativement aux brevets en cause. Cette mauvaise compréhension aurait intégralement teinté la façon dont M. Sandoval a abordé les CGC, les brevets en cause et l’art antérieur.

[101] M. Sandoval a eu beaucoup de mal à définir la personne versée dans l’art. Son témoignage était parfois contradictoire, voire incohérent.

[102] Néanmoins, j’estime que M. Sandoval était conscient qu’une personne versée dans l’art est une personne « fictive ». Il a expliqué que cette personne [traduction] « aurait pu rencontrer des ingénieurs en logiciels et des développeurs de logiciels, soit au sein de la même société, soit par l’intermédiaire de fournisseurs externes, et travailler avec eux ». Je suis convaincu qu’il a compris que cette personne fictive travaillerait en équipe avec d’autres personnes.

[103] Rovi a tenté d’utiliser à son avantage l’affirmation de M. Sandoval selon laquelle une personne du service du marketing pourrait être une personne versée dans l’art. Toutefois, il s’agit seulement d’une réponse à une question hypothétique qui lui a été posée au cours du contre‑interrogatoire. M. Sandoval a immédiatement ajouté que la personne en question devrait avoir une connaissance technique du domaine suffisante pour être considérée comme une personne versée dans l’art. Rien n’indique que M. Sandoval ait envisagé d’inclure une personne du service du marketing dans l’équipe versée dans l’art.

(ii) L’utilisation d’une mauvaise perspective

[104] Lorsque Vidéotron a engagé M. Sandoval comme expert, elle l’a informé que la personne versée dans l’art n’était pas de nature inventive. En définissant la personne versée dans l’art dans son rapport d’expert sur la validité des brevets en cause, M. Sandoval a indiqué que la personne qui aurait lu ces brevets [traduction] « se serait concentrée sur les nouvelles technologies pour l’industrie du câble plutôt que le simple maintien de l’infrastructure existante ». Au cours de son contre‑interrogatoire, il a peiné à expliquer ce qu’il avait voulu dire en parlant d’une personne versée dans l’art [traduction] « qui se serait concentrée sur les nouvelles technologies », et a ajouté à un moment donné [traduction] « [qu’]une personne peut innover sans être inventive ».

[105] Rovi soutient que M. Sandoval a en fait défini une personne inventive versée dans l’art, ce qui serait contraire à la description de la personne versée dans l’art faite par le juge Rothstein au paragraphe 52 de l’arrêt Sanofi, soit un « technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination ». Je ne suis pas d’accord.

[106] J’ai estimé que M. Sandoval s’efforçait plutôt de résoudre, comme j’ai dû le faire, la question qui doit être posée en ce qui concerne l’évidence. Cela suppose une comparaison entre, d’une part, l’état de la technique et les CGC de la personne versée dans l’art, et, d’autre part, l’idée originale des revendications du brevet (Sanofi, au para 67). S’il n’y a pas de différence entre les deux éléments de la comparaison, les revendications sont évidentes. S’il y a une différence, mais que la personne versée dans l’art peut combler l’écart sans qu’aucune étape inventive soit nécessaire, les revendications sont également évidentes. Autrement dit, une étape pourrait être considérée comme constituant une différence sans nécessairement être inventive.

[107] Bien que, quant à sa personnalité fictive, l’hypothétique personne versée dans l’art ne soit pas réputée inventive, elle est tenue pour raisonnablement diligente lorsqu’il s’agit de suivre les progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet. Comme l’a affirmé le juge Binnie au paragraphe 74 de l’arrêt Whirlpool, les CGC de la personne versée dans l’art « évoluent et augmentent constamment ». Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Sandoval a précisé qu’il était conscient qu’il s’agissait d’un sujet nuancé. À mon avis, il n’était aucunement inapproprié que M. Sandoval affirme que la personne versée dans l’art se tient au courant des nouvelles technologies.

(iii) L’interprétation changeante

[108] Rovi soutient que le témoignage de M. Sandoval à propos de l’interprétation des revendications doit être considéré avec beaucoup de circonspection, car M. Sandoval a fait preuve d’une totale incompréhension à cet égard et a par conséquent changé son interprétation après avoir vu le système illico. Vidéotron soutient que l’interprétation de M. Sandoval était cohérente.

[109] Les parties conviennent que l’interprétation des revendications est une question de droit objective relative à la façon dont une personne versée dans l’art comprendrait ce qu’a voulu dire l’auteur (l’inventeur). Cette démarche n’est pas axée sur les résultats, et il faut l’entreprendre sans tenir compte de la question de la contrefaçon ou de la validité (Whirlpool, au para 49a)).

[110] Lors de son contre‑interrogatoire, à la question de savoir s’il comprenait qu’il ne devait pas changer son interprétation en fonction de la question de la validité ou de la contrefaçon, M. Sandoval a répondu : [TRADUCTION] « Je ne suis pas sûr de bien comprendre. » Cette réponse est pour le moins surprenante, car les instructions juridiques que M. Sandoval avait reçues sur ce point étaient claires.

[111] Rovi donne l’exemple suivant de ce qu’elle juge être une interprétation changeante de M. Sandoval. Dans son rapport sur la validité, M. Sandoval a donné son interprétation de la revendication 79 du brevet 629, notamment le [traduction] « Moyen de permettre à un utilisateur de choisir des données dans une liste de répertoire ». Il a précisé :

[traduction]

« …cela fait également partie de l’affichage de liste des répertoires. Bien que seule l’idée abstraite de aux dates pertinentes des brevets en cause possibilité soit énoncée dans la revendication, la personne versée dans l’art penserait probablement à des éléments interactifs précis d’une interface utilisateur qui permettent à un utilisateur de choisir parmi les rubriques d’un répertoire. L’utilisateur pourrait par exemple faire ce choix à l’aide de touches directionnelles sur une télécommande… »

[112] M. Balakrishnan a terminé son rapport d’expert sur la contrefaçon le jour où M. Sandoval a signé son rapport sur la validité. M. Balakrishnan a fondé son opinion, selon laquelle le service illico de Vidéotron entre dans le champ d’application des revendications du brevet 629, sur les essais qu’il a effectués. Il a fait valoir que [traduction] « le guide de programmes illico affiche la ‘liste des programmes enregistrés’ (informations du répertoire) sur l’écran de liste du répertoire sous forme d’un tableau (moyens d’indiquer les informations des rubriques d’un répertoire) où chaque ligne correspond à un programme enregistré différent ». (Je souligne.) Une saisie d’écran de ce tableau, encadrée en rouge par M. Balakrishnan, est reproduite ci‑dessous.

Appendix 1 629 Patent Balakrishnan Infringement Report

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PVR

Le jeudi 17 oct. – 14 h 25

Thurs. Oct, 17 – 2:25 pm

Tri : par date d’enregistrement

Sorted: by data recorded

Liste des programmes enregistrés

List of Recorded Programs

17 oct.

Oct. 17

Min.

Min

Sec.

Sec

Espace libre

Free Space

Émissions‑débats

Talk Shows

La famille Chrisley est devenue célèbre par l’émission Chrisley Knows Best. Todd et son épouse, Julie Chrisley, ont été inculpés de fraude fiscale et d’autres crimes financiers.

The Chrisley family rose to fame on the hit USA show Chrisley Knows Best. Todd and his wife, Julie Chrisley, were indicted on charges of tax evasion and other financial crimes.

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[113] Voici ce que M. Sandoval a écrit dans son rapport sur la contrefaçon.

[traduction]

La revendication 79 comprend aussi le point suivant : « Moyen de permettre à un utilisateur de choisir des données dans une liste de répertoire » ‑ M. Balakrishnan n’indique aucune interface utilisateur précise correspondant à ce « moyen » ni ne donne un sens à ce terme, mais il explique qu’un utilisateur peut à l’aide des boutons haut et bas de la télécommande mettre en surbrillance d’autres éléments de la liste que celui en surbrillance. À mon avis, il faut plus que simplement déplacer le surlignage vers le haut ou le bas pour correspondre à cet élément de la revendication, car elle exige qu’un utilisateur « choisisse » un élément, pas simplement qu’il y arrive par manipulations successives. Par exemple, le brevet 629 mentionne que « si l’interface utilisateur 46 est une télécommande, telle que la télécommande 40 de la FIG. 2, cela peut se faire en déplaçant la zone de surbrillance 95 sur la rubrique voulue à l’aide des touches « haut » et « bas », puis en la choisissant ou en en choisissant la rubrique « info » affichée »10…(C’est lui qui souligne.)

[114] À l’instruction, M. Sandoval a été interrogé au sujet de l’apparence de changement dans son interprétation de l’élément litigieux.

[traduction]

Q. Dans votre interprétation, vous avez affirmé que la sélection pouvait être celle que l’utilisateur peut faire à l’aide de touches de curseur comme sur une télécommande. Vous n’avez pas ajouté d’autres restrictions à votre interprétation à ce moment‑là?

R. En effet. Ce n’était peut‑être pas formulé aussi clairement que ce pouvait l’être. Le mot « sélection » pouvait probablement désigner la cible à sélectionner. Mais vous avez raison, les mots disent ce qu’ils disent.

Q. Et c’est l’interprétation à laquelle vous étiez parvenu avant de passer à l’analyse de la contrefaçon, n’est‑ce pas?

R. Oui, bien sûr. Ce sont ces mots qui ont été écrits en premier.

[115] Rovi soutient que M. Sandoval a changé son interprétation à ce sujet, ainsi que sur plusieurs autres points dans son analyse des brevets en cause, de façon à ce qu’elle serve les fins de Vidéotron. Je ne suis pas d’accord. Dans ce cas particulier, M. Sandoval a expliqué pourquoi l’interprétation de l’élément litigieux dans son rapport sur la validité exigeait des précisions.

[traduction]

R. Comme nous l’avons vu ces derniers jours, quand on examine ces mots en apparence anodins, on commence à voir qu’ils sont beaucoup plus nuancés. L’esprit humain étant ce qu’il est, si j’étais revenu au 419 le lendemain, je me serais peut‑être dit : Frank, est‑ce que « sélection » est vraiment le bon mot, est‑ce que c’est vraiment ce qui se passe? Je suis donc peut‑être coupable d’avoir modifié ma position à la lumière de nouveaux renseignements ou peut‑être d’avoir vraiment apprécié la nuance qui se cache derrière ce comportement.

[116] Ce n’est qu’en examinant le rapport de M. Balakrishnan sur la contrefaçon que M. Sandoval s’est rendu compte que sa description du concept de sélection dans son interprétation initiale était peut‑être insuffisante et qu’elle devait être précisée. Bien que ce changement puisse remettre en question la fiabilité de son témoignage sur ce point, je ne relève aucune incohérence dans son interprétation de ce terme.

[117] J’ajouterais que l’on ne peut reprocher à un expert de changer d’avis à la lumière du point de vue contraire d’un autre expert ou d’arguments nouveaux ou nuancés qui ne pouvaient pas être prévus, pour autant que ce soit fait de manière transparente. Sinon, comme l’a élégamment affirmé M. Sandoval :

[traduction]

[...] s’il n’est pas permis de revenir sur un point une fois qu’il est mieux compris et qu’il est possible d’y réfléchir plus longuement, nous devons nous en tenir à ce qui a été écrit.

[118] La Cour ne serait pas bien servie par un expert qui n’est pas prêt à reconnaître des faiblesses dans son témoignage ou qui s’en tient obstinément à sa position et qui refuse d’admettre la possibilité qu’un point de vue opposé soit raisonnablement étayé. J’ajouterais qu’un changement d’avis sur l’interprétation ne rend pas nécessairement un témoignage douteux. Dans de rares cas, plutôt que d’en affaiblir la fiabilité, un tel changement peut même la renforcer.

[119] Je suis convaincu que, si l’avis de M. Sandoval a changé sur certains points, les changements sont davantage le fruit de sa volonté d’aider la Cour qu’une tentative de dissimulation. Après tout, le rôle de l’expert technique est d’aider la Cour et de présenter de façon objective et cohérente les éléments techniques avec lesquels la Cour doit composer.

(e) L’absence de méthode

[120] Rovi reproche à M. Sandoval de ne pas avoir analysé la question de l’antériorité et celle de l’évidence au cas par cas, c.‑à‑d. une revendication à la fois. Comme M. Sandoval n’a pas effectué une analyse rigoureuse, il est parfois difficile de cerner les facteurs qu’il a pris en compte pour parvenir à ses conclusions. La brièveté de ses analyses a certainement une incidence sur le poids à accorder à son témoignage.

(f) La crédibilité et la fiabilité

[121] Je juge que M. Sandoval a été un bon témoin. Il a reconnu avec humilité que certains éléments de son témoignage posaient problème. Lorsque des erreurs ou des incohérences dans son témoignage lui ont été signalées, il a volontiers admis qu’il avait pu se tromper. Ce témoin très transparent a livré son témoignage d’une manière à mon avis objective et équilibrée. Son témoignage simple et franc a été à la fois utile et apprécié.

[122] M. Sandoval n’a peut‑être pas été un témoin parfait, mais un témoin n’a pas à être parfait, et il serait irréaliste de l’exiger. J’estime qu’il était un témoin bien informé, objectif et crédible et qu’il a fait de son mieux pour aider la Cour. Bien que je ne retienne pas l’intégralité de son témoignage, j’ai eu tendance à privilégier ses avis et ses conclusions plutôt que ceux de M. Balakrishnan lorsqu’ils s’opposaient.

[123] Au paragraphe 48 de la décision Shire Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CF 382, le juge George Locke, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a affirmé ce qui suit : « Au final, je demeure convaincu que je suis principalement intéressé par la substance de l’opinion d’un expert et par le raisonnement qui a mené à cette opinion. » Malgré les lacunes dans les témoignages des deux experts, j’ai pu parvenir à mes propres conclusions à propos de la validité et de la contrefaçon des brevets en cause.

VI. La personne versée dans l’art

[124] Dans une action en contrefaçon de brevet, la première étape consiste à interpréter les revendications en litige. Le brevet doit être interprété « du point de vue et à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait » : Whirlpool, au para 53.

[125] La personne versée dans l’art a été définie au paragraphe 44 de l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], comme étant :

[…] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

[126] Comme je l’indique plus haut, la personne versée dans l’art n’est ni imaginative ni inventive, mais elle a un degré de compétence et de connaissance normal dans le domaine auquel le brevet a trait, et elle est raisonnablement diligente lorsqu’il s’agit de suivre les progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet.

[127] La personne versée dans l’art possède des connaissances de base et une expérience considérables et peut faire des déductions fondées sur les renseignements disponibles (Valeant Canada LP/Valeant Canada SEC c Generic Partners Canada Inc, 2019 CF 253 au para 44).

[128] Étant donné l’objet commun des brevets en cause, M. Balakrishnan et M. Sandoval reconnaissent que la personne versée dans l’art à qui s’adressent ces brevets est la même pour les quatre brevets. Ils s’entendent aussi sur les compétences techniques de cette personne versée dans l’art :

[traduction]

Les brevets s’adressent aux ingénieurs électriciens et aux informaticiens travaillant sur la diffusion de contenus électroniques, les guides de programmes électroniques, le traitement de signaux télévisuels, les interfaces utilisateur graphiques, les systèmes de télévision par câble ou satellite et la distribution de contenus, les décodeurs et les systèmes multimédias. La personne versée dans l’art aurait au moins quelques années d’expérience professionnelle.

[129] Par contre, à propos de l’exigence d’un diplôme officiel, les experts sont en désaccord. M. Balakrishnan soutient que la personne versée dans l’art posséderait un diplôme de premier cycle en informatique, en génie électrique, en génie informatique ou en mathématiques appliquées ainsi que deux années ou plus d’expérience dans quelques‑uns ou dans l’ensemble de ces domaines. Selon M. Balakrishnan, un diplôme d’études techniques procure les connaissances fondamentales qui permettent de comprendre les technologies pertinentes, des connaissances qui ne s’acquièrent pas facilement dans l’industrie. M. Sandoval estime quant à lui qu’il n’est pas nécessaire que la personne versée dans l’art possède un diplôme officiel, mais qu’on s’attend plutôt à ce qu’elle en possède un, et qu’à défaut d’un diplôme officiel, l’expérience dans l’industrie pourrait suffire.

[130] Aucune distinction entre les détails des deux définitions proposées n’est substantielle ni déterminante. Cependant, puisque je dois en choisir une des deux, je privilégie la définition de M. Sandoval à celle de M. Balakrishnan pour les motifs suivants.

[131] Premièrement, M. Balaskrishan soutient que la personne versée dans l’art devrait posséder un baccalauréat dans l’un quelconque de quatre différents domaines. Toutefois, il n’a pas précisé quelles connaissances transcendent ces domaines en particulier et constitueraient le bagage technique dont a besoin la personne versée dans l’art.

[132] Deuxièmement, aucun problème n’a été relevé lorsque M. Balakrishnan a jugé que les titres de compétence officiels de la personne versée dans l’art étaient directement pertinents, sauf une simple affirmation selon laquelle [traduction] « il s’agit de comprendre le contexte de chaque brevet et d’en déduire ce qui est possible ou impossible ». Non sans ironie, M. Balakrishnan s’appuie sur une personne versée dans l’art qui, dans son analyse de l’évidence, ne juge pas applicables les techniques de programmation à l’évolution du matériel des décodeurs.

[traduction]

R. Je veux dire qu’une personne versée dans l’art dont relèvent ces brevets, personne dont j’ai précisé le niveau de compétence, ne connaîtrait pas nécessairement le niveau des technologies de pointe que quelqu’un comme moi aurait connu à cette époque. Et même si cette personne le connaissait, elle n’aurait pas nécessairement appliqué ces technologies aux décodeurs, comme je l’ai décrit dans mon rapport, parce qu’elle comprendrait que les restrictions inhérentes à ces décodeurs n’en permettaient pas l’application directe sans modifications importantes.

[133] Troisièmement, M. Balakrishnan a témoigné qu’une mineure dans l’un des domaines mentionnés précédemment ne procurait pas un bagage technique fondamental suffisant à la personne versée dans l’art. Il s’ensuit qu’il pourrait y avoir d’autres moyens d’obtenir ce bagage. À mon avis, les connaissances générales et les compétences nécessaires pour comprendre la technologie en cause dans la présente affaire pourraient être acquises par l’intermédiaire de l’expérience pratique plutôt que des études.

[134] Je pense donc que la personne versée dans l’art serait ici une équipe d’ingénieurs en électricité et d’informaticiens connaissant bien le contexte technologique général de l’époque [la personne versée dans l’art]. Ses connaissances engloberaient l’expérience et les renseignements sur les systèmes numériques, les processeurs, les ordinateurs, les systèmes de stockage, les réseaux informatiques et Internet. La personne versée dans l’art aurait quelques années d’expérience dans le domaine si bien qu’elle aurait acquis l’ensemble des compétences et des connaissances décrites au paragraphe 128 ci‑dessus. Bien qu’il ne soit pas nécessaire qu’elle ait un diplôme de premier cycle, on s’attendrait à ce qu’elle possède un tel diplôme, en informatique, en communications ou en génie électrique.

[135] Je suis également d’accord avec M. Sandoval pour dire que la personne versée dans l’art se serait également concentrée sur les nouvelles technologies destinées à l’industrie de la câblodistribution qui se trouvent sur le marché. La personne versée dans l’art n’est pas un nullard, mais plutôt un travailleur compétent qui lit les publications pertinentes dans le domaine.

VII. L’état de la technique et les connaissances générales courantes

[136] La deuxième question que la Cour doit trancher est celle de la définition des CGC de la personne versée dans l’art. Comme je l’indique plus haut, les CGC s’entendent des connaissances que possède généralement la personne versée dans l’art en cause au moment considéré. Ces connaissances évoluent et augmentent constamment (Sanofi, au para 37; Whirlpool, au para 74).

[137] La notion des CGC permet de distinguer l’ensemble des renseignements largement reconnus de ceux qui sont simplement accessibles au public. Les divulgations individuelles peuvent devenir des CGC, mais seulement lorsqu’elles sont généralement connues et considérées comme un bon fondement pour continuer (Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2009 CF 991 au para 97).

[138] Les parties sont d’accord à propos des dates de publication des documents d’antériorité cités par Vidéotron et aucune d’elles n’avance que les documents d’antériorité seraient difficiles à trouver ou qu’ils n’auraient pas constitué l’état de la technique.

[139] Les parties sont également en grande partie d’accord à propos des CGC. Comme les dates de priorité des brevets en cause sont concentrées dans une courte période, le chevauchement a été considérable. S’il existe une différence dans les CGC ou dans l’art antérieur entre les dates de priorité et les dates de dépôt de l’un ou l’autre des brevets en cause, elle sera mise en évidence au moment opportun.

[140] Sur la base de la preuve, je conclus que les CGC de la personne versée dans l’art engloberaient les concepts et compétences clés suivants, lesquels découlent des technologies qui existaient entre le milieu et la fin des années 1990 :

  • a)Technologies de télédiffusion analogique et numérique vers des décodeurs domestiques.

  • b)Technologies informatiques comme les ordinateurs personnels, Windows 95 et Internet.

  • c)Technologie des décodeurs de l’époque, y compris logiciels et applications exécutées sur ceux‑ci : guides interactifs et d’autres fonctions interactives, y compris télévision à la carte et vidéo sur demande.

  • d)Conception et création de logiciels pour décodeurs, directement ou par impartition à des entrepreneurs ou des fabricants.

  • e)Réseautage d’ordinateurs et d’autres appareils électroniques, car à cette époque, l’utilisation de tels réseaux se répandait.

[141] J’estime aussi que les notions générales suivantes auraient été bien connues de la personne versée dans l’art :

  • GPI;

  • systèmes satellites.

· périphériques réseau et réseaux d’accès à distance;

· enregistrement numérique d’émissions sur des disques durs et des décodeurs;

· convergence des technologies;

· réseaux domestiques et informatiques en général;

· loi de Moore;

· systèmes de tête de ligne ou de diffusion;

· systèmes de télédiffusion;

· transition des systèmes de câblodistribution analogiques aux systèmes numériques;

[142] Ce qui suit est largement tiré du rapport de M. Sandoval sur la validité, lequel résume assez bien l’état de la technique et les CGC. J’y ajoute mes conclusions à propos de certaines questions sur lesquelles il n’y a pas eu consensus.

(1) La situation dans l’industrie à la fin des années 1990

(a) Les technologies de diffusion de la télévision

[143] Au cours des décennies précédentes, les émissions étaient en général diffusées par ondes hertziennes analogiques que captaient les antennes des téléviseurs dans les foyers des téléspectateurs.

[144] Puis, le développement de la câblodistribution a créé une autre façon de diffuser les émissions de télévision aux consommateurs.

[145] À la fin des années 1990, on a aussi mis sur le marché, au Canada et aux États‑Unis, des systèmes de diffusion de télévision par satellite. Ces systèmes relayaient par moyens numériques les signaux télévisuels d’une station de base à l’équipement numérique installé au domicile des abonnés.

[146] À cette même époque, l’industrie de la câblodistribution était en transition, en Amérique du Nord aussi. La plupart des câblodistributeurs faisaient alors l’essai de la distribution numérique, ou planifiaient d’y passer.

[147] Or, presque toute l’infrastructure de câblage alors existante était fondée sur des technologies analogiques.

(b) Systèmes de câblodistribution analogique

[148] Dans la câblodistribution analogique, le distributeur obtenait puis envoyait simultanément par câble un certain nombre de canaux de télévision analogiques sur des fréquences préétablies vers les foyers des abonnés. Ces signaux étaient envoyés par des systèmes de câbles à partir de l’équipement de « tête de ligne » situé dans les installations des câblodistributeurs. Cet équipement de tête de ligne transmettait le contenu sur le réseau du câblodistributeur aux décodeurs des domiciles de ses abonnés. Il intégrait des systèmes permettant de transmettre le contenu sur le réseau câblé dans un format que les décodeurs pouvaient décoder.

[149] Les signaux analogiques des diverses chaînes de télévision étaient habituellement transmis sur des câbles coaxiaux vers les domiciles des abonnés.

[150] En général, le câble aboutissait à un décodeur dans le domicile de l’abonné, à proximité d’une télévision. Les décodeurs étaient des appareils électroniques grand public. Dans les années 1990, ils étaient habituellement distribués par les câblodistributeurs à leurs abonnés, mais, le plus souvent, ils étaient loués ou inclus avec l’abonnement. À la fin des années 1990, les systèmes de télédiffusion par satellite utilisaient aussi de tels décodeurs. Ces décodeurs étaient habituellement fabriqués par l’un des nombreux fabricants d’équipement, puis distribués par les câblodistributeurs à leurs abonnés.

[151] La fonction principale des décodeurs était de « syntoniser » le canal choisi par l’abonné. Le câblodistributeur fournissait par câble tous les canaux au décodeur de l’abonné et, à l’aide d’un dispositif de commande (le plus souvent dans les années 1990, une télécommande à main sans fil), l’abonné pouvait choisir le canal voulu, que le décodeur affichait. À toutes fins utiles, le décodeur choisissait parmi les nombreux signaux diffusés sur le câble celui à transmettre au téléviseur. Le décodeur pouvait aussi intégrer d’autres fonctions au‑delà de la simple sélection du signal voulu, notamment le décodage de canaux spécialisés ou à supplément disponibles moyennant un supplément préétabli.

[152] En règle générale, les systèmes de câblodistribution analogiques étaient bien connus dans les années 1990, car ils étaient en service depuis les débuts de la télévision pour les systèmes de diffusion, puis depuis les débuts de la période de câblodistribution. Les abonnés branchaient souvent un magnétoscope à la sortie du décodeur pour enregistrer une émission puis la regarder en différé.

(c) Systèmes de câblodistribution numérique

[153] Aux États‑Unis, l’adoption de la Telecommunications Act of 1996 a donné aux télédiffuseurs le mandat de passer à la diffusion numérique. Les câblodistributeurs envisageaient alors comment passer à des systèmes numériques, et étudiaient les façons d’en exploiter leurs autres possibilités : plus de fonctions pour les abonnés et plus d’options pour l’appareil utilisateur. À cette époque, l’industrie consacrait beaucoup d’efforts pour répondre à la demande prévue.

[154] La personne versée dans l’autre et les autres intervenants de l’industrie savaient qu’avec Internet et les navigateurs Web graphiques, la diffusion de contenu audiovisuel en ligne deviendrait courante dès que la bande passante et le matériel pourraient la prendre en charge.

[155] Dans les années 1990, le coût des appareils informatiques, comme les microprocesseurs et le stockage numérique, baissait rapidement. Cette diminution était prévue par la loi de Moore, selon laquelle la puissance des processeurs et la capacité de la mémoire s’accroîtraient avec le temps, à coût égal mais de plus en plus petit.

[156] L’industrie a alors compris que les systèmes numériques remplaceraient les systèmes analogiques, et qu’il fallait donc améliorer le matériel.

[157] L’innovation dans les services de télédiffusion numérique était à cette époque à la traîne par rapport à d’autres industries. Cependant, au fil de l’augmentation de la capacité de stockage et de la puissance de traitement des décodeurs et de la baisse des coûts connexes, on a pu rehausser les fonctions des guides de programmes pour permettre aux téléspectateurs d’interagir avec le contenu affiché.

[158] Dans les années 1990, les réseaux de câblodistribution ont été mis à niveau pour qu’ils puissent prendre en charge davantage de services numériques. Entre autres innovations, mentionnons les réseaux de câble hybride fibre optique‑coaxial (HFC), où on intègre des fibres optiques à un câble coaxial pour transmettre des données numériques d’un site centralisé vers des installations de quartier (les têtes de ligne), qui les convertissent pour les transmettre sur un réseau coaxial traditionnel surtout analogique. Ces nouveaux réseaux HFC ont rendu possibles tant la transmission de signaux numériques que la communication bidirectionnelle entre décodeur et tête de ligne, ce qui a permis d’établir des services comme la vidéo sur demande (VSD).

[159] Ces systèmes numériques ont permis aussi l’intégration des données du guide de programme aux paquets de données numériques de télévision par câble et leur extraction par le logiciel de guide de programme pour les présenter au téléspectateur.

[160] Le mode de transmission de ces données aux téléviseurs des abonnés a vite changé au début et au milieu des années 1990. L’évolution des technologies, du fonctionnement analogique au numérique, a permis de rendre les GPE interactifs : les abonnés pouvaient alors interagir avec le contenu affiché.

[161] Au milieu des années 1990, la câblodistribution était entièrement numérique dans certains marchés. Même là où la technologie n’était pas réellement utilisée, l’industrie a compris que les systèmes numériques allaient remplacer la câblodistribution analogique.

[162] L’industrie du câble avait alors élaboré une norme visant la transmission d’Internet sur câble : la spécification d’interface de service de câble de données DOCSIS de CableLabs, publiée en 1997. Cette norme a permis le déploiement de services d’accès à Internet sur les réseaux de câblodistribution.

(d) Systèmes satellites

[163] À cette époque, les systèmes de distribution de télévision par satellite étaient aussi connus et exploités. Dans ces systèmes, le contenu numérique codé et compressé était transmis d’un satellite aux antennes paraboliques installées sur les domiciles des abonnés. Un décodeur, au domicile aussi, décodait et décompressait ce contenu et convertissait les signaux numériques dans le format voulu pour le présenter sur un téléviseur.

[164] Tant les systèmes de télévision par satellite que les DVD stockaient les « émissions » de télévision en format numérique. Comme le contenu audio‑vidéo est extrêmement gourmand en données, il importait d’autant de compresser ces données dans un format préétabli. Dans les années 1990, plusieurs formats étaient possibles. Les DVD utilisaient le format MPEG, qui gagnait aussi en popularité dans d’autres systèmes, notamment la télédiffusion numérique.

(e) Ordinateurs personnels

[165] Au cours des années 1990, les ordinateurs personnels, pour entreprises et particuliers, devenaient de plus en plus abordables et donc courants. Le nombre d’utilisateurs d’Internet et de l’« autoroute de l’information » a alors augmenté exponentiellement.

[166] Les premières versions de Microsoft Windows, comme Windows 95, mises en marché au milieu des années 1990, intégraient le navigateur Web Microsoft Internet Explorer. Comme le coût des microprocesseurs, de la mémoire (comme la mémoire vive), et des disques durs, tous des composants vitaux d’un ordinateur, était à la baisse à cette époque, leur utilisation s’est répandue. La personne versée dans l’art aurait utilisé un ordinateur depuis de nombreuses années dans le cadre de son travail quotidien.

[167] Avec l’utilisation d’ordinateurs personnels à la maison, à l’école et au travail, les notions de gestion de base des données, sous forme de fichiers et de dossiers, devenaient aussi de plus en plus répandues. La gestion personnelle du stockage et la récupération des données devenaient ainsi de plus en plus courantes; vu les magnétoscopes, Internet et la VSD, la notion de stockage et de lecture de contenu multimédia sur une gamme de systèmes informatiques aurait été connue de la personne versée dans l’art.

(2) Décodeurs

[168] Les câblodistributeurs confiaient généralement à leurs fournisseurs le développement de décodeurs compatibles avec leur infrastructure. En règle générale, le fournisseur responsable du système de chiffrement de contenu sur le réseau fournissait aussi le système de déchiffrement correspondant du décodeur.

[169] Comme les décodeurs étaient distribués par les câblodistributeurs à leurs abonnés, les incitatifs visant à réduire au minimum le coût de chacun étaient importants. Il fallait évaluer soigneusement les avantages de toute nouvelle fonction, et particulièrement de tout nouveau matériel, et les coûts additionnels non négligeables que cela imposerait à l’exploitant et à ses abonnés.

[170] En 1996, la plate‑forme Open Cable a été développée pour l’industrie dans le but d’améliorer l’interopérabilité entre les fournisseurs de décodeurs. Cette plate‑forme visait à rendre les décodeurs plus accessibles au détail pour créer un marché plus compétitif et ainsi favoriser l’intégration de fonctions additionnelles aux décodeurs sans en augmenter indûment le coût. Avec cette norme, l’équipement de tête de ligne pourrait fonctionner avec les décodeurs de plusieurs fournisseurs sans trop d’adaptations, ce qui atténuait la dépendance envers les fournisseurs et les coûts connexes.

[171] En parallèle, la norme DVB‑MHP était en cours d’élaboration : elle visait à créer une interface de programmation (API) universelle pour les décodeurs.

[172] Sans ces normes, un abonné ne pouvait pas utiliser le décodeur d’un câblodistributeur sur le système d’un autre, ni acheter un décodeur au détail et s’attendre à ce qu’il fonctionne avec son câblodistributeur, car chacun aurait généralement le monopole de la câblodistribution dans une région donnée, soit par licence, soit parce qu’elle était la seule entreprise à avoir installé le câblage voulu. Un abonné mécontent des fonctions ou des services d’un câblodistributeur ne pouvait pas passer facilement à un autre, sauf en faisant appel à une entreprise diffusant les émissions par un autre moyen, comme un satellite, ou, uniquement au cours des dernières années, par les lignes téléphoniques.

(3) L’interface utilisateur

[173] Les guides à défilement automatique ont été remplacés par des GPI au milieu des années 1990, quand les nouvelles fonctions intégrées aux décodeurs, notamment une mémoire et une puissance de traitement suffisantes, sont devenues assez abordables.

[174] Dans un article publié en 1994, « Electronic Program Guide Application – The Basic of System Design », M. Thomas (l’inventeur désigné de trois des brevets) a décrit les fondements d’un GPE. L’article expose l’état de la technologie des GPI à cette époque. L’auteur souligne qu’au cours du développement des premiers systèmes, on a donné beaucoup d’attention à l’interface utilisateur.

[175] En 1998, les systèmes de guides de programmes, y compris ceux permettant à un téléspectateur d’enregistrer des programmes, étaient bien connus dans le domaine. À ce stade, les GPI étaient devenus aussi omniprésents que les télécommandes, l’outil de choix des consommateurs pour gérer le confluent de la télévision, d’Internet, de la téléphonie et de tous les autres services interactifs fournis par câble et satellite.

[176] Les données des guides pouvaient être transmises ou téléchargées; ces données comprenaient la liste des canaux disponibles, les émissions qui y seraient diffusées, et à quelle heure. Ces données étaient stockées dans la mémoire interne du décodeur et pouvaient servir à générer une interface utilisateur que l’utilisateur pouvait interroger. Le décodeur affichait ce contenu sur le téléviseur sur demande. Le guide permettait à l’utilisateur de naviguer par canal ou par heure et de syntoniser directement le canal choisi.

[177] Certains systèmes n’affichaient que la programmation en direct; dans certains cas, l’utilisateur pouvait s’informer sur le contenu d’autres sources comme la télévision à la carte.

[178] Certains systèmes permettaient à l’utilisateur de choisir un programme prévu, et le décodeur déclenchait automatiquement l’enregistrement de ce programme en temps opportun, en activant un magnétoscope, par exemple. L’utilisateur choisissait un programme prévu à partir du guide et, le moment venu, le décodeur déclenchait la fonction d’enregistrement du magnétoscope, réglé au canal choisi.

[179] Les restrictions à l’utilisation entraînées par les seuls boutons haut, bas, gauche et droite pour consulter le contenu ont mené à de nombreuses options de navigation et de saisie du contenu. On a utilisé des variantes comme la navigation par genre ou par catégorie. Sur certains appareils, l’utilisateur pouvait saisir du texte à l’aide d’alphabets affichés à l’écran ou à l’aide des touches haut et bas. Les lettres déjà entrées s’affichaient pendant que l’utilisateur choisissait le caractère suivant. Les consoles de jeux intégraient depuis les années 1980 des interfaces semblables pour la saisie de texte comme le nom des personnages.

(4) Systèmes de tête de ligne ou de diffusion

[180] Pour le contenu préenregistré, l’équipement de tête de ligne pouvait communiquer avec un référentiel de contenu audiovisuel qu’il pouvait copier pour le transmettre aux décodeurs. À la fin des années 1990, ce contenu préenregistré était stocké en format numérique. Comme l’équipement de tête de ligne desservait des milliers d’abonnés sinon plus, le choix de technologies coûteuses pour celui‑ci était le plus souvent rentable, même si les décodeurs restaient analogiques. Pour le contenu en direct, l’équipement de tête de ligne pouvait recevoir la transmission d’un studio, d’un satellite ou d’une liaison par ondes radio.

[181] Tel que mis en œuvre concrètement, le système de câblodistribution intègre habituellement une infrastructure multiniveau : un ou plusieurs gros centres et des centres régionaux desservant de petits ensembles d’abonnés. Selon l’installation, les systèmes de distribution de contenu peuvent se trouver dans une installation centrale ou dans des centres régionaux.

[182] À cette époque, les câblodistributeurs proposaient aussi des services comme la vidéo sur demande, disponible moyennant un supplément. Ce type de système servait notamment aux émissions comme les sports télévisés spécialisés. Comme uniquement certains téléspectateurs pouvaient regarder ce contenu, les décodeurs étaient activés ou déverrouillés individuellement pour le présenter. Dans certains systèmes, l’utilisateur devait appeler un centre d’appels pour l’entente de paiement; d’autres permettaient de faire la commande à partir du téléviseur, par le décodeur. Pour signaler une demande de contenu à la carte, ces derniers systèmes intégraient donc des communications bidirectionnelles entre décodeur et systèmes de tête de ligne. Les guides de programme du câblodistributeur présentés par le décodeur indiquaient souvent le contenu à la carte disponible, afin d’inciter les abonnés à le commander.

[183] Un autre service proposé, la vidéo sur demande (VSD), dépendait de fonctions supplémentaires dans l’équipement de tête de ligne. Comme son nom l’indique, le contenu audiovisuel était accessible à la demande de l’abonné ou de l’utilisateur. Un système disposant d’une copie du contenu proposé le transmettait sur demande à un décodeur pour le présenter à l’abonné. Cela impliquait aussi des communications entre le décodeur et le serveur, pour lui signaler la demande de lecture du contenu.

[184] Ces systèmes intégraient des vidéothèques imposantes pour stocker les copies du contenu; elles se trouvaient le plus souvent en tête de ligne. Avec le contenu sur demande, chaque abonné pouvait le regarder quand il le voulait, et utiliser des commandes semblables à celles d’un magnétoscope pour lire le contenu, le mettre en pause, revenir en arrière ou avancer rapidement.

[185] Le contenu proposé sur demande était rarement obtenu par enregistrement d’un contenu diffusé, mais plutôt obtenu sous licence par le câblodistributeur directement auprès de la source. Ce contenu pouvait être chargé dans le système sur demande à partir d’une archive de contenu préenregistré, par exemple. Les abonnés pouvaient alors accéder au contenu pour le regarder sur leur téléviseur.

[186] Des questions juridiques pouvaient être soulevées si les émissions étaient enregistrées par l’exploitant, car tout contenu accessible autrement que par diffusion ou distribution en direct nécessitait des accords de licence (droits d’auteur) distincts. En raison de contraintes juridiques souvent très controversées touchant l’utilisation d’enregistrements personnels, comme un magnétoscope, les titulaires de droits pouvaient exiger des câblodistributeurs qu’ils fassent des copies centralisées du contenu diffusé pour qu’une copie unique d’une émission soit créée pour chaque utilisateur demandant de la voir, même si plusieurs utilisateurs enregistraient la même.

[187] Dans les années 1990, certains systèmes ont ainsi été appelés « quasi vidéo à la demande »; le contenu y était diffusé sur plusieurs canaux, toutes les 15 minutes, par exemple. L’abonné pouvait alors choisir le canal le mieux adapté à son horaire. Ce type de système était moins exigeant pour les systèmes en tête de ligne, car, au lieu de transmettre une version distincte du contenu à chaque utilisateur qui le demandait, ils ne transmettaient qu’un nombre fixe de versions. Le logiciel du décodeur pouvait trouver automatiquement la diffusion la mieux appropriée à l’abonné et la changer s’il voulait avancer, revenir en arrière ou mettre l’émission en pause.

[188] La VSD n’était pas encore commercialisée à grande échelle à la fin des années 1990, mais ce système aurait été connu de la personne versée dans l’art. Plusieurs facteurs en ont retardé la commercialisation, notamment les coûts considérables d’hébergement du contenu, la bande passante nécessaire pour fournir un contenu unique à chaque abonné et, dans les décodeurs, les communications bidirectionnelles à faible latence.

(5) Les autres questions relatives aux CGC

[189] Deux questions relatives aux CGC ont fait l’objet de divergences de points de vue entre les parties : celles de la convergence et des facteurs faisant contrepoids. Je les examinerai l’une après l’autre.

(a) Convergence

[190] La convergence était l’idée qu’avec son passage au numérique, la télévision traditionnelle pourrait être combinée à d’autres technologies numériques. Dans un livre intitulé « OpenCable Architecture », publié par Cisco Press en 1999, l’auteur Michael Adams l’a expliquée ainsi : [traduction] « La convergence a plusieurs formes, mais elle ne constitue en fait que l’application parallèle de l’évolution des technologies numériques dans des domaines différents. » Dans le brevet Florin, l’inventeur Fabrice Florin a décrit l’état de l’industrie comme [traduction] « un mariage entre les technologies de la vidéo et de la télévision et les technologies d’interface informatiques ».

[191] Rovi soutient qu’on devrait considérer la convergence comme un facteur mineur pour évaluer l’inventivité. Or, la preuve suggère exactement le contraire.

[192] L’idée que la télévision traditionnelle se combinerait avec d’autres technologies numériques après son passage au numérique était très courante au milieu des années 1990. Le coût des appareils informatiques, comme les microprocesseurs et les appareils d’enregistrement numérique, a chuté, et on prévoyait que les systèmes numériques à capacité suffisante pour transmettre plus de canaux que les systèmes analogiques existants allaient les remplacer.

[193] On jugeait aussi que les systèmes numériques à venir allaient permettre la convergence dans la diffusion du contenu. L’expert de Rovi a admis qu’il y aurait convergence. M. Balakrishnan a décrit la convergence comme un transfert (quoique graduel) des technologies plus avancées des ordinateurs personnels aux technologies moins avancées des décodeurs.

[194] Des systèmes « convergés » notables étaient connus de la personne versée dans l’art. Un de ces systèmes, le réseau de services complets (Full Service Network), a été créé en Floride par Time Warner au début des années 1990; c’était un banc d’essai pour divers concepts d’un système de câblodistribution numérique convergent entièrement interactif. Son existence était bien connue dans l’industrie. Il proposait des connexions numériques à l’abonné pour mettre en place des fonctions interactives, comme la VSD et un contenu à la carte, à l’aide d’un décodeur avancé.

[195] Worldgate proposait à peu près à la même époque un système semblable, qui proposait le courrier électronique et la navigation sur le Web à partir d’un téléviseur, à l’aide d’une communication bidirectionnelle.

[196] Rovi soutient que l’introduction des GPI n’a commencé qu’à la fin des années 1990 et au début de la décennie suivante. Cette assertion n’est toutefois pas appuyée par la preuve.

[197] Dans le milieu des années 1990, les câblodistributeurs étudiaient comment passer à des systèmes numériques et comment en exploiter leurs autres possibilités, et comment ces plateformes numériques pourraient proposer de nouvelles fonctions à leurs abonnés et plus d’options pour l’appareil utilisateur. Les GPI étaient incontournables et l’industrie a voulu agir, comme le démontrent les exemples suivants.

[198] Dans un communiqué de presse publié en août 1994, TV Guide on Screen a annoncé que Telecable, de Norfolk (Virginie), l’avait choisie comme son fournisseur de guides de programmes passifs et de guides de programmes électroniques interactifs. Ce même communiqué de presse précisait que Telecable était particulièrement enthousiasmé par le travail (de TV Guide on screen) à l’appui de la plate‑forme DigiCable, que Telecable avait auparavant décrite comme constituant l’assise de sa transition vers les services de télévision numérique. Dans un deuxième communiqué de presse publié le mois suivant, TV Guide On Screen a annoncé le lancement du premier guide sur écran entièrement numérique, The On‑Screen Channel, sur deux systèmes de câblodistribution non affiliés. Au Western Cable and Television Trade Show, tenu à Anaheim (Californie) à la fin de novembre 1994, TV Guide On Screen a présenté à ses clients les avantages des technologies de télévision numérique.

[199] Microsoft travaillait aussi sur ces technologies, car elle voulait créer un décodeur fondé sur le système d’exploitation Windows qui donnerait accès à Internet par le système de câblodistribution, dans le cadre de son système de télévision sur le Web. Les travaux de Microsoft dans ce domaine étaient bien connus de la personne versée dans l’art, dont Rovi, qui n’était pas sans savoir ce que faisaient ses concurrents.

[200] Dans un courriel du 7 juillet 1997, M. Thomas a présenté ainsi les plans de Microsoft aux autres membres de son équipe :

[traduction]

Le message suivant est un peu obscur, mais en gros, la prochaine version du système d’exploitation de Microsoft au nom interne Memphis (Windows 98) intégrera un GPE, en complément de cartes vidéo pour la télévision que les consommateurs peuvent brancher ou même intégrer à leur ordinateur.

Les listes de programmes seront fournies « gratuitement » chaque semaine et adaptées aux câblodistributeurs locaux. Cette fonction sera en concurrence directe avec nos produits Internet, interactifs et Prevue (notamment pour IE 4.0)... Noter la référence aux rappels.

Plans de Microsoft pour la convergence de la télévision et de l’ordinateur personnel : le GPE ou le navigateur Internet en est un élément crucial!

[Je souligne.]

[201] La preuve qui m’a été présentée établit que l’adoption d’idées et de technologies provenant d’ailleurs dans le domaine de l’audiovisuel numérique était courante au début des années 1990. La personne versée dans l’art aurait su que le transfert des technologies informatiques à la télévision (et vice versa) n’était qu’une question de temps.

[202] Selon M. Balakrishnan, la personne versée dans l’art n’aurait pas forcément adopté des technologies provenant de l’informatique domestique pour les appliquer aux décodeurs, en raison de limites connues qui empêchaient une importation directe sans d’importants efforts d’adaptation. Je ne suis pas d’accord.

[203] M. Balakrishnan a reconnu qu’il était courant, dans les années 1990, de reproduire sur les ordinateurs personnels les fonctions des décodeurs. Sa propre expérience avec les décodeurs découle des efforts de son équipe pour intégrer les interfaces informatiques aux décodeurs. M. Balakrishnan a mené des analyses internes des capacités des plates‑formes informatiques. Plus précisément, il a étudié d’une part les décodeurs, entre autres dispositifs, et leur utilité en tant que plates-formes pour les interfaces avancées du milieu et de la fin des années 1990, et d’autre part les capacités comme l’utilisation de guides, le stockage, et les éléments d’interface comme les menus, les technologies de détection et les modes de présentation de l’information. Il n’a pu nommer aucune étape ou démarche technique qui devait être adoptée pour mettre en œuvre une percée revendiquée dans les brevets en cause qui aurait dépassé les CGC de la personne versée dans l’art.

[204] Il convient également de faire observer à ce stade que le seul inventeur parmi les témoins, M. Thomas, n’avait qu’un seul souvenir concernant le travail effectué pour mettre au point l’une des inventions en cause dans la présente instance. Il se rappelait simplement que ses collègues et lui avaient envisagé un enregistrement dans une maison au moyen d’un accès de l’extérieur, ce qui, à la lumière du document Blake, n’était pas nouveau. Lors d’un échange révélateur en contre-interrogatoire, M. Thomas a volontiers admis qu’il ne se souvenait d’aucun moment où il se serait dit « eurêka » relativement à l’un des brevets en cause ou à l’une des technologies faisant l’objet de la présente instance. Selon lui, il [traduction] « semblait simplement que c’étaient des choses raisonnables à faire ».

[205] À l’instruction, on ne m’a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer l’existence d’un obstacle technique qui aurait empêché d’intégrer à un décodeur plus de mémoire ou un meilleur processeur déjà utilisé dans les ordinateurs personnels de l’époque. De plus, aucun des brevets en cause ne fait état d’un problème technique que résoudrait l’invention revendiquée.

(b) Les facteurs faisant contrepoids

[206] En ce qui concerne les facteurs faisant contrepoids, Rovi soutient que la motivation d’innover dans ce domaine manquait. Toutefois, la preuve dont je dispose indique le contraire.

[207] Les parties conviennent que le développement des ordinateurs personnels et de la télévision n’étaient pas alignés dans les années 1990. Dans l’industrie de la télévision, le matériel et les logiciels étaient moins évolués, et leur développement était plus lent, qu’en informatique personnelle. L’installation de l’infrastructure voulue pour prendre en charge la distribution numérique accusait un retard qui frustrait certains technologues. Aussi, la mise en œuvre de la télévision interactive ne se faisait pas aussi rapidement que l’industrie l’espérait ni de la façon dont elle s’y attendait.

[208] Néanmoins, bon nombre s’intéressaient tant à l’ajout de fonctions de télévision aux ordinateurs qu’à l’ajout de fonctions informatiques aux systèmes télévisuels, et on en savait beaucoup là‑dessus bien avant la mise au point des inventions protégées par les brevets en cause.

[209] Les parties conviennent que d’autres forces commerciales contraires ont joué sur les délais de mise en marché de décodeurs intégrant de nouvelles fonctions. Le débat tournait autour des incitatifs financiers des câblodistributeurs pour remplacer des centaines de milliers de décodeurs déjà installés dans les foyers.

[210] Dans les années 1990, ces incitatifs consistaient à réduire le plus possible le coût des décodeurs. Pour les câblodistributeurs, il était essentiel d’augmenter le nombre de leurs abonnés, et donc leurs revenus mensuels. Satisfaire ces abonnés par l’ajout de fonctions à leurs décodeurs était secondaire à la réussite financière. Les décodeurs et les logiciels étaient donc moins avancés, et leur développement avançait plus lentement qu’en informatique personnelle. Comme l’a exprimé M. Sandoval, les décodeurs ont été pendant bien des années plus ou moins figés dans le temps.

[211] Plusieurs facteurs militaient contre l’investissement dans des décodeurs plus avancés ou dans le développement de nouvelles fonctions. Par contre, il s’agissait essentiellement de contraintes économiques.

[212] Dans son témoignage, M. Thomas a admis que son équipe dépendait des percées que devaient faire d’autres parties. Aussi, le déploiement de ces innovations de tiers dépendait du prix de divers composants, notamment les disques durs, la mémoire et les processeurs. Il a témoigné que, bien qu’il fallait tenir compte de divers problèmes techniques, le coût était le principal obstacle à l’intégration aux décodeurs des processeurs et de la mémoire disponibles sur les ordinateurs personnels de l’époque.

[213] Dans l’article de 1994 dont il est question ci‑dessus, M. Thomas mentionne que les contraintes de coût des appareils commerciaux rendaient difficile l’intégration aux décodeurs de logiciels avancés. Voici un extrait du résumé de cet article :

[traduction]

Les systèmes de guides de programmes électroniques (GPE) sont en cours de développement en vue d’un premier déploiement dans les produits électroniques de câblodistribution, systèmes satellites et pour le grand public.

Ces applications semblent simples de prime abord comparativement à la vaste majorité des logiciels avancés que peuvent utiliser aujourd’hui les consommateurs sur leurs ordinateurs personnels. Cependant, en raison des contraintes de coût inhérentes aux produits grand public produits en série, comme les premiers convertisseurs de câblodistribution, qui intègrent des fonctions avancées de compression analogique et numérique, la conception, la mise en œuvre et la prise en charge de ces nouveaux GPE présentent plusieurs difficultés.

[214] Avec la chute du coût de la mémoire et de processeurs plus puissants (loi de Moore) et du passage graduel de la télévision au mode numérique, l’industrie a fait des percées pour notamment augmenter la capacité du réseau (communications bidirectionnelles), faciliter les transferts de fichiers et augmenter la capacité de transfert en amont et en aval entre câblodistributeurs et clients. Ces avancées coïncident avec l’arrivée massive de nouvelles applications que les téléspectateurs pourraient installer (météo, circulation automobile, actualités, commande d’aliments), et l’ajout aux décodeurs de fonctions de télévision interactive améliorées.

VIII. Les questions à trancher

[215] Au fil de l’instance, les questions à trancher ont été réduites aux suivantes :

A. L’interprétation des revendications

(1) Comment une personne versée dans l’art interpréterait‑elle les mots et les expressions des revendications invoquées ci‑dessous et des revendications dont elles dépendent?

  • (a)Les revendications 2, 7 et 8 du brevet 061 [les revendications 061]

  • (b)Les revendications 79 et 80 du brevet 629 [les revendications 629]

  • (c)Les revendications 113, 116, 119, 120 et 123 du brevet 344 [les revendications 344].

  • (d)Les revendications 456, 459, 720, 721 du brevet 870 [les revendications 870].

B. Quelle est la date de revendication du brevet 870? (Est‑ce que la date de priorité sur laquelle se fonde le brevet 870 se rapporte à chacune des revendications du brevet 870)?

C. La contrefaçon

(1) De janvier 2017 à l’expiration des revendications invoquées (à différentes dates en 2019), y a‑t‑il eu contrefaçon de l’une ou l’autre des revendications invoquées du fait que Vidéotron a fourni directement aux abonnés des terminaux illico 2 et les fonctions de ces terminaux ou du fait que Vidéotron a incité ses abonnés à contrefaire les revendications invoquées?

D. La validité

(1) Les revendications invoquées sont‑elles toutes valides?

  1. L’antériorité : les revendications ci‑dessous sont‑elles antériorisées?

  1. Les revendications 061 sont‑elles antériorisées par le document Blake?

  2. Les revendications 629 sont‑elles antériorisées par le brevet Florin?

  1. L’évidence : les revendications suivantes sont‑elles évidentes pour la personne versée dans l’art (eu égard aux CGC)?

  1. Les revendications 061 sont elles évidentes à la lumière des documents Blake et DAVIC?

  2. Les revendications 629 sont‑elles évidentes à la lumière des brevets Florin et Girard, du document Browne ou des seules CGC?

  3. Les revendications 344 sont‑elles évidentes à la lumière du brevet Fujita[4] et du document DAVIC?

  4. Les revendications 870 sont‑elles évidentes à la lumière du document DAVIC, du brevet Hair[5] et du brevet Fujita?

  1. La portée excessive et l’insuffisance : les revendications invoquées ont‑elles une portée plus large que celle de l’invention alléguée ou divulguée, ou, subsidiairement à l’évidence, sont‑elles insuffisamment étayées par le mémoire descriptif?
  1. La brevetabilité : les revendications invoquées sont‑elles invalides du fait qu’elles ne portent pas sur un objet brevetable, en contravention de l’article 2 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P ‑4 [la Loi sur les brevets]?

  2. L’ambiguïté : les revendications 344 sont‑elles invalides en raison de leur ambiguïté?

E. La réparation

  1. Rovi a‑t‑elle droit à une restitution des bénéfices réalisés par Vidéotron?

  2. Sinon, quel est le taux de redevance raisonnable approprié?

[216] Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets prévoit que, sauf preuve contraire, un brevet est présumé valide. Par conséquent, la partie qui en conteste la validité, en l’occurrence Vidéotron, doit dans chaque cas en faire la démonstration selon la prépondérance des probabilités (Georgetown Rail Equipment Company c Rail Radar Inc, 2018 CF 70 au para 109, conf. sur ce point par 2019 CAF 203 au para 57).

[217] Il incombe au breveté, en l’occurrence Rovi, de prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il y a eu contrefaçon (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 au para 29 [Schmeiser]). Quant à la réparation, Rovi doit établir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une restitution des bénéfices et, le cas échéant, il lui incombe de démontrer la portion des profits effectivement réalisés par Vidéotron qui un lien de causalité avec l’invention.

IX. L’interprétation des revendications

[218] Les principes applicables à l’interprétation des revendications ont été résumés par la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 30 à 34 de l’arrêt Tearlab Corporation c I‑Med Pharma Inc, 2019 CAF 179, et il n’est pas nécessaire de les reproduire ici. Il suffit de rappeler que les revendications doivent être interprétées de façon téléologique, d’une seule et même façon à toutes les fins, en amont et indépendamment de l’examen des questions de contrefaçon ou de validité. L’interprétation téléologique consiste à cerner les mots ou les expressions qui, en particulier, décrivent les éléments de l’invention que l’inventeur considérait comme « essentiels ». Un brevet doit être interprété du point de vue et à la lumière des connaissances usuelles du travailleur moyennement versé dans le domaine auquel le brevet a trait. Les revendications doivent être lues avec un esprit désireux de comprendre. En outre, le libellé des revendications doit être examiné d’une façon non pas excessivement technique ou littérale, mais éclairée et téléologique.

[219] Les parties sont en désaccord au sujet de la contrefaçon et de la validité des revendications des brevets en cause. M. Sandoval et M. Balakrishnan ont présenté les principaux éléments de preuve à propos de la façon dont la personne versée dans l’art comprendrait les termes des revendications. M. Sandoval a donné son avis sur la façon dont la personne versée dans l’art comprendrait le libellé des revendications dans son analyse des brevets en cause, et M. Balakrishnan a principalement répondu à M. Sandoval dans l’analyse contenue dans son second rapport.

[220] Dans les parties du présent jugement consacrées à l’interprétation des revendications, ci‑après, je mets l’accent sur les revendications « où le bât blesse » (Bayer Inc c Apotex Inc, 2014 CF 436 aux para 46‑47). Les autres termes des revendications sont moins litigieux, et leur interprétation précise est moins pertinente pour trancher définitivement les questions de la validité et de la contrefaçon.

[221] Aux fins des présents motifs, une fois que l’interprétation d’un élément, d’un terme ou d’un concept d’une revendication a été donnée, cette même interprétation s’applique aux termes identiques employés dans d’autres revendications des brevets en cause, à moins qu’une différence soit relevée plus loin dans les présents motifs.

[222] Les parties conviennent que tous les éléments des revendications des brevets en cause qui doivent faire l’objet d’une interprétation sont essentiels. Je ne procède donc pas à une analyse visant à déterminer quels éléments sont essentiels, un rôle qui incombe normalement à la Cour en ce qui a trait à l’interprétation des revendications.

X. Le brevet 061 : l’enregistrement à distance

[223] L’invention du brevet 061 est liée aux systèmes vidéo avec GPI qui permettent à l’utilisateur d’accéder au guide de programmes hors de son domicile.

[224] Selon la divulgation, l’invention visait à résoudre le problème suivant relevé dans les réalisations antérieures.

[traduction]

Les guides de programme interactifs sont généralement mis en œuvre sur les décodeurs situés chez les abonnés. Ces décodeurs sont habituellement connectés à un téléviseur et à un magnétoscope. Ces guides de programme interactifs ne sont donc pas transférables. En d’autres termes, l’abonné ne peut pas, à partir de ce guide, régler les rappels d’émissions, choisir les émissions à enregistrer, en acheter à la carte ou utiliser toute autre fonction de ce guide sans être dans la pièce où il a installé le décodeur.

[225] Le mémoire descriptif du brevet d’enregistrement à distance indique qu’un des objectifs de cette invention est [traduction] « de créer un système de guide de programmes interactif que l’utilisateur peut consulter à distance. Un tel système lui permettrait de consulter des fonctions importantes du guide à partir d’un autre endroit et de régler le guide de programme pour ces fonctions ».

[226] Le sommaire de l’invention précise :

[traduction]

Cet objectif et d’autres objectifs de la présente invention sont réalisés conformément aux principes de la présente invention, car elle constitue un système de guide de programmes interactif (GPI) accessible à distance. Un GPI local est mis en œuvre sur l’équipement de GPI. L’équipement de GPI est connecté à un ou plusieurs appareils d’accès à distance au GPI par une liaison à distance. Le GPI à distance est mis en œuvre sur l’appareil d’accès au GPI. Les GPI à distance et les appareils d’accès à distance à ceux‑ci permettent aux utilisateurs d’accéder à distance aux fonctions des GPI sur l’équipement de GPI et d’en régler les paramètres à distance.

[227] Afin de faciliter la consultation, les revendications 061 pertinentes sont reproduites intégralement ci‑dessous :

[traduction]

Revendication 2

Le système défini dans la revendication 1, où le guide de programmes interactif (GPI) de télévision local est configuré pour enregistrer l’émission choisie par l’utilisateur sur son équipement de télévision (22).

Revendication 7

Système de choix d’émissions à enregistrer par liaison d’accès à distance (19), caractérisé par :

des moyens permettant à l’utilisateur de choisir une émission à enregistrer par liaison d’accès à distance (19) à partir d’un GPI local mis en œuvre sur un équipement de GPI (17) muni d’un téléviseur (22) situé dans son domicile avec accès à distance à un GPI mis en œuvre sur un appareil d’accès à distance au GPI (24) situé à l’extérieur de ce domicile, et moyens d’enregistrer l’émission choisie par l’utilisateur à partir du GPI local sur l’équipement de GPI (17).

Revendication 8

Le système décrit dans la revendication 7, dans lequel les moyens d’enregistrer l’émission choisie par l’utilisateur à partir du GPI local sur l’équipement de GPI (17) comprennent aussi des moyens d’enregistrer cette émission sur l’équipement de télévision de l’utilisateur (22).

[228] L’interprétation de la revendication 1 est pertinente puisque la revendication 2 dépend de celle‑ci. La voici:

 

[traduction]

Système de choix d’émissions par liaison d’accès à distance (19), caractérisé par :

un équipement de GPI (17) sur lequel est mis en œuvre un GPI local, dans lequel l’équipement de GPI (17) comprend l’équipement de télévision de l’utilisateur (22) situé dans son domicile; et

un appareil d’accès à distance au GPI (24) situé à l’extérieur du domicile de l’utilisateur, sur lequel le GPI à distance est mis en œuvre, dans lequel ce guide accessible à distance est configuré pour permettre à l’utilisateur de choisir à distance une émission à enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local par liaison d’accès à distance (19); et

où le guide de programmes interactif (GPI) de télévision local est configuré pour enregistrer l’émission choisie par l’utilisateur sur l’équipement de GPI (17).

[229] En gros, les revendications 061 portent sur un utilisateur qui, à partir d’un appareil situé à l’extérieur de son domicile, comme un ordinateur portatif ou un téléphone intelligent présentant un GPI limité, peut régler l’enregistrement d’une émission sur un appareil situé chez lui. Le GPI fonctionnant sur l’appareil à la maison est ainsi configuré pour enregistrer l’émission choisie.

A. L’interprétation du brevet 061

[230] Le brevet 061 est interprété en fonction de la date de publication du 27 janvier 2000. L’antériorité et l’évidence sont évaluées en fonction de la date de priorité du 17 juillet 1998. Les parties n’ont pas relevé de différences importantes dans les CGC ou l’art antérieur entre la date de priorité et la date de dépôt du brevet 061.

[231] Le litige entre les parties se résume à l’interprétation de deux éléments des revendications 061. Les deux experts ne sont pas d’accord au sujet de la question de savoir si le système illico 2 de Vidéotron comprend : (1) [traduction] « un appareil d’accès à distance au guide de programmes »; et (2) [traduction] « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local ». Vidéotron ne conteste pas que le système illico 2 comprend tous les autres éléments des revendications 061.

[232] J’expose ci‑dessous mon interprétation des éléments, termes ou concepts du brevet 061 que je juge pertinents pour l’examen des questions en litige.

(1) Le terme « appareil d’accès à distance au guide de programmes »

[233] Il n’y a aucun différend quant à l’interprétation du terme « appareil d’accès à distance au guide de programmes (ou appareil d’accès à distance) employé dans les revendications 2 (qui dépend de la revendication 1) et 7. Les deux experts conviennent que la personne versée dans l’art comprendrait qu’il s’agit de presque tout appareil électronique, tel qu’un ordinateur personnel ou portatif, ou encore un téléphone mobile, se trouvant à l’extérieur du domicile de l’utilisateur, qui peut se connecter par liaison d’accès à distance à d’autres équipements, et sur lequel l’utilisateur peut consulter un guide de programmes interactif (GPI) à distance.

[234] Le litige porte sur la question de savoir si Vidéotron fournit l’appareil d’enregistrement à distance ou le moyen d’enregistrer à distance à l’aide d’un appareil. Ce terme n’est pertinent que pour l’examen de la question de la contrefaçon.

(2) Le terme « guide de programmes interactif à distance »

[235] Il y a eu un différend mineur avant l’instruction quant à l’interprétation du terme « guide de programmes interactif à distance » (GPI à distance) employé dans les revendications 2 (qui dépend de la revendication 1) et 7. M. Sandoval a tout d’abord suggéré que, dans la description du brevet 061, le GPI à distance n’intégrait peut‑être pas un guide, mais qu’il mettait seulement en œuvre certaines fonctions de celui‑ci. Je suis d’accord avec Rovi pour dire que le passage du brevet 061 cité par M. Sandoval n’appuie pas cette position.

[236] La libellé de la revendication est clair et il n’est pas nécessaire de recourir à la divulgation pour mieux comprendre ce terme. Même si l’interface utilisateur d’un appareil à distance, tel que défini dans le brevet 061, peut être élémentaire et n’avoir que des fonctions limitées, un guide reste nécessaire. Je retiens l’interprétation que donne M. Balakrishnan d’un « GPI à distance » : c’est un GPI mis en œuvre sur un appareil distant qui présente une interface utilisateur pouvant être semblable à un GPI local, tel qu’interprété ci‑dessous, ou en différer, selon sa mise en œuvre. Je signale que M. Balakrishnan a reconnu en contre‑interrogatoire que le « GPI à distance » peut présenter à l’utilisateur des listes de programmes organisées par type ou par thème, comme l’illustre la figure 8 du brevet 061 ci‑dessous.

061 Patent - Figure 8

FR

EN

PROGRAMMATION 9:30‑10:30 MP

PROGRAMMING 9:30‑10:30 MP

FILMS

MOVIES

CANAL

CHANNEL

ÉVÉNEMENTS SPORTIFS

SPORTING EVENTS

ACTUALITÉS

NEWS

ACTUALITÉS LOCALES

LOCAL NEWS

ACTUALITÉS EXTRA

NEWS EXTRA

ADULTE

ADULT

À LA CARTE

PAY‑PER‑VIEW

FIG 8

FIG 8

(3) Le terme « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local » ou « le guide de programmes interactif (GPI) de télévision local est configuré pour enregistrer l’émission choisie »

[237] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si un « guide de programmes interactif local » (GPI local) ne comprend que le logiciel d’affichage des listes d’émissions, ou s’il intègre aussi le logiciel qui met en œuvre des fonctions connexes plus élaborées. Deux éléments des revendications 1 et 7 — « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local » et « le guide de programmes interactif (GPI) de télévision local est configuré pour enregistrer l’émission choisie » — sont pertinents pour l’examen de la contrefaçon et de la validité.

[238] Avant d’interpréter ces deux éléments, je juge nécessaire de parler d’un commentaire formulé par Rovi dans ses observations finales, selon lequel les deux experts ont interprété le GPI local [traduction] « comme étant logiciel, matériel ou les deux ». En fait, seul M. Balakrishnan l’a interprété ainsi. M. Sandoval a convenu avec M. Balakrishnan que le GPI local [traduction] « peut notamment générer et afficher électroniquement des listes de programmes et de contenus enregistrés qu’un utilisateur peut consulter par des moyens électroniques (à l’aide d’une télécommande, par exemple) », mais il a établi une distinction claire entre le matériel et les logiciels. De son point de vue, la personne versée dans l’art verrait le GPI et le GPI local comme une combinaison de logiciels et de matériel, mais pas uniquement matérielle. Cette interprétation est conforme à la preuve.

[239] Tout d’abord, M. Thomas a confirmé en contre‑interrogatoire qu’un GPI est un produit logiciel. Il a témoigné que lui et son équipe ont travaillé sur des logiciels, et qu’ils recevaient du matériel tiers pour lequel ils créaient des logiciels.

[traduction]

Q. D’accord. Et vous étiez à toutes fins utiles une société de logiciels?

R. Eh bien, je vais répéter ce que j’ai dit auparavant. Comme nous créions des GPI, notre raison d’être était donc de créer ces produits. Pour cela, nous avons utilisé des logiciels.

Q. Le GPI lui‑même est‑il un logiciel?

R. Oui.

Q. Et vous tiriez avantage du travail des concepteurs du matériel pour que le logiciel créé fonctionne bien sur ce matériel d’une source tierce?

R. Oui. Nos logiciels fonctionnaient sur d’autres appareils.

Q. Oui. Et une fois que ces appareils ont été améliorés (rapidité, puissance, mémoire), vos logiciels en ont probablement tiré parti?

R. Je crois que c’est une déclaration raisonnable.

[240] Deuxièmement, le brevet renvoie à des GPI [traduction] « mis en œuvre » ou « configurés » sur un certain type de matériel, comme un « appareil distant » ou un « équipement de télévision de l’utilisateur ».

[241] Troisièmement, durant son contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan a admis, après un peu d’ergotage, que les brevets visaient des œuvres logicielles exécutées sur un matériel.

[traduction]

Q. … En ce qui concerne le guide de programmes interactif, le GPI, vous acceptez, je crois, qu’il est mis en œuvre sous forme de logiciels qui s’exécutent sur un matériel?

R. Je dirais le GPI? De quel GPI parlez‑vous? Des GPI en général ou des produits en cause?

Q. Tout GPI mentionné dans les brevets de Rovi ou dans les appareils en cause.

R. Je dirais qu’il s’agit surtout de logiciels exécutés sur du matériel. Des éléments matériels entrent parfois en jeu, comme des composants réseau, etc.

Q. Dites‑vous qu’un GPI est un composant réseau?

R. Non, j’ai dit que des composants réseau peuvent entrer dans la conception globale d’un GPI.

Q. Très bien. Dans ce cas, pouvez‑vous préciser une fonction d’un GPI, dans les brevets de Rovi ou l’appareil en cause, mise en œuvre matériellement?

R. Je n’ai pas dit que ces fonctions étaient nécessairement mises en œuvre matériellement, j’ai dit qu’on pouvait mettre en œuvre l’ensemble du GPI dans un matériel particulier.

Q. Et un logiciel est quelque chose qui, comme le disent couramment des informaticiens comme vous‑mêmes, est mis en œuvre sur un matériel, n’est‑ce pas?

R. Ce sont des termes que les informaticiens utilisent. Mais nous comprenons également qu’un logiciel interagit avec le matériel de manière précise, selon la technologie en question. Et que, dans certains cas, une interaction avec un matériel précis peut par exemple entraîner un comportement très différent par le logiciel.

Q. En fin de compte, il lui faut un endroit sur le matériel où s’exécuter, n’est‑ce pas?

R. Du point de vue du navigateur, oui, c’est exact.

Q. Cela ne transforme pas le logiciel en matériel, mais c’est simplement ainsi qu’il fonctionne?

R. Cela ne transforme pas le logiciel en matériel. Je ne pense pas avoir dit cela.

Q. Y a‑t‑il alors quelque chose au sujet d’un GPI dont vous pouvez dire qu’il est mis en œuvre dans le matériel plutôt que dans le logiciel, selon les brevets de Rovi ou les appareils en cause?

R. Je n’ai pas étudié les brevets de Rovi ni les appareils en cause à ce niveau d’analyse. J’ai l’impression que si le logiciel, le GPI, fonctionne sur un processeur et exploite divers matériels, c’est‑à‑dire pas uniquement le processeur, mais aussi le matériel réseau, l’accès aux bases de données, le stockage et les supports. Donc, si un composant précis, comme un pilote de périphérique, peut comprendre un élément mis en œuvre matériellement, il n’était pas nécessaire d’analyser les choses aussi en profondeur pour confirmer qu’il y a eu contrefaçon, par exemple.

Q. Bien. Est‑ce parce que ces brevets et ce dont vous vous souciez sont des mises en œuvre logicielles? Par opposition à des pilotes de périphériques?

R. Les revendications en cause sont généralement vraies, mais elles n’excluent pas obligatoirement un pilote de périphérique qui pourrait être utilisé dans une mise en œuvre particulière.

Q. Ma question n’est pas hypothétique. Je vous demande expressément votre opinion à l’égard de ces brevets et des appareils en cause. Pouvez‑vous donner un exemple de GPI mis en œuvre autrement que sous forme logicielle?

R. Je pense que si vous ne parlez que du logiciel, du code, ce n’est qu’un logiciel, mais il fonctionne sur un matériel particulier, comme je l’ai déjà dit, et il exploite divers éléments matériels.

[242] Je conclus donc que la personne versée dans l’art interpréterait les termes [traduction] « guide de programmes interactif » et « guide de programmes interactif local », tels qu’utilisés dans le brevet 061, comme désignant les logiciels fonctionnant sur un matériel, pas le matériel lui‑même.

[243] Dans son rapport sur la validité, M. Sandoval a soutenu que la personne versée dans l’art interpréterait le terme « GPI local » comme s’entendant d’un logiciel [traduction] « fonctionnant probablement sur l’équipement de télévision de l’utilisateur, comme un décodeur, mais fonctionnant peut‑être autant sur l’appareil utilisateur que sur l’équipement de tête de ligne, c’est‑à‑dire l’équipement de guide de programmes interactif [… ] pour informer l’abonné des émissions disponibles ». (Je souligne.) M. Balakrishnan n’a pas contesté la description qu’a donnée M. Sandoval de l’équipement sur lequel fonctionne le GPI local. Cependant, il n’a vu aucune raison, ni du point de vue de la personne versée dans l‘art ni sur le fondement de la divulgation du brevet 061, de cantonner les fonctions du « GPI local » à l’affichage de listes d’émissions. Selon M. Balakrishan, le brevet 061 visait à inclure d’autres caractéristiques, dont l’enregistrement d’émissions.

[244] L’interprétation de M. Balakrishan est bien appuyée par les CGC et la divulgation du brevet 061. Les fonctions de commande de la programmation de la télévision sont supposées faire partie du « GPI local », comme l’explique le titulaire du brevet à la page 4 :

[traduction]

« toute fonction ou réglage utile du guide de programmes interactif est accessible. Un GPI à distance peut, par exemple, permettre à l’abonné de programmer à distance un rappel pour une émission, d’afficher à distance les listes d’émissions, ou encore de régler l’enregistrement (stockage) d’une émission... ».

[245] J’estime, selon une interprétation téléologique de la revendication 1, que les fonctions d’un « GPI local » ne se limitent pas à l’affichage des listes d’émissions. Cette absence de limites est logique, car la revendication 1 elle‑même précise que le « GPI local » gère l’enregistrement des émissions.

[246] Dans la mesure où M. Sandoval a peut‑être préconisé que le « GPI local » n’était censé s’entendre que du logiciel permettant à l’abonné d’afficher des listes de programmes, je ne suis pas d’accord. Le brevet 061 établit une distinction entre les logiciels de guide de programmes et les autres, comme un navigateur Web ou un logiciel d’achat à domicile, de messagerie électronique ou bancaire. La personne versée dans l’art comprendrait qu’un « GPI local » s’entend des applications ou des programmes intégrés au décodeur qui facilitent d’autres fonctions comme l’enregistrement.

[247] Il existe un autre différend sur le sens des termes [traduction] « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local » et « guide de programmes interactif local configuré pour enregistrer l’émission choisie » qui ne s’est cristallisé que lorsque M. Sandoval l’a soulevé dans le rapport sur la contrefaçon qu’il a produit en réponse.

[248] M. Sandoval a observé que, dans la revendication 1, le « GPI à distance » [traduction] « est configuré pour permettre à l’utilisateur de choisir à distance une émission à enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local par liaison d’accès à distance (19) ». [C’est lui qui souligne.] Il a fait valoir que, si le décodeur du système illico 2 comprend un logiciel de GPE qui informe l’utilisateur des émissions à venir, ça ne veut pas dire que ce logiciel de GPE est utilisé pour l’enregistrement. Selon M. Sandoval, on aurait pu dire dans la revendication 1 que l’enregistrement est fait par le « matériel du GPI » ou par le « matériel de télévision de l’utilisateur », mais on dit plutôt que l’enregistrement est fait par le « GPI local » lui‑même.

[249] Selon Rovi, le brevet 061 ne limite en rien la conception du logiciel, qu’il s’agisse d’un logiciel monolithique, de modules ou d’applications multiples. À l’instruction, M. Balakrishnan a déclaré que [traduction] « la conception modulaire du système illico […] est pratique courante en génie logiciel moderne pour tout système raisonnablement complexe ».

[250] Ce différend entre les experts s’inscrit dans le contexte de leur analyse sur la contrefaçon. Les deux experts ont examiné l’architecture du système illico 2, que la documentation technique décrit selon ses composants, appelés applications. Ce logiciel comprend l’application EVP (enregistreur vidéo personnel), le démon du décodeur, le gestionnaire de données du GPE, l’application GPE et l’application de recherche. Des portions différentes du logiciel sont responsables des diverses fonctions du système, tel qu’illustré dans le schéma du système, ci‑dessous.

Videotron System FC1421

FR

EN

Schéma du système

System Context Diagram

Décodeur

STB

Données d’enregistrement

Recordings data

Application de recherche

Search Application

Données de l’application

Application data

Paramètres de recherche

Search settings

Mises à jour des enregistrements

Recordings updates

Système de gestion

Management System

Mises à jour des enregistrements

Recordings updates

Données de configuration (OC)

Configuration data (OC)

Messages multipièce (MoCA)

Multiroom messages (MoCA)

Décodeur externe

External STB

Application EVP (intègre OCHN)

PVR Application (including OCHN)

Messages distants

Remote messages

Démon du décodeur

STB Daemon

Messages distants (HTTP)

Remote messages (HTTP)

Client EVP distant

Remote PVR Client

Mises à jour au GPE

EPG updates

Données du GPE

EPG data

Gestionnaire de données du GPE

EPG Data Manager

Planification des mises à jour

Schedules updates

Données de l’application

Application data

Application GPE

EPG Application

Données des horaires

Schedules data

Application de supervision

Monitor Application

Confirmation de l’économiseur d’écran

Screen Saver Confirmation

Réglages du clavier

Kbd Parameters

Activateur du clavier

Keyboard Enabler

Données entrées

Input data

Réglages de la « flip bar »

Flip Bar Parameters

Activateur de la « flip bar »

Flip Bar Enabler

Données entrées

Input data

Profil et préférences

Profile & preferences

Module du profil de l’utilisateur et des préférences

User Profile & Preferences Module

Données de supervision

Monitoring data

Client VBM

VBM Client

Application EVP (intègre OCHN)

PVR Application (including OCHN)

Figure 1 : Schéma du système

Figure 1: System Context Diagram

[251] Certaines applications peuvent être autonomes (comme l’EVP), mais beaucoup ne le sont pas, comme l’activateur du clavier, la « flip bar », le superviseur et le démon du décodeur, qui ne sont utiles qu’en combinaison avec une autre application. C’est à partir de l’application Menu principal que l’utilisateur peut accéder à diverses fonctions. Pour être clair, rien de cela n’est contesté par Vidéotron.

[252] Rovi affirme que M. Sandoval et Vidéotron ont tracé une ligne arbitraire dans ce schéma afin de soutenir que le brevet 061 ne vise qu’une partie du logiciel (plus précisément, l’application GPE) et non l’ensemble du logiciel illico pour décodeur. Rovi prétend que cette ligne a été tracée uniquement parce qu’elle appuie les arguments de Vidéotron. Selon Rovi, ce schéma ne représente pas fidèlement le fonctionnement du système, car il faudrait le considérer comme un tout.

[253] Dans mon interprétation des éléments contestés, je dois me concentrer sur le libellé du brevet 061, et non sur la façon dont le logiciel a pu être intégré dans le système de Vidéotron, car un brevet doit être interprété indépendamment des considérations sur la contrefaçon ou la validité (Laboratoires Servier c Canada (Santé), 2015 CF 108 au para 90).

[254] Je ne suis pas convaincu que le recours à la divulgation soit nécessaire pour résoudre toute ambiguïté dans le sens des deux éléments qui figurent dans la revendication 1. Les termes utilisés ne sont pas techniques. L’expert n’a pas non plus indiqué que la personne versée dans l’art leur prêterait un sens particulier.

[255] Il faut interpréter les mots principalement selon leur sens ordinaire ou courant. La simple logique veut que les mots [traduction] « enregistrer à l’aide de » signifient que c’est le « GPI local » qui gère l’enregistrement. Il en va de même pour les mots [traduction] « configuré pour ».

[256] Le dictionnaire anglais Oxford (en ligne) définit ainsi le verbe « configurer », dans le contexte informatique : [traduction] « choisir ou créer une configuration pour combiner (un programme ou un périphérique) avec d’autres éléments afin d’exécuter une tâche précise ou de mettre en place une fonction particulière ». L’idée que quelque chose a été mis en place ou conçu de sorte qu’il puisse être utilisé d’une manière particulière est inhérente au sens courant de ce verbe employé au passé.

[257] Le sens du terme [traduction] « configuré pour » a été examiné dans la récente décision Guest Tek Interactive Entertainment Ltd c Nomadix, Inc, 2021 CF 276. Cette affaire portait sur une allégation de contrefaçon de brevets relatifs à un logiciel ainsi que sur une demande reconventionnelle visant à obtenir un jugement déclarant que deux brevets étaient invalides. L’une des revendications en cause portait sur un réseau comprenant une passerelle et un nœud d’accès sans fil. Les différends entre les parties concernaient la façon dont la configuration du nœud d’accès sans fil et la passerelle étaient décrites dans la revendication.

[258] Au paragraphe 126, le juge Nicholas McHaffie a fait observer ce qui suit :

[…] Bien qu’il convienne de les interpréter téléologiquement, les revendications doivent néanmoins être interprétées en tenant compte de leur rédaction : Électro Santé, au para 31. La revendication 1 indique que le nœud d’accès sans fil est configuré pour transmettre des paquets à la passerelle. Elle ne dit pas que le nœud d’accès sans fil transmet simplement les paquets à la passerelle. Il n’est pas dit non plus que le réseau est configuré pour que les paquets soient transmis du nœud d’accès sans fil à la passerelle. (Souligné dans l’original.)

[259] Le juge McHaffie a ensuite conclu que la personne versée dans l’art comprendrait la revendication en question comme signifiant que « le nœud d’accès sans fil doit, lui‑même, être configuré de manière à ce que les paquets qu’il reçoit des appareils sans fil soient transmis à la passerelle indépendamment de leur adresse de destination ». J’appliquerai le même raisonnement pour interpréter les éléments litigieux en l’espèce. J’estime que, pour la personne versée dans l’art, les deux éléments contestés signifieraient que le [traduction] « GPI local » doit être lui‑même configuré pour effectuer l’enregistrement local d’un programme.

[260] À mon avis, l’intention était que le brevet 061 comprenne d’autres fonctions, notamment l’enregistrement de programmes, comme l’a soutenu M. Balakrishnan. Cela dit, le choix d’indiquer que le GPI comporte en particulier cette fonction appartenait au rédacteur du brevet.

[261] Dans son article de 1994, M. Thomas a énuméré un certain nombre d’éléments de base qui doivent être présents pour que le système de GPE soit complet : (a) une méthode de collecte des listes d’émissions, (b) l’extraction des données propres au système, (c) l’envoi de celles‑ci au contrôleur local, (d) la coordination avec le contrôleur système, (e) la transmission des données au décodeur, et (f) l’application GPE elle‑même. M. Thomas a écrit que le niveau des fonctions utilisateur doit être soigneusement étudié, et qu’il [traduction] « sera mis en œuvre par des caractéristiques différentes pour les plateformes analogiques avancées, celles numériques de première génération et celles numériques avancées à venir ». Il a ajouté que de nombreuses fonctions « peuvent » être proposées dans un GPE.

[262] Il était entendu que les programmeurs seraient libres de choisir les fonctions à inclure et à mettre en œuvre dans un GPE au passage de l’industrie au numérique. Les avantages de cette liberté de conception ont aussi été reconnus par M. Armaly pendant son contre‑interrogatoire. Il a convenu que les personnes n’étant pas titulaires de licences de brevet pouvaient concevoir des produits en contournant ces brevets.

[263] Le brevet 061 ne vise pas à limiter la liberté des tiers de faire leurs propres choix de conception et de mise en œuvre. Je suis d’accord avec Vidéotron sur ce point : ce n’est pas parce qu’une fonction logicielle peut être conçue pour faire partie d’un GPI qu’elle fait effectivement partie de celui‑ci.

[264] Après avoir préparé le terrain avec les conclusions ci‑dessus, je passe aux questions relatives à la validité du brevet 061.

B. La validité

[265] Vidéotron soutient que le brevet 061 est invalide parce qu’il est soit antériorisé par le document Blake, soit évident à la lumière du document Blake ou du document DAVIC et des CGC de la personne versée dans l’art.

(1) L’antériorité

[266] Pour qu’une revendication de brevet soit valide, elle doit divulguer une invention nouvelle, c’est‑à‑dire une invention qui ne saurait être antériorisée.

[267] Le critère de l’antériorité est bien établi et exposé en détail aux paragraphes 24‑30 de l’arrêt Sanofi. Une explication succincte en a été donnée au paragraphe 66 de l’arrêt Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 :

[I]l est utile de mentionner que deux critères doivent être remplis pour établir qu’une divulgation antérieure est une antériorité :

1) l’antériorité doit divulguer l’invention revendiquée de sorte que, une fois réalisée, elle contreferait nécessairement le brevet;

2) l’antériorité doit être suffisamment détaillée pour qu’une personne versée dans l’art puisse réaliser l’invention revendiquée sans faire preuve d’inventivité et sans expériences excessives.

[268] En bref, pour respecter l’exigence relative à la divulgation, il faut pouvoir trouver dans un seul document d’antériorité tous les renseignements qui, en pratique, sont nécessaires pour produire l’invention revendiquée sans l’exercice d’une quelconque compétence. Pour satisfaire à l’exigence liée au caractère réalisable, il faut également trancher la question de savoir si la personne versée dans l’art aurait pu réaliser l’invention sans l’exercice de quelque génie inventif.

[269] Par ailleurs, il est difficile de satisfaire à ce critère, comme il est indiqué au paragraphe 26 de l’arrêt Free World Trust :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

[270] Si une publication ne divulgue pas les éléments essentiels d’une revendication de brevet ni ne les rend réalisables, cette dernière est nouvelle, ou non antériorisée (Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 52 au para 36 [Shire LLC]).

[271] M. Sandoval a effectué une analyse de l’antériorité à propos du brevet 061 dans un unique paragraphe de son rapport. Bien qu’il n’ait pas analysé les éléments successivement et qu’il n’y ait pas fait mention de son interprétation antérieure des revendications, il n’a pas effectué cette analyse en vase clos. Il a présenté des interprétations détaillées de chacun des éléments essentiels du brevet 061. Je fais également remarquer que les revendications 7 et 8 et les revendications 1 et 2 ont sensiblement la même portée. L’analyse de M. Sandoval n’est pas courte, mais concise, et elle est étayée par des éléments de preuve techniques figurant dans d’autres parties de son rapport sur la validité. Il restait à effectuer une analyse juridique, ce que M. Sandoval n’était pas obligé ni en position de faire.

[272] Vidéotron soutient que le document Blake divulgue et rend réalisables les revendications du brevet 061. Le document Blake est une demande de Starsight publiée auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle [l’OMPI], le 12 mars 1998. L’invention est un système d’horaire interactif doté d’une fonction d’enregistrement améliorée.

[273] Dans ses observations, Vidéotron résume bien le contenu du document Blake : Blake décrit un périphérique au domicile d’un utilisateur, qui peut être un décodeur, un ordinateur ou un téléviseur. Le logiciel de l’appareil génère un guide local. Un utilisateur peut enregistrer une émission à partir d’un emplacement éloigné en la choisissant à l’aide d’un appareil d’entrée. Cela peut être tout appareil capable de transmettre des données à distance : ordinateur portable, téléphone cellulaire ou ordinateur personnel ayant accès à Internet. Si cet appareil est un ordinateur, par exemple, l’utilisateur peut choisir une émission dans une liste triée par thème. Au moment opportun, un appareil d’enregistrement, au domicile de l’utilisateur, est activé par le guide local et enregistre l’émission choisie. Un démon d’enregistrement gère ces fonctions. Le périphérique d’enregistrement peut être un magnétoscope ou tout autre appareil doté de capacités d’enregistrement audio et vidéo, comme un disque dur.

[274] En ce qui concerne la description générale que contient le document Blake, M. Balakrishnan était d’accord avec l’affirmation qui lui a été soumise :

[traduction]

Q. Parlons plus précisément du document Blake. Il ne fait aucun doute, je crois, que le document Blake divulgue la possibilité d’effectuer un enregistrement dans un domicile par l’intermédiaire d’un accès à l’extérieur du domicile.

R. Je pense que c’est juste, oui.

Q. Un décodeur est utilisé?

R. Oui.

Q. Et une sorte de dispositif à distance est également utilisé?

R. Oui.

[275] Selon Rovi, l’invention protégée par le brevet 061 est nouvelle et non antériorisée parce que deux éléments ne sont pas divulgués dans le document Blake : (a) un « GPI distant » et (b) un « GPI local » configuré pour enregistrer l’émission de télévision sélectionnée par l’utilisateur.

(a) Le document Blake divulgue‑t‑il un GPI distant?

[276] Le point de vue initial de M. Balakrishnan était que le GPI distant décrit dans le brevet 061 peut inclure des rappels, une liste de programmes avec laquelle l’utilisateur peut interagir par le pavé de touches d’une télécommande, la possibilité de régler à distance les contrôles parentaux, et la création de canaux ou d’émission favoris, alors que le document Blake ne décrit que l’utilisation de codes entrés dans une interface présentée sur un téléphone ou un ordinateur. M. Balakrishnan a maintenu sa position selon laquelle le document Blake ne révèle aucun GPI distant et en fait s’éloigne de l’utilisation de ces fonctions.

[277] L’opinion de M. Balakrishnan est manifestement erronée, comme il l’a admis pendant son contre‑interrogatoire. Si le document Blake parle de l’entrée de codes pour désigner l’émission à enregistrer, il décrit aussi une réalisation qui présente à l’utilisateur une liste d’émissions sur une interface à distance, et où l’utilisateur peut choisir une émission à enregistrer localement à l’aide de cette interface à distance. C’est ce qui ressort clairement de la page 18 du document Blake :

[traduction]

…Voici des exemples de thèmes que l’utilisateur peut choisir : sports, films, science‑fiction, comédies et autres. Le choix par thème est particulièrement utile si l’utilisateur n’est pas tout à fait sûr du titre de l’émission, ou s’il désire enregistrer un événement sportif. Si par exemple il souhaite enregistrer la partie Chicago Bulls contre LA Lakers, il peut d’abord choisir les émissions par thème. Il peut ensuite choisir Sports dans la liste de thèmes affichée, puis choisir basket‑ball. L’interface peut alors présenter une liste de parties de basket‑ball en cours ou prévues, et l’utilisateur peut choisir la partie Bulls contre Lakers. L’utilisateur peut aussi saisir Bulls, et le système de traitement 334 lui présentera une liste de parties des Bulls, à partir de laquelle il peut en choisir une ou plusieurs à enregistrer. Ces choix faits, le système de traitement 334 devrait idéalement demander à l’utilisateur de les confirmer puis stocker les données dès que l’utilisateur les aura confirmés. Au moment approprié, le système de traitement 334 activera l’appareil d’enregistrement 336 au domicile de l’utilisateur pour enregistrer la ou les parties choisies.

[278] M. Balakrishnan affirme que le document Blake n’envisage pas la programmation à distance d’enregistrements à l’aide d’un GPI distant. Dans son contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan a voulu distinguer entre ce qu’il a qualifié de fonction [traduction] « dans un GPI » et de fonction « extérieure à un GPI » comme dans le document Blake.

[traduction]

Q. M. Balakrishnan, revenons à la page 22 des documents, plus précisément, la page 18 du document Blake. N’est‑il pas clair que le document Blake décrit une fonction d’un GPI mise en œuvre sur un appareil distant?

R. Je ne suis pas d’accord avec votre formulation de cette phrase.

Q. C’est un non, alors?

R. Je dis que je refuse votre façon de formuler cette la phrase. Je pense que la réponse n’est pas oui ou non, mais plutôt une réponse nuancée.

Q. Le choix d’émissions par thème est donc une fonction du décodeur dans certains cas et d’autres non, mais du GPI de toute façon. En d’autres termes, présenter des thèmes à l’utilisateur et lui permettre de choisir des émissions à partir de ces thèmes est un aspect des GPI, n’est‑ce pas?

R. Ce peut être un aspect des GPI, mais il n’est pas obligatoire. Cette fonction peut aussi être mise en œuvre à l’extérieur d’un GPI.

Q. Comment savoir si elle est intégrée à un GPI ou non?

R. Je pense que si une divulgation ou un document que je lis porte sur un GPI, les fonctions décrites en font partie. On mentionne ‑‑ par exemple, les thèmes, dans les descriptions, les thèmes sont mentionnés, alors je dirais que cela fait partie d’un GPI. Si les thèmes, par exemple, font partie de la description d’une autre réalisation, comme dans Blake, et si Blake ne mentionne pas les GPI dans un contexte distant dans ce que j’ai lu de Blake, je ne peux donc pas affirmer que cela fait partie d’un GPI. Je vois cette fonction comme une réalisation qui permet à l’utilisateur de choisir une émission à enregistrer à partir de thèmes, comme le document Blake le révèle.

[279] J’ai jugé le raisonnement de M. Balakrishnan déroutant et peu convaincant. En contre‑interrogatoire, M. Sandoval a convenu que le document Blake ne [traduction] « traitait pas explicitement de quelque chose comme un guide de programmes sur l’appareil distant ». Toutefois, comme l’a précisé le juge Roger Hughes au paragraphe 75 de la décision Laboratoires Abbott c Canada (Santé), 2008 CF 1359, conf. par 2009 CAF 94, il n’est pas nécessaire que la divulgation contenue dans le document d’antériorité soit une « description exacte » de l’invention revendiquée. Elle doit seulement être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

[280] Le document Blake décrit une fonction de recherche par thème qui comprend une « interface utilisateur » pour ces recherches. M. Balakrishnan convient que présenter des thèmes à l’utilisateur et lui permettre de choisir des émissions à partir de ces thèmes est [traduction] « un aspect des GPI ». C’est clairement le cas, car l’appareil distant doit obligatoirement permettre de chercher des émissions par thème, de préciser une émission, puis de la choisir pour l’enregistrer.

[281] Rovi soutient que le document Blake ne détaille pas l’interface utilisateur ni ne précise la méthode par laquelle un utilisateur peut déplacer un curseur pour naviguer sur l’appareil distant. Toutefois, de tels détails n’étaient pas nécessaires, car la personne versée dans l’art aurait une bonne compréhension des guides de programme et de leur mise en œuvre. Le document Blake explique qu’[traduction] « il sera évident pour les personnes versées dans l’art qu’on peut apporter divers changements et modifications ». On peut affirmer que les divulgations et descriptions du document Blake illustrent la portée de l’invention sans la limiter. Il était bien connu qu’un utilisateur pouvait naviguer dans un guide de programmes, par ses choix de canaux ou de créneaux horaires, par exemple, à l’aide des touches de navigation d’une télécommande.

[282] À la lumière de la preuve dont je dispose, je conclus que le document Blake enseigne ce qu’est un GPI distant. La description des fonctions et l’explication contenues dans le document Blake concernant la présentation d’une liste de programmes organisés par thème correspondent exactement à l’explication figurant dans le brevet 061. Comme le dit l’adage, si un oiseau ressemble à un canard, nage comme un canard et pousse le cri d’un canard, c’est probablement un canard.

(b) Le document Blake divulgue‑t‑il un « GPI local » configuré pour enregistrer une émission choisie par l’utilisateur?

[283] Dans son rapport sur la validité, M. Sandoval a déclaré que, dans le document Blake, il y a un GPE dans l’appareil utilisateur, comme un téléviseur ou un ordinateur personnel, et que cet équipement comprend un guide qui permet à l’utilisateur de consulter les émissions disponibles et de programmer leur enregistrement sur un magnétoscope ou un disque vidéo numérique, par exemple. Selon M. Sandoval, le document Blake antériorise les revendications 061, car on y décrit une télévision à domicile ou un ordinateur personnel comportant un guide interactif local. On y décrit aussi un dispositif de saisie à distance qui comprend la navigation dans les émissions disponibles, au minimum par thème et par titre, ce qui serait considéré comme un « guide ». Sur le dispositif de saisie à distance, l’utilisateur peut choisir une émission que son appareil à la maison enregistre par la suite. La connexion entre ce dispositif et l’appareil utilisateur y est décrite comme utilisant tout réseau disponible muni d’un processeur central qui communique avec l’appareil utilisateur situé chez lui.

[284] M. Balakrishnan soutient que le brevet 061 est différent du document Blake en ce que les revendications du brevet 061 exigent que le GPI local soit configuré pour enregistrer une émission, alors que dans le document Blake, la commande d’enregistrement à distance est enregistrée sur le réseau, et c’est le réseau qui commande l’enregistrement. En formulant son opinion, M. Balakrishnan s’est concentré sur le rôle du système central de traitement décrit dans le document Blake, que montre la figure 13 ci‑dessous.

Blake Figure 13

FR

EN

DISPOSITIF D’ENTRÉE

INPUT DEVICE

SYSTÈME CENTRAL DE TRAITEMENT

CENTRAL PROCESSING SYSTEM

DISPOSITIF D’ENREGISTREMENT

RECORDING DEVICE

FIG. 13

FIG. 13

[285] Dans son témoignage, M. Balakrishnan a affirmé que ce contrôle direct du dispositif d’enregistrement, pendant l’enregistrement, démontre que, même si le dispositif d’enregistrement recevant des commandes intègre un GPI local, ce GPI local n’est pas [traduction] « configuré pour enregistrer une émission choisie par l’utilisateur ». Dans son contre‑interrogatoire, il a fini par admettre que ce GPI était « configuré pour enregistrer ».

[traduction]

Q. …et la toute première phrase du premier paragraphe de la page 17 dit : « La présente invention améliore la capacité d’enregistrement du guide de programmes ». Vous le voyez?

R. Oui.

Q. Cela nous dit que le guide lui‑même a une capacité d’enregistrement, n’est‑ce pas?

R. Je ne pense pas contester le fait que le guide, le guide local, a une capacité d’enregistrement.

Q. Voyons maintenant la dernière phrase du même paragraphe. À la ligne 19, on lit : « Le dispositif d’enregistrement 336, dans une réalisation, est un magnétoscope, mais cela peut être tout dispositif ayant des capacités d’enregistrement vidéo, audio, ou les deux. » Vous le voyez?

R. Oui.

Q. Donc si nous cherchons, comme le ferait une personne versée dans l’art, pour trouver quels appareils ont des capacités d’enregistrement telles que décrites dans Blake, ne voyons‑nous pas dans ce même paragraphe que le guide de programmes a des capacités d’enregistrement?

R. Ce guide de programmes, le guide de programmes local, a certes la capacité d’enregistrer sur le dispositif d’enregistrement 336.

Q. Il enseigne que la télécommande doit préciser quoi enregistrer. Si on se penche sur un appareil pouvant enregistrer, le brevet nous apprend aussi que le guide de programmes a une capacité d’enregistrement. C’est tout ce que dit ce paragraphe, n’est‑ce pas?

R. Ce paragraphe indique que le programme local des émissions peut enregistrer sur un périphérique, et qu’un système de traitement central peut aussi enregistrer sur ce périphérique.

Q. On peut enregistrer sur n’importe quel appareil pouvant le faire. Or, le guide de programmes est doté de la fonction d’enregistrement. Il suffit d’acheminer la demande au guide de programmes qui dispose des fonctions d’enregistrement. C’est aussi dans ce paragraphe. N’est‑ce pas?

R. Non. La demande d’enregistrement, tel qu’illustré à la figure 13, est transmise à un système de traitement central, et non au ‑‑ il n’y a aucune divulgation qu’elle est transmise au guide local.

Q. Ce que je dis, c’est que la divulgation est, primo, qu’on peut utiliser n’importe quel appareil doté d’une capacité d’enregistrement, et secundo, que le guide de programmes a une capacité d’enregistrement.

R. Tout d’abord, je ne pense pas que cela désigne tout dispositif pouvant enregistrer; dans cette réalisation, ce doit être le dispositif d’enregistrement 336 qui se trouve être — qui pourrait être un magnétoscope ou tout autre dispositif qui répond à ce critère. Et je suis d’accord avec vous pour dire que le guide de programmes local est doté de fonctions d’enregistrement. Je m’oppose toutefois à l’assertion que la télécommande commande l’enregistrement par le guide de programmes local.

Q. Les illustrations ne le montrent pas, mais c’est ce que le guide peut faire. Peut‑il enregistrer?

R. Un guide local peut enregistrer localement.

[286] M. Balakrishnan a néanmoins persisté à soutenir que le document Blake ne divulgue pas que la commande d’enregistrer est transmise au guide local. Je ne suis pas d’accord. Le document Blake décrit un appareil distant qui communique avec un système de traitement central; ce système reçoit des commandes et les transmet à un périphérique d’enregistrement. C’est essentiellement ce que décrit le brevet 061.

[287] Comme nous l’avons mentionné, M. Balakrishnan n’a pas contesté l’interprétation de M. Sandoval portant sur l’équipement sur lequel un GPI local peut fonctionner. M. Sandoval a interprété l’« équipement de guide de programmes interactif » (équipement de GPI) comme une combinaison d’équipement en tête de ligne et d’équipement au domicile de l’utilisateur. Cela est conforme à la description du brevet 061 et à ses illustrations. Comme le montre la figure 2a ci‑dessous, l’« équipement de guide de programmes interactif 17 » est représenté tant comme l’équipement de distribution du guide de programmes, situé dans les installations du câblodistributeur, que comme l’équipement de télévision de l’utilisateur, situé chez lui. L’équipement de GPI communique avec le dispositif d’accès au guide de programmes à distance 24 par la liaison d’accès à distance 19.

Figure 2a -061 Patent

FR

EN

INSTALLATION DE DISTRIBUTION DE TÉLÉVISION (COMME TÊTE DE LIGNE DE CÂBLODISTRIBUTION, SYSTÈME SATELLITE, ETC.)

TELEVISION DISTRIBUTION FACILITY (E.G., CABLE SYSTEM HEADEND, SATELLITE SYSTEM, ETC.)

ÉQUIPEMENT DE DISTRIBUTION DU GUIDE DE PROGRAMMES

PROGRAM GUIDE DISTRIBUTION EQUIPMENT

ÉQUIPEMENT DE TÉLÉVISION DE L’UTILISATEUR

USER TELEVISION EQUIPMENT

APPAREIL D’ACCÈS AU GUIDE DE PROGRAMMES À DISTANCE

REMOTE PROGRAM GUIDE ACCESS DEVICE

FIG. 2a

FIG. 2a

[288] Les experts s’entendent pour dire que l’élément « équipement de guide de programmes interactif » peut comprendre à la fois un matériel local et un matériel de tête de ligne. Il en découle que la transmission d’une commande d’enregistrement à partir de l’appareil distant à l’équipement de tête de ligne tombe sous le coup de la revendication.

[289] Si cette interprétation est erronée, il reste que la voie de communication des commandes d’enregistrement du GPI distant à l’IPG local n’est pas pertinente. La question est simplement de savoir si le document Blake divulgue un GPI local configuré pour enregistrer un programme. La réponse est oui.

[290] Le document Blake décrit une [traduction] « interface utilisateur de guide ou interface graphique [GUI] » dont les commandes de contrôle à distance sont les entrées principales et un « démon d’enregistrement » exécuté sur le périphérique local. Ce démon d’enregistrement gère l’enregistrement sur le périphérique local, notamment par la vérification de la file d’attente d’enregistrement. En contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan a convenu que dans le document Blake, l’enregistrement local est facilité par un guide de programmes interactif :

[traduction]

Q. Un démon d’enregistrement est ensuite appelé par le logiciel de gestion en temps réel pour interroger la file d’attente et gérer les fonctions d’enregistrement. Vous avez vu cela?

R. Oui.

Q. Et l’interface graphique correspondante, c’est‑à‑dire une forme de guide de programmes interactif, n’est‑ce pas?

R. Sur l’appareil local, oui.

Q. Selon Blake, donc, le guide de programmes interactif de l’appareil local exécute une fonction d’enregistrement, n’est‑ce pas?

R. Dans cet exemple, oui. Le document Blake ne précise toutefois pas où l’enregistrement se produit. Cela est clairement fait à l’aide de l’interface graphique sur le périphérique local.

[291] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le document Blake enseigne ce qu’est un « GPI local configuré pour enregistrer » au sens du brevet 061.

[292] Rovi soutient que, si la Cour conclut que l’invention a été divulguée, le document Blake ne rend pas réalisable l’invention protégée par le brevet 061, mais cet argument n’a pas été développé vigoureusement. À la lumière de la preuve dont je dispose, je conclus que les renseignements dans le document Blake sont suffisants pour rendre réalisable l’invention visée par le brevet 061.

[293] Il s’ensuit que tous les éléments des revendications 061 se trouvent dans le document Blake, ce qui rend les revendications invalides pour cause d’antériorité. Il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant la question de l’évidence des revendications jugées antériorisées, car il n’y a pas de différences et, par suite, rien à quoi attribuer du génie inventif. Cependant, si je faisais erreur et que les revendications 061 n’étaient pas antériorisées, je les jugerais invalides pour cause d’évidence pour les motifs qui suivent.

(2) L’évidence

[294] Vidéotron soutient que le document Blake ou le document DAVIC rendent le brevet 061 évident, compte tenu des CGC de la personne versée dans l’art.

[295] Comme l’a affirmé le juge Michael Manson dans la décision Hoffmann‑La Roche Limited c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 384, le critère relatif à l’évidence est énoncé à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Cette contestation fondée sur l’inventivité exige une attention particulière, d’autant plus qu’avec le recul, tout devient clair (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 aux para 50‑51, autorisation d’appel à la CSC refusée 33885 (14 avril 2011)).

  • [296]Comme l’antériorité, l’évidence est évaluée revendication par revendication. Chaque allégation est évaluée par rapport au critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Sanofi (au para 67) :

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[297] Rovi soutient que peu de poids devrait être accordé à l’avis de M. Sandoval au sujet de l’évidence parce que son analyse est très brève et qu’elle ne traite pas de chaque élément des revendications 061 par rapport à l’art antérieur. Bien que la critique soit fondée, j’estime que M. Sandoval a essentiellement suivi la démarche d’analyse exposée dans l’arrêt Sanofi dans son rapport d’expert sur la validité du brevet 061. (La remarque vaut également à propos des autres brevets.) M. Sandoval a identifié la personne versée dans l’art et déterminé les connaissances courantes qu’elle aurait. Il a ensuite examiné l’art antérieur, relevé les [traduction] « écarts » et indiqué si, à son avis, il aurait été évident pour la personne versée dans l’art de les combler. En s’appuyant sur cette analyse, il a conclu que les revendications 061 étaient évidentes.

(a) Étape 1 : Identifier la personne versée dans l’art et déterminer les CGC

[298] La personne versée dans l’art est identifiée et les CGC sont déterminées plus haut dans les présents motifs. En se concentrant sur les éléments principaux des CGC relatives au brevet 061, les experts ont convenu que, dans les années 1990, la personne versée dans l’art aurait su que les réseaux locaux et les réseaux étendus pouvaient être créés à l’aide d’ordinateurs et d’autre matériel électronique.

[299] M. Balakrishnan a également convenu qu’un réseau peut prendre en charge l’accès à distance, qu’un appareil d’accès à distance aurait certaines fonctions d’entrée/sortie qui permettent d’indiquer un programme à enregistrer, et qu’un moyen commun de confirmer les commandes des utilisateurs était d’afficher les données à l’aide d’une liste de programmes. La personne versée dans l’art aurait aussi connu les rouages de l’enregistrement d’émissions à l’aide d’un GPI sur un magnétoscope ou un disque dur.

(b) Étape 2 : Définir l’idée originale

[300] À la deuxième étape, la Cour doit « [d]éfinir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation ». Il arrive à l’occasion que l’idée originale soit« manifeste », lorsque les parties s’entendent à ce sujet. Dans le cas contraire, l’idée originale doit être interprétée (Shire LLC, 2021 CAF 52 au para 67). Pour ce faire, la Cour doit d’abord voir si elle peut être cernée à partir de l’exercice antérieur d’interprétation des revendications. Deuxièmement, lorsqu’il est impossible de saisir intégralement l’idée originale à partir de ces seules revendications, la Cour peut tenir compte du mémoire descriptif du brevet pour déterminer si celui‑ci apporte quelque précision sur l’idée originale de la revendication en litige (Sanofi, au para 77).

[301] Si cette étape est nécessaire, « [o]n ne saurait cependant s’appuyer sur le mémoire descriptif pour interpréter [l’idée originale] des revendications de façon plus restrictive ou plus extensive » (Sanofi, au para 77). L’idée originale est un attribut des revendications, mais sa définition diffère de l’interprétation des revendications. Bien que l’exercice de définition de l’idée originale comporte, en soi, une ressemblance frappante avec l’interprétation des revendications, il s’agit néanmoins de deux exercices distincts (Shire LLC, au para 68). Il faut prendre en considération la ou les idées originales de la ou des revendications en cause, et non pas l’idée originale du brevet (Shire LLC, au para 69).

[302] Les experts sont d’accord pour dire qu’en lisant les documents Blake et DAVIC, la personne versée dans l’art comprendrait que, pour que l’accès à distance fonctionne, il faut un réseau d’accès à distance, des voies de communication, et des capacités d’entrée et de sortie, et que les décodeurs peuvent enregistrer et recevoir une commande d’enregistrement à partir d’un dispositif à distance. Rovi affirme que ces éléments ne constituent pas l’invention divulguée par les revendications 061 et qu’il existe des différences importantes entre l’art antérieur et les revendications 061. Il est allégué que chacun des éléments ci‑dessous figure dans les revendications 061, mais ne figure pas dans l’art antérieur :

  • (1)un appareil d’accès à distance au guide de programmes intégrant un GPI;

  • (2)la présence et l’utilisation d’un GPI d’accès à distance (par opposition à une autre interface) pour transmettre la commande d’enregistrement;

  • (3)un GPI local qui reçoit la communication de l’appareil d’accès à distance et qui contrôle l’enregistrement du programme.

[303] Ni l’un ni l’autre expert technique n’a cerné d’idée originale dans le brevet 061, mis à part le libellé des revendications comme tel. En particulier, rien dans les revendications 061 n’indique que le GPI local reçoit directement les commandes du dispositif distant, comme l’affirme Rovi. Les revendications 061 sont fondées sur la combinaison de deux idées : (1) à l’aide d’un appareil distant sur lequel un GPI est mis en œuvre, un utilisateur transmet une commande d’enregistrement d’une émission sur un périphérique se trouvant chez lui; et (2) un GPI fonctionnant sur un appareil à la maison est configuré pour recevoir la commande et contrôler l’enregistrement du programme.

(c) Étape 3 : Recenser les différences entre l’art antérieur et l’idée originale

[304] À la troisième étape de l’analyse de l’évidence, l’idée originale qui sous‑tend la revendication définie à la deuxième étape est comparée à l’art antérieur pour savoir si une solution équivalente ou semblable au problème examiné par le demandeur était connue à la date de la revendication et, le cas échéant, dans quelle mesure. L’état de la technique s’entend des renseignements auxquels a accès la personne versée dans l’art et est généralement déterminé en fonction de documents d’art antérieur précis qu’une recherche raisonnable et diligente aurait permis de découvrir.

[305] Les parties conviennent que les antériorités citées par Vidéotron étaient accessibles au public au moment de leur publication. En outre, les parties s’entendent sur les CGC que possédait la personne versée dans l’art à la date de priorité du brevet 061. Comme expliqué ci‑dessous, je ne vois aucune différence entre l’idée originale qui sous‑tend les revendications 061 et l’état de la technique. Le « problème » à résoudre dans ce cas – l’enregistrement à distance – était déjà reconnu dans le document Blake, qui avait cerné le besoin ou l’avantage d’un appareil permettant à un utilisateur de programmer à distance l’enregistrement d’une émission de télévision. Les revendications 061 ont le même objectif : permettre à l’utilisateur d’accéder à la fonction d’enregistrement du guide de programmes situé chez lui à partir d’un autre endroit.

[306] Commençons par le document DAVIC, qui répertorie les fonctions d’un « RÉSEAU DOMESTIQUE », notamment la fonction 15.17, énoncée comme suit : [traduction] « Le réseau doit prendre en charge l’accès à distance, c’est‑à‑dire à partir d’un périphérique situé à l’extérieur du domicile ». La description de la fonction n’enseigne pas à elle seule à la personne versée dans l’art le système que décrivent les revendications 061. En fait, elle ne mentionne même pas l’enregistrement.

[307] Le document DAVIC a toutefois été rédigé délibérément de façon générale, en sachant que l’industrie était consciente des objectifs et des démarches de conception des systèmes décrits, pour laisser aux concepteurs toute liberté de choisir comment les mettre en œuvre. Je suis d’accord avec M. Sandoval pour dire que la fonction 15.17 serait comprise par la personne versée dans l’art comme signifiant que l’utilisateur serait en mesure d’accéder aux fonctions de son réseau domestique à l’aide d’un appareil situé à l’extérieur de chez lui. Dans la même section, le document DAVIC précise : [traduction] « Les nœuds du réseau doivent pouvoir transmettre et recevoir les commandes de contrôle applicables vers d’autres nœuds du réseau et provenant de ceux‑ci. » La mention de ces fonctions ferait comprendre à la personne versée dans l’art que les commandes, d’enregistrer par exemple, peuvent être envoyées au réseau à distance pour en commander les périphériques. Tout écart dans cette idée originale a été comblé par le document Blake.

[308] Comme je l’indique dans mon analyse de l’antériorité, Rovi a fait valoir que le document Blake ne divulguait pas deux éléments de la revendication : (1) l’utilisation d’un GPI distant et (2) la présence d’un GPI local configuré pour enregistrer. Vidéotron soutient que ces prétendus écarts sont évidents à combler à la lumière du document Blake, si les éléments ne sont pas considérés comme expressément divulgués par le document Blake. Comme j’expose plus haut, dans mon analyse de l’antériorité, les motifs de ma conclusion selon laquelle le document Blake enseigne ce que sont un GPI distant et un GPI local configuré pour enregistrer, il m’est inutile de le répéter.

[309] Quant au « guide à distance » des revendications 1 et 7, les deux experts conviennent que le document Blake décrit un système qui permet à un utilisateur de programmer des enregistrements à distance à l’aide d’un ordinateur, par exemple. Si j’ai tort en concluant que le document Blake décrit parfaitement bien un guide limité de programmes à distance, j’estime que l’ajout d’un tel guide à l’ordinateur distant, dans le document Blake, aurait été évident pour la personne versée dans l’art. Une interface de navigation devait obligatoirement être accessible sur cet ordinateur pour permettre à l’utilisateur d’interagir avec la liste des programmes. Ce n’est là que bon sens.

[310] Quant au « GPI local configuré pour enregistrer », décrit dans les revendications 1 et 7, la personne versée dans l’art, dans les années 1990, connaissait bien les GPI et comment les mettre en œuvre sur divers appareils, notamment ceux pouvant être utilisés à distance. La personne versée dans l’art aurait su qu’un GPI pouvait être configuré pour enregistrer une émission. Dans la mesure où, dans le document Blake, l’utilisation d’une application locale (le démon) n’est pas explicitement une utilisation du GPI, la personne versée dans l’art aurait compris que l’interface utilisateur du guide, dans le document Blake, commande l’enregistrement local.

[311] À la lumière de la preuve dont je dispose, je conclus que les éléments qui ne figureraient pas dans le document Blake seraient en revanche évidents.

(d) Étape 4 : Répondre à la question de savoir si les différences recensées à la troisième étape constituent des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent quelque inventivité

[312] La quatrième étape de l’analyse de l’évidence consiste à examiner si, à la lumière de l’art antérieur et abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, les différences constituent des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent au contraire quelque inventivité (Sanofi, au para 67, 70). L’évidence doit être examinée de façon objective et téléologique au regard du problème que cherche à résoudre le brevet.

[313] Au paragraphe 113 de la décision Janssen‑Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234, la Cour a énuméré des facteurs qu’elle peut prendre en considération, sur une base objective et en fonction de principes, dans une analyse de l’évidence. La liste comprend notamment les facteurs suivants :

le climat qui régnait dans le domaine concerné à l’époque où l’invention alléguée a été conçue, dont non seulement les connaissances et l’information, mais aussi les attitudes, tendances, préjugés et attentes qui définiraient la personne versée dans l’art;

toute motivation qui, à l’époque où l’invention alléguée a été conçue, engageait à régler un problème reconnu dans le domaine auquel appartient l’invention;

le temps et les efforts qui ont été consacrés à l’invention.

[314] Lorsque le problème à régler était déjà reconnu dans le domaine dont relève l’invention, il peut être approprié de seulement examiner s’il fallait du génie inventif pour concevoir la solution revendiquée et la mettre en œuvre. À l’inverse, lorsque le problème ou sa cause sous‑jacente n’était pas auparavant reconnu ou compris, il peut y avoir invention même si la solution proposée pour régler le problème nouvellement décelé aurait été immédiatement évidente pour la personne versée dans l’art. Cependant, il ne saurait être question de génie inventif si le problème allégué n’a jamais existé et qu’il n’était qu’un obstacle artificiel ou un « épouvantail » créé pour que la « solution » proposée paraisse inventive (Sanofi‑Aventis Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 230 au para 87).

[315] Comme j’ai conclu qu’il n’existait pas de différence entre l’art antérieur et l’idée originale, je serai bref dans mon analyse relative à la quatrième étape.

[316] Tout d’abord, les activités de l’industrie et la motivation à innover ont déjà été évoquées dans la section « Connaissances générales courantes » des présents motifs. Il suffit de dire que les années 1990 ont vu beaucoup d’innovations dans le domaine des applications et services audiovisuels numériques interactifs. Le document Blake, publié quelques mois avant la date de priorité du brevet 061, n’en est qu’un exemple.

[317] Deuxièmement, peu d’éléments de preuves ont été présentés à l’instruction au sujet du travail accompli pour arriver au brevet 061 ni d’ailleurs au sujet des autres inventions qui sont en cause en l’espèce. S’agissant de la recherche et du développement, M. Thomas a expliqué que l’un des éléments clés que son équipe avait dû déterminer au départ était l’équipement sur lequel les produits allaient fonctionner. Pour les GPI, il existait déjà ce que son équipe avait appelé [traduction] « des appareils analogiques avancés, puis la perspective de décodeurs de câblodistribution numériques ». L’équipe avait ensuite dû décider [traduction] « des caractéristiques du produit qu’elle voulait ». M. Thomas n’avait toutefois aucun souvenir des mesures prises pour développer les fonctions d’enregistrement à distance, ni de la façon dont l’un ou l’autre des inventeurs nommés au brevet avait pu y contribuer. En fait, il ne souvenait pas avoir travaillé à créer un système concret pouvant permettre à un utilisateur de commander à distance l’enregistrement d’une émission. Aussi, lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de l’idée d’enregistrer à distance une émission donnée, M. Thomas n’a pu que répondre : [traduction] « Aujourd’hui, devant vous, cela semble être une possibilité raisonnable. »

[318] Bien entendu, l’invention doit constituer une avancée substantielle par rapport aux connaissances existantes. À mon avis, à la lumière du document Blake et compte tenu de ses CGC, la personne versée dans l’art ne jugerait pas inventive l’idée d’utiliser des GPI de la manière décrite dans les revendications 061. Les revendications 061 sont donc invalides pour cause d’évidence.

[319] Si mon analyse de la validité est erronée et que les revendications 061 sont jugées valides, la question est alors de savoir si elles ont été contrefaites.

C. La contrefaçon

[320] La contrefaçon est définie de façon générale comme toute activité qui prive le titulaire du brevet, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole qui lui est conféré par la loi (Schmeiser, aux para 34, 35). Ce monopole est le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention (art 42 de la Loi sur les brevets).

[321] Comme je l’indique plus haut, les éléments sur lesquels porte le différend qui oppose les experts à propos de la contrefaçon sont [traduction] « un appareil d’accès à distance au guide de programmes » et [traduction] « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local ».

(a) L’élément « appareil d’accès à distance au guide de programmes »

[322] L’un des éléments essentiels de la revendication 2 est [traduction] « un appareil d’accès à distance au guide de programmes situé à l’extérieur du domicile de l’utilisateur et sur lequel un guide de programmes interactif accessible à distance est configuré ». M. Sandoval soutient que M. Balakrishnan a utilisé pour les essais des appareils qu’il s’était lui‑même procurés et non pas des appareils fournis par Vidéotron, et que [traduction] « les ordinateurs portables et les appareils mobiles ne font pas partie du “système” illico fourni par Vidéotron ».

[323] Rovi soutient que la question de savoir qui fournit l’appareil n’est pas liée à celle de la contrefaçon. Elle affirme qu’en fournissant aux utilisateurs l’accès à cette fonctionnalité et en supposant qu’un utilisateur disposera d’un appareil d’accès à distance, Vidéotron prive Rovi de la pleine jouissance de son monopole.

[324] Rien ne prouve que Vidéotron a directement contrefait l’élément de la revendication 2. Cependant, la conclusion de Vidéotron selon laquelle il n’y a pas contrefaçon du fait que l’abonné se procure lui‑même les appareils en question est erronée, car on peut se rendre coupable de contrefaçon simplement en incitant ou en amenant autrui à contrefaire un brevet.

[325] Il y a incitation à la contrefaçon si : i) l’acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur direct; ii) l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu; iii) l’influence a été exercée sciemment par l’incitateur, autrement dit l’incitateur savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon (Corlac Inc c Weatherford Canada Ltd, 2011 CAF 228 au para 162).

[326] À mon avis, il est établi qu’il y a eu incitation à la contrefaçon de l’élément de la revendication 2 mentionné plus haut.

[327] Depuis au moins le 1er janvier 2017, Vidéotron propose à ses abonnés le système illico, qui leur permet de commander des enregistrements à distance. L’entreprise leur fournit les logiciels mobiles et en ligne nécessaires pour cette fonction, et les instructions voulues sur la façon de télécharger ou d’accéder à ces logiciels à partir de leurs appareils.

[328] La seule façon pour un abonné d’obtenir l’accès aux avantages de l’invention visée par le brevet 061 est d’utiliser le système proposé par Vidéotron. En commandant au système de déclencher l’enregistrement et en obtenant les avantages du résultat, un abonné utilise ce système. Cette utilisation a été induite par Vidéotron en ce sens que, sans l’influence de Vidéotron, aucune contrefaçon directe n’aurait eu lieu. Vidéotron a exercé cette influence en sachant qu’elle entraînerait une contrefaçon. De plus, Vidéotron a fourni à ses abonnés l’application mobile d’enregistrement à distance (une application illico) et, sur son site Web et dans ses guides d’utilisation, les directives de téléchargement et d’utilisation. Des instructions claires ont aussi été fournies, sur le site Web de Vidéotron, sur l’accès à l’application du navigateur Web et l’enregistrement d’émissions à distance à partir de ce site. Sans l’application illico ou le site Web de Vidéotron, l’abonné n’aurait pas pu utiliser ce système ni enregistrer une émission à distance. Vidéotron a en outre expliqué comment un abonné pouvait commander un enregistrement à distance.

[329] À l’égard des revendications 7 et 8, M. Sandoval a soulevé la même question concernant [traduction] « [l’]appareil d’accès à distance au guide de programmes » que se procure l’utilisateur. Ce faisant, il a fait abstraction du libellé propre à ces revendications et a confondu celles‑ci avec les revendications 1 et 2. La revendication 7 exige que soient fournis les [traduction] « moyens permettant à l’utilisateur de sélectionner un programme pour l’enregistrement à l’aide d’un lien d’accès à distance ».

[330] Étant donné que les revendications 7 et 8 exigent que soient fournis, non pas l’appareil lui‑même, mais les moyens permettant d’effectuer un enregistrement à distance, je suis d’accord avec Rovi pour dire que Vidéotron les a directement contrefaites. Subsidiairement, Vidéotron a incité à contrefaire les revendications 7 et 8 de manière semblable à ce qui a été exposé ci‑dessus à propos de la revendication 2.

(b) L’élément « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local »

[331] Rovi affirme que, si la façon dont M. Balakrishnan interprète l’élément [traduction] « enregistrer à l’aide du guide de programmes interactif local » est retenue, alors le système illico 2 intègre cet élément. Ce n’est pas si simple.

[332] Comme je l’ai déjà expliqué, selon les revendications 061, le GPI local est « configuré » pour enregistrer une émission choisie par l’utilisateur sur un appareil distant. Ces revendications ne visent pas à limiter la conception de ce GPI local. Elles ne décrivent pas non plus le « guide de programmes interactif » ni le « guide de programmes interactif local » comme étant un seul logiciel mis en œuvre uniquement sur un appareil dans le logis de l’utilisateur.

[333] Les experts s’entendent pour dire que la personne versée dans l’art interpréterait « GPI local » comme un logiciel fonctionnant probablement sur l’équipement de télévision de l’utilisateur, comme un décodeur, mais fonctionnant peut‑être tant sur l’appareil utilisateur que sur l’équipement de tête de ligne, c’est‑à‑dire l’appareil de guide de programmes interactif. Le système illico 2 permet de commander un enregistrement à distance à partir d’un périphérique, mais l’application GPE n’est pas configurée pour cela.

[334] Plutôt, la commande est transmise de l’appareil distant de l’utilisateur au « EVP client distant », exécuté sur la tête de ligne dans les installations de Vidéotron. L’EVP client distant, un composant du réseau, reçoit la commande et la transmet au décodeur approprié. Comme dans le document Blake, le décodeur de Vidéotron exécute aussi un « démon » sur le décodeur. La commande envoyée par l’EVP client distant est détectée par le démon du décodeur, qui la transmet à l’application EVP. Et c’est cette application qui gère tous les enregistrements du système. L’application GPE est un logiciel distinct.

[335] L’application GPE et l’application EVP font partie du périphérique intégré, mais aux fins de l’enregistrement à distance, elles n’interagissent pas, comme l’illustre le schéma du système illico 2, ci‑dessous.

FR

EN

Mises à jour des enregistrements

Recordings updates

Données de configuration (OC)

Configuration data (OC)

Messages multipièce (MoCA)

Multiroom messages (MoCA)

Décodeur externe

External STB

Application EVP (intègre OCHN)

PVR Application (including OCHN)

Messages distants

Remote messages

Démon du décodeur

STB Daemon

Messages distants (HTTP)

Remote messages (HTTP)

Client EVP distant

Remote PVR Client

Mises à jour au GPE

EPG updates

Données du GPE

EPG data

Gestionnaire de données du GPE

EPG Data Manager

Planification des mises à jour

Schedules updates

Données de l’application

Application data

Application GPE

EPG Application

Données des horaires

Schedules data

Confirmation de l’économiseur d’écran

Screen Saver Confirmation

Réglages du clavier

Kbd Parameters

Données entrées

Input data

Réglages de la « flip bar »

Flip Bar Parameters

Données entrées

Input data

Profil et préférences

Profile & preferences

Application EVP (intègre OCHN)

PVR Application (including OCHN)

[336] Les boîtes et les lignes du schéma du système n’ont pas été tracées après le début du litige. Au contraire, elles font partie de l’architecture du système illico 2 depuis le début. Il est donc inapproprié que Rovi affirme que le schéma a été réalisé pour servir les fins de Vidéotron.

[337] Étant donné qu’un GPI local configuré pour enregistrer est un élément essentiel des revendications 061 et que le système illico 2 fonctionne différemment, je conclus que Vidéotron ne le contrefait pas.

[338] En outre, M. Balakrishnan a soutenu que le document Blake n’antériorisait pas les revendications 061, en partie parce que, dans ce document, le GPI local n’est pas configuré pour enregistrer l’émission choisie par l’utilisateur. Cet argument est toutefois une épée à double tranchant. Supposons pour l’instant que ce soit vrai; c’est alors clairement la même chose pour le système de Vidéotron : l’application GPE locale n’est pas configurée pour enregistrer une émission choisie à distance. Le système de Vidéotron exploite un type de logiciel, un démon, semblable à celui du document Blake. Selon cette interprétation, pour être cohérent, soit le système de Blake antériorise le système de Vidéotron parce qu’il utilise un démon d’enregistrement pour gérer l’enregistrement à distance, soit le système de Vidéotron ne contrefait pas le brevet, car le démon reçoit des messages du réseau, pas directement d’un appareil distant, et il ne les transmet pas vers l’application GPE mais plutôt vers l’application EVP.

XI. Le brevet 870 : EVP multipièce

[339] De manière générale, le brevet 870 concerne les systèmes GPI, et plus particulièrement ceux qui permettent aux utilisateurs d’enregistrer des émissions et des données des guides de programmes sur un serveur multimédia.

[340] La date de dépôt du brevet 870 est le 13 juillet 1999. La date de priorité revendiquée est le 14 juillet 1998.

[341] Au départ, il était allégué que des dizaines de revendications du brevet 870 avaient été contrefaites; elles ont été regroupées en 3 ensembles de revendications distincts. Les revendications des groupes A et B ont été abandonnées, probablement parce qu’elles ont été rendues évidentes par le brevet Boyer, CA 2 274 560, publié le 18 juin 1998. Le brevet Boyer, cité à titre d’antériorité par Vidéotron, explique l’utilisation de Worldgate (voir le paragraphe 195 ci‑dessus) pour créer un [traduction] « décodeur prenant en charge Internet ».

[342] Rovi a choisi de n’aller de l’avant qu’avec le groupe C : la revendication 456 (qui dépend de la revendication 454), la revendication 459 (qui dépend de la revendication 457), et les revendications 720 et 721 [les revendications 870C]. L’entreprise affirme que toutes les revendications 870C ont été contrefaites par Vidéotron. Les voici :

[traduction]

Revendication 454

Méthode de lecture d’émissions stockées sur l’appareil utilisateur d’un autre utilisateur, ce qui comprend :

la génération d’une commande de lecture d’une émission avec le premier appareil utilisateur, où l’émission a été enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur en réponse à une commande d’enregistrement générée sur ce deuxième appareil;

en réponse à la commande de lecture, la réception par le premier appareil utilisateur de l’émission du deuxième appareil utilisateur;

et l’affichage de l’émission reçue.

Revendication 456

Méthode de la revendication 454, dans laquelle l’émission est une radiodiffusion.

Revendication 457

Le premier appareil utilisateur, servant à lire des émissions stockées sur un deuxième appareil utilisateur; ce premier appareil comprenant :

un moyen de générer la commande de lecture d’une émission par le premier appareil utilisateur, quand elle a été enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur en réponse à une commande d’enregistrement générée sur ce deuxième appareil;

un moyen de recevoir sur le premier appareil utilisateur l’émission du deuxième appareil utilisateur en réponse à la commande de lecture;

un moyen d’afficher l’émission reçue.

Revendication 459

Le premier appareil utilisateur de la revendication 457, où l’émission est une radiodiffusion.

Revendication 720

Méthode de lecture d’émissions, qui comprend :

la réception d’une commande d’enregistrement d’une émission sur le premier appareil utilisateur pour l’enregistrer sur cet appareil, dans lequel cet appareil est connecté à un premier écran configuré pour générer un affichage vidéo;

en réponse à la réception de la commande d’enregistrement sur le premier appareil utilisateur, l’enregistrement de l’émission sur ce premier appareil;

la transmission, du deuxième appareil utilisateur au premier appareil utilisateur, d’une commande de lecture de l’émission, où ce deuxième appareil est connecté à un deuxième écran configuré pour générer un affichage vidéo;

la réception par le premier appareil utilisateur à partir du deuxième appareil utilisateur, de la commande de lecture de l’émission;

en réponse à la réception par le premier appareil utilisateur à partir du deuxième appareil utilisateur, de la commande de lecture de l’émission, la transmission de cette émission à ce deuxième appareil;

la réception, par le deuxième appareil utilisateur, de l’émission transmise par le premier appareil utilisateur; et

l’affichage, sur l’écran du deuxième appareil utilisateur, de l’émission reçue par ce deuxième appareil.

Revendication 721

Méthode de la revendication 720, dans laquelle l’émission est une radiodiffusion.

[343] En gros, l’objet des revendications 870C est la capacité de commander la lecture par un deuxième équipement de l’utilisateur d’une émission enregistrée sur le premier équipement de l’utilisateur.

[344] Vidéotron remet en question la description par Rovi du brevet 870 comme étant un brevet de « EVP multipièce ». L’entreprise soutient qu’une lecture équitable de la divulgation du brevet 870 indique clairement que le brevet vise à permettre aux utilisateurs d’enregistrer des programmes sur un serveur de médias, et non sur un système d’EVP domestique dans son ensemble, comme l’affirme Rovi. Nous approfondirons cette assertion plus loin.

[345] Les éléments qui demeurent en litige entre les parties concernent le sens des éléments [traduction] « appareil utilisateur d’un autre utilisateur » et [traduction] « réception ou transmission de l’émission depuis ou vers le deuxième appareil utilisateur ». Avant de passer à l’interprétation des éléments litigieux et à l’examen de la question de l’évidence, il faut examiner trois questions soulevées par Vidéotron : 1) la justification de la date de priorité du brevet 870, 2) la suffisance de la divulgation du brevet 870, et 3) les implications des modifications apportées au brevet 870 au cours de l’instance.

(a) La justification de la date de priorité du brevet

[346] La date de priorité revendiquée du brevet 870 est le 14 avril 1998. Cette revendication de priorité est faite dans un document d’une page –US 60/092 807 [807 provisoire] – qui traite en gros d’un serveur de médias pouvant enregistrer des émissions choisies par l’utilisateur.

[347] Vu sa brièveté, le brevet 807 provisoire est présenté ici intégralement.

[traduction]

Guide de programmes de télévision interactif client‑serveur et enregistrement à distance

Les guides de programmes électroniques s’exécutent généralement localement sur le téléviseur ou l’ordinateur d’un utilisateur.

Cependant, comme les capacités de traitement et de stockage d’un décodeur, d’un récepteur ou d’un téléviseur numérique sont souvent assez limitées, les fonctions du guide sur ces plates‑formes le sont aussi.

Les plates‑formes de télévision en cours de développement aujourd’hui prennent en charge les communications bidirectionnelles. Cela permettra à un guide de programmes d’augmenter ses capacités locales de traitement et de stockage à l’aide d’un serveur distant.

De nombreuses méthodes permettent à un décodeur ou à un récepteur de communiquer avec un serveur distant. Cela peut se faire par le câble de câblodistribution, par un modem ou par un réseau local domestique comprenant un ordinateur ayant une connexion à Internet.

Une amélioration possible avec une connexion à un serveur distant est l’exploitation de ce serveur pour enregistrer des émissions.

Le téléspectateur peut choisir des émissions précises pour les enregistrer. Il peut aussi fixer des critères élaborés pour trouver les émissions qui l’intéressent. Il peut par exemple souhaiter enregistrer toutes les comédies où joue Garry Shandling, à condition qu’elles n’aient pas été déjà enregistrées.

Le serveur peut enregistrer toutes les émissions demandées par n’importe quel téléspectateur, ou les enregistrer en fonction du nombre de demandes. Si on adopte cette dernière démarche, le serveur peut informer le client local du guide de toute émission demandée qui ne sera pas enregistrée sur le serveur, afin de l’enregistrer localement. Le serveur peut aussi attribuer à chaque foyer un espace mémoire fixe ou réglable.

Le serveur peut supprimer automatiquement toute émission enregistrée après un délai préétabli, ou la supprimer une fois que tous les téléspectateurs intéressés l’ont regardée.

Le câblodistributeur peut rendre les émissions enregistrées sur le serveur disponibles à la demande aux guides clients distants. Ce guide peut présenter des listes, possiblement organisées par thème, date ou tout autre critère, pour aider le téléspectateur à choisir l’émission qu’il désire regarder. Il peut présenter une liste d’enregistrements personnels demandés par les habitants du domicile visé. Les émissions enregistrées sur le serveur peuvent aussi figurer à d’autres écrans du guide, comme des listes thématiques.

Si le téléspectateur demande de regarder une émission enregistrée sur le serveur distant, les fonctions normales d’un magnétoscope, notamment Lecture, Pause, Arrêt, Avance rapide et Retour en arrière, doivent être disponibles. Toutes les fonctions de contrôle parental du guide devraient aussi s’appliquer aux émissions regardées à partir du serveur.

Le serveur peut également planifier la présentation des émissions enregistrées à une ou plusieurs dates et heures ultérieures, en fonction peut‑être des préférences précisées à la demande d’enregistrement initiale. Dans ce cas, ces émissions sont retransmises sur des canaux préétablis. Le serveur peut aussi supprimer n’importe quelle émission après qu’elle a été regardée un nombre précisé de fois.

Autre possibilité, l’émission enregistrée peut être envoyée à l’abonné sur un support physique (DVD ou vidéocassette), immédiatement ou après un certain délai de conservation.

Le serveur peut aussi se trouver dans le domicile d’un abonné, auquel cas les émissions demandées seront stockées localement. Ce serveur peut simplement être un décodeur muni de mémoire supplémentaire accessible localement sur le réseau de câblodistribution domestique. Ce peut aussi être un ordinateur ou autre périphérique doté d’une mémoire étendue.

[348] Dans son rapport sur la validité, M. Sandoval observe que le document de priorité ne mentionne pas de fonction de recherche (revendications du groupe A), ni comment la « lecture spéciale » peut être faite (revendication 658), comment utiliser les « pointeurs » vers une émission stockée à distance (revendications du groupe D), ou comment transférer les émissions entre les appareils de l’utilisateur; c’est là l’objet même des revendications 870C.

[349] Vidéotron soutient que, vu l’absence de divulgation dans le brevet 807 provisoire, le brevet 870 ne saurait revendiquer une date de priorité, et que la date de revendication devrait plutôt être le 11 juin 1999, c’est‑à‑dire la date du deuxième document de priorité revendiquée dans le brevet. À cette date, les systèmes à disque dur de TiVo et Replay Networks, inc. [Replay TV] étaient déjà sur le marché et auraient été très bien connus de la personne versée dans l’art.

[350] Rovi affirme que la date de priorité choisie n’a aucune importance. Elle ajoute que la mention des systèmes TiVo et ReplayTV dans le brevet 870 indique qu’il n’existe aucun document d’antériorité important. Rovi ajoute qu’aucune preuve d’expert n’indique si les documents d’antériorité modifieraient l’analyse de l’évidence ni, le cas échéant, quelle serait leur incidence.

[351] Je suis d’accord avec Vidéotron pour dire que le 11 juin 1999 est la date de priorité applicable au brevet 870. Quant à l’argument de Rovi selon lequel la date de priorité utilisée n’a pas d’importance, j’estime qu’il est préférable de l’examiner dans mon analyse de l’évidence.

(b) Le caractère suffisant de la divulgation

[352] Cela m’amène à la question du caractère suffisant de la divulgation du brevet 870.

[353] Le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets prévoit que le mémoire descriptif doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur.

[354] La divulgation doit contenir une description de l’invention formulée en termes clairs et précis (c’est‑à‑dire une description exacte et exhaustive). Elle doit également contenir suffisamment d’instructions pour que la personne versée dans l’art puisse reproduire et exploiter l’invention revendiquée. Si la première condition n’est pas remplie, la revendication sera invalide pour cause d’ambiguïté, et si la seconde ne l’est pas, la revendication sera invalide pour cause de divulgation insuffisante (Pioneer Hi‐Bred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623 à la p 1638).

[355] Si la personne versée dans l’art doit résoudre des problèmes qui lui imposent des difficultés excessives ou exigent de l’ingéniosité, la description est insuffisante (et les revendications afférentes ne sont pas étayées) (Sanofi, aux para 33‑37). De plus, une revendication dont la portée est plus large que celle de l’invention réalisée ou divulguée est excessive (Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CAF 209 au para 115).

[356] Vidéotron soutient que la description écrite du brevet 870 est en décalage total avec les revendications 870C que Rovi fait actuellement valoir. Je ne suis pas d’accord.

[357] Le brevet 870 reconnaît dans sa description générale que des systèmes capables de stocker des programmes sur un disque dur étaient déjà créés, par TiVo et ReplayTV, notamment, mais que certaines lacunes de systèmes avaient déjà été relevées.

[traduction]

Ces lacunes consistent dans le besoin, au domicile de l’utilisateur, d’un matériel additionnel, ce qui peut augmenter considérablement le coût de cet équipement de télévision. De tels systèmes ne permettent pas non plus d’enregistrer plusieurs émissions simultanément sans posséder plusieurs appareils chez soi.

[358] Le brevet 870 explique en outre que les systèmes de vidéo sur demande (VSD) courants étaient connus à l’époque, mais qu’ils avaient aussi des inconvénients : soit toutes les émissions étaient stockées à la tête de ligne, soit uniquement les émissions choisies par l’opérateur y étaient stockées.

[359] Le problème que le brevet 870 prétend résoudre, c’est comment remédier aux lacunes du stockage d’émissions sur un disque dur local. Le brevet 870 explique qu’une solution aux problèmes relevés dans les systèmes antérieurs serait de [traduction] « fournir un système de guide de programmes qui permet aux utilisateurs de commander un serveur pour enregistrer certaines émissions à regarder plus tard sur demande ».

[360] M. Sandoval a critiqué la divulgation du brevet 870, car il n’y voit aucune section qui décrit un premier appareil utilisateur communiquant directement avec un deuxième appareil utilisateur, en particulier en ce qui concerne les émissions stockées sur l’appareil utilisateur. Le brevet 870 ne décrit pas non plus deux appareils utilisateur communiquant avec un seul support de médias local ou partageant un tel support. M. Sandoval n’a toutefois pas dit que cela empêcherait la personne versée dans l’art de réaliser l’invention visée par les revendications 870C.

[361] À mes yeux, le brevet 870 permet à la personne versée dans l’art d’utiliser l’invention visée par les revendications 870C en s’appuyant sur les renseignements divulgués dans le mémoire descriptif et sur ses connaissances générales courantes. Le brevet 870 contient des directives sur la communication et la lecture à partir d’un serveur de médias distant ou local.

[362] Les deux experts conviennent que les revendications 870C visent en gros à présenter le contenu enregistré dans un décodeur sur un autre décodeur. Le brevet 870 décrit aussi le [traduction] « serveur de médias local » comme un appareil (chez l’utilisateur) destiné à stocker et à lire des émissions sur demande, ce qui correspond à ce que M. Thomas a décrit comme étant l’essentiel de l’invention protégée par le brevet 870.

[traduction]

R. Il décrit donc un environnement client‑serveur qui comprend un GPI et des serveurs de médias. Ces serveurs peuvent être distants ou chez l’abonné.

Q. Je répète, y a‑t‑il un problème que vous vouliez résoudre par ce brevet?

R. Eh bien, avec l’ajout de serveurs de médias, surtout à plusieurs emplacements différents, le consommateur a besoin de moyens faciles de trouver le contenu voulu sur ces serveurs. Par exemple, une fonction de recherche intégrée qui interrogerait tous ces périphériques.

[363] Dans ces circonstances, je conclus que Vidéotron n’a pas réussi à prouver que la description des revendications 870C était insuffisante.

(c) Les modifications du brevet 870 au cours de l’instruction

[364] Vidéotron a produit l’historique du dossier du brevet 870, qui montre que des modifications substantielles ont été apportées au brevet 870 en 2014 ou vers 2014, soit l’ajout de centaines de revendications, dont les revendications 870C. Vidéotron affirme que les inventeurs n’ont pas été consultés au sujet des modifications et que les revendications 870C ne sont pas décrites dans la divulgation, ce qui, selon elle, soulève la question de savoir si la portée des revendications dépasse celle de l’invention réalisée ou divulguée.

[365] Les circonstances de la présente affaire sont certainement inhabituelles, voire peu orthodoxes. Le brevet 870 a été accordé près de 20 ans après sa date de dépôt, et seulement après que Vidéotron eut refusé de renouveler son contrat de licence passé avec Rovi, en 2016. Le brevet 870 a alors pris des proportions énormes, jusqu’à compter des centaines de pages de divulgation et 999 revendications.

[366] Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Thomas a été longuement interrogé sur l’invention divulguée dans la demande de brevet provisoire 870, sur le travail que lui et son équipe avaient effectué pour élaborer le système décrit dans le brevet 870, et sur sa participation à la modification du brevet. Il a eu du mal à se souvenir du travail fait par son équipe 20 ans plus tôt. En fait, il se souvenait très peu de ces événements.

[367] M. Thomas ne se rappelait pas avoir travaillé sur une fonction ou une amélioration décrite dans le brevet provisoire 807. Il pouvait seulement dire que, pour une personne travaillant dans le domaine à l’époque, la description contenue dans le document de priorité semblait [traduction] « raisonnable ».

[368] Ce sont des avocats spécialisés en brevets américains et canadiens qui ont apporté les modifications au brevet 870. La démarche générale de Rovi consistait à faire participer les inventeurs aux premières étapes de la rédaction des demandes provisoires et des demandes définitives. Par la suite, les inventeurs ne participaient pas systématiquement . Il semble que ce soit le cas à propos du brevet 870, comme l’a reconnu M. Thomas au cours de son contre‑interrogatoire.

[traduction]

Q. Peut‑être que vous pourriez d’abord me dire ce dont vous vous souvenez. Nous parlerons ensuite du processus en général.

R. Je ne me souviens pas de ce que j’aurais pu faire il y a 20 ans.

Q. Je comprends. Vous ne vous souvenez donc pas d’avoir travaillé avec un avocat externe spécialisé en brevets sur ce projet en particulier de quelque façon que ce soit?

R. Non, je ne m’en souviens pas.

Q. Cette réponse vaut aussi pour quelque décision que ce soit concernant la portée du brevet définitif ou la manière de traiter avec le Bureau des brevets. Vous ne vous souvenez pas d’y avoir participé à ce propos?

R. Pour un brevet en particulier, non.

[369] Vidéotron soutient qu’il est très peu probable que les inventeurs aient joué quelque rôle que ce soit en lien avec la demande de brevet après qu’elle eut été déposée. Bien que ce puisse être vrai, le seul fait qu’une revendication soit ajoutée sans la participation de l’inventeur et après le dépôt d’une demande de brevet ne la rend pas invalide. Comme il est indiqué dans l’ouvrage intitulé Fox on the Canadian Law of Patents, 5e édition (§ 9:61) : [traduction] « Sous réserve de l’interdiction d’ajouter de nouveaux éléments, le mémoire descriptif et les dessins faisant partie de la demande de brevet peuvent être modifiés avant la délivrance du brevet. »

[370] À la lumière de la preuve dont je dispose, je ne peux conclure qu’un nouvel élément ajouté invaliderait l’une des revendications 870C. Dans la décision Dennison Manufacturing Co of Canada Ltd c DYMO of Canada Ltd, [1975] ACF no 902, le juge Mahoney a affirmé que, pour trancher la question de savoir si de nouveaux éléments ont été ajoutés, il faut comparer la demande telle qu’elle a été déposée et le brevet tel qu’il a été délivré, et que l’historique du dossier ainsi que la raison des modifications ne sont pas pertinents.

[371] En l’espèce, aucune preuve d’expert présentée ne permet d’effectuer une telle comparaison. En outre, aucune preuve d’expert ne porte sur la manière dont la personne versée dans l’art saurait, à la lecture de la demande de brevet 870 qui a été déposée à l’origine, quels éléments ont été ajoutés au mémoire descriptif et si les ajouts sont inappropriés. Je conclus que Vidéotron n’a pas prouvé que la portée des revendications en cause était plus large que celle de l’invention réalisée ou divulguée.

(d) L’interprétation des revendications

[372] Pour conclure qu’il y a contrefaçon, la Cour doit juger que le système illico 2 comprend tous les éléments essentiels des revendications 870C. En ce qui a trait à la contrefaçon, deux éléments sont contestés. Le premier, soit l’élément [traduction] « appareil utilisateur d’un autre utilisateur », ne se rapporte qu’aux revendications 456 et 459. Le second se rapporte à l’élément [traduction] « réception ou transmission de l’émission depuis ou vers le deuxième appareil utilisateur » qui figure dans les revendications 454, 457 et 720.

[373] Il ne semble pas contesté que le système illico 2 comprend tous les autres éléments des revendications invoquées. Depuis au moins le 1er janvier 2017, le système illico 2 permet de programmer des enregistrements à venir sur les décodeurs et prend en charge plus d’une pièce.

(i) appareil utilisateur d’un autre utilisateur

[374] L’élément [traduction] « appareil utilisateur d’un autre utilisateur » n’est pertinent que pour l’analyse de la contrefaçon des revendications 454 et 456.

[375] Les experts étaient en désaccord sur la question de savoir si [traduction] « un autre utilisateur » s’entend d’une autre personne du même domicile (le point de vue de M. Balakrishnan) ou d’un autre abonné d’un domicile différent (le point de vue de M. Sandoval).

[376] M. Sandoval a soutenu que, pour la personne versée dans l’art, le terme « utilisateur » s’apparente au terme « abonné » et que l’industrie ne fait habituellement aucune distinction entre l’appareil appartenant aux différentes personnes constituant un ménage et celui d’un abonné. Par conséquent, lorsque le terme « appareil utilisateur d’un autre utilisateur » est employé dans une revendication, il désigne une personne et son appareil, à l’extérieur du ménage du « premier utilisateur ». Selon M. Sandoval, la personne versée dans l’art comprendrait que le terme « autre utilisateur » renvoie à une situation où un utilisateur lit un programme sauvegardé par quelqu’un d’autre, comme un voisin, ou peut‑être un réseau pair‑à‑pair, comme « Napster », ou un serveur de fichiers centralisé.

[377] Pour M. Balakrishnan, le mot « utilisateur » dans le brevet 870 est employé dans son sens général. Il n’est pas question d’un utilisateur possédant un compte distinct, mais plutôt d’un autre utilisateur du même compte ou du même domicile. Il ne juge pas logique l’interprétation selon laquelle un utilisateur accède au compte d’un autre utilisateur dans un autre domicile, car la personne versée dans l’art est au fait des questions de confidentialité, de propriété et de droits d’auteur pour lesquelles un tel système ne serait pas souhaitable.

[378] Vu l’insuffisance de la divulgation du brevet 870, la signification exacte du terme « appareil utilisateur d’un autre utilisateur » n’est pas tout à fait claire. Cela dit, le terme ne se limite clairement pas au sens que lui a donné M. Sandoval. Je conviens avec M. Balakrishnan que le contenu stocké sur « l’appareil utilisateur » à la maison ne serait normalement regardé que par les abonnés partageant le même compte, mais je pense que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas le terme « utilisateurs » comme désignant exclusivement les personnes vivant dans la même maison.

(ii) « réception ou transmission d’une émission depuis ou vers le deuxième appareil utilisateur »

[379] S’agissant de l’interprétation de cet élément, la question est de savoir si la transmission ou la réception en réponse à une demande de lecture englobe la diffusion en continu et le transfert de fichiers. Encore une fois, les termes employés dans les revendications invoquées ne sont pas clairs.

[380] Dans son rapport sur la validité, M. Sandoval dit que la personne versée dans l’art supposerait que le programme est transmis (ou reçu) en même temps qu’il est vu [traduction] « bien qu’il se pourrait que le deuxième appareil stocke d’abord le programme temporairement sur son propre disque dur, par exemple, puis le présente ». Dans son rapport sur la contrefaçon, il souligne que le brevet 870 ne décrit nulle part une fonction de transmission d’une émission d’un décodeur à un autre.

[381] Dans son rapport sur la contrefaçon, M. Balakrishnan n’a pas interprété le terme « transmission ». Quant au terme « réception », il a simplement déclaré qu’il serait interprété selon son sens courant. Dans son rapport sur la validité, M. Balakrishnan a soutenu que [traduction] « le concept important, c’est que l’émission est transmise par le premier décodeur au deuxième en réponse à une demande de lecture de l’utilisateur; en d’autres termes, l’émission est lue plutôt qu’être stockée sur le deuxième décodeur en vue d’une lecture ultérieure ».

[382] Dans son rapport sur la contrefaçon présenté en réponse, M. Sandoval conteste la déclaration de M. Balakrishnan selon laquelle le terme « réception » doit être interprété selon son sens courant. Il souligne que la revendication 720 comprend l’étape de [traduction] « transmission de l’émission au deuxième appareil utilisateur », suivie de l’étape de « réception, par le deuxième appareil utilisateur, de l’émission transmise par le premier appareil utilisateur », et ensuite de l’étape de « l’affichage, par le deuxième appareil utilisateur, de l’émission reçue sur le deuxième écran ». M. Sandoval a soutenu que, comme l’a proposé M. Balakrishnan, le terme « réception » devrait être interprété selon son sens courant, [traduction] « selon lequel l’ensemble l’émission doit être transférée au deuxième appareil utilisateur » et que les systèmes de Vidéotron ne fonctionnent pas ainsi.

[383] Rovi soutient qu’il s’agit d’un exemple où M. Sandoval change son interprétation de façon à ce qu’elle serve ses fins ou celles de Videotron. Selon Rovi, M. Sandoval a clairement indiqué dans son rapport sur la validité que la personne versée dans l’art supposerait que le programme a été transmis ou reçu en même temps qu’il était visionné. Tout en reconnaissant que M. Sandoval a également indiqué que le programme pouvait être conservé temporairement, Rovi affirme que la notion de copie ou de transfert permanent de fichiers ne figurait nulle part dans son interprétation initiale et que la Cour ne devrait pas accepter une telle interprétation étroite. Je ne suis pas d’accord.

[384] Je ne vois aucun changement ou incohérence dans la preuve présentée par M. Sandoval. Ce dernier a clairement dit, dès le départ, que la diffusion en continu était envisagée, mais que le stockage temporaire de l’émission sur le deuxième appareil était aussi possible. M. Sandoval n’a jamais suggéré, comme l’affirme Rovi, que le programme devait être stocké « de façon permanente » sur le deuxième appareil.

[385] Il peut sembler illogique de mettre en place un système destiné à résoudre les problèmes de stockage des appareils qui comprendrait l’option de stocker une émission sur un autre périphérique pour le regarder, mais comme l’a souligné M. Sandoval, le brevet 870 envisage cette démarche.

[traduction]

Une deuxième démarche adéquate serait que les émissions et les données des guides de programmes soient distribuées sous forme de fichiers numériques ou de flux de données numériques, et qu’elles soient stockées par l’appareil de télévision de l’utilisateur en vue de leur lecture.

[386] Je conviens avec M. Sandoval que le terme « réception » dans les revendications 454, 457 et 720 serait interprété par la personne versée dans l’art comme autorisant deux options – la diffusion en continu ou le transfert de fichiers. Cela est compatible avec le libellé employé dans les revendications, qui établit une distinction entre une « réception » active et une « réception » passive. Logiquement, la revendication 720 exige d’effectuer les étapes énumérées dans une séquence précise. La dernière étape consiste en [traduction] « l’affichage, sur l’écran du deuxième appareil utilisateur, de l’émission reçue » (Je souligne). La revendication aurait pu employer les termes« l’émission en cours de réception » ou toute autre expression donnant l’idée d’une diffusion en continu. À mes yeux, on ne peut ignorer cette utilisation du participe passé du verbe recevoir.

[387] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la personne versée dans l’art comprendrait que la transmission et la réception peuvent être faites soit par une diffusion en continu de l’émission, soit par le transfert de fichiers.

(e) La validité du brevet

(i) L’évidence

[388] L’évidence est évaluée en fonction de la date de priorité du 11 juin 1999. Les allégations d’évidence, contrairement à celles d’antériorité, ne portent pas principalement sur une seule divulgation, mais sur la mosaïque des antériorités pertinentes et sur les connaissances générales courantes.

[389] Àla première étape du critère de l’arrêt Sanofi, la personne versée dans l’art qui a été identifiée plus tôt dans les présents motifs et les connaissances générales courantes de cette personne s’appliquent au brevet 870. Quant à la deuxième étape, Rovi affirme que les principales caractéristiques des revendications 870C sont les suivantes :

a) transmission d’un enregistrement d’un décodeur à un autre;

b) commande de lecture d’une émission;

c) [traduction] « en réponse à la commande de lecture, la réception par le premier appareil utilisateur de l’émission à partir du deuxième appareil utilisateur » ou « en réponse à la réception par le premier appareil utilisateur, à partir du deuxième appareil utilisateur, de la commande de lecture de l’émission, la transmission de cette émission à ce deuxième appareil utilisateur ».

[390] L’étape suivante de l’analyse de l’évidence consiste à comparer l’état de la technique, tel que l’interpréterait la personne versée dans l’art en fonction de ses CGC, avec les revendications en cause. Comme je l’indique plus haut, s’il n’y a pas de différence entre les deux termes de la comparaison, les revendications sont évidentes. S’il y a une différence, mais que la personne versée dans l’art peut combler l’écart sans qu’aucune étape inventive ne soit nécessaire, les revendications sont également évidentes.

[391] Vidéotron soutient qu’il serait évident pour la personne versée dans l’art, compte tenu de ses CGC, de combler tout écart potentiel entre l’objet des revendications 870C et ce qui se trouve dans le document DAVIC et les brevets Fujita et Hair.

[392] À propos des aspects clés des CGC qui se rapportent au brevet 870, les experts s’entendent pour dire que les réseaux à domicile auraient été connus de la personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art aurait aussi compris qu’une fois le contenu audiovisuel disponible sur un réseau, à partir d’un serveur, par exemple, tout autre périphérique du réseau pourrait le récupérer. La notion d’EVP multipièce était aussi connue dans les années 1990. Il est vrai qu’à l’époque, peu de gens avaient connecté chez eux des appareils par câbles Ethernet, mais ce concept n’était pas inconnu des gens de l’industrie et il aurait été connu de la personne versée dans l’art. Le document DAVIC et le brevet Fujita fournissent tous deux des descriptions de la structure couramment connue d’un réseau domestique. D’autres systèmes (comme ceux de TiVo et de ReplayTV) étaient connus et de tels systèmes permettaient d’enregistrer des émissions, notamment des télédiffusions originelles, sur des appareils de stockage numérique comme des disques durs.

[393] Les fonctions 4.06 et 4.07 reproduites ci‑dessous figurent dans les sections du document DAVIC sur lesquelles reposent les arguments avancés par Vidéotron sur la question de l’évidence.

DAVIC 4

FR

EN

L’application doit pouvoir transférer une session vers un autre décodeur au même endroit (par exemple, pour transférer une émission vers une unité dans une autre pièce du même domicile).

The application should be able to transfer a session to another STU in the same location (for example to transfer a program to a unit in a different room in a home).

L’application doit pouvoir transférer une session vers un autre décodeur à un autre endroit (par exemple pour transférer un programme vers une unité dans un autre domicile).

The application should be able to transfer a session to another STU in a different location (for example to transfer a program to a unit in another home).

[394] Le document DAVIC décrit les décodeurs « set top units » ou STU. La personne versée dans l’art comprendrait que « STU » n’est qu’un autre acronyme pour les « STB », ou « Set‑Top Box » (rendus par « décodeur »). Le document DAVIC décrit les avantages de la mise en réseau des décodeurs au même endroit, comme un domicile, ou à un autre endroit, comme un autre domicile. L’un de ces avantages est que deux décodeurs d’un même réseau peuvent synchroniser leurs applications et transférer du contenu entre eux.

[395] Tant M. Balakrishnan que M. Sandoval conviennent que le document DAVIC divulgue la capacité d’un décodeur d’accéder à une émission enregistrée sur un autre décodeur. Ils s’entendent aussi quant au fait qu’un décodeur qui accède à une émission enregistrée la rend disponible pour le visionnement.

(2) « générer la commande de lecture d’une émission enregistrée sur le deuxième appareil utilisateur à partir du premier appareil utilisateur (revendications 456/459) »

[396] Le document DAVIC illustre un réseau domestique comportant de nombreux périphériques. Comme l’explique M. Sandoval, la personne versée dans l’art saurait que, une fois le réseau domestique établi, chaque appareil connecté peut « parler » à tout autre appareil connecté. Le document DAVIC décrit cette fonction explicitement à la section 7.2 : [traduction] « un réseau numérique domestique […] permettra de choisir l’accès aux […] services de plusieurs appareils domestiques » (voir paragraphe 71). Dans le document DAVIC, la mention claire « choisir l’accès », ajoutée à la mention de cet accès pour les « périphériques de stockage numérique domestiques » à l’aide de « réseaux domestiques pour DAVIC », appuie fortement l’opinion de M. Sandoval que la personne versée dans l’art saurait qu’on pouvait utiliser un décodeur pour accéder au choix à un service particulier, c’est‑à‑dire commander la lecture d’une émission stockée sur un autre décodeur.

(3) « réception de (revendications 456/459) ou transmission (revendications 720/721) par le premier appareil utilisateur de l’émission du deuxième appareil utilisateur »

[397] J’ai déjà interprété les revendications 870C comme touchant la diffusion et la lecture après réception de la totalité ou d’une partie d’une émission.

[398] Les parties ne s’entendaient pas sur le terme [traduction] « session » employé dans la divulgation que constitue le document DAVIC. M. Sandoval a témoigné que le terme « session » est un terme technique où deux points d’extrémité lancent une session et y mettent fin. Il a expliqué que la notion de « session » était temporelle et que l’expression [traduction] « transférer une session », employée dans le document DAVIC, serait interprétée comme désignant la diffusion d’un contenu d’un décodeur vers un autre. M. Sandoval a ajouté que la notion d’enregistrement personnel d’émissions sur un magnétoscope aurait été connue de la personne versée dans l’art, et que celle‑ci aurait connu les concepts d’architecture client‑serveur et de diffusion de contenu par session telle que prise en charge par les systèmes de VSD qu’on commençait à mettre en marché. M. Sandoval estimait que, dans ce contexte, on en aurait facilement déduit qu’il s’agissait là d’une référence à la diffusion d’un contenu d’un décodeur à un autre.

[399] M. Balakrishnan a rejeté l’affirmation suivant laquelle le document DAVIC décrit une diffusion en continu. Il a soutenu que la personne versée dans l’art interpréterait le mot « transfert » comme désignant une copie d’une unité à une autre en vue d’un visionnement ultérieur.

[400] Sur ce point, je privilégie le témoignage de M. Sandoval. Le contre‑interrogatoire n’a pas affaibli son témoignage sur le sens du mot « session ». J’estime également que l’interprétation de M. Balakrishnan n’est pas compatible avec le sens qu’il a donné aux termes « transmission » et « réception » figurant dans les revendications 870C. Son avis ne repose pas non plus sur un fondement factuel solide.

[401] La personne versée dans l’art saurait qu’on pouvait transférer une émission d’un décodeur à un autre. Cela étant, M. Sandoval a expliqué : [traduction] « La personne versée dans l’art comprendrait qu’un utilisateur doit lancer, demander ou planifier ce transfert d’une émission pour la regarder sur le décodeur récepteur. Cela peut se faire comme une ‘session’ de lecture en continu sur le deuxième décodeur, ou comme une copie en transfert vers le deuxième décodeur pour regarder l’émission après son transfert complet ou partiel. » Je juge son explication logique, tout à fait cohérente, et appuyée par les CGC et par ce que décrit le document DAVIC.

[402] Vidéotron soutient que les particularités de mise en œuvre, comme les commandes de lecture pour l’enregistrement d’une émission sur le premier décodeur, et les commandes de lecture à partir du deuxième décodeur, ne sont que des aspects évidents de cette mise en œuvre. Je suis d’accord. Pour qu’un premier appareil dispose d’une émission, celle‑ci doit nécessairement y avoir été enregistrée ou transférée, en toute probabilité après une intervention de l’utilisateur. De même, une action de l’utilisateur, comme la demande d’une émission, amorcerait le transfert de celle‑ci à la deuxième unité pour la regarder. Cela semble inhérent aux fonctions décrites dans le document DAVIC.

[403] Rovi soutient que la personne versée dans l’art n’interpréterait pas le document DAVIC comme enseignant la lecture immédiate d’une émission après une demande de l’utilisateur, comme une diffusion en continu d’un décodeur à un autre. Cet argument est toutefois fondé sur une interprétation erronée de M. Balakrishnan selon laquelle le brevet 870 exige que le programme soit lu plutôt que stocké en vue d’une lecture ultérieure dans le deuxième décodeur, interprétation qui a été rejetée et qui par ailleurs n’est pas étayée par la preuve.

[404] Durant son contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan a été invité à expliquer la différence entre le contenu du document DAVIC et celui des revendications 870C.

[traduction]

Q. Revenons si vous le voulez bien sur la description écrite du brevet 870. Pas les revendications, mais la description, telle que rédigée, des réalisations. N’est‑il pas vrai que cette soi‑disant liste de souhaits, dans le document DAVIC, fournit plus de détails sur la mise en réseau des décodeurs pour partager les émissions enregistrées que toute la description du brevet 870?

R. Je ne suis pas d’accord avec cet énoncé. <

Q. Quels passages de la description du brevet 870 aimeriez‑vous citer à l’appui de votre désaccord? Pas les revendications. Pas les revendications.

R. Nous devons les lire en détail.

Q. Nous ne le ferons pas. Que pouvez‑vous mentionner dans cette description qui, selon vous, la rend plus détaillée que ce qu’il y a dans le document DAVIC?

R. Il me faudrait lire tout le brevet. Je ne l’ai pas mémorisé en détail, car il est très long.

Q. Avez‑vous une idée de l’endroit où la description est donnée?

R. Il me faudrait le lire. Je crois avoir déjà répondu à cette question.

Q. Aujourd’hui, donc, devant nous, vous ne pouvez pas m’indiquer un passage du brevet 870 qui décrit une connexion entre décodeurs pour permettre le transfert d’une émission enregistrée. Est‑ce juste?

R. Hormis les revendications, je n’ai pas mémorisé le reste; je vais donc devoir le lire.

[405] M. Balakrishnan aurait dû pouvoir donner facilement ces renseignements à l’instruction, s’ils existaient. Je juge que, si les éléments propres aux revendications tels qu’une [traduction] « commande de lecture d’une émission » ou qu’une [traduction] « commande d’enregistrement » ne sont pas expressément énoncés dans le document DAVIC, un tel écart entre l’art antérieur et les revendications 870C serait évident pour la personne versée dans l’art.

[406] Rovi affirme que le document DAVIC [traduction] « traite de tout, mais ne dit presque rien ». Or, rien n’est plus faux. Il ne s’agit pas, comme l’affirme l’avocat de Rovi, d’idées aléatoires et différentes [traduction] « comme des pièces IKEA » ou, comme l’a dit M. Balakrishnan, [traduction] « d’une liste de souhaits ».

[407] Je rappelle que le document DAVIC est le fruit de vastes consultations avec l’industrie pendant plusieurs années. Tel qu’expliqué dans l’introduction :

[traduction]

Les spécifications de DAVIC décrivent en détail les outils et le comportement dynamique minimal requis des systèmes audiovisuels numériques pour une interopérabilité de bout en bout entre pays, applications et services. Pour atteindre cette interopérabilité, les spécifications de DAVIC définissent les technologies et les flux d’information à utiliser dans les principaux composants des systèmes audiovisuels numériques génériques et entre ceux‑ci.

[408] La personne versée dans l’art comprendrait qu’il faut lire globalement le document DAVIC, lequel est également le reflet des connaissances technologiques et des renseignements que posséderait déjà cette personne.

[409] M. Sandoval a témoigné que le document DAVIC montre très clairement à la personne versée dans l’art que l’un des avantages du réseautage à la maison est que deux décodeurs pourraient transférer un contenu de l’un à l’autre. Selon M. Sandoval, c’est l’essence même de la fonction d’enregistrement vidéo numérique multipièce. Je suis d’accord.

[410] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les revendications 870C sont évidentes à la lumière du document DAVIC et des CGC uniquement.

[411] Comme j’ai conclu que, compte tenu de ses CGC, la personne versée dans l’art comblerait tout écart entre le document DAVIC et l’objet des revendications 870C, je n’ai pas besoin d’examiner les deux autres documents d’antériorité cités par Vidéotron.

(a) La contrefaçon

[412] M. Sandoval a reconnu que le système illico 2 [traduction] « permet de diffuser des programmes stockés sur un EVP vers un autre décodeur au domicile d’un même utilisateur ou abonné ». Cet élément est présent dans le système illico 2.

[413] Conformément à l’interprétation initiale donnée par M. Sandoval aux mots « réception » et « transmission », que j’ai acceptée, et à l’analyse figurant à l’annexe 5 du rapport sur la contrefaçon de M. Balakrishnan, j’estime que le mot « transmission » s’entend de la diffusion en continu. M. Sandoval a convenu que le système illico 2 diffuse des émissions stockées sur un appareil vers un autre. Ces éléments sont donc présents dans le système illico.

[414] Par conséquent, si je fais erreur et que les revendications du brevet 870C sont jugées valides, le système illico 2 en constitue une contrefaçon.

XII. Le brevet 344 : coordination de GPI

[415] La date de dépôt du brevet 344 est le 16 juillet 1999. La date de priorité revendiquée est le 17 juillet 1998.

[416] Le brevet 344 porte sur des [traduction] « guides de médias interactifs » qui présentent les fonctions d’un GPI sur plusieurs appareils d’un même domicile. Les revendications 344, reproduites ci‑dessous, dépendent de la revendication 113 et revendiquent une méthode de coordination des GPI, pour que les demandes faites à partir d’un GPI soient affichées sur les autres, et vice versa. Rovi affirme que toutes les revendications 344 ont été contrefaites par Vidéotron.

[traduction]

Revendication 113

Méthode de coordination entre deux guides interactifs, qui comprend :

la réception par un premier guide de médias interactif, de la première indication d’une première activité réalisée sur un premier appareil utilisateur mettant en œuvre le premier guide de médias interactifs, dans lequel la première activité est associée à une première émission;

la réception par le deuxième guide de médias interactif, d’une deuxième indication d’une deuxième activité réalisée sur un deuxième appareil utilisateur mettant en œuvre le deuxième guide de médias interactif, dans lequel la deuxième activité est associée à une deuxième émission;

la génération du contenu pour sa présentation sur le premier guide de médias interactif, en fonction de la première indication faite sur le premier guide de médias interactif et de la deuxième indication faite sur le deuxième guide de médias interactif.

Revendication 116

La méthode de la revendication 113 comprend en outre la génération de contenu pour sa présentation sur le deuxième guide de médias interactif, selon la première indication faite sur le premier guide de médias interactif, et la deuxième indication faite sur le deuxième guide de médias interactif.

Revendication 119

La méthode de la revendication 113, dans laquelle la première activité et la deuxième activité comprennent une ou plusieurs opérations de réglage des canaux préférés, de modification des réglages de contrôle parental, de programmation d’un enregistrement, de réglage des paramètres d’enregistrement, de réglage des paramètres de paiement à la carte, de réglage des paramètres de message, de réglage des rappels et de modification des profils des utilisateurs.

Revendication 120

La méthode de la revendication 113, dans laquelle le premier appareil utilisateur et le deuxième appareil utilisateur sont situés dans un foyer.

Revendication 123

La méthode de la revendication 113 comprend en outre :

la génération, selon la première indication sur le premier guide de médias interactif et la deuxième indication sur le deuxième guide de médias interactif, d’une liste combinée des enregistrements programmés.

[417] La rubrique « Contexte » du brevet 344 comprend une description du problème à résoudre :

[traduction]

Les familles ont souvent plusieurs téléviseurs et décodeurs répartis dans tout le domicile. Une même famille peut même compter plus d’un domicile. En l’absence de coordination entre les guides de programmes exécutés sur chacun des décodeurs du foyer, si un utilisateur règle les paramètres d’un guide sur un décodeur, ces paramètres ne sont pas communiqués aux guides des autres décodeurs du ménage. Si un parent souhaite restreindre l’accès à certaines chaînes sur tous les téléviseurs du foyer, il doit régler séparément les paramètres de contrôle parental de chaque décodeur. Les rappels et les réglages des canaux favoris doivent aussi être fixés séparément sur chaque guide de programmes si un utilisateur veut les appliquer dans tout le foyer […]

Les systèmes développés à ce jour ne permettent pas aux utilisateurs d’un même foyer d’ajuster les paramètres du guide de programmes d’un autre appareil du foyer par une voie de communication.

[418] La solution est décrite dans l’extrait suivant du sommaire de l’invention.

[traduction]

Certaines réalisations de la présente invention peuvent présenter un système de guide de programmes qui permet à un utilisateur de l’adapter aux paramètres d’utilisateur de plusieurs guides de programme répartis dans la maison à partir d’un seul emplacement.

Cela peut être fait à l’aide du système interactif de guide de programmes d’une maison qui coordonne plusieurs guides de programmes répartis dans la maison.

[419] Vidéotron observe que le brevet 344 décrit deux étapes de réglage des paramètres utilisateur sur plusieurs appareils. La figure 2 du brevet 344 présente l’organigramme des étapes de réglage des paramètres utilisateur et de l’application de ces réglages aux appareils visés, conformément à l’invention.

344 Patent - Figure 2

FR

EN

PERMETTRE À L’UTILISATEUR DE RÉGLER LES PARAMÈTRES DU GUIDE DE PROGRAMMES (PAR EX., PROFIL, FAVORIS, CONTRÔLE PARENTAL, RAPPELS, CONFIGURATION DE L’ENREGISTREMENT, PAIEMENT À LA CARTE, MESSAGES OU CONFIGURATION)

PROVIDE OPPORTUNITY FOR USER TO ADJUST PROGRAM GUIDE SETTINGS (E.G.PROGRAM GUIDE SETTINGS FOR PROFILE, FAVOURITES, PARENTAL CONTROLS, REMINDERS, SET RECORDING, PAY‑PER‑VIEW, MESSAGES, OR SETUP)

COORDONNER LE FONCTIONNEMENT DE PLUSIEURS GUIDES DES PROGRAMMES DE TÉLÉVISION INTERACTIFS À PARTIR DES RÉGLAGES DU GUIDE DE PROGRAMMES FIXÉS.

COORDINATE OPERATION OF MULTIPLE INTERACTIVE TELEVISION PROGRAM GUIDES USING THE ADJUSTED PROGRAM GUIDE SETTINGS

FIG. 2

FIG. 2

[420] Voici les deux étapes illustrées à la figure 2 : permettre tout d’abord à l’utilisateur de régler les paramètres du guide de programmes, et ensuite, coordonner le fonctionnement de plusieurs GPI selon ces réglages.

[421] Les parties ne s’entendent pas sur le sens des deux éléments que j’ai soulignés ci‑dessus. Le terme « coordonner » est utilisé dans la revendication 113, alors que la revendication 119 décrit « le réglage des paramètres du guide de programmes ».

(1) Le terme « coordonner » (revendication 113)

[422] Le terme « coordonner » est pertinent pour l’examen de la contrefaçon et de la validité.

[423] Les parties conviennent que les revendications 344 visent généralement à « coordonner » deux GPI dans les cas où il y en a deux dans un domicile. Il importe de mentionner que ni M. Sandoval ni M. Balakrishnan n’ont initialement interprété ce terme.

[424] M. Sandoval n’a fait que le mentionner dans son rapport sur la validité. Il a fait observer que la rubrique « Contexte » du brevet 344 comprend une description du problème à résoudre, et que cette description n’expose la solution qu’en termes très généraux. Il a ensuite proposé que le mémoire descriptif [traduction] « suggère que la solution consiste simplement à "coordonner" les guides, ou que l’interface utilisateur permet de régler les paramètres d’autres guides ».

[425] Ce n’est qu’après que M. Sandoval eut répondu au rapport sur la contrefaçon de M. Balakrishnan qu’un différend est survenu sur le sens du mot « coordonner ». Dans son rapport sur la contrefaçon en réponse, M. Sandoval a appelé l’ordinateur portable et le téléphone mobile, qui ont servi à M. Balakrishnan pour tester le système illico 2 afin de régler et de modifier des enregistrements, des « appareils d’accès (essentiellement, des télécommandes évoluées) plutôt que des appareils pairs dotés de fonctions et de paramètres de télévision ». [Souligné dans l’original]

[426] Dans sa réplique, M. Balakrishan a contesté le terme « appareils d’accès » que M. Sandoval a employé pour désigner l’ordinateur portable et le téléphone mobile utilisés pour les essais. Il s’est aussi opposé à l’idée qu’il n’y avait aucune « coordination » entre l’application mobile ou en ligne et le décodeur. Il a fait valoir qu’il y a « coordination » entre l’application mobile ou en ligne et le décodeur, selon le raisonnement suivant :

[traduction]

Si, par exemple, un enregistrement est programmé à l’aide de l’application mobile ou de l’application Web, cet enregistrement est indiqué sur le décodeur. De plus, si un enregistrement est programmé sur le décodeur, il est indiqué sur l’application mobile et l’application Web. M. Sandoval a convenu en réponse qu’à l’aide d’un appareil à distance, un abonné au système de Vidéotron peut modifier l’échéancier d’enregistrement d’un décodeur précis. Il a toutefois ajouté que « cela montre simplement que l’appareil à distance agit comme une interface à distance pour le décodeur, mais ça ne prouve pas qu’il y a « coordination » ou échange des paramètres. »

[427] Rovi affirme qu’aux fins d’interprétation, la question est de savoir si le brevet 344 ne prévoit qu’une coordination entre les « dispositifs pairs », ou si elle prévoit une coordination entre les guides de médias de plusieurs appareils. Je perçois la question différemment.

[428] À l’instruction, M. Sandoval a témoigné que la personne versée dans l’art comprendrait que la « coordination » implique un échange d’informations afin que les réglages de plusieurs guides de programmes soient identiques. Je suis pleinement conscient que l’interprétation de M. Sandoval doit être considérée avec prudence, puisque M. Sandoval a introduit cette restriction dans les revendications 344 seulement après avoir vu le système illico. Or, on peut en dire autant de M. Balakrishnan qui, non seulement n’a pas interprété ce terme dans son rapport sur la contrefaçon, mais a attendu sa réplique pour le faire.

[429] Rien dans le brevet 344 ne limite la coordination à ce que M. Sandoval appelle les « dispositifs pairs » ou aux décodeurs. En fait, les revendications 344 ne parlent pas de coordination entre dispositifs, mais plutôt de coordination entre deux « guides de médias interactifs » exécutés sur ces appareils.

[430] L’argument de Vidéotron est toutefois plus nuancé. L’entreprise soutient que la personne versée dans l’art comprendrait, à la lecture du brevet 344 et à l’examen des figures, en particulier de la figure 4a, que le « premier guide de médias interactif » et le « deuxième guide de médias interactif » doivent, pour pouvoir être coordonnés, disposer de réglages semblables. Elle affirme que la personne versée dans l’art comprendrait que cette « coordination » ne se limite pas à régler les paramètres d’un décodeur à l’aide d’un appareil distant comme un téléphone portable, comme le soutient M. Balakrishnan. Selon Vidéotron, dans un tel scénario, le téléphone cellulaire agit comme une télécommande évoluée, mais pas comme un appareil pair disposant de ses propres réglages correspondants. Le fonctionnement des deux GPI n’est pas coordonné et seule la première étape du brevet 344 est actualisée, en ce qu’elle permet de modifier un réglage. Je suis d’accord. Les fonctions décrites par M. Balakrishnan semblent en fait les mêmes que celles qu’il a décrites pour le brevet 061, à savoir le réglage à distance de l’enregistrement d’une émission par un dispositif local chez l’utilisateur.

[431] L’interprétation de M. Balakrishnan est erronée. Premièrement, la revendication 113 comprend [traduction] « la réception [...] de la première indication d’une première activité ». Selon M. Balakrishnan, cela signifierait [traduction] « la réception de l’affichage d’une communication indiquant qu’une demande a été faite par un utilisateur visant les fonctions du guide de programmes ». Or, aucun élément matériel ou logiciel du brevet ne peut [traduction] « recevoir un affichage »; il n’y a que l’œil de l’utilisateur humain. Deuxièmement, la revendication 113 se termine par l’étape de [traduction] « la génération du contenu pour sa présentation sur le premier guide de médias interactif, en fonction de la première indication [...] et de la deuxième indication ». Selon M. Balakrishnan, cela signifierait [traduction] « la génération du contenu pour sa présentation sur le premier guide de médias interactif, selon un affichage indiquant que quelque chose a été fait sur le premier guide de médias, et selon un affichage indiquant que quelque chose a été fait sur le deuxième guide de médias ». Cela n’a aucun sens, car ni le matériel ni les systèmes logiciels décrits dans le brevet ne génèrent de contenu en fonction de ce qui a été affiché sur d’autres appareils.

[432] L’interprétation de M. Sandoval est logique et bien étayée par le libellé du brevet 344. Cela étant, je conclus que le brevet 344 a pour objet de coordonner le fonctionnement de guides à l’aide de réglages semblables.

(2) « la première activité et la deuxième activité comprennent une ou plusieurs opérations de réglage des canaux préférés, de modification des réglages de contrôle parental, de programmation d’un enregistrement, de réglage des paramètres d’enregistrement, de réglage des paramètres de paiement à la carte, de réglage des paramètres de message, de réglage des rappels et de modification des profils des utilisateurs. » (revendication 119)

[433] Le texte ci‑dessus est pertinent pour évaluer la validité. Les observations écrites de Vidéotron à cet égard sont plutôt concises. Les voici :

[traduction]

…La personne versée dans l’art comprendrait à première vue que la revendication 119 contient une liste d’exemples d’« activités ». Toutefois, comme l’a souligné M. Sandoval, la personne versée dans l’art aurait du mal à concilier la liste de la revendication 119 avec les exigences de la revendication 113. Par exemple, la revendication 119 répertorie la « modification des profils des utilisateurs » comme une « activité », mais les profils des utilisateurs ne sont pas liés à des émissions précises. Le même problème se pose sur le « réglage des paramètres de message » : comment ces paramètres sont‑ils associés à une émission?

[434] La réponse de Rovi est brève elle aussi. Rovi affirme que la revendication 119 n’exige pas la présence de toutes les activités énumérées, mais simplement [traduction] « d’une ou de plusieurs » activités de la liste.

[435] Il semblerait qu’il n’y ait rien à interpréter sur ce point. Comme le concède Vidéotron, la personne versée dans l’art comprendrait à première vue que la revendication 119 contient une liste d’exemples d’activités. Vidéotron avance un argument qui concerne davantage les questions de l’ambiguïté et du caractère suffisant du brevet 344 qui ont été soulevées de façon distincte dans ses observations.

(a) La validité du brevet

(i) L’ambiguïté

[436] Vidéotron soutient que le brevet 344 ne délimite pas correctement les limites du monopole revendiqué dans les revendications. Les termes « activité » et « indication » sont ambigus, et la personne versée dans l’art serait incertaine de leur sens. M. Sandoval a affirmé qu’il était impossible de se prononcer avec certitude sur le sens du mot « indication ». Qui plus est, l’utilisation du mot « activité » dans les revendications serait incohérente. Dans la revendication 113, le mot « activité » doit être lié à une émission, mais, dans la revendication 119, bon nombre d’occurrences du mot « activités » ne sont pas liées à une émission. Selon Vidéotron, l’impossibilité de parvenir à une interprétation concrète des revendications rend celles‑ci ambiguës et invalides. Je ne suis pas d’accord.

[437] M. Sandoval n’a pas donné son avis sur l’ambiguïté en particulier. Tout au plus, il a affirmé que les revendications n’étaient [traduction] « pas claires », mais il a néanmoins pu donner son avis sur le sens de tous les éléments des revendications. Pour ce seul motif, Vidéotron ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver que les revendications sont ambiguës ou qu’elles ne satisfont pas pour une autre raison aux exigences du paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets.

[438] Bien que M. Sandoval ait affirmé que les termes « indication » et « activité » sont [traduction] « difficiles à interpréter », il en a donné une interprétation et s’est fondé sur elle dans son rapport sur la validité et son rapport sur la contrefaçon. M. Balakrishnan et lui sont parvenus à des interprétations différentes de ces termes, mais il ne s’agit que de divergences d’opinions entre deux experts sur le sens du libellé des revendications. Ces seules divergences ne permettent pas de conclure que les revendications du brevet 344 sont ambiguës.

[439] L’allégation d’invalidité des revendications du brevet 344 pour cause d’ambiguïté doit être rejetée.

(ii) Le caractère insuffisant du brevet 344

[440] Vidéotron soutient que le brevet 344 ne suggère aucune mise en œuvre technique qui permettrait à quelqu’un de réaliser ce qui est revendiqué. Elle affirme qu’à part les revendications, le brevet 344 ne contient aucune description technique qui explique comment coordonner les divers appareils. De plus, le brevet 344 n’enseigne pas au lecteur comment résoudre le problème de réglage manuel des paramètres sur plusieurs appareils. Selon Vidéotron, la divulgation du brevet 344 est insuffisante et le brevet est donc invalide. Je ne suis pas d’accord.

[441] À la lumière de la preuve dont je dispose, le brevet 344 permet à la personne versée dans l’art d’utiliser l’invention visée par les revendications 344, avec le même succès que les inventeurs, en s’appuyant sur les renseignements divulgués dans le mémoire descriptif et sur ses CGC.

[442] Concernant le caractère suffisant, Vidéotron n’a présenté à la Cour aucun élément de preuve lui permettant de s’acquitter du fardeau qui lui incombe à cet égard. Bien que M. Sandoval ait formulé plusieurs critiques concernant la divulgation contenue dans le brevet 344, et ce, à juste titre, aucune d’elles n’établit que les revendications 344 ont une portée excessive ou sont insuffisamment décrites.

[443] Le principal reproche de M. Sandoval concernant la divulgation du brevet 344 était que le brevet 344 ne détaillait pas suffisamment la « coordination » entre deux guides. M. Balakrishnan s’est dit en désaccord et a cité divers passages du brevet 344 qui aidaient à comprendre la méthode revendiquée.

[444] Il est clairement établi en droit que, pour comprendre la nature de l’invention, la personne versée dans l’art doit lire la divulgation conjointement avec les revendications, en tenant dûment compte de la primauté du libellé des revendications, lequel définit l’invention et en fixe les limites. La revendication 113 décrit les étapes permettant de réaliser cette coordination.

[445] Dans son interprétation des revendications, M. Sandoval a également fait remarquer que d’autres termes n’étaient pas expressément définis dans la divulgation, mais il a ajouté qu’à son avis, la personne versée dans l’art aurait une certaine interprétation de ces termes.

[446] Je conclus que Vidéotron n’a pas réussi à prouver que les revendications 344 avaient une portée excessive ou qu’elles étaient insuffisamment décrites.

[447] Cet argument est à deux tranchants. En contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan n’a pas tenu compte du fait que le brevet 344 ne contient aucune description technique sur la mise en œuvre.

[traduction]

Q. Mettons de côté les revendications. Pouvez‑vous nous dire où le brevet décrit comment effectuer la coordination?

R. Je peux lire les passages, si vous me le permettez.

Q. Une chance que ce n’est pas le brevet 870.

R. Je pense que les diverses figures montrent des exemples d’interconnexion, mais si comme je le crois vous voulez court‑circuiter cela, si vous voulez trouver un exemple technique de coordination dépassant les revendications, il n’y a aucune description technique.

[448] Pourtant, M. Balakrishnan a poursuivi en affirmant que le document DAVIC ne rend pas l’invention réalisable parce qu’il ne fournit pas suffisamment de détails à la personne versée dans l’art. Toutefois, si tel est le cas, la cohérence exige de juger également le brevet 344 insuffisant. Comme l’a dit l’avocat de Vidéotron, la question qui se pose est : [traduction] « Qu’est‑ce qui, dans ce que le brevet 344 divulgue, dépasse la portée du document DAVIC et fournirait à la personne versée dans l’art les outils nécessaires pour mettre en œuvre la coordination? Où est l’invention dans la divulgation contenue dans le brevet?

[449] Comme je l’explique ci‑dessous dans la section sur l’évidence, la réponse est « nulle part ».

(iii) L’évidence

[450] Vidéotron soutient que le brevet 344 est évident à la lumière du brevet Fujita ou du document DAVIC et des CGC de la personne versée dans l’art.

(3) (i) La personne versée dans l’art et ses CGC

[451] La personne versée dans l’art décrite plus haut dans les présents motifs ainsi que ses CGC s’appliquent également au brevet 344.

[452] Sur la question des aspects clés des CGC touchant le brevet 344, les deux experts s’entendent : la personne versée dans l’art, à la fin des années 1990, saurait comment créer un réseau d’appareils, autant un réseau local qu’un réseau étendu. Comme je l’ai déjà conclu, les systèmes numériques, y compris les ordinateurs personnels et les réseaux domestiques, seraient connus de la personne versée dans l’art. Elle saurait aussi qu’une fois connectés à un réseau, les périphériques peuvent tous [traduction] « communiquer entre eux ». La personne versée dans l’art saurait aussi que les paramètres d’un abonné peuvent être partagés entre les appareils de son domicile.

(4) (ii) L’idée originale et les revendications telles qu’elles sont interprétées

[453] Ni l’un ni l’autre des experts n’a expressément relevé d’idée originale concernant les revendications 344, à l’exception du libellé même des revendications. Les parties sont d’accord pour dire que tous les éléments des revendications sont essentiels.

[454] Voici les éléments essentiels de la revendication 113 et de toutes ses revendications dépendantes : 1) la coordination des réglages d’un GPI sur un deuxième GPI; 2) la réception des première et deuxième indications associées à une première et une deuxième émissions; 3) l’affichage d’une interface présentant un contenu lié aux réglages coordonnés.

(5) (iii) Les « écarts» par rapport à l’art antérieur sont inventifs

[455] Rovi affirme qu’il existe des différences importantes entre l’art antérieur et les revendications 344. Selon elle, les éléments suivants sont contenus dans les revendications 344, mais ils sont absents de l’art antérieur : (a) l’utilisation d’un GPI pour mettre en place la coordination; et (b) une voie de communication de retour.

[456] Vidéotron soutient que tout écart potentiel entre l’objet des revendications invoquées du brevet 344 et ce qui se trouve à la fois dans le document DAVIC et dans le brevet Fujita aurait été évident à combler pour la personne versée dans l’art, compte tenu de ses CGC. Je n’ai pas besoin d’examiner le brevet Fujita parce que, comme je l’explique plus haut, j’ai conclu que les revendications 344 sont rendues évidentes par le document DAVIC et les CGC uniquement.

[457] Il convient ici de rappeler qu’en 1998, le document DAVIC était un incontournable pour tous ceux qui s’intéressaient aux applications audiovisuelles numériques. L’industrie était motivée à développer de nouveaux systèmes conformes aux spécifications de DAVIC, compte tenu particulièrement de la transition de l’analogique au numérique. Une fonction précise du document DAVIC est très pertinente ici : la fonction 8.14, nommée FONCTION DE LIEN DE SYNCHRONISATION DES MÉDIAS, que voici :

DAVIC 8

FR

EN

Une application exécutée sur un décodeur doit pouvoir communiquer avec une application associée exécutée sur un autre décodeur et se synchroniser avec celle‑ci.

An application running on one STU should be able to communicate with, and synchronise with, a related application running on a different STU.

(a) « coordination/coordonner » (toutes les revendications)

[458] Selon M. Balakrishnan, le document DAVIC est lacunaire en ce qu’il ne fournit aucune indication quant à ce qui est synchronisé ou à la façon dont peut se faire cette synchronisation et qu’il ne décrit pas comment afficher le contenu synchronisé. Toutefois, comme l’a expliqué M. Sandoval, la notion de coordination des réglages entre plusieurs GPI est présente dans le document DAVIC. Ce document décrit la capacité d’échanger des informations, de façon potentiellement directe et simple, entre appareils d’un réseau domestique.

[459] Le document DAVIC décrit une « synchronisation » entre les applications exécutées sur les décodeurs d’un réseau domestique, ce qui à toutes fins utiles correspond à une coordination. Même si le terme « GPI » est absent du document DAVIC, la personne versée dans l’art comprendrait clairement que l’une des applications synchronisées pourrait être un GPI exécuté sur un décodeur. La personne versée dans l’art comprendrait forcément que synchroniser les applications signifie synchroniser leur fonctionnement.

[460] Comme l’a souligné M. Sandoval, la personne versée dans l’art aurait été au courant des réglages des abonnés. Elle reconnaîtrait qu’un réglage pouvant être synchronisé entre plusieurs GPI était un réglage d’abonné connu, comme les réglages de télévision à la carte.

(b) « réception des première et deuxième indications associées à une première et une deuxième émissions (toutes les revendications) »

[461] Compte tenu de la divulgation dans le document DAVIC – à savoir que la synchronisation doit être établie entre les décodeurs d’un réseau – et des CGC relatives aux appareils numériques d’un réseau, la personne versée dans l’art serait en mesure de mettre en place un réseau domestique comprenant plusieurs décodeurs, où chacun peut synchroniser le fonctionnement de son application avec une application exécutée sur un autre décodeur.

[462] Je suis d’accord avec M. Sandoval pour dire qu’une fois synchronisés, ces réglages seraient disponibles sur les deux décodeurs. Il faut donc obligatoirement que les décodeurs échangent une « indication » que des paramètres d’utilisateur ont été modifiés pour que la synchronisation décrite puisse se produire.

(c) « génération du contenu pour sa présentation » (toutes les revendications)

[463] La génération d’une présentation des réglages synchronisés serait évidente, car la personne versée dans l’art connaîtrait les concepts généraux d’un GPI et des interfaces utilisateur. Il ne serait pas inventif pour la personne versée dans l’art d’inclure un affichage des applications synchronisées décrites par le document DAVIC.

[464] Par conséquent, en consultant le document DAVIC et en s’appuyant sur ses CGC, la personne versée dans l’art aurait facilement comblé les écarts relevés par M. Balakrishnan.

[465] Cela m’amène à examiner le brevet Fujita.

[466] Le brevet Fujita décrit comment les indications touchant les activités associées aux programmes peuvent être échangées sur un réseau domestique. M. Balakrishnan a attaqué le brevet Fujita qui, selon lui, ne porte pas sur un système de télédiffusion, ne divulgue pas les GPI et n’enseigne pas les indications de réception non plus que la génération d’un contenu pour sa présentation.

[467] Je ne suis pas d’accord avec M. Balaskrishnan sur le premier point. Le brevet Fujita décrit un réseau domestique comprenant des téléviseurs, des magnétoscopes, des décodeurs et d’autres appareils. En particulier, le brevet Fujita divulgue les particularités de l’interface de menu, utilisée avec la norme de réseau domestique audiovisuel « CEBus » pour commander des téléviseurs et des magnétoscopes, de manière à fournir des enseignements précis à la personne versée dans l’art.

[468] M. Balakrishnan a raison sur le point suivant : le brevet Fujita ne décrit pas l’utilisation d’un GPI. Plus particulièrement, le brevet Fujita ne divulgue pas de « coordination » entre un premier guide de médias interactif et un deuxième guide de médias interactif, au sens que j’ai donné à ce terme. Le brevet Fujita ne décrit qu’une interface de menu qui permet notamment à un utilisateur d’enregistrer une émission, de contrôler la lecture, et de vérifier si un magnétoscope du réseau domestique enregistre une émission. Bien que le menu de magnétoscope qu’il décrit propose une série d’options accessibles depuis divers téléviseurs et possiblement depuis d’autres pièces, le brevet Fujita ne divulgue rien sur la modification des paramètres d’un décodeur ou le contrôle des paramètres d’enregistrement d’un décodeur à partir d’un autre ni l’échange de contenu entre décodeurs.

[469] La simple existence d’un réseau domestique n’enseigne pas à la personne versée dans l’art toutes les innovations qui pouvaient en découler, non plus que la méthode exacte de coordination des guides de médias des revendications 344.

[470] Dans ces circonstances, je juge que Vidéotron n’a pas réussi à prouver que le brevet Fujita et les CGC rendent évidentes les revendications 344.

[471] En conclusion, en s’appuyant sur ses CGC, la personne versée dans l’art trouverait toutes les fonctions essentielles des revendications 344 dans le document DAVIC. Les autres éléments des revendications 116, 120, 121, 123 n’ajoutent aucune fonction originale. La revendication 116 ajoute seulement la possibilité de générer du contenu sur le deuxième appareil; la revendication 120 ajoute seulement le fait que les appareils se trouvent dans le même domicile; la revendication 121 ajoute seulement la possibilité que les appareils ne se trouvent pas dans le même domicile; la revendication 123 ajoute seulement la fonction d’affichage de contenu programmé regroupé. Compte tenu du caractère évident de la revendication 113, aucune de ces revendications ne saurait être considérée comme ajoutant un élément original.

(d) La contrefaçon

[472] Si je fais erreur et que le brevet 344 est valide, la question est de savoir si le système illico 2 contrefait l’une ou l’autre des revendications 344.

[473] M. Balakrishnan a admis qu’il n’a en fait vu aucune preuve de coordination des réglages des décodeurs dans le système de Vidéotron. Il a aussi affirmé qu’il n’accuse pas le système de Vidéotron d’être capable d’une telle coordination.

[474] Les fonctions que M. Balakrishnan accuse le système de Vidéotron de contrefaire ne touchent pas la coordination des réglages menant à une coordination des opérations, mais le contrôle à distance, ce qui ressemble à celles qui, selon lui, contrefont le brevet 061. Dans son exemple de contrefaçon, M. Balakrishnan a utilisé un appareil distant pour accéder à un décodeur local et en afficher l’état. À l’aide de la télécommande, il pouvait modifier l’échéancier d’enregistrement du décodeur, comme s’il avait utilisé une télécommande habituelle. Je suis d’accord avec Vidéotron : ce n’est que la première étape de celles que décrit le brevet 344.

[475] J’ai déjà conclu que le brevet 344 visait à coordonner le fonctionnement de guides semblables. Comme le système illico 2 de Vidéotron ne permet pas de coordonner le fonctionnement de plusieurs décodeurs, comme le décrit le brevet 344, il ne peut donc contrefaire ce brevet.

XIII. Brevet 629 : Répertoire des enregistrements

[476] La date de dépôt du brevet 629 est le 16 septembre 1999. La date de priorité revendiquée est le 17 septembre 1998.

[477] Le brevet 629 concerne généralement les systèmes GPI qui permettent le stockage numérique d’émissions et d’informations sur celles‑ci. Le problème que le brevet 629 vise à résoudre est décrit comme suit dans la rubrique « Contexte » de l’invention.

[traduction]

Des guides de programmes interactifs ont été récemment créés pour permettre le stockage d’émissions choisies dans le guide de programmes sur un appareil de stockage distinct, le plus souvent un magnétoscope. En général, une voie de contrôle (émetteur infrarouge doublé d’un récepteur infrarouge sur le magnétoscope) sert à contrôler le magnétoscope. Toutefois, ces périphériques de stockage analogiques distincts comme les magnétoscopes ne permettent pas de mettre en œuvre les fonctions plus avancées qui seraient possibles si un périphérique de stockage numérique était associé au guide de programmes.

[478] La solution est décrite dans le premier paragraphe de la rubrique « Résumé » de l’invention.

[traduction]

Certaines réalisations de la présente invention peuvent mettre en place un système de guide de programmes interactif doublé d’un stockage numérique, ce qui permet au guide de programmes de fournir des fonctions plus avancées que celles proposées auparavant par les systèmes de guides de programmes interactifs.

[479] Rovi affirme que les revendications 79 et 80 du brevet 620 ont été contrefaites par Vidéotron. L’interprétation des revendications 77 et 78 est aussi pertinente, car les revendications 79 et 80 sont des revendications dépendantes de celles‑ci. Voici les revendications 069 :

[traduction]

Revendication 77

Un système dans lequel les émissions et les données sur celles‑ci sont affichées à l’intention des utilisateurs par un guide de programmes interactif mis en œuvre sur l’équipement de télévision des utilisateurs, ce qui comprend :

un appareil de stockage numérique dans l’équipement de télévision de l’utilisateur, pour stocker sous forme numérique les émissions et les données sur celles‑ci à l’aide du guide de programmes interactif en réponse à une demande de l’utilisateur de stocker ces émissions sous forme numérique; et

un moyen de tenir à jour un répertoire de données sur les émissions associées stockées numériquement à l’aide du guide de programmes interactif.

Revendication 78

78. Le système décrit dans la revendication 77 intègre aussi un moyen, par le guide de programmes interactif, d’afficher un répertoire des émissions sur l’équipement de télévision de l’utilisateur.

Revendication 79

Le système décrit dans la revendication 78, dans lequel l’affichage du répertoire comprend :

des moyens d’indiquer les informations sur les rubriques du répertoire;

et les moyens permettant à un utilisateur de choisir les informations sur les rubriques du répertoire;

dans lequel l’affichage comprend aussi des moyens de donner un écran d’informations complètes en réponse à un choix par l’utilisateur d’une des rubriques.

Revendication 80

Le système défini dans la revendication 79, dans lequel l’écran d’informations complètes sur une rubrique comprend plusieurs champs de données sur la rubrique choisie : titre, description, épisode, canal, durée, si l’émission a été regardée ou non, acteurs, catégorie(s), langue, format vidéo, heures de début et de fin, date, indicateur de réécoute, indicateur de diffusion en stéréo, indicateur de sous‑titre, et d’autres informations.

[480] Bref, les revendications 629 décrivent un système fondé sur un GPI qui permet aux utilisateurs de consulter la liste tenue à jour des émissions enregistrées et diverses informations sur celles‑ci.

(a) Interprétation des revendications

[481] M. Balakrishnan et M. Sandoval ne s’entendent pas sur la question de savoir si le système illico 2 comprend trois des éléments essentiels des revendications 629, soit le [traduction] « guide de programmes interactif », les « moyens permettant à un utilisateur de choisir les informations sur les rubriques du répertoire », et l’« écran d’informations complètes ».

(2) Le « guide de programmes interactif » (revendication 77)

[482] Ce terme de la revendication est pertinent pour l’examen de la validité et de la contrefaçon. Il a fait l’objet d’une interprétation plus haut, dans la partie portant sur le brevet 061.

[483] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le « guide de programmes interactif » comprend seulement le logiciel d’affichage des listes d’émissions, ou s’il comprend aussi le logiciel qui met en œuvre des fonctions connexes plus élaborées. Les parties ont avancé essentiellement les mêmes arguments qu’auparavant, mais la preuve est légèrement différente.

[484] Pendant son contre‑interrogatoire, M. Sandoval s’est fait demander s’il était d’accord pour dire que le brevet 629 décrit un guide de programmes ayant plusieurs fonctions plutôt qu’une simple application d’affichage de listes.

[485] M. Sandoval a convenu que, selon les inventeurs, [traduction] « le guide de programmes interactif peut comprendre plusieurs fonctions » et que l’intention des inventeurs était de définir [traduction] « toutes les fonctions présentées à l’utilisateur ». Il a ensuite reconnu que le brevet 629 n’utilise pas le terme « application », qu’il ne précise pas que le guide de programmes est un seul logiciel, et que la personne versée dans l’art saurait que ce logiciel peut être conçu comme une seule application ou comme plusieurs applications.

[486] Vu ces admissions, faites à juste titre, j’accepte que l’élément, tel qu’utilisé dans le brevet 629, serait interprété par la personne versée dans l’art comme intégrant d’autres logiciels sur le décodeur qui facilitent d’autres fonctions comme la capacité d’enregistrer et de gérer un répertoire des enregistrements. J’aimerais toutefois rappeler que ce n’est pas parce qu’une fonction logicielle peut être conçue pour faire partie d’un GPI qu’elle en fait obligatoirement partie.

(3) Les « moyens permettant à un utilisateur de choisir les informations sur les rubriques du répertoire » (revendication 79)

[487] Cette revendication est utile pour évaluer la validité et la contrefaçon. Son interprétation est pertinente pour l’analyse sur la contrefaçon, car les experts ne s’entendent pas sur la question de savoir si « choisir » se cantonne à manipuler les touches de curseur d’une télécommande, ou s’il faut faire plus. Comme je l’ai expliqué plus haut dans les présents motifs, à partir du paragraphe 110, M. Sandoval a tout d’abord décrit les « moyens » comme [traduction] « un choix que peut faire l’utilisateur à l’aide de touches de curseur, comme sur une télécommande ». M. Balakrishnan a tout simplement accepté l’interprétation de M. Sandoval. Dans son rapport sur la contrefaçon, cependant, M. Sandoval a ajouté qu’[traduction] « il faut plus que simplement déplacer le surlignage vers le haut ou le bas ».

[488] Rovi soutient que la Cour devrait accepter l’interprétation initiale de M. Sandoval.

[489] Je suis tout à fait conscient que M. Sandoval a davantage restreint son interprétation après avoir pris connaissance du système illico 2 et que son avis a pu en être influencé. Cependant, ce témoignage est le seul dont je dispose en ce qui concerne l’interprétation de ce terme. Par ailleurs, M. Balakrishnan n’a pas démontré que l’interprétation prétendument restreinte de M. Sandoval était erronée.

[490] Vidéotron soutient que la personne versée dans l’art comprendrait qu’un « moyen » est fourni pour que l’utilisateur puisse naviguer dans les listes d’un répertoire, comme un « défilement » vers le haut ou vers le bas à l’aide d’une télécommande, puis pour qu’il puisse « choisir » une rubrique précise sur laquelle il souhaite avoir d’autres renseignements. Le brevet 629 appuie cette position, car il décrit la navigation dans le répertoire et le choix d’une rubrique comme deux activités distinctes – placer une région de surbrillance, puis choisir la rubrique.

[traduction]

Le guide de programmes peut permettre à l’utilisateur d’afficher toutes les informations enregistrées sur une rubrique précise. L’utilisateur a accès à cette fonction dans l’écran de liste 90, en indiquant sa volonté de le faire; par exemple, en entrant les commandes appropriées à l’aide de l’interface utilisateur 46. Si l’interface utilisateur 46 est une télécommande comme celle de la FIG. 2, cela peut se faire en déplaçant la zone de surbrillance 95 sur la rubrique voulue à l’aide des touches « haut » et « bas », puis en la sélectionnant ou en activant une option « informations » affichée. » [Non souligné dans l’original.]

[491] Cet argument est bien fondé, et je l’accepte. J’estime que la personne versée dans l’art comprendrait à la lecture du passage ci-dessus et du mot « puis » qu’un utilisateur doit réellement faire une deuxième étape, en appuyant sur un autre bouton ou en prenant une autre mesure (« entrer une commande appropriée »), pour avoir (« accès ») aux informations supplémentaires, car ces informations sont fournies par un « écran d’informations complètes », expression qui sera définie ci‑dessous.

(4) « Écran d’informations complètes sur une rubrique » (revendication 79)

[492] Les experts ne s’entendent pas sur la question de savoir si cet « écran d’informations complètes » doit occuper tout l’écran (position de M. Sandoval) ou simplement une partie de l’écran (position de M. Balakrishnan).

[493] M. Sandoval a déclaré dans son rapport sur la validité qu’il était fort probable que le terme « écran d’informations complètes » serait interprété par la personne versée dans l’art comme s’entendant d’un autre écran d’informations sur une rubrique du répertoire. Dans son rapport sur la contrefaçon, M. Balakrishan a conclu que ce terme, « écran d’informations complètes », serait interprété comme s’entendant d’un affichage sur, par exemple, un téléviseur faisant partie de l’équipement de l’utilisateur, des informations disponibles sur une rubrique du répertoire, c’est‑à‑dire les données sur une émission enregistrée sous forme numérique. Il a indiqué que cet [traduction] « écran d’informations complètes sur une rubrique » est la partie de l’écran encadrée en rouge dans la photographie reproduite au paragraphe 112 ci‑dessus.

[494] M. Sandoval a répondu que la photographie en question n’est pas un [traduction] « écran d’informations complètes », car ce que M. Balakrishnan a mis en évidence n’est qu’une partie de l’interface plutôt qu’un nouvel écran d’informations qui remplace ou recouvre l’interface existante. Dans son rapport sur la validité, il a déclaré que la personne versée dans l’art comprendrait cela qu’il s’agit d’un [traduction] « autre écran » d’information sur une seule rubrique du répertoire, et pour étayer son argument, il a expressément renvoyé à la figure 10 du brevet 629.

[495] Rovi affirme que M. Sandoval a modifié et restreint son interprétation lorsqu’il a analysé la contrefaçon. Je ne suis pas d’accord. Son interprétation n’a pas été restreinte et n’est pas incohérente. M. Sandoval n’a fait que répéter et renforcer sa position à la lumière des renseignements, à son avis erronés, figurant dans le rapport de M. Balakrishnan sur la contrefaçon.

[496] Rovi fait valoir que cet « écran d’informations complètes » doit être interprété comme s’entendant d’[traduction] « un autre écran d’informations sur une rubrique unique du répertoire » ou toute autre version de cette notion. Cependant, rien dans les revendications 344 ou dans la description n’appuie cette position.

[497] Je suis d’accord avec M. Sandoval : la personne versée dans l’art interpréterait le terme « écran d’informations complètes » comme s’entendant d’un autre affichage, c’est‑à‑dire un écran différent ou superposé, mais en tout cas un écran distinct de celui du répertoire. Le libellé de la revendication indique clairement que l’écran d’informations complètes sur une rubrique est présenté uniquement [traduction] « en réponse » à « un choix par l’utilisateur », et pas simplement affiché automatiquement pendant la navigation dans le répertoire.

[498] C’est la seule conclusion logique, car on peut lire dans la description du brevet 629 qu’une fois que l’utilisateur a fait afficher l’[traduction] « écran d’informations complètes », il doit « sortir » de cet écran pour revenir à « l’écran précédent et l’afficher sur le moniteur 45 ». Il n’est pas nécessaire de « sortir » ainsi d’un écran partiel, car l’écran précédent n’a pas besoin d’être « généré » à nouveau.

[499] Même si selon les CGC, d’autres versions étaient courantes, comme un affichage superposé ou partiel, le brevet 344 est clair. Je conclus que l’« écran d’informations complètes » s’entend d’un affichage qui couvre tout l’écran.

B. Validité

[500] Vidéotron soutient que les revendications 629 sont soit antériorisées par le brevet Florin, soit rendues évidentes en raison des brevets Girard[6] et Florin ou du document Browne[7], à la lumière des CGC de la personne versée dans l’art.

(a) L’antériorité

[501] Le critère de l’antériorité est exposé plus haut, aux paragraphes 266 à 269. Il faut pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Si la publication ne divulgue pas les éléments essentiels d’une revendication de brevet ni ne les rend réalisables, cette dernière est nouvelle, ou non antériorisée.

[502] Vidéotron soutient que le brevet Florin décrit et rend réalisables les revendications du brevet 629.

[503] Le brevet Florin a été publié le 10 décembre 1996 par suite d’une demande d’Apple Computer inc. Le domaine de l’invention y est décrit ainsi :

[traduction]

La présente invention relève du domaine des systèmes audiovisuels. Plus précisément, elle concerne un système d’affichage sélectif et d’interaction avec des programmes et des services provenant de plusieurs sources, un dispositif de contrôle du système, et les méthodes et moyens intégrés au système pour gérer le choix et l’affichage de ces programmes ou services et les interactions avec ceux‑ci.

[504] Vidéotron a exposé en détail dans ses observations écrites les raisons pour lesquelles le brevet Florin antériorise les revendications du brevet 629. Ces raisons sont logiques et étayées par la preuve. Je les ai donc intégrées dans les présents motifs.

[505] Il convient de faire observer que, lorsque les avocats des parties ont comparu devant moi pour présenter leurs observations orales, le seul argument substantiel avancé par Rovi concernant la nouveauté était que le brevet Florin ne divulguait pas [traduction] « un moyen de tenir à jour un répertoire des données sur les émissions associées stockées numériquement à l’aide du guide de programme interactif ». Cet argument repose sur le fait que l’avis de M. Sandoval, selon lequel l’utilisation du GPI pour tenir à jour un répertoire est implicite, n’est pas un élément de preuve suffisant pour satisfaire au critère de la nouveauté. Comme je l’explique ci‑dessous, je ne suis pas d’accord.

[506] Le brevet Florin décrit une « fonction de liste » qui présente à l’utilisateur un « guide », c’est‑à‑dire la liste des émissions, triées par canal et date et heure de diffusion. Le brevet Florin permet aussi à l’utilisateur de naviguer dans ces listes d’émissions. À l’aide d’une télécommande, par exemple, il peut modifier la liste des émissions actuellement disponibles pour afficher celles diffusées à une autre date ou une autre heure. Dans son rapport d’expert, M. Balakrishnan a interprété ainsi le « guide de programmes interactif » dans le contexte du brevet : [traduction] « logiciels, matériel, ou les deux, pouvant notamment générer puis afficher des listes de programmes et de contenus enregistrés sous forme électronique dans lesquelles un utilisateur peut naviguer par des moyens électroniques (une télécommande, p. ex.) ». Cette définition correspond à la description du brevet Florin.

[507] M. Sandoval a estimé que le brevet Florin décrivait un GPI tel qu’il avait interprété ce terme. En contre‑interrogatoire, M. Balakrishnan a semblé penser que les antériorités devaient reprendre précisément le même libellé que les revendications du brevet : [traduction] « Je pense qu’il s’agit d’une fonction de liste, comme il est dit. Le terme GPI n’est pas utilisé, mais il s’agit d’un élément d’un GPI. » Manifestement, il n’a pas lu les documents d’antériorité comme l’aurait fait une personne versée dans l’art avec un esprit désireux de comprendre.

[508] L’exigence de la divulgation d’un GPI, tel que défini par les deux experts dans leur interprétation des revendications, est remplie par le brevet Florin. Le GPI fonctionne sur un équipement de télévision d’utilisateur, appelé « émetteur‑récepteur ».

[509] Comme l’a expliqué M. Sandoval : [traduction] « Le brevet Florin décrit un système qui comprend un disque dur pour y enregistrer des émissions ». Le brevet Florin décrit l’enregistrement d’émissions sur un disque dur : [traduction] « Un bouton d’enregistrement pour copier des émissions sur des périphériques d’enregistrement audiovisuel connectés (magnétoscopes, disques durs, etc.) ». M. Balakrishnan a convenu que le brevet Florin décrivait un stockage numérique (le stockage d’émissions sur un disque dur) et que ce stockage numérique pourrait être intégré à l’émetteur‑récepteur décrit dans le brevet Florin. Par conséquent, le brevet Florin divulgue le stockage numérique.

[510] Ainsi que je l’ai expliqué plus haut dans les présents motifs, lorsqu’il était question des CGC, la technologie d’enregistrement d’émissions sur un disque dur était connue à l’époque pertinente. La divulgation de tels enregistrements dans le brevet Florin donne donc à la personne versée dans l’art des instructions suffisantes pour qu’elle utilise un disque dur, car cette technologie d’enregistrement numérique faisait partie des CGC. Le brevet 629 lui‑même ne donne au lecteur aucune orientation technique précise sur cet aspect. Cependant, tant le brevet Florin que le brevet 629 s’appuient sur les CGC de la personne versée dans l’art.

[511] Le brevet Florin divulgue un répertoire tenu à jour. Comme l’a fait remarquer M. Sandoval, le brevet Florin non seulement décrit l’enregistrement d’émissions, mais prévoit aussi pour l’utilisateur un répertoire des émissions enregistrées, et il était tenu pour acquis que ce répertoire était modifié avec l’enregistrement d’émissions, c’est‑à‑dire qu’il était tenu à jour. Ce répertoire pouvait être stocké dans la mémoire réinscriptible de l’émetteur‑récepteur, ce qui indiquerait à la personne versée dans l’art, qui connaît les répertoires numériques, que le répertoire pouvait être tenu à jour au besoin.

[512] Comme M. Sandoval l’a aussi fait remarquer, le brevet Florin décrit une [traduction] « fonction d’information » qui peut être utilisée pour obtenir des informations complètes sur une émission. L’utilisateur appuie sur le « bouton d’information 136 », ce qui affiche un « panneau graphique superposé 190 » distinct, dénoté par un petit « i », tel qu’illustré à la figure 7.

[513] Comme l’indique le brevet Florin, la fonction d’information récupère des informations supplémentaires sur l’émission, y compris le titre, la durée, le numéro du canal et le logo du réseau. Le brevet Florin précise également que la fonction d’information peut être utilisée avec la fonction de liste. Ensemble, ces deux fonctions permettent à l’utilisateur d’accéder à un répertoire d’émissions enregistrées sur un disque dur et de choisir une rubrique pour obtenir d’autres informations sur celle‑ci par un écran superposé distinct, c’est‑à‑dire un écran d’informations complètes.

[514] L’émetteur‑récepteur du brevet Florin est, selon l’un ou l’autre des experts, un [traduction] « équipement de télévision d’utilisateur ». Les deux experts conviennent que cet « équipement de télévision d’utilisateur » peut être un décodeur, mais d’autres appareils sont possibles. À noter, M. Balakrishan a fait valoir à l’instruction que le brevet Florin ne divulguait pas un décodeur. En contre‑interrogatoire, l’avocat de Vidéotron a suggéré à M. Balakrishnan que l’émetteur‑récepteur 54 (dénoté par une accolade dans la figure 1 du brevet Florin, reproduite ci‑dessous) pourrait être un décodeur.

Florin Figure 1

FR

EN

FIG. 1

FIG. 1

FOURNISSEUR DE SERVICE

SERVICE PROVIDER

MODULE DE CONNEXIONS AUDIOVISUELLES

A/V CONNECT MODULE

MODULE PRINCIPAL

MAIN MODULE

CD‑ROM (facultatif)

CD‑ROM (optional)

MAGNÉTOSCOPE

VCR

AUTRES APPAREILS AUDIOVISUELS

OTHER AUDIO‑VISUAL DEVICES

TÉLÉCOMMANDE

REMOTE CONTROL

TÉLÉVISEUR

TELEVISION SET

ÉCRAN

SCREEN

[515] M. Balakrishnan a répondu : [traduction] « Je dirais qu’il s’agit simplement d’une boîte entre le fournisseur de services et le téléviseur disposant de certaines fonctions audiovisuelles. Je ne pense pas que le brevet Florin mentionne un « décodeur ». J’ai trouvé la réponse de M. Balakrishnan troublante, car la boîte en question serait clairement considérée par la personne versée dans l’art comme étant, en langue courante, un décodeur. Rien n’indique que cet appareil pourrait être autre chose.

[516] Le brevet Florin précise que l’utilisateur accède à l’aide d’un décodeur à la fonction de liste, qui affiche dans un écran le répertoire des émissions diffusées ou enregistrées. Ce répertoire peut être stocké dans la mémoire réinscriptible de l’émetteur‑récepteur. L’utilisateur peut enregistrer les émissions sur un périphérique de stockage numérique comme un disque dur. Le disque dur est décrit comme pouvant être incorporé à l’émetteur‑récepteur. L’utilisateur a aussi accès à une « fonction d’information » avec la fonction de liste. Après que l’utilisateur a localisé une émission, la fonction d’information affiche des informations supplémentaires sur celle‑ci, comme le titre, la catégorie et la durée, dans un écran superposé d’affichage des informations complètes.

[517] Compte tenu de la divulgation contenue dans le brevet Florin, M. Sandoval était d’avis que les revendications 629 étaient à la fois divulguées et rendues réalisables. M. Sandoval n’a pas été contre‑interrogé au sujet du caractère réalisable. Je partage l’avis de M. Sandoval.

[518] Sur le fondement de la preuve dont je dispose, je conclus que les revendications 629 sont invalides en raison de l’antériorité que constitue le brevet Florin.

(i) L’évidence

[519] Si je fais erreur, Vidéotron allègue que les revendications 629 auraient été évidentes compte tenu de l’art antérieur (les brevets Florin et Girard, et le document Browne) et des CGC à cette époque.

[520] Le brevet Girard a été publié le 12 mai 1998 par suite d’une demande de Microsoft. Le domaine de l’invention y est décrit ainsi :

[traduction]

La présente invention porte sur un système de télévision interactif qui permet à un téléspectateur de choisir à l’aide d’un guide de programmation électronique des émissions en cours de diffusion, des vidéos à la demande d’émissions déjà diffusées et des aperçus d’émissions à venir. Cette invention porte aussi sur des méthodes de demande de vidéos à l’aide d’un guide de programmation électronique et d’exploitation de tels systèmes de télévision interactifs.

[521] Le document Browne est une demande de brevet soumise à l’OMPI qui a été publiée le 23 décembre 1992 à la demande des inventeurs, MM. Browne et Yurt. L’invention concernée vise en gros [traduction] « un lecteur/enregistreur audio et vidéo multisource de grande capacité, à accès aléatoire, qui peut recevoir simultanément de multiples signaux d’entrée et qui permet à un utilisateur de choisir parmi ces signaux d’entrée pour les afficher, les enregistrer, ou les deux ».

[522] Comme nous l’avons vu dans la section sur les connaissances générales courantes, les experts s’entendent sur l’influence des technologies de l’informatique personnelle sur la technologie des GPI. Comme l’a décrit M. Balakrishnan, il y avait à l’époque d’importantes différences entre la technologie des ordinateurs personnels et celle des GPI. Par exemple, [traduction] « pour plusieurs raisons, notamment la puissance de traitement nettement plus élevée et les interfaces utilisateur bien plus avancées des ordinateurs personnels (elles le sont d’ailleurs toujours), la possibilité d’enregistrer des fichiers numériques sur un ordinateur personnel était beaucoup plus avancée que sur un décodeur ». Toutefois, il ressort clairement de cet énoncé que les restrictions matérielles ont eu une grande influence sur le décalage technologique et les problèmes de mise en œuvre. Par conséquent, les technologies informatiques et celles des décodeurs ont mieux convergé une fois qu’on a pu augmenter la puissance de traitement des décodeurs.

[523] Ainsi, incorporer aux décodeurs des listes de répertoires de type informatique était évident. De plus, il est reconnu, dans la rubrique « Contexte » du brevet 629, que les idées suivantes faisaient partie des CGC en 1998 : A) les GPI étaient disponibles et pouvaient afficher des informations sur les émissions sur le téléviseur d’un utilisateur; b) un GPI pouvait servir à choisir et enregistrer des émissions; et (c) certaines fonctions seraient obligatoirement accessibles si le stockage numérique était mis en œuvre dans un périphérique numérique plutôt qu’un périphérique analogique.

[524] Rovi prétend que les éléments suivants exigent de l’ingéniosité et qu’ils sont les idées originales des revendications en question (étape 2 du critère de l’arrêt Sanofi) :

l’enregistrement est lancé par un GPI;

le GPI enregistre l’émission et les données sur celle‑ci sur un dispositif de stockage dans l’équipement de télévision de l’utilisateur; et

le GPI permet à l’utilisateur d’afficher les rubriques du répertoire, d’afficher des écrans d’informations complètes et de gérer ce répertoire.

(a) le brevet Florin

[525] Rovi a fait valoir que les différences entre le brevet Florin et le brevet 629, qui sont relevées dans l’analyse de l’antériorité, constituent des étapes qui n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art. Comme je l’affirme plus haut, il n’y a pas d’écart entre le brevet Florin et le brevet 629.

[526] Si je me trompe, et qu’il y a des écarts, ceux‑ci sont comblés par les CGC. L’utilisation d’un répertoire était alors courante pour le stockage numérique. Les GPI aussi étaient courants à cette époque. De plus, M. Balakrishnan a mentionné [traduction] « les interfaces utilisateur bien plus avancées des ordinateurs personnels ».

[527] Rovi soutient qu’il était évident d’incorporer des listes de répertoire de type informatique dans la technologie des décodeurs, comme le suggère M. Sandoval, mais cette étape ne rendait pas nécessairement évidente l’invention qui sous‑tend les revendications 629. Toutefois, les experts ont convenu qu’aucun obstacle technique n’empêchait la mise en œuvre d’un GPI comme un système de répertoire et, même s’il y en avait, le brevet 629 n’enseigne pas la solution. En outre, les écrans d’informations complètes faisaient partie des CGC, et ils étaient courants. Encore une fois, dans les CGC, la méthode de stockage des données associées aux fichiers était bien connue et le contenu pouvait être affiché.

[528] Si je fais erreur et qu’il y a des différences entre les CGC, le brevet Florin et une combinaison des deux, il n’est pas nécessaire de faire preuve d’ingéniosité pour combler l’écart. L’application de toutes les idées qui étaient bien connues dans le domaine, divulguées et rendues réalisables par le brevet Florin, à des programmes enregistrés plutôt qu’à des programmes diffusés était évidente. Le brevet 629 ne règle pas le problème technique qui, ce faisant, pourrait survenir. Comme l’ont expliqué les experts, le problème lié à l’application de cette technologie n’en est pas un d’ingéniosité, mais de puissance de traitement.

(b) le brevet Girard

[529] La principale différence entre le brevet Girard et le brevet 629 est l’emplacement (local ou distant) où les émissions et les données connexes sont stockées. M. Balakrishnan a reconnu qu’il n’y a rien dans le brevet 629 qui règle la prétendue question du transfert d’un stockage centralisé vers un stockage local (s’il y a déjà eu un tel problème) et que la personne versée dans l’art n’y aurait vu aucune restriction technique.

[530] M. Sandoval a fait valoir que la personne versée dans l’art [traduction] « comprendrait qu’il n’existe aucune différence importante, dans le brevet Girard, quant à l’endroit où les programmes sont stockés, à l’exception de facteurs tels que le coût de la mémoire et de la bande passante sur le réseau et le nombre de copies des programmes nécessaires ». Rovi soutient que, s’agissant de l’environnement technique, les différences entre le stockage centralisé et le stockage localisé sont assez importantes pour qu’un concepteur de l’infrastructure centralisée d’un fournisseur de services consulte les enseignements touchant la conception des appareils électroniques grand public, et vice versa.

[531] M. Balakrishnan a déclaré en contre‑interrogatoire qu’il ne voyait aucune raison claire de passer du stockage centralisé au stockage local, ou encore de combiner les enseignements du brevet Girard et ceux du brevet Florin. Cette assertion ne tient pas compte de la tendance décrite plus haut dans les présents motifs, c’est‑à‑dire qu’avec son passage aux technologies numériques, la télédiffusion pourrait être combinée à d’autres technologies numériques. L’état de la technique renferme de nombreux exemples de stockage local. La motivation était présente, comme il ressort clairement du brevet Florin et du document Browne. Le stockage local et l’affichage des émissions faisaient partie des CGC. J’accepte que les enseignements du brevet Girard combinés aux CGC sur les méthodes de stockage local des émissions rendent évident le brevet 629.

(c) le document Browne

[532] Le document Browne n’enseigne pas l’utilisation d’un GPI pour enregistrer ou tenir un répertoire à jour non plus qu’il ne divulgue les écrans d’informations complètes. Le document Browne divulgue seulement un répertoire des éléments enregistrés, et ces informations sont saisies manuellement par l’utilisateur; elles ne sont gérées ni par le système ni par un GPI.

[533] M. Sandoval n’a pas expliqué en quoi il était évident de passer du document Browne au brevet 629. En contre‑interrogatoire, au sujet des nombreuses étapes que le document Browne envisage pour la saisie manuelle des informations par l’utilisateur, M. Sandoval a déclaré : [traduction] « la personne versée dans l’art comprendrait que c’est une des façons de le faire, mais c’est la façon que le document Browne décrit. La personne versée dans l’art saurait qu’elle peut certes trouver une autre façon d’enregistrer une émission. Peut‑être avec moins d’étapes, par exemple ». Je suis d’accord avec Rovi pour dire que la conclusion de M. Sandoval, selon laquelle l’« autre façon » est celle décrite dans le brevet 629, exige du recul. M. Sandoval n’a présenté aucun élément de preuve expliquant pourquoi la personne versée dans l’art serait passée du système divulgué dans le document Browne à celui du brevet 629.

[534] Pour les motifs qui précèdent, les revendications 629 sont soit antériorisées par le brevet Florin, soit évidentes à la lumière du brevet Florin et des CGC, du brevet Girard et des CGC, des brevets Florin et Girard, ou d’une combinaison des trois.

(b) La contrefaçon

[535] Si je fais erreur, je juge que Rovi n’a pas réussi à prouver que le système illico 2 contrefait les revendications 629.

[536] La preuve montre clairement que, dans le logiciel du système illico 2, c’est l’application EVP qui traite la [traduction] « gestion du stockage » et la « gestion de l’enregistrement »; elle s’occupe aussi de maintenir à jour à jour le répertoire des émissions enregistrées. En revanche, l’application GPE ne traite ni l’enregistrement ni le stockage des émissions, comme le démontre l’illustration ci‑dessous.

FR

EN

Architecture de l’application EVP

PVR Architecture Diagram

Application OCAP

OCAP Applications

GPE

EPG

Demande d’enregistrement

Recording Request

Tenue à jour des données du GPE

EPG data update

Moniteur

Monitor

Lancement

Launching

Commande de l’économiseur d’écran

Screen saver Control

Paramètres

Settings

Préférences

Preferences

EVP

PVR

Gestion du stockage

Storage Management

Gestion du réseau local

HomeNet Management

Interface

UI

Enregistrement à distance

Remote Recording

Gestion des enregistrements

Recording Management

Modification de l’échéancier

Schedule Update

Gestion des problèmes

Issue Management

Interface graphique

GUI

Enregistrement à distance

Remote Recording

Résultats de la recherche

Search Result

Recherche

Search

Journalisation

Logging

VBM

VBM

Intergiciel OCAP

OCAP Middleware

Présente des interfaces d’application Java définies dans la spécification OCAP

It provides Java APIs defined in OCAP specification

Ces interfaces sont utilisées correctement par chaque application

Those APIs are used by each applications properly

SE et pilotes

OS + Drivers

Interfaces d’application natives (couche de portage) pour contrôler le matériel

It provides Native APIs (Porting Layer) to control Hardware

Droits d’auteur

Copyright

[537] En outre, dans l’application EVP, l’utilisateur ne peut pas cliquer sur un programme du répertoire pour afficher un « écran d’informations complètes », en plein écran ou en superposition, ni doit‑il ensuite choisir une « sortie » pour quitter cet écran. Plutôt, si l’utilisateur parcourt le répertoire des émissions enregistrées à l’aide des touches de sa télécommande, ces informations sont affichées automatiquement dans une section de l’écran.

XIV. L’objet brevetable

[538] Vidéotron soutient, à titre de motif additionnel d’invalidité, que les revendications invoquées échouent à décrire un objet brevetable, car elles ne visent que le traitement et l’affichage de données (les émissions diffusées ou enregistrées), et elles ne règlent aucun problème technique. Elle fait valoir que la généralité des systèmes ressort des brevets invoqués. Selon elle, les revendications ne décrivent pas une application pratique, mais se contentent de décrire la manipulation d’informations ou de données précises à l’aide de technologies informatiques courantes; en d’autres termes, les revendications portent sur la manipulation de l’information, ce qui est une idée abstraite.

[539] Comme j’ai conclu que les revendications invoquées sont invalides pour d’autres motifs, mon analyse sur ce point sera brève.

[540] La Cour a sommairement écarté les arguments relatifs à l’objet non brevetable lorsque les contrefacteurs cherchaient à qualifier les systèmes et les méthodes comportant plusieurs éléments [traduction] « [d’]opérations mentales abstraites » semblables aux « opérations mentales » examinées dans la décision Schlumberger Canada Ltd c Le commissaire des brevets, [1982] 1 CF 845 (CA). Comme l’a affirmé le juge Manson au paragraphe 152 de la décision Uponor AB c Heatlink Group Inc, 2016 CF 320 : « l’utilisation de l’équipement ou du dispositif connus dans une application nouvelle et non évidente […] peut […] constituer un objet brevetable, sous réserve des mêmes exigences relatives à la brevetabilité quant au procédé pour réaliser l’invention ». J’adopterais l’approche de mon collègue.

[541] Les revendications en cause ne sont pas de simples formules mathématiques, principes scientifiques ou théorèmes. De plus, les revendications de système et de méthode en cause ne monopolisent pas une formule mathématique et n’informatisent pas une méthode essentiellement mathématique. En l’espèce, les experts s’accordent à dire que chaque élément de chaque revendication invoquée est essentiel. En outre, chaque revendication en cause comprend plusieurs étapes d’une méthode ou plusieurs parties d’un système.

[542] Bien que Vidéotron ait soulevé des arguments convaincants qui trouvent un écho en moi, je ne suis pas convaincu qu’elle ait démontré que les revendications invoquées constituent des objets non brevetables.

XV. La réparation

[543] L’action de Rovi sera rejetée, mais, par souci d’exhaustivité, j’aborderai brièvement la question de la réparation.

[544] La Loi sur les brevets prévoit deux mesures de réparation en cas de contrefaçon de brevet. Tout d’abord, l’article 55 dispose que le breveté a droit à des dommages‑intérêts sous la forme d’une redevance raisonnable ou d’une remise des profits perdus. Les dommages‑intérêts comprennent la perte de l’inventeur et, parfois, la perte de profits que le titulaire du brevet a subie au chapitre des ventes, soit la perte de redevances. Deuxièmement, l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets prévoit que, sur requête du plaignant ou du défendeur, la Cour peut ordonner la restitution des profits. La restitution des profits est calculée en fonction des profits que le contrefacteur a réalisés en raison de la contrefaçon (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 [Monsanto] au para 100).

[545] Rovi sollicite la réparation qui lui permettra d’obtenir la somme la plus élevée, ce qui, selon elle, est une restitution des profits. Subsidiairement, elle sollicite des dommages‑intérêts sous la forme de redevances raisonnables, mais seulement si le montant de cette réparation est supérieur.

[546] Je dois d’abord dire que les témoins experts qui se sont prononcés sur les questions de réparation étaient très qualifiés dans leur domaine d’expertise et que je ne doute pas de leur impartialité. Ils ont donné des avis justes et équilibrés, soit le mieux que l’on puisse attendre de la part de témoins experts. Toutefois, leurs avis concernant la réparation appropriée étaient fondés sur des hypothèses et reposaient sur l’exactitude de renseignements qui leur étaient fournis par des tiers. Il est évident que les experts sont souvent appelés à formuler des avis fondés sur des hypothèses. Par conséquent, dans mon analyse critique de leurs témoignages, j’ai porté une attention particulière aux faits sur lesquels s’appuie chacun des avis, peu importe que ces faits aient été établis en preuve.

[547] La première question que je dois trancher concernant la réparation est celle de savoir s’il convient d’accorder des dommages‑intérêts ou une restitution des profits eu égard aux faits de la présente affaire. Rovi doit établir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et l’autoriser à solliciter cette réparation.

[548] Il est utile d’exposer certains faits avant d’examiner les facteurs dont je dois tenir compte pour décider si j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Rovi.

A. Le contexte factuel

(a) Les activités d’octroi de licences de Rovi

[549] Rovi a deux secteurs d’activités. Premièrement, la fourniture de produits, comme des logiciels de GPI et de données sur les émissions, aux entreprises de câblodistribution ou de télécommunications des États‑Unis et du Canada. Rovi fournit aussi des services de licence, ce qui permet aux clients d’obtenir des licences d’exploitation des brevets dont elle est titulaire. Entre 2003 et 2013, Rovi a considérablement accru ses activités de concession de licences de brevets.

[550] Le modèle d’affaires de Rovi consiste à octroyer des licences d’exploitation de tous les brevets de son portefeuille, et non pas uniquement d’un sous‑ensemble de ces brevets. Selon ce modèle de licence de portefeuille, le titulaire de licence paie un droit de licence fixe, c’est‑à‑dire qui ne varie pas en fonction du nombre de brevets qu’il exploite ou que Rovi détient.

[551] Lorsqu’un potentiel titulaire de licences se présente à elle, Rovi a pour pratique |  |  |  |.  Selon Rovi, aucun des fournisseurs de télévision payante [traduction] « du monde entier » offrant un GPI ne peut mener ses activités sans avoir obtenu une licence de Rovi.

[552] La pratique de Rovi consiste à ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[553]  |  |  Rovi refuse à dessein de divulguer d’autres brevets ayant une valeur pour les titulaires de licence, comme il a été admis au cours de l’interrogatoire préalable.

[traduction]

Q. Pour que ce soit clair, dites‑moi, lorsque vous parlez de retenir quelque chose, vous pensez à un droit de brevet qui, d’après vous, s’applique à une société canadienne, et vous réglez la question de l’octroi de licences de brevets avec cette société, qui, d’après vous, contrefait ce brevet, mais vous ne divulguez pas ce renseignement au potentiel titulaire de licence?

R. C’est exact.

(b) Les activités de Vidéotron

[554] Vidéotron fournit des services de télévision par câble au Québec depuis les années 1960. Ses abonnés sont en grande partie francophones et presque tous résidents du Québec. Seul un petit nombre d’abonnés résident dans l’est de l’Ontario.

[555] Les activités de Vidéotron comprennent la fourniture de points d’extrémité et de services aux abonnés afin de leur donner accès à la télédiffusion et à d’autres contenus. Vidéotron propose aussi des services d’accès à Internet, de téléphonie mobile, de diffusion en continu et de téléphonie à domicile.

(c) Le contrat de licence

[556] Entre la fin de 2008 et janvier 2009, Rovi a échangé avec Vidéotron à propos de l’octroi d’une licence d’exploitation de son portefeuille de brevets liés aux technologies de GPI. M. Proulx a participé aux premières réunions avec Rovi. J’estime que M. Proulx a été un témoin franc et crédible, et j’accepte l’intégralité de son témoignage.

[557] Selon M. Proulx, Vidéotron connaissait alors les produits de Rovi, mais elle ne connaissait pas ses brevets. Elle savait que Rovi avait conclu des contrats avec des câblodistributeurs américains. Elle savait également que Rovi était alors devant les tribunaux.

[558] En 2009, Rovi avait intenté une action en justice au Royaume‑Uni contre Virgin Media concernant la validité de certains de ses brevets. À l’issue de ces affaires, des brevets de Rovi ont été invalidés, notamment pour des motifs de brevetabilité et d’antériorité.

[559] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[560] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||

[561] Après la présentation, Rovi et Vidéotron ont discuté de questions commerciales et de la structure de la licence. Les négociations concernant les conditions de la licence ont duré environ deux ans.

[562] M. Proulx a affirmé que, pendant les négociations, Vidéotron était aux prises avec des problèmes technologiques touchant le système illico 2. Selon lui, l’intérêt de Vidéotron à l’époque était de jouer le jeu et d’éviter tout problème de brevet qui pourrait nuire au lancement de son nouveau système.

[563] M. Proulx a admis que Vidéotron n’avait pas mentionné à Rovi qu’elle concluait un contrat de licence pour éviter un litige. Vidéotron n’a pas non plus dit qu’elle n’avait pas besoin d’une licence d’exploitation du portefeuille de brevets liés aux technologies de GPI de Rovi, ni mentionné la possibilité de l’octroi d’une licence pour un seul ou quelques‑uns des brevets que compte le portefeuille.

[564] Le contrat de licence a été signé par Rovi et Vidéotron le 31 janvier 2011, et il est entré en vigueur le 1er avril 2010.

[565] La licence de Vidéotron a été établie en tant que licence de portefeuille. Y sont reconnus la propriété, le contrôle et les droits de Rovi sur ses [traduction] « brevets relatifs au GPI », qui sont définis de manière à inclure les revendications des brevets et les demandes de brevets relatifs au GPI dont elle était ou est devenue titulaire pendant la durée du contrat de licence ou en vertu desquels elle avait le droit, ou l’a obtenu, d’octroyer des licences à des tiers pendant la même période.

[566] Le contrat de licence était d’une durée de cinq ans et portait sur les activités de Vidéotron susceptibles d’être visées par des allégations de contrefaçon de brevet.  |  | 

[567] M. Proulx a affirmé que, lorsque Vidéotron avait conclu le contrat de licence, elle avait accordé une grande importance à la réduction des risques, car elle était au fait des contrats antérieurs ainsi que des litiges entre Rovi et des sociétés de câblodistribution américaines. Vidéotron ne voulait pas que des problèmes de brevets, notamment le risque d’une injonction, la distraient de la réalisation de son important projet.

[568] Je conclus que la volonté de se mettre à l’abri d’une action en justice a été le principal facteur qui a motivé Vidéotron à accepter de payer les taux de redevance qui avaient été en fin de compte négociés, et non la valeur de tel ou tel brevet du portefeuille de Rovi, comme le démontre le fait que Vidéotron n’a pas analysé la valeur marchande des différentes fonctions faisant l’objet des brevets du portefeuille de Rovi avant de conclure le contrat de licence.

[569]  | | |  | 

(d) Les négociations relatives au renouvellement de contrat de licence

[570] En 2014, avant l’expiration du contrat de licence, Vidéotron et Rovi ont commencé à négocier les conditions de renouvellement. M. Christiano a présenté un témoignage concernant les négociations relatives au renouvellement de la licence. J’estime que ce témoin était très crédible et que ses réponses étaient claires, équitables, plausibles et convaincantes.

[571]  | |  Au cours de plusieurs réunions, Rovi  |  |  | 

[572] Rovi a exigé des taux de redevance pour la licence d’exploitation de son portefeuille de brevets qui étaient presque deux fois plus élevés que ce qui avait été convenu à l’origine dans le premier contrat de licence conclu entre les parties. Vidéotron a été prise de court par l’augmentation substantielle des redevances demandées par Rovi et a commencé à s’interroger sur l’intérêt de renouveler la licence. Elle a néanmoins accepté de prolonger la licence d’une année afin de pouvoir examiner plus en avant et mieux comprendre les brevets en jeu, mieux comprendre leur applicabilité et se pencher sur la question de savoir, comme l’a dit M. Christiano, [traduction] « si une licence serait nécessaire dans l’avenir ».

[573] Dans ses observations finales, Rovi a fait valoir que l’augmentation des redevances répondait à la hausse de la valeur du portefeuille de brevets. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

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[574]  |  |  | 

[Image supprimée]

[575] M. Christiano a affirmé que Vidéotron n’avait cessé, tout au long des discussions, de demander à Rovi son avis sur la question de savoir quels étaient les brevets qui étaient d’une valeur particulière pour Vidéotron et qui étaient précisément liés à sa plateforme. Du point de vue de Vidéotron, jamais Rovi n’a fourni de renseignements appropriés sur la pertinence ou la valeur de son portefeuille de brevets.

[576] Vidéotron a refusé de conclure un autre contrat de licence à long terme pour ce qui semblait être d’anciens brevets tirés d’un portefeuille de brevets liés au GPI de plus en plus obsolètes. |   | | 

[577]  |  |  |  |  | 

[578] Les négociations ont finalement été rompues au début de l’année 2017. En fin de compte, Vidéotron a obtenu une licence lui permettant d’exploiter le portefeuille de brevets liés au GPI de Rovi jusqu’au 31 décembre 2016.

B. La restitution des profits

[579] Le breveté peut opter pour une restitution des profits au lieu de dommages‑intérêts, et cette mesure de réparation peut être accordée s’il est jugé qu’au moins une revendication de brevet valide a été contrefaite. Le breveté n’a pas droit à la restitution des profits; il ne l’obtiendra que si la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de la lui accorder. Toutefois, la Cour ne devrait pas refuser d’exercer ce pouvoir discrétionnaire en l’absence d’un motif convaincant (Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Limitée, 2016 CAF 55 au para 8).

[580] En substance, le breveté doit démontrer qu’il devrait se voir accorder une restitution des profits ainsi que les recettes tirées des ventes réalisées par le contrefacteur grâce à la contrefaçon.

[581] Au paragraphe 15 de l’arrêt Apotex Inc c Bayer Inc, 2018 CAF 32, la Cour d’appel fédérale a rappelé les divers facteurs à prendre en compte pour décider si une restitution des profits doit être accordée, soit (i) la question de savoir s’il y a eu retard dans l’introduction ou la poursuite de l’action; (ii) la conduite du breveté; (iii) la conduite du contrefacteur; (iv) la question de savoir si le breveté a mis en pratique l’invention revendiquée dans le brevet au Canada; et (v) la complexité du calcul des profits à restituer.

(a) La question de savoir s’il y a eu retard dans l’introduction ou la poursuite de l’action

[582] Lorsque le breveté tarde à introduire son action contre le contrefacteur, si bien qu’il laisse délibérément ce dernier accumuler des bénéfices colossaux, la restitution des profits peut être refusée.

[583] Rovi n’a pas tardé à introduire l’action. Au contraire, elle a agi dès qu’il est devenu manifeste que le contrat de licence conclu avec Vidéotron ne serait pas renouvelé. Rien n’indique non plus que Rovi a tardé à faire progresser l’instance. Ce facteur est neutre.

(b) La conduite de Rovi

[584] La conduite du breveté est un facteur pertinent que la Cour doit prendre en compte pour décider si elle autorise ou non la restitution des profits.

[585] Rovi maintient qu’elle a agi de manière appropriée et qu’elle ne s’est pas mal conduite. Rovi explique qu’elle a agi de bonne foi pour renouveler la licence de Vidéotron, par exemple en rencontrant Vidéotron, | . Elle n’a eu recours aux tribunaux que pour faire valoir ses droits de propriété, car Vidéotron refusait de renouveler le contrat.

[586] Ce pourrait être vrai, mais la preuve dont je dispose établit que Rovi a la réputation d’utiliser des tactiques juridiques impitoyables pour faire pression sur des tiers afin qu’ils demandent des licences d’exploitation de son portefeuille de brevets. Rovi était connue pour son modèle d’affaires consistant à regrouper des portefeuilles de brevets, à rechercher des licences, à s’appuyer sur ses licences antérieures et à recourir de manière énergique aux tribunaux pour amener les sociétés qui évitent les risques à conclure des contrats conformes à son barème de redevances. Elle dépense des dizaines de millions de dollars par an dans des litiges en matière de brevets.

[587] Selon Rovi, aucun des fournisseurs de télévision payante [traduction] « du monde entier » offrant un GPI ne peut mener ses activités sans avoir obtenu une licence de Rovi.

[588]  |  |  | . | 

[589] Rovi n’a pas cessé de vanter la valeur de son portefeuille de brevets, mais elle n’a jamais été disposée à divulguer le contenu de ce portefeuille. Au cours des négociations relatives au contrat de licence avec Vidéotron, Rovi n’a pas voulu fournir la liste complète de ses brevets que, selon elle, Vidéotron contrefaisait, ni même de ceux qu’elle appelait ses [traduction] « meilleurs brevets ».

[590] À ce refus s’ajoute la stratégie apparemment délibérée de Rovi consistant à retarder le traitement de ses demandes de brevet. Dans la présente affaire, le brevet 344 a pour date de dépôt international le 16 juillet 1999, et il a été délivré 15 ans plus tard, soit le 21 octobre 2014. Le brevet 870 a pour date de dépôt international le 13 juillet 1999, et il a été délivré plus de 17 ans plus tard, soit le 3 janvier 2017. Le brevet 629 a pour date de dépôt international le 16 septembre 1999, et il a été délivré 13 ans plus tard, soit le 26 novembre 2013. Le propre témoin expert de Rovi a confirmé que le fait de retarder le traitement de demandes de brevet posait problème parce qu’une fois qu’un contrefacteur potentiel a lancé un produit, la marge de manœuvre est moins grande, et le détenteur de brevet opportuniste peut alors essayer d’obtenir des redevances de licence plus importantes, voire déraisonnables.

[591] Au moment de négocier les conditions de renouvellement de la licence, Vidéotron a demandé plusieurs fois des renseignements précis sur la valeur des brevets de Rovi. Ses tentatives pour justifier et valider les conditions d’un contrat que Rovi voulait pluriannuel et dont le taux était du double de celui initialement convenu dans la première licence ont été repoussées.

[592] Il me semble plutôt évident que la raison pour laquelle Rovi a refusé de fournir à Vidéotron la liste complète des revendications de brevets précises qu’elle jugeait contrefaites était d’empêcher Vidéotron de les contourner. Rovi a estimé que, même après l’expiration des quatre brevets en cause, Vidéotron ne serait pas libre de poursuivre ses activités, car il y aurait toujours d’autres brevets que Rovi pourrait faire valoir à l’encontre de Vidéotron.

[593] Enfin, rien n’indique que Rovi a envoyé une mise en demeure à Vidéotron pour l’informer de la contrefaçon des brevets avant d’introduire la présente action. Bien que la loi n’exigeait pas de l’en informer, il me semble qu’introduire une procédure judiciaire contre une partie qui refuse de conclure un contrat de licence sans lui donner au préalable la possibilité d’examiner la demande et de tenter de résoudre le litige s’apparente à des représailles.

[594] Les pratiques commerciales douteuses de Rovi teintent nécessairement mon avis sur la valeur des fonctions qu’elle revendique dans les brevets en cause. Ce facteur milite fortement contre Rovi.

(c) La conduite de Vidéotron

[595] Le caractère délibéré de la contrefaçon, bien qu’il ne soit pas nécessaire pour qu’une restitution des profits soit accordée, peut étayer la décision d’accorder cette mesure de réparation (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825 au para 509). Compte tenu de ce qui précède, Rovi soutient que Vidéotron a décidé de prendre le risque calculé de ne pas obtenir de licence tout en sachant qu’elle pourrait contrefaire ses brevets, que cette décision témoigne d’une intention délibérée de contrefaire les brevets et que cette conduite appelle, à titre de mesure de réparation, une restitution des profits.

[596] Rovi fait observer que Vidéotron avait déjà détenu une licence de Rovi pendant environ six ans. Vidéotron savait que Rovi possédait un important portefeuille de brevets liés au GPI et que d’autres sociétés de télécommunications en possédaient également. Rovi ajoute qu’elle a donné en exemples certains de ses brevets et que Vidéotron n’a jamais fourni de réponse technique démontrant qu’elle ne les contrefaisait pas ou qu’ils étaient invalides.

[597] Rovi soutient que la conduite de Vidéotron milite fortement en faveur de l’octroi du choix d’obtenir une restitution des profits, et que son attitude qui consiste à dire : [traduction] « Essayez toujours de m’attraper pour voir », est exactement celle contre laquelle le juge Russel W. Zinn a mis en garde au paragraphe 23 de la décision Monsanto Canada Inc c Rivett, 2009 CF 317. Autrement, rien ne dissuaderait un ancien titulaire de licence de contrefaire un brevet si, en conséquence, il doit simplement payer la somme qu’il aurait de toute façon payée pour utiliser le brevet.

[598] Je ne suis pas d’accord pour dire que la conduite de Vidéotron était inappropriée, et encore moins pour dire qu’elle a délibérément contrefait les brevets de Rovi. La preuve indique que les motifs pour lesquels Vidéotron a refusé de renouveler le contrat de licence avec Rovi étaient fondés. La décision de Vidéotron reposait sur une évaluation raisonnable de la nécessité des brevets.

[599] Je ne suis pas convaincu que ce facteur milite pour l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Rovi. Il est neutre.

(d) La question de savoir si Rovi a mis en pratique l’invention revendiquée dans le brevet au Canada

[600] La restitution des profits trouve sa justification lorsqu’un défendeur réalise indûment, et grâce à une conduite répréhensible, des gains qui auraient dû aller au demandeur. L’un des facteurs à prendre en compte est celui de savoir si le breveté a mis en pratique l’invention revendiquée dans ses brevets (Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2020 FC 1 au para 252 [Seedlings]).

[601] Vidéotron fait valoir que, lorsque le breveté, plutôt que de mettre en pratique l’invention revendiquée dans ses brevets, ne fait qu’octroyer des licences d’exploitation, le principe de l’évaluation des dommages pour ce qui est de la redevance raisonnable est une « quasi règle de droit » (AlliedSignal Inc c Du Pont Canada Inc, [1998] ACF no 190 au para 22 [AlliedSignal]).

[602] Bien que Rovi ne propose pas de services de télévision aux consommateurs canadiens, certains éléments de preuve indiquent qu’elle fournit des produits aux fournisseurs de télévision payante canadiens qui utilisent ces produits dans les services de télévision qu’ils fournissent aux utilisateurs finaux.

[603] Je conclus qu’il s’agit d’un facteur neutre dans la présente analyse.

(e) La complexité du calcul des profits à restituer

[604] Pour ce qui est du dernier facteur à prendre en considération, la question est de savoir si le calcul des profits à restituer serait trop complexe ou si le résultat ne serait pas fiable (Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Ltée, 2012 CF 113 aux para 411‑414). La complexité seule n’empêche pas la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire, mais une telle considération peut militer fortement contre la mesure de réparation (Philip Morris Products SA v Marlboro Canada Ltd, [2015] FCJ no 1564 au para 29 [Philip Morris Products SA]). La raison en est que l’inventeur a seulement droit à la portion des bénéfices des contrefacteurs qui a un lien de causalité avec l’invention, c’est‑à‑dire à une « indemnisation parfaite » (Nova Chemicals Corp c Dow Chemical Company, 2020 CAF 141 au para 48 [Nova Chemicals]). Toutefois, la Cour a affirmé que, lorsque le montant des profits en jeu est important, la complexité n’est pas déterminante. Par ailleurs, le calcul des dommages‑intérêts peut être tout aussi complexe que celui des profits à restituer (Philip Morris Products SA, aux para 29‑31).

[605] Rovi soutient que ce facteur n’est pas une raison de ne pas accorder une restitution des profits en l’espèce, et ce, pour trois motifs principaux. Premièrement, ses experts ont été en mesure de calculer les profits tirés de la contrefaçon en utilisant des méthodes courantes et fiables. Rien dans la preuve ne démontre que les méthodes en question étaient inappropriées, et les experts de Vidéotron ont également convenu qu’elles n’étaient pas trop complexes et qu’elles étaient fiables. Deuxièmement, Rovi soutient que la complexité n’est pas déterminante lorsque le montant total des profits en jeu est important, ce qui est le cas en l’espèce, puisqu’il s’élève à |||||||||||||||||||. Troisièmement, lorsque la complexité n’est pas un facteur déterminant pour décider si une restitution des profits doit être accordée et que les autres facteurs militent en faveur d’une telle remise, le facteur de la complexité ne devrait pas priver une partie du droit d’obtenir une restitution des profits.

[606] Vidéotron soutient que Rovi ne devrait pas se voir accorder une réparation pécuniaire fondée sur ses bénéfices réalisés au moyen des contrefaçons alléguées, mais plutôt un montant fondé sur une redevance raisonnable. Premièrement, Vidéotron affirme que, comme Rovi n’a pas fait le choix d’une restitution des profits après une enquête en bonne et due forme et une communication intégrale, tel qu’il est exigé, ses propres actes de procédures la limitent à la mesure de réparation des dommages‑intérêts.

[607] Vidéotron soutient que le manque de fiabilité et la complexité du calcul des profits à restituer militent contre une telle restitution en l’espèce, parce que l’expert de Rovi s’est appuyé sur des théories nouvelles et des suppositions, en particulier sa reconstitution hypothétique du marché, et que ses affirmations ne reposent sur aucun fondement factuel. Vidéotron ajoute que, si elle est déclarée responsable, une restitution des profits fondée sur les droits d’accès au portefeuille ne constituerait pas une indemnisation parfaite. Selon Videotron, Rovi a mal évalué la valeur marchande dans sa reconstitution théorique du marché et, pour cette raison, le calcul est erroné et le résultat est gonflé. Je suis d’accord avec Vidéotron pour dire que ce facteur milite contre une restitution des profits. Bien que la complexité de la preuve soit surmontable, je ne suis pas convaincu que les méthodes de calcul des profits proposées par l’expert de Rovi, qui seraient entachées par des éléments de preuve insuffisants, hypothétiques et contredits, me permettraient d’arriver à un montant fiable qui refléterait les profits réalisés par Vidéotron.

[608] Étant donné que les facteurs militent contre la restitution des profits, je conclus que la réparation appropriée est une redevance raisonnable.

C. La redevance raisonnable

[609] La redevance raisonnable est la somme que le contrefacteur aurait payée s’il avait obtenu une licence d’exploitation du brevet plutôt que de contrefaire le brevet (AlliedSignal Inc c Du Pont Canada Inc [1998] ACF no 190 (CFPI) au para 199).

[610] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le taux applicable au portefeuille qui figure dans le contrat de licence antérieur de Vidéotron est le taux de redevance approprié ou si ce taux doit être réparti entre les différents brevets du portefeuille de brevets canadiens liés au GPI de Rovi. Rovi soutient que le taux applicable au portefeuille est approprié et demande un jugement pour la somme de ||||||||||||||||, ce qui comprend les intérêts antérieurs au jugement courus au 30 juin 2020.

[611] Vidéotron soutient que si la Cour juge qu’une fonction en particulier de son système contrefait une revendication valide des brevets invoqués, la mesure de réparation appropriée serait le versement unique d’une redevance raisonnable n’excédant pas ce qu’il en coûterait à Vidéotron pour retirer l’objet de la revendication de brevet en question ou pour concevoir une variante permettant d’éviter la contrefaçon. Selon un élément de preuve incontesté produit à l’instruction, le coût approximatif d’un tel changement de conception serait de 150 000 dollars par fonction.

[612] La preuve dont je dispose montre clairement que Vidéotron n’était pas disposée à payer pour renouveler sa licence d’exploitation du portefeuille de Rovi en 2016. Outre M. Chistiano, qui, dans son témoignage non contredit, a expliqué pourquoi Vidéotron n’était pas disposée à conclure un nouveau contrat de licence avec Rovi, Mme Paquet (qui compte dix ans d’expérience pertinente chez Vidéotron et est maintenant vice‑présidente du marketing et du contenu) et M. Lessard (le directeur général de la stratégie mégadonnées et de l’intelligence d’affaires de Vidéotron) ont présenté à l’instruction des éléments de preuve factuels directs sur la valeur marchande des fonctions du système de Vidéotron. Les deux témoins ainsi que des [traduction] « sondages de suivi » trimestriels et un sondage mené par une société indépendante ont invariablement indiqué que les fonctions du système avaient une faible incidence sur le choix des consommateurs.

[613] Mme Paquet a témoigné au sujet précisément des fonctions du système de Vidéotron visées dans les allégations de contrefaçon. Elle a déclaré que l’absence de telles fonctions n’aurait aucune incidence sur le nombre d’abonnés de Vidéotron. Son témoignage était convaincant et concordait largement avec celui de M. Lessard.

[614] Mme Paquet a affirmé catégoriquement en contre‑interrogatoire que les abonnés de Vidéotron ne choisissaient pas de demeurer abonnés ou non en raison du type de fonctions en cause dans la présente affaire. M. Lessard a également confirmé que les clients de Vidéotron ne prenaient pas leurs décisions en fonction de ces caractéristiques techniques.

[615] Rovi soutient que les témoignages de Mme Paquet et de M. Lessard ne devraient pas être acceptés parce que ce sont des témoignages d’opinion inadmissibles, non étayés, conjecturaux, invraisemblables et en grande partie contraires à la preuve. Elle soutient que leurs témoignages n’étaient généralement pas crédibles et que, concernant la réaction des consommateurs, le témoignage de Mme Paquet était un témoignage d’opinion inadmissible, car elle n’a pas été reconnue comme experte. Rovi ajoute que le témoignage de Mme Paquet est fondé sur de simples affirmations qui ne sont étayées par aucun élément de preuve de l’époque. Je ne suis pas d’accord.

[616] La règle relative au témoignage d’opinion de témoins profanes a été énoncée au paragraphe 14 de l’arrêt White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23, et confirmée dans l’arrêt Toronto Real Estate Board c. Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 au para 78 [Toronto Real Estate Board]. Règle générale, le témoignage d’un témoin profane doit se limiter aux faits dont il a connaissance. Il y a toutefois des exceptions à cette règle et, à mon avis, ces exceptions s’appliquent aux témoignages de M. Lessard et de Mme Paquet.

[617] Dans l’arrêt Toronto Real Estate Board, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

[79] […] les témoignages d’opinion des témoins profanes sont acceptables dans des circonstances limitées : lorsque le témoin est mieux placé que le juge des faits pour former les conclusions; que les conclusions sont celles qu’une personne possédant une expérience ordinaire peut tirer; que les témoins ont l’expérience leur permettant de tirer les conclusions ou que donner des opinions est une méthode pratique pour déclarer des faits trop fugaces ou compliqués pour être énoncés autrement [...]

[618] La Cour d’appel a également renvoyé à l’arrêt Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, qui appuie cette conclusion et dans lequel elle « a[vait] retenu le témoignage du dirigeant d’une société pharmaceutique sur les actes potentiels de celle‑ci dans un monde hypothétique, dans la situation où le témoin avait connaissance des opérations pertinentes, dans le monde réel, de la société » (Toronto Real Estate Board¸ au para 80). La règle est donc que les témoins profanes « ne peuvent pas témoigner sur des questions allant au‑delà de leur propre conduite et de celle de leur entreprise dans le monde hypothétique » (au para 81).

[619] Mme Paquet et M. Lessard se sont gardés de livrer des témoignages d’opinion inadmissibles. Dans leurs témoignages, ils se sont fondés sur des connaissances acquises au cours de plusieurs années d’expérience dans leurs fonctions au sein de Vidéotron. Ils connaissaient bien les éléments principaux du service de Vidéotron : un bon service à la clientèle en français et le « club illico », un service semblable à celui de Netflix, mais en français.

[620] L’expert de Rovi, M. Bazelon, a convenu que [traduction] « les solutions de substitution à la contrefaçon se résument à la volonté de payer et la volonté d’accepter », et que, si le contrefacteur dispose d’une solution de substitution, le coût d’une telle variante permettant d’éviter la contrefaçon représente la limite maximale raisonnable d’une redevance.

[621] Je suis convaincu que Vidéotron disposait des moyens d’élaborer des solutions de rechange réalisables et non contrefaisantes pouvant être substituées aux éléments de l’interface utilisateur en cause sans que le nombre de ses abonnés en soit touché. Les mises à niveau de son système régulièrement effectuées le démontrent.

[622] Un demandeur lésé a droit à réparation. Or, Rovi, qui a le fardeau de la preuve en l’espèce et qui octroie des licences d’exploitation de brevets de ce type depuis des décennies, n’a tout simplement produit aucune preuve indépendante concernant la valeur de ses propres fonctions brevetées. N’étant pas parvenue à faire valoir ses arguments par l’intermédiaire des témoins de Vidéotron, il ne lui restait à présenter que son portefeuille de quelque 200 brevets. Rien dans la preuve n’établit la valeur de ces brevets, s’ils en ont une, laquelle, le cas échéant, me permettrait de déterminer avec un certain degré de certitude une redevance raisonnable pour les revendications invoquées.

[623] Compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, j’estime qu’une redevance de 150 000 $ par fonction, comme le propose Vidéotron, serait appropriée et raisonnable.

XVI. Les dépens

[624] À l’instruction, les parties ont demandé que la question des dépens soit mise en délibéré jusqu’à ce que les avocats parviennent à un accord ou, à défaut d’accord, jusqu’à ce qu’ils présentent des observations écrites, ce qui leur a été accordé. Si les parties ne parviennent pas à un accord dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, elles devront déposer au greffe une proposition d’échéancier pour la signification et la transmission des observations écrites à propos des dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑921‑17

LA COUR STATUE :

  1. L’action de la demanderesse est rejetée.
  2. La demande reconventionnelle de la défenderesse est accueillie.
  3. Les revendications 2, 7 et 8 du brevet canadien no 2,337,061 ne sont pas valides et ne sont pas contrefaites.
  4. Les revendications 456, 459, 720 et 721 du brevet canadien no 2,336,870 ne sont pas valides.
  5. Les revendications 113, 116, 119, 120 et 123 du brevet canadien no 2,730,344 ne sont pas valides et ne sont pas contrefaites.
  6. Les revendications 79 et 80 du brevet canadien no 2,339,629 ne sont pas valides et ne sont pas contrefaites.
  1. La question des dépens est mise en délibéré.

(vide)

« Roger R. Lafrenière »

Traduction certifiée conforme

Édith Malo

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑921‑17

 

INTITULÉ :

ROVI GUIDES, INC. c VIDEOTRON LTÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EN PERSONNE À TORONTO (ONTARIO),

ET PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 9 AU 12 MARS 2020 (EN PERSONNE)

DU 25 AU 29 MAI 2020 (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

DU 8 AU 19 JUIN 2020 (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

LE 13 JANVIER 2021 (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

DU 20 AU 22 JANVIER 2021 (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS :

LE 10 JUIN 2022

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS :

LE 23 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Sana Hawlani

Paul‑Erik Veel

Kaitlin Soye

Veronica Tsou

Jonathan Chen

Jacqueline Chan

Cynthia L. Tape

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Alan Macek

Bruce Stratton

Michal Kasprowicz

Gabriella Levkov

Nicole Nazareth

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 



[1] Spécification DAVIC 1.3.1, partie 1 [document DAVIC]

[2] Brevet US5 583 560 : « Method and Apparatus for Audio-Visual Interface for the Selective Display of Listing Information on a Display » (méthode et appareil d’interface audiovisuelle pour l’affichage sélectif d’information sous forme de liste sur un écran), publié le 10 décembre 1996 [brevet Florin].

[3] Demande PCT/US97/15420 : « Schedule System with Enhanced Recording Capability » (système de programmation muni de capacités d’enregistrement améliorées), publiée le 12 mars 1998 [document Blake].

[4] Brevet US5 598 523 : « Method and System for Displayed Menu Activation Using A Matching Distinctive Arrangement of Keypad Actuators » (méthode et système d’affichage de menus par agencement parallèle distinctif d’actionneurs sur pavé), 28 janvier 1997 [brevet Fujita]

[5] Brevet US5 675 734 : « System for Transmitting Desired Digital Video or Audio Signals » (système de transmission de signaux audio ou vidéo numériques demandés), 7 octobre 1997 [brevet Hair]

[6] Brevet US5 751 282, ayant pour titre « System and Method for Calling Video on Demand Using an Electronic Programming Guide » (système et méthode de commande de vidéo sur demande à l’aide d’un guide de programmation électronique), publié le 12 mai 1998. [brevet Girard]

[7] Demande PCT/US92/04573, ayant pour titre « Large Capacity, Random Access, Multi-Source Recorder Player » (lecteur enregistreur multisource, à large capacité et à accès aléatoire), publiée le 23 décembre 1992. [document Browne]

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