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Date : 20220616


Dossier : IMM-4188-20

Référence : 2022 CF 882

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

GETHRO JULES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur M. Gethro Jules, de citoyenneté haïtienne, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] du 17 août 2020. En bref, la SAR rejette alors les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Jules et établit que la question déterminante est celle de la crédibilité de M. Jules. La SAR rejette l’appel de M. Jules et confirme la décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] selon laquelle il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger

[2] M. Jules soutient que la SAR a errée puisque (1) elle a appliqué le mauvais critère quant à la réception des nouveaux éléments de preuve, d’abord en rejetant les nouvelles preuves personnelles liées directement à la demande d'asile du demandeur, et ensuite en omettant de considérer les éléments contenus dans le cartable national d’Haïti; (2) elle a effectué une analyse disproportionnelle des faits et de la preuve et a rejeté et minimisé de la preuve favorable pour le demandeur; et (3) la déportation des demandeurs découlant du rejet de la demande violerait les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] ainsi que nos obligations en droit international, notamment l’article 3 de la Convention contre la Torture.

[3] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[4] Le 24 février 2017, M. Jules entre au Canada illégalement et il demande l’asile.

[5] Le même jour, un agent de l’Agence des Services Frontaliers du Canada [ASFC] rencontre M. Jules. Ce dernier confirme alors à l’agent notamment (1) avoir perdu son passeport à son entrée au Mexique; (2) être entré aux États-Unis en provenance du Mexique en décembre 2014; (3) n’avoir eu aucun statut aux États-Unis ni aucun permis d’études américain; (4) que la situation en Haïti est compliquée et dangereuse, et que c’est pour sauver sa vie; (5) que personne n’en a personnellement contre lui et qu’il a été attaqué par malchance; et (6) que personne n’en veut à sa vie en Haïti et que ses problèmes ont commencé à la fin de 2013.

[6] Quelques jours plus tard, M. Jules signe des formulaires confirmant de nouveau être arrivé aux États-Unis en décembre 2014 et y être resté jusqu’à son départ pour le Canada en février 2017.

[7] Le 13 mars 2017, M. Jules signe son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA]. Il confirme de nouveau avoir quitté Haïti pour le Mexique, être arrivé aux États-Unis en décembre 2014 et être arrivé au Canada en février 2017. Dans le narratif qu’il joint à son FDA, M. Jules indique que son père est un militant politique depuis environ 1998 et qu’en 2015 son père rejoint la « Plateforme Pitit Dessalines » opposant du parti au pouvoir. M. Jules indique qu’il accompagne très souvent son père, que vers août 2013, il a été victime d’un braquage, que son père a reçu un téléphone confirmant que c’est à cause de ses opinions politiques et qu’en septembre 2014, quelqu’un l’a frappé et l’a gravement blessé. M. Jules indique qu’il n’était pas bien mentalement et moralement lorsque l’agent de l’ASFC lui a posé des questions à son arrivée. Enfin, M. Jules indique que depuis le 3 février 2017, son père vit en marronnage et est le sujet de menaces.

[8] Le 8 mai 2018, le ministre de la Sécurité publique du Canada informe la SPR qu’il interviendra dans la revendication de M. Jules en produisant certains éléments de preuve. Cet avis d’intervention souligne notamment que (1) le ministre de la Sécurité publique a eu la confirmation des autorités américaines qu’un visa a été émis à M. Jules en août 2016; (2) M. Jules aurait demandé l’admission aux États-Unis à deux reprises, soit le 28 septembre 2016 et le 17 janvier 2017; (3) M. Jules a utilisé son passeport haïtien lors de ces deux entrées; et (4) de septembre 2016 à janvier 2017, M. Jules était en Haïti. Le ministre de la Sécurité publique joint à son avis les pièces en appui.

[9] Le 22 juin 2018, par le biais de son procureur, M. Jules transmet 22 pièces à la SPR en amont de l’audience prévue pour le 4 juillet suivant.

[10] La pièce P-1 est une déclaration amendée de M. Jules, signée le 18 juin 2018. M. Jules y avoue que le contenu des documents du ministre de la Sécurité publique est la vérité. Il ajuste son récit pour indiquer, en bref, qu’il est plutôt resté caché à la maison à Haïti en attendant de trouver un moyen de fuir le pays, et qu’il a obtenu un permis d’études américain puisqu’il s’agissait du meilleur moyen pour fuir le pays. M. Jules ajoute notamment que les persécutions contre son père ont empiré après les élections de février 2017, que ce dernier a été obligé de vivre une vie de nomade, en exclusion et que lui, M. Jules, a alors décidé de venir au Canada. Il explique aussi ce qui l’a motivé à mentir à l’agent à son arrivée au Canada et sur les formulaires après son arrivée.

[11] Le 4 juillet 2018, la SPR entend la demande d’asile de M. Jules et ce dernier témoigne. Au cours de son témoignage, M. Jules mentionne deux évènements n’étant mentionnés ni dans son FDA, ni dans sa déclaration amendée : (1) le 1er février 2015, M. Jules aurait assisté avec son père à une réunion organisée à Port-au-Prince, réunion où étaient rassemblés des représentants départementaux et le candidat Moise; et (2) entre novembre 2016 et janvier 2017, M. Jules aurait rencontré beaucoup de groupes afin de convaincre des gens de ne pas voter pour Gracia Delva qui se présentait au Sénat. Au surplus, lors de son témoignage, M. Jules a indiqué que c’est lui qui a réuni ses compagnons en vue de l’évènement de 2013 au cours duquel il aurait été victime d’un braquage.

[12] Le 16 juillet 2018, la SPR rejette la demande d’asile de M. Jules pour des raisons de crédibilité. La SPR conclut que M. Jules n’est pas crédible à propos du fait que son père ou lui-même auraient été impliqués politiquement, et que sa vie serait en danger en raison de cette implication.

[13] La SPR note particulièrement que (1) M. Jules admet avoir menti; (2) M. Jules n’a jamais mentionné être persécuté ou avoir des opinions politiques à son arrivée au Canada; (3) sa déclaration à l’agent du point d’entrée selon laquelle il a juste été malchanceux en Haïti contredit ses allégations de persécution subséquentes; (4) M. Jules a omis de mentionner, dans son FDA, qu’il a participé au premier congrès de « Pitit Dessalines » le 1er février 2015; (5) M. Jules a omis de mentionner, dans sa déclaration amendée, qu’il a eu des activités politiques de novembre 2016 à janvier 2017; (6) M. Jules spécule sur les raisons du vol en août 2013 puisque rien dans le message laissé à son père ne laisse présager que le vol était lié à ses opinions politiques; (7) rien ne laisse croire que l’évènement de septembre 2014 soit lié aux activités politiques; et (8) M. Jules a omis de mentionner, dans son FDA, le contexte dans lequel il a été amené au lieu du braquage du mois d’août 2013.

[14] Au sujet des pièces que M. Jules soumet avec sa demande, la SPR note que (1) le mandat émis par la plateforme « Pitit Dessalines » (pièce P-7) n’est adressé à personne car aucun nom n’y est inscrit; et (2) la copie de la procuration de la plateforme « Pitit Dessalines » constitue un document insuffisant pour rendre crédible un témoignage qui, à la base, ne l’est pas.

[15] Le 24 août 2018, M. Jules dépose ses soumissions à la SAR en soutien de son appel. Il joint alors à son dossier les pièces P-1 à P-22 déjà auparavant soumises à la SPR, et deux nouvelles pièces, soit un affidavit, qu’il signe le 24 août 2018, et une lettre de son père en Annexe A, datée du 22 août 2018.

[16] Dans ses soumissions initiales, M. Jules soutient que (1) le tribunal a commis une erreur en évacuant la preuve déposée ainsi que son témoignage; (2) le tribunal a commis une erreur dans son évaluation de sa crédibilité; et (3) pose la question « quel poids doit-on accorder au fait que l’appelant ait omis certains détails quant à son implication politique après 2014 dans son FDA, le fait de mentionner avoir été actif politiquement n’était-il pas suffisant ? ».

[17] De façon laconique, M. Jules allègue au paragraphe 39 que la preuve n’était pas disponible et au paragraphe 13, M. Jules souligne que son père « avait dû fuir et était porté disparu ».

[18] Le 15 juin 2020, la SAR adresse une note à M. Jules l’informant qu’il lui est permis de soumettre des documents additionnels en raison de la pandémie de la COVID-19.

[19] Le 14 juillet 2020, M. Jules dépose des soumissions supplémentaires du demandeur auxquelles il joint neuf (9) nouvelles pièces, identifiées de P-23 à P-31. La pièce P-23 est en fait une reproduction de l’annexe A précitée, soit la lettre du père du 22 août 2018.

[20] Dans ses soumissions supplémentaires, M. Jules soutient alors que (1) la SPR n’a fait aucune mention de la preuve personnalisée; (2) a fait l’erreur de croire que tout doit être raconté dans le premier récit; (3) ignore le danger en Haïti et la preuve documentaire; (4) le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi] doit s’interpréter avec l’article 3 de la Loi conformément à la Charte (articles 7 et 12); (5) les nouvelles preuves après la décision de la SPR doivent être considérées en vertu de l’article 24 de la Charte, de l’arrêt Chahal de la Cour européenne des droits de l’homme et de la position de la Commission interaméricaine des droits humains sur le système canadien en février 2000; et (6) la décision de la SPR viole le droit du demandeur à la justice fondamentale tel qu’énoncé dans l’article 7 de la Charte.

[21] Dans ses soumissions supplémentaires, M. Jules note (1) au paragraphe 15 que « […] les déclarations effectuées devant le Juge de Paix en 2010 et en 2015 qui n'étaient pas disponibles avant parce que son père était en fuite »; (2) au paragraphe 19 que « […] que son père était en fuite au moment de l’audience »; et (3) au paragraphe 31 qu’« [i]l était impossible pour l'appelant de fournir ces documents officiels et les déclarations de son père avant parce que son père a dû se cacher pour sauver sa vie ».

[22] Le 17 août 2020, la SAR confirme la décision de la SPR et rejette l’appel.

[23] Le 9 septembre 2020, M. Jules soumet sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre la décision de la SAR. Au soutien de sa demande, M. Jules dépose un affidavit qui se trouve aux pages 40 à 42 du dossier du demandeur.

III. La décision de la SAR

[24] La décision de la SAR comprend deux parties principales, soit la partie traitant des nouveaux éléments de preuve et la partie traitant de l’analyse de la décision de la SPR au sujet de la revendication de M. Jules. Avant d’examiner la première partie des éléments de preuve, la SAR note les questions que M. Jules a soulevé dans le cadre de son appel, par le biais de son premier mémoire et de ses soumissions supplémentaires. LA SAR reprend aussi les faits allégués par M. Jules dans son FDA.

[25] Dans la première partie de sa décision, celle traitant des nouveaux éléments de preuve, la SAR rejette d’abord les éléments de preuve présentés par M. Jules. La SAR cite le paragraphe 110(4) de la Loi, pour le critère à satisfaire de la postériorité des éléments par rapport à la décision de la SPR. La SAR indique ensuite que, si les éléments de preuve satisfont à l’une ou l’autre des exigences de la Loi, la SAR doit décider si les éléments de preuve sont nouveaux, crédibles et pertinents, citant les décisions Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza].

[26] La deuxième partie de la décision de la SAR traite de l’analyse.

[27] Dans la première section de l’analyse, intitulée « Observations du mémoire initial de l’appelant », la SAR examine premièrement si la SPR a évacué la preuve déposée par M. Jules ainsi que son témoignage.

[28] La SAR estime que les arguments de M. Jules ne sont pas fondés. La SAR conclut que la SPR a pris en considération la documentation présentée à l’appui de la demande et traite particulièrement des conclusions de la SPR quant aux pièces P-6 et P-7. Elle note que les pièces d’identification et celles concernant le permis d’études et le séjour de M. Jules aux États-Unis, ne peuvent permettre de conclure à la véracité des allégations. La SAR confirme que le témoignage entendu par la SPR est présumé crédible, mais que cette « […] présomption peut être réfutée s’il existe des incohérences dans le témoignage écrit et oral, ou si le témoignage du demandeur d’asile manque de cohérence ou de précision ». La SAR conclut que « […] le témoignage de l’appelant et ses preuves se rapportant à des éléments centraux de sa demande d’asile ne corroborent pas l’allégation d’une possibilité sérieuse de persécution ou, selon la prépondérance des probabilités, d’un risque de préjudice, ils ne sont pas fiables et ils sont incohérents ».

[29] La SAR examine deuxièmement si la SPR a erré dans son évaluation de la crédibilité de M. Jules, la SPR ayant conclu que M. Jules n’était pas crédible quant au fait que sa vie est en danger en raison de ses opinions politiques. La SAR affirme être d’accord avec M. Jules quant au principe juridique que toute conclusion négative doit être justifiée et appuyée par la preuve, mais conclut que la SPR n’a pas erré dans ses conclusions relatives à la crédibilité de M. Jules.

[30] Troisièmement, la SAR se penche sur le poids accordé au fait que M. Jules a omis certains détails quant à son implication politique après 2014 dans son FDA, M. Jules argumentant que la SPR devait tenir compte de la difficulté à témoigner et que les contradictions ne doivent pas être examinées à la loupe. La SAR considère qu’il s’agit d’arguments répétitifs et estime qu’elle a déjà répondu à ces arguments dans l’examen de la crédibilité.

[31] Dans la deuxième section de l’analyse, intitulée « Observations du mémoire complémentaire de l’appelant (Nouveau mémoire de l’appelant) », la SAR évalue d’abord si la SPR a négligé la preuve personnalisée. La SAR souligne encore que seules les pièces P-6 et P-7 sont en relation avec les allégations d’activité politiques, qu’elles n’ont pas été ignorées par la SPR et estime que la SPR a conclu correctement en n’associant pas une certaine connaissance politique avec une participation politique tel que le soulevait l’avocate.

[32] LA SAR traite ensuite des omissions dans le récit de M. Jules. La SAR explique qu’elle n’est pas d’accord avec l’allégation de M. Jules quant au fait que la SPR aurait erré en rejetant son témoignage sans égard à sa preuve et à la situation des droits humains au pays. Elle souligne que le fait d’omettre des incidents et des évènements au cœur de sa demande d’asile, mine sérieusement la crédibilité de M. Jules.

[33] Enfin, la SAR examine l’argument que la SPR aurait ignoré les allégations de danger en Haïti soulevées par M. Jules et la preuve documentaire. La SAR précise que le demandeur n’est pas crédible en raison d’incohérences et d’omissions dans son FDA, d’éléments essentiels de sa demande, d’un témoignage confus, d’explications non satisfaisantes et d’une preuve sans valeur probante. La SAR souligne aussi que le demandeur a le fardeau de démontrer que le risque advenant un retour est différent du risque généralisé, et que la SPR a rendu une décision correcte.

[34] La SAR rejette l’appel et confirme la décision selon laquelle M. Jules n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV. La norme de contrôle

[35] Compte tenu des arguments soulevés par M. Jules, cités au paragraphe 2 de la présente décision, la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce (Vavilov). Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de la cour en contrôle judiciaire est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif, et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La cour de révision doit tenir compte « […] du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La cour de révision doit donc se demander « […] si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99 citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[36] Tel que l’a souligné la Cour dans la décision Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au paragraphe 11, « [...] la crédibilité est une question de fait pour laquelle la retenue s’impose […] » (voir aussi Charles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 520 au para 22 et Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 au para 42 [Rahal]).

[37] Je note aussi que la norme de contrôle n’est pas différente en ce qui a trait à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR aux termes du paragraphe 110(4) de la Loi (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2022 CF 188 au para 14 [Khelili]).

V. Les positions des parties et l’analyse

A. Remarques préliminaires affidavit de M. Jules

[38] Je suis d’accord avec le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le Ministre] que M. Jules ne peut pas produire, devant la Cour, une explication plus étayée que celle qu’il a fourni à la SAR pour expliquer pourquoi il n’a pas pu soumettre sa nouvelle preuve plus tôt. La nouvelle preuve a été soumise à la SAR et c’est donc à la SAR de lire et d’analyser la trame justificative. Dans l’affidavit qu’il soumet à la Cour au soutien de sa demande de contrôle judiciaire (voir page 40 du dossier du demandeur), M. Jules allègue notamment aux paragraphes 5 à 8 qu’« [i]l était impossible pour [lui] de chercher des preuves sans l’aide de [son] père, [il] n’avai[t] personne d’autre qui pouvait [l’]aider » et qu’il avait « […] perdu complètement le contact avec lui ». Cette information ne se trouve cependant pas dans le dossier de la SAR : l’affidavit de l’appelant soumis à la SAR (voir page 86 du dossier certifié du tribunal) n’en fait pas mention. Ainsi, la Cour ne considèrera pas ces éléments puisqu’ils n’ont pas été soumis à la SAR. Au surplus, l’affidavit que M. Jules a soumis à la Cour contient aussi des opinions que la Cour ne considèrera pas non plus (Règle 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

[39] Il convient de modifier l’intitulé de cause pour nommer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur, conformément à l’article 4 de la Loi, et tel les deux parties y consentent.

B. Le tribunal a-t-il appliqué le mauvais critère quant à la réception des nouveaux éléments de preuve ? Le tribunal a-t-il erré en rejetant les nouveaux éléments de preuve personnels liés directement à la demande d’asile du demandeur ?

(1) Arguments du demandeur

[40] M. Jules identifie en préambule les erreurs suivantes : (1) mauvaise évaluation de la crainte subjective du demandeur; (2) erreur dans l’évaluation du risque pour le demandeur advenant un retour en Haïti; et (3) le tribunal n’a pas donné des raisons qui contiennent une justification transparente et intelligible vis-à-vis le rejet des nouvelles preuves, et a erré au niveau des critères pour l’acceptation de la nouvelle preuve.

[41] M. Jules allègue qu’en ce qui concerne la preuve présentée en appel, le paragraphe 110(4) de la Loi est pertinent tout comme les critères de la décision Singh. M. Jules soutient que ses nouveaux éléments de preuve soumis rencontraient les critères mentionnés dans la loi et dans la jurisprudence.

[42] M. Jules est d’accord que les pièces P-1 à P-22 ne sont pas de la nouvelle preuve, mais estime que cela ne retire pas à la SAR l’obligation de considérer ces éléments de preuve, puisque « [i]ls [sic] sont des preuves soumisses [sic] à temps auprès de la SPR et la SAR devait tenir sa propre analyse quant à la preuve soumise en première instance ».

[43] Toutefois, au paragraphe 32 de son mémoire, M. Jules identifie la pièce P-22 comme une nouvelle preuve, et prétend que cette pièce est un élément-clef du dossier puisque « […] compte tenu que la [sic] demandeur n'avait pas contact avec son père [sic], il ne pouvait fournir de lettres de sa part ni des preuves [sic] que son père possédait ». M. Jules fait valoir que le paragraphe 34 de la décision de la SAR, estimant que la pièce P-22 était accessible à M. Jules avant le rejet de la demande d’asile, est faux. M. Jules affirme que son FDA était clair quant au fait qu’il avait beaucoup de difficulté à rejoindre son père. M. Jules souligne que la pièce P-26 aurait dû être acceptée pour les mêmes raisons.

[44] M. Jules soutient qu’il est difficile de comprendre pourquoi les pièces P-24 et P-25 sont rejetées, et note que le décideur inscrit que les lettres ne franchissent pas le test de crédibilité. M. Jules allègue que le décideur donne une piste, mais que ses motifs ne sont pas justifiés, transparents et intelligibles : il n’est pas clair selon M. Jules si les raisons du rejet sont les erreurs typographiques, le même style de français ou le fait que cela ait été soumis après la note du COVID-19. M. Jules ajoute que les pistes données par le décideur ne sont pas déterminantes et cite la décision Ayeni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1202. M. Jules est d’avis que le « l » manquant dans la lettre est une erreur typographique, et donc n’est pas un motif valable.

[45] M. Jules affirme que les pièces P-27 et P-28 sont des éléments au cœur de la demande d’asile qui soutiennent l’implication politique du demandeur et de son père. M. Jules soutient aussi que la preuve P-30, preuve faisant partie du cartable national de documentation émanant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, devait être considéré dans l’analyse de la décision.

(2) Arguments du défendeur

[46] Le Ministre répond que la SAR n’a commis aucune erreur en refusant d’admettre en preuve le dépôt des nouveaux documents.

[47] Le Ministre allègue que « […] les renseignements contenus dans l’affidavit du demandeur ainsi que dans la lettre provenant de son père étaient normalement accessibles au demandeur au moment de l’audience devant la SPR » et qu’il ne s’agit donc pas d’une information nouvelle survenue après le rejet de la demande d’asile. Le Ministre ajoute que l’appel devant la SAR ne permet pas à M. Jules de rajuster son témoignage en donnant des explications différentes à la SAR.

[48] Le Ministre souligne que le demandeur admet, tel que la SAR l’a conclu, qu’il était raisonnable de conclure que les pièces P-1 à P-22 ne rencontraient pas les critères du paragraphe 110(4) de la Loi puisqu’elles faisaient déjà partie du dossier d’appel. Le Ministre allègue que la SAR a raisonnablement conclu que le contenu des nouvelles pièces, soit P-23 à P-31, étaient accessibles avant l’audience devant la SPR ou étaient nouvelles, mais ni pertinentes ni crédibles.

(3) Analyse

[49] D’abord, les pièces P-1 à P-22 avaient été présentées à la SPR et elles étaient effectivement déjà dans le dossier d’appel, ce que la SAR a confirmé. Il ne s’agissait donc pas de nouveaux éléments de preuve et la SAR n’a conséquemment pas erré à cet égard.

[50] Quant à l’argument de M. Jules que la SAR n’aurait pas considéré elle-même les pièces P-1 à P-22, il est sans fondement. Au contraire, la SAR a montré avoir porté attention à ces éléments, entre autres au paragraphe 129 de sa décision. De plus, au paragraphe 106 de sa décision, la SAR note que « [p]our les pièces P-4 (carte d’identification de lycéen) et P-5 (fiche d’inscription au Baccalauréat) ainsi que les autres pièces concernant le séjour de l’appelant aux États-Unis, la SAR est d’avis que ces éléments de preuve ne peuvent permettre de conclure à la véracité probable des allégations de l’appelant advenant son retour en Haïti ».

[51] La SAR a énoncé le paragraphe 110(4) de la Loi et a énoncé aussi le test établit par la jurisprudence lorsque l’un des critères de 110(4) est satisfait. Elle n’a pas fait d’erreur en énonçant les critères applicables.

[52] La paragraphe 110(4) prévoit que :

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Evidence that may be presented

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[53] La Cour d’appel fédérale a précisé les exigences liés aux nouveaux éléments de preuve dans ses décisions Singh et Raza. La SAR et la Cour sont liées par la loi et par les enseignements de la Cour d’appel fédérale.

[54] Ainsi, au paragraphe 34 de sa décision dans Singh, la Cour d’appel fédérale rappelle qu’« [i]l ne fait aucun doute que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent être respectées », soit les éléments de preuve suivants sont admissibles si (1) ils sont survenus depuis le rejet de la demande d’asile; (2) ils n’étaient pas normalement accessibles; et (3) ils étaient normalement accessibles, mais la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet. Ces conditions « […] ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR » (Singh au para 35).

[55] La Cour d’appel fédérale a aussi conclu que « […] les critères implicites dégagés dans l’arrêt Raza trouvent également application dans le cadre du paragraphe 110(4) » (Singh au para 49). Ces critères sont la crédibilité, la pertinence et la nouveauté (Singh au para 38 citant Raza au para 13).

[56] Dans le présent cas, la SAR offre une décision étayée dans laquelle transparaît une analyse de la jurisprudence et de ses critères. La SAR se penche sur l’entièreté de la preuve : elle détaille à tout coup pourquoi la pièce est écartée, et le demandeur ne m’a pas convaincue qu’elle a erré.

[57] En effet, la SAR traite d’abord des éléments de preuve soumis avec le mémoire initial. Elle note qu’avec son mémoire initial, M. Jules soumet deux nouveaux éléments de preuve, soit (1) son affidavit signé le 24 août 2018; et (2) une lettre de M. Saint Julien Jules, père de M. Jules, signé le 22 août 2018 en Annexe A. La SAR note que le père de M. Jules est difficilement joignable, estime que l’ensemble des informations dans l’affidavit de M. Jules étaient normalement accessibles au moment de la décision de la SPR. La SAR estime que la pièce ne satisfait donc pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi, et que la lettre du père complète les explications jugées insatisfaisantes par la SPR, ce qui n’est pas conforme à (1) au rôle de la SAR qui ne donne pas la possibilité de compléter une preuve déficiente présentée à la SPR, mais permet de corriger des erreurs de fait, de droit ou mixtes de droit et de fait; et (2) l’absence de pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve de la SAR. La SAR n’accepte pas ces éléments de preuve.

[58] Au paragraphe 36 des soumissions initiales que M. Jules a présentées à la SAR, il confirme précisément que « [c]ette preuve vous est [sic] afin de répondre aux conclusions du tribunal le concernent [sic] directement l'implication politique du père et du fils, à laquelle la Commissaire n'a pas cru ». Au paragraphe 37, M. Jules indique notamment que « [c]ette preuve répond aux doutes imprévisibles soulevés par la SPR et la SAR doit en conséquence considérer cette preuve dans son évaluation de l’appel ».

[59] Or, tel que souligné par la SAR dans sa décision contestée, la Cour d’appel fédérale a soutenu que « [l]e rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR, mais plutôt à permettre que soient corrigées des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit » (Singh au para 54). Tel que noté aussi dans Khelili au paragraphe 20, une tentative de compléter une preuve déficiente « […] n’est clairement pas un motif acceptable aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR et de l’arrêt Singh (Singh au para 54; Digaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1255 au para 25; Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 855 au para 44; Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 15) ».

[60] La SAR traite ensuite des éléments de preuve que M. Jules a soumis avec ses soumissions supplémentaires. Elle note que la pièce P-23 est l’annexe A précitée, soit la lettre du père du 22 août 2018.

[61] Par rapport aux pièces P-24 et P-25, la SAR explique qu’il s‘agit de deux lettres signées le 8 juillet 2020. La SAR considère essentiellement que ces documents sont similaires, portent la même date, sont rédigés dans un français approximatif, et note que l’un des signataires a fait une erreur dans son nom. La SAR considère que ces documents franchissent le test du paragraphe 110(4) de la Loi, mais pas celui de la crédibilité, et cela parce qu’il y a des lacunes identifiées. La SAR ne les admet pas.

[62] Par rapport aux pièces P-24 et P-25, la SAR semble conclure que le signataire n’aurait pas rédigé le document, et mentionne entre autres, l’erreur orthographique. Je conviens que cette erreur peut en être une cléricale. Cependant, dans le contexte où la SAR met en doute la crédibilité des pièces en vertu du test du paragraphe 110(4) de la Loi, il est raisonnable que la SAR énumère tous les aspects du document qui orientent vers la conclusion qu’il y ait un problème de crédibilité.

[63] M. Jules est en désaccord avec la conclusion de la SAR. Il est possible qu’un autre décideur aurait rendu une décision différente. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de révision de soupeser de nouveau la preuve ou de substituer ces propres conclusions. Les lacunes identifiées par la SAR se trouvent effectivement sur les documents, et il n’est pas déraisonnable pour la SAR de les considérer non crédibles.

[64] Par rapport à la pièce P-26, la SAR note qu’il s’agit d’une autre lettre du père de M. Jules aussi datée du 8 juillet 2020, que les évènements qui y sont décrits ne sont pas survenus après la décision de la SPR et étaient accessibles avant l’audience. La Cour ne trouve aucune erreur dans la décision de la SAR de ne pas l’admettre. M. Jules a eu l’occasion de témoigner sur ces éléments devant la SPR et la preuve additionnelle, tel que mentionné précédemment, ne peut servir à compenser une preuve déficiente devant la SPR.

[65] La SAR traite ensuite de la pièce P-27, une déclaration du père établie par un juge de paix le 27 septembre 2010, et de la pièce P-28, une déclaration de M. Jules lui-même datée du lundi 16 mai 2015. La SAR note que les documents sont bien antérieurs à la décision de la SPR, auraient pu être présentés à la SPR, et que M. Jules n’explique nulle part pourquoi il ne les a pas présentés à la SPR. Il n’y a pas d’erreur, ces documents sont bien antérieurs à la décision de la SPR et devant la SAR, M. Jules n’a effectivement pas expliqué pourquoi il ne pouvait pas les obtenir au moment opportun.

[66] Par rapport à la pièce P-29, qui est une note du 14 juin 2019 d’Amnesty International, et à la pièce P-31, un rapport du Réseau national de défense des droits humains du 1er décembre 2018, la SAR considère qu’elle n’établit pas un lien direct ou indirect avec M. Jules, et n’est pas pertinente au litige et à l’histoire de M. Jules. Ce dernier ne m’a pas convaincue que la SAR a erré à cet égard et il n’a pas, devant la Cour, indiqué le lien que la SAR n’aurait pas vu.

[67] Par rapport à la pièce 30, la SAR note qu’il s’agit d’une réponse aux demandes d’information [RDI] de 2019, que le RDI fait déjà partie du cartable national de documentation [CND] à jour, et ne doit donc pas être considéré comme de la nouvelle preuve au sens du paragraphe 110(4) de la Loi.

[68] L’analyse de la SAR par rapport aux pièces P-27, P-28 et P-30 est intelligible et adéquatement justifiée au regard du paragraphe 110(4) de la Loi. Je ne crois pas que l’analyse de ces pièces requièrent que la Cour élabore davantage : les motifs de la SAR sont clairs.

[69] M. Jules allègue tout au long de son mémoire que certaines pièces n’étaient pas accessibles avant la décision de la SPR, car il n’était pas en contact avec son père. Je conviens que cet état de fait, prenant pour acquis qu’il est avéré, aurait pu avoir un impact sur l’obtention de documents émanant du père de M. Jules lui-même. Cependant, M. Jules n’indique nulle part à la SAR que seul le père de M. Jules pouvait obtenir les éléments de preuves additionnels et les lui transmettre.

[70] Dans le mémoire qu’il soumet à la Cour, M. Jules ne traite que brièvement du cartable national d’Haïti (voir les paragraphes 50 et 51 de son mémoire). Rien n’indique que la SAR ne l’a pas considéré : elle a indiqué que la pièce P-30, une RDI datant du 6 juin 2019, ne pouvait pas être considérée comme de la nouvelle preuve, et a confirmé que le CND se trouvait dans le dossier d’appel. De même, lorsque la SAR examine la pièce P-31, elle confirme que ce « […] rapport dresse un bilan grave de la situation dans le quartier La Saline, qui reflète la mauvaise situation sécuritaire dans le pays, comme d’ailleurs beaucoup d’autres rapports et documents dans le CND sur Haïti » [Je souligne]. À nouveau, cela suggère que la SAR a examiné la preuve. À tout évènement, la SAR n’a pas à référer à chaque élément de preuve (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 1 CF 53 au para 16).

[71] En somme, M. Jules n’a pas démontré que la SAR a appliqué le mauvais critère ou qu’elle a erré en n’admettant pas les nouveaux éléments de preuve.

C. Le tribunal a-t-il erré en effectuant une analyse disproportionnelle des faits et de la preuve ? Est-ce que le tribunal a rejeté et minimise de la preuve favorable pour le demandeur ?

(1) Arguments du demandeur

[72] M. Jules est d’avis que « [t]out le poids est accordé aux omissions concernant l'arrivé du demandeur des États-Unis » et ajoute que même si des mensonges ont été dits, cela ne retire pas l’obligation des décideurs de traiter les autres éléments du dossier. M. Jules souligne qu’il a fourni des explications quant à l’omission de passage aux États-Unis et les autres omissions périphériques, et que cet élément ne devrait pas miner toute sa crédibilité (Tahmoursati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1278 aux para 40-44).

(2) Arguments du défendeur

[73] Le Ministre note que M. Jules ne conteste que la conclusion de crédibilité liée à la contradiction entre le récit de M. Jules avant l’intervention du Ministre, et celui qu’il a proposé après cette intervention, et que M. Jules ne conteste donc pas les autres conclusions de crédibilité. Le Ministre répond qu’il « […] appartenait au demandeur de démontrer où et en quoi la SAR a erré dans son analyse en rendant sa décision », plutôt que de faire valoir que la décision mettait toute l’emphase sur les omissions.

[74] Le Ministre note que M. Jules n’a pas expliqué les omissions dans son FDA, soit (1) il serait une victime de persécution politique; (2) les évènements en lien avec sa demande d’asile, c’est-à-dire la réunion du 1er février 2015, et les rencontres de novembre 2016 à janvier 2017; (3) son retour en Haïti; (4) son statut d’étudiant aux États-Unis; et (5) son séjour aux États-Unis de deux semaines. Le Ministre fait valoir qu’« [u]ne omission, sans explication valable, pouvait certes entacher la crédibilité de son témoignage ».

[75] Le Ministre allègue que l’accumulation des contradictions et omissions sur des éléments cruciaux de la demande d’asile ont mené aux inférences négatives de la SAR sur la crédibilité de M. Jules. Le Ministre prétend que M. Jules est tout simplement en désaccord avec les conclusions tirées par la SAR.

(3) Analyse

[76] Je note, tel que l’a soulevé le Ministre, que M. Jules ne conteste que la conclusion de crédibilité liée à la contradiction entre le récit qu’il a proposé avant l’intervention du Ministre et celui qu’il a proposé après cette intervention. Ainsi, les conclusions de crédibilité que la SAR a confirmé qui résultent d’autres omissions ou contradictions, ne sont pas en jeu.

[77] Dans Khelili au paragraphe 26, jugement prononcé dans le contexte d’une décision en immigration en lien avec l’admissibilité de la nouvelle preuve devant la SAR, le juge Gascon a souligné que « […] la question dont la Cour est saisie n’est pas de savoir si les interprétations proposées par Mme Khelili pourraient elles-mêmes s’avérer défendables, acceptables ou raisonnables. C’est plutôt en regard de l’interprétation retenue par la SAR que la Cour doit se poser cette question. Le fait qu’il puisse y avoir d’autres interprétations raisonnables des faits ne signifie pas en soi que l’interprétation retenue par la SAR était déraisonnable ».

[78] En l’espèce, les arguments de M. Jules par rapport au fait que la SAR aurait « rejeté et minimisé la preuve favorable pour le demandeur » ne sont pas convaincants. M. Jules n’a pas démontré en quoi l’analyse de la SAR était « disproportionnelle ». Les mots de la SAR sont intelligibles et cohérents, et leur conclusion par rapport à la crédibilité de M. Jules est raisonnable. Contrairement à ce qu’allègue M. Jules au paragraphe 56 de son mémoire, la SAR a traité des éléments au dossier et ce, malgré les mensonges formulés par le demandeur dans son premier FDA. Au surplus, et contrairement aux allégations de M. Jules, son récit mensonger a été répété dans différents formulaires du mois de février 2017, au mois de juin 2018, et ce récit n’a été modifié qu’après l’intervention du Ministre.

[79] Enfin, tel qu’exposé dans la section « La norme de contrôle » du présent jugement, la Cour doit faire preuve de déférence en ce qui a trait à la crédibilité. En effet, « [i]l est bien établi que la Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que font la SPR et la SAR de la crédibilité d’un demandeur d’asile, car les questions de crédibilité sont au cœur même de leur compétence » (Khelili au para 25; voir aussi Marquez Obando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 441 au para 32). La Cour n’a pas à soupeser à nouveau la preuve, au contraire elle doit plutôt s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (Vavilov au para 125). Tel que l’a expliqué mon collègue le juge Gascon dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, « [c]ette approche empreinte de retenue est particulièrement nécessaire lorsque, comme en l’espèce, les conclusions contestées se rapportent à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile ». Sur de telles questions de crédibilité et de vraisemblance, la cour de révision ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue préférable, ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve (Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1062 au para 30).

[80] M. Jules est en désaccord avec les conclusions tirées par rapport à sa crédibilité, mais cela ne suffit pas pour justifier l’intervention de la Cour.

[81] Quant aux arguments du demandeur par rapport à la Charte, j’adhère au raisonnement de la juge Roussel au paragraphe 11 de sa décision Singh v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 164 (disponible en anglais) :

Finally, the Applicant’s arguments relating to Article 3 of the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, as well as Canada’s obligation to comply with international law instruments and the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act 1982 (UK), 1982, c 11, have already been addressed and rejected several times (Sandhu v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2000] FCJ no 902 at para 2 (FCA); Ogiemwonyi v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 346 at para 39; Singh v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 341 at paras 17-18; Fares v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 797 at paras 40-44; Sidhu v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2004 FC 39 at para 16).

[82] Qui plus est, la Cour en l’instance, n’est pas appelée à trancher sur le renvoi de M. Jules.

VI. Conclusion

[83] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4188-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. L’intitulé de cause est modifié pour nommer plutôt le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4188-20

INTITULÉ :

GETHRO JULES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 juin 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 16 juin 2022

COMPARUTIONS :

Me Miguel Mendez

Pour le demandeur

Me Chantal Chatmajian

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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