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Date : 20220621


Dossier : IMM‑2588‑21

Référence : 2022 CF 931

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2022

En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly

ENTRE :

DALJIT SINGH

PUNEETA

HARSHPREET SINGH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Daljit Singh, accompagné de son épouse et de son fils, est arrivé au Canada en 2018 muni d’un visa de visiteur. La famille a ensuite revendiqué l’asile en invoquant la crainte de M. Singh d’être persécuté en Inde du fait de son appartenance à la caste chhiba, laquelle est affligée d’un statut peu enviable dans la société indienne. M. Singh a fait plus particulièrement valoir qu’il travaillait auparavant pour une laiterie où il a appris que l’un des fournisseurs vendait un produit contaminé. Il a signalé la chose aux autorités, lesquelles ont infligé des sanctions administratives au fournisseur et ont porté des accusations criminelles contre lui. Celui‑ci et sa famille ont tenté d’exercer des représailles contre M. Singh par la voie de fausses accusations, et, plus tard, par du harcèlement et des agressions.

[2] En 2020, les demandeurs ont sollicité l’asile auprès de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui a rejeté leur demande. Celle‑ci a conclu qu’ils pouvaient probablement vivre en toute sécurité à New Delhi. En d’autres termes, ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (une PRI) dans cette ville. Les demandeurs ont en vain interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a également jugé que les demandeurs jouissaient d’une PRI à New Delhi puisque les présumés agents de persécution ne disposaient ni des moyens ni de la motivation de se lancer à leurs trousses dans une ville si grande et si éloignée. De surcroît, la SAR a conclu qu’il serait raisonnable pour la famille de déménager à New Delhi où elle aurait accès à des possibilités d’emploi et où il était peu probable qu’elle subisse de la discrimination fondée sur la caste.

[3] Les demandeurs soutiennent que la conclusion relative à la PRI était déraisonnable parce que la SAR avait fait fi d’éléments de preuve révélant que les agents de persécution disposeraient des moyens de les localiser à New Delhi et qu’ils avaient démontré auparavant le caractère inlassable de leur poursuite. Ils avancent également que la SAR avait omis de se livrer à une évaluation indépendante de la preuve relative au caractère raisonnable du déménagement à New Delhi. Ils me demandent d’infirmer la décision de la SAR et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen.

[4] Je ne décèle aucun fondement me permettant d’infirmer la décision de la SAR. Cette dernière a apprécié la preuve pertinente relative à la question de la PRI et a procédé à son propre examen de celle‑ci. Je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[5] La seule question en litige est de savoir si la décision de la SAR relative à la PRI est déraisonnable.

II. La décision de la SAR

[6] La SAR a d’abord rejeté la demande des demandeurs visant à faire admettre de nouveaux éléments de preuve. Ils avaient produit un affidavit de M. Singh qui s’écartait de son récit antérieur des événements. La SAR a conclu que les demandeurs auraient pu déposer cette preuve auprès de la SPR, donc elle ne pouvait être considérée comme étant nouvelle.

[7] La SAR s’est ensuite penchée sur la question principale, à savoir si la famille disposait d’une PRI à New Delhi. Cette question comporte deux volets. D’abord, il s’agit de savoir si la famille serait en péril à New Delhi. Ensuite, il s’agit de savoir s’il serait raisonnable pour elle de déménager dans cette ville.

[8] En ce qui concerne la première question, la SAR a fait observer que M. Singh avait continué de travailler pour la même compagnie laitière jusqu’à ce qu’il quitte l’Inde en 2018. En 2011, il est passé de Sandhaur à la succursale de la compagnie située à Ludhiana, 45 kilomètres plus loin, mais n’a pas déménagé dans cette ville avant 2013. Les agents de persécution pouvaient donc facilement le localiser jusqu’en 2018 et poursuivre leur harcèlement simplement en le suivant durant son trajet entre le travail et la maison, que ce soit à Sandhaur ou à Ludhiana. La SAR a conclu que cette situation ne donnait pas à penser que les persécuteurs se mettraient aux trousses de M. Singh à New Delhi, une ville bien plus grande située dans un État différent, loin de Ludhiana.

[9] Les demandeurs ont indiqué que les présumés persécuteurs avaient noué des contacts avec la police du Pendjab, laquelle pouvait trouver le domicile de M. Singh. Or, la SAR a fait remarquer qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir que la police avait épaulé les persécuteurs dans le passé. En fait, celle‑ci avait même remis M. Singh en liberté après qu’il eut été faussement accusé d’agression, ce qui illustre bien qu’elle n’entretenait aucune hostilité à son égard.

[10] Les demandeurs ont également fait valoir que les agents de persécution pouvaient les retrouver grâce au système d’enregistrement des locataires. La SAR a expliqué que ce système permet de vérifier les antécédents criminels d’éventuels locataires. Puisque les demandeurs n’étaient pas recherchés par la police et que leurs casiers judiciaires étaient vierges, la SAR a conclu qu’il était peu probable que le système en question révèle un quelconque renseignement les concernant ou les expose au harcèlement des agents de persécution.

[11] Les demandeurs ont plaidé que le système biométrique aadhaar pourrait être utilisé pour les localiser. Toutefois, selon la SAR, les restrictions juridiques entourant le recours à ce système font probablement obstacle à son utilisation pour traquer les personnes. Elle a reconnu que le système aadhaar avait présenté des failles dans le passé, mais a estimé que rien ne permettait d’établir que des renseignements personnels des demandeurs pourraient tomber entre les mains des agents de persécution.

[12] La SAR a conclu que les demandeurs ne risquaient pas sérieusement de subir, à New Delhi, de la persécution ou d’autres formes de sévices de la part des agents de persécution.

[13] En ce qui concerne le deuxième volet de la question, la SAR a relevé que les demandeurs ne se heurteraient pas à la barrière de la langue à New Delhi et qu’il existait là‑bas une importante communauté sikhe dotée d’écoles et de centres culturels, ce qui donnait accès à des possibilités d’emploi. La SAR n’a pas retenu l’argument voulant que les demandeurs risquent d’être ciblés et de subir de la discrimination en raison de leur caste. En fait, ils étaient des membres relativement prospères de leur caste. La preuve montrait également que les distinctions entre castes étaient plus prononcées dans les zones rurales que dans les villes. Les demandeurs ne s’étaient pas heurtés à des difficultés, même à Ludhiana. À New Delhi, ils trouveraient probablement des emplois, un logement et des possibilités de s’instruire.

[14] La SAR a également jugé que les demandeurs risquaient peu de subir des actes de violence de la part des extrémistes hindous. Le risque était statistiquement faible et existait surtout au Pendjab.

[15] Dans l’ensemble, la SAR a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de déménager à New Delhi.

III. La décision de la SAR relative à la PRI était‑elle déraisonnable?

[16] Selon les demandeurs, la preuve dont disposait la SAR n’étayait pas sa conclusion relative à l’existence d’une PRI à New Delhi. Ils invoquent l’omission par la SAR de prendre en compte les éléments suivants :

  • Les agents de persécution ont pourchassé la famille à Ludhiana, ce qui démontre qu’ils avaient la motivation et les moyens de les retrouver à New Delhi.

  • Le Panchayat local (conseil du village) avait pris une décision pour régler la situation de M. Singh. Étant donné que cet organe disposait d’une influence considérable auprès de la police locale, la décision laisse entendre que toute forme d’inaction des forces de l’ordre à Sandhaur ou à Ludhiana était la conséquence de cet ascendant et non le produit d’un manque de moyens ou d’intérêt à repérer la famille. L’influence du Panchayat ne s’étend pas jusqu’à la police de New Delhi.

  • Les renseignements concernant l’arrestation de M. Singh et ses interactions ultérieures avec la police seraient inscrits dans le système d’enregistrement des locataires et dans l’aadhaar, et ce, même en l’absence d’accusations portées contre lui.

  • Les agents de persécution ont harcelé et pourchassé la famille pendant des années, ce qui donne à penser qu’ils sont toujours motivés à la retrouver.

  • Les membres de la caste à laquelle appartient la famille sont victimes de discrimination dans plusieurs endroits en Inde, y compris à New Delhi. De plus, les personnes qui déménagent dans les zones urbaines doivent pouvoir compter sur un réseau social pour trouver un logement et décrocher un emploi. Faute d’un tel réseau, il serait difficile de s’installer dans une grande ville.

[17] Je m’inscris en faux contre la prétention des demandeurs selon laquelle la SAR n’avait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve.

[18] La SAR a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs soient repérés grâce au système d’enregistrement des locataires ou à l’aadhaar. Ils n’étaient visés par aucune affaire criminelle en cours, rien ne démontrait que les agents de persécution avaient réussi à obtenir l’aide de la police pour les localiser, ou encore que la police elle‑même s’intéressait à eux, et il n’existait aucun moyen vraisemblable par lequel des renseignements sur la famille pourraient être transmis aux agents de persécution.

[19] Par ailleurs, même si les agents de persécution étaient toujours déterminés à retrouver la famille, la preuve ne permettait pas d’établir qu’ils avaient les moyens de le faire. Je répète qu’aucun élément de preuve ne montre qu’ils avaient été en mesure de mobiliser la police pour tenter de localiser la famille.

[20] En ce qui a trait à la situation à New Delhi, la SAR a renvoyé à des éléments de preuve qui montrent qu’il existe dans cette ville une importante communauté sikhe, ainsi que de nombreuses possibilités de s’instruire et de participer à des activités culturelles. De surcroît, quoique les demandeurs appartiennent à une caste dont les membres peuvent être victimes de discrimination, la SAR a fait remarquer qu’ils étaient des membres relativement prospères de celle‑ci et qu’ils avaient accompli une scolarité et un parcours professionnel poussés. En fait, leur situation serait probablement plus enviable à New Delhi qu’elle ne l’était à Ludhiana, et même là‑bas ils n’avaient pas subi de discrimination fondée sur la caste.

[21] Je juge que la décision de la SAR était étayée par la preuve. Sa conclusion portant que la famille disposait d’une PRI à New Delhi était raisonnable.

IV. IV. Conclusion et dispositif

[22] Au vu de la preuve, la SAR a conclu raisonnablement que les demandeurs disposaient d’une PRI à New Delhi. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est énoncée.

JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2588‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2588‑21

INTITULÉ :

DALJIT SINGH PUNEETA HARSHPREET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE à TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Max Berger

POUR LES DEMANDEURS

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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