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Date : 20220622


Dossier : T-1880-21

Référence : 2022 CF 939

Montréal (Québec), le 22 juin 2022

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

ERIC CANTIN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Eric Cantin, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’examen des prestations au Centre fiscal de Jonquière [Agent] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], pour le ministre de l’Emploi et du Développement social [le Ministre], lui refusant l’éligibilité à la Prestation canadienne d’urgence [PCU]. La décision sujette au contrôle judiciaire résulte du deuxième réexamen de la demande de PCU du demandeur, datée du 2 novembre 2021 [la Décision].

[2] Le demandeur conteste la décision de l’Agent et soutient qu’il respecte les conditions d’admissibilité pour recevoir le PCU. Plus particulièrement, le demandeur stipule qu’il a clairement prouvé qu’il a gagné un revenu de travail indépendant pour l’année fiscale de 2019 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande PCU, totalisant un revenu net d’au moins 5000 $. Il considère que l’Agent a rendu sa décision en se basant sur une interprétation restrictive du critère d’éligibilité.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Décision de l’Agent n’est pas déraisonnable, et que la demande doit être rejetée.

II. Contexte

[4] Le demandeur a reçu des prestations PCU auprès de l’ARC sur la foi de demandes soumises en octobre 2020 pour trois périodes visées entre le 5 juillet et le 26 septembre 2020.

[5] Les demandes de PCU ont été acceptées sans examen par un agent de validation de prestation et le demandeur a reçu les versements correspondants à ces périodes.

[6] Le 4 novembre 2020, le dossier du demandeur a été sélectionné pour un premier examen de son admissibilité à la PCU et a conséquemment été attribué à un agent de l’ARC pour ce premier examen de son admissibilité.

[7] Le 9 février 2021, l’ARC a conclu que le demandeur était inadmissible à la PCU pour les motifs suivants :

  • - Vous n’avez pas gagné au moins 5000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

  • - Vous n’avez pas cessé de travailler ou vos heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

[8] Le 19 avril 2021, le demandeur a demandé un second examen de la décision rendue le 9 février 2021.

[9] Le 2 novembre 2021, à la suite du second examen, l’Agent a conclu que le demandeur ne respectait pas les conditions d’admissibilité compte tenu du cadre juridique de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, ch 5, art 8 [la « Loi »] et était inadmissible à la PCU aux mêmes motifs que ceux qui apparaissaient à la décision initiale.

[10] La Décision découle principalement du raisonnement suivant :

a) Concernant les revenus d’emploi et de travail indépendant du demandeur :

i. Le demandeur n’a jamais déclaré de revenu d’entreprise de 2012 à 2018 ;

ii. Dans sa déclaration d’impôt initiale pour l’année 2019, le demandeur n’a déclaré aucun revenu ;

iii. Dans sa déclaration d’impôt amendée pour l’année 2019, le demandeur a déclaré un revenu d’entreprise net de 5 086 $ ;

iv. La preuve fournie par le demandeur pour justifier le revenu d’entreprise net de 5 086 $ qu’il a déclaré tardivement n’était pas convaincante en ce que :

1. Les 5 factures datées des mois de juin, juillet et août 2019 sont pour un montant total de 5 485 $ ; et

2. Les relevés bancaires du demandeur pour la période du 15 avril au 13 août 2019 indiquent que plus de la moitié des dépôts (2 800 $) ont été faits en mai et juin 2019, soit avant les dates des factures.

v. Les dépôts dans le compte de banque du demandeur ne correspondent pas aux montants et aux dates des factures ;

Conséquemment, le demandeur n’a pas démontré qu’il avait gagné au moins 5 000 $ de revenu d’emploi ou de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande.

b) Concernant les raisons du demandeur pour avoir cessé de travailler :

i. Le demandeur a eu un accident en 2018 pour lequel il a reçu des indemnités jusqu’en janvier 2022 ;

ii. Le demandeur a des limitations fonctionnelles suite à son accident de travail qui l’empêchent de faire plusieurs types de travaux ;

iii. Le demandeur a cessé de travailler en août 2019 au motif que sa saison était finie et qu’il ne travaillait pas en hiver ;

iv. Le demandeur suit des cours de menuiserie depuis octobre 2020 ;

Conséquemment, au moment de présenter ses demandes de PCU pour les périodes de juillet, août et septembre 2020, le demandeur n’avait pas cessé de travailler en raison de la COVID-19, mais plutôt à cause de ses limitations fonctionnelles suite à son accident de travail, de son choix d’arrêter de travailler après août 2019 et de son retour aux études.

[11] Mécontent de ce refus, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la Décision de l’ARC lui refusant l’éligibilité à la PCU.

III. Question en litige et norme de contrôle

[12] Il existe une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas, compte tenu de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 10. Je ne vois aucune raison d’écarter cette norme dans le contexte d’une décision qui repose pour l’essentiel sur l’appréciation de la preuve au dossier devant l’Agent. La Décision sera donc examinée suivant la norme de la décision raisonnable.

IV. Analyse

[13] Le demandeur prétend que la Décision est déraisonnable. Il maintient qu’il a bel et bien gagné un revenu de travail indépendant pour des travaux effectués chez différentes connaissances personnelles en 2019 et a fourni une preuve satisfaisante pour établir qu’il remplissait tous les critères d’admissibilité à la PCU, soit avec des factures et des relevés de compte bancaire.

[14] Selon le demandeur, il importe peu que des dépôts dans son compte bancaire aient été faits avant les dates des factures ou que les sommes ne correspondent pas aux montants et aux dates de factures. Il n’est nullement spécifié dans la loi qu’un contribuable est tenu de déposer ses revenus dans une institution financière ses revenus. Et rien n’empêche un contribuable de se faire payer en avance et en argent comptant par ses clients. Or, là n’est pas la question.

[15] Même s'il n'est pas illégal de se faire payer en espèces, un contribuable qui choisit ce mode de paiement doit être d'autant plus soucieux de pouvoir prouver le paiement afin d’obtenir une prestation en vertu de la Loi. L’article 10 de la Loi prévoit que le Ministre peut « à toute fin liée à la vérification du respect ou à la prévention du non-respect de la présente loi…exiger d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou qu’elle produise des documents dans le délai raisonnable que précise l’avis. » Le fardeau incombe à celui qui formule une demande d’établir à l’office responsable de l’administration des prestations qu’il satisfait, selon la prépondérance des probabilités, les critères de la Loi (Walker v. Canada (Attorney General of Canada), 2022 FC 381 au para 55).

[16] En examinant la preuve dans son ensemble, l’Agent a identifié des inconsistances dans la preuve du demandeur donnant lieu à de réels doutes quant à la fiabilité des documents produits. L’Agent avait raison d’être préoccupé par l’écart entre les dates de dépôts dans le compte bancaire du demandeur et les dates des factures, ainsi que les montants des dépôts, qui ne semblaient aucunement reliés aux factures.

[17] Outre que d’exprimer son désaccord avec la conclusion de l’Agent et de réitérer les explications qu’il a soumises dans le cadre du deuxième examen de sa demande, le demandeur n’identifie aucune erreur de la part de ce dernier dans son analyse de ces documents. Or, il ne suffit pas d’être en désaccord avec une décision pour qu’il y ait matière à révision.

[18] Le demandeur prétend de plus que la Décision « n’est pas basée sur les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale ». Cependant, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 56. Le demandeur a admis à l’audience qu’il connaissait la preuve à réfuter et qu’il a eu l’occasion de soumettre des documents ou renseignements additionnels en vue du deuxième examen de sa demande devant l’ARC. Rien n’indique que l’Agent ait violé les principes d’équité procédurale applicables en l’espèce.

[19] Dans la présente affaire, le demandeur n'a pas réussi à convaincre l’Agent qu’il avait gagné au moins 5 000 $ de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois précédant sa première demande.

[20] Il est bien établi qu’une cour de révision doit interpréter les motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés. Une décision sera jugée déraisonnable « lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle » (Vavilov, au para 103). Le raisonnement de l’Agent quant au premier critère d’admissibilité est cohérent, fondé sur la preuve qui lui a été soumise et se justifie à l’égard de la loi applicable. Ses motifs illustrent une logique interne exemplaire. Il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable.

[21] Considérant ce qui précède, il n'est pas nécessaire pour moi de trancher la question reliée au deuxième critère d’admissibilité vu que la Loi requiert que les deux critères soient satisfaits afin qu’un demandeur soit éligible pour la PCU.

V. Conclusion

[22] Eu égard au dossier dans son ensemble ainsi que le raisonnement de l’Agent, je trouve que la Décision reflète les caractéristiques d’une décision raisonnable, étant rationnelle, logique, et justifiée au regard du droit et des faits pertinents.

[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24] Aucune observation sur les dépens n’apparaît dans le mémoire des faits et du droit du défendeur, et aucune observation sur les dépens n’a été faite à l’audience. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1880-21

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Roger R. Lafreniѐre »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1880-21

 

INTITULÉ :

ERIC CANTIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Eric Cantin

 

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

Me Mathieu Lamontagne

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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