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Date : 20210819


Dossier : T-1966-19

Référence : 2021 CF 849

Ottawa (Ontario), le 19 août 2021

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

MICHEL THIBODEAU

demandeur

et

ADMINISTRATION DES AÉROPORTS RÉGIONAUX D'EDMONTON

défenderesse

MOTIFS ET ORDONNANCE

I. Les faits

[1] Le 23 avril 2021, la défenderesse, Administration des Aéroports Régionaux d’Edmonton, a déposé une requête en vertu du sous-alinéa 397(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] pour demander à cette Cour de réexaminer les termes de l’ordonnance rendue par Madame la Juge Roussel datée du 12 février 2021 dans Thibodeau c. Administration des aéroports régionaux d’Edmonton 2021 CF 146 (l’Ordonnance). La défenderesse souhaite obtenir une ordonnance en vertu du sous-alinéa 397(1)b) des Règles, qui prévoit que la Cour peut examiner de nouveau les termes d’une ordonnance, ou en vertu du sous-alinéa 399(2)a) des Règles afin de faire modifier les termes de l’Ordonnance.

[2] L’Ordonnance avec motifs de la juge Roussel ordonne au demandeur de répondre par écrit aux questions posées lors du contre-interrogatoire sur affidavit de M. Thibodeau, questions qu’elle a identifiées comme étant légitimes. Cependant, la juge Roussel ne se prononce pas sur l’admissibilité et la pertinence des questions 255 à 257 posées lors de ce contre-interrogatoire puisque le contenu de ces questions faisait l’objet d’une objection dans le dossier Thibodeau c. Administration de l’aéroport international de St. John’s, 2021 CF 259 (dossier T-1023-19). Les questions 255 à 257 portent sur une transcription d’un enregistrement électronique d’une conversation entre M. Thibodeau et l’avocat de l’administration aéroportuaire de St. John’s. Selon la défenderesse, cette transcription démontre la façon dont M. Thibodeau intimide l’aéroport de St. John’s afin d’obtenir un dédommagement. M. Thibodeau s’est opposé à répondre à ces questions, car il soutient que la conversation avait été enregistrée à son insu.

[3] Les questions 255 à 257 posées lors du contre-interrogatoire sur affidavit du demandeur se lisent comme suit :

255-256

Confirmer que vous vous rappelez de l’appel figurant à la Pièce 6 (intitulée « Transcription d’appel avec St. John’s » et marquée pour identification).

257

Confirmer que les passages surlignés à la Pièce 6 sont des propos que vous avez dit à l’avocat de St. John’s.

 

[4] Le 25 mars 2021, j’ai rendu une décision dans le dossier T-1023-19 par laquelle j’ai déterminé que M. Thibodeau, en l’espèce, aurait pu facilement s’opposer à l’enregistrement lors de son contre-interrogatoire ou, par la suite, lorsqu’il a consulté un avocat.

[5] Le 31 mars 2021, l’avocat de la défenderesse et M. Thibodeau se sont entendus à l’effet que la défenderesse déposera un dossier de réponse au plus tard le 12 avril 2021, soit 30 jours après avoir obtenu les réponses de M. Thibodeau, étant donné que l’Ordonnance n’en faisait pas mention.

[6] Le 6 avril 2021, la défenderesse a pris connaissance de ma décision dans le dossier T-1023-19, précité. À la lumière de cette décision, la défenderesse a essayé de contacter M. Thibodeau le 8 avril 2021, sans succès. Le 12 avril 2021, la défenderesse a proposé à M. Thibodeau de répondre aux questions 255 à 257 avant le 13 avril 2021 et que pour sa part, elle déposerait son dossier de réponse le 16 avril 2021. M. Thibodeau a refusé de répondre aux questions et de consentir à une prorogation de délai.

II. QUESTIONS EN LITIGE

[7] Les questions en litige concernant cette requête sont les suivantes :

  • Est-ce-que la Cour devrait réexaminer les termes de l’Ordonnance en vertu du sous-alinéa 397(1)b) des Règles; et
  • Subsidiairement, la Cour devrait-elle modifier les termes de l’Ordonnance en vertu du sous-alinéa 399(2)a) des Règles.

À mon avis, la requête devrait être accordée.

III. POSITION DES PARTIES

A. Thèse de la défenderesse

[8] La défenderesse soumet que le sous-alinéa 397(1)b) des Règles prévoit que la Cour peut examiner de nouveau les termes d’une ordonnance, dix jours après qu’elle a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, dans le cas où une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. La défenderesse soumet que le mot « question » tel qu’il est employé dans l’article 397 des Règles s’entend d’un élément de la réparation sollicitée, et non à un argument soulevé devant la Cour (Lee c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 867 au para. 4).

[9] La défenderesse soumet que lorsque la requête pour le réexamen d’une ordonnance est déposée après le délai de dix jours, comme c’est le cas dans la présente affaire, la requérante doit fournir une explication raisonnable au sujet du retard et établir l’existence d’une cause défendable (Wilson c. Canada, 2005 CF 1340 au para. 24). La défenderesse soumet que le retard est attribuable à l’attente de la décision dans le dossier T-1023-19, laquelle a été rendue le 25 mars 2021, plus de dix jours après l’Ordonnance. De plus, la défenderesse a seulement pris connaissance de la décision le 6 avril 2021 et par après a eu des discussions avec M. Thibodeau afin de résoudre le désaccord concernant les questions 255 à 257. D’ailleurs, la défenderesse soumet qu’il existe une cause défendable, car le ou la juge du fond a le droit d’être pleinement informé de l’étendue du stratagème de M. Thibodeau.

[10] La défenderesse soumet que le sous-alinéa 399(2)a) des Règles prévoit que la Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans le cas ou des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue.

[11] La défenderesse soumet que la décision rendue dans le dossier T-1023-19 constitue un fait nouveau puisque la décision est survenue après que l’Ordonnance ne soit rendue et n’aurait pas pu être découverte avant. De plus, la décision rendue dans le dossier T-1023-19 a une influence déterminante sur la question de l’admissibilité et de la pertinence des questions 255 à 257, étant donné que l’Ordonnance a cité l’objection de M. Thibodeau par rapport à la transcription de la conversation téléphonique comme étant la raison pour laquelle la Cour a refusé de se prononcer sur ces questions. La défenderesse soumet que la résolution de l’objection dans le dossier T-1023-19 par rapport à la transcription permet donc à cette Cour de statuer sur l’admissibilité et la pertinence des questions 255 à 257.

B. Thèse du demandeur

[12] Le demandeur soumet que le sous-alinéa 397(1)b) des Règles précise que le réexamen de l’Ordonnance est permis seulement dans le cas où une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. Il soumet que la Cour a déjà traité des questions 255 à 257 au paragraphe 49 de l’Ordonnance. Il prétend que la Cour a décidé qu’il n’avait pas besoin de répondre à ces questions, et qu’ainsi, il ne s’agit pas d’une question qui a été oubliée ou omise involontairement.

[13] Le demandeur ne s’oppose pas au réexamen de l’Ordonnance en ce qui concerne la prorogation de délai nunc pro tunc pour le dépôt du dossier de la défenderesse. Il suggère que la Cour ordonne le dépôt du dossier de la défenderesse dans les trois jours suivant la décision de la présente requête.

[14] En ce qui concerne le sous-alinéa 399(2)a) des Règles, le demandeur soumet qu’il n’y a pas de faits nouveaux qui sont survenus ou qui ont été découverts après que l’Ordonnance ait été rendue, et que par conséquent, il n’y a pas lieu de la modifier. Le demandeur soumet que la Cour d’appel fédérale a traité la question de « faits nouveaux » dans le contexte de l’article 399 des Règles dans l’affaire Siddiqui c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2016 CAF 237 [Siddiqui]. Le demandeur soumet que la Cour d’appel a clairement stipulé que la jurisprudence, peu importe si elle existait avant ou après la décision contestée, ne constitue pas de « faits nouveaux » au sens du sous-alinéa 399(2)a) des Règles (Siddiqui, para. 17). De plus, le demandeur soumet que la compétence de la Cour fédérale de rejeter ses propres jugements en vertu de l’article 399 des Règles est rarement exercée, car le caractère définitif des jugements et l’intégrité du processus judiciaire servent un intérêt public important (Apotext Inc. c. AB Hassle, 2008 CAF 416 au para. 17).

IV. ANALYSE

A. Réexamen de l’Ordonnance

[15] L’article 397(1)b) des Règles permet à la Cour d’examiner de nouveau les termes d’une ordonnance dans le cas où une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontaire. Le sous-alinéa est reproduit ci-après :

Réexamen

Motion to reconsider

397 (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

397 (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

[16] La question devant cette Cour est de savoir si l’Ordonnance rendue le 12 février 2021 a oublié ou omise involontairement une question qui aurait dû être traitée, et par conséquent de déterminer si cette Cour devrait examiner de nouveau ses termes.

[17] Au paragraphe 49 de l’Ordonnance, la juge Roussel stipule ce qui suit, à l’égard des questions 255 à 257 :

[49] Puisque le document fait l’objet d’une objection dans un autre dossier, la Cour n’entend pas se prononcer sur son admissibilité ou la pertinence des questions 255 à 257.

[18] Je suis d’avis que la Cour n’a pas « oublié ou omise involontairement » de traiter la question de l’admissibilité et de la pertinence des questions 255 à 257 dans son ordonnance. Il est évident qu’elle a adressé la question aux paragraphes 46 à 49 de son Ordonnance et elle a décidé de ne pas se prononcer puisque le document faisait l’objet d’une objection dans le dossier T-1023-19. À mon avis, ceci ne constitue pas un oubli ou une omission involontaire d’une question qui aurait dû être traitée.

B. Modifier l’Ordonnance

[19] Le sous-alinéa 399(2)a) permet à cette Cour, sur requête, de modifier une ordonnance lorsque des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue. Le sous-alinéa est reproduit ci-après :

Annulation

Setting aside or variance

399(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

399(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order;

[20] L’arrêt Ayangma c. Canada, 2003 CAF 382 [Ayangma] de la Cour d’appel établi le test applicable pour déterminer s’il y a lieu de modifier une ordonnance en vertu du sous-alinéa 399(2)a) des Règles. Les trois conditions suivantes doivent être réunies :

  1. Les éléments découverts depuis doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l’alinéa 399(2)a);

  2. Les « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable; et

  3. Les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question.

Je suis d’avis que les « faits nouveaux » allégués par la défenderesse rencontrent le deuxième et troisième volet du test énoncé dans l’affaire Ayangma.

[21] Ainsi, la question est de savoir si la décision rendue dans le dossier T-1023-19 peut constituer un fait nouveau au sens du sous-alinéa 399(2)a) des Règles. Le demandeur soumet que la jurisprudence, peu importe si elle existait avant ou après la décision contestée, ne peut pas constituer un fait nouveau (Siddiqui, au para. 17). Lors des arguments oraux, la défenderesse a soutenu que Siddiqui se distingue sur la base du contexte. La défenderesse soumet qu’une jurisprudence qui a été rendue après l’ordonnance ne peut pas constituer un fait nouveau en raison du principe juridique res judicata. Par contre, la défenderesse soumet que Madame la juge Roussel ne s’est pas prononcée sur l’admissibilité ou la pertinence des questions 255 à 257 dans l’Ordonnance, donc ce n’est pas possible de « faire appel » ou d’infirmer une décision qui n’a pas été rendue. Ainsi, le principe de res judicata n’est pas en jeu. Je partage l’opinion de la défenderesse : comme la juge Roussel n’a pas rendu de décision à l’égard des questions 255 à 257 dans son Ordonnance, le principe de res judicata ne peut pas s’appliquer.

V. CONCLUSION

[22] Je suis d’avis que la présente requête devrait être accordée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

  1. Le demandeur réponde aux questions 255 à 257 posées lors du contre-interrogatoire sur affidavits du demandeur;
  2. La partie défenderesse doive déposer son dossier de réponse 10 jours après avoir reçu les réponses du demandeur aux questions;
  3. Il n’y ait pas de dépens.

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1966-19

 

INTITULÉ :

MICHEL THIBODEAU c ADMINISTRATION DES AÉROPORTS RÉGIONAUX D'EDMONTON

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

ORDONNANCE ET MOTIFS:

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 août 2021

 

COMPARUTIONS :

MICHEL THIBODEAU

 

EN SON NOM PROPRE

 

MATTHEW J. HALPIN

PATRICK LEVESQUE

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Thibodeau

en son propre nom

 

Norton Rose Fulbright Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

 

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