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Date : 20220614


Dossier : IMM-6008-21

Référence : 2022 CF 886

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

OMER HAMID

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’égard de la décision datée du 18 juillet 2021 par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis d’études.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur a 29 ans et est citoyen du Pakistan. Il a obtenu un baccalauréat en 2016, à Lahore. Il a vécu au Pakistan jusqu’en août 2019 et a travaillé dans ce pays comme conseiller en vente auprès de deux sociétés de marketing.

[4] En août 2019, M. Hamid a déménagé aux Émirats arabes unis avec sa sœur. Il a commencé à travailler en tant que directeur de compte auprès d’une société de marketing et il a pu, ainsi, obtenir un permis de résidence des Émirats arabes unis. Le permis a été délivré le 15 décembre 2019 et est valide jusqu’au 14 décembre 2022.

[5] En octobre 2020, M. Hamid a été admis dans un programme de gestion internationale des affaires d’un an au Collège Centennial, à Toronto. Il a demandé un permis d’études le mois suivant.

[6] Le programme du Collège Centennial devait commencer le 18 janvier 2021. À sa demande de permis d’études, M. Hamid a joint une preuve des fonds que sa sœur, Fatima Hamid, lui fournissait pour le programme et une preuve du paiement de droits de scolarité pour sa première session. Il a expliqué qu’il cherchait à [TRADUCTION] « améliorer ses compétences pour qu’elles correspondent aux besoins de la main-d’œuvre moderne » afin qu’il puisse [TRADUCTION] « retourner aux Émirats arabes unis et se trouver un bon poste auprès d’une grande société multinationale ».

[7] La demande de permis d’études a été rejetée le 18 juillet 2021.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’agent des visas n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé, comme l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Pour arriver à cette décision, l’agent a tiré des conclusions quant aux liens familiaux du demandeur, à l’objet de sa visite et à son statut d’immigrant.

[9] Selon les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas qui constituent les motifs de la décision, l’agent a fait les constatations suivantes :

  • le demandeur est célibataire et sans attaches;

  • puisque son permis de résidence des Émirats arabes unis est lié à son emploi, il faudrait qu’il soit à nouveau parrainé pour retourner aux Émirats arabes unis;

  • l’explication donnée par le demandeur dans son plan d’études pour suivre ce programme était peu convaincante, compte tenu de l’interruption de huit ans dans ses études et du coût important du programme;

  • il a des liens économiques et professionnels ténus avec son pays d’origine (le Pakistan) et son pays de résidence (les Émirats arabes unis).

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[10] Le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[11] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable, comme le prévoit l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Comme l’a dit la juge Roussel au paragraphe 13 de la décision Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552, même s’il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs pour que la décision soit raisonnable étant donné les pressions énormes que subissent les agents des visas pour produire un grand volume de décisions chaque jour, la décision doit tout de même être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 85). Elle doit aussi posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[12] Au paragraphe 16 de la décision Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 [Ocran], le juge Little a ajouté l’observation suivante :

[traduction]
J’ajoute seulement que, pour intervenir, la cour doit trouver une erreur dans la décision qui est suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 13.

[13] La Cour suprême dans l’arrêt Vavilov et la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mason ont rappelé aux cours de révision qu’elles ne doivent pas montrer trop d’empressement à trouver des lacunes graves. Le respect du rôle du décideur administratif oblige la cour de révision à adopter une attitude de retenue lors du contrôle judiciaire.

[14] Pour ce qui est du contrôle des questions d’équité procédurale, la Cour doit se demander si, « eu égard à l’ensemble des circonstances, [...] en mettant [...] l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne », la procédure suivie par le décideur était équitable : Chemin de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46-47. Cette norme n’appelle pas la déférence à l’endroit du décideur.

V. Analyse

A. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[15] Le demandeur soutient, en invoquant la décision Bajwa c Canada, 2017 CF 202 [Bajwa], que l’agent a tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité dans son appréciation de la preuve présentée et que, par conséquent, l’agent aurait dû lui donner une occasion de répondre à ses préoccupations.

[16] L’agent n’a pas explicitement remis en question dans ses motifs la véracité ou la fiabilité de la preuve produite par le demandeur, et le demandeur ne cite aucun exemple dans les motifs de l’agent qui permettrait raisonnablement de croire que l’agent a rendu une conclusion implicite de ce type.

[17] À mon avis, l’affaire Bajwa se distingue de celle qui nous occupe puisque, dans cette affaire, l’agente a conclu que les lettres d’appui produites par le demandeur n’étaient pas authentiques, et elle a déféré l’affaire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR sur le fondement de la fausse déclaration. L’agente doutait manifestement de la bonne foi du statut de travailleur temporaire des demandeurs, et ce facteur a influé sur le raisonnement de la cour à l’égard de l’équité procédurale.

[18] Les circonstances en l’espèce sont comparables à celles de l’affaire Ocran, précitée, et de l’affaire Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 [Patel], aux paragraphes 11 à 14. Dans la décision Ocran, le juge Little a déclaré, aux paragraphes 51 et 52, que la jurisprudence de la Cour ne confortait pas l’affirmation selon laquelle un agent des visas est tenu d’aviser un demandeur des réserves qu’il entretient quant au caractère suffisant de la preuve et de lui donner l’occasion d’y répondre. Dans la décision Patel, le juge Norris a écrit :

[13] Les ressortissants étrangers qui cherchent à entrer au Canada doivent réfuter la présomption selon laquelle ils sont des immigrants (Danioko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 479 au para 15; Ngalamulume au para 25). Les demandeurs de permis d’étude doivent donc établir, entre autres choses, qu’ils quitteront le Canada à la fin de la période de séjour demandée : voir l’art 216(1)b) du RIPR.

[14] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il satisfaisait aux exigences légales pour obtenir un permis d’études. Il incombait au demandeur d’établir qu’il était admissible à un permis d’études au moyen d’éléments de preuve suffisants. L’agent n’est pas obligé de prévenir le demandeur des lacunes de sa demande avant de rendre une décision, quand ces lacunes ont trait à des conditions juridiques préalables auxquelles il est nécessaire de répondre pour que la demande soit accueillie plutôt qu’à des questions qu’il n’aurait pas raisonnablement pu prévoir (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 38; Yuzer, au para 16; Al Aridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 381 au para 20; Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294 au para 34). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, dans le contexte présent, l’utilisation par l’agent du terme [traduction] « véritable étudiant » ne soulève pas de questions de crédibilité (voir D’Almeida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 308 au para 65). Il n’y a eu aucun manquement aux exigences de l’équité procédurale.

[19] En l’espèce, l’agent a examiné la preuve du demandeur et a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption qu’une personne qui cherche à entrer au Canada demeurera au Canada à titre d’immigrant. Cette conclusion concerne les exigences prévues par la LIPR et le RIPR qui s’appliquent à un permis d’études, et, à ce titre, l’agent n’avait aucune obligation de soulever ce facteur auprès du demandeur.

B. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[20] L’essentiel des arguments du demandeur sur le bien-fondé de la décision de l’agent est que celui-ci a écarté la preuve selon laquelle le demandeur avait de solides liens économiques et professionnels avec les Émirats arabes unis et le Pakistan et que le seul but de son voyage au Canada était d’y faire des études.

[21] Comme le défendeur le souligne, l’agent des visas n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve dans ses motifs. Le défaut de considérer certains éléments de preuve peut entraîner l’annulation de la décision seulement lorsque les éléments passés sous silence sont essentiels, que la preuve contredit la décision du tribunal et que la cour de révision détermine par inférence que son omission atteste qu’il n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait : Khir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 160 au para 48 [Khir].

[22] Dans la décision Khir, au paragraphe 49, le juge Little a fait observer que les principes énoncés dans la décision Cepeda-Gutierrez et les principes de la décision raisonnable et de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées sont essentiellement les mêmes :

[49] Cette analyse montre que l’appréciation effectuée par la Cour, lorsqu’elle applique les principes de la décision Cepeda‑Gutierrez, est essentiellement la même que celle menée lorsqu’elle applique la norme énoncée dans l’arrêt Vavilov, en particulier aux paragraphes 101 et 126. Ces deux jugements mettent l’accent sur le raisonnement du décideur. Ils comportent tous les deux une conclusion libérale selon laquelle la décision peut être jugée déraisonnable, moyennant une appréciation de l’importance de la conclusion de fait erronée quant à la décision dans son ensemble et de la valeur probante des éléments de preuve écartés ou mal interprétés relativement à cette conclusion de fait. Pour reprendre les termes utilisés dans la décision Cepeda‑Gutierrez, la décision peut être annulée si la preuve passée sous silence est essentielle, qu’elle contredit la décision et que la cour de révision infère que le décideur a dû écarter les éléments dont il disposait. Suivant le libellé de l’arrêt Vavilov, la Cour peut perdre confiance dans la décision si la conclusion de fait était indéfendable, compte tenu des contraintes factuelles issues de la preuve, ou si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve ou qu’il n’en a pas tenu compte pour parvenir à sa décision. (Je note que les indices d’une décision déraisonnable cités dans l’arrêt Vavilov peuvent très bien englober des circonstances non visées par les affaires dont fait état la décision Cepeda‑Gutierrez, par exemple si aucune preuve n’étaye la décision ou la conclusion de fait du décideur.)

[23] En l’espèce, l’agent n’était pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve dans ses motifs, et les éléments de preuve qui n’ont pas été expressément mentionnés ne constituent pas une preuve essentielle ou contradictoire susceptible de compromettre la décision. Tout particulièrement, outre une brève mention de son plan d’études et d’un membre de sa famille au Pakistan, le demandeur n’a déposé aucune preuve de son établissement au Pakistan ou aux Émirats arabes unis. De plus, les lettres d’appui de sa sœur et de son père étaient brèves et ne mentionnaient que les fonds disponibles pour le paiement de ses droits de scolarité. Le demandeur n’a fourni aucun renseignement pour appuyer l’argument selon lequel il entretenait des relations très étroites avec des personnes dans l’un ou l’autre des pays.

[24] Il était loisible à l’agent de conclure qu’il n’était pas raisonnable pour le demandeur d’envisager les études en question compte tenu de son cheminement de carrière à ce jour et de son plan d’études peu détaillé. Dans sa demande de visa, par exemple, le demandeur n’explique pas clairement en quoi un programme de certificat d’un an dans un collège de l’Ontario constituerait les études supérieures qui, selon lui, sont très appréciées par les employeurs des Émirats arabes unis et du Pakistan. Il est vrai que l’agent aurait pu tirer une autre conclusion à la lumière de la preuve soumise, mais il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, de substituer son opinion à celle du décideur.

[25] Pour reprendre les propos du juge Little au paragraphe 34 de la décision Ocran, je ne peux conclure que l’agent s’est fondamentalement mépris sur la preuve, qu’il a rendu une décision indéfendable ou qu’il a passé sous silence une preuve essentielle qui contredit sa conclusion.

VI. Conclusion

[26] Après avoir examiné les observations orales et écrites du demandeur, je suis d’avis que sa demande doit être rejetée. Son argument sur l’équité procédurale est sans fondement. Il était raisonnable pour l’agent de conclure, à la lumière des antécédents professionnels du demandeur, de ses faibles liens professionnels, économiques et familiaux avec les Émirats arabes unis et le Pakistan, de son plan d’études peu détaillé et du fait qu’il est célibataire et sans attaches, que le demandeur ne quitterait probablement pas le Canada à la fin de son séjour.

[27] Pour ces motifs, la demande est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune n’est donc certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6008-21

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claudia De Angelis


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6008-21

INTITULÉ :

OMER HAMID c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2022

COMPARUTIONS :

Parveer Singh Ghuman

Pour le demandeur

Devi Ramachandran

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Citylaw Group LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

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