Date : 20220602
Dossiers : IMM‑7199‑19
IMM‑7201‑19
Référence : 2022 CF 804
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 2 juin 2022
En présence de monsieur le juge Phelan
Dossier : IMM‑7199‑19
|
ENTRE :
|
GURPREET KAUR
|
demanderesse
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
Dossier : IMM‑7201‑19
|
ET ENTRE :
|
SANDEEP KAUR
|
demanderesse
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La Cour est saisie des contrôles judiciaires des décisions rendues par un agent des visas [l’agent] en poste à New Delhi qui, après avoir examiné les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire présentées par les demanderesses, Sandeep et Gurpreet, a refusé qu’elles soient parrainées par leur père conformément aux dispositions applicables au regroupement familial du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, parce qu’elles dépassaient toutes deux l’âge limite pour être considérées comme des enfants à charge.
[2] Les demandes de contrôle judiciaire des deux demanderesses sont fondées sur les mêmes faits et arguments. Par conséquent, un seul jeu de motifs est nécessaire.
II.
Le contexte
[3] Les demanderesses viennent de l’Inde et avaient 23 ans (Sandeep) et 25 ans (Gurpreet), respectivement, lorsque leur père a présenté une demande en vue de les parrainer, car elles avaient présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire principalement liées à la réunification des familles.
[4] Le père, Gurinder Singh, est arrivé au Canada en 2008 en qualité de travailleur temporaire. Les premières demandes qu’il a présentées en 2010 et 2012 au titre du Programme des candidats de l’Alberta [PCA] ont été rejetées parce qu’il n’avait pas le niveau requis d’études secondaires reconnu en Inde. Après avoir terminé ses études, M. Singh a présenté une nouvelle demande en 2015. Il est devenu résident permanent en août 2017, puis il a été autorisé à parrainer sa femme et son fils à charge. Il n’avait pas inclus ses filles dans sa demande de 2015 – qui a finalement été accueillie – et aucune d’elles n’avait l’âge qui était requis à l’époque, à savoir 19 ans (l’âge requis, qui était de 22 ans avant la modification d’août 2014, est passé à 19 ans).
[5] En 2018, M. Singh a présenté une demande en vue de parrainer les demanderesses afin qu’elles puissent obtenir la résidence permanente sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire, car elles dépassaient manifestement l’âge requis (ramené à 22 ans en octobre 2017) pour être considérées comme des enfants à charge. Ces demandes, jugées incomplètes, ont été retournées en décembre 2018 en raison de l’absence de preuve montrant que les demanderesses répondaient à la définition d’enfant à charge. Les demanderesses ont sollicité le contrôle judiciaire de ces décisions, et le défendeur a consenti à ce que les affaires soient renvoyées pour nouvelle décision. L’agent chargé de rendre la nouvelle décision a rejeté la demande la plus récente parce que les deux demanderesses étaient âgées de plus de 22 ans et ne satisfaisaient donc pas à l’âge limite. L’agent a également conclu qu’aucune des deux demanderesses ne serait exposée à des difficultés.
III.
Analyse
[6] Nul ne conteste que les décisions d’ordre humanitaire sont hautement discrétionnaires et commandent l’application de la norme de la « décision raisonnable »
(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, et Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]).
[7] Les demanderesses comptent beaucoup sur les efforts qu’a déployés leur père pour les parrainer. Elles s’appuient grandement sur l’élément de sympathie, en partie parce que l’âge requis pour qu’elles soient admissibles a changé depuis la première demande et qu’elles auraient pu être admissibles en raison de leur âge si l’une des deux premières demandes avait été accueillie ou si la limite d’âge n’avait pas été modifiée au moment où M. Singh a présenté sa demande en 2015, laquelle a finalement été accueillie.
[8] Selon les demanderesses, l’agent a appliqué le mauvais critère juridique parce qu’il a donné une plus grande importance aux difficultés qu’aux autres facteurs d’ordre humanitaire pertinents et qu’il n’a pas tenu compte de la preuve faisant état des conditions défavorables dans ce pays. Elles ont ajouté que l’agent leur avait dit qu’elles devaient démontrer l’existence de [traduction] « circonstances exceptionnelles »
pour justifier une dispense exceptionnelle.
[9] En toute déférence, je ne crois pas que l’agent ait appliqué un critère juridique erroné. Voici ce qu’a conclu la juge Abella au paragraphe 21 de l’arrêt Kanthasamy :
Mais comme le montre l’historique législatif, la série de dispositions « d’ordre humanitaire » formulées en termes généraux dans les différentes lois sur l’immigration avaient un objectif commun, à savoir offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Chirwa, p. 364).
[10] Dans la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482, le juge Zinn a dit de façon succincte, au paragraphe 19, que le critère consiste à se demander si la dispense qui permet d’échapper à la sévérité de la loi, et dont la nature est exceptionnelle, est justifiée compte tenu des circonstances propres au demandeur qui sont de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager ses malheurs.
[11] En résumé, c’est la dispense qui est exceptionnelle, et non les circonstances. L’agent n’a pas explicitement exigé des demanderesses qu’elles démontrent l’existence de circonstances exceptionnelles, mais le défendeur a souligné que de pareilles circonstances devaient être énoncées dans les observations présentées à la Cour.
[12] Dans la décision Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158, le juge McHaffie a dégagé, au paragraphe 21, le sens de mots tels que « exceptionnel »
ou « extraordinaire »
:
[D]ans la mesure où des termes tels qu’« exceptionnelle » ou « extraordinaire » sont utilisés de façon purement descriptive, leur utilisation semble être conforme à celle qu’en fait la majorité dans l’arrêt Kanthasamy, bien que cette utilisation puisse ne pas ajouter grand‑chose à l’analyse. Toutefois, si tant est que ces termes visent à importer, dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire, une norme juridique différente de celle établie dans les décisions Chirwa et Kanthasamy (qui suppose l’existence de faits « de nature à inciter [toute personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” »), cela semble contraire aux motifs énoncés par la majorité. Étant donné la possibilité que des termes tels qu’« exceptionnelle » et « extraordinaire » soient utilisés au‑delà du simple descriptif pour entraîner l’application d’une norme juridique plus stricte, il serait peut‑être plus utile de s’en tenir à l’approche adoptée dans l’arrêt Kanthasamy, plutôt que d’ajouter des qualificatifs supplémentaires.
[13] Compte tenu de ce cadre, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’aucune circonstance ne justifiait une dispense extraordinaire. Un lien suffisant n’a pas été établi entre la preuve faisant état des conditions générales dans ce pays et les difficultés auxquelles seraient exposées les demanderesses, lesquelles sont des adultes relativement indépendantes, instruites et en bonne santé qui bénéficient d’un soutien financier et du soutien de leur famille élargie en Inde.
[14] La sympathie a ses limites. Il n’en demeure pas moins qu’à l’époque où M. Singh avait déjà tenté de parrainer ses filles (qui étaient alors admissibles en raison de leur âge ou l’étaient presque), il n’avait pas lui‑même la qualité nécessaire pour présenter les demandes.
[15] Les demanderesses soutiennent qu’elles devraient être autorisées à venir au Canada pour avoir de meilleures perspectives d’avenir, ce qui leur permettrait aussi, vraisemblablement, de remplir le « critère d’établissement »
exigé dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Toutefois, une telle utilisation de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire constituerait un régime d’immigration parallèle et n’est pas une utilisation appropriée de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.
IV.
Conclusion
[16] Pour tous ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans les dossiers IMM‑7199‑19 et IMM‑7201‑19
LA COUR statue que les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Il n’y a aucune question à certifier.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑7199‑19
|
INTITULÉ :
|
GURPREET KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
ET DOSSIER :
|
IMM‑7201‑19
|
INTITULÉ :
|
SANDEEP KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VISIOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 28 février 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE PHELAN
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
LE 2 juin 2022
|
COMPARUTIONS :
Raj Sharma
|
Pour les demanderesses
|
Meenu Ahluwalia
|
Pour LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart Sharma Harsanyi
Cabinet d’avocats
Calgary (Alberta)
|
Pour les demanderesses
|
Procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
|
Pour LE DÉFENDEUR
|