Dossier : IMM‑5576‑21
Référence : 2022 CF 876
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 13 juin 2022
En présence de madame la juge Go
ENTRE :
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JAY DALIC SOSA RONQUILLO
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Le demandeur, M. Jay Dalic Sosa Ronquillo, est un citoyen du Mexique. Après avoir perdu son emploi en raison d’une restructuration, en 2018, il a vu sur le réseau social Facebook une publicité relative à des possibilités d’emploi au Canada par l’intermédiaire d’une agence ayant pour nom Gonsa Company [Gonsa]. Gonsa se présentait comme une agence certifiée par le gouvernement du Canada. Le demandeur a franchi les étapes en vue de l’obtention d’un permis de travail avec l’aide de Gonsa, en contractant un emprunt pour acquitter les frais exigés par l’agence. Gonsa a fait savoir au demandeur qu’elle lui avait trouvé un travail. Elle a aussi prétendu, initialement, qu’elle paierait son billet d’avion et son hébergement, avant de changer sa position à ce sujet.
[2] Pendant que le demandeur attendait pour monter dans l’avion à l’aéroport, au Mexique, une personne inconnue lui a fait savoir que son permis de travail était illégal puisqu’il ne l’autorisait pas à travailler. Lorsque le demandeur a appelé Gonsa pour l’informer qu’il ne prendrait pas son vol, mais qu’il dénoncerait l’agence, celle‑ci lui a dit qu’elle tuerait sa mère s’il ne montait pas à bord et qu’elle l’attendrait s’il revenait au Mexique.
[3] Le demandeur a alerté sa mère et est monté à bord de l’appareil. Il est arrivé à Toronto en octobre 2018. Un employé de Gonsa l’a amené dans une petite chambre où se trouvaient plusieurs autres hommes. Le demandeur devait payer 600 $ par mois pour le loyer et a dû acheter son propre matelas et sa propre couverture. Après avoir travaillé pendant plusieurs jours, quelqu’un lui a dit qu’il était trop lent et qu’il devait trouver lui‑même un autre travail de sorte qu’il puisse payer son loyer.
[4] Deux mois plus tard, le demandeur s’est enfui de la maison où il demeurait. Avec l’aide d’une femme qu’il a connue sur Facebook, il s’est rendu à Leamington. Cette nuit‑là, le demandeur a reçu un appel proférant des menaces à l’endroit de sa mère. Sa mère s’est ensuite rendue au bureau de Gonsa et a menacé de dénoncer ses agissements, mais l’homme qui était présent lui a dit que le demandeur serait tué si elle tentait quoi que ce soit. Elle a plus tard remarqué qu’elle était surveillée.
[5] Un avocat a fait savoir au demandeur qu’il pouvait demander l’asile, ce qu’il a fait le 10 avril 2019, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au motif qu’il craint l’agence qui l’a recruté pour effectuer du travail forcé au Canada.
[6] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que le demandeur n’avait établi aucun lien avec un motif prévu par la Convention au titre de l’art 96 et a apprécié sa demande d’asile au titre du seul art 97. Elle avait aussi des préoccupations quant à la crédibilité du demandeur, mais elle a conclu que la question déterminante était la possibilité de refuge intérieur [PRI] dont disposait le demandeur au Mexique. La Section d’appel des réfugiés [la SPR] a confirmé la décision de la SPR quant à la PRI sans examiner la question de la crédibilité (la décision).
[7] Le demandeur soutient que la SAR a écarté des éléments de preuve selon lesquels Gonsa avait des liens avec un cartel et aurait les moyens et la motivation voulus pour le retrouver dans les lieux proposés comme PRI. Je rejette la demande parce que la décision était raisonnable.
II.
Questions en litige et norme de contrôle
[8] Le demandeur affirme qu’il y a deux questions en litige : 1) la norme de contrôle, et 2) la question de savoir si la décision est raisonnable.
[9] Les deux parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[10] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif qui lui est propre, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences : Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135.
[11] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou les préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ou une « erreur mineure »
: Vavilov, au para 100.
III.
Analyse
[12] Le demandeur affirme que la SAR s’est méprise sur les éléments de preuve, contrairement à l’arrêt Vavilov, aux para 126 et128, et à la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF).
[13] Le demandeur estime que la SAR s’est largement fondée sur sa conclusion selon laquelle Gonsa n’avait pas de liens avec le cartel Los Zetas pour conclure qu’il y avait une PRI viable. Il a déclaré qu’il savait que Gonsa était liée à Los Zetas parce qu’un voisin lui avait dit que les gens qui surveillaient la résidence de sa mère étaient les mêmes qui avaient assassiné un voisin pour une somme d’argent. Il prétend que la SAR s’est méprise au sujet de son témoignage et que le commissaire a plutôt présenté sa propre interprétation.
[14] J’estime que la SAR n’a pas commis une telle erreur.
[15] D’abord, les éléments de preuve présentés par le demandeur en ce qui concerne le lien entre Gonsa et le cartel sont pour le moins fragmentaires. Des éléments pertinents du témoignage offert par le demandeur devant la SPR ont été reproduits dans la décision. Après avoir décrit qu’un voisin de sa mère avait vu des personnes inconnues dans la rue et avoir prétendu qu’il s’agissait des mêmes personnes de chez Gonsa, qui étaient des « tueurs à gages »
de l’un des cartels, Los Zetas, le demandeur a poursuivi son témoignage en répondant aux questions de sa conseil et du commissaire :
CONSEIL : Comment savez‑vous qu’il s’agit du cartel des Zetas?
CONSEIL : Pardon?
INTERPRÈTE : Mon voisin a été assassiné pour une certaine somme d’argent, et il s’agissait des mêmes personnes.
[…]
COMMISSAIRE DE LA SPR : Vous avez aussi dit à la conseil que les individus qui continuent de se présenter au domicile de vos mères sont des membres du cartel las sitas [traduction] vous savez qu’ils sont des membres du cartel ou vous savez qu’ils sont des membres du cartel
APPELANT [INT] : Bien, il y avait beaucoup de discussions dans la maison [au Canada] et il a été souvent mentionné que le cartel des sitas est à lascalas, et en fait, un de mes voisins avait été assassiné par un des membres des sitas
COMMISSAIRE DE LA SPR : Êtes‑vous certain qu’il s’agit de membres du cartel, ou formulez‑vous des hypothèses, Monsieur?
INTERPRÈTE : Moi, l’interprète, j’ai de la difficulté à entendre le demandeur d’asile.
APPELANT [INT] : Bien, nous savons que c’est eux parce qu’ils se présentaient toujours dans des camions avec des fenêtres teintées sombres. C’est quelque chose qui est défendu au Mexique, mais leurs fenêtres étaient pourtant ainsi, et souvent, les individus comme ceux‑là sont ceux qui font cela
COMMISSAIRE DE LA SPR : Êtes‑vous certain qu’il s’agit de membres du cartel, ou formulez‑vous des hypothèses, Monsieur? Je le demande pour la troisième fois.
APPELANT [INT] : Oui, je ne suis pas tout à fait certain, mais ce sont des personnes qui vont me porter préjudice.
[16] La SAR a conclu ce qui suit :
[37] Il ressort de la lecture globale de l’extrait mentionné plus haut que l’appelant n’affirme pas que la même personne est membre du cartel des Zetas. Il répond plutôt : « Ce sont les mêmes personnes de chez Gonza ». En réponse à d’autres questions, l’appelant tente de créer un lien entre les hommes qui ont assassiné son voisin et ceux qui se trouvaient à l’extérieur du domicile de sa mère, mais cette information est très vague. […]
[Souligné dans l’original.]
[17] J’estime que l’analyse effectuée par la SAR était raisonnable à la lumière du témoignage présenté par le demandeur. En fait, la SAR a interprété le témoignage du demandeur de façon favorable en concluant que celui‑ci ne laissait pas entendre que l’homme qui avait tué son voisin était aussi celui qui était à l’extérieur du domicile de sa mère. Ce faisant, elle permettait au demandeur d’établir le lien entre Gonsa et le cartel sans devoir prouver que la menace qui pesait contre lui provenait d’un tueur à gages donné, mais l’information fournie par le demandeur était tout simplement trop vague pour que le lien soit établi.
[18] À l’audience, le demandeur a fait savoir que, même s’il n’était pas complètement sûr que l’homme qui avait tué son voisin était le même qui se trouvait à l’extérieur du domicile de sa mère, cela n’équivalait pas à formuler des hypothèses, et qu’il était déraisonnable d’écarter son témoignage de cette façon.
[19] Avec égards, la SAR n’a rien fait de tel. Comme il a déjà été mentionné, la SAR ne s’attendait pas à ce que le demandeur prouve que le tueur à gages et la personne inconnue étaient la seule et même personne. Par ailleurs, le demandeur a affirmé dans son témoignage, au sujet du lien présumé avec le cartel, qu’il n’était « pas tout à fait certain »
, ce qui est loin d’être concluant.
[20] De plus, le demandeur affirme que la SAR a tenu un raisonnement circulaire lorsqu’elle a écarté son témoignage au sujet de sa mère, tout simplement parce qu’il n’était pas certain de l’identité de la personne qui était à l’extérieur de son domicile. Cet argument est sans fondement. Comme la SAR l’a souligné dans la décision, le demandeur ne s’appuyait même pas sur de l’information qui lui avait été fournie par sa mère elle‑même; il s’appuyait sur de l’information qui lui aurait été transmise par des voisins. La SAR a aussi fait remarquer que la déclaration solennelle de la mère du demandeur « ne mentionn[ait] aucunement que les hommes qui se trouvaient à l’extérieur de son domicile [étaient] associés au cartel des Zetas. Elle mentionn[ait] plutôt que les hommes venaient de l’entreprise Gonsa, et qu’elle n’[était] pas en mesure de retourner à son domicile parce qu’elle sa[va]it que l’entreprise Gonsa recherch[ait] [le demandeur] »
. Ce dernier ne souligne aucune erreur dans ces conclusions, et je n’en vois pas non plus.
[21] En outre, le demandeur soutient qu’il a donné une raison supplémentaire pour expliquer pourquoi il croyait que les personnes qui surveillaient sa mère faisaient partie du cartel Los Zetas, soit qu’elles avaient les mêmes camions aux vitres teintées, ce qui est interdit au Mexique. La SAR a rejeté cette raison, en affirmant :
[39] Je n’admets pas l’argument de l’appelant selon lequel les fenêtres teintées des voitures situées près de la maison de sa mère sont des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il s’agit de membres du cartel des Zetas. Je ne possède pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant que les membres des cartels, plus précisément les membres du cartel des Zetas, sont les seules personnes ayant des fenêtres illégalement teintées. Le fait que les fenêtres soient teintées est insuffisant à tirer une quelconque conclusion à l’égard de l’identité des hommes se trouvant à l’extérieur de la maison de la mère de l’appelant.
[22] Je ne relève pas d’erreur dans le raisonnement de la SAR à cet égard, lequel est à la fois justifié et logique.
[23] Le demandeur soutient que le fait que la SAR a reconnu que « [s]i […] le même homme qui avait tué son voisin était aussi celui qui était à l’extérieur du domicile de sa mère, il est évident que cela serait de l’information extrêmement importante et précise »
. Il prétend que, par cette observation, la SAR reconnaît que l’information en question a eu une incidence quant à l’issue de l’analyse relative à la PRI.
[24] L’argument avancé par le demandeur exclut le fait qu’il lui incombait d’établir le lien entre Los Zetas et Gonsa afin de réfuter la conclusion tirée par la SAR quant à la PRI. Le demandeur n’ayant pas pu établir ce lien, la SAR a conclu raisonnablement que Gonsa, à elle seule, n’aurait pas les moyens ou la motivation voulus pour retrouver le demandeur dans les lieux proposés comme PRI. La conclusion de la SAR était totalement justifiée, transparente et intelligible, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve.
[25] Enfin, il convient de répéter que la SAR s’est concentrée uniquement sur la question déterminante de la PRI, et n’a pas pris en compte les diverses conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité. En confirmant la décision, je n’ai pas non plus examiné les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, et ma décision ne saurait être considérée comme une approbation des conclusions en question.
IV.
Conclusion
[26] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[27] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5576‑21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Avvy Yao‑Yao Go »
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet, trad. a
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑5576‑21
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INTITULÉ :
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JAY DALIC SOSA RONQUILLO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 4 mai 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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la juge GO
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DATE DES MOTIFS :
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Le 13 JuIn 2022
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COMPARUTIONS :
Daisy (Dongni) Sun
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pour le dEmandeur
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Alex Kam
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Aminder Kaur Mangat
Avocate
Toronto (Ontario)
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pour le dEmandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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pour le défendeur
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