Date : 20220608
Dossier : IMM‑7102‑21
Référence : 2022 CF 855
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 8 juin 2022
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE :
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HARJOT SINGH
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] M. Harjot Singh, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 2 octobre 2021, par laquelle un agent des visas a refusé de lui accorder le permis de travail qu’il avait demandé. La demande de contrôle judiciaire a été présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].
I.
Les faits
[2] M. Harjot Singh est un citoyen indien qui a suivi un programme d’études au Collège Langara, en Colombie‑Britannique. Au terme de ses études, qui se sont échelonnées de mai 2016 à août 2019, il a obtenu un [TRADUCTION]°« diplôme d’études supérieures en logistique et chaînes d’approvisionnement de la Faculté de l’éducation permanente »
.
[3] Le demandeur a demandé un permis de travail appelé « permis de travail postdiplôme »
(PTPD) afin de pouvoir travailler au Canada après l’obtention de son diplôme. Il a présenté sa demande en août 2019; la demande comprenait une [TRADUCTION]°« lettre de fin d’études »
du Collège Langara indiquant qu’une interruption des cours, prévue au calendrier du programme, a eu lieu de septembre 2018 à décembre 2018. Le demandeur a quitté le Canada pour retourner en Inde le 19 septembre 2019 et son permis d’études, alors valide, a expiré le 30 novembre 2019.
[4] Le 26 novembre 2019, la demande de PTPD du demandeur a été refusée parce que ce dernier n’avait pas étudié à temps plein pendant au moins huit mois consécutifs. La lettre informait également le demandeur que son statut de résident temporaire allait expirer le 30 novembre 2019.
[5] Le demandeur n’ayant pas pu revenir au Canada parce que la demande de visa qu’il avait présentée depuis l’Inde a été refusée le 20 décembre 2019, un ami se trouvant au Canada lui a fait parvenir certains documents en février 2020. Le demandeur affirme que ces documents étaient destinés à lui permettre de décider des prochaines mesures à prendre relativement au refus de sa demande de PTPD. Le demandeur a ensuite attendu au 24 juillet 2020 pour demander que des renseignements lui soient fournis (par l’intermédiaire du Système mondial de gestion des cas (le GCMS) quant au refus de sa demande de PTPD. Les notes consignées dans le GCMS ont été reçues le 14 août 2020. Le demandeur prétend que la [TRADUCTION]°« lettre de fin d’études »
contient une erreur, c’est‑à‑dire que l’interruption des cours prévue au calendrier du programme a eu lieu du 1er septembre 2017 au 1er décembre 2017, et non en 2018 comme la lettre l’indique.
Les questions posées à l’audience n’ont pas permis de déterminer clairement quelle différence cela pouvait faire sachant que les notes consignées dans le SMGC signalent des interruptions des études qui sont bien plus problématiques.
[Traduction]
Le client demande un PTPD. Le client a terminé un programme d’études de deux ans en logistique et chaînes d’approvisionnement au Collège Langara. Les relevés de notes fournis par le client indiquent que le client n’est pas demeuré aux études à temps plein. Selon les relevés de notes, le client a commencé à suivre le programme à la session d’été 2016. Cependant, le client n’était pas inscrit aux sessions de l’automne 2016, du printemps 2017, de l’automne 2017, de l’automne 2018 et du printemps 2019. La lettre d’achèvement des études indique qu’il n’y a pas eu de cours à la session d’automne 2018, comme le prévoyait le calendrier du programme, mais il s’agit là de la seule interruption légitime dont la lettre fait mention. Étant donné que le client n’a pas conservé son statut d’étudiant à temps plein pendant chacune des sessions du programme, il n’est pas admissible à une dispense C43. La demande est refusée au titre du sous‑alinéa 205c)(ii) du Règlement. Le demandeur a été avisé qu’il devait faire rétablir son statut.
[Non souligné dans l’original.]
Il semble que l’avocat ait cherché à laisser entendre que l’interruption des cours avait en fait eu lieu à l’automne 2017, plutôt qu’à l’automne 2018. Il semble, si l’on se fie aux notes, qu’il y ait eu de nombreuses interruptions, y compris à l’automne 2017 et à l’automne 2018. Comme l’expliquent les notes, la lettre ne fait mention que d’une seule interruption légitime. Que celle‑ci ait eu lieu à l’automne 2018 ou à l’automne 2017 ne change rien aux autres interruptions.
[6] Le demandeur n’a communiqué avec le Collège Langara pour demander que l’« erreur »
soit corrigée que le 25 août 2020. Une lettre rectifiant les dates de l’« interruption prévue »
a été envoyée le 2 octobre 2020. Le demandeur n’a jamais contesté la décision du 26 novembre 2019 par laquelle sa demande de PTPD a été refusée. On voit mal, à la lumière du présent dossier, en quoi des dates différentes pour [TRADUCTION]°l’« interruption prévue »
auraient pu changer quoi que ce soit à la décision d’accorder ou non un PTPD au demandeur. Quoi qu’il en soit, il y avait une question plus déterminante en l’espèce, soit celle de savoir si le demandeur avait la possibilité de présenter une seconde demande.
[7] Ce qui s’est plutôt produit, c’est que le demandeur a de nouveau présenté une demande en vue d’obtenir le même type de permis, mais cette fois, le 26 octobre 2020. Cette seconde demande a été refusée par un agent des visas le 2 octobre 2021. Il s’agit de l’unique décision dont la Cour est saisie dans le cadre du présent contrôle judiciaire. En fait, les questions relatives à la première demande sont, à toutes fins utiles, non pertinentes.
II.
La décision faisant l’objet du présent contrôle
[8] La lettre de décision du 2 octobre 2021 indique que le permis de travail est refusé pour la raison suivante : [TRADUCTION]°« Votre permis d’études ayant expiré, vous ne pouvez obtenir un permis de travail postdiplôme. »
Les notes du SMGC n’ont pas été rédigées avec beaucoup d’élégance, mais elles expliquent de façon plus exhaustive les motifs qui sous‑tendent la décision. Les notes font partie de la décision (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 44. Le paragraphe rédigé le 2 octobre 2021 se lit comme suit :
[Traduction]
Le demandeur a fourni un relevé de notes daté du 22 août 2019 délivré par le Collège Langara indiquant qu’il a obtenu un diplôme d’études supérieures en logistique et chaînes d’approvisionnement en août 2019. Le demandeur a présenté la présente demande de permis de travail le 26 octobre 2020 et a terminé son programme d’études en août 2019. Par conséquent, je ne suis pas suffisamment convaincu que le demandeur remplit les critères pour l’obtention d’un PTPD, car il s’est écoulé bien plus de 180 jours depuis qu’il a été avisé de l’achèvement de son programme par son EED. La demande est refusée.
[9] Ce qu’il faut comprendre, en dépit de cette formulation alambiquée, c’est que le demandeur disposait d’un délai de 180 jours à compter de la fin de ses études pour présenter une demande de PTPD. Le demandeur ayant terminé ses études en août 2019, ce délai était depuis longtemps expiré lorsqu’il a présenté sa demande en octobre 2020. L’acronyme « EED »
utilisé dans les notes fait référence à l’établissement d’enseignement désigné. En l’espèce, il s’agit du Collège Langana [sic], l’établissement d’enseignement qui a délivré la [TRADUCTION]°« lettre de fin d’études »
.
III.
Les arguments
[10] Dans les faits, le demandeur conteste la décision faisant l’objet du présent contrôle pour deux motifs. Le demandeur soutient dans un premier temps que la décision de refuser de lui accorder un PTPD est déraisonnable parce qu’elle repose uniquement sur le fait que la demande a été présentée plus de 180 jours après l’expiration du permis de travail initial. C’est inexact. La décision faisant l’objet du présent contrôle était fondée sur le fait que la demande a été présentée plus de 180 jours après l’achèvement du programme d’études. Or, que le délai de 180 jours soit calculé à partir de la date d’expiration du permis de travail ou de la date d’achèvement du programme d’études, le résultat est le même : le délai de 180 jours dont disposait le demandeur pour présenter sa demande était depuis longtemps expiré.
[11] Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable parce que le décideur n’a pas exercé le prétendu pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de tenir compte de circonstances exceptionnelles. Ces circonstances exceptionnelles seraient essentiellement liées à la pandémie mondiale qui, selon le demandeur, a entraîné en mars 2020 le décret d’un confinement de quatre mois en Inde et a perturbé le fonctionnement normal du Collège Langara.
[12] Dans un deuxième temps, le demandeur soutient que la décision est inéquitable sur le plan de la procédure parce qu’on ne lui a pas donné la possibilité d’expliquer pourquoi il n’avait pas à nouveau tenté de présenter une demande de PTPD valide avant la fin de la période de 180 jours.
[13] Le défendeur soutient qu’il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire permettant à un agent de faire abstraction de la période d’admissibilité de 180 jours. Il n’y a pas eu non plus de manquement à l’équité procédurale. C’est au demandeur d’un visa qu’il incombe de démontrer que les exigences sont satisfaites. La décision faisant l’objet du présent contrôle est simplement fondée sur les lacunes de la demande : les exigences de base n’étaient pas satisfaites. Le décideur n’est pas tenu d’informer le demandeur de ses préoccupations lorsqu’une demande ne satisfait pas aux exigences.
IV.
Norme de contrôle et analyse
[14] Les parties font valoir qu’un manquement aux exigences relatives à l’équité procédurale doit être examiné selon la norme de la décision correcte, en ce sens que la cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence envers le décideur administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339). Je souligne que, dans l’arrêt Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, la Cour d’appel fédérale a indiqué que les questions d’équité procédurale ne sont soumises à aucune norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt pour la cour de révision d’être convaincue que l’équité procédurale a été respectée. J’estime qu’il s’agit d’une distinction sans importance en l’espèce, puisque la Cour, appliquant la norme de la décision correcte, est parvenue à sa propre conclusion quant à l’équité procédurale, sans avoir à faire preuve de déférence comme c’est le cas lorsque la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 13‑14). Quant à la norme de contrôle qui s’applique aux décisions de refuser d’accorder un visa, la jurisprudence de la Cour est constante : il s’agit de la norme de la décision raisonnable (Ju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 669).
[15] Les raisons pour lesquelles l’argument concernant le caractère raisonnable de la décision ne peut être retenu sont nombreuses. Premièrement, le demandeur n’a jamais démontré que les agents des visas ont le pouvoir discrétionnaire de lever des exigences, y compris le fait que la demande doit être présentée dans les 180 jours suivant la date d’obtention du diplôme. En outre, le permis d’études doit avoir été valide à un moment ou à un autre au cours de la période de 180 jours. En l’espèce, le demandeur n’est pas admissible parce que sa demande a été présentée bien après la fin de la période de 180 jours qui a suivi la date d’achèvement de ses études en août 2019.
[16] Comme il est apparu lors de l’audition de la présente affaire, le demandeur s’appuie exclusivement sur l’existence d’un pouvoir discrétionnaire qui permettrait aux agents des visas d’accorder un visa même lorsque la plus fondamentale des exigences n’est pas respectée, à savoir que la demande doit être présentée dans les 180 jours suivant la fin des études. L’avocat n’a pas été en mesure de citer un quelconque fondement juridique ou de soumettre à la Cour une source suggérant l’existence de ce pouvoir discrétionnaire. Contrairement à ce qui est avancé, la jurisprudence de la Cour indique qu’un tel pouvoir discrétionnaire n’existe pas.
[17] Dans Nookala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1019, l juge Mactavish, alors de notre Cour, a écrit ce qui suit au paragraphe 12 :
[12] Le document relatif au programme en cause en l’espèce établit les critères qu’un candidat doit satisfaire pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme. Même si ce document contient également de l’information et des directives sur la manière d’administrer le programme, rien dans ce document ne confère aux agents de l’immigration le pouvoir de modifier les critères d’admissibilité du programme. En conséquence, l’agent de l’immigration n’a nullement entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a déterminé que M. Nookala devait détenir un permis d’études valide pour obtenir un permis de travail au titre du Programme de travail postdiplôme.
De même, dans Marsh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 408, le juge Russell a indiqué que rien ne conférait aux agents le pouvoir discrétionnaire de modifier ou de lever les critères d’admissibilité, pas même des considérations d’ordre humanitaire. Le juge Russell a conclu que « [l’]agent des visas ne peut simplement méconnaître les conditions obligatoires pour la délivrance d’un PTPD »
(para 47). En l’espèce, le demandeur n’a même pas cherché à obtenir une dispense au titre de l’article 25 de la Loi.
[18] En l’absence d’un pouvoir discrétionnaire permettant de lever les exigences, le demandeur ne peut obtenir gain de cause relativement à sa demande de contrôle judiciaire.
[19] Qui plus est, rien au présent dossier n’indique que la pandémie a empêché le demandeur de présenter une demande avant la fin de la période de 180 jours. Le seul élément de preuve à cet égard vient du demandeur, qui affirme qu’en mars 2020, un confinement complet a été décrété en Inde (affidavit du demandeur, para 10). Le demandeur n’a fourni aucun renseignement sur ce que ce confinement a impliqué en Inde, il n’a pas précisé la date à laquelle il a commencé en mars 2020 et n’a pas indiqué en quoi ce confinement l’a empêché d’assurer un suivi en temps opportun.
[20] En effet, il semble que la période de 180 jours se soit terminée avant que la pandémie ne se déclare en mars 2020. La période de 180 jours commence à la date de la lettre officielle délivrée par l’établissement d’enseignement; en l’espèce, cette lettre est datée du 12 août 2019. Il s’ensuit que la période de 180 jours était déjà terminée en mars 2020. L’argument de la pandémie n’est donc pas pertinent.
[21] Le demandeur soutient également que l’agent aurait dû normalement lui donner la possibilité de dissiper ses préoccupations quant au non‑respect des exigences du programme.
[22] Cet argument n’est pas fondé. Il existe une longue liste de décisions dans lesquelles la Cour a confirmé que le « principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un “résultat intermédiaireˮ des lacunes que comporte sa demande [...]. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l’ancienne Loi et de son règlement d’application [...] »
(Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 au para 23). En l’espèce, l’exigence selon laquelle la demande doit être présentée dans un délai de 180 jours entre clairement dans la catégorie des questions qui n’exigent pas qu’un « résultat intermédiaire »
soit transmis au demandeur. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu manquement à un principe d’équité procédurale.
V.
Conclusion
[23] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier au titre de l’article 74 de la Loi. La Cour est du même avis.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑7102‑21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier au titre de l’article 74 de la Loi.
« Yvan Roy »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑7102‑21
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INTITULÉ :
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HARJOT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 16 mai 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE ROY
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DATE DES MOTIFS :
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Le 8 juin 2022
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COMPARUTIONS :
Arshinder Dhillon
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POUR LE DEMANDEUR
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Jessica Ko
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cowley and Compagny
Surrey (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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