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Date : 20220607


Dossier : IMM-1287-20

Référence : 2022 CF 828

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

XIAFEI HU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 18 septembre 2019, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et de protection des réfugiés a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2] Pour les raisons qui suivent, je conclus que la décision contrôlée est raisonnable, et la présente demande sera rejetée.

Le contexte

[3] Le demandeur est un citoyen de la Chine. Il a quitté ce pays en septembre 2016, car il craignait d’être persécuté par les autorités chinoises en raison de sa participation aux activités d’une église chrétienne clandestine.

[4] Le demandeur avait commencé à fréquenter l’église en novembre 2015 après le décès subit d’un ami d’enfance cette année-là, épreuve qui l’a profondément marqué.

[5] Un autre ami a initié le demandeur aux préceptes fondamentaux du christianisme et lui a appris à prier. Cet ami lui a donné une bible. Ils lisaient et priaient ensemble au domicile du demandeur. Ce dernier a trouvé du réconfort dans le christianisme et a décidé d’en faire sa religion. Il a commencé à assister aux messes, qui avaient lieu une fois par semaine. Il a été baptisé et a reçu la communion le 27 mars 2016.

[6] Le soir du 3 juin 2016, le demandeur a reçu un appel de son ami, qui lui a dit que la messe ayant eu lieu dans la soirée, et à laquelle le demandeur n’avait pas assisté, avait peut-être été signalée au Bureau de la sécurité publique [le BSP]. Son ami lui a alors dit qu’il allait se cacher.

[7] Le demandeur a raconté à sa femme ce qui s’était passé, puis est allé se cacher chez un autre ami. Le jour suivant, sa femme lui a appris que le BSP avait fait une rafle à l’église et que plusieurs fidèles avaient été arrêtés. L’ami du demandeur l’a mis en contact avec un passeur, qui lui a obtenu un visa canadien et l’a accompagné au Canada le 19 septembre 2016.

[8] Le 2 octobre 2016, le demandeur a appris par sa femme que, plusieurs jours plus tôt, le BSP avait fouillé le domicile de son ami et avait arrêté ce dernier. Le 6 octobre 2016, deux agents du BSP ont fouillé le domicile du demandeur en Chine, ont interrogé sa famille et ont posé des questions sur ses allées et venues.

[9] Le demandeur a présenté une demande d’asile plusieurs jours plus tard. Il s’est joint à une église au Canada et a continué à assister à des messes et à des événements.

La décision de la SPR

[10] La question déterminante aux yeux de la SPR concernait la crédibilité du demandeur. La SPR a conclu que le témoignage rendu par le demandeur à l’audience était vague, évasif et incohérent, en particulier à l’égard des questions qui exigeaient des explications plus détaillées que celles données dans le formulaire « Fondement de la demande d’asile » [le formulaire FDA] du demandeur. La SPR a jugé que, pour l’essentiel, le témoignage du demandeur constituait une récitation du contenu de son formulaire FDA.

[11] À titre d’exemple, la SPR a fait remarquer que le demandeur avait donné des réponses incohérentes à des questions sur le moment où son ami l’avait initié au christianisme : il a d’abord dit que c’était en septembre 2015 et ensuite que c’était en fait avant cela. La SPR a conclu que les réponses du demandeur au sujet de ce que son ami lui avait appris étaient vagues et qu’elles manquaient de détails.

[12] La SPR a également souligné que le récit du demandeur au sujet de la fréquence de ses visites à l’église clandestine était incohérent et changeant.

[13] La SPR a interrogé le demandeur au sujet du manque de preuve corroborante à l’appui de sa demande; elle a souligné que le demandeur aurait pu demander à sa femme de fournir une lettre et qu’il aurait pu présenter une preuve de la mort de son ami d’enfance. La SPR a conclu que les réponses du demandeur à ces questions étaient évasives et qu’elles n’étaient pas crédibles. Elle a rejeté, pour cause d’invraisemblance, l’explication du demandeur selon laquelle il ignorait qu’il devait produire une preuve corroborante parce que son avocat lui avait dit que son témoignage serait suffisant. La SPR a de plus jugé insensée, et a donc rejeté, la déclaration du demandeur selon laquelle il avait pensé demander à son pasteur canadien de témoigner à l’audience, mais qu’il avait simplement omis de le faire.

[14] La SPR a également posé des questions sur le lien du demandeur avec le christianisme et sur sa connaissance de cette religion. La SPR a conclu que le demandeur n’a pas pu expliquer de façon convaincante sa foi et sa façon personnelle de la vivre et qu’il avait répondu comme un perroquet aux questions portant sur des concepts fondamentaux du christianisme, comme l’évangile, le baptême et la communion. Elle a jugé que les réponses du demandeur à d’autres questions, par exemple au sujet des croyances des chrétiens au sujet de Jésus, étaient évasives et qu’elles manquaient de détails.

[15] La SPR a examiné une courte lettre d’un ministre principal de la Toronto Christian Alliance Church, qui confirmait que le demandeur assistait à des messes et à des activités évangéliques depuis octobre 2016. La SPR a souligné que la lettre ne contenait pas suffisamment d’information au sujet du lien personnel qui unissait le ministre et le demandeur ou au sujet de la foi de ce dernier. La SPR a également examiné une photographie des personnes présentes à un événement organisé par l’église auquel avait participé le demandeur. Elle a conclu que la valeur probante de ces documents était insuffisante pour dissiper ses préoccupations au sujet de la crédibilité du demandeur.

[16] Par conséquent, la SPR n’a pas été convaincue de la véracité de l’allégation principale formulée dans la demande d’asile du demandeur — à savoir qu’il était un véritable chrétien — et elle a donc conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

La décision de la SAR

[17] En appel, le demandeur a fait valoir que la SPR avait analysé de manière injuste sa connaissance du christianisme en lui posant des questions futiles, et que son témoignage ainsi que la preuve documentaire démontraient sa foi chrétienne.

[18] La SAR a conclu que la SPR avait effectivement posé des questions futiles à deux occasions — à savoir quand elle a interrogé le demandeur au sujet du nom de sa confession chrétienne (vu la difficulté qu’a eue l’interprète à traduire le mot [traduction] « pentecôtiste ») puis au sujet de la version de la bible qu’il lisait —, mais que ces questions n’avaient pas été déterminantes pour l’issue de l’appel étant donné qu’elles étaient futiles et qu’elles n’avaient pas influencé la décision de la SPR.

[19] La SAR a souscrit à l’avis de la SPR selon lequel le témoignage du demandeur au sujet des enseignements du christianisme semblait être une récitation du contenu du formulaire FDA. Elle était aussi d’accord pour dire que le demandeur n’avait pas été capable de répondre spontanément aux questions qui s’éloignaient de celles du formulaire, notamment aux questions portant sur des concepts fondamentaux tels que les dix commandements et l’évangile. À l’instar de la SPR, la SAR a conclu qu’on pouvait faire la même observation au sujet du témoignage du demandeur en ce qui concerne sa foi et sa façon personnelle de la vivre et des événements invoqués à l’appui de sa demande.

[20] La SAR a également conclu que le témoignage du demandeur relativement à sa pratique religieuse était incohérent et qu’il manquait de détails. Elle a, par exemple, mentionné la déclaration du demandeur selon laquelle il ne se souvenait pas s’il avait été baptisé en Chine.

[21] La SAR a convenu qu’une conclusion défavorable devait être tirée de l’omission du demandeur de présenter une preuve corroborante des événements qui se sont produits en Chine et de son incapacité à justifier cette omission par une explication raisonnable. La SAR a aussi confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la lettre et la photo de l’église fréquentée par le demandeur n’avaient pas une valeur probante suffisante pour dissiper les préoccupations au sujet de la crédibilité de ce dernier.

[22] Enfin, bien que la SPR ne l’ait pas elle-même fait, la SAR s’est penchée sur la question de savoir si le demandeur pouvait établir le bien-fondé d’une demande d’asile sur place. La SAR a conclu qu’il ne pouvait pas le faire. Elle a noté que rien n’indiquait que les activités religieuses du demandeur avaient été portées à l’attention des autorités chinoises. De plus, la SAR a remis en question l’authenticité de la foi du demandeur en raison des conclusions défavorables qu’elle a tirées au sujet de la crédibilité de son témoignage et de la faible valeur probante des documents corroborants qu’il a présentés.

[23] La SAR a donc conclu que le demandeur n’avait pas établi l’authenticité de sa foi chrétienne, et elle a rejeté l’appel.

Les questions en litige

[24] Le demandeur a traité de deux questions : 1) les conclusions de la SAR au sujet de son identité comme chrétien, et 2) les conclusions de la SAR au sujet de sa demande d’asile sur place. En fin de compte, il s’agit de déterminer si la décision de la SAR à l’égard de ces questions et de l’appel dans son ensemble était raisonnable.

Analyse

[25] Je note tout d’abord que la décision de la SAR est détaillée et qu’elle contient, en notes de bas de page, 69 références juridiques et factuelles. La SAR n’a pas répété aveuglément les conclusions de la SPR.

[26] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement remis en cause son identité chrétienne et qu’elle a déraisonnablement conclu que la SPR ne lui avait pas posé de questions futiles sur la religion. Or, comme on l’a vu, la SAR a convenu qu’au moins deux des questions de la SPR sur l’identité du demandeur étaient futiles.

[27] Le demandeur soutient que ses réponses aux questions portant sur les croyances des chrétiens, sur Jésus et sur la signification de la communion étaient compatibles avec les enseignements du christianisme et qu’elles démontraient qu’il pouvait donner des réponses qui ne répétaient pas simplement le contenu du formulaire. À mon avis, cet argument indique uniquement que le demandeur conteste les conclusions de la SAR. Le demandeur n’a pas expliqué en quoi l’analyse de la SAR était déraisonnable ni pourquoi il estimait que les questions de la SPR sur les enseignements du christianisme, Jésus et la communication étaient futiles. Il soutient simplement que la preuve aurait pu appuyer une conclusion différente au sujet de son identité religieuse. Il ne s’agit pas d’un motif de contrôle judiciaire valable. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve et de substituer ses opinions à celles du décideur.

[28] La SPR peut interroger un demandeur d’asile au sujet de ses connaissances religieuses pour évaluer la sincérité de sa foi à condition de ne pas fonder sa conclusion à cet égard sur une norme déraisonnablement élevée (voir Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1139 aux para 22–26; Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 595 au para 15). Il a été conclu qu’il s’agit d’un moyen légitime d’apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile.

[29] En l’espèce, je ne vois aucune raison de remettre en question la conclusion de la SAR selon laquelle le manque de détails et de spontanéité dans les réponses du demandeur à des questions ouvertes sur des enseignements fondamentaux du christianisme avait miné sa crédibilité et laissé planer des doutes sur l’authenticité de sa foi.

[30] Le demandeur soutient également que même si la SAR a tiré plusieurs conclusions défavorables en matière de crédibilité, elle n’était parvenue à aucune conclusion définitive au sujet de son identité religieuse, ce qui constitue, selon lui, une erreur. Le demandeur s’appuie sur la décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 132, dans laquelle le juge O’Reilly a conclu que la Commission n’avait pas tiré de conclusion définitive selon laquelle le demandeur n’était pas un vrai chrétien et qu’elle avait par conséquent omis d’examiner la question de savoir si le demandeur risquait d’être persécuté du fait de sa religion advenant son renvoi en Chine.

[31] Les observations du demandeur sur ce point sont sans fondement. La SAR a manifestement conclu que le demandeur n’était pas un véritable chrétien. Pour ne citer qu’un seul exemple, la SAR a conclu, au paragraphe 48 de ses motifs, que « la SPR a eu raison de conclure que le [demandeur] n’était pas un témoin crédible et qu’il n’a[vait] pas établi l’authenticité de sa foi chrétienne ». En l’espèce, la décision de la SAR ne laisse aucun doute quant au fait qu’elle a conclu que le demandeur n’est pas un véritable chrétien et qu’il ne serait pas persécuté s’il devait retourner en Chine.

[32] Enfin, le demandeur soutient que l’évaluation, par la SAR, de la demande d’asile sur place n’était pas raisonnable. Il affirme que la SAR n’a fourni aucun motif convaincant pour expliquer pourquoi la lettre du ministre était dépourvue de valeur probante relativement à son identité religieuse et qu’elle n’a pas expliqué ce que le ministre aurait pu dire d’autre. Le demandeur soutient de plus que les erreurs qui auraient été faites relativement à sa demande principale — à savoir la façon dont sa foi et ses connaissances religieuses ont été évaluées et l’absence de conclusion définitive concernant son identité religieuse — ont aussi rendu déraisonnable l’analyse de la demande d’asile sur place.

[33] Je ne vois rien de déraisonnable dans le raisonnement de la SAR au sujet de la demande d’asile sur place, question que la SAR a soulevée.

[34] La SAR a souligné à juste titre que la lettre confirme seulement que le demandeur fréquentait l’église et qu’il a participé à d’autres activités religieuses. Bien que la SAR ait affirmé, à la fin du paragraphe 41 de ses motifs, que la lettre n’avait pas de valeur probante relativement à l’identité religieuse du demandeur, je suis d’avis que cette déclaration est analogue à la phrase qui suit au sujet de la photographie : « La SPR a eu raison de conclure que la photo n’a[vait] pas une valeur probante suffisante pour établir que les activités [du demandeur] au sein de l’église au Canada découl[aient] d’un engagement authentique à l’égard de sa foi. » Selon moi, il n’était pas déraisonnable que la SAR conclue que ces documents ne démontraient pas l’authenticité des convictions religieuses du demandeur. Ces renseignements ont une certaine valeur probante à l’égard de l’identité religieuse, en ce sens que la présence aux messes et la participation à des activités donnent une certaine crédibilité à l’affirmation du demandeur selon laquelle il est chrétien. Toutefois, le témoignage du demandeur a amené la SAR à douter de l’authenticité de sa foi, comme on l’a vu précédemment. La SAR a le droit d’intégrer ses réserves au sujet de la crédibilité du demandeur et de l’authenticité de sa foi dans son appréciation de la demande d’asile sur place (voir Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067 aux para 27–28). Il était loisible à la SAR de conclure que la valeur probante de la lettre n’était pas suffisante pour prouver l’authenticité de l’engagement du demandeur envers le christianisme et avoir ainsi préséance sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité, lesquelles ont mené au rejet de la demande d’asile sur place.

[35] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1287-20

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1287-20

 

INTITULÉ :

XIAFEI HU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 7 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leanne Briscoe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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