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     Date: 19981223

     Dossier: IMM-4657-97

Entre :

     EULALIO CABRERA

     Partie requérante

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre d'une décision de la Section du statut de réfugié (la Section du statut) qui a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi), au motif que le requérant était visé par la clause d'exclusion 1.Fa). Par la même décision, cependant, la Section du statut a décidé que l'épouse du requérant, madame Divas Solis Lesbia Graciela, et les enfants, Mildre, Rudy et Liseth Cabrera, étaient des réfugiés au sens de la même Convention.

[2]      Le requérant soumet que la Section du statut a commis une première erreur de droit en se limitant à appliquer l'alinéa a) de la section F de l'article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, et ce, sans examiner en outre le bien-fondé de l'inclusion à la définition de réfugié au sens de la Convention. À mon sens, ce premier argument du requérant n'est pas bien fondé. Il est vrai que dans l'affaire Moreno c. M.E.I. (14 septembre 1993), A-746-91, la Cour d'appel fédérale a conclu que lorsqu'une revendication met en jeu la clause d'exclusion, il est préférable que la Section du statut se prononce tant sur l'aspect "exclusion" que l'aspect "inclusion". Dans l'arrêt subséquent Gonzalez c. Canada (M.E.I.), [1994] 3 C.F. 646, à la page 657, toutefois, la Cour d'appel a bien précisé que la Section du statut n'a pas obligatoirement à se demander si un revendicateur rencontre les critères de la définition de réfugié au sens de la Convention lorsqu'elle décide d'appliquer la cause d'exclusion:

             À mon avis, rien dans la Loi ne permet à la section du statut de réfugié d'apprécier la sévérité de la persécution potentielle au regard de la gravité de la conduite qui l'a amenée à conclure qu'il s'agissait d'un crime visé par la section Fa) de l'article premier. L'exclusion de la section Fa) de l'article premier fait, en vertu de la loi, partie intégrante de la définition. Quel que soit par ailleurs le bien-fondé de sa revendication, le demandeur ne peut aucunement être un réfugié au sens de la Convention si l'exclusion s'applique.                 

[3]      Ainsi, bien qu'en certaines circonstances il puisse être souhaitable que le tribunal se prononce tant sur l'inclusion que sur l'exclusion, il n'est pas requis en droit de le faire. Dans le présent cas, il importe de souligner que le contexte de revendication dépendante auquel réfère la décision Moreno n'est pas pertinent, ces revendications ayant été accordées.

[4]      Comme deuxième argument, le requérant soumet que la Section du statut a mal apprécié les questions relatives à son intention et à sa complicité. À cet égard, il importe d'abord de reproduire l'extrait suivant de la décision du tribunal:

         . . . Monsieur a servi 17 ans dans une force de police qui a commis des crimes graves contre les personnes. Son rôle comme chauffeur et d"après son témoignage garde de corps des chefs de police qu"il servait, lui ont nécessairement donné accès, contrairement à ce qu"il a prétendu, à de l"information privilégiée. Il a su et a vu des choses qu"il a choisi de ne pas déclarer au Tribunal.                 
             Il a lui-même déclaré qu"un chauffeur devait avoir des qualités particulières. Le Tribunal est d"avis qu"une personne remplissant cette fonction auprès de plusieurs chefs de police différents et pendant autant d"années est sûrement un homme loyal, discret et dévoué à son employeur qui en l"occurrence occupe un poste important dans une machine qui ne respectait pas les droits de la personne. Il est invraisemblable que monsieur Cabrera n"ait pas connu la vérité sur les activités de la Police nationale.                 
         . . . Il a admis savoir que ces atrocités avaient été commises par la police.                 
             La jurisprudence exige pour conclure à la complicité d"un revendicateur dans la commission d"un crime contre l"humanité l"existence d"une intention commune et la connaissance que toutes les parties en cause en ont.                 
             Monsieur Cabrera s"est engagé volontairement dans la police nationale de son pays, il n"y est pas entré contre son gré. Il y est demeuré 17 ans, soit pendant des années où le pays vivait une guerre civile destructrice. Il n"a pas quitté volontairement la police, il y a été contraint suite à des accusations de meurtres. Il travaillait dans la capitale où, selon la documentation, on retrouvait quotidiennement des cadavres de personnes torturées. Il a été promu au poste de détective, bien qu"il a nié qu"il s"agisse là d"une promotion. Pour le Tribunal, passer du poste de chauffeur à celui de détective constitue une promotion.                 
             Comment conclure devant ces faits que le revendicateur ne partageait pas les desseins de l"organisme pour lequel il a travaillé pendant 17 ans. Comment ne pas interpréter le fait d"être resté au service de la Police nationale pendant ces années comme un consentement à ce que faisait ses collègues qui torturaient et tuaient. Il a vu de ses yeux le résultat de leurs actions. Il a recueilli les corps, a consigné leurs blessures dans des rapports et cela de manière régulière à compter de ses premiers mois de service.                 
             Le fait d"aller sur les lieux où se trouvaient ces corps, de les recueillir, de faire ceci régulièrement et sans objection, équivaut, bien que le contexte soit différent, à mettre "sa roue dans l"engrenage d"une opération" dont il sait qu"elle mènera vraisemblablement à la poursuite de la perpétration d"autres crimes semblables. Le revendicateur par son travail et sa connaissance de ce que la Police nationale commettait comme abus, s"est rendu complice de ces actes.                 

[5]      Dans l'affaire Moreno, précitée, la Cour d'appel fédérale a statué sur le fardeau de la preuve en ce qui concerne la clause d'exclusion en question:

             It is universally accepted that the applicability of the exclusion clause does not depend on whether a claimant has been charged or convicted of the acts set out in the Convention. The Minister's burden is merely to meet the standard of proof embraced by the term "serious reasons for considering". In Ramirez v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] 2 F.C. 306 (C.A.), this Court canvassed this aspect of refugee law and concluded that the standard was one well below that required under either the criminal law ("beyond a reasonable doubt") or the civil law ("on a balance of probabilities" or "preponderance of evidence"). . . .                 

[6]      Pour ce qui est de la complicité, il est bien établi que cela dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont, tout devenant ensuite question de fait. C'est ce que nous rappelle la Cour d'appel fédérale dans l'affaire M.E.I. c. Bazargan (1996), 205 N.R. 282, aux pages 287 et 288:

         . . . La complicité, nous disait le juge MacGuigan . . . "dépend essentiellement de l"existence d"une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont". Celui qui met sa propre roue dans l"engrenage d"une opération qui n"est pas la sienne mais dont il sait qu"elle mènera vraisemblablement à la commission d"un crime international, s"expose à l"application de la clause d"exclusion au même titre que celui qui participe directement à l"opération.                 
             Cela dit, tout devient question de faits. Le Ministre n"a pas à prouver la culpabilité de l"intimé. Il n"a qu"à démontrer - et la norme de preuve qu"il doit satisfaire est "moindre que la prépondérance des probabilités" . . . - qu"il a des raisons sérieuses de penser que l"intimé est coupable. . . .                 
         . . . Cette Cour, à maintes reprises, a rappelé que le tribunal spécialisé qu"est la Commission a pleine compétence pour tirer les inférences qui peuvent raisonnablement l"être. . . .                 

[7]      Appliquant tous ces enseignements de la jurisprudence aux faits de la présente cause, je suis d'avis, d'abord, que l'intimé a bien repoussé le fardeau de la preuve à lui imposé, à savoir celui de démontrer qu'il a des raisons sérieuses de penser que le requérant est coupable d'un crime défini à la section Fa) de l'article premier de la Convention. Puis le requérant ne m'a pas convaincu que les inférences tirées par le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut, quant à sa complicité, ne pouvaient pas raisonnablement l'être. À mon sens, la Section du statut pouvait au contraire raisonnablement conclure à la satisfaction des trois volets du test pour établir la complicité, tel que défini par mon collègue le juge MacKay dans l'affaire Gutierrez c. M.E.I. (1994), 84 F.T.R. 227:

         Essentially then, three prerequisites must be established in order to provide complicity in the commission of an international offence: (1) membership in an organization which committed international offences as a continuous and regular part of its operation, (2) personal and knowing participation, and (3) failure to dissociate from the organization at the earliest safe opportunity.                 


[8]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je suis d'accord avec les procureurs des parties qu'il n'y a pas ici matière à certification.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 décembre 1998


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