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Date : 20220527

Dossier : T‑955‑21

Référence : 2022 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ROGERS MEDIA INC.

ROGERS COMMUNICATIONS INC.

BCE INC.

BELL MEDIA INC.

CTV SPECIALTY TELEVISION ENTERPRISES INC.

THE SPORTS NETWORK INC.

LE RÉSEAU DES SPORTS (RDS) INC.

GROUPE TVA INC.

 

demanderesses

et

JEAN UNTEL 1

JEAN UNTEL 2

AUTRES PERSONNES NON IDENTIFIÉES QUI EXPLOITENT DES SERVEURS DE DIFFUSION NON AUTORISÉS DONNANT ACCÈS AUX MATCHS EN DIRECT DE LA LNH AU CANADA

défendeurs

et

 

BELL CANADA

BRAGG COMMUNICATIONS INC., faisant affaire sous le nom EASTLINK

COGECO CONNEXION INC.

DISTRIBUTEL COMMUNICATIONS LIMITÉE

FIDO SOLUTIONS INC.

ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC.

SASKATCHEWAN TELECOMMUNICATIONS

SHAW COMMUNICATIONS INC.

TEKSAVYY SOLUTIONS INC.

TELUS COMMUNICATIONS INC.

VIDÉOTRON LTÉE

tierces parties intimées

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIQUE ET DE POLITIQUE

D’INTERNET SAMUELSON‑GLUSHKO

BEANFIELD TECHNOLOGIES INC.

intervenants

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

VERSION PUBLIQUE

(VERSION CONFIDENTIELLE PUBLIÉE LE 27 MAI 2022)

I. Introduction

[1] Les demanderesses détiennent le droit d’auteur pour les diffusions en direct des matchs de la Ligue nationale de Hockey (NHL) au Canada. Elles allèguent que certains défendeurs inconnus distribuent illégalement ces diffusions à des personnes au Canada, violant ainsi leur droit d’auteur.

[2] Les demanderesses affirment que malgré les mesures qui ont été prises jusqu’à présent, la piraterie se poursuit et il n’y a pas d’autres recours qui sont susceptibles d’être efficaces pour y mettre fin. La raison est que ces défendeurs dissimulent leurs identités, la grande majorité de leurs activités se déroulent dans d’autres pays et ils ont adopté des pratiques commerciales, ce qui fait en sorte qu’il devient irréaliste de les freiner en ayant recours aux voies judiciaires traditionnelles conçues pour composer avec une atteinte au droit d’auteur. Pour cette raison, les demanderesses affirment qu’elles ne peuvent pas, de façon réaliste, faire respecter leur droit d’auteur en coupant la source des contenus protégés par le droit d’auteur distribués illégalement.

[3] Au lieu de cela, les demanderesses cherchent à empêcher les personnes au Canada d’accéder au contenu contrefait. Pour ce faire, elles demandent une ordonnance « de blocage de sites » contre les tierces parties intimées désignées nommément, qui contrôle la grande majorité de l’accès à Internet au Canada. L’objet de l’ordonnance qu’elles demandent consiste à empêcher les clients canadiens de visionner les diffusions de matchs de la LNH en direct portant atteinte au droit d’auteur.

[4] La présente espèce porte sur la question de savoir si un tel recours devrait être accordé et, le cas échéant, la façon de mettre en balance les intérêts concernés. Les intérêts pertinents sont ceux des demanderesses, qui détiennent le droit d’auteur à l’égard de ces diffusions, les préoccupations légitimes de tierces parties intimées innocentes, de fournisseurs d’accès Internet (FAI) qui devront mettre en œuvre l’ordonnance, ainsi que les intérêts de leurs clients, dont l’accès à du contenu légitime pourrait être coupé par inadvertance. La réparation en l’espèce est également d’intérêt pour le grand public au Canada, en raison de la portée, de l’étendue et des répercussions éventuelles.

[5] L’ordonnance sollicitée par les demanderesses s’appuie sur un précédent récent, dans lequel notre Cour a approuvé un type différent d’ordonnance de blocage de sites à l’encontre d’une entreprise qui fournissait accès à des émissions sur Internet (Bell Media Inc c GoldTV.Biz, 2019 CF 1432 [GoldTV CF]). Cette ordonnance a été confirmée en appel par la Cour d’appel fédérale (TekSavvy Solutions Inc c Bell Média Inc, 2021 CAF 100 [GoldTV CAF]), et, le 24 mars 2022, l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada a été rejetée (dossier de la CSC no 39876). On peut décrire l’ordonnance rendue dans l’affaire GoldTV CF comme une ordonnance de blocage de sites « statique », car elle énumérait un nombre précis de sites à bloquer et elle prévoyait que de nouveaux sites pouvaient uniquement être ajoutés en vertu d’une ordonnance de la Cour.

[6] En l’espèce, les demanderesses ont demandé une ordonnance de blocage « dynamique » de sites, qui comporte le fait de tenter de suivre et de bloquer la diffusion illégale au fur et à mesure qu’elle se déplace. Les demanderesses affirment que le type d’ordonnance délivrée dans l’affaire GoldTV CF ne fonctionnerait pas en l’espèce, car les pirates ont adopté de nouvelles mesures pour éviter la détection et vaincre le blocage de sites, y compris en déplaçant leur contenu contrefait d’un site à l’autre de façon régulière. Il serait impossible d’obtenir l’approbation de la Cour avant chaque nouvelle étape de blocage, car ces efforts doivent se dérouler en temps réel pour être efficaces.

[7] Les demanderesses affirment que cela est particulièrement pertinent en l’espèce, car la plupart des partisans regardent les matchs de hockey en direct, plutôt que de les enregistrer et de les regarder ultérieurement. Cette combinaison de facteurs signifie que le blocage d’une diffusion en continu illégale des diffusions en direct de la LNH doit survenir pendant que la diffusion de la LNH est en cours. D’après les éléments de preuve qu’elles ont réunis ainsi que l’expérience dans d’autres pays où des ordonnances de blocage de sites ont été délivrées, les demanderesses affirment qu’une ordonnance de blocage de sites dynamique est nécessaire pour suivre le rythme de l’évolution dans le fonctionnement de la piraterie du droit d’auteur en ligne. Par exemple, dans la présente espèce, les sites à bloquer pourraient changer pendant la diffusion d’un seul match de hockey. Ce type d’ordonnance de blocage dynamique n’a jamais été accordée au Canada ou aux États‑Unis. Cependant, des ordonnances similaires ont été accordées au Royaume‑Uni et en Irlande, ainsi que dans certains pays européens.

[8] Quelques‑unes des tierces parties intimées sont prêtes à consentir à l’ordonnance. D’autres s’y opposent pour des motifs multiples, s’opposant à l’octroi de l’injonction ou s’opposant aux modalités de l’ordonnance, ou les deux. Même si les tierces parties intimées en cause n’adoptent pas des positions identiques, elles avancent des arguments largement similaires. Elles affirment que le processus suivi par les demanderesses a été inapproprié et inéquitable. Elles font valoir que les demanderesses ne sont pas parvenues à prouver le bien‑fondé de leurs allégations. Elles font valoir que l’ordonnance sollicitée leur imposerait des risques indus, des difficultés pratiques et des coûts, tout en observant qu’elles ne sont accusées d’aucun acte répréhensible en l’espèce. Enfin, elles affirment que si une ordonnance doit être imposée, les demanderesses doivent être tenues de les indemniser intégralement pour les coûts associés à la conformité, y compris (pour celles qui seraient tenues de le faire) tous les coûts de mise à niveau de leur infrastructure réseau.

[9] J’accorde une injonction interlocutoire mandatoire aux demanderesses, bien qu’elle ne soit pas conforme aux modalités proposées par ces dernières. Je suis convaincu qu’elles ont établi une preuve prima facie très solide selon laquelle les défendeurs inconnus se livrent à une violation continue de leur droit d’auteur à l’égard des diffusions de matchs en direct de la LNH. Je suis également convaincu que les demanderesses subiront un préjudice irréparable si cela est autorisé à se poursuivre. Enfin, j’estime que les conditions appropriées peuvent être imposées afin de réduire au minimum le risque de bloquer de façon excessive le contenu légitime et de réduire les fardeaux imposés aux tierces parties intimées innocentes.

[10] Les préoccupations soulevées par les tierces parties intimées et les intervenants à propos de la portée, de l’étendue et des répercussions de l’ordonnance de blocage dynamique de sites sollicitée en l’espèce sont valides et méritent une attention sérieuse. Dans les circonstances particulières de la présente espèce, toutefois, ces préoccupations ne font pas pencher la balance en faveur du rejet de la réparation demandée par les demanderesses. D’abord, au moment où la présente décision sera rendue, les séries éliminatoires de la LNH seront en cours et par conséquent le nombre de matchs joués – et télédiffusés – est considérablement réduit, et continuera à diminuer jusqu’à ce qu’il ne reste que deux équipes à jouer pendant la finale de la Coupe Stanley. Ensuite, les tierces parties intimées n’auront qu’à bloquer aux limites de leur capacité technique actuelle pour ce faire, et elles seront indemnisées (jusqu’à concurrence d’un montant plafonné) par les demanderesses pour les coûts engagés par celles‑ci pour se conformer à l’ordonnance. Troisièmement, les demandeurs retiendront, à leurs frais, les services d’un expert indépendant pour vérifier que les adresses IP identifiées aux fins de blocage correspondent aux critères stricts définis dans l’ordonnance, ainsi que pour surveiller la mise en œuvre par les tierces parties intimées pour relever toutes les difficultés pratiques éprouvées par celles‑ci. Cet expert fournira un rapport confidentiel à la Cour et aux parties, et un rapport public sera publié ultérieurement et affiché dans les sites Web des parties.

[11] L’ordonnance de blocage dynamique accordée en l’espèce est sans précédent au Canada. Je suis convaincu que, dans les circonstances de la présente espèce, il est juste et équitable d’accorder cette réparation, sous réserve des modalités et des restrictions très précises énoncées dans l’ordonnance.

[12] La présente affaire soulève des questions juridiques nouvelles et complexes. Le fait que les parties ne s’alignent pas de façon nette des deux côtés de la question ajoute à la complexité de celle‑ci. Par conséquent, il sera utile d’établir le fondement de l’affaire avant de passer à l’analyse.

II. Contexte

[13] Pour situer la présente espèce dans son contexte, il est nécessaire de passer en revue plusieurs questions : a) les parties et leurs rôles dans la présente espèce; b) les droits de diffusion de la LNH qui sont visés par la revendication de droit d’auteur; c) Internet et la piraterie en ligne; d) le fonctionnement du blocage de sites; et e) les décisions dans l’affaire GoldTV qui établissent le fondement de la requête en l’espèce.

A. Les parties

(1) Les demanderesses

[14] Les demanderesses sont des entités canadiennes qui possèdent un certain nombre de stations de télévision et de services d’abonnement en ligne au Canada. Bien qu’elles diffusent une grande variété d’émissions de télévision, la présente espèce est axée sur les matchs en direct de la LNH.

[15] Rogers Media Inc. (Rogers), une filiale en propriété exclusive de Rogers Communications Inc. (Rogers Communications), détient et exploite un certain nombre de stations de télévision, qui sont distribuées au Canada par l’intermédiaire d’entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR), telles que la société affiliée de Rogers, Rogers Communications Canada Inc. (Rogers Cable), auxquelles les consommateurs canadiens s’abonnent moyennant des frais.

[16] BCE Inc. est la plus grande société de communications du Canada. Bell Media Inc. (Bell Media) est une filiale en propriété exclusive de BCE. Bell Media est une société canadienne qui, entre autres activités, se livre à la radiodiffusion. CTV Specialty Television Enterprises (CTV Television) est une filiale de Bell Media, alors que les stations de télévision spécialisées The Sports Network (TSN) et Le Réseau des Sports (RDS) Inc. (RDS) sont des filiales de CTV Television.

[17] Bell Media détient ou exploite TSN, RDS et d’autres stations de télévision qu’elle distribue par l’intermédiaire d’EDR, par exemple sa société mère Bell Canada et sa société affiliée BellExpressVu (qui font affaire sous le nom de Bell TV) et d’autres. Certaines de ses stations sont également diffusées sur les ondes gratuitement.

[18] Groupe TVA inc. (Groupe TVA) est un diffuseur qui détient ou exploite de nombreuses stations de télévision qu’elle distribue par l’intermédiaire de plusieurs EDR, dont la société affiliée du Groupe TVA, Vidéotron Ltée (Vidéotron). Certaines de ses stations sont également diffusées sur les ondes gratuitement.

(2) Les tierces parties intimées

[19] Les tierces parties intimées sont des FAI qui ont deux choses en commun. D’abord, ils fournissent la grande majorité de l’accès Internet aux entreprises et aux ménages canadiens. Ensuite, aucune d’entre elles n’est accusée d’un acte répréhensible quelconque dans la présente espèce. Elles sont simplement les conduits par l’intermédiaire desquels une violation illégale du droit d’auteur survient.

[20] À d’autres égards, toutefois, les tierces parties intimées ne forment pas un groupe homogène et il est important de tirer des distinctions par rapport à leur relation avec les demanderesses et leurs positions concernant le présent litige. Il sera commode d’établir une distinction entre trois groupes de tierces parties intimées.

a) FAI « liés »

[21] Un certain nombre des tierces parties intimées sont des sociétés affiliées ou des filiales en propriété exclusive des demanderesses. Une autre façon de décrire cette situation est que ces FAI sont, ou ont conclu des ententes pour devenir, intégrés verticalement avec les titulaires de droit demanderesses. Cela comprend Rogers Cable et Fido Solutions inc., deux sociétés affiliées de Rogers; Bell Canada, une société affiliée des autres demanderesses Bell, et Vidéotron ltée, une société affiliée du Groupe TVA inc. et une filiale en propriété exclusive de Québecor Média inc.

[22] Chacun de ces FAI « liés » est également lié avec des EDR qui distribuent le contenu de leurs sociétés demanderesses affiliées respectives. En termes généraux, cela tient compte du phénomène de « convergence » dans l’industrie des télécommunications canadienne (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [CRTC], Naviguer dans les eaux de la convergence : Tableau des changements au sein de l’industrie des communications canadiennes et des répercussions sur la réglementation, février 2010).

[23] Comme il est indiqué ci‑dessus, ces FAI ont indiqué leur consentement à l’ordonnance sollicitée par les demanderesses. Ils ont besoin d’une ordonnance de la cour afin d’entreprendre le blocage des sites, car l’article 36 de la Loi sur les télécommunications, LC 1993, c 38 exige que les FAI obtiennent l’approbation du CRTC avant de prendre des mesures afin « de régir le contenu ou d’influencer le sens ou l’objet des télécommunications qu’elle achemine pour le public ». Sans l’approbation du CRTC ou une ordonnance du tribunal, les FAI contreviendraient à l’article 36 de la Loi sur les télécommunications en se livrant au blocage de sites.

[24] Shaw Communications Inc. (Shaw) se trouve dans une situation différente de celle des FAI « liés », car elle a conclu une entente avec Rogers Communications pour acheter ses parts, mais cette entente est assujettie à l’approbation des organismes de réglementation. Shaw n’a pas contesté la question à l’audience, elle maintient en outre cette position, et ainsi, pour le moment, Shaw s’inclut le mieux dans la catégorie des « FAI non contestants » établie ci‑après.

b) FAI non contestants

[25] Plusieurs des FAI n’ont pas participé activement à ces procédures, bien que certains d’entre eux aient fait part de préoccupations à l’égard des modalités du projet d’ordonnance qui sont largement similaires à celles exprimées par les FAI contestants. Cela comprend Shaw, Bragg Communications Inc. (Eastlink), Saskatchewan Telecommunications et TekSavvy Solutions Inc.

c) FAI contestants

[26] Plusieurs des FAI contestent la requête des défenderesses, en faisant valoir ce qui suit :

  1. la procédure suivie par les demanderesses était inéquitable;

  2. les demanderesses n’ont pas établi leur preuve;

  3. les modalités de l’ordonnance sollicitée ne tiennent pas compte de la considération appropriée de leurs intérêts ou de ceux de leurs clients.

[27] Ce groupe de FAI comprend Cogeco Connexion inc. (Cogeco), Distributel Communications Ltée (Distributel) et Telus Communications inc. (Telus). Telus n’a adopté aucune position à l’égard de la procédure suivie par les demanderesses ou à savoir si les demanderesses avaient établi le bien‑fondé de leurs allégations aux fins d’une injonction. En revanche, Telus a mis l’accent sur la difficulté à laquelle elle serait confrontée relativement à la mise en œuvre de l’ordonnance et de la forme particulière de celle‑ci. La position avancée par ces FAI fera l’objet d’une discussion plus détaillée ci‑après. Dans la discussion qui suit, les références aux arguments des tierces parties intimées renvoient aux positions avancées par Cogeco, Distributel ou Telus (concernant la difficulté liée à la mise en œuvre de l’ordonnance et la forme particulière de celle‑ci), sauf indication contraire.

(3) Les intervenants

[28] La Clinique d’Intérêt publique et de politique d’Internet du Canada Samuelson‑Guusko (CIPPIC) et Beanfield Technologies Inc. (Beanfield) ont été autorisées à intervenir dans la procédure en l’espèce en vertu d’une ordonnance datée du 13 octobre 2021 (2021 CanLII 107613). Les deux ont reçu l’autorisation de déposer des observations écrites, bien que Beanfield ait été limitée à présenter des observations à l’égard de l’ordonnance uniquement. La CIPPIC a également présenté des observations orales pendant l’audition de la requête.

[29] La CIPPIC a cherché à situer l’affaire dans son contexte général en mettant en évidence les intérêts et les enjeux associés aux ordonnances de blocage de sites dans le cadre de l’approche du Canada en matière de réglementation d’Internet.

[30] Beanfield est un FAI, mais se distingue des tierces parties intimées, car elle assure la prestation de ses services par l’intermédiaire d’un réseau indépendant doté d’installations. Les observations de Beanfield étaient axées sur le fait de s’assurer que toute ordonnance accordée en l’espèce tenait compte du fait que tous les FAI ne sont pas exploités de la même façon et que l’ordonnance était limitée à la situation des FAI directement assujettis à celle‑ci.

[31] Les arguments des intervenants font l’objet d’une discussion plus détaillée ci‑après.

[32] Penchons‑nous maintenant sur la revendication de droit d’auteur qui sous‑tend la présente procédure. Compte tenu de l’ensemble des complexités de l’affaire, la revendication de droit d’auteur est plutôt simple. Le fondement de la protection du droit d’auteur est le contrôle sur le droit de produire ou de reproduire l’œuvre, en l’espèce les diffusions de matchs en direct de la LNH. Les demanderesses affirment que les défendeurs portent atteinte à leurs droits en organisant et en facilitant la diffusion en continu de copies non autorisées de ces œuvres à des téléspectateurs au Canada. Pour situer cette affirmation dans son contexte, il convient d’examiner la façon dont les droits de diffusion de la LNH sont octroyés.

B. Droits de diffusion de la LNH au Canada

[33] La LNH est une ligue professionnelle de hockey sur glace qui est exploitée au Canada et aux États‑Unis. Elle est composée de 32 équipes, dont sept équipes établies au Canada : les Canadiens de Montréal, les Sénateurs d’Ottawa, les Maple Leafs de Toronto, les Jets de Winnipeg, les Flames de Calgary, les Oilers d’Edmonton et les Canucks de Vancouver.

[34] La saison de la LNH est divisée en trois phases. Il y a la pré‑saison, qui se déroule habituellement sur deux semaines, comportant de six à huit matchs d’exhibition; la saison régulière, qui a lieu habituellement du début octobre jusqu’au début avril, consistant en 82 matchs par équipe; et les séries éliminatoires et la finale de la Coupe Stanley, qui se déroulent habituellement de la mi‑avril à la mi‑juin, et qui peuvent comporter entre 60 et 105 matchs au total. Ensemble, ces phases constituent la saison de la LNH.

[35] Les radiodiffuseurs qui sont titulaires des droits à l’égard de matchs particuliers de la LNH les filment et les produisent (en ajoutant des éléments, tels que du texte, des images, des vidéos et des commentaires à l’enregistrement vidéo). Le droit d’auteur à l’égard de l’enregistrement vidéo en direct et de la production est ensuite octroyé des diffuseurs à la LNH ou à l’équipe locale de la LNH jouant le match; la LNH et les équipes délivrent de nouveau à leur tour une licence à l’égard de ces droits à ces mêmes diffuseurs.

[36] Les droits de diffuser les matchs de la LNH dépendent de la question de savoir si les matchs sont désignés comme des « matchs nationaux » ou des « matchs régionaux ».

[37] Certains matchs de la LNH entre des équipes canadiennes sont désignés comme des matchs nationaux, de même que les séries éliminatoires et la finale de la Coupe Stanley ainsi que certains autres événements, comme le Match des étoiles de la LNH. Tous les autres matchs sont des matchs régionaux.

[38] Il n’est pas nécessaire de décrire en profondeur les droits particuliers détenus par les différentes demanderesses. Les demanderesses détiennent collectivement les droits à l’égard de tous les matchs nationaux et régionaux au Canada, pour lesquels ils délivrent une sous‑licence à d’autres diffuseurs.

[39] Rogers est titulaire des droits de distribution, par l’intermédiaire d’une télédiffusion et d’une diffusion en continu en ligne, de toutes les diffusions de matchs nationaux de la LNH en langue anglaise au Canada. Elle est également titulaire des droits de distribution de tous les matchs régionaux de certaines équipes canadiennes. Rogers Media délivre des sous‑licences à l’égard de certains matchs nationaux qu’elle produit aux fins de diffusion par la Société Radio‑Canada ainsi que par le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN).

[40] Rogers diffuse les matchs à l’égard desquels elle est titulaire des droits par l’intermédiaire d’un certain nombre de stations de télévision, y compris les stations de la marque Sportsnet (Sportsnet East, Sportsnet Ontario, Sportsnet West et Sportsnet Pacific), ainsi que plusieurs stations conventionnelles et NHL Centre Ice (qui fournit un accès aux matchs régionaux hors marché). Rogers fournit un accès à certaines diffusions par l’intermédiaire de services en ligne, dont Sportsnet NOW et NHL Live, qui sont exploités par Rogers. Rogers produit également plusieurs émissions relatives à la LNH, comportant généralement des commentaires qui précèdent et qui suivent les matchs en direct de la LNH, qu’elle diffuse d’une manière similaire.

[41] Bell est titulaire des droits exclusifs de distribuer tous les matchs régionaux de plusieurs équipes canadiennes. Elle diffuse les matchs de la LNH en direct par l’intermédiaire de ses stations de la marque TSN (qui comprennent TSN1, TSN2, TSN3, TSN4 et TSN5), de même que par ses stations de la marque RDS (incluant RDS et RDS2) ainsi que par leurs services en ligne correspondants (TSN DIRECT et RDS DIRECT). Bell produit et diffuse également plusieurs émissions relatives à la LNH, en français et en anglais.

[42] Le Groupe TVA est titulaire des droits exclusifs de distribution de certains matchs nationaux en français.

C. Internet et la piraterie en ligne

[43] Internet est un réseau mondial composé d’une collection de « nœuds » qui sont directement ou indirectement connectés. Les appareils, incluant les ordinateurs, les téléphones intelligents et les tablettes, chacun constituant un nœud distinct. Une adresse de protocole Internet (IP) est attribuée à chaque nœud, exprimée dans une forme numérique (p. ex. 172.217.164.228).

[44] Les nœuds habituellement utilisés par les clients Internet ont tendance à être axés sur l’accès à du contenu sur Internet. D’autres nœuds, utilisés par les exploitants de différents services Internet, hébergent et fournissent un accès à du contenu. Toute personne ayant utilisé Internet pour trouver ou partager de l’information a participé au processus, mais les utilisateurs ne sont généralement pas conscients du système de routage complexe qui connecte leur appareil à la source d’information et qui gère le trafic entre les deux. Plusieurs éléments de ce système, décrit ci‑dessous, sont essentiels à la compréhension de la réparation demandée en l’espèce.

[45] Les utilisateurs n’utilisent habituellement pas l’adresse IP associée à un nœud en particulier. En revanche, ils s’appuient sur le système de noms de domaine (DNS) qui comble l’écart entre les adresses IP et les domaines (p. ex. www.NHL.com/fr) ou les sous‑domaines (p. ex. https://www.NHL.com/fr/scores). Essentiellement, le système DNS est l’annuaire téléphonique d’Internet; il jumelle chaque nom de domaine à son adresse IP correspondante. Lorsqu’un utilisateur tente de se connecter à un domaine reconnu, le DNS signalera automatiquement cette demande au nœud approprié associé à l’adresse IP pertinente. Le DNS n’est pas hébergé dans un seul référentiel; au lieu de cela, les FAI et les autres entités hébergent des serveurs DNS qui stockent les adresses IP utilisées pour acheminer le trafic.

[46] Le transfert de données sur Internet comporte toujours deux actes miroirs : le téléchargement en aval, dans lequel le premier nœud obtient une copie des données d’un deuxième nœud connecté à Internet et (simultanément), le téléchargement en amont, dans lequel le deuxième nœud qui transmet les données au premier nœud connecté à Internet.

[47] Le type de téléchargement en aval pour la présente espèce est la « diffusion en continu » : des portions successives d’une copie temporaire d’une diffusion vidéo sont téléchargées en aval, lues au fur et à mesure que le téléchargement en aval progresse, et qui sont subséquemment ou progressivement supprimées de l’appareil. Les demanderesses ont fourni une analogie pertinente : la diffusion en continu est similaire à une personne qui lit un livre à qui on remet quelques pages à la fois, celles‑ci étant jetées au fur et à mesure que les pages suivantes sont remises au lecteur. À la fin du processus, le lecteur a terminé le livre sans qu’une copie papier du livre réel prenne de l’espace dans sa bibliothèque. L’une des raisons pour lesquelles le contenu diffusé en continu peut être visionné aussi rapidement sur l’appareil d’un utilisateur est que la diffusion n’est pas téléchargée intégralement d’un seul coup; en revanche, les quelques premiers segments sont téléchargés, puis le reste suit de manière séquentielle.

[48] Les services illégaux de diffusion en continu nécessitent plusieurs composantes technologiques. D’abord, un « flux source » est nécessaire – en l’espèce, la diffusion en direct est capturée et téléchargée en amont pour être prête aux fins de diffusion en continu. Ensuite, une « infrastructure de diffusion en continu » est requise pour distribuer le contenu piraté aux téléspectateurs. Cela comprend à la fois des composantes matérielles et logicielles, y compris un ou plusieurs « serveurs de diffusion en continu » et une « plateforme de diffusion en continu ».

[49] De nombreux services de diffusion en continu légitimes donnent accès aux abonnés à du contenu protégé par le droit d’auteur que le service de diffusion en continu a obtenu en vertu d’une licence. Netflix en est un exemple. Cependant, de nombreux sites ou de nombreuses plateformes de diffusion en continu illégaux offrent un accès à du contenu piraté.

[50] Deux types de plateformes de diffusion en continu illégales sont couramment disponibles : i) les sites de piraterie sur le Web ouvert qui sont habituellement gratuits et publics, qui tirent leurs revenus de la publicité, et ii) les services d’abonnement non autorisés qui fournissent habituellement une copie de plus grande qualité du contenu piraté ainsi qu’un accès plus facile aux abonnés. Les abonnements aux services d’abonnement non autorisés sont généralement beaucoup moins chers que les frais pour les services fournis par les FAI, car les pirates ne paient pas de droits de licence ou n’engagent pas de coûts de production.

[51] Comme je l’ai déjà indiqué, la diffusion en continu comporte la division d’un fichier vidéo (ou audio) en petits fichiers médias, que l’on appelle des segments (les « pages » mentionnées dans l’analogie des demanderesses). Tous les segments peuvent être situés sur un seul serveur de diffusion en continu, ou ils peuvent être dupliqués et distribués à l’échelle de plusieurs serveurs de diffusion en continu différents à l’intérieur de l’infrastructure de diffusion en continu. Un avantage associé à la distribution du contenu piraté de cette façon est que les segments peuvent être fournis à l’utilisateur final à l’aide des moyens les plus efficaces possibles, pour éviter de surcharger un élément, ce qui pourrait causer des retards ou des interruptions.

[52] La preuve montre que, bien qu’une plateforme de diffusion en continu puisse être exploitée par le même pirate que l’infrastructure de diffusion en continu, dans la plupart des cas, ce n’est pas ce qui se passe. Cependant, un certain nombre de plateformes de diffusion en continu différentes peuvent accéder à une seule infrastructure de diffusion en continu.

[53] L’utilisateur final – qu’il recherche un accès légitime ou du contenu de diffusion en continu illégal – n’est habituellement pas conscient de la façon dont l’information est acheminée entre la source et son appareil. Cependant, un élément clé dans la présente espèce est la capacité des FAI à identifier et à bloquer l’accès des utilisateurs aux plateformes de diffusion en continu qui diffusent en continu illégalement du contenu portant atteinte au droit d’auteur et, par conséquent, une brève description de la façon dont le blocage des sites fonctionne s’impose. Cela exige, d’abord, une description plus détaillée de la façon dont le trafic est acheminé du client par l’intermédiaire du FAI jusqu’à Internet.

[54] Les FAI donnent accès à Internet en ayant recours à plusieurs types différents de connexions. On appelle la section de l’infrastructure qui connecte le client résidentiel la connexion du « dernier kilomètre ». Au Canada, il y a habituellement deux types de FAI : ceux qui possèdent l’infrastructure du dernier kilomètre (appelés « fournisseurs dotés d’installations » ou « entreprises de télécommunications »), et ceux qui louent l’infrastructure du dernier kilomètre (appelés « revendeurs »).

[55] À un niveau élevé, l’infrastructure utilisée par les FAI utilisées pour connecter les clients à Internet comporte quatre éléments :

  1. équipement du client – souvent un routeur domestique, qui connecte différents appareils dans la maison au réseau;

  2. dernier kilomètre/boucle d’accès – la connexion du dernier kilomètre à partir de la résidence du client au réseau d’accès/de transport détenu ou loué par le FAI;

  3. le réseau d’accès/de transport – le système de routeurs qui regroupe et achemine le trafic reçu par les boucles du dernier kilomètre/d’accès et qui transporte le trafic vers le réseau central;

  4. le réseau central – qui contient un autre ensemble de routeurs qui regroupe et achemine le trafic en provenance et à destination de réseaux d’accès/de transport multiples. Ce réseau comprend les serveurs DNS et d’autres infrastructures de services de haut niveau qui sont essentielles au fonctionnement d’Internet en tant que système de systèmes.

[56] Un réseau central de FAI se connecte ensuite à Internet, qui constitue en soi un système composé d’une série d’autres réseaux par l’intermédiaire duquel le trafic est acheminé afin de permettre le téléchargement en aval et en amont simultané d’information. L’infrastructure d’un FAI comprendra des routeurs d’agrégation et des routeurs de cœur. Cela est important, car il s’agit des points centraux des efforts de blocage de sites. Même si le processus technique est quelque peu différent entre les FAI qui sont des entreprises de télécommunications et des FAI qui sont des revendeurs, les différences ne sont pas importantes aux fins de la présente espèce, car les deux types de FAI peuvent se livrer et se livrent effectivement au blocage d’un certain trafic.

D. Blocage de sites

[57] Comme il est indiqué ci‑dessus, le blocage de sites est une méthode utilisée pour dissuader ou empêcher l’accès aux plateformes de diffusion en continu qui offrent un accès à un contenu portant atteinte au droit d’auteur ou autre, et pour empêcher le trafic entrant de causer des problèmes pour les utilisateurs ou d’avoir une incidence sur le réseau des FAI. Trois types principaux d’approches en matière de blocage de sites s’offrent aux FAI :

  1. le blocage de DNS – qui déconnecte le lien entre un domaine (ou sous‑domaine) et son adresse IP correspondante dans le service DNS;
  2. le blocage d’adresses IP – qui bloque le trafic à destination et en provenance d’une adresse IP précise;
  3. le blocage du chemin URL (localisateur de ressources uniforme) – qui empêche le trafic à destination et en provenance d’emplacements très précis dans un site Web ou un autre service Internet.

(1) Blocage de DNS

[58] Le DNS (système de noms de domaine) agit comme un pont nécessaire entre un nom de domaine et l’adresse IP correspondante, il est par conséquent possible pour un FAI hébergeant des serveurs DNS de bloquer l’accès de ses abonnés à un site Web particulier. Les entreprises de télécommunications et les revendeurs canadiens qui ont des serveurs DNS possèdent déjà la capacité de procéder à ce type de blocage.

[59] Cependant, il est important de souligner que même si un domaine ou un sous‑domaine signalent habituellement une seule adresse IP à n’importe quel moment, de nombreux domaines ou sous‑domaines peuvent signaler la même adresse IP, car un seul serveur peut héberger plusieurs sites Web.

(2) Blocage d’adresses IP

[60] Cette technique est axée sur l’adresse IP problématique, plutôt que le nom de domaine. Cette méthode peut être mise en œuvre dans la couche externe du cœur de l’infrastructure d’un FAI. Cela comprend la configuration des routeurs de cœur de façon à ce qu’ils n’acheminent pas le trafic d’utilisateurs vers une adresse IP particulière. Au lieu de cela, lorsqu’un abonné tente d’accéder à cette adresse, le routeur enverra la requête « nulle part » plutôt que de l’acheminer à sa destination originale. On appelle cela le « black holing », car la requête est envoyée dans un « trou noir » plutôt qu’à l’adresse IP. Le processus fonctionne également à l’inverse, pour empêcher le contenu malveillant d’atteindre l’adresse IP d’un abonné donné.

[61] La preuve montre que l’ensemble des FAI tiers ont régulièrement recours à cette méthode pour protéger leur réseau contre une activité ou du contenu malveillants liés à des adresses IP données. Cela peut comprendre le blocage des transferts de données pendant des périodes pouvant atteindre quelques heures. Tous les FAI surveillent leurs réseaux d’une façon continue pour détecter le trafic problématique et tenter de les empêcher d’affecter le service des autres clients. Une situation typique est connue sous le nom d’attaque par « déni de service distribué » (DDOS). Une attaque DDOS comporte un effort systématique pour submerger le service Internet d’un client particulier afin de lui refuser l’accès. Les FAI doivent gérer des telles attaques au quotidien et, dans certains cas, cela exige la désactivation de l’accès d’un client pour empêcher l’attaque DDOS d’éliminer intégralement un nœud dans le système d’un FAI.

[62] Comme nous en discuterons d’une manière plus détaillée ci‑après, les routeurs de cœur du FAI peuvent uniquement bloquer un certain nombre d’adresses IP en même temps en raison des limites de capacité. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

(3) Blocage du chemin URL

[63] Le blocage de chemins URL permet un blocage du trafic plus précis que les deux autres méthodes; cette méthode permet à un FAI de refuser un chemin particulier à l’intérieur d’un domaine sans bloquer l’accès à d’autres pages dans le même domaine. Pour revenir à un exemple utilisé plus tôt, cela permettrait à un FAI de bloquer l’accès des clients à www.NHL.com/fr/scores, sans couper l’accès à www.NHL.com/fr ou à toute autre page à l’intérieur de ce domaine.

[64] Les FAI qui font partie du projet CleanFeed Canada utilisent le blocage d’URL pour empêcher les abonnés au Canada d’accéder à des sites Web non canadiens associés à la pornographie juvénile. Ce groupe de FAI comprend Bell, Rogers, Sasktel, Shaw, Telus et Vidéotron. La preuve montre que Bell met à jour quotidiennement la liste des URL qui sont bloquées dans le cadre du projet Cleanfeed.

[65] Au moment de l’audience, les FAI tiers n’avaient pas tous la capacité de mettre en œuvre le blocage des chemins URL.

E. Les décisions dans l’affaire GoldTV

(1) GoldTV CF

[66] Comme je l’ai souligné plus tôt, les demanderesses cherchent à miser sur l’ordonnance accordée dans l’affaire GoldTV CF et il sera utile de résumer cette décision à propos de l’arrêt de la Cour d’appel qui a confirmé l’ordonnance. Les deux discussions font l’objet d’une discussion plus détaillée ci‑après, dans le contexte de l’analyse des arguments particuliers des parties.

[67] Dans l’affaire GoldTV CF, une affaire qui concerne les mêmes demanderesses et tierces parties intimées que la présente espèce, les demanderesses ont demandé une injonction interlocutoire afin d’obliger les tierces parties intimées à bloquer l’accès des clients à des diffusions d’émissions de télévision protégées par le droit d’auteur. Les demanderesses ont déposé une déclaration contre deux défendeurs non désignés nommément faisant affaire sous le nom de « goldtv.biz » et « goldtv.ca » (GoldTV). Compte tenu des mesures prises par ces défendeurs pour rester anonymes et pour éviter les procédures judiciaires, les demanderesses ont également demandé une injonction provisoire de 14 jours ainsi qu’une injonction interlocutoire. Les deux injonctions ont été accordées.

[68] Malgré la délivrance de ces ordonnances, on a continué d’exploiter certains des services de GoldTV. Les défendeurs non désignés nommément n’avaient présenté aucune défense ou par ailleurs n’avaient pas participé à l’action sous‑jacente. Par conséquent, les demanderesses ont demandé une injonction interlocutoire mandatoire visant les FAI qui sont des tierces parties intimées, exigeant qu’elles bloquent l’accès des clients canadiens à des diffusions non autorisées par l’intermédiaire des services de GoldTV, à une liste précise d’adresses IP et de noms de domaine Web.

[69] Plusieurs des tierces parties intimées ont consenti à l’ordonnance, mais TekSavvy et Distributel s’y sont opposées et ont toutes deux déposé des dossiers devant la Cour. Telus a également présenté des observations lors de l’audience. TekSavvy a fait valoir que la Cour ne devrait pas exercer sa compétence pour accorder l’injonction pour un certain nombre de raisons, y compris le fait que le législateur n’avait délibérément pas adopté un régime de blocage de sites lorsqu’il a modifié la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 en 2012. Elle a également fait valoir que le blocage de sites relevait de l’expertise spécialisée du CRTC, qui avait indiqué que de telles mesures ne devraient être disponibles que dans des circonstances extraordinaires.

[70] TekSavvy a souligné que, dans une décision de 2018, le CRTC avait rejeté une demande de la coalition Franc‑Jeu pour exiger des FAI qu’ils bloquent l’accès aux sites Web et aux services impliqués dans le piratage de droits d’auteur (Décision de télécom 2018‑384). La position générale de TekSavvy était que la demande des demanderesses devait être examinée dans le contexte plus vaste du débat canadien sur le blocage de sites en cours à l’époque au Parlement et devant le CRTC. Elle a exhorté la Cour à laisser ces organismes trancher la question.

[71] En outre, TekSavvy a fait valoir que les demanderesses n’avaient pas respecté le critère relatif à l’octroi d’une injonction interlocutoire mandatoire. Un très bref résumé de cet aspect de la décision suffira ici. La Cour a conclu qu’elle avait compétence pour accorder l’injonction demandée en soulignant que les ordonnances contre des tiers étaient parfois disponibles en droit canadien. Elle a aussi souligné que des tribunaux au Royaume‑Uni (R.‑U.) avaient accordé des ordonnances similaires fondées sur une disposition législative particulière liée au piratage en ligne et sur leur compétence plus générale pour accorder un redressement interlocutoire – une compétence conférée largement similaire à celle de la Cour fédérale.

[72] La Cour a conclu que les demanderesses avaient respecté le critère en trois parties habituel en matière d’injonction interlocutoire.

[73] En ce qui concerne le premier élément, la Cour a conclu que les demanderesses avaient démontré une forte apparence de droit d’atteinte au droit d’auteur. En se penchant sur les deux éléments suivants, la question de savoir si les demanderesses avaient établi un préjudice irréparable et l’endroit où repose la prépondérance des inconvénients, la Cour a appliqué l’orientation de la jurisprudence du R.‑U. pour déterminer et évaluer les considérations importantes.

[74] La Cour a conclu que les demanderesses avaient établi un préjudice irréparable. En premier lieu, l’atteinte au droit d’auteur s’est poursuivie même après la délivrance des injonctions provisoires et interlocutoires, et la preuve n’a pas montré que des moyens moins intrusifs de réparer le préjudice étaient susceptibles d’être efficaces. En deuxièmement lieu, il y avait une apparence de droit d’atteinte continue au droit d’auteur et les défendeurs étaient inconnus. La Cour a conclu que les répercussions financières sur les demanderesses constituaient par conséquent un préjudice irréparable.

[75] En examinant le troisième élément, la Cour a jugé que la prépondérance des inconvénients penchait en faveur des demanderesses. En appliquant les facteurs énoncés dans la jurisprudence du R.‑U., décrit de manière plus détaillée ci‑après, la Cour était convaincue que l’ordonnance de blocage de sites serait efficace sans nuire à l’accès des clients au contenu licite, et qu’elle n’imposerait aucun fardeau excessif aux tierces parties intimées. La Cour était également convaincue que des mesures de protection adéquates pouvaient être mises en place pour empêcher un abus de l’ordonnance.

[76] En conséquence, la Cour a accordé l’ordonnance, même si elle a apporté quelques modifications à la version proposée par les demanderesses. Essentiellement, selon les modalités de l’ordonnance, les tierces parties intimées étaient tenues de prendre des mesures afin de bloquer l’accès à une liste précise qui comprend deux noms de domaine de site Web, dix sous‑domaines et onze adresses IP. L’ordonnance pourrait être modifiée à la requête de toute partie, et toute personne dont l’accès a été bloqué pourrait présenter une demande en vue de la modifier. Les autres détails techniques inclus dans cette ordonnance font l’objet d’une discussion ci‑après en lien avec l’analyse de l’ordonnance sollicitée en l’espèce.

[77] Depuis la décision initiale dans l’affaire GoldTV CF, l’ordonnance a été modifiée à trois reprises, par des ordonnances datées du 20 décembre 2019, du 10 juillet 2020 et du 13 novembre 2020. Lorsque la présente affaire a été débattue, les demanderesses avaient présenté une requête pour demander une autre modification, mais la question n’avait pas été entendue.

(2) GoldTV CAF

[78] Dans une décision rendue le 26 mai 2021, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel et a confirmé l’ordonnance accordée par le juge Gleeson. La Cour d’appel a reconnu que l’ordonnance était sans précédent au Canada, mais a conclu qu’elle avait été validement délivrée et qu’elle devrait être confirmée.

[79] La Cour d’appel a répondu aux trois principales questions soulevées par TekSavvy dans l’appel, à savoir : la Cour fédérale n’avait pas compétence pour octroyer une injonction de blocage de sites; la décision ci‑après omettait de s’attaquer à la question selon laquelle l’ordonnance portait atteinte à la liberté d’expression; et la Cour fédérale n’aurait pas dû accorder l’ordonnance d’après les faits de l’affaire.

[80] Sur le premier point, la Cour d’appel a conclu que les articles 4 et 44 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, conféraient à la Cour fédérale compétence pour octroyer une injonction de blocage de sites, laquelle était renforcée par le paragraphe 34(1) de la Loi sur le droit d’auteur, qui comprend, parmi une panoplie d’autres recours pour violation du droit d’auteur, une réparation par voie d’injonction. À l’appui de cette conclusion, elle a cité le passage suivant de l’arrêt Google Inc v Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 [Google], au paragraphe 23 : « [l]es pouvoirs des tribunaux ayant compétence en equity pour accorder des injonctions sont, sous réserve de toute restriction législative pertinente, illimités. »

[81] La Cour d’appel a rejeté les arguments de TekSavvy voulant que les droits et réparations en vertu de la Loi sur le droit d’auteur soient exhaustifs et que le choix du législateur d’adopter un régime [traduction]°d’« avis et avis » plutôt que l’approche [traduction]°d’« avis et retrait » adoptée aux États‑Unis indiquait qu’il ne souhaitait pas accorder aux titulaires de droit d’auteur le recours le plus puissant de l’ordonnance de blocage de sites contre les FAI. La Cour d’appel a également rejeté l’allégation selon laquelle de telles ordonnances étaient interdites par l’article 36 de la Loi sur les télécommunications, car cette disposition garantit la neutralité du Net et interdit aux FAI de bloquer l’accès à des sites Web sans une ordonnance du CRTC. La Cour d’appel a conclu que « le libellé général de l’article 36 [...] ne l’emporte pas sur les pouvoirs en equity de la Cour fédérale lui permettant d’accorder des injonctions, y compris le pouvoir de rendre une ordonnance de blocage de sites » (para 36).

[82] En ce qui concerne la deuxième question, la Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel l’ordonnance devrait être annulée, car la Cour fédérale a omis de se pencher sur les questions relatives à la liberté d’expression soulevées par l’affaire. En appliquant l’approche adoptée dans l’arrêt Google, la Cour d’appel a jugé qu’il n’était « pas nécessaire que le juge [...] procède à une analyse détaillée des droits garantis par la Charte distincte de l’analyse de la prépondérance des inconvénients à laquelle il fallait procéder » (para 53). La Cour d’appel a conclu que la décision visée par l’appel avait adéquatement pris en compte les considérations en matière de liberté d’expression.

[83] Pour ce qui est de la question de savoir s’il était juste et équitable d’accorder l’injonction dans les circonstances de l’espèce, la Cour d’appel a tranché qu’il n’y avait aucune erreur justifiant l’infirmation de la décision et, par conséquent, l’a confirmée. Une fois de plus, les détails de cette analyse font l’objet d’une discussion dans les prochaines sections, il n’est donc pas nécessaire de les passer en revue ici.

III. Questions en litige

[84] Les questions dans la présente espèce peuvent être distillées en trois questions :

  1. Devrait‑on refuser l’injonction interlocutoire parce que le processus était inéquitable pour les tierces parties intimées?
  2. Les demanderesses ont‑elles satisfait au critère relatif à l’octroi d’une injonction interlocutoire mandatoire pour une ordonnance de blocage dynamique de sites?
  3. Le cas échéant, selon quelles modalités l’ordonnance devrait‑elle être délivrée?

[85] Un certain nombre d’autres questions sont imbriquées dans les deuxième et troisième questions, et celles‑ci feront l’objet d’une discussion ci‑après.

IV. Analyse

A. La procédure était équitable pour les tierces parties intimées

[86] Les tierces parties intimées ont fait valoir que les demanderesses ont délibérément eu recours à une stratégie pour les placer en situation désavantageuse pour répondre à la requête, elles ont donc exhorté la Cour à ne pas récompenser un tel comportement. Elles affirment que plusieurs solutions de rechange s’offrent aux demanderesses, y compris l’obtention d’une ordonnance sur consentement qui se serait exclusivement appliquée aux FAI « liés », ou demander l’accord de tous les FAI pour entreprendre un essai du système de blocage proposé afin d’évaluer la faisabilité et l’efficacité. Les tierces parties intimées ont exhorté la Cour à refuser d’accorder la réparation en l’absence d’un effort de bonne foi avant le litige afin de poursuivre un processus opérationnel raisonnable sur le plan commercial avant d’impliquer des FAI tiers innocents dans un litige onéreux et manifestement urgent.

[87] La discussion portant sur ce point commence par un bref examen de l’historique procédural de l’affaire, suivi par un résumé des arguments, puis une analyse du bien‑fondé de la demande en l’espèce.

(1) Historique des procédures

[88] Les demanderesses ont présenté le 7 juillet 2021 un avis de requête demandant une injonction interlocutoire qui serait contraignante à l’égard des tierces parties intimées. Leur dossier de requête était volumineux, comprenant des documents publics et confidentiels, ainsi que plusieurs affidavits.

[89] Le 17 août 2021, la Cour a tenu une conférence sur la gestion de l’instance afin de discuter d’un calendrier et d’un horaire avec les parties. Les demanderesses ont souligné que leurs documents avaient dûment été signifiés aux parties et que, parce que la saison de la LNH devait commencer le 2 octobre 2021, elles ont affirmé que l’audience devait avoir lieu sans tarder.

[90] Plusieurs des tierces parties intimées s’y sont opposées, faisant valoir que les demanderesses avaient choisi une stratégie relative à la signification d’un énorme dossier de requête pendant les vacances d’été, puis en demandant une audience urgente, car cela porterait atteinte aux tierces parties intimées qui cherchaient à s’opposer à la demande. On a ordonné aux parties de discuter de la question et de se représenter devant la Cour pour énoncer leurs propositions particulières relatives à l’établissement du calendrier. Cela a été fait à la fin août et, après avoir examiné les propositions respectives des parties, la Cour a délivré une ordonnance d’établissement du calendrier le 14 septembre 2021, établissant un échéancier pour les requêtes en autorisation d’intervenir, pour le dépôt d’éléments de preuve et d’observations par les parties, et mettant l’affaire au rôle pour audition. L’ordonnance d’établissement a ensuite été modifiée et deux autres conférences de gestion de l’instance ont été organisées afin de traiter plusieurs autres questions avant l’audience.

[91] L’affaire a été entendue sur trois jours, commençant le 23 novembre 2021. À la fin de l’audience, les demanderesses et plusieurs tierces parties intimées ont présenté des observations concernant les modalités particulières d’une ordonnance éventuelle. On a demandé aux parties de discuter des différentes modifications proposées pour déterminer si elles pouvaient s’entendre sur certains points (comme on l’a fait dans GoldTV CF); faute de quoi, on a demandé aux FAI tiers de se présenter de nouveau avec une version consolidée de leur projet d’ordonnance, montrant les points sur lesquels elles s’entendent et sur lesquels elles ne s’entendent pas. Cela a été fait et l’audience s’est poursuivie le 7 janvier 2022, pour entendre les parties à propos des modifications qu’elles proposaient d’apporter à l’ordonnance.

(2) Les arguments des parties

[92] Les arguments liés à l’iniquité concernent trois demandes liées, associées à la stratégie adoptée par les demanderesses, le fait que la réparation demandée constituera, en réalité, un recours définitif ainsi que les solutions de rechange qui étaient à la disposition des demanderesses.

[93] En premier lieu, les tierces parties intimées répètent les arguments formulés lors de la conférence sur la gestion de l’instance du 17 août 2021 : elles font valoir que la procédure suivie par les demanderesses était une stratégie délibérée conçue pour placer les parties intimées dans une situation intenable. Elles font valoir qu’il avait fallu de nombreux mois aux demanderesses pour réunir un dossier documentaire important, comme le prouve le fait que Rogers avait retenu les services d’une société qui a commencé à assurer une surveillance en matière d’atteinte au droit d’auteur à compter du 30 janvier 2021. Le dossier des demanderesses a ensuite été signifié et déposé au début de l’été, de même qu’une demande d’audience urgente. Les tierces parties intimées soulignent que cela reproduit l’approche adoptée par les demanderesses dans l’affaire GoldTV CF et elles exhortent la Cour à ne pas la sanctionner.

[94] Ensuite, les tierces parties intimées signalent que le recours demandé par les demanderesses correspond, en effet, à une ordonnance définitive, car il est très peu probable qu’elles poursuivent un jour les défendeurs non désignés nommément. Il s’agit d’une autre similitude avec l’affaire GoldTV CF, dans laquelle, au moment de l’audition de cette affaire, les demanderesses demandaient de proroger l’injonction interlocutoire et de la rendre permanente, tout en suspendant les procédures sous‑jacentes à l’encontre des défendeurs dans cette affaire. Les tierces parties intimées prétendent que cette réalité rend le processus de l’injonction interlocutoire inapproprié, car il leur refuse les droits habituels en matière de communication de la preuve et d’autres mesures de protection procédurales qui font partie de la procédure judiciaire habituelle.

[95] À cet égard, les tierces parties intimées font valoir que le nouveau recours demandé par les demanderesses aurait pu être obtenu, sur consentement, auprès des « FAI liés », qui représentent environ 70 % du marché des services Internet résidentiels au détail au Canada. Si les demanderesses avaient suivi cette approche, elles auraient pu mettre à l’essai les systèmes techniques qu’elles cherchent désormais à imposer aux tierces parties intimées, pour évaluer leur convivialité et leur précision. Cela aurait également permis aux demanderesses de recueillir des éléments de preuve à propos de l’efficacité d’une ordonnance de blocage dynamique de sites. Les tierces parties intimées soutiennent qu’il se serait agi d’une procédure plus équitable qui aurait réduit l’impact sur celles‑ci, car cela aurait permis une période d’essai et de mise au point des procédures de blocage dynamique.

[96] En s’appuyant sur cette dernière observation, les tierces parties intimées affirment aussi que les demanderesses auraient dû proposer aux parties de travailler en collaboration afin de cerner des façons possibles de mettre en œuvre l’ordonnance nouvelle sollicitée par les demanderesses, y compris en élaborant des solutions techniques et en se livrant à une période d’essais et de validation. Cette approche aurait permis de répondre à un grand nombre de préoccupations des tierces parties intimées, en plus de permettre aux parties de présenter un dossier de preuve solide à la Cour.

[97] Les tierces parties intimées demandent à la Cour de rejeter le recours demandé par les demanderesses, afin de décourager leur stratégie relative à la production de documents volumineux, puis de réclamer la tenue d’une audience urgente. Elles font également valoir que d’autres approches efficaces étaient disponibles, lesquelles auraient permis aux demanderesses d’obtenir plus que ce qu’elles demandent sans imposer de fardeaux indus sur les tierces parties intimées innocentes.

[98] Dans un argument connexe, mais distinct, Distributel a prétendu que les demanderesses étaient informées du problème de piratage de droits d’auteur depuis des années, mais qu’elles avaient attendu jusqu’à maintenant pour présenter la requête en l’espèce. Distributel a soutenu que ce délai devrait suffire à priver les demanderesses du droit au recours interlocutoire extraordinaire qu’elles demandent.

[99] Les demanderesses nient avoir suivi une procédure inéquitable. Elles prétendent que la question doit être interprétée à la lumière du contexte en rapide évolution, notamment les changements dans la façon dont le piratage en ligne de contenu protégé par le droit d’auteur fonctionne dans le monde réel. Le fait que le contexte ait changé aussi rapidement a signifié que l’approche des demanderesses à l’égard de la protection de leur droit d’auteur doit évoluer pour suivre le rythme. En l’espèce, cela a voulu dire partir des efforts antérieurs en vue de faire respecter leurs droits (voir, par exemple : Bell Canada c 1326030, 2016 CF 612, confirmée dans 2017 CAF 55; Bell Canada c Vincent Wesley (MtlFreeTV.com), 2016 CF 1379, voir aussi 2018 CF 66, 2018 CF 861 [T-759-16, Roy J., ordonnance datée le 28 août, 2018 (C.F.) (non rapporté)]; Bell Canada c Red Rhino Entertainment Inc., 2019 CF 1460; Bell Canada c Lackman, 2018 CAF 42) pour demander et obtenir une ordonnance de blocage de sites statique en 2019, et demander maintenant une ordonnance de blocage de sites en 2021.

[100] En réponse aux arguments des tierces parties intimées, les demanderesses reconnaissent qu’il a fallu un certain temps pour préparer leur dossier de requête, mais affirment que cela est approprié compte tenu de la nature technique de la preuve et du caractère nouveau du recours demandé. Leur dossier a été signifié au début juillet et les tierces parties intimées ont eu des mois pour préparer leurs dossiers. Les demanderesses soulignent que plusieurs des tierces parties intimées ont contre‑interrogé les témoins des demanderesses, et qu’elles ont aussi produit une preuve très détaillée à propos de leurs entreprises et des difficultés associées à la mise en œuvre du type d’ordonnance sollicitée.

[101] Les demanderesses font aussi valoir que les autres procédures proposées par les tierces parties intimées ne sont pas réalistes, car une action demandant un jugement par défaut contre les défendeurs Jean Untel n’aurait aucune incidence pratique sur des pirates Internet anonymes à l’étranger ayant pris de telles mesures élaborées pour dissimuler leurs identités et éluder des procédures judiciaires. Les demanderesses font valoir qu’elles ont suivi la procédure acceptée pour demander une injonction interlocutoire, un recours juridique dont elles peuvent certainement se prévaloir en droit canadien.

(3) Discussion

[102] Même si je conviens avec les FAI tiers que les demanderesses pourraient avoir opté pour une approche différente, en fin de compte, je ne suis pas convaincu que le processus – de la façon dont il s’est déroulé en réalité – était inéquitable pour l’une des tierces parties intimées ou qu’il a entravé leur capacité de préparer une réponse exhaustive à la requête.

[103] L’historique des procédures décrit ci‑dessus constitue une réponse exhaustive aux arguments des FAI tiers. La question de savoir si les demanderesses auraient pu ou auraient dû suivre une approche différente, plus collaborative, n’est pas une question à laquelle la Cour doit répondre. En revanche, la seule question consiste à déterminer si l’on devrait refuser d’accorder aux demanderesses une injonction interlocutoire mandatoire, car le processus était inéquitable dans les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54 et 56).

[104] En l’espèce, les demanderesses ont présenté un dossier volumineux au début de juillet 2021. L’affaire n’a pas été entendue avant la fin novembre 2021 et, entretemps, les FAI tiers ont eu l’occasion de recueillir et de présenter leurs propres éléments de preuve, et toutes les parties ont eu l’occasion de procéder à un contre‑interrogatoire à l’égard des affidavits qui avaient été déposés. Toutes les parties ont ensuite eu l’occasion de présenter leurs observations à la Cour et de présenter d’autres arguments détaillés concernant leurs positions respectives sur les modalités de l’ordonnance qui pourrait être délivrée. À tous les points de vue, cela satisfait aux normes d’équité procédurale.

[105] Il est vrai que la procédure d’injonction interlocutoire n’englobe pas toute la panoplie des droits procéduraux permis par une action suivie d’un procès en première instance. D’autre part, cette procédure ne comporte pas non plus le délai et les coûts associés à la tenue d’un procès complet d’une affaire en première instance. En outre, aucune des tierces parties intimées n’a expliqué la façon dont les demanderesses pouvaient avoir poursuivi de manière réaliste les défendeurs non désignés nommément. Comme l’a souligné le juge Locke dans GoldTV CAF au paragraphe 42 :

Lorsque, dans une action intentée contre un défendeur anonyme, le tribunal peut être convaincu que ce défendeur est et demeurera anonyme et qu’il ne tiendra aucun compte de l’injonction prononcée contre lui, il serait inutile et injuste d’exiger que le demandeur franchisse certaines épreuves pour la forme et patiente un certain temps pour confirmer ce qu’il sait, et ce que le tribunal reconnaît déjà, avant de demander une injonction à l’encontre d’un tiers.

[106] À mon avis, d’après la preuve dont la Cour est saisie, ces commentaires s’appliquent à la situation à laquelle sont confrontées les demanderesses. Les moyens procéduraux supplémentaires, les coûts et les délais associés à la mise d’une affaire en état n’étaient pas nécessaires pour veiller à ce que le processus soit équitable pour les tierces parties intimées. La procédure réelle en l’espèce, de la façon dont elle s’est déroulée, leur a donné presque six mois pour obtenir et présenter des éléments de preuve et des arguments ainsi que pour mettre à l’essai la preuve des demanderesses.

[107] Étant donné que la présente affaire porte sur la diffusion en continu illégale de matchs en direct de la LNH, il était censé d’instruire l’affaire à un moment où elle pouvait être entendue et tranchée pendant la saison de la LNH actuelle.

[108] Enfin, je constate que plusieurs des tierces parties intimées ont formulé des commentaires sur les modalités du projet d’ordonnance provisoire et, en outre, dans ces commentaires, elles demandaient un préavis minimal de trois mois relativement à toute requête de prorogation de l’ordonnance accordée. Il s’agit d’une indication du temps que les parties estimaient nécessaire afin de préparer une réplique adéquate à une telle demande, il s’agit d’une autre confirmation qu’elles n’avaient pas été injustement lésées par la procédure suivie en l’espèce.

[109] Pour l’ensemble de ces motifs, je ne peux retenir l’argument des tierces parties intimées selon lequel la demande d’injonction devrait être rejetée parce que le processus était inéquitable à leur égard. Passons maintenant au bien‑fondé de l’affaire des demanderesses.

B. Les demanderesses ont satisfait au critère relatif à l’octroi d’une injonction interlocutoire

[110] Le critère juridique qui s’applique à la présente espèce a été confirmé dans l’arrêt GoldTV CAF :

[60] Le critère juridique applicable dans une affaire comme celle en l’espèce a été examiné dans l’arrêt [Google] au paragraphe 25 :

L’arrêt RJR — MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 311, établit le critère à trois volets suivant pour déterminer si un tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’octroyer une injonction interlocutoire : existe‑t‑il une question sérieuse à juger, la personne sollicitant l’injonction subirait‑elle un préjudice irréparable si cette mesure n’était pas accordée et la prépondérance des inconvénients favorise‑t‑elle l’octroi ou le refus de l’injonction interlocutoire? Il s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. La réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte.

[61] En l’espèce, il est pertinent de reproduire les observations suivantes formulées par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196, au para. 13 [SRC], après qu’elle eut présenté le critère énoncé dans l’arrêt RJR — MacDonald :

Ce cadre d’analyse n’est toutefois que général. (En effet, dans RJR — MacDonald, la Cour a cerné deux exceptions qui pourraient commander un « examen plus approfondi du fond d’une affaire » à la première étape de l’analyse.) Dans le présent litige, les parties ont convenu à chaque palier judiciaire que, lorsqu’une injonction interlocutoire mandatoire est sollicitée, la question à trancher à la première étape du test énoncé dans RJR — MacDonald était celle de savoir si les demandeurs ont établi une forte apparence de droit. J’observe que ce seuil plus exigeant n’a pas été appliqué par la Cour lorsqu’elle a maintenu une telle injonction dans Google Inc. c. Equustek Solutions Inc. Dans cet arrêt, l’appelante n’avait toutefois pas plaidé que la première étape du test énoncé dans RJR — MacDonald devait être modifiée. Elle avait plutôt reconnu qu’il suffisait de prouver l’existence d’une « question sérieuse à juger », de sorte que la Cour n’a pas été appelée à se pencher sur l’opportunité d’appliquer un seuil plus élevé. » En revanche, en l’espèce, l’application par les tribunaux d’instances inférieures d’un seuil plus élevé pose pour la première fois la question du seuil qui devrait être effectivement appliqué à la première étape, lorsque le demandeur sollicite une injonction interlocutoire mandatoire.

[111] La question fondamentale consiste à déterminer si l’octroi d’une injonction est « juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances ». La question dépendra nécessairement du contexte (Google, au para 25).

[112] Dans GoldTV CF, la Cour a accepté qu’il était approprié d’avoir recours à la jurisprudence du Royaume‑Uni pertinente en matière d’ordonnances de blocage de sites, notamment les facteurs énoncés dans l’affaire Cartier International AG v British Sky Broadcasting Ltd., [2016] EWCA Civ 658 [Cartier]. Ce recours a été endossé par la Cour d’appel fédérale dans GoldTV CAF (aux para 76 et 77) et, ainsi, je me pencherai sur ces principes dans l’analyse qui suit.

[113] Le résumé suivant des facteurs énoncés dans Cartier s’inspire de la décision rendue dans l’affaire GoldTV CF au paragraphe 52 ainsi que de l’arrêt GoldTV CAF, au paragraphe 74. Les facteurs à considérer sont :

A. Nécessité : la mesure dans laquelle la réparation est nécessaire pour protéger les droits d’un demandeur. La réparation n’a pas à être indispensable, mais la cour peut déterminer s’il existe d’autres mesures moins onéreuses.

B. Efficacité : la question de savoir si la mesure de redressement demandée compliquera la contrefaçon et découragera les utilisateurs d’Internet d’accéder au service contrefait.

C. Effet dissuasif : la question de savoir si d’autres parties, qui n’utilisent pas actuellement le service contrefait, seront dissuadées de le faire.

D. Complexité et coût : la complexité et le coût de la mise en œuvre de la mesure de redressement demandée.

  1. Obstacles à l’utilisation ou au commerce légitimes : la question de savoir si la réparation crée des obstacles à l’utilisation ou au commerce légitimes en nuisant indûment à la capacité des utilisateurs des services des FAI d’accéder légalement à l’information.

  2. Équité : la question de savoir si la réparation constitue le juste équilibre entre les droits fondamentaux des parties, des tiers et du grand public.

  3. Substitution : la mesure dans laquelle les sites bloqués pourraient être remplacés ou substitués et la question de savoir si un site bloqué pourrait être remplacé par un autre site contrefait.

  4. Mesures de sauvegarde : la question de savoir si la mesure de redressement demandée comprend des mesures de sauvegarde contre les abus.

[114] Dans les circonstances de la présente espèce et à la lumière des questions générales de politique publique soulevée par l’ordonnance sollicitée, je conclus que l’application de certains de ces facteurs doit être adaptée afin de tenir compte du contexte canadien concernant la réglementation d’Internet.

[115] En raison des décisions dans l’affaire GoldTV, les parties conviennent essentiellement qu’il s’agit du cadre juridique qui s’applique. Elles sont toutefois en désaccord sur la question de savoir si le critère a été satisfait. En outre, les FAI tiers et la CIPPIC préconisent la prudence à l’égard d’un appui sur toute jurisprudence élaborée ailleurs à la lumière des contextes législatif et politique différents, et parce que dans plusieurs de ces autres affaires, les FAI ont soit consenti à l’octroi de l’ordonnance, soit ne s’y sont pas opposés.

[116] Une observation préliminaire concernant la discussion ci‑après s’avère nécessaire. Certains des éléments de preuve présentés par les parties portent sur des affaires hautement confidentielles, se rapportant à la fois aux moyens par lesquels les demanderesses ont reconnu le piratage et ont déterminé que le blocage pouvait être fait, de même qu’aux opérations et plans commerciaux des FAI tiers. Même si j’ai attentivement examiné l’ensemble des éléments de preuve au dossier, la discussion ci‑après n’examinera pas un grand nombre des détails précis sur l’un ou l’autre de ces points, car il n’est pas nécessaire de le faire. Cela permettra de protéger les renseignements sensibles sur le plan commercial ou d’éviter de fournir une feuille de route pour des personnes qui sont actuellement des acteurs dans l’activité de la diffusion en continu non autorisée, ou qui souhaitent le devenir.

[117] Je reviens maintenant sur les éléments du critère relatif à l’octroi d’une mesure interlocutoire.

(1) Question sérieuse

[118] Il incombe aux demanderesses de démontrer qu’elles ont une « forte apparence de droit ». Cela comporte un examen plus exhaustif du bien‑fondé de l’affaire qu’à l’habitude dans une procédure d’injonction interlocutoire. Selon les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt SRC : « le juge de première instance doit être convaincu qu’il y a une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, le demandeur réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance » (para 17).

[119] Il existe une preuve considérable concernant l’allégation de Rogers Media selon laquelle les défendeurs non désignés nommément portent atteinte à son droit d’auteur à l’égard des diffusions en direct de la LNH. Les FAI tiers contestent cependant cela et font valoir que même si on conclut que Rogers a satisfait au critère de l’existence d’une question sérieuse, les autres demanderesses n’ont présenté aucun élément de preuve pour étayer leurs allégations d’atteinte au droit d’auteur. Elles font valoir qu’il n’y a aucun fondement pour extrapoler à partir des données démontrant les atteintes aux droits de Rogers pour conclure qu’une autre des demanderesses est victime d’atteintes similaires et que, par conséquent, il n’y a aucun fondement pour conclure que les autres demanderesses ont établi l’existence d’une question sérieuse.

[120] La preuve des demanderesses montre qu’elles sont titulaires d’un droit d’auteur à l’égard des diffusions de matchs de la LNH en direct, conformément à la description figurant dans le résumé présenté plus tôt. Les détails concernant les droits dont chacune des demanderesses est titulaire à l’égard des diffusions de la LNH en direct sont énoncés dans les affidavits et les pièces de leurs représentants, et cette question n’est pas en litige, il n’est donc pas nécessaire de décrire de manière détaillée la distribution du droit d’auteur à l’égard des différentes diffusions. Après avoir examiné la preuve, je conclus qu’il ne fait aucun doute que les différentes demanderesses sont titulaires du droit d’auteur à l’égard de pratiquement toute la distribution des diffusions de matchs de la LNH en direct au Canada, y compris les services de télédiffusion et de diffusion en continu en ligne. Cela étant établi, passons à la preuve d’atteinte au droit d’auteur.

[121] Rogers Cable, au nom de Rogers Communications, a retenu les services d’une société appelée Friend MTS Limited (FMTS) pour surveiller Internet et identifier les sites et les services offrant un accès non autorisé à des diffusions en continu en direct de certaines des diffusions en direct de la LNH. FMTS a présenté des éléments de preuve concernant une surveillance similaire dans des affaires antérieures de blocage de sites au Royaume‑Uni, en Irlande et en Argentine. FMTS offre différentes solutions technologiques aux télédiffuseurs et aux titulaires de droit d’auteur afin de protéger et de faire respecter leurs droits par les pirates. Ses services comprennent la surveillance et l’établissement de rapports sur les diffusions en continu non autorisées, ainsi que l’envoi d’avis de retrait et la fourniture de solutions de blocage de sites.

[122] Dans la présente espèce, Rogers Communicationa a demandé à FMTS de surveiller les diffusions en continu non autorisées de diffusions en direct pour quatre stations de télévision appartenant à Rogers, à savoir Sportsnet One, Sportsnet Ontario, Sportsnet West et Sportsnet Pacific, à compter du 30 janvier 2021 ou aux environs de cette date.

[123] FMTS a utilisé différents outils exclusifs pour identifier, capturer et analyser les serveurs de diffusion en continu offrant un accès non autorisé aux diffusions de la LNH en direct surveillées au Canada en temps réel. Entre le 30 janvier 2021 et le 30 mai 2021, FMTS a identifié un total de 53 433 cas (ci‑après appelés « incidents ») où des serveurs de diffusion en continu ont fourni un accès non autorisé à la diffusion de matchs de la LNH en direct sur les stations qu’elle surveillait. Presque |||| de ces cas provenaient de serveurs de diffusion en continu associés au piratage de droits d’auteur.

[124] Ces incidents provenaient de 3 957 serveurs de diffusion en continu non autorisée distincts, avec une moyenne de 822 adresses IP distinctes par semaine. La surveillance montrait que les adresses IP des serveurs de diffusion en continu non autorisée changent en moyenne toutes les trois semaines et demie, avec environ la moitié des adresses IP n’apparaissant que pour une seule semaine. Environ 95 % des serveurs de diffusion en continu étaient situés physiquement à l’extérieur du Canada.

[125] Il s’agit d’une preuve convaincante que les défendeurs non désignés nommément portent atteinte au droit d’auteur de Rogers à l’égard de la diffusion de ces matchs de la LNH en direct.

[126] Bell et TVA ont déposé des éléments de preuve supplémentaires, y compris l’affidavit de Steven Rogers, un ancien policier offrant aujourd’hui des services d’enquête sur Internet et d’analyses judiciaires numériques. L’affidavit de M. Rogers présente de façon détaillée ses efforts en vue d’obtenir un accès aux diffusions de matchs de la LNH en direct piratées et de les comparer avec les diffusions en direct sur l’une des chaînes de sports spécialisées de la demanderesse. Bien que cette preuve ne couvre ni une période aussi longue ni autant d’incidents de diffusion en continu illégale que celle de FMTS en ce qui concerne Rogers, elle démontre effectivement que des services de diffusion en continu illégaux donnent accès au contenu de Bell et de TVA (ainsi qu’à celui de Rogers). M. Rogers confirme qu’il a été en mesure d’avoir accès à des services de diffusion en continu qui donnaient accès à des versions non autorisées des diffusions en direct. Il explique à quel point il lui a été facile de le faire et il décrit la qualité du contenu piraté, soulignant qu’il n’y avait qu’un court délai, voire aucun, dans le flux piraté (comparativement au flux légitime) et qu’une partie du contenu était accessible dans le même format haute définition que la diffusion autorisée.

[127] En outre, de hauts dirigeants de Rogers, de Bell et de Vidéotron ont déposé des affidavits qui confirmaient que leurs clients respectifs accédaient à du contenu sur une ou plusieurs des plateformes de diffusion en continu non autorisées correspondant aux adresses IP relevées par FMTS pendant sa surveillance de la diffusion en continu non autorisée de matchs de la LNH en direct. Pour être clair, la surveillance assurée par les demanderesses n’a pas permis d’identifier des clients particuliers, mais a plutôt confirmé que pendant les périodes pertinentes déterminées par FMTS, des milliers de leurs clients Internet réguliers accédaient à des flux non autorisés de matchs de la LNH en direct. Même si la preuve n’est pas entièrement claire sur ce point, on présume que ces clients ont eu recours à des services de diffusion en continu non autorisés, car leur abonnement ne leur donnait pas accès aux matchs qu’ils voulaient regarder.

[128] Pour donner une idée de l’ampleur du problème, la preuve de Rogers montre que, entre le 16 mars et le 24 avril 2021, une moyenne de plus de 20 000 abonnés à Internet par câble de Rogers a eu accès à des services de télévision par IP (TVIP) illégaux connus au quotidien. Entre le 10 mai et le 23 mai 2021, plus de 43 000 abonnés aux services Internet de Rogers ont accédé à des services de TVIP non autorisés au quotidien. Le témoin de Bell Canada a signalé que pendant une soirée où un match des séries éliminatoires entre Montréal et Toronto était diffusé (un événement très populaire), au moins 25 000 abonnés aux services Internet de Bell Canada avaient accédé aux services de diffusion en continu non autorisés relevés dans les rapports de FMTS. De manière similaire, Vidéotron signale que sa surveillance a démontré que pendant la diffusion de matchs de la LNH en direct entre le 14 mai 2021 et le 1er juin 2021, un grand nombre de ses abonnés ont eu recours aux serveurs de diffusion en continu non autorisés relevés par FMTS, ce qui a généré un important volume de trafic sur son système.

[129] Ensemble, cette preuve démontre que chacune des demanderesses respectives éprouve une diffusion en continu illégale de ses diffusions de matchs de la LNH en direct. Il ne fait aucun doute que cela équivaut à une violation de leur droit d’auteur.

[130] Comme il est indiqué ci‑dessus, les demanderesses sont les titulaires du droit exclusif de communiquer au public tous les matchs de la LNH en direct par l’intermédiaire d’une télédiffusion et d’une diffusion en continu en ligne. En vertu de l’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, les demanderesses sont titulaires du droit exclusif de diffuser ce contenu ou d’autoriser sa communication au public. Selon le paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur, toute personne qui communique ce contenu au public sans le consentement des titulaires viole le droit d’auteur de la demanderesse.

[131] La preuve montre que les défendeurs non désignés nommément sont responsables de la communication non autorisée au public au Canada des diffusions des matchs de la LNH en direct des demanderesses. Je conviens avec les demanderesses que les actions des défendeurs ne sont pas visées par l’exception prévue par la loi limitant la responsabilité de ceux qui ne font que fournir les « moyens » de télécommunication, énoncée au paragraphe 2.4(1) de la Loi sur le droit d’auteur. La preuve montre que les défendeurs ne sont pas que le conduit de la transmission du contenu protégé par le droit d’auteur; ils l’ont plutôt piraté et ont pris des dispositions pour que des membres du public au Canada y aient accès par l’intermédiaire de l’infrastructure que les défendeurs ont installée. Cela comporte des efforts délibérés et élaborés – nécessitant des investissements importants – pour capturer et diffuser en continu le contenu protégé par le droit d’auteur des demanderesses.

[132] En résumé sur ce point, et revenant sur le critère déterminant, je suis convaincu, en m’appuyant sur un examen attentif et détaillé de la preuve, que les demanderesses ont démontré une très forte probabilité qu’elles aient gain de cause au procès en établissant que les défendeurs ont porté atteinte à leur droit d’auteur. Certes, la preuve démontre que les défendeurs violent le droit d’auteur des demanderesses d’une façon continue et flagrante.

[133] Il convient de répéter que les FAI tiers ne sont que des conduits et qu’ils ne participent aucunement aux activités assimilables à une violation du droit d’auteur. Leur seule participation est que la diffusion en continu illégale est acheminée aux téléspectateurs au Canada par l’intermédiaire des services qu’ils offrent.

(2) Préjudice irréparable

[134] L’expression « préjudice irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue; ce préjudice est généralement décrit comme celui auquel il ne peut être remédié ou pour lequel un dédommagement adéquat ne peut être obtenu (RJR – MacDonald, à la p 341). Il a souvent été affirmé que ce préjudice ne peut pas être fondé sur une simple hypothèse, il doit être établi au moyen d’éléments de preuve suffisamment probants (voir Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31; Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 aux para 15 et 16; Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106 aux para 28 et 29). De plus, les éléments de preuve doivent démontrer une forte probabilité qu’un préjudice irréparable soit causé, pas qu’il est simplement possible. Cela dépendra évidemment des circonstances de chaque affaire (voir l’analyse faite dans la décision Letnes c Canada (Procureur général), 2020 CF 636 aux para 49 à 58).

[135] Cependant, une réparation équitable doit conserver sa souplesse nécessaire et il doit être admis que certaines formes de préjudice n’admettent pas facilement la preuve, notamment dans le cadre de procédures interlocutoires où il est essentiel d’agir rapidement et où la capacité de préparer un dossier de preuve complet est nécessairement limitée. Ce dont on a besoin, en fin de compte, c’est d’une « preuve solide » pour l’évaluation du préjudice; de simples affirmations ou conjectures d’un demandeur ne seront jamais suffisantes (voir Vancouver Aquarium Marine Science Centre v Charbonneau, 2017 BCCA 395 au para 60; Première Nation de Ahousaht c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2019 CF 1116 aux para 87 et 88).

[136] Dans la décision GoldTV CF, le juge Gleeson a analysé le facteur de la nécessité établi dans l’affaire Cartier dans le contexte de ce volet du critère, et la Cour d’appel fédérale a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une erreur. Par conséquent, je suivrai cette approche, même si je reconnais qu’il y a un degré de chevauchement entre l’examen de cet élément et les facteurs généraux de la prépondérance des inconvénients.

[137] Je passerai en revue les observations des parties sur les préjudices financiers et la nécessité, puis je discuterai de la question de savoir si les demanderesses ont satisfait au critère relatif au préjudice irréparable.

a) Préjudice financier

[138] L’essentiel de l’argument des demanderesses quant à ce motif est qu’elles perdent des abonnés et des revenus publicitaires éventuels en raison de la violation omniprésente, flagrante et continue de leur droit d’auteur imputable à la diffusion en continu non autorisée de leur contenu protégé par le droit d’auteur dans les matchs de la LNH en direct. Leur argument comprend plusieurs facettes liées entre elles.

[139] En premier lieu, le hockey de la LNH est très populaire auprès des téléspectateurs canadiens. Les matchs de la LNH sont les événements sportifs en direct les plus regardés au Canada, certains matchs peuvent attirer un très vaste public. Par exemple, on estime que 11 millions de personnes ont regardé le septième match des séries éliminatoires entre Montréal et Toronto pendant la première ronde des séries éliminatoires de 2021. Chacune des demanderesses a investi des sommes importantes pour obtenir les droits de diffuser ces matchs et continue d’effectuer des investissements afin d’entretenir l’infrastructure nécessaire pour satisfaire aux besoins de leurs clients. Leur preuve montre que les abonnés à leurs chaînes sportives spécialisées souhaitent particulièrement avoir accès aux diffusions en direct d’événements sportifs, notamment les matchs de la LNH.

[140] Ensuite, parce que presque tous les matchs de la LNH sont visionnés « en temps réel » (par opposition à d’autres émissions qui sont souvent enregistrées et auxquelles on a accès à des heures différentes), les demanderesses ont dû effectuer des investissements dans l’infrastructure nécessaire pour satisfaire aux heures de pointe dans la demande de services Internet pendant les diffusions en direct. En outre, étant donné que les abonnés ne peuvent pas effectuer une avance rapide pendant une diffusion en direct, les annonceurs savent exactement combien de téléspectateurs verront leurs annonces pendant les matchs de la LNH en direct, ce qui rend ces messages supplémentaires particulièrement rentables pour les demanderesses. Cela génère également des revenus pour la diffusion de leurs émissions liées aux sports avant et après les matchs de la LNH.

[141] Troisièmement, les demanderesses allèguent que la diffusion en continu non autorisée de leur contenu cause une perte continue de clients et qu’elle modifiera en permanence le comportement des consommateurs si on n’intervient pas. Les demanderesses reconnaissent qu’il leur est impossible de quantifier avec précision le nombre d’abonnés qu’elles ont perdu (ou qu’elles n’ont jamais gagné) en raison du piratage continu de leur contenu, mais elles prétendent que la preuve montre que le piratage constitue un problème considérable au Canada qui a indubitablement un effet négatif sur elles.

[142] En outre, les demanderesses signalent le fait évident que le préjudice découle d’un contexte où un grand nombre de défendeurs impossibles à identifier, lesquels pourraient se trouver n’importe où dans le monde, ont activement pris des mesures pour demeurer anonymes. Au mieux, leurs chances de recouvrer un jour des dommages‑intérêts auprès de ces parties sont minces (GoldTV CF, au para 66; GoldTV CAF, au para 71).

[143] Les demanderesses signalent un certain nombre d’autres décisions dans lesquelles on a jugé que la communication non autorisée d’un contenu protégé par le droit d’auteur au moyen d’Internet constituait un préjudice irréparable, notamment : Gold TV CF et GoldTV CAF; Bell Canada c 1326030 Ontario Inc, 2016 CF 612; Welsey (Mtlfreetv.com) c Bell Canada, 2017 CAF 55 aux para 3 à 5; et Bell Canada c Lackman, 2017 CF 634 au para 47.

[144] Pour l’ensemble de ces motifs, les demanderesses font valoir qu’elles ont établi qu’elles subiront des pertes financières équivalant à un préjudice irréparable.

[145] Les FAI tiers prétendent que la preuve des demanderesses est insuffisante, car elles ne sont pas parvenues à démontrer qu’un acte de piratage quelconque fait réellement en sorte que les demanderesses perdent des clients ou d’autres revenus. Ils signalent que le droit place la barre très haute en ce qui concerne l’établissement d’un préjudice irréparable et prétendent que, en l’espèce, les demanderesses ne l’ont pas atteint.

[146] Les tierces parties intimées ne contestent pas que les matchs en direct de la LNH sont largement regardés au Canada ou que les demanderesses ont investi une somme d’argent considérable pour faire l’acquisition des droits et développer l’infrastructure pour les diffuser. En outre, elles ne contestent pas que le piratage n’est pas souhaitable. Plusieurs des tierces parties intimées attestent de leur collaboration à d’autres efforts pour freiner la distribution de contenu illégal sur Internet, y compris grâce à leur participation au projet CleanFeed. Cependant, les tierces parties intimées signalent que ces propositions générales ne suffisent pas à établir l’existence d’un préjudice irréparable selon la norme requise par la jurisprudence contraignante.

[147] En ce qui concerne l’allégation voulant que le piratage des matchs en direct de la LNH cause une perte de revenus, les tierces parties intimées font valoir qu’aucune des demanderesses n’a présenté d’éléments de preuve indiquant que leurs revenus publicitaires, paiements d’abonnements ou autres sources de revenus ont diminué en raison du piratage. Elles signalent qu’il n’existe aucune preuve que les publicités diffusées sur les stations de la demanderesse ne sont pas aussi diffusées sur les flux en direct illégaux. Par conséquent, il n’y a aucune preuve que le public des annonceurs pour leurs messages publicitaires est réduit en raison du piratage et, par conséquent, il n’y a aucun fondement permettant de conclure que les demanderesses perdent des revenus en raison de la diffusion en continu illégale.

[148] En outre, les tierces parties intimées soutiennent que les demanderesses intimées ne sont pas parvenues à lier toute baisse dans leur base d’abonnés au piratage des diffusions de la LNH en direct. La preuve présentée par les demanderesses est soit générique – liée au piratage en général ou au piratage en Amérique du Nord – soit elle est fondée sur des opinions exprimées par des témoins qui n’ont pas tété adéquatement qualifiés en tant qu’experts. Les tierces parties intimées signalent qu’aucune des demanderesses n’a procédé à des sondages ou pris d’autres mesures pour recueillir des éléments de preuve plus précis pour établir un lien entre le piratage et leurs pertes. En l’absence d’une telle preuve, elles soutiennent que les demanderesses ne sont pas parvenues à satisfaire à un élément essentiel du critère relatif à l’octroi d’une injonction interlocutoire mandatoire.

b) Nécessité

[149] Ce facteur énoncé dans l’affaire Cartier est axé sur la question de savoir si une injonction interlocutoire mandatoire est nécessaire afin de protéger les droits des demanderesses. Comme il est résumé dans l’arrêt GoldTV CAF (au para 74) : « La réparation n’a pas à être indispensable, mais la cour peut déterminer s’il existe d’autres mesures moins onéreuses. »

[150] Les demanderesses font valoir que l’ordonnance est nécessaire, car c’est [TRADUCTION]°« le seul recours efficace et pratique qui s’offre à elles pour mettre un terme à la violation répandue sur Internet de leur droit exclusif au Canada à l’égard des matchs de la LNH en direct qu’elles ont acquis au coût de milliards de dollars » (mémoire des demanderesses, au para 174). Elles s’appuient sur la preuve établissant la nature et la portée du piratage ainsi que sur le fait que la grande majorité des pirates prennent des mesures pour dissimuler leur identité et mener leurs affaires à l’extérieur du Canada. En outre, elles font valoir qu’étant donné la rapidité à laquelle les pirates modifient les adresses IP associées à la diffusion en continu illégale, il serait peu réaliste de prendre des mesures pour les arrêter en intentant des actions pour viol du droit d’auteur.

[151] Les demanderesses soulignent que dans l’arrêt GoldTV CAF, au para 42, la nécessité d’entreprendre un processus aussi fastidieux a expressément été rejetée :

Lorsque, dans une action intentée contre un défendeur anonyme, le tribunal peut être convaincu que ce défendeur est et demeurera anonyme et qu’il ne tiendra aucun compte de l’injonction prononcée contre lui, il serait inutile et injuste d’exiger que le demandeur franchisse certaines épreuves pour la forme et patiente un certain temps pour confirmer ce qu’il sait, et ce que le tribunal reconnaît déjà, avant de demander une injonction à l’encontre d’un tiers.

[152] De plus, les demanderesses signalent les efforts qu’elles et d’autres ont faits pour contrer le piratage des diffusions de la LNH en direct.

[153] La preuve montre que, depuis 2019, la LNH a travaillé en collaboration avec une société pour envoyer environ 46 400 avis de retrait relatifs à des atteintes au droit d’auteur. Pour la saison de la LNH 2020‑2021, plus de 26 300 avis de retrait ont été envoyés, desquels seulement environ 11 % ont mené au retrait rapide du contenu portant atteinte au droit d’auteur.

[154] Rogers a également demandé à FMTS d’envoyer des avis de retrait et, au cours du mois de mai 2021, elle a envoyé 221 avis à des fournisseurs hébergeurs, y compris ceux hébergeant les serveurs de diffusion en continu non autorisée de Jean Untel no 2 et certains des serveurs de Jean Untel no 1. À la date de la présente audience, FMTS n’a reçu aucune réponse à ces avis.

[155] La preuve montre que les demanderesses travaillent aussi en collaboration avec un tiers afin de surveiller des services publicitaires et des plateformes de médias sociaux classifiés pour identifier les personnes ou les entités annonçant des services d’abonnement, et des milliers de demandes de retrait ont été délivrées relativement à de telles publicités et publications. Elles surveillent aussi des sites Web qui vendent des services non autorisés par l’intermédiaire d’un service de traitement de paiements tels que Paypal, Visa et MasterCard. Enfin, Rogers a relevé et signalé des flux non autorisés de matchs de la LNH en direct accessibles sur des sites de médias sociaux tels que YouTube, Facebook et Twitter, ainsi que des liens vers de tels flux publiés sur des sites d’agrégation tels que Reddit. Des centaines de flux non autorisés ont été signalés à ces sites Web, avec des répercussions limitées.

[156] Les demanderesses soutiennent que, bien qu’il soit difficile de quantifier l’efficacité de ces mesures, la preuve dont la Cour est saisie montre que, malgré tous les efforts d’application de la loi, les serveurs de diffusion en continu non autorisés fournissant accès à des flux de grande qualité de matchs de la LNH en direct demeurent répandus et facilement accessibles aux téléspectateurs canadiens. En outre, les demanderesses allèguent que les autres mesures proposées par les tierces parties intimées sont spéculatives et non éprouvées.

[157] Pour l’ensemble de ces motifs, les demanderesses affirment que l’ordonnance est nécessaire.

[158] Les tierces parties intimées avancent deux arguments sur ce point. Dans un premier temps, elles remettent en question l’allégation des demanderesses selon laquelle l’ordonnance est nécessaire, car leurs efforts d’application de la loi antérieurs n’ont pas réussi à empêcher le piratage de leur contenu protégé par le droit d’auteur. Ils signalent les données présentées par le témoin des demanderesses, M. Demetriades, qui montre une diminution générale dans le nombre d’adresses IP distinctes liées à des services de diffusion en continu non autorisés pendant la surveillance effectuée par FMTS. Les tierces parties intimées allèguent que cette preuve montre que les efforts des demanderesses avaient un effet et, par conséquent, que l’ordonnance sans précédent qu’elles sollicitent aujourd’hui n’est pas justifiée.

[159] Relativement à cette question, les FAI tiers affirment que les demanderesses n’ont procédé à aucune évaluation ou enquête quant à la sécurité de leurs plateformes de diffusion pour déterminer la façon dont les pirates ont acquis leurs flux. Cependant, la propre preuve des demanderesses montre qu’au moins une partie des enregistrements piratés est obtenue à partir des services d’abonnement légitimes des demanderesses. Cela donne à penser que les demanderesses auraient pu et auraient dû prendre des mesures pour empêcher le piratage par l’intermédiaire de la gestion des droits numériques (GDN), notamment par l’intermédiaire d’une technique particulière (la « stéganographie ») qui aurait pu aider les demanderesses dans la détermination des sources d’origine du contenu non autorisé. En l’absence d’une telle preuve, les FAI tiers contestent que les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer que l’ordonnance est nécessaire.

[160] Dans l’ensemble, les FAI tiers font valoir que les demanderesses n’ont pas démontré de manière efficace qu’elles ont tout mis en œuvre pour empêcher le piratage des matchs de la LNH, que ce soit en déployant de plus grands efforts d’application de la loi à l’aide d’autres recours juridiques, ou en mettant en œuvre des mesures de GDN pour empêcher l’accès non autorisé ou à tout le moins pour en identifier la source.

[161] La CIPPIC n’a formulé aucune observation précise sur ce point, mais il vaut la peine de souligner un argument particulier. La CIPPIC soutient qu’à la lumière du contexte législatif, de la nature de la preuve des demanderesses et des intérêts en cause, la preuve à l’égard des droits de chacune des demanderesses doit être solide.

c) Discussion

[162] Les demanderesses ont établi l’existence d’un préjudice irréparable. La preuve des demanderesses montre une diffusion en continu illégale continue et importante des diffusions de la LNH en direct à l’égard desquelles elles sont titulaires d’un droit d’auteur. Même s’il y a une certaine indication que leurs différents efforts antérieurs en matière d’application de la loi peuvent avoir réduit cette activité dans une certaine mesure, il n’y a aucun fondement pour conclure qu’un effort accru en vue de faire respecter leurs droits grâce à un plus grand nombre de moyens traditionnels est susceptible d’avoir des répercussions importantes sur l’ampleur et la portée de la diffusion en continu illégale. En fait, la preuve générale présentée tend à démontrer que le piratage est un problème croissant.

[163] Notre Cour a entendu un grand nombre des affaires portant sur les efforts antérieurs des demanderesses de mettre en application leur droit d’auteur. Cela comprend les injonctions interlocutoires à l’encontre de différentes parties et, dans certains cas, les procédures se sont intensifiées pour prendre la forme de requêtes pour que les parties soient reconnues coupables d’outrage au tribunal en raison de leur non‑respect délibéré et répété des ordonnances de la Cour (voir : Warner Bros Entertainment Inc. c White (Beast IPTV), 2021 CF 53, confirmée dans White (Beast IPTV) c Warner Bros, 2022 CAF 34, et dans Warner Bros Entertainment Inc. c White (Beast IPTV), 2021 CF 989). En outre, la preuve relative au respect des avis envoyés en vertu de la Loi sur le droit d’auteur indique que, bien que certaines sociétés s’y conforment, d’autres les ignorent. En l’espèce, la preuve montre qu’une partie des sites ciblés informent leurs clients soit qu’ils ignoreront de tels avis ou qu’ils ne s’attendent pas à ce que des mesures soient prises après les avoir communiqués à l’abonné.

[164] Dans les circonstances de la présente affaire, le dommage découlant de la diffusion en continu non autorisée est principalement de nature financière et, habituellement, de tels dommages ne peuvent équivaloir à un préjudice irréparable, car ils sont recouvrables après le procès. Cependant, en l’espèce, comme dans l’affaire GoldTV CF, le préjudice causé aux demanderesses survient « dans le contexte d’un dossier solide prima facie de violation continue du droit d’auteur des demanderesses par des défendeurs inconnus » (para 66). La Cour d’appel a statué qu’il s’agissait d’un motif « tout à fait approprié » pour conclure à un préjudice irréparable (para 71).

[165] La preuve montre effectivement avec précision le nombre d’abonnés que les demanderesses ont perdus, ou les nouveaux clients qu’elles n’ont pas été en mesure d’attirer, découlant directement de la diffusion en continu illégale. Cependant il est raisonnable de déduire de la preuve que cela fait partie des raisons pour lesquelles les gens soit choisissent de mettre fin à leur abonnement ou de ne pas s’abonner en premier lieu. La preuve montre que le piratage d’un droit d’auteur porte atteinte au système de radiodiffusion canadien et que des préjudices similaires ont été reconnus dans d’autres territoires de compétence.

[166] Je conviens avec les demanderesses que les autres mesures proposées par les tierces parties intimées sont, d’après le dossier dont je suis saisi, conjecturales et non éprouvées. Même si toutes les parties devraient se pencher sur la question de la GDN, incluant la stéganographie, en ce qui a trait aux demandes futures d’une nature similaire ou d’une demande en vue de proroger l’ordonnance en l’espèce, la preuve dont je suis saisi n’étaye pas une conclusion voulant que de telles mesures constituent une solution de rechange viable. Plus particulièrement, la preuve ne suffit pas à montrer que la mise en œuvre est une option réaliste pour les demanderesses, pas plus qu’elle démontre que cette technique est un mécanisme efficace qui, en pratique, permettrait aux demanderesses d’identifier la source des flux illégaux. Enfin, même si une telle identification est possible, on ne sait pas de quelle façon cela permettrait de mettre fin efficacement au piratage.

[167] Enfin, d’après le dossier dont je suis saisi, il est impossible de conclure que l’une des solutions de rechange proposées par les tierces parties intimées constituerait un moyen d’empêcher le piratage.

[168] Pour ces motifs, je suis convaincu que les demanderesses ont établi l’existence d’un préjudice irréparable et que l’ordonnance est nécessaire pour mettre un terme ou, à tout le moins, pour réduire la diffusion en continu illégale de matchs de la LNH en direct à l’égard desquels elles sont titulaires d’un droit d’auteur.

(3) Prépondérance des inconvénients

[169] À la troisième étape, « il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée » (SRC, au para 12). On utilise souvent l’expression « prépondérance des inconvénients » (RJR – MacDonald, à la p 342). À ce stade de l’analyse, des considérations plus grandes en matière d’intérêt public sont soulevées – et, comme il deviendra plus clair ci‑après, je suis d’avis que ces considérations sont importantes en l’espèce.

[170] Comme dans l’affaire GoldTV CF, il convient d’organiser cette partie de la discussion en référence aux facteurs énoncés dans l’affaire Cartier (abstraction faite de la nécessité, dont il a déjà été question). C’est ainsi que les parties ont débattu l’affaire, et les facteurs offrent un moyen utile d’aborder la preuve et les arguments. Ce faisant, toutefois, j’ajoute deux mises en garde. En premier lieu, j’adopte les mots de mise en garde de la décision GoldTV CF :

[54] Les facteurs restants seront utiles pour évaluer la prépondérance des inconvénients et déterminer ce qui est juste et équitable en examinant les intérêts légitimes, mais opposés, des demanderesses, des tierces parties intimées et du grand public. J’estime que les facteurs susmentionnés ne sont pas exhaustifs et qu’aucun facteur n’est déterminant relativement au volet de la prépondérance des inconvénients du critère. Chacun des facteurs sera examiné, mais ils seront présentés de manière globale dans mon évaluation de la prépondérance des inconvénients.

[171] En deuxième lieu, chacun des facteurs sera examiné selon l’ordre approprié compte tenu des arguments des parties et des circonstances de la présente espèce, plutôt que de suivre simplement l’ordre que le tribunal dans l’affaire Cartier a jugé utile à ses fins. Une partie importante de l’argument dans cette affaire tournait autour des questions connexes relatives à la complexité et au coût, ce facteur fera donc l’objet d’une discussion en premier.

[172] Comme je le montrerai ci‑après, une part importante des éléments de preuve et des arguments en l’espèce portait sur les éléments en question en l’espèce, une différence importante entre la présente espèce et la décision GoldTV CF, dans laquelle il a été reconnu que les tierces parties intimées avaient la capacité de mettre en œuvre l’ordonnance sans que cela leur impose un fardeau important (voir GoldTV CF, aux para 86 et 87).

[173] Pour situer la discussion qui suit et pour mieux comprendre les préoccupations des tierces parties intimées, il sera utile de commencer par une description de l’approche proposée par les demanderesses à l’égard du blocage dynamique de sites.

a) Blocage dynamique de sites

[174] Les demanderesses proposent de retenir les services de FMTS pour surveiller la distribution illégale des diffusions de matchs de la LNH en direct protégées par le droit d’auteur, en mettant l’accent sur les adresses IP des serveurs de diffusion en continu par l’intermédiaire desquels les défendeurs non désignés nommément distribuent ce contenu.

[175] En ayant recours aux méthodes exclusives décrites dans les affidavits de MM. Demetriades et Friend, FMTS assurerait une surveillance pendant un intervalle de temps commençant avant la diffusion d’un match de la LNH en direct et se poursuivant jusqu’à la fin du match : c’est ce que l’on a décrit comme la « fenêtre de match de la LNH en direct ». FMTS identifierait les flux en direct montrant les versions non autorisées des enregistrements protégés par le droit d’auteur autorisés par les demanderesses, ci‑après les « enregistrements de matchs de la LNH », par l’intermédiaire de sa technologie exclusive, qui sert à associer une partie du flux non autorisé à la partie correspondante d’une diffusion autorisée. Une fois cette association faite, FMTS relèverait les adresses IP pertinentes associées à la distribution non autorisée, une fois de plus en ayant recours à l’expertise qu’elle a acquise en exécutant une surveillance similaire en vertu d’ordonnances de blocage de sites accordées au Royaume‑Uni et ailleurs. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[176] Afin d’éviter le « surblocage » (c.‑à‑d. empêcher l’accès au contenu légitime), FMTS propose un certain nombre de mesures, incluant :

  1. limiter la période pendant laquelle le blocage dynamique d’adresses IP est actif;
  2. vérifier que l’autre contenu disponible dans l’infrastructure de diffusion en continu pirate pertinente consiste également en du contenu non autorisé;
  3. vérifier qu’il n’y a aucun élément de preuve d’une activité légitime importante quelconque;
  4. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  |  |||||| | | | | ||||||||||
  5. signaler au fournisseur hébergeur chaque fois que l’un ou plusieurs de ses serveurs sont bloqués de façon à ce qu’il en soit informé et qu’il puisse en informer ses clients.

[177] Les demanderesses affirment que ces mesures feraient en sorte qu’un « sous‑blocage » (c.‑à‑d., le blocage d’une partie, mais pas de la totalité du contenu portant atteinte au droit d’auteur) serait plus susceptible de survenir qu’un surblocage, ce qui protégerait les intérêts des tierces parties intimées et du public en veillant à ce que l’accès au contenu légitime ne soit pas bloqué.

[178] Une fois ces conditions satisfaites, FMTS relèverait un certain nombre d’adresses IP à bloquer pour empêcher la diffusion en continu non autorisée de chaque match de la LNH en direct. Cette liste serait stockée sur un serveur sécurisé auquel peuvent accéder les FAI. La liste serait mise à jour régulièrement et, à leur tour, on attendrait des FAI qu’elles mettent à jour les adresses IP à bloquer au moins toutes les heures pendant la fenêtre de match en direct de la LNH. Cette mise à jour pourrait être effectuée manuellement ou par la programmation de leurs systèmes afin d’automatiser le processus. D’une façon ou d’une autre, cela comprendrait l’obtention de la liste auprès d’un serveur sécurisé et de la transmettre aux routeurs de cœur pendant la fenêtre de match en direct de la LNH.

[179] Les tables de routage dans les routeurs de cœur des FAI seraient programmées afin d’acheminer les requêtes d’accès aux adresses IP inscrites dans la liste des abonnés vers un trou noir. Il s’agit en fin de compte de la façon dont le blocage se déroulerait; le routeur serait programmé de façon à ne pas envoyer la requête à sa destination prévue. La requête serait acheminée nulle part, empêchant ainsi le client d’accéder au flux non autorisé.

[180] À la fin de la fenêtre du match de la LNH en direct, chaque FAI serait tenu de reconfigurer ses routeurs de cœur pour mettre un terme au blocage des adresses IP inscrites sur la liste.

[181] Le processus serait ensuite répété lorsque la fenêtre de match en direct de la LNH aurait commencé, et ainsi de suite. C’est ce en quoi consiste essentiellement le blocage dynamique de sites que proposent les demanderesses.

[182] Dans ce contexte, nous nous penchons sur l’analyse de la prépondérance des inconvénients.

b) Les facteurs énoncés dans l’affaire Cartier

(i) Complexité et coût

[183] Ce facteur tient compte de la complexité et du coût de la mise en œuvre du projet d’ordonnance de blocage dynamique. Une partie considérable de la preuve et de l’argument en l’espèce porte sur ce point, y compris la question de savoir si les tierces parties intimées pourraient réellement mettre en œuvre le type de blocage dynamique de sites demandé par les demanderesses, le coût et la difficulté qu’elles devraient assumer pour ce faire et les risques auxquels elles s’exposeraient. Liée à cela est la question de savoir qui paie, ce dont il est question ci‑après, sous le titre « Coûts de mise en œuvre ».

[184] En vertu de cet élément, l’accent porte sur le fardeau imposé aux tierces parties intimées si elles sont tenues de mettre en œuvre une ordonnance de blocage dynamique de sites. La raison est évidente et le point a été exprimé en ces termes dans l’affaire Cartier, au paragraphe 120 (citant Scarlet Extended SA Societe Belge des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs Scrl (SABM), [2011] ECR I —11 959 au para 48, citant à son tour la Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur l’application des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, 30.4.2004) [directive de l’UE]) :

[U]ne telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise du FAI concerné puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais, ce qui serait d’ailleurs contraire aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 1, de la [directive de l’UE], qui exige que les mesures pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses.

[185] Même si, dans l’affaire Cartier, ce facteur était fondé sur l’article 3(1) de la directive de l’UE – qui n’a aucune application au Canada – la justification sous‑jacente pour le facteur a été jugée pertinent dans ce pays (voir la décision GoldTV CF, aux para 48 à 50).

[186] Les tierces parties intimées font valoir qu’on leur demande d’assumer des obligations coûteuses supplémentaires qui bénéficieront à leurs concurrents et qui pourraient avoir une incidence négative sur la qualité et la fiabilité du service qu’elles offrent à leurs propres clients. Selon Cogeco, [TRADUCTION« [c]ela serait assimilable à être forcé de devenir associés en affaires avec les demanderesses » (mémoire de Cogeco, au para 57). De manière similaire, Telus a affirmé que, bien qu’elle sympathisait avec l’objectif d’éliminer le piratage, elle était en désaccord avec la proposition voulant que les demanderesses [TRADUCTION« aient droit à une ordonnance du tribunal qui impose des obligations, des fardeaux et des coûts à [Telus] en tant que concurrent, dans le seul but de renforcer la capacité de leurs divisions médias de faire plus d’argent au moment d’octroyer des licences à l’égard de leur contenu aux fins de distribution autorisée » (affidavit de Nazim Benhadid, au para 24).

[187] Les tierces parties intimées s’opposent aux déclarations générales formulées par les représentants des demanderesses selon lesquelles chaque FAI peut mettre en œuvre l’ordonnance, en faisant observer qu’aucune de ces personnes n’a de connaissances ou d’expérience concernant leur infrastructure réseau particulière. Je partage cette préoccupation et ce point général n’a pas fait l’objet d’une contestation sérieuse de la part des demanderesses.

[188] La preuve des tierces parties intimées montre que leurs situations concernant leur infrastructure réseau, leur organisation interne ainsi que leurs plans de mise à niveau de leurs réseaux sont propres à chacune. Par conséquent, elles font valoir qu’il n’est pas approprié d’imposer une ordonnance générale qui leur imposerait à chacune des obligations identiques, et soulignent qu’elles ne seraient pas dans une situation leur permettant de se conformer à une ordonnance quelconque sans consacrer du temps, de l’énergie et des ressources (humaines et financières) à la tâche.

[189] Malgré les situations uniques de chacun des FAI tiers, leurs préoccupations sont similaires, et se rapportent à la fois à la nature et à la portée du blocage demandé ainsi qu’aux répercussions que cela aurait sur leurs réseaux et, en fin de compte sur leurs clients. Il y a plusieurs raisons à ces préoccupations.

[190] Premièrement, il n’est pas possible de déterminer le nombre d’adresses IP qui devront être bloquées à l’avance, car l’ordonnance est sans précédent, il n’y a donc aucune expérience canadienne pertinente, et la portée des mesures prises en vertu des ordonnances de blocage dynamique ailleurs demeure confidentielle. Signalons que, pendant la saison régulière, il y a de cinq à dix matchs de la LNH diffusés chaque soir et le fardeau anticipé d’avoir à bloquer la diffusion en continu non autorisée de chaque match, de mettre à jour les adresses IP à bloquer pendant chaque match, puis de débloquer ces sites à la fin de chaque match semble titanesque.

[191] Ensuite, les tierces parties intimées n’ont pas la capacité de vérifier que les sites à bloquer transmettent uniquement du contenu non autorisé et aucun contenu légitime, il existe donc un risque de bloquer par inadvertance du contenu bénin (surblocage).

[192] Enfin, la nature, la portée et la vitesse des actions qui sont requises pour donner effet au blocage dynamique imposent des risques excessifs et injustifiés aux tierces parties intimées, qui, il convient de le répéter, ne sont accusées d’aucun acte répréhensible.

[193] Pour les motifs énoncés ci‑après, je n’estime pas nécessaire de parler longuement des renseignements commerciaux confidentiels déposés par les tierces parties intimées. Cela dit, je souhaite souligner que ce type d’élément de preuve peut constituer une considération importante dans toute affaire éventuelle portant sur des demandes visant à obtenir une ordonnance de blocage dynamique de sites et que, par conséquent, le fait que cette question ne soit pas abordée de manière détaillée en l’espèce ne devrait pas être interprété comme une indication qu’elle n’est pas pertinente. Au lieu de cela, il s’agit simplement d’une conséquence des circonstances actuelles et des limites à l’égard de l’ordonnance qui sera délivrée, comme je l’explique ci‑après.

[194] La preuve et les arguments des tierces parties intimées portaient sur plusieurs aspects des coûts et de la complexité, en commençant par la question de savoir si elles peuvent – d’un point de vue pratique – réellement mettre en œuvre l’ordonnance. Plusieurs de leurs témoins ont dit qu’elles n’avaient simplement pas la capacité de donner effet à l’ordonnance sollicitée. Il y a plusieurs raisons à cela. Certaines raisons concernent les limites de conception et pratiques de gestion actuelles qu’elles ont adoptées dans la gestion de leurs réseaux actuels. D’autres ont trait à la réalité du fait que le blocage dynamique de sites d’un grand nombre d’adresses IP de manière continue nécessite l’utilisation d’un système automatisé qu’aucune des tierces parties intimées n’utilise à l’heure actuelle. En outre, une préoccupation générale demeure les répercussions sur la stabilité, la fiabilité et la vitesse de leurs réseaux, et le potentiel de répercussions négatives sur leurs abonnés ainsi que la réputation de leurs sociétés.

[195] Il convient de répéter que chacune des tierces parties intimées se trouve dans une situation légèrement différente. Par conséquent, je parlerai brièvement du type de preuve déposée.

[196] Distributel exploite trois entités juridiques distinctes : Distributel, Navigata (formée en 2018 à la suite d’une acquisition) et Primus (formée après avoir réalisé une acquisition en 2021). |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| les demanderesses ont précisé qu’elles sollicitaient uniquement une ordonnance qui obligerait Distributel à bloquer ses propres abonnés, pas ceux des autres sociétés acquises récemment.

[197] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||  |  |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

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[198] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[199] Cogeco |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| soulignait la planification scrupuleuse et la nature graduelle des modifications qu’elle apporte à son réseau, en raison de son engagement envers un service excellent et fiable. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| || |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Cogeco affirme que la mise en œuvre de l’ordonnance nécessiterait une démarche aussi prudente et graduelle.

[200] ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||  |  |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| || ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[201] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[202] Même si le témoin de Cogeco a présenté un affidavit long et détaillé, j’estime qu’il a perdu de la crédibilité en contre‑interrogatoire. Le témoin a fourni des réponses évasives ou incomplètes à de nombreuses questions, et il a refusé de reconnaître des points évidents, avant de concéder enfin plusieurs questions primordiales en ce qui a trait aux questions en litige en l’espèce. Pour cette raison, j’accorderai un poids moindre au témoignage de ce témoin dans l’évaluation générale de la question axée sur les coûts et la complexité.

[203] |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[204] Telus a signalé le fait que, bien qu’elle se livre dans une certaine mesure au blocage de sites pour se conformer à l’ordonnance prononcée dans la décision GoldTV CF, ou en raison de sa participation au projet Cleanfeed, |||||||||||||||||||| ||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||

[205] Au fond, je dois en premier lieu déterminer si les tierces parties intimées peuvent, en fait, mettre en œuvre l’ordonnance. Dans l’affirmative, cela soulève la question de savoir si l’ordonnance sollicitée leur imposerait un fardeau disproportionné.

[206] Après avoir examiné amplement la preuve, je suis convaincu que les tierces parties intimées ont chacune la capacité de se livrer au type de blocage dynamique de sites demandé. Même si j’accepte que cela impose de nouvelles obligations à chaque FAI, de même que certains risques supplémentaires, je suis convaincu que les FAI possèdent la capacité technique de se livrer au blocage dynamique de sites et d’adresses IP.

[207] Comme il est indiqué ci‑dessus, les demanderesses souhaitent obtenir une ordonnance qui exigerait que les FAI bloquent l’accès aux serveurs de diffusion en continu non autorisés et à leur infrastructure connexe, recensés au moyen de leurs adresses IP respectives. Cela comprend plusieurs étapes de base : FMTS dresserait et tiendrait à jour une liste pour chaque fenêtre de matchs en direct de la LNH. Les FAI seraient ensuite tenus d’accéder à cette liste et de configurer leurs routeurs de cœur de façon à ce que toutes les demandes d’accès pour ces adresses IP soient acheminées vers un trou noir plutôt que vers leurs destinations prévues. La liste serait uniquement « active » pendant la fenêtre de matchs en direct de la LNH et serait mise à jour pendant chaque match. Les FAI seraient tenus de se livrer au blocage de différentes adresses IP pendant chaque fenêtre, puis de débloquer ces sites après chaque match. Ils auraient à répéter ce processus chaque fois qu’un match de la LNH serait diffusé, ce qui peut être plusieurs fois par jour et comprendre les diffusions simultanées de différents matchs. Cela pourrait être effectué manuellement ou par l’automatisation de leurs systèmes afin de télécharger automatiquement la liste des adresses IP à bloquer et de transmettre ensuite cette information dans leurs routeurs de cœur.

[208] Je reviendrai dans des sections ultérieures sur les risques associés à l’assemblage initial de la liste des adresses IP, ainsi que sur les contrôles et les mesures de protection qui devraient être mis en place pour atténuer ces risques. À ce stade‑ci, l’accent porte sur le coût et la complexité imposés aux FAI par une telle ordonnance.

[209] Je suis convaincu d’après la preuve dont je suis saisi que les réseaux de chacun des FAI possèdent des routeurs « de cœur » ou « de bordure de zone » qui représentent le point essentiel dans la chaîne par laquelle leurs clients peuvent avoir accès à du contenu sur Internet. Chacun des témoins convient que la fonction d’un routeur est d’acheminer le trafic – qu’il soit entrant ou sortant. Par conséquent, un routeur peut être programmé pour acheminer les requêtes entrantes ou sortantes vers leur destination prévue, ou les envoyer dans un trou noir, vers nulle part; tous les témoins sont d’accord sur ce point. Certes, les FAI ont actuellement recours à cette technique pour leurs propres fins, principalement pour protéger l’intégrité et la stabilité de leurs réseaux.

[210] Par exemple, les tierces parties intimées protègent les abonnés individuels contre les attaques DDOS en se livrant au filtrage des trous noirs déclenché à distance et en surveillant continuellement leurs systèmes pour détecter de telles attaques et y répondre. La preuve montre que les FAI doivent parfois prendre de telles mesures plusieurs fois par jour. Plusieurs des tierces parties intimées le font grâce à une combinaison d’interventions automatisées et manuelles, et leur surveillance est continue.

[211] Cependant, la preuve est également claire sur le fait que chaque tierce partie intimée est limitée quant à sa capacité de blocage, ces limites sont liées à la configuration de son réseau, aux limites des routeurs qu’elle utilise, ou les deux. Elles imposent des limites supplémentaires et des restrictions afin de réduire le risque d’erreur ainsi que de maintenir une certaine capacité de réserve pour être en mesure de répondre aux autres problèmes qui pourraient survenir, y compris les attaques DDOS. J’accepte pleinement la preuve des tierces parties intimées selon laquelle leur infrastructure réseau ne peut pas bloquer un inconnu et (à ce stade‑ci) un nombre impossible à connaître d’adresses IP. Les limites sont réelles.

[212] Cependant, je n’accepte pas que cela se traduise en une incapacité de la part de l’une des tierces parties intimées de se livrer au blocage dynamique de sites à l’intérieur des paramètres actuels de leur infrastructure réseau. Elles peuvent – et c’est le cas actuellement – se livrer au blocage de sites par adresse IP et, par conséquent, en pratique, aucune d’entre elles ne sera confrontée à une situation impossible en raison de l’ordonnance. Elles seront cependant confrontées à certains risques et il est important de les reconnaître et de chercher à les atténuer.

[213] Les préoccupations exprimées par les tierces parties intimées relativement aux risques auxquels elles seraient confrontées en mettant en œuvre l’ordonnance sont principalement liées à la quantité et à la vitesse des mesures de blocage qu’elles devraient prendre. Ces préoccupations sont valides et doivent être prises en compte. Une considération importante est que l’ordonnance exigerait que les FAI modifient régulièrement la configuration des routeurs de cœur, et ce, à l’intérieur de certaines contraintes de temps. La réalité est que, bien que les routeurs de cœur soient essentiels au blocage requis, ils sont tout aussi essentiels au fonctionnement des réseaux des FAI. Ces routeurs servent de principal point de jonction entre leurs clients et Internet en général, donc tout ce qui a une incidence sur leur capacité ou toute erreur ayant une incidence sur leur fonctionnement aura des répercussions importantes sur leurs clients. Il est pertinent de souligner que les FAI sont exploités dans un marché hautement compétitif, où les clients exigent un service de qualité, rapide et fiable et dans lequel ils peuvent faire affaire avec d’autres fournisseurs s’ils deviennent insatisfaits.

[214] Pour atténuer ces risques, les tierces parties intimées ont mis en œuvre un certain nombre de pratiques et de processus opérationnels internes, et il serait tout à fait approprié qu’elles suivent à tout le moins en partie quelques‑unes de ceux‑ci pour prendre des mesures afin de mettre en œuvre l’ordonnance en l’espèce.

[215] M. Friend, un des témoins des demanderesses, affirme que du point de vue du routeur, le sens du trafic importe peu; le routeur peut soit ne pas envoyer les paquets entrants à leur destination prévue ou bloquer les requêtes sortantes. Même si cela est vrai du point de vue du routeur, j’accepte la preuve des tierces parties intimées selon lesquelles il existe une différence importante entre l’interruption du service d’un client pour les protéger et le système en général contre une attaque DDOS, comparativement au refus des requêtes sortantes d’un grand nombre d’abonnés. Comme |||||||| l’a expliqué, le risque de continuellement mettre à jour les tableaux de routeurs est qu’une erreur dans la saisie des adresses n’affecte pas un seul abonné ou quelques adresses IP seulement. Si la mauvaise adresse IP est associée à un serveur de passerelle du réseau, l’effet serait de démanteler toute une partie de leur réseau, ce qui aurait potentiellement des répercussions sur des milliers de clients.

[216] L’ordonnance qui doit être accordée doit tenir compte des risques et des difficultés ainsi que des limites relatives à la capacité pratique auxquels chacune des tierces parties intimées est confrontée.

[217] Je suis cependant convaincu que, compte tenu de la situation au moment de la délivrance de la présente ordonnance, la mise en œuvre de l’ordonnance n’impose ni complexité ni coûts excessifs à l’une ou l’autre des tierces parties intimées. Plusieurs facteurs m’amènent à cette conclusion.

[218] En premier lieu, je peux prendre connaissance d’office du fait qu’au moment de la délivrance des présents motifs, les séries éliminatoires de la LNH sont en cours et que, par conséquent, le nombre de matchs diffusés chaque jour est considérablement réduit. Sur les 32 équipes qui jouent dans la ligue, seulement 16 se sont qualifiées pour les séries éliminatoires. Les séries éliminatoires de la LNH sont un tournoi éliminatoire de quatre rondes. Chaque ronde consiste en une série quatre de sept et, après chaque ronde, le nombre d’équipes est réduit de moitié. Sur le plan pratique, cela réduira séquentiellement le fardeau sur chacun des FAI et le blocage prendra fin à l’intérieur d’un délai court et défini.

[219] Deuxièmement, l’ordonnance à délivrer exigera que chaque FAI se livre au blocage uniquement selon l’étendue de sa capacité actuelle. Il y a plusieurs éléments importants en l’espèce. En premier lieu, l’ensemble des parties conviennent que la demande de services Internet est en croissance constante; il existe des éléments de preuve selon lesquels certains des FAI prévoient une augmentation annuelle de 10 %. Compte tenu de cette information, chacun des FAI réalise régulièrement des investissements prévus importants pour accroître ou renforcer la capacité actuelle de son réseau, simplement pour être en mesure de continuer à servir ses clients. L’ordonnance en cause en l’espèce exigera que chaque FAI se livre au blocage selon sa capacité à ce moment. Donc, par exemple, si entre le moment de l’audience et la publication de la décision, l’un des FAI a acheté et installé un ou plusieurs nouveaux routeurs de cœur, et qu’il a ainsi accru sa capacité de se livrer au blocage, on attendra de lui qu’il bloque autant de sites que le lui permettra sa capacité nouvellement renforcée.

[220] Troisièmement, les tierces parties intimées peuvent mettre en œuvre l’ordonnance au moyen de méthodes manuelles ou automatisées, selon leurs circonstances particulières. Même si elles estiment peut‑être qu’il est préférable de s’appuyer sur un système automatisé, il ne s’agit pas d’une condition de conformité qu’un tel système soit mis en place.

[221] Les coûts de mise en œuvre feront l’objet d’une discussion ci‑après.

[222] Enfin, il convient de souligner que les demanderesses sollicitent uniquement une ordonnance qui s’appliquera jusqu’à la fin de la saison de la LNH actuelle. Étant donné que les séries éliminatoires sont déjà en cours, cela signifie que le fardeau sur les tierces parties intimées durera moins de deux mois, après quoi toutes les parties auront l’occasion d’examiner les coûts et les avantages du blocage qui a été entrepris.

[223] Pour l’ensemble de ces motifs, je ne suis pas convaincu que l’ordonnance imposera une complexité ou des coûts excessifs aux tierces parties intimées.

(ii) Efficacité

[224] Ce facteur comporte un examen de la question de savoir si la mesure de redressement sollicitée compliquera la contrefaçon et découragera les utilisateurs d’Internet d’accéder au service portant atteinte au droit d’auteur. Il y a un certain niveau de chevauchement entre ce facteur, la dissuasion et la substitution, même si l’accent de ceux‑ci porte sur les utilisateurs actuels ou éventuels des flux piratés.

[225] Les demanderesses font valoir que l’ordonnance sera efficace selon la preuve concernant la façon dont survient la diffusion en continu illégale ainsi que selon l’expérience vécue avec ces types d’ordonnances dans d’autres pays. Elles affirment que le blocage de l’accès aux serveurs de diffusion est essentiel, car ils représentent la source de la communication de la diffusion non autorisée. Étant donné qu’un serveur de diffusion en continu peut héberger plusieurs plateformes de diffusion en continu non autorisées, le blocage de l’accès à ce serveur désactivera toutes les diffusions continues qui s’appuient sur cette plateforme.

[226] Les demanderesses reconnaissent qu’elles ne peuvent pas présenter d’éléments de preuve empiriques quant à l’efficacité du blocage dynamique de sites au Canada étant donné que la présente espèce est la première en son genre au Canada; toutefois, elles affirment que l’efficacité des ordonnances pour contrer les effets du piratage du contenu sportif en direct a été reconnue dans d’autres ressorts.

[227] Les tierces parties intimées font valoir que les demanderesses ont omis d’établir le bien‑fondé de leurs arguments sur ce point. Elles soulignent que les demanderesses auraient pu entreprendre des démarches avant d’intenter le présent litige à des fins d’essai et pour être en mesure d’établir un rapport sur l’efficacité de l’ordonnance sollicitée. Étant donné que les demanderesses fournissent plus de 70 % des services Internet aux clients résidentiels au Canada, ils auraient pu demander les approbations nécessaires pour être en mesure de se livrer à un essai quant aux répercussions du blocage dynamique de sites.

[228] En outre, les tierces parties intimées font valoir que le témoignage des témoins des demanderesses devrait être écarté, car ils sont des employés de FMTS, la société retenue par Rogers pour procéder à la surveillance et sur laquelle les demanderesses proposent de s’appuyer pour mettre en œuvre l’ordonnance. Compte tenu de leur intérêt financier dans l’issue de l’affaire, ces témoins ne sont ni indépendants ni objectifs, et ils ne devraient pas être reconnus comme étant des experts. Compte tenu de cet élément, les tierces parties intimées soutiennent que les demanderesses ne sont pas parvenues à démontrer que l’ordonnance sollicitée sera efficace.

[229] En ce qui a trait à ce dernier point, je conviens avec les tierces parties intimées que MM. Demetriades et Friend ne peuvent pas être acceptés à titre de témoins experts en raison de leur intérêt financier en l’espèce et de l’absence d’une explication quant à la raison pour laquelle une autre preuve, plus objective n’était pas disponible (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 aux para 45, 50). Cela dit, toutefois, j’estime qu’une part importante du témoignage des deux témoins était de nature factuelle, fondée sur leur expérience relativement à des ordonnances de blocage similaires dans d’autres pays, sur les services qu’ils ont fournis aux titulaires du droit d’auteur dans ces affaires et sur le travail qu’ils ont fait pour le compte de Rogers en l’espèce. Aucun de ces éléments de preuve n’a été contredit ou sérieusement remis en question en contre‑interrogatoire, et je suis d’avis que cette preuve est fiable et convaincante. Comme je l’expliquerai ci‑après, je conclus également que la surveillance et l’établissement de rapports par des experts indépendants et objectifs sont justifiés dans la présente affaire, partiellement en raison de la relation contractuelle continue entre FMTS et les demanderesses.

[230] En ce qui concerne le fondement de la question, d’après la preuve au dossier, ainsi que de l’expérience dans d’autres pays, je suis prêt à reconnaître que l’ordonnance sera efficace pour ce qui est de rendre plus difficiles les activités portant atteinte au droit d’auteur et qu’elle aura pour effet de décourager les utilisateurs d’accéder aux services portant atteinte au droit d’auteur. Je fais remarquer que le juge Gleeson a tiré la même conclusion dans la décision GoldTV CF, et ce, pour des motifs essentiellement similaires (voir les para 75 et 81).

[231] La preuve montre que presque |||| des cas de violation relevés par FMTS pendant sa surveillance de la diffusion en continu non autorisée des diffusions de Rogers seraient visés par l’ordonnance sollicitée. Il s’agit d’une indication que les cibles de l’ordonnance représentent une source importante des diffusions en continu non autorisées auxquelles on accède pour visionner des matchs de la LNH en direct et, par conséquent, on peut s’attendre à ce que la coupure de ces services ait des répercussions importantes.

[232] Cela est compatible avec les témoignages présentés par les témoins des demanderesses, qui ont parlé de leur expérience ailleurs ainsi que des efforts visant à mesurer l’efficacité des ordonnances accordées par d’autres tribunaux. Plus particulièrement, M. Demetriades a déclaré : [TRADUCTION]°« D’après notre expérience, le [blocage dynamique de sites] s’est révélé beaucoup plus efficace que toutes les méthodes antérieures de lutte contre le piratage en ce qui a trait à la capacité d’avoir une incidence marquée sur l’accessibilité aux matchs de la Premier League sur les services pirates de diffusion en continu » (affidavit Demetriades, au para 111).

[233] Au Royaume‑Uni, une série d’affaires ont accepté une preuve concernant l’efficacité de cette technique, en concluant que [TRADUCTION]°« l’expérience passée laisse entendre que le blocage entraîne une réduction importante dans le nombre d’utilisateurs du R.‑U. qui accèdent à des sites Web bloqués » (The Football Association Premier League Ltd v British Telecommunications Plc, [2017] EWHC 480 [Premier League] au para 49; voir aussi : Union des Associations Européens de Football v Eircom Ltd TéA Eir & Ors, [2020] IEHC 488 au para 11, et les affaires qui y sont citées).

[234] Cette conclusion est également renforcée par une étude récente menée par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, qui a conclu que les tribunaux au R.‑U. et dans certains autres pays, ont conclu que de telles ordonnances sont efficaces pour ce qui est de réduire le trafic vers les sites de diffusion en continu non autorisés (OUEPI, Study on Dynamic Blocking Injunctions in the European Union (2021), à la p 59).

[235] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les demanderesses ont établi que l’ordonnance sollicitée sera efficace.

(iii) Le caractère dissuasif et la substitution

[236] Ces facteurs sont essentiellement explicites. Le caractère dissuasif tient compte de la question de savoir si d’autres personnes qui n’accèdent pas actuellement aux services portant atteinte au droit d’auteur seront dissuadées de le faire. La substitution examine l’étendue selon laquelle les sites Web bloqués peuvent être remplacés ou substitués par de nouveaux sites ou d’autres sites portant atteinte au droit d’auteur. Comme les autres facteurs, ces éléments concernent la proportionnalité de l’ordonnance envisagée. Si elle ne permet pas de détourner les gens des services non autorisés ou si les sites bloqués peuvent être facilement remplacés par d’autres flux illégaux, alors l’imposition à des FAI innocents du fardeau de la mettre en œuvre pourrait ne pas être justifiée.

[237] Les demanderesses font valoir que l’expérience vécue ailleurs montre que l’ordonnance sera dissuasive, car le refus d’accès à du contenu non autorisé [TRADUCTION« aidera à éduquer… les consommateurs que l’accès à des flux portant atteinte au droit d’auteur n’est ni légal ni une façon fiable d’accéder [au] contenu ». (Premier League, au para 53). Elles font valoir que, bien qu’il existe certaines mesures de contournement sur lesquelles les utilisateurs pourraient potentiellement s’appuyer, de tels outils ont des coûts importants et il a été reconnu que l’ajout de coûts à la diffusion non autorisée puisse rapprocher le total des coûts assumés par l’utilisateur pour accéder à du contenu portant atteinte au droit d’auteur des coûts d’un abonnement légal. Dans l’affaire Twentieth Century Fox Film Corp v British Telecommunications Plc, [2011] EWHC 1981, au paragraphe 196, on a conclu que [TRADUCTION]°« [p]lus la différence entre les coûts est petite, plus il est probable qu’un certain nombre d’utilisateurs seront prêts à payer un peu plus pour obtenir du contenu auprès d’un service légitime ».

[238] Les demanderesses affirment que cela est particulièrement approprié dans le contexte du piratage des événements sportifs tels que les matchs de la LNH, qui offrent une meilleure expérience en direct. Les utilisateurs dont l’accès au flux non autorisé est bloqué de façon répétée sont plus susceptibles d’envisager de s’abonner à un service autorisé plutôt que de payer pour des moyens supplémentaires leur permettant de continuer à avoir accès au contenu illégal. En outre, les demanderesses prétendent que le type d’ordonnance en cause a un effet dissuasif sur les exploitants de serveurs de diffusion en continu non autorisés. La raison est que leurs opérations seront perturbées de manière continue, au fur et à mesure que les listes seront mises à jour et que de nouvelles adresses IP seront relevées à des fins de blocage.

[239] Les demanderesses font aussi valoir qu’elles peuvent cerner et bloquer la grande majorité des services de diffusion en continu non autorisée et, par conséquent, la substitution sera limitée. Même si elles ne parviennent pas à bloquer tous les flux non autorisés, les demanderesses affirment que des solutions de rechange permettant de miner l’utilité de l’ordonnance ne seront pas facilement accessibles. Ils font valoir que, parce que la liste d’adresses IP à bloquer serait mise à jour régulièrement, l’ordonnance sera aussi exhaustive que possible et, par conséquent, la capacité de substituer d’autres flux non autorisés à ceux qui sont bloqués sera limitée.

[240] Les tierces parties intimées n’ont pas abordé ce sujet de manière détaillée, autrement que pour souligner que l’effet dissuasif de l’ordonnance serait renforcé par une exigence voulant que des avis soient envoyés aux clients individuels après le blocage de leur accès. Elles font remarquer que les modalités de l’ordonnance proposée par les demanderesses n’exigent pas la délivrance de tels avis; elles soulignent également qu’aucune d’elle n’a actuellement la capacité de mettre en œuvre une telle pratique et que, ce faisant, elles devraient procéder à de nouveaux investissements dans un système d’inspection approfondie des paquets (IAP), en plus d’assumer les coûts de mise en œuvre connexe.

[241] Je suis convaincu que l’ordonnance est susceptible d’avoir à tout le moins un effet dissuasif et qu’une substitution ne minera pas son efficacité. Comme on a conclu, ailleurs, dans des affaires similaires (précitées), et comme l’a conclu le juge Gleeson dans la décision GoldTV CF, au paragraphe 84, le blocage de l’accès au contenu autorisé est susceptible d’avoir des répercussions sur les personnes touchées, et celles‑ci seront confrontées à des coûts et à un niveau de complexité supplémentaires en cherchant à éluder les effets d’une ordonnance de blocage. Cela pourrait les dissuader de continuer et en persuader d’autres qui pourraient être tentés que cela n’en vaut pas la peine.

[242] En outre, je suis d’avis qu’une substitution permettant de faire échec à l’objet de l’ordonnance ou à la rendre disproportionnée par rapport à l’effort requis par les tierces parties intimées n’aura pas lieu facilement. La preuve montre que presque |||| des diffusions en continu non autorisées de matchs de la LNH en direct seraient visées par l’ordonnance et, par conséquent, une proportion importante de l’accès actuel sera coupée. On ignore si ces téléspectateurs peuvent être en mesure de remplacer ce contenu simplement en accédant aux sites qui demeurent non bloqués; par exemple, il n’est pas évident que ces sites peuvent gérer une augmentation importante du trafic, ou qu’ils donnent accès à un flux d’une qualité et d’une fiabilité similaires à celles des flux bloqués. La substitution ne représente donc pas un obstacle à l’ordonnance.

[243] D’après la preuve dont je suis saisi, j’admets que, bien que les modalités de l’ordonnance à accorder donneront lieu à un certain niveau de sous‑blocage (de façon à éviter d’avoir une incidence sur le trafic bénin de personnes innocentes), le type d’ordonnance de blocage en l’espèce aura néanmoins pour effet de limiter considérablement l’accès à la diffusion en continu non autorisée de matchs de la LNH en direct. C’est tout ce qui est demandé au titre de cet élément du critère.

[244] Pour ces motifs, je conclus que les demanderesses ont satisfait aux éléments caractère dissuasif et substitution des facteurs énoncés dans l’affaire Cartier.

(iv) Obstacles à l’utilisation ou au commerce légitimes

[245] Ce facteur porte sur l’examen de la question de savoir si la réparation créera des obstacles à l’utilisation ou au commerce légitimes en nuisant indûment à la capacité des utilisateurs des services des FAI d’accéder légalement à de l’information. Comme pour l’élément coût et complexité, cet élément est également issu de la directive de l’UE, qui dispose que les recours « doivent [...] être appliqués de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime » (para 3(2), cité dans Cartier, au para 123). En termes pratiques, cela exige que les mesures adoptées par le FAI soient strictement ciblées pour qu’elles n’affectent pas les utilisateurs qui cherchent à accéder légalement à du contenu. L’objet de ce facteur est d’empêcher un surblocage.

[246] En l’espèce, ce facteur revêt une importance particulière, en raison de la nature de l’ordonnance sollicitée et de l’absence d’une surveillance judiciaire continue dans son application quotidienne.

[247] Les demanderesses font valoir que cet élément est satisfait de deux façons : la durée limitée du blocage réduit le risque d’incidence sur le contenu légitime, et des mesures de protection sont en place, ce qui donnera lieu à un sous‑blocage, de façon à veiller à ce qu’il n’y ait aucune incidence sur les activités légitimes.

[248] Contrairement à l’ordonnance de blocage de sites accordée dans la décision GoldTV CF (laquelle exigeait un blocage continu), les demanderesses font valoir que le fait que le blocage dynamique ne sera requis que pendant la fenêtre de matchs de la LNH en direct signifie que toutes les répercussions éventuelles sur le contenu légitime ne seraient que temporaires. De plus, les demanderesses signalent les mesures de protection qui seraient mises en place pour veiller à ce que toutes les adresses IP relevées à des fins de blocage ne soient pas associées aux activités légitimes importantes. Ces mesures de protection comprennent le fait d’exiger que les demanderesses (ou FMTS) relèvent uniquement une adresse IP à des fins de blocage dans les situations suivantes :

  1. il n’y a aucun motif raisonnable de croire que le serveur connexe est utilisé à une fin légitime importante autre que la diffusion vidéo en continu non autorisée ou la facilitation d’une telle diffusion en continu;
  2. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[249] Les demanderesses font valoir que ces mesures de protection, combinées à l’exploitation des outils exclusifs de FMTS décrits dans la preuve confidentielle, servent à réduire au minimum le risque de surblocage. Selon elles, l’effet pratique de cela est que, dans l’éventualité où le contenu légitime continue puisse sembler disponible dans l’infrastructure de diffusion en continu qui distribue également des diffusions non autorisées de matchs de la LNH en direct, les adresses IP ne seraient pas relevées à des fins de blocage. Pour reprendre les mots des défenderesses, [TRADUCTION]°« les mesures de protection sont conçues de façon à toujours pencher du côté du sous‑blocage afin d’éviter le surblocage » (mémoire des demanderesses, au para 217).

[250] Les tierces parties intimées expriment de graves préoccupations quant aux répercussions potentielles de l’ordonnance sur leurs clients ainsi qu’en ce qui concerne le risque pour la réputation auquel elles s’exposeraient si elles étaient obligées de la mettre en œuvre. Il n’est pas nécessaire de répéter la discussion sur les risques d’une erreur dans la configuration des routeurs de cœur d’un FAI (voir les para 197 à 200 ci‑dessus). Les tierces parties intimées affirment que ce risque est amplifié, car elles n’auront pas la capacité de vérifier de manière indépendante que la liste des adresses IP satisfait aux critères énoncés dans l’ordonnance. Au lieu de cela, elles sont tenues de placer leur foi envers l’entrepreneur embauché et payé par leurs concurrents. Elles soulignent que FMTS semble essentiellement établie au R.‑U. et qu’il n’y a aucune indication qu’elle possède une expertise quelconque en matière de droit canadien sur le droit d’auteur.

[251] Les tierces parties intimées opposent cela aux contrôles et aux limites inhérentes à l’ordonnance de blocage statique accordée dans la décision GoldTV CF, dans laquelle la liste est assujettie à l’approbation de la Cour en fonction d’une preuve particulière. Elles ajoutent qu’en vertu du projet Cleanfeed, les renseignements concernant les domaines à bloquer proviennent de sources objectives, incluant la police, et non pas d’un entrepreneur embauché par une partie au litige, une partie qui est aussi un concurrent commercial.

[252] Enfin, les tierces parties intimées s’opposent à l’exigence selon laquelle il ne doit y avoir aucun contenu légitime substantiel dans le site figurant sur la liste; elles font valoir que le critère pourrait être plus strict et, si le site à une adresse IP comprend du contenu légitime, cette adresse ne devrait pas figurer dans la liste.

[253] La CIPPIC exprime également de sérieuses préoccupations voulant que le risque de surblocage soit accru avec une ordonnance de blocage dynamique de sites. Elle souligne que FMTS aura recours à des techniques exclusives qui s’appuient fortement sur des outils d’évaluation automatisés afin de déterminer les sources de la diffusion en continu non autorisée ainsi que pour confirmer qu’elles n’hébergent pas aussi un contenu légitime substantiel. Dans de nombreux cas, les adresses IP associées aux services de diffusion en continu inscrits sur la liste seraient relevées et inscrites sur la liste sans aucune possibilité d’intervention unique. En outre, les clients ainsi que les sites touchés pourraient ne pas être au fait de la raison de l’interruption et, ainsi, être moins susceptibles de porter plainte. La CIPPIC fait valoir que [TRADUCTION]°« les [n]ouveaux outils judiciaires et, notamment ceux exploités par des sociétés privées, nécessitent une vérification indépendante et un examen par les pairs » (mémoire de la CIPPIC, au para 37). Il n’y a aucun élément de preuve indépendant quant à l’exactitude ou à la fiabilité des outils de FMTS et, par conséquent, la CIPPIC fait valoir que les demanderesses devraient être tenues de présenter à la Cour un rapport concernant les répercussions de la mise en œuvre.

[254] Même si je conviens que les tierces parties intimées ont des préoccupations importantes à propos des risques auxquels elles seront confrontées si l’ordonnance est accordée, il convient de souligner que tous les FAI seront exposés à un risque similaire. Cela comprend ceux qui sont liés aux demanderesses. À la lumière de la preuve portant sur la portée combinée de toutes les tierces parties intimées, il ne s’agit pas d’une situation où l’ordonnance donnera lieu à un avantage concurrentiel.

[255] Dans la décision GoldTV CF, le juge Gleeson était convaincu que la condition relative aux « obstacles à l’utilisation ou au commerce légitimes » était satisfaite pour les raisons suivantes :

  1. l’ordonnance était limitée à une liste précise de domaines et de sous‑domaines;
  2. tout ajout à la liste pourrait uniquement être effectué au moyen d’une ordonnance du tribunal fondée sur une preuve selon laquelle l’objet principal ou prédominant des domaines nouvellement ciblés était aussi la distribution non autorisée;
  3. l’ordonnance prévoyait que le blocage pouvait être levé si le critère relatif à « l’objet principal ou prédominant » n’était plus satisfait ou afin de traiter des préoccupations techniques ou en matière de sécurité.

Cumulativement, ces contrôles et limites ont réduit au minimum le risque de surblocage et ont habilité les tierces parties intimées à y répondre dans une telle éventualité.

[256] Même si la décision GoldTV CF portait sur une ordonnance de blocage statique limitée à une liste noire préapprouvée de domaines et de sous‑domaines, je conclus que les considérations sur lesquelles s’est appuyé le juge Gleeson s’appliquent également, dans une certaine mesure, en l’espèce. En premier lieu, seules les adresses IP associées à |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| || ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. En deuxième lieu, tous les ajouts |||||||||||||||||||| doivent être approuvés par la Cour, fondée sur la preuve |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||. En troisième lieu, les tierces parties intimées seront en mesure de mettre fin au blocage si on soulève des préoccupations relativement à la sécurité de leur réseau ou au surblocage.

[257] En m’appuyant sur tous ces éléments, je suis convaincu que les modalités de l’ordonnance qui sera accordée comprendront des mesures suffisantes pour atténuer le risque de surblocage.

[258] Je conviens avec la CIPPIC que la nature non testée des techniques utilisées par FMTS est un motif de préoccupation. Le fait d’exiger une surveillance en temps réel et une validation de la mise en œuvre de l’ordonnance par un expert tiers indépendant, jumelé à une exigence relative à l’établissement de rapports sur les résultats, contribuera à soulager les préoccupations et à offrir un fondement probant plus solide pour toute affaire future.

(v) Équité

[259] Ce facteur appelle examen de la question de savoir si la réparation constitue le juste équilibre entre les droits fondamentaux des parties, des tiers et du grand public. Il s’agit d’un élément clé dans l’évaluation de la proportionnalité générale du recours et il revêt une importance particulière en l’espèce.

[260] Une fois de plus, cet élément tiré de l’affaire Cartier est ancré dans le droit européen, comme il est expliqué au paragraphe 125 :

[traduction]

125. Cela a amené le juge à la question de la proportionnalité. Il a soutenu, correctement selon moi, que cela exige d’établir un juste équilibre entre, d’une part, les droits de propriété intellectuelle garantis par le paragraphe 17(2) de la [Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2012/C 326/02] et, d’autre part, la liberté des FAI de faire des affaires en vertu de l’article 16 de la Charte et de la liberté d’information des utilisateurs d’Internet en vertu de l’article 11 de la Charte.

[261] Dans la décision GoldTV CF, le juge Gleeson s’est penché sur les questions de la neutralité du Net, de la liberté d’expression et des répercussions sur la concurrence en vertu de cette rubrique, et je ferai la même chose dans la présente affaire.

[262] Les demanderesses font valoir que la mise en balance en vertu de ce facteur penche fortement en leur faveur. En premier lieu, l’effet de l’ordonnance qu’elles demandent se limite à restreindre l’accès au Canada aux serveurs (qui sont presque exclusivement situés à l’étranger) qui violent de manière flagrante leurs droits exclusifs à l’égard des matchs de la LNH en direct. En outre, l’ordonnance exigera uniquement le blocage pendant une période de temps limitée. L’ordonnance ne porte pas atteinte aux droits des tierces parties intimées, ou ne s’ingère pas autrement dans les services qu’elles offrent à leurs clients.

[263] Ensuite, les demanderesses font valoir que la liberté d’expression ne protège pas la capacité de diffuser du contenu portant atteinte de manière flagrante au droit d’auteur ou d’y accéder et soulignent que notre Cour délivre régulièrement des injonctions interdisant la distribution de contenus portant atteinte au droit d’auteur sans incidence négative sur les valeurs protégées par la garantie relative à la liberté d’expression figurant dans la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.‑U.) [la Charte].

[264] En troisième lieu, les demanderesses font valoir que les droits économiques des tierces parties intimées sont protégés par les modalités de l’ordonnance sollicitée, car les demanderesses assumeront les coûts marginaux associés à la mise en œuvre. Ils font valoir que l’ordonnance sollicitée n’exige pas des tierces parties intimées qu’elles fassent l’acquisition d’une nouvelle technologie, car elles mettent déjà en œuvre un blocage manuel.

[265] Enfin, les demanderesses affirment que l’ordonnance n’aurait aucune incidence sur la neutralité du Net, car elle n’entrave pas le caractère de contenu neutre des tierces parties intimées, mais demande simplement qu’elles bloquent l’accès au contenu qui porte clairement atteinte au droit d’auteur, conformément à une ordonnance de la Cour. Elles affirment que la neutralité du Net ne s’applique pas au contenu illégal et, puisqu’il s’agit de l’unique objet de l’ordonnance sollicitée en l’espèce, il n’y a aucune ingérence relativement à ce principe.

[266] Les tierces parties intimées contestent cette affirmation pour plusieurs motifs, parmi lesquels de nombreux ont déjà été abordés. Leurs oppositions à la demande d’entreprendre des fardeaux opérationnels importants qui bénéficieront uniquement à leurs concurrents ont été établies plus tôt, il n’est donc pas nécessaire de les répéter. De manière similaire, les tierces parties intimées ont exprimé des craintes légitimes à propos de l’impact sur leur réputation de tout faux pas dans la mise en œuvre de l’ordonnance, en soulignant leur incapacité à informer les clients particuliers dont l’accès est bloqué quant à la raison pour laquelle cela s’est produit et que, par conséquent, dans l’éventualité où l’on priverait par inadvertance les abonnés de leur accès à du contenu bénin, ces derniers jetteront le blâme sur leur fournisseur de services plutôt que sur les demanderesses.

[267] Enfin, les tierces parties intimées ont toutes fait valoir qu’elles engageraient des coûts supplémentaires associés à la mise en œuvre de l’ordonnance, incluant des investissements dans de nouveaux routeurs ou d’autres équipements, en plus des logiciels et des coûts supplémentaires associés aux heures que devront consacrer les membres de leur personnel pour mettre en œuvre l’ordonnance. Certaines de ces estimations s’élevaient à des millions de dollars, alors que d’autres étaient plus modestes, tenant compte de la capacité actuelle de leurs réseaux respectifs et des demandes anticipées associées à la mise en œuvre de ce type d’ordonnance pour les matchs de la LNH en direct.

[268] La CIPPIC a fait valoir que l’application du critère énoncé dans l’affaire Cartier devait tenir compte de deux considérations centrales : la nature de la réparation demandée et le contexte juridique et politique canadien général. Sur le premier point, la CIPPIC a fait valoir ce qui suit :

[traduction]

Plusieurs facteurs contextuels exigent une application plus rigoureuse de ces facteurs dans le contexte de l’injonction de blocage dynamique de sites demandée en l’instance : la réparation demandée est de nature mandatoire plutôt que prohibitive, le recours vise des tierces parties innocentes et sa mise en œuvre exige l’apport de modifications importantes aux services de ces tierces parties; la réparation est demandée essentiellement à titre ex parte; et la réparation est effectivement de nature définitive. (Mémoire de la CIPPIC, au para 10).

[269] En outre, la CIPPIC a soutenu que le contexte réglementaire et constitutionnel est une considération importante de l’ordonnance et de ses modalités. Elle signale les trois éléments principaux du cadre politique général. En premier lieu, la Loi sur le droit d’auteur prévoit une mesure injonctive, mais le paragraphe 34(1) prévoit que cette réparation demeure « sous réserve de [cette] Loi » et, par conséquent, l’équilibre entre les droits des utilisateurs et les intérêts du titulaire du droit d’auteur énoncé dans la Loi sur le droit d’auteur est une considération pertinente.

[270] Ensuite, la CIPPIC a fait valoir que les principes de la neutralité du Net et l’importance d’assurer les services de FAI rentables et concurrentiels au Canada prévus dans la Loi sur les télécommunications sont également des considérations pertinentes en ce qui concerne l’évaluation de la question de savoir s’il convient d’accorder l’ordonnance sollicitée en l’espèce et, le cas échéant, d’établir ses modalités.

[271] Finalement, la CIPPIC a affirmé que le blocage dynamique de sites Web pose un risque particulier de surblocage (pour les motifs exposés précédemment) et, ainsi, fait intervenir la liberté d’expression garantie par la Charte dans une mesure encore plus grande que le blocage de sites de manière plus générale.

[272] Particulièrement important pour le facteur lié à l’équité, la CIPPIC fait valoir que le recours demandé par les demandes en l’espèce équivaut à imposer un régime [TRADUCTION]°« d’avis et de retrait » aux FAI, en soulignant que cela va à l’encontre du choix délibéré du Parlement lorsqu’il a adopté la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, LC 2012, c 20. La CIPPIC signale l’arrêt Rogers Communications c Voltage Pictures LLC, 2018 CSC 38, dans lequel la Cour suprême du Canada renvoie au choix de Parlement de ne pas imposer un régime d’avis et de retrait au Canada :

[26] Par exemple, le Parlement a cherché à établir un équilibre entre les intérêts des titulaires de droits d’auteur et ceux des abonnés à Internet, respectivement, en choisissant un régime d’avis et avis plutôt qu’un régime « d’avis et de retrait » (voir Débats de la Chambre des communes, p. 2109, l’hon. James Moore). Le régime d’avis et de retrait qu’a établi aux États‑Unis la Digital Millennium Copyright Act (1998), 17 U.S.C. § 512, exige que les [TRADUCTION]°« fournisseurs de services » en ligne, à la réception d’un avis de prétendue violation du droit d’auteur, prennent des mesures rapidement en supprimant ou en bloquant l’accès au contenu qui fait l’objet de la prétendue violation Bien que ce soit évidemment un régime préférable du point de vue des titulaires de droits d’auteur, l’exigence de « retirer » a fait l’objet de critiques puisqu’elle mine la présomption d’innocence et limite inutilement la liberté d’expression […] En revanche, le régime d’avis et avis permet que les avis de prétendue violation soient transmis (assurant ainsi le respect des droits des titulaires de droits d’auteur), tout en tenant compte des intérêts des abonnés à Internet grâce au maintien de la présomption d’innocence et en leur permettant de surveiller leur propre comportement (et, plus précisément, d’éviter la violation continue du droit d’auteur) [citations omises].

[273] Dans la présente affaire, la CIPPIC affirme que les demanderesses cherchent à obtenir, en vertu de l’ordonnance, qu’un régime d’avis et de retrait aux tierces parties intimées soit imposé, car elles seront obligées de bloquer l’accès au contenu immédiatement après avoir reçu l’avis de violation, ce qui sera fait sans une supervision judiciaire continue. Cela se démarque du blocage statique de sites ordonné par l’affaire GoldTV CF, qui obligeait uniquement le retrait de l’accès à la suite d’une détermination judiciaire selon laquelle il existe un fondement factuel et juridique solide pour tirer la conclusion qu’un site Web cible précis et énuméré porte atteinte au droit d’auteur.

[274] Même si la CIPPIC ne prétend pas que cela devrait priver automatiquement les demanderesses de la réparation demandée, elle fait tout de même valoir que le contrôle judiciaire minime concerné dans l’ordonnance en l’espèce constitue une considération pertinente dans l’évaluation des facteurs relatifs à la prépondérance des inconvénients et, dans l’éventualité où une ordonnance serait accordée, dans l’établissement des modalités de celle‑ci.

[275] De plus, la CIPPIC fait valoir que la neutralité du Net – une considération politique expressément intégrée au paragraphe 27(2) et à l’article 36 de la Loi sur les télécommunications – est sous‑entendue d’au moins deux façons précises. En premier lieu, elle affirme que pour obliger les FAI à [TRADUCTION]°« transformer leurs réseaux en développant une nouvelle capacité d’identification et de retrait du contenu qui n’existe pas actuellement » équivaut à une étape importante qui déclenche le principe de la neutralité du Net. La CIPPIC soutient que ce principe s’applique également au contenu licite et illicite, en faisant observer que plusieurs décisions du CRTC sur cette question imposent des limites à la capacité des FAI de ralentir ou de bloquer le contenu illicite (mémoire de la CIPPIC, aux para 56, 57, citant la Politique réglementaire de télécom CRTC 2009‑657, le 21 octobre 2009, aux para 121, 122; Décision de télécom CRTC 2016‑479, le 9 décembre 2016).

[276] Deuxièmement, elle souligne que même si l’article 36 de la Loi sur les télécommunications interdit effectivement aux FAI de bloquer l’accès à du contenu particulier sur leurs réseaux sans l’approbation antérieure, l’effet de l’ordonnance en l’espèce serait requis pour bloquer un contenu qui a été sélectionné unilatéralement par les demanderesses ou leur représentant. Cela se démarque de l’affaire GoldTV CF. De l’avis de CIPPIC, l’ordonnance en l’espèce fait intervenir les principes de neutralité du Net d’une manière plus rigoureuse et ces principes devraient servir de facteur compensatoire en évaluant si la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi de la réparation demandée par les demanderesses.

[277] En ce qui concerne la liberté d’expression, la CIPPIC fait valoir que la supervision judiciaire minime qui aura lieu par rapport au choix des services à bloquer et au fondement probatoire pour la sélection de ceux‑ci porte atteinte à la liberté d’expression et à la politique publique. Elle souligne que le CRTC a récemment rejeté une proposition en vue de créer un organisme expert indépendant pour déterminer les sites Web portant atteinte au droit d’auteur pour le blocage obligatoire par les FAI canadiens (Décision de télécom CRTC 2018‑384, le 2 octobre 2018). En outre, un comité parlementaire examinant la Loi sur le droit d’auteur a rejeté de manière similaire l’adoption d’un régime administratif accéléré semblable au modèle proposé au CRTC. Le comité a plutôt recommandé que les tribunaux demeurent en contrôle des décisions à savoir si une utilisation donnée constitue une violation du droit d’auteur et, le cas échéant, de prononcer des ordonnances pour réparer le manquement (Examen prévu par la loi de la Loi sur le droit d’auteur, rapport du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, Chambre des communes, 42e législature, 1re session, à la p 18, aux para 93 à 97).

[278] Enfin, la CIPPIC fait valoir que les répercussions de toute ordonnance sur l’abordabilité et la concurrence sont une considération pertinente dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients dans le contexte canadien, compte tenu des modalités de la Loi sur les télécommunications. Entre autres considérations, la CIPPIC observe que le fardeau relatif associé à la mise en œuvre de l’ordonnance touchera plus durement les plus petits FAI comparativement aux FAI liés plus importants. La CIPPIC prétend que cela est pertinent, car la prépondérance des inconvénients doit être évaluée par rapport à chaque tierce partie intimée distincte.

[279] Même si je suis d’accord avec de nombreux arguments présentés par la CIPPIC sur ce point, après avoir examiné l’ensemble des arguments et des éléments de preuve, et à la lumière de l’ordonnance précise qui sera accordée, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients penche en la faveur des demanderesses.

[280] Il est important de commencer en rappelant que j’ai déjà relevé une très solide preuve prima facie selon laquelle les défendeurs inconnus se livrent à une violation flagrante et continue du droit d’auteur des demanderesses à l’égard des diffusions de la LNH en direct. J’ai également conclu que ces défendeurs ont organisé leurs affaires d’une façon qui fait en sorte qu’il est pratiquement impossible pour les demanderesses de se prévaloir des recours traditionnels en matière de violation du droit d’auteur pour mettre fin à la diffusion en continu illégale. Ce point n’est pas sérieusement contesté.

[281] J’ai aussi déjà conclu que le projet d’ordonnance serait efficace pour ce qui est de réduire la diffusion en continu illégale de matchs de la LNH en direct, que les modalités peuvent être établies de façon à ne pas imposer un fardeau excessif aux tierces parties intimées et que les risques de surblocage peuvent être atténués.

[282] L’effet combiné de ces déterminations penche en faveur des demanderesses.

[283] Je fais une pause pour souligner que je partage l’avis des tierces parties intimées voulant que, si elles étaient tenues de réaliser des investissements importants pour mettre en œuvre l’ordonnance et si les demanderesses n’étaient pas tenues de les indemniser pour ces coûts, le facteur relatif à la prépondérance des inconvénients penche davantage en faveur des FAI, même si l’issue semblerait incertaine. Comme je l’explique ci‑après, à la lumière des circonstances en l’espèce, les modalités de l’ordonnance répondent à ces préoccupations.

[284] En ce qui concerne les arguments de la CIPPIC, je conviens qu’un grand nombre des considérations qu’elle met en évidence sont pertinentes et importantes pour évaluer de quel côté penche la prépondérance des inconvénients et, ultimement, pour évaluer les équités générales de l’espèce.

[285] Même si les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur ne prévoient pas la compétence de la Cour pour ce qui est d’ordonner la réparation demandée, je suis convaincu que la prépondérance des droits et des intérêts établie dans cette loi représente une considération pertinente dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non la réparation et d’en établir les modalités. Il en va de même en ce qui concerne les dispositions de la Loi sur les télécommunications, notamment la neutralité du Net et l’importance de la concurrence dans le marché.

[286] Pour être clair, rien n’empêche la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de ces lois; en revanche, elles aident à établir le contexte dans lequel la Cour déterminera s’il convient d’accorder la réparation équitable demandée ainsi que les modalités de celle‑ci. Cela est compatible avec la conclusion tirée dans l’arrêt GoldTV CAF, en plus de s’avérer particulièrement opportun en l’espèce compte tenu de la nature sans précédent de la réparation demandée ainsi que des droits et des intérêts concernés.

[287] En outre, l’incidence de toute ordonnance sur la liberté d’expression est un facteur important. Cependant, son importance est limitée relativement à l’issue en l’espèce, compte tenu des contraintes dans l’ordonnance à accorder et du fait que l’activité vise la diffusion en continu illégale de diffusions qu’on a jugée constituer une forte preuve prima facie d’atteinte au droit d’auteur. Les préoccupations exprimées par la CIPPIC concernant le manque de supervision judiciaire continue sont valides, mais seront traitées par d’autres moyens, comme je l’explique ci‑après.

[288] Compte tenu des répercussions de l’ordonnance qui sera accordée à l’égard des intérêts et des tierces parties intimées, ainsi que de ses répercussions sur les droits et les intérêts des téléspectateurs au Canada, je suis convaincu que ce facteur ne constitue pas un fondement pour rejeter l’ordonnance sollicitée. Les droits et les intérêts de toutes les personnes concernées peuvent, dans les circonstances très particulières dont la Cour est désormais saisie, être mis en balance et protégés d’une façon qui satisfait aux exigences de l’application du droit d’auteur, sans nuire excessivement aux opérations ou aux intérêts des FAI, ou entraver de manière importante les intérêts en matière de liberté d’expression des téléspectateurs touchés.

[289] Certaines de ces considérations ont été abordées précédemment. Il n’est pas nécessaire de les répéter ici, j’ajouterai donc uniquement quelques points afin de traiter les éléments restants.

[290] Concernant la question de la neutralité du Net, je ne suis pas convaincu par l’affirmation des demanderesses voulant que l’ordonnance n’ait aucune incidence sur ce principe. Toute exigence selon laquelle les FAI doivent interrompre ou entraver consciemment l’accès d’un abonné à leurs services prima facie sous‑tend le principe de la neutralité du Net, lequel signifie généralement « que tout le trafic sur Internet devrait être traité également par les [FAI]. Autrement dit, il ne devrait y avoir aucune manipulation, préférence ou discrimination, que ce soit par des moyens techniques ou économiques. » (Politique réglementaire de télécom CRTC 2017‑104, au para 10). Le fait que le contenu soit soi‑disant illégal n’empêche pas le principe d’être touché, cependant, il n’est pas non plus totalement hors de propos que le contenu à bloquer ait été jugé comme une violation flagrante et continue du droit d’auteur des demanderesses à l’égard des diffusions de la LNH en direct.

[291] Chaque situation devrait être évaluée en fonction de son bien‑fondé et, en l’espèce, je suis convaincu que la neutralité du Net ne devrait pas empêcher le blocage limité qui sera requis par l’ordonnance en l’espèce. J’estime que les mesures de protection mises en place par l’ordonnance, y compris les exigences particulières imposées aux demanderesses concernant la sélection des services à identifier à des fins de blocage et l’étendue selon laquelle cela donnera lieu à un sous‑blocage plutôt qu’à un surblocage, protégeront suffisamment la neutralité du Net.

[292] En outre, je ne suis pas non plus convaincu par l’argument des demanderesses voulant que l’ordonnance ne fasse pas intervenir la très forte protection de la liberté d’expression enchâssée dans la Charte. Comme dans l’affaire GoldTV CF, je conclus que la liberté d’expression – notamment l’aspect de la liberté lié à l’accès à l’information – est une considération importante dans l’évaluation de la question de savoir s’il convient d’accorder ou de refuser le recours demandé; mais, en fin de compte, elle ne penche pas en faveur de refuser la réparation.

[293] En premier lieu, les demanderesses ont établi une forte apparence de droit que le contenu à bloquer constitue une violation continue de leur droit d’auteur. Il ne s’agit pas d’une simple affirmation des demanderesses; j’ai déjà conclu que l’activité de diffusion en continu illégale est à première vue illégale. Comme il est énoncé dans l’arrêt Google, au paragraphe 49 : « [m]ême si on pouvait dire que l’injonction soulève des questions relatives à la liberté d’expression, celles‑ci sont largement contrebalancées par la nécessité d’empêcher le préjudice irréparable qui découlerait du fait que Google facilite la violation par Datalink des ordonnances judiciaires. »

[294] Ensuite, la nature, la portée et la durée du blocage sont limitées et assujetties à une ordonnance précise et détaillée. L’ordonnance a pour objet de limiter ses répercussions sur les intérêts des téléspectateurs qui souhaitent accéder à du contenu légitime et ne vise que les personnes qui souhaitent accéder à du contenu non autorisé qui est assujetti aux modalités précises de l’ordonnance de blocage. Je suis convaincu que les risques de surblocage sont minimes.

[295] Enfin, un expert indépendant devra assurer une surveillance et une vérification des mesures prises aux termes de l’ordonnance. Même s’il s’agit d’une mesure après les faits (c.‑à‑d. elle n’empêchera aucune violation de la liberté d’expression), elle servira à encourager toutes les parties à accorder une attention scrupuleuse aux détails très précis établis dans l’ordonnance et elle assurera un niveau de transparence pour les parties, la Cour et le grand public.

[296] Dans l’ensemble, je suis convaincu que toute violation éventuelle des garanties en matière de liberté d’expression prévues dans la Charte sera limitée, proportionnelle et justifiée.

(vi) Garanties

[297] Ce facteur exige que la réparation comprenne des mesures qui offrent des garanties contre l’abus. Comme il est indiqué ci‑dessus, les demanderesses font valoir qu’un certain nombre de particularités de l’ordonnance qu’elles demandent équivaut à des garanties contre toute utilisation abusive ou portée excessive, alors que les tierces parties intimées et la CIPPIC contestent ce point et proposent chacune des ajouts et des mises au point aux modalités afin de mieux en limiter la portée.

[298] Étant donné que plusieurs de ces arguments ont déjà été examinés et parce que dans la section sur les modalités de l’ordonnance énoncée ci‑après, j’établirai plusieurs exigences qui sont destinées à offrir des garanties contre les abus, il n’est pas nécessaire de discuter de ce facteur de manière détaillée. Je conclus qu’il est possible d’inclure des mesures qui protègent contre tout abus éventuel en vertu de l’ordonnance à accorder, y compris des mesures qui vont au‑delà de celles proposées par les demanderesses. Ces mesures sont incluses dans l’ordonnance à accorder en l’espèce.

c) Résumé sur la prépondérance des inconvénients

[299] En prenant du recul par rapport aux détails concernant les facteurs énoncés dans l’affaire Cartier et en rappelant l’orientation de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Google, je suis tenu d’évaluer si, dans les circonstances de l’affaire, il est juste et équitable d’accorder la réparation équitable demandée par les demanderesses.

[300] La question n’est pas exempte de doute, et un grand nombre des mises en garde et des préoccupations exprimées par les tierces parties intimées et la CIPPIC sont dignes d’un examen rigoureux. Cependant, je suis convaincu qu’à la lumière de la situation actuelle, et avec les limites et exigences établies ci‑après, il est juste et équitable d’accorder aux demanderesses le type d’injonction demandée.

[301] Il est particulièrement important et il vaut donc la peine de répéter qu’au moment où l’ordonnance sera mise en œuvre, les séries éliminatoires de la LNH auront commencé. Cela réduit considérablement le fardeau général imposé aux tierces parties intimées (comparativement au fardeau que l’ordonnance imposerait si la saison régulière était toujours en cours) et cela veut dire que l’ordonnance ne sera en place que pour une période très limitée. Il est important que les modalités de l’ordonnance, comme il est expliqué ci‑après, exigent que les demanderesses indemnisent les tierces parties intimées pour les coûts engagés par ces dernières, jusqu’à concurrence d’un montant fixe. Il est également pertinent que l’ordonnance précise que les tierces parties intimées seront uniquement tenues d’effectuer un blocage jusqu’à concurrence des limites de leur capacité actuelle, et aucune d’elles ne sera tenue de faire l’acquisition d’une nouvelle capacité pour s’y conformer. Enfin, les modalités de l’ordonnance exigent également que les demanderesses retiennent les services d’un expert indépendant, pour assurer la surveillance des mesures prises par FMTS pour assembler la liste, pour observer les efforts de blocage d’au moins quelques‑unes des tierces parties intimées, et de présenter un rapport aux parties et à la Cour, et ultérieurement au public, lorsque les séries éliminatoires de la LNH seront terminées.

[302] L’effet combiné de ces éléments de l’ordonnance fait pencher la prépondérance des inconvénients en faveur des demanderesses. Je répète ici que si les circonstances étaient différentes, par exemple, si l’ordonnance était entrée en vigueur pendant la saison régulière de la LNH, l’issue aurait pu être différente, d’après le dossier dont je suis saisi. Cela n’empêche pas les demanderesses de solliciter d’autres ordonnances similaires à l’avenir, mais cela les informe des types d’enjeux et de préoccupations qui devraient être abordés dans toute future demande.

[303] Sur ce dernier point, plusieurs tierces parties intimées ont exprimé des préoccupations selon lesquelles toute ordonnance accordée en l’espèce ouvrirait les vannes, soulignant la preuve que Rogers Communications avait demandé à FMTS de surveiller d’autres télédiffusions sportives en plus de la LNH. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une préoccupation actuelle en l’espèce, mais je fais remarquer que le fardeau relatif au coût cumulatif et à la complexité qui pourrait être imposé par le chevauchement d’ordonnances de blocage dynamique couvrant plusieurs diffusions d’événements sportifs en direct est une considération pertinente.

[304] Par conséquent, je conclus que la prépondérance des inconvénients penche en faveur d’accorder une ordonnance du type demandé par les demanderesses. Avant de me pencher sur les modalités de l’ordonnance, je parlerai des coûts de mise en œuvre.

V. Coûts de mise en œuvre

[305] La question de savoir qui doit payer pour la mise en œuvre de l’ordonnance a constitué un important point de divergence entre les parties, et une partie considérable des éléments de preuve et des arguments a été consacrée à ce sujet. Au cœur de la position des deux côtés, on trouve une préoccupation liée à l’obligation, en vertu d’une ordonnance de la Cour, de subventionner ses concurrents.

[306] Les demanderesses ont proposé d’indemniser les tierces parties intimées pour les coûts marginaux raisonnables associés à la mise en œuvre d’un système permettant d’automatiser le processus de téléchargement des adresses IP et de les pousser vers leurs routeurs de cœur. Les tierces parties intimées ont fait valoir que cela était entièrement insuffisant et qu’on devrait leur rembourser l’intégralité des coûts qu’elles engagent relativement à la mise en œuvre de cette réparation sans précédent. D’après la preuve présentée, ces coûts s’élèveraient à des sommes importantes, atteignant plus d’un million de dollars dans certains cas. L’une des tierces parties intimées a indiqué qu’elle aurait à faire des investissements en capital importants pour remplacer l’ensemble de ses routeurs de cœur; une autre a indiqué qu’elle aurait à faire l’acquisition de matériel en double pour être en mesure de surveiller le trafic sortant de ses clients et d’apporter les modifications nécessaires à la configuration à ses routeurs de cœur.

[307] À la lumière de leurs positions, les deux parties ont consacré du temps et des ressources considérables à la question des coûts de mise en œuvre. Je n’aborderai pas ces éléments de preuve de façon détaillée. Deux raisons expliquent cette décision.

[308] Premièrement, à la lumière de la position adoptée par les demanderesses lors de l’audience, et compte tenu de la situation au moment où l’ordonnance sera délivrée, il n’est pas nécessaire de parler de ces aspects.

[309] Deuxièmement, je reconnais que les demanderesses pourraient très bien solliciter une autre ordonnance, visant la diffusion en continu illégale des matchs de la LNH en direct pour la prochaine saison, visant d’autres diffusions d’événements sportifs en direct, ou les deux. Toute discussion portant sur la preuve présentée en l’espèce ne pourrait que compliquer l’évaluation future d’une telle requête fondée sur de nouveaux éléments de preuve liés à cette question, il est donc préférable de l’éviter en l’espèce.

[310] Lors de l’audience, les demanderesses se sont engagées à indemniser les tierces parties intimées pour leurs coûts de mises en œuvre jusqu’à concurrence de 50 000 $ chacune. L’ordonnance comprendra une modalité à cet effet.

[311] Même si cette somme pourrait ne pas avoir été suffisante pour couvrir les coûts de mise en œuvre d’une ordonnance de blocage dynamique ouverte pendant une partie importante de la saison régulière de la LNH, je conclus d’après la preuve qu’elle suffit à permettre aux tierces parties intimées d’entreprendre le blocage de sites manuel (ou automatisé) pour le reste des séries éliminatoires de la LNH. À la lumière de l’engagement des demanderesses, il n’est pas nécessaire de traiter des autres questions soulevées par les parties pendant l’audience. Il est préférable de laisser ces questions pour un autre jour.

VI. Modalités de l’ordonnance

[312] Comme pour les coûts de mise en œuvre, il n’est pas nécessaire de traiter les nombreux arguments portant sur les modalités particulières du projet d’ordonnance, car j’en ai simplement incorporé un grand nombre dans l’ordonnance que je délivrerai. Une part importante de celles‑ci était axée sur les coûts de mise en œuvre et les coûts de l’instance, dont il est question ci‑dessus et ci‑après, respectivement. Il y a toutefois quatre points dont il convient de discuter afin de préciser les modalités et d’expliquer la justification sous‑jacente.

[313] Dans un premier temps, les tierces parties intimées ont affirmé que le simple fait de publier des renseignements dans un site Web concernant l’existence de l’ordonnance de la Cour ne suffirait pas à informer leurs abonnés dont l’accès a été bloqué des raisons pour lesquelles on leur refuse l’accès. Elles font plutôt valoir que l’ordonnance devrait exiger d’elles de suivre les pratiques exemplaires de l’industrie en informant leurs clients dont l’accès a été bloqué. Cependant, les tierces parties intimées en cause n’ont pas la capacité d’identifier les clients précis, ce qui nécessite une technologie appelée système d’inspection approfondie des paquets (IAP). Les tierces parties intimées ont répondu qu’elles devraient être indemnisées par les demanderesses pour leurs coûts d’acquisition et de mises en œuvre d’un tel système.

[314] Je ne suis pas convaincu, à ce stade, qu’une telle exigence devrait être imposée. Je retiens que l’ordonnance établit le seuil minimal et que tout FAI qui possède la capacité d’identifier des abonnés précis dont l’accès a été bloqué pourrait vouloir le faire. Pour le moment, toutefois, je ne suis pas d’avis que l’acquisition et la mise en œuvre d’un système d’IAP devraient être imposées à l’ensemble des tierces parties intimées, ou que les coûts connexes devraient être imposés aux demanderesses. L’accès des abonnés qui cherchent à avoir accès aux diffusions en continu illégales de matchs de la LNH en direct sera bloqué et, s’ ils se demandent pourquoi, des avis publiés dans des sites accessibles au public aideront à les informer. En outre, on peut s’attendre à ce que, une fois que l’ordonnance deviendra publique, elle attire une certaine attention, à tout le moins chez ceux qui accordent une attention à ces types d’activités. Enfin, l’ordonnance comprendra des garanties visant à prévenir le surblocage, la préoccupation selon laquelle on pourrait bloquer l’accès des clients des tierces parties intimées à du contenu légitime sera donc réduite au minimum.

[315] Je partage l’avis des tierces parties intimées et de la CIPPIC voulant que les demanderesses doivent être encouragées à prendre des mesures afin de publiciser l’existence de l’ordonnance, en plus d’établir un point de contact unique consolidé afin de fournir des renseignements à propos de l’ordonnance. Toutefois, je n’ordonnerai pas expressément la prise de ces mesures supplémentaires, étant donné que l’exigence de publier l’ordonnance et une explication de la raison pour laquelle on en a fait la demande, de ce qu’elle fait et de la personne à contacter en cas de questions ou de plaintes, sera incluse dans les modalités.

[316] La prochaine question porte sur la question de savoir s’il était nécessaire d’établir les modalités de toute demande de renouvellement ou de prorogation de l’ordonnance. En s’appuyant sur leur expérience dans l’affaire GoldTV CF, les FAI tiers ont cherché à inclure un certain nombre de garanties pour veiller à ne pas être pris par surprise par une demande urgente formulée par les demanderesses. On ignore si cela sera pertinent, car l’ordonnance sera échue à la fin de la saison de la LNH. Il incombera aux demanderesses de décider si elles souhaitent renouveler l’ordonnance et, le cas échéant, une procédure qui est équitable pour toutes les parties sera suivie.

[317] Plusieurs des tierces parties intimées et la CIPPIC ont formulé une proposition voulant que les demanderesses soient tenues de retenir les services d’un expert indépendant pour établir un rapport sur la mise en œuvre et l’efficacité de l’ordonnance. Compte tenu de la nature sans précédent de la réparation, des préoccupations concernant à la fois la sélection des services à bloquer et les répercussions éventuelles sur les abonnés qui tentent d’accéder à du contenu légitime, et compte tenu de l’intérêt financier de FMTS à l’égard de l’issue, on a proposé de retenir les services d’un expert indépendant pour accomplir cette fonction.

[318] Je partage les préoccupations soulevées à propos du manque de surveillance ou de vérification indépendante. La preuve de FMTS à propos de son expérience dans d’autres ressorts, plus particulièrement sa preuve selon laquelle elle n’avait reçu aucune plainte et qu’elle n’est informée d’aucun surblocage important, est importante, dans une certaine mesure. Cependant, compte tenu des intérêts concernés, l’absence d’une expérience quelconque de FMTS au Canada avec ce type d’ordonnance ainsi que de l’absence de preuve au dossier relativement à toute vérification indépendante du travail de FMTS ailleurs, le conseil de prudence laisse entendre que la Cour adopte une attitude de « faire confiance, mais vérifier » dans la présente espèce. Il s’agit d’une approche similaire à l’approche [TRADUCTION]°« évaluer, mesurer et vérifier » proposée par Beanfield.

[319] Pour cette raison, l’ordonnance exigera que les demanderesses retiennent les services d’un expert indépendant, lequel sera sélectionné à l’aide des commentaires des tierces parties intimées et, au besoin, assujetti à une sélection parmi une liste de candidats présentée aux fins d’approbation par la Cour. Cet expert aura plusieurs tâches qui devront être achevées en deux étapes.

[320] En premier lieu, l’expert passera en revue |||||||||||||||| pour s’assurer que |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||; examinera la mise en œuvre du blocage par au moins quelques‑unes des tierces parties intimées; puis présentera un rapport confidentiel aux parties et à la Cour sur ces sujets.

[321] Deuxièmement, l’expert examinera les renseignements présentés par l’une des parties sur l’efficacité de l’ordonnance, il remettra un rapport confidentiel sur ce sujet aux parties et à la Cour. Par la force des choses, il faudra un certain temps pour établir le deuxième rapport, l’ordonnance fixe donc des échéanciers différents pour chacun d’eux.

[322] Une fois que ces rapports auront été présentés, les parties peuvent présenter des observations quant aux parties de l’un ou l’autre des rapports qui portent sur des questions confidentielles, et proposer des caviardages ou des suggestions de remplacement de texte afin de protéger ces renseignements. Une fois que la Cour les aura examinés, une version publique consolidée du rapport d’expert sera communiquée au public, en étant publiée dans les sites Web des parties.

[323] Cette mesure permettra d’assurer un certain degré de vérification et de supervision indépendantes, et les parties et la Cour seront en mesure d’évaluer le degré selon lequel l’ordonnance était bien ciblée, les questions (le cas échéant) associées à sa mise en œuvre réelle ainsi que son efficacité. Cette mesure permet aussi d’accroître la transparence du processus pour le public.

[324] Enfin, la CIPPIC a exprimé une préoccupation quant à la portée de la confidentialité revendiquée par les demanderesses, en faisant valoir qu’elle était plus vaste que nécessaire et qu’elle ne tenait pas compte de la « forte présomption en faveur de la publicité des débats judiciaires » récemment confirmée dans l’arrêt Sherman Estate c Donovan, 2021 CSC 25, au paragraphe 2. Je partage ces préoccupations et, même s’il ne fait aucun doute que le dossier comprendra une certaine quantité de documents qui sont hautement confidentiels, il est tout aussi certain que certaines parties des éléments de preuve et des arguments peuvent être rendus publics. C’est la raison pour laquelle la Cour a fourni une version confidentielle de l’ordonnance et des motifs aux parties, et la version qui est publiée tient compte de leurs arguments sur cette question. En outre, l’ordonnance de confidentialité demeurera en vigueur jusqu’à ce que des arguments soient reçus en ce qui concerne les parties du dossier qui peuvent et qui devraient être rendues publiques. Une autre ordonnance de confidentialité, plus précise, sera alors délivrée.

VII. Dépens

[325] Les demanderesses ont réussi à obtenir la réparation sollicitée, bien que selon des modalités considérablement différentes de celles qu’elles avaient demandées. De manière similaire, bien que les tierces parties intimées n’aient pas réussi à empêcher la délivrance de l’ordonnance, j’ai retenu un grand nombre de leurs arguments et d’autres ont été dépassés par les événements (mais pourraient être soulevés éventuellement). Il est donc juste de dire que les deux parties ont eu partiellement gain de cause.

[326] Une partie des tierces parties intimées ont demandé le recouvrement intégral de leurs dépens; certaines n’ont présenté aucune demande relative aux dépens. Selon moi, compte tenu de la nature sans précédent de l’ordonnance sollicitée, de la façon dont l’instance s’est déroulée et à la lumière du succès partagé, je n’accorderai aucuns dépens à aucune partie. Chaque partie assumera ses propres dépens dans le cadre de la présente instance. Même si chaque affaire doit être évaluée en fonction de son bien‑fondé et, en tenant compte des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, je souligne au passage que cela correspond également à l’issue dans l’affaire GoldTV CF.

VIII. Conclusion

[327] La diffusion illégale de matchs de la LNH en direct est, d’après la preuve dont la Cour est saisie, une violation importante et continue du droit d’auteur des demanderesses à l’égard de ces diffusions. Il s’agit indubitablement, d’une violation flagrante de leurs intérêts et elles ont droit à une réparation pour la contrecarrer.

[328] Par ailleurs, les tierces parties intimées qui seront touchées par l’ordonnance sont entièrement innocentes de tout acte répréhensible, sont entraînées dans cette affaire simplement parce que leurs réseaux sont les conduits par l’intermédiaire desquels la diffusion en continu illégale a lieu. Même si elles tirent un revenu de leurs abonnés, dont à tout le moins certains s’adonnent vraisemblablement à l’activité illégale, il n’y a aucun élément de preuve selon lequel les tierces parties intimées ont encouragé ou par ailleurs soutenu le comportement de leurs clients. Ayant été prises au piège dans tout cela, les tierces parties intimées ont aussi des droits et des intérêts légitimes qu’elles cherchent à protéger, et l’ordonnance est adaptée afin d’en tenir compte et pour tenter de réduire au minimum le fardeau imposé aux parties innocentes.

[329] De plus, plus l’intérêt public concerné est grand, y compris la mise en balance des droits et des intérêts pris en compte dans les lois qui régissent par ailleurs les affaires des parties en l’espèce – à savoir la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur les télécommunications ainsi que la garantie fondamentale de la liberté d’expression établie dans la Charte.

[330] Pour les motifs énoncés ci‑dessous, j’ai conclu que la procédure – de la façon dont elle s’est réellement déroulée – n’était pas inéquitable pour les tierces parties intimées et, par conséquent, la réparation n’est pas rejetée pour ce motif.

[331] En appliquant le critère à trois volets qui régit les injonctions interlocutoires obligatoires et, plus particulièrement, en suivant l’orientation générale établie dans l’affaire GoldTV CF et dans l’arrêt GoldTV CAF, je conclus que les demanderesses ont établi une forte preuve prima facie de violation du droit d’auteur par des défendeurs inconnus qui mènent leurs activités presque exclusivement à l’étranger et qui prennent des mesures pour dissimuler leurs identités. Je conclus également que les demanderesses ont établi un préjudice irréparable en raison de la violation continue de leur droit d’auteur par l’intermédiaire de la diffusion en continu illégale de matchs de la LNH en direct, et que l’ordonnance du type sollicité par les demanderesses est nécessaire afin de tenter d’y mettre fin.

[332] Enfin, en appliquant les facteurs énoncés dans la jurisprudence, qui cherche collectivement à assurer que toute ordonnance imposée est proportionnelle au préjudice que l’on cherche à empêcher, je conclus que la prépondérance des inconvénients penche en faveur des demanderesses, dans les circonstances particulières de l’espèce au moment où l’ordonnance est délivrée.

[333] Comme je l’ai expliqué dans les motifs énoncés ci‑dessus, l’ordonnance proposée par les demanderesses a été modifiée pour tenir compte des intérêts des tierces parties intimées, ainsi que des considérations en matière de politiques publiques pertinentes pour l’ordonnance de blocage dynamique de sites accordée en l’espèce et déterminées par la CIPPIC. Certaines limitations importantes ont été incluses, par exemple l’exigence selon laquelle les FAI assurent un blocage correspondant à leur capacité à ce moment. Certaines limites ont été soulevées simplement en vertu de la situation, surtout que le nombre de matchs diffusés n’importe quel soir donné était considérablement réduit parce que les séries éliminatoires de la LNH avaient commencé au moment de la délivrance de l’ordonnance. En outre, certains éléments ont été ajoutés pour assurer une plus grande transparence, à la lumière des intérêts publics importants sous‑entendus par l’ordonnance.

[334] Les parties ayant chacune obtenu partiellement gain de cause, il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

[335] En conclusion, je tiens à reconnaître la coopération des parties et les efforts du personnel de la Cour qui ont été nécessaires pour assurer la réussite de l’audience. L’audience concernait plusieurs parties, et de nombreux avocats et observateurs étaient présents. L’audience s’est déroulée dans un format hybride, certaines parties y participant en personne et d’autres, par vidéoconférence Zoom. L’audience était bilingue, une traduction était donc requise. À l’occasion, l’audience a dû être « tenue à huis clos » pour traiter de documents confidentiels ou hautement confidentiels. Il y avait, comme on le dit, de nombreux rouages. Les efforts combinés des parties et du personnel de la Cour ont permis à l’audience de se dérouler sans heurts, il convient donc de le reconnaître ici.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête des demanderesses en injonction interlocutoire est accordée, selon les modalités établies ci‑après.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

MODALITÉS DE L’ORDONNANCE

  1. Dans la présente ordonnance, l’expression « match de la LNH en direct » renvoie à l’enregistrement en direct d’un match de la Ligue nationale de hockey (LNH) ou d’une émission de télévision en direct produite par l’ajout de texte, d’images, de vidéos, de commentaires ou d’animations audit enregistrement, lequel est produit ou diffusé par les demanderesses au Canada en vertu d’une licence de la LNH ou de ses équipes de franchises canadiennes.

  2. Sous réserve des modalités de la présente ordonnance, les tierces parties intimées doivent, pendant chacune des fenêtres de matchs en direct de la LNH (au sens de l’annexe confidentielle no 2 de la présente ordonnance), précisée à l’annexe no 1 de la présente ordonnance, bloquer ou tenter de bloquer l’accès, à tout le moins à leurs clients de services Internet filaires résidentiels, à chacune des adresses IP pour les serveurs cibles (au sens de l’annexe confidentielle no 2 de la présente ordonnance et pouvant être modifiée par la suite) que les demanderesses ou leurs représentants désignés ont signalés aux tierces parties intimées conformément à la présente ordonnance.

4,1 Moment de la mise en œuvre

  • a)Les tierces parties intimées doivent commencer à bloquer l’accès aux adresses IP précisées en vertu de la présente ordonnance immédiatement, si elles sont en mesure de le faire.

  • b)Toute tierce partie qui n’est pas en mesure de commencer immédiatement doit prendre des mesures pour se conformer à l’ordonnance sans tarder et, de toute façon, doit commencer à bloquer l’accès en vertu de la présente ordonnance au plus tard dans les sept (7) jours suivant la date à laquelle elle est délivrée.

  • c)Toute tierce partie intimée qui n’est pas en mesure de se conformer aux modalités de la présente ordonnance dans les quinze (15) jours doit informer la demanderesse, en application des modalités du paragraphe 8.

  1. Les demanderesses doivent nommer collectivement un représentant unique pour s’acquitter des fonctions décrites dans la présente ordonnance (le représentant).

5,1 Le représentant peut informer les tierces parties intimées d’une adresse IP à bloquer à titre de serveur cible, en application d’un paragraphe de la présente ordonnance si :

  • a)le représentant a détecté que l’adresse IP est utilisée :

    • (i)pendant une fenêtre de match de la LNH en direct pour communiquer un match de la LNH en direct au public à l’aide d’un moyen de télécommunication sans autorisation;

    • (ii)pendant la période de surveillance préalable (au sens de l’annexe confidentielle no 2 de la présente ordonnance) pour communiquer au public à l’aide d’un moyen de télécommunication sans l’autorisation de l’une des stations des demanderesses sur lesquelles la diffusion d’un match de la LNH en direct est prévue pendant la fenêtre de matchs de la LNH en direct;

    • (iii)d’une façon qui satisfait à une ou plusieurs des conditions de détection précisées aux alinéas c) et d) de l’annexe confidentielle no 2 de la présente ordonnance;

  • b)le représentant a conclu qu’au moment de la détection, l’adresse IP satisfait aux exigences en matière de garanties des alinéas 2e) et f) de l’annexe confidentielle no 2 à la présente ordonnance.

À la conclusion de chaque fenêtre de matchs de la LNH en direct, le représentant doit aviser les tierces parties intimées conformément à la présente ordonnance afin de débloquer tous les serveurs cibles qui ont précédemment été désignés aux fins de blocage pendant la fenêtre de matchs de la LNH en direct. Les tierces parties intimées doivent mettre en œuvre des efforts raisonnables pour les débloquer dès qu’il est raisonnablement pratique de le faire après la fin de la fenêtre de matchs de la LNH en direct.

7. Les tierces parties intimées n’ont aucune obligation de vérifier si les adresses IP à bloquer en tant que serveurs cibles désignés par le représentant en application de la présente ordonnance ont été bien identifiées, et dépendent entièrement du fait que les demanderesses ou leur représentant désigné identifient et communiquent précisément aux tierces parties intimées de telles adresses IP conformément à la présente ordonnance.

8. Une tierce partie intimée sera réputée s’être conformée au paragraphe de la présente ordonnance s’il utilise un blocage d’adresses IP manuel ou automatisé, ou un moyen technique autre ou équivalent (à condition que la tierce partie intimée communique un préavis raisonnable aux demanderesses dudit moyen autre ou équivalent). Si une tierce partie intimée n’est pas en mesure de mettre en œuvre le blocage d’adresses IP manuel ou automatisé, ou le réacheminement des adresses IP, ou un moyen technique autre ou équivalent, les tierces parties intimées doivent, dans les quinze (15) jours ouvrables suivant la présente ordonnance, informer les demanderesses, des mesures qu’elles ont prises et des raisons pour lesquelles elles ne seront pas en mesure de se conformer à l’ordonnance.

9. Au moment de bloquer l’accès à une adresse IP en application d’un paragraphe de la présente ordonnance, les tierces parties intimées doivent mettre en œuvre des efforts raisonnables, sous réserve des limites de leurs réseaux et de leurs ressources, pour désactiver l’accès à l’adresse IP dès que possible après avoir été avisées par les demanderesses ou leur représentant désigné en application de la présente ordonnance. Une tierce partie intimée sera réputée s’être conformée au paragraphe de la présente ordonnance si elle utilise les moyens techniques énoncés au paragraphe de la présente ordonnance dans les trente (30) minutes suivant le début d’une fenêtre de matchs de la LNH en direct et à tout le moins chaque heure par la suite jusqu’à la fin de la fenêtre de matchs de la LNH en direct, ou conformément à tout autre horaire pouvant être convenu par écrit entre la tierce partie intimée pertinente et les demanderesses.

10. Une tierce partie intimée ne doit pas être en contravention avec la présente ordonnance si elle suspend temporairement sa conformité par rapport au paragraphe, en tout ou en partie, lorsqu’une telle suspension est raisonnablement nécessaire :

a) pour corriger ou enquêter sur le surblocage éventuel qui est causé ou soupçonné d’être causé par les mesures prises en application du paragraphe;

b) pour maintenir l’intégrité ou la qualité de ses services Internet ou le fonctionnement de son réseau ou de ses systèmes;

c) pour mettre à niveau, dépanner ou entretenir ses services Internet ou ses systèmes de blocage, y compris en raison des limites techniques ou de la capacité de ses systèmes de blocage;

d) pour empêcher une menace réelle ou potentielle pour la section à l’égard de son réseau ou de ses systèmes, ou y répondre;

sous réserve de ce qui suit :

e) la tierce partie intimée avise les demanderesses dès qu’il est raisonnablement pratique de le faire, pendant ou après une telle suspension, et présente le motif d’une telle suspension ainsi qu’une estimation de sa durée ou, si la durée de la suspension est d’au plus 48 heures, elle fait des efforts raisonnables sur le plan commercial pour maintenir un dossier sur la suspension et remet ce dossier aux demanderesses sur demande;

f) la suspension dure plus longtemps qu’il est raisonnablement nécessaire.

Pour plus de certitude, une tierce partie intimée ne doit pas contrevenir à la présente ordonnance lorsqu’elle suspend en partie sa conformité à l’égard du paragraphe 2, car la capacité de son système de blocage est dépassée par le nombre d’adresses IP pour les serveurs cibles désignés conformément à la présente ordonnance, à condition qu’elle continue de bloquer ou de tenter de bloquer l’accès au nombre d’adresses IP qui ne dépasse pas la capacité de son système de blocage. Une tierce partie intimée peut conserver une partie raisonnable de sa capacité en réserve si elle estime que cela est nécessaire pour répondre aux menaces pour ses abonnés et pour préserver l’intégrité de son réseau et de ses services. Toute mesure du genre doit être justifiée par rapport à la capacité du réseau utilisée pour des fins similaires dans les 12 mois précédant la présente ordonnance.

Les demanderesses doivent traiter tous les renseignements reçus en application du présent paragraphe de façon confidentielle et doivent les utiliser exclusivement à des fins de surveillance de la conformité à l’égard de la présente ordonnance.

Avis concernant les adresses IP des serveurs cibles aux tierces parties intimées

11. Tous les avis communiqués par le représentant en vertu du paragraphe de la présente ordonnance doivent :

a) être communiqués aux tierces parties intimées au moyen de la publication d’une liste consolidée de toutes les adresses IP des serveurs cibles à bloquer pendant une fenêtre de matchs de la LNH en direct accompagnée par les heures de début et de fin prévues pour chaque fenêtre et chaque adresse IP sur une plateforme électronique sécurisée à laquelle chacune des tierces parties intimées a eu accès en vertu d’un arrangement avec le représentant, de la façon précisée aux alinéas b) – d);

b) être dans un format de données déterminé, lequel est fourni au préalable aux tierces parties intimées;

c) être publiés dans ladite plateforme de manière continue pendant chaque fenêtre de matchs de la LNH en direct, et (sauf comme il est énoncé au paragraphe ci‑après) pas pendant d’autres périodes;

d) être publiés d’une façon telle qu’ils sont portés activement à l’attention de toutes les tierces parties intimées de manière aussi contemporaine qu’il est raisonnablement possible.

12. Tous les avis communiqués par le représentant en vertu du paragraphe de la présente ordonnance doivent être transmis aux tierces parties intimées par les mêmes moyens que ceux précisés au paragraphe de la présente ordonnance et dans les quinze (15) minutes de l’expiration de la fenêtre de matchs de la LNH en direct pertinente, et doivent être communiqués en publiant une liste vide d’adresses IP.

Avis aux serveurs cibles

13. Lorsque le représentant communique un avis relatif à une adresse IP aux fins de blocage conformément au paragraphe de la présente ordonnance, le représentant doit, à l’intérieur d’une période raisonnable de la première occasion lorsque cette adresse IP est transmise (à savoir au plus tard à la fin de la journée le jour de la fenêtre de matchs de la LNH en direct en question), envoyer au fournisseur hôte associé à l’adresse IP un avis électronique qui contient à tout le moins les renseignements ci‑après :

a) que l’accès à l’adresse IP a été bloqué au Canada en vertu d’une ordonnance du tribunal;

b) l’identité des demanderesses qui ont obtenu la présente ordonnance;

c) un lien vers un emplacement Internet à partir duquel il est possible d’accéder à la version publique de la présente ordonnance;

d) une déclaration selon laquelle les exploitants de serveurs touchés ont le droit de présenter une demande à la Cour en vue de révoquer ou de modifier l’ordonnance en application du paragraphe ci‑après.

Avis aux clients des tierces parties intimées

14. Les demanderesses doivent publier la présente ordonnance, ainsi qu’une explication de l’objet de l’ordonnance, et les coordonnées pour toute demande de renseignements ou plainte, sur chacun de leurs sites Web, d’une manière importante.

15. Lorsque l’accès à un serveur cible est bloqué par une tierce partie intimée en application de la présente ordonnance, que la tierce partie intimée doit mettre en œuvre tous les efforts raisonnables pour rendre les renseignements ci‑après immédiatement disponibles à ses clients des services Internet résidentiels qui tentent d’accéder aux serveurs cibles et dont l’accès est bloqué :

a) que l’accès a été bloqué par cette ordonnance;

b) l’identité des demanderesses et le dossier de la Cour fédérale pour la présente espèce et les coordonnées des demanderesses, qui doivent être fournis par les demanderesses aux tierces parties intimées aux fins d’utilisation par ces clients;

c) une déclaration voulant que les exploitants des serveurs cibles (c.‑à‑d. les défendeurs Jean Untel), tout tiers qui prétend être touché par la présente ordonnance et tout client du service Internet touché par l’ordonnance puissent présenter une demande à la Cour en vue de révoquer ou de modifier l’ordonnance en application du paragraphe ci‑après;

d) les coordonnées que le représentant des demanderesses doit fournir aux tierces parties intimées, et qu’il peut mettre à jour de temps à autre en vertu d’un avis de 30 jours, qui permet au client touché de communiquer facilement avec la demanderesse ou à son représentant pour orienter toutes les plaintes, incluant tous les faux positifs.

Les dépenses raisonnables engagées par les tierces parties intimées en mettant en œuvre les efforts exigés par le présent article 12 doivent être assumées par les demanderesses.

15,1 Tous les renseignements personnels recueillis pour réaliser les objectifs de la présente ordonnance, recueillis au moyen d’un système d’inspection approfondie des paquets (IAP) ou d’un autre système adopté pour réaliser les objectifs de la présente ordonnance, seront utilisés exclusivement aux fins de communiquer un avis aux clients, ne seront pas divulgués et seront uniquement conservés aussi longtemps qu’il est strictement nécessaire pour assurer l’intégrité de l’obligation en matière de notification des clients.

Modifications apportées à l’annexe confidentielle no 2

16. Aucune modification au contenu des alinéas a) à g) de la PARTIE 1 ou aux alinéas a) à e) de la PARTIE II de l’annexe confidentielle no 2 ne peut être apportée sans être autorisée par une ordonnance de notre Cour. Aucun ajout à l’alinéa f) de la partie II de l’annexe confidentielle no 2 ne peut être effectué sans être autorisé par une ordonnance de notre Cour. Il est entendu que les suppressions à l’alinéa f) de la PARTIE II peuvent être effectuées sans l’autorisation de la Cour et qu’elles doivent être effectuées sans tarder dès que les demanderesses ou le représentant sont informés que les critères d’inclusion ne sont plus satisfaits.

17. Les demanderesses doivent signaler toutes les suppressions à la Cour, sur une base confidentielle, dans les 30 jours suivant la fin des séries éliminatoires de la LNH.

18. Toutes les parties sont autorisées à présenter une demande par voie de requête en modification du contenu de l’annexe confidentielle no 2, une telle requête doit être étayée par des éléments de preuve et être communiquée à l’ensemble des autres parties.

Permission de présenter une demande

19. Les exploitants des serveurs cibles (c.‑à‑d. les défendeurs Jean Untel), toute autre partie qui prétend être touchée par la présente ordonnance, et tout client des services Internet des tierces parties intimées touchées par l’ordonnance, peuvent présenter une requête en modification de la présente ordonnance dans la mesure où la présente ordonnance a une incidence sur leur capacité d’accéder au contenu non contrefait, ou de le distribuer, en signifiant et en déposant un dossier de requête dans les trente (30) jours suivant la première occurrence de l’événement qui les aurait touchés et qui découle de la présente ordonnance.

20. La présente ordonnance ne doit aucunement limiter la capacité d’une tierce partie intimée de demander le sursis, la modification ou l’annulation de l’ordonnance, ou de s’y opposer pour tout autre motif à toute autre ordonnance connexe ou similaire sollicitée par les demanderesses ou toute autre partie. Plus particulièrement et sans limitation, la présente ordonnance ne doit aucunement limiter la capacité d’une tierce partie intimée de soulever des questions relativement à la mise en œuvre ou au renouvellement de la présente ordonnance pour des motifs liés à la mise en œuvre technique de la présente ordonnance, aux répercussions sur les services d’une tierce partie intimée sur ses abonnés ou à l’efficacité de l’ordonnance pour empêcher la diffusion en continu non autorisée pendant une fenêtre de matchs en direct de la LNH.

Mesure de temporisation

21. La présente ordonnance doit prendre fin à la fin de la dernière fenêtre de matchs de la LNH en direct de la saison de la LNH 2021‑2022 (c.‑à‑d. la finale de la Coupe Stanley), sauf si la Cour en décide autrement.

Confidentialité

22. Les affidavits confidentiels déposés par l’une des parties, tout contre‑interrogatoire portant sur ces affidavits confidentiels ainsi que tous les arguments écrits par l’une des parties qui renvoient à ces renseignements doivent demeurer confidentiels et être mis sous scellés dans le dossier de la Cour, sous réserve des parties abordées au paragraphe 23 ci‑après, car cela est nécessaire pour prévenir un risque grave pour l’efficacité de la présente ordonnance et d’ordonnances similaires rendues par les tribunaux dans d’autres territoires de compétence; et aucune autre mesure raisonnable n’empêchera ce risque; et les avantages associés à la protection de cette efficacité l’emportent sur les effets négatifs de la confidentialité.

23. La Cour est convaincue que, même si certaines parties des documents énumérés ci‑après peuvent être rendues publiques, il est nécessaire de préserver la confidentialité d’autres parties. Il est entendu que les parties ci‑après des documents énumérés ci‑dessous seront traités comme étant confidentielles et qu’elles peuvent être mises sous scellés dans le dossier de la Cour afin de prévenir un risque grave pour l’efficacité de la présente ordonnance et d’ordonnances similaires rendues par les tribunaux dans d’autres territoires de compétence; et qu’aucune autre mesure raisonnable n’empêchera ce risque; et que les avantages associés à la protection de cette efficacité l’emportent sur les effets négatifs de la confidentialité :

a) certains paragraphes de l’affidavit de M. George Demetriades assermenté le 28 juin 2021;

b) certains paragraphes de la pièce JF‑5 de l’affidavit de M. Jonathan Friend assermenté le 15 octobre 2021;

c) certaines parties des contre‑interrogatoires de M. Demetriades (qui a eu lieu le 25 octobre 2021) et de M. Friend (qui a eu lieu le 4 novembre 2021);

d) certains paragraphes de la version confidentielle des observations écrites des demanderesses à l’appui de la présente ordonnance;

e) l’annexe 2 de la présente ordonnance (ainsi que l’annexe 2 au projet d’ordonnance présenté par les demanderesses);

f) toute partie des observations écrites présentées par les tierces parties intimées ou intervenants qui renvoie aux renseignements contenus dans les documents a) à f);

g) le point i) des rapports à présenter à la Cour en application du paragraphe 17 de la présente ordonnance.

(Collectivement, les renseignements confidentiels).

Les parties doivent fournir les caviardages proposés, en indiquant les parties précises des documents énumérés aux alinéas a) à d), et aux alinéas f) et g) qui doivent être traités comme des « renseignements confidentiels », dans les 30 jours suivant la délivrance de la présente ordonnance. Les caviardages approuvés par la Cour seront incorporés dans une ordonnance de confidentialité. Jusqu’à ce moment, l’ordonnance de confidentialité actuelle continue de s’appliquer.

24. Les renseignements confidentiels doivent être traités comme étant confidentiels par le greffe de la Cour et ne doivent pas être mis à la disposition de toute autre personne que les demanderesses, les tierces parties intimées, les intervenants et les membres du personnel de la Cour appropriés.

25. Tout défendeur ou tout tiers présentant une requête en application du paragraphe de la présente ordonnance qui souhaite avoir accès aux renseignements confidentiels aux fins de la présente instance doit signifier et déposer un dossier de requête demandant l’autorisation de la Cour pour avoir accès aux renseignements confidentiels.

26. Toute partie qui est autorisée à avoir accès aux renseignements confidentiels en application de paragraphes ou de la présente ordonnance peut uniquement avoir recours aux renseignements confidentiels aux fins de la présente instance et ne doit divulguer aucun des documents confidentiels à quiconque (sauf à son avocat ou à des experts qui ont été informés de la présente ordonnance), sans autorisation de la Cour.

Rapports à la Cour

27. Les demanderesses doivent retenir les services d’un expert indépendant, sélectionné à l’aide de commentaires de tierces parties intimées. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre, elles peuvent proposer jusqu’à trois experts possibles, au moyen d’une lettre adressée à la Cour, et la Cour informera les demanderesses de l’expert figurant sur la liste dont ils doivent retenir les services.

28. Cet expert devra accomplir plusieurs tâches principales :

a. passer en revue l’application des critères par le représentant des demanderesses pour l’identification des adresses IP aux fins de blocage, y compris l’application de tous les critères énoncés dans l’annexe confidentielle no 2;

b. communiquer à la Cour une liste (laquelle doit être préparée par le représentant) de toutes les adresses IP qui ont été désignées à des fins de blocage, les dates et les heures auxquelles elles devaient être bloquées, et les critères qui ont été appliqués et qui ont fait en sorte qu’elles ont été désignées à des fins de blocage;

c. passer en revue la mise en œuvre du blocage par autant de tierces parties intimées que possible (pas moins de quatre) et établir des rapports sur celle‑ci;

d. établir un rapport sur la conformité des modalités de l’ordonnance, par les demanderesses et le représentant, ainsi que par les tierces parties intimées;

e. compiler des renseignements sur toutes les plaintes reçues par l’une des demanderesses ou des tierces parties intimées relativement à la mise en œuvre de la présente ordonnance (dont les renseignements doivent être compilés par les parties respectives);

f. évaluer l’évaluation de l’expert quant à l’efficacité de l’ordonnance, y compris les critères pour mesurer la réussite, la raison pour laquelle ses services ont été retenus et les résultats de l’évaluation, et établir des rapports sur celle‑ci.

On doit accorder à l’expert l’accès nécessaire aux installations, aux processus ou aux renseignements nécessaires pour s’acquitter de ces responsabilités.

29. L’expert doit être assujetti à une obligation permanente en matière de confidentialité et ne doit divulguer aucun des renseignements obtenus en application de ce mandat, sauf dans la mesure où cela est autorisé par les modalités de la présente ordonnance.

30. L’expert préparera trois rapports :

a. un rapport confidentiel initial – sur la mise en œuvre de l’ordonnance, conformément à ce qui est énoncé aux alinéas a) à e) ci‑dessus, qui doit être préparé et communiqué aux parties et à la Cour, d’une manière confidentielle, dans les trente (30) jours suivant la fin des séries éliminatoires de la LNH;

b. un autre rapport confidentiel – sur l’évaluation de l’efficacité de l’ordonnance par l’expert, tel qu’il est indiqué à l’alinéa f) ci‑dessus, dans les soixante (60) jours suivant la fin des séries éliminatoires de la LNH;

c. un rapport « public » – qui doit être préparé à la suite de consultations avec toutes les parties quant aux caviardages proposés ou l’autre libellé nécessaire pour protéger les renseignements confidentiels. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les caviardages proposés, l’expert peut demander l’aide de la Cour pour régler la question. Ce rapport doit être délivré dès que possible à la suite de l’achèvement des rapports en vertu des alinéas a) et b) ci‑dessus. Ce rapport doit être publié dans le site Web de chaque partie dans les trente (30) jours suivant son achèvement.

Coût de mise en œuvre

31. Les demanderesses doivent indemniser et dégager de toute responsabilité les tierces parties intimées relativement à ce qui suit :

a. le coût marginal raisonnable de la mise en œuvre de la présente ordonnance, jusqu’à concurrence de 50 000 $;

b. toutes les pertes, obligations, demandes, et tous les dommages‑intérêts et coûts (y compris les coûts de défense) ou toutes les dépenses engagées raisonnablement découlant de la plainte, de l’action, de la réclamation ou de l’instance similaire d’un tiers, qu’elle soit de nature administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, relativement aux tierces parties intimées en raison de leur conformité par rapport à l’ordonnance.

32. En ce qui concerne les coûts mentionnés à l’alinéa a) ci‑dessus :

a. les tierces parties intimées doivent fournir aux demanderesses une facture établissant les éléments de coûts demandés et le total des coûts demandés, dans les 30 jours suivant la fin des séries éliminatoires de la LNH;

b. les demanderesses doivent, dans les trente (30) jours suivant la réception de la facture, (i) payer la facture; (ii) ou signifier et déposer une requête contestant le caractère raisonnable des coûts demandés dans la facture, faute de quoi les coûts doivent être réputés raisonnables.

Dépens

33. Aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard de la présente requête.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


ANNEXE no 1 : FENÊTRES DE MATCHS DE LA LNH EN DIRECT

  • La fenêtre de matchs de la LNH en direct pour l’ensemble des matchs de la LNH régionaux et nationaux diffusés au Canada par l’une des demanderesses par l’intermédiaire d’une émission de télévision ou d’une diffusion en continu en ligne pendant la saison régulière de la LNH 2021‑2022 (à compter du 1er octobre 2021 ou aux environs de cette date), conformément au calendrier figurant dans le site Web de la LNH (https://www.nhl.com/fr/schedule), mis à jour de temps à autre.
  • La fenêtre de matchs de la LNH en direct pour la diffusion de l’ensemble des matchs de la LNH par l’une des demanderesses par l’intermédiaire d’une émission de télévision ou d’une diffusion en continu en ligne pendant les séries éliminatoires de la Coupe Stanley de 2021‑2022 et de la série finale, conformément au calendrier figurant dans le site Web de la LNH (https://www.nhl.com/fr/schedule), mis à jour de temps à autre.

 


ANNEXE CONFIDENTIELLE NO 2 |||||| |||||| || || | |

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a) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | ||| |||

b) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | ||||||||||| |||||||||||

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d) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | |

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f) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | | | | || ||

g) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | || ||

1. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | |

a) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | | | | | | | | | | | | |

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f) |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| | | | | |||||||||||||| ||||||||||||||

g) |||||||||||||||||| ||||||||||||||||||

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i) |||||||| ||||||||

j) ||||||||||| |||||||||||

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l) |||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||

m) |||||||||||||| ||||||||||||||

n) || ||

o) ||||| |||||

p) |||||| ||||||

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t) | |

u) | |

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w) ||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||

x) ||||||| |||||||

y) |||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||

z) | |

aa) ||||| |||||

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cc) ||| |||

dd) ||||||| |||||||

ee) |||| ||||

ff) ||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||

gg) |||| ||||

hh) ||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||

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jj) |||||||||||| ||||||||||||

kk) ||||||||||||| |||||||||||||

ll) | |

mm) |||||||||| ||||||||||

nn) |||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||

oo) ||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑955‑21

INTITULÉ :

ROGERS MEDIA INC. ET AUTRES c. JEAN UNTEL NO 1 ET AUTRES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

De 23 novembre 2021 au 26 novembre 2021 ET

LE 7 JANVIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 27 MAI 2022

COMPARUTIONS :

François Guay

Jean‑Sébastien Dupont

Olivier Jean‑Lévesque

Guillaume Lavoie Ste‑Marie

Kristina Milbourn

Daniel Pink

Patrice Sterkenburg

Mark Graham

Florence Chan

Zoé Foustokjian

Pour les DEMANDERESSES et les tierces parties intimées (bell canada, fido solutions inc., rogers communications inc., videotron ltée)

Timothy Lowman

Stephen Zolf

Pour la tierce partie intimée (distributel communications limitée)

Bob Sotiriadis

Cara Parisien

pour la tierce partie intimée

(cogeco connexion inc.)

Cynthia Rathwell

Cynthia Wallace

Julien Frigon

pour la tierce partie intimée

(shaw communications inc.)

Jessica Ruthledge

Andy Kaplan Myrth

pour la tierce partie intimée

(teksavvy solutions inc.)

Christopher Naudie

Sydney Young

pour la tierce partie intimée

(telus communications inc.)

Tamir Israel

pour les intervenants (samuelson‑glushko (cippic))

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar LLP

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES ET TIERCES PARTIES INTIMÉES (BELL CANADA, FIDO SOLUTIONS INC., ROGERS COMMUNICATIONS INC., VIDEOTRON LTÉE)

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

Pour la tierce partie intimée (distributel communications limitée)

Robic

Montréal (Québec)

pour la tierce partie intimée

(cogeco connexion inc.)

Shaw Communications

Ottawa (Ont.)

pour la tierce partie intimée

(shaw communications inc.)

TekSvvy Solutions Inc.

Ottawa (Ont.)

pour la tierce partie intimée

(teksavvy solutions inc.)

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

pour la tierce partie intimée

(telus communications inc.)

Université d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

pour les intervenants (samuelson‑glushko (cippic))

 

 

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