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Date : 20220603


Dossiers : T-835-21

T-845-21

Référence : 2022 CF 817

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

NICK MALTAIS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Nick Maltais, est un octogénaire travaillant comme courtier immobilier qui a bénéficié de la Prestation canadienne d’urgence [PCU] et aurait bénéficié de la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE] en 2020. M. Maltais a fait l’objet d’un examen par l’Agence du revenu du Canada [ARC] à l’issue duquel un agent de traitement des prestations [agent] de l’ARC a conclu, en date du 15 décembre 2020, que M. Maltais était inadmissible à la PCU et à la PCRE et qu’il devait rembourser les paiements qu’il avait déjà reçus. À la suite d’un deuxième examen de ses demandes de PCU et de PCRE, l’ARC a confirmé l’inadmissibilité de M. Maltais en date du 16 avril 2021.

[2] M. Maltais a présenté deux demandes de contrôle judiciaire visant les décisions du 16 avril 2021 quant à son inadmissibilité à la PCU (T-835-21) et à la PCRE (T-845-21). J’ai entendu ces demandes conjointement et la présente décision s’applique aux deux demandes de contrôle judiciaire. M. Maltais soutient qu’il satisfait aux différents critères d’admissibilité pour bénéficier de la PCU et de la PCRE et que les agents de l’ARC n’ont pas respecté l’intention du législateur en appliquant trop sévèrement les critères d’admissibilité. Il ajoute que l’ARC a manqué aux principes d’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de discuter avec les agents des décisions qui ont été prises à son égard.

[3] À mon avis, les décisions de l’ARC sont raisonnables et l’ARC n’a pas manqué aux principes d’équité procédurale. Ainsi, et pour les motifs qui suivent, je rejetterais les demandes.

II. Contexte

[4] En 1997, M. Maltais a acheté à l’époque une société de fabrication de scies qui a dû fermer ses portes dans la foulée du conflit du bois d’œuvre des années 2000; M. Maltais devait assumer la perte totale de son capital, soit environ 400 000 $ sous forme de dus aux administrateurs. Par la suite, la société – aujourd’hui connue sous le nom de la société Groupe Conseil Immobilier Québec Inc. [la société] – a commencé à opérer en 2009 en tant qu’agence immobilière qui regroupait alors quatre courtiers immobiliers. Au fil des ans, et lorsque les revenus de l’agence le lui permettaient, M. Maltais retirait de la société des montants à titre de remboursements partiels des pertes antérieures qu’il pouvait reporter sur 20 ans et qui lui étaient dus à titre de revenu non imposable, réduisant ainsi ses pertes en cours. De plus, M. Maltais affirme qu’il devait réaliser lui-même des contrats de courtage pour combler le revenu nettement insuffisant provenant de la commission de vente de 10 % qu’il encaissait sur les transactions effectuées par les courtiers immobiliers de son agence.

[5] M. Maltais n’a déclaré aucun revenu en lien avec un travail pour les années d’imposition de 2016, 2017 et 2018, ayant été satisfait que ses revenus de la société soient déclarés comme remboursement de pertes plutôt que comme salaire imposable. Cependant, selon sa déclaration de revenus produite le 30 juin 2020, M. Maltais aurait touché un revenu de 6 000 $ pour l’année 2019 : il s’est versé 500 $ par mois sous forme de trois paiements de 2 000 $, soit 6 000 $ pour l’année.

[6] Vu son âge (il avait alors 81 ans), la pandémie de COVID-19 en 2020 a suscité des inquiétudes pour M. Maltais, qui est resté confiné chez lui pour éviter d’être infecté. En conséquence, M. Maltais n’était plus en mesure de poursuivre ses tâches de courtier immobilier qui consistent en grande partie à faire visiter des propriétés à des acheteurs potentiels et il a donc arrêté de prendre des contrats de courtage. Profitant du confinement, M. Maltais a entrepris une formation de mise à niveau offerte aux courtiers immobiliers pour obtenir son permis de courtier hypothécaire.

[7] À la suite de l’annonce du gouvernement de la création d’une aide d’urgence pour les travailleurs affectés directement par la pandémie de COVID-19, M. Maltais a présenté une demande de PCU le 8 avril 2020 et a reçu des paiements pour les sept périodes de quatre semaines allant du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020 pour un total de 14 000 $. M. Maltais a également présenté une demande pour obtenir la PCRE en octobre 2020 pour les deux périodes de deux semaines allant du 27 septembre 2020 au 24 octobre 2020 pour un total de 2 000 $. M. Maltais affirme que bien qu’il ait fait une demande de PCRE, il n’aurait en fait reçu aucun versement. Le ministre conteste ces affirmations, mais la question de savoir si M. Maltais a ou non reçu des versements de PCRE n’est pas déterminante aux demandes de contrôle judiciaire.

[8] Le 5 novembre 2020, une agente de l’ARC a entrepris l’examen des demandes de PCU et de PCRE de M. Maltais. Lors d’une conversation téléphonique entre l’agente et M. Maltais, ce dernier a affirmé qu’il travaillait comme courtier immobilier au début de l’année 2020 et qu’il a continué à travailler par la suite, mais que le chiffre d’affaires de sa société avait beaucoup diminué. Je reproduis les notes de l’agente prises lors de la conversation téléphonique :

Discussion : Le CT affirme qu’il travaillait au début de l’année 2020, il est courtier immobilier. Il est propriétaire d’une petite agence immobilière; Groupe Conseil Immobilier Qc. Son bureau de travail est chez lui. Il affirme que 4 courtiers travaillent pour son agence. Il affirme qu’il est payé environ 500,00$ par mois. Je lui demande s’il a toujours été payé. Il dit que oui. Il reçoit de l’argent quand la compagnie en fait, sinon, il faisait des retraits sur les pertes de la compagnie. Il répète qu’il a déclaré 6 000,00$ en 2019. Je lui mentionne qu’il n’a pas d’autres rentrées de ce genre dans ses autres déclarations d’impôts, même s’il affirme qu’il était payé. Il dit qu’il en prenait quand il le voulait. En 2020, il a continué à travailler, mais le chiffre d’affaires a beaucoup diminué. Je le questionne sur le marché immobilier. Il mentionne qu’à Québec, c’est une fausse impression, le monde achète, mais il y a une baisse de maisons à vendre.

[9] L’agente a exigé que M. Maltais lui fasse parvenir ses relevés de compte bancaire pour démontrer qu’il avait bien reçu au moins 5 000 $ de sa compagnie en 2019 ainsi que ses relevés de compte bancaire de 2020. L’agente a rappelé M. Maltais les 3 décembre et 9 décembre 2020 pour l’avertir que les documents qu’il avait soumis n’étaient pas suffisants et lui a offert un délai supplémentaire pour lui faire parvenir les documents exigés. Le 12 décembre 2020, l’agente a confirmé avoir reçu tous les documents et a procédé à l’analyse de son dossier.

[10] Le 17 décembre 2020, l’agente a envoyé deux lettres à M. Maltais pour l’aviser qu’il était inadmissible à la PCU et à la PCRE parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019 (ou en 2020 pour la PCRE) ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande. Je reproduis les notes de l’agente en date du 15 décembre 2020 concernant sa décision :

Le CT a déclaré 6 000,00$ de revenu à la ligne 104 sur sa déclaration de 2019 produite en juin 2020.

Le CT [n’a] déclaré aucun revenu en lien avec un travail en 2018, 2017, 2016.

Alors, il n’est pas raisonnable que le CT décide de se verser un montant pour être admissible à la PCU/PCRE. De plus, comme le CT ne se payait pas avant, il n’est pas possible de dire qu’il a eu une baisse de revenu. Je devrais référer le CT au SSUC [Subvention salariale d’urgence du Canada]. Aussi le CT a mentionné qu’il payait ses courtiers avant lui et qu’il n’a pas été payé en 2020, alors cela est son choix personnel de ne pas se payer, la compagnie a eu des rentrées d’argent durant les périodes demandées.

[11] Essentiellement, la décision de l’agente est fondée sur le fait que M. Maltais aurait pris une décision stratégique en décidant d’attribuer une partie des fonds qu’il a tirés de la société en 2019 comme salaire imposable ainsi qu’un éventuel prélèvement partiel de ses pertes en suspens, alors que dans le passé, il n’aurait attribué ces fonds que comme remboursement des pertes en suspens, simplement pour atteindre le seuil de revenus de 2019 nécessaire pour satisfaire aux exigences des programmes de PCU et de PCRE.

[12] Le 4 janvier 2021, M. Maltais a présenté une demande pour qu’un deuxième examen de son dossier soit effectué. Le 16 avril 2021, un autre agent de l’ARC a envoyé à M. Maltais deux lettres pour l’aviser qu’il était inadmissible à la PCU parce qu’il n’avait pas cessé de travailler ou que ses heures de travail n’avaient pas été réduites en raison de la COVID-19 et qu’il était également inadmissible à la PCRE parce qu’il ne travaillait pas pour des raisons autres que la COVID-19. En conséquence, l’ARC exige que M. Maltais rembourse les paiements de PCU et de PCRE qu’il a reçus. L’agent a détaillé le raisonnement de ses décisions dans un rapport :

LE CT AFFIRME QU’IL N’A PAS PU SE VERSER DE SALAIRE EN 2020 EN RAISON DU COVID, MAIS IL NE S’EN ÉTAIT PAS VERSER [sic] NON PLUS LES ANNÉES PRÉCÉDENTES, DONC NOUS NE POUVONS AFFIRMER QUE C’EST À CAUSE DE LA PANDÉMIE.

LE SECTEUR DU COURTAGE IMMOBILIER N’A PAS ÉTÉ EN ARRÊT DURANT LA PANDÉMIE.

OFFICIELLEMENT, LE CT NE TRAVAILLAIT PAS QUAND LA PANDÉMIE A FRAPPÉ (DERNIER SALAIRE QU’IL S’EST VERSÉ EST EN AOÛT 2019), DONC NOUS NE POUVONS PAS AFFIRMER QU’IL A CESSÉ DE TRAVAILLER À CAUSE DU COVID. MÊME S’IL A VERSÉ DES SALAIRES À SES COURTIERS ET QUE CECI A POSSIBLEMENT EU UNE INCIDENCE SUR LE FAIT QU’IL NE S’EST PAS VERSER [sic] UN SALAIRE À LUI-MÊME EN 2020, CECI EST UN CHOIX DE SA PART ULTIMEMENT, EN TANT QUE PATRON, ALORS IL A FAIT CECI VOLONTAIREMENT.

[13] Le 16 mai 2021, M. Maltais a présenté deux demandes de contrôle judiciaire des deux décisions du 16 avril 2021. Ses demandes visent l’obtention des déclarations et ordonnances suivantes :

  1. Une déclaration voulant que les décisions de l’ARC quant à son inadmissibilité à la PCU et la PCRE soient manifestement déraisonnables et inapplicables;

  2. Une ordonnance d’annulation des décisions de l’ARC du 16 avril 2021;

  3. Une ordonnance visant à remettre M. Maltais dans la situation dans laquelle il se trouvait avant les décisions du 16 avril 2021;

  4. Une ordonnance enjoignant à l’ARC d’analyser le dossier de M. Maltais selon le droit applicable et selon les faits relatifs au dossier;

  5. Une ordonnance enjoignant à l’ARC de transmettre toute décision future relativement au dossier de M. Maltais en y mentionnant l’existence d’un droit de révision le cas échéant et le délai applicable pour appeler de la décision;

  6. Une ordonnance enjoignant à l’ARC de remettre à M. Maltais les sommes auxquelles il aurait droit s’il faisait une demande rétroactive pour obtenir la PCRE.

III. Cadre législatif

A. La Prestation canadienne d’urgence

[14] La PCU a été instaurée par la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8 [Loi sur la PCU], sanctionnée le 25 mars 2020, afin de fournir un soutien financier aux employés et aux travailleurs indépendants qui ont été touchés directement par la pandémie de COVID-19. En vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la PCU, la PCU a été offerte pour la période du 15 mars 2020 au 3 octobre 2020. Les paragraphes 6(1) et 6(2) prévoyaient les critères d’admissibilité pour recevoir la PCU :

Admissibilité

Eligibility

6(1) Est admissible à l’allocation de soutien du revenu le travailleur qui remplit les conditions suivantes :

6(1) A worker is eligible for an income support payment if

a) il cesse d’exercer son emploi — ou d’exécuter un travail pour son compte — pour des raisons liées à la COVID-19 pendant au moins quatorze jours consécutifs compris dans la période de quatre semaines pour laquelle il demande l’allocation;

(a) the worker, whether employed or self-employed, ceases working for reasons related to COVID-19 for at least 14 consecutive days within the four-week period in respect of which they apply for the payment; and

b) il ne reçoit pas, pour les jours consécutifs pendant lesquels il cesse d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte :

(b) they do not receive, in respect of the consecutive days on which they have ceased working,

(i) sous réserve des règlements, de revenus provenant d’un emploi ou d’un travail qu’il exécute pour son compte,

(i) subject to the regulations, income from employment or self-employment,

(ii) de prestations, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’assurance-emploi,

(ii) benefits, as defined in subsection 2(1) of the Employment Insurance Act,

(iii) d’allocations, de prestations ou d’autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par lui à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption,

(iii) allowances, money or other benefits paid to the worker under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the worker of one or more of their new-born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption, or

(iv) tout autre revenu prévu par règlement.

(iv) any other income that is prescribed by regulation.

Exclusion

Exclusion

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)a), un travailleur ne cesse pas d’exercer son emploi s’il le quitte volontairement.

(2) An employed worker does not cease work for the purpose of paragraph (1)(a) if they quit their employment voluntarily.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[15] L’article 2 de la Loi sur la PCU précise la définition de « travailleur » :

travailleur Personne âgée d’au moins quinze ans qui réside au Canada et dont les revenus — pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande en vertu de l’article 5 — provenant des sources ci-après s’élèvent à au moins cinq mille dollars ou, si un autre montant est fixé par règlement, ce montant :

worker means a person who is at least 15 years of age, who is resident in Canada and who, for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make an application under section 5, has a total income of at least $5,000 — or, if another amount is fixed by regulation, of at least that amount — from the following sources:

a) un emploi;

(a) employment;

b) un travail qu’elle exécute pour son compte;

(b) self-employment;

c) des prestations qui lui sont payées au titre de l’un des paragraphes 22(1), 23(1), 152.04(1) et 152.05(1) de la Loi sur l’assurance-emploi;

(c) benefits paid to the person under any of subsections 22(1), 23(1), 152.04(1) and 152.05(1) of the Employment Insurance Act; and

d) des allocations, prestations ou autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par elle à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez elle en vue de leur adoption.

(d) allowances, money or other benefits paid to the person under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the person of one or more of their new-born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption.

B. La Prestation canadienne de la relance économique

[16] La PCRE a été introduite par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [Loi sur les PCRE], sanctionnée le 2 octobre 2020, afin de fournir une aide financière aux salariés et aux travailleurs indépendants qui ont été directement touchés par la pandémie de la COVID-19 et qui n’avaient pas droit aux prestations d’assurance-emploi. La PCRE a été offerte pour la période du 27 septembre 2020 au 23 octobre 2021. Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les PCRE prévoyait les critères d’admissibilité pour recevoir la PCRE, notamment :

Admissibilité

Eligibility

3(1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

3(1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

a) elle détient un numéro d’assurance sociale valide;

(a) they have a valid social insurance number;

b) elle était âgée d’au moins quinze ans le premier jour de la période de deux semaines;

(b) they were at least 15 years of age on the first day of the two-week period;

c) elle résidait et était présente au Canada au cours de la période de deux semaines;

(c) they were resident and present in Canada during the two-week period;

d) dans le cas d’une demande présentée en vertu de l’article 4 à l’égard d’une période de deux semaines qui débute en 2020, ses revenus provenant des sources ci-après, pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente sa demande, s’élevaient à au moins cinq mille dollars :

(d) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, they had, for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application, a total income of at least $5,000 from the following sources:

(i) un emploi,

(i) employment

(ii) un travail qu’elle exécute pour son compte,

(ii) self-employment

(iii) des prestations qui lui sont payées au titre de l’un des paragraphes 22(1), 23(1), 152.04(1) et 152.05(1) de la Loi sur l’assurance-emploi,

(iii) benefits paid to the person under any of subsections 22(1), 23(1), 152.04(1) and 152.05(1) of the Employment Insurance Act,

(iv) des allocations, prestations ou autres sommes qui lui sont payées, en vertu d’un régime provincial, en cas de grossesse ou de soins à donner par elle à son ou ses nouveau-nés ou à un ou plusieurs enfants placés chez elle en vue de leur adoption,

(iv) allowances, money or other benefits paid to the person under a provincial plan because of pregnancy or in respect of the care by the person of one or more of their new-born children or one or more children placed with them for the purpose of adoption, and

(v) une autre source de revenu prévue par règlement;

(v) any other source of income that is prescribed by regulation;

[…]

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID-19, à l’exclusion des raisons prévues aux sous-alinéas 17(1)f)(i) et (ii), soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent — ou, si un pourcentage moins élevé est fixé par règlement, ce pourcentage — de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à :

(f) during the two-week period, for reasons related to COVID-19, other than for reasons referred to in subparagraph 17(1)(f)(i) and (ii), they were not employed or self-employed or they had a reduction of at least 50% or, if a lower percentage is fixed by regulation, that percentage, in their average weekly employment income or self-employment income for the two-week period relative to

(i) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2020,

(i) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, their total average weekly employment income and self-employment income for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application,

[…]

IV. Questions en litige

[17] Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent trois questions :

  1. Les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Maltais devant la Cour sont-ils admissibles?

  2. Les décisions du 16 avril 2021 concluant que M. Maltais est inadmissible pour recevoir la PCU et la PCRE sont-elles déraisonnables?

  3. L’ARC a-t-elle manqué aux principes d’équité procédurale en omettant de fournir à M. Maltais la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent?

V. Norme de contrôle

[18] La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision d’un agent de l’ARC est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]). Le rôle de la Cour est d’examiner le raisonnement suivi par le décideur administratif et le résultat obtenu pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov au para 85).

[19] En ce qui concerne la question d’équité procédurale, la Cour doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54, 56; Fortier c Canada (Procureur général), 2022 CF 374 au para 15 [Fortier]).

VI. Analyse

A. Les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Maltais devant cette Cour ne sont pas admissibles

[20] Au soutien de ses demandes de contrôle judiciaire, M. Maltais a déposé deux affidavits auxquels sont jointes les mêmes pièces qui n’ont pas été soumises au décideur administratif dans le cadre du processus décisionnel. Le défendeur s’oppose à l’admission de ces pièces parce qu’elles constitueraient de la nouvelle preuve inadmissible. Les pièces en question sont les suivantes :

  • L’annexe 4 (« Continuité et application des pertes de la société ») de la déclaration de revenus de Groupe Conseil Immobilier Québec Inc. pour l’année d’imposition se terminant le 31 août 2018 constituant la pièce « A » des affidavits de M. Maltais;

  • Le document intitulé « Continuité des pertes autres qu’en capital » de Groupe Conseil Immobilier Québec Inc., constituant la pièce « B » des affidavits de M. Maltais;

  • Le relevé T4A pour l’année 2020 au nom de M. Maltais constituant la pièce « I » des affidavits de M. Maltais.

[21] Il est bien connu que lorsque la Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, elle doit se limiter au dossier de preuve dont disposait le décideur administratif. Il existe trois exceptions à cette règle générale : lorsque la nouvelle preuve (1) fournit des renseignements généraux pour aider la Cour à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire; (2) est nécessaire pour signaler un manquement à l’équité procédurale; (3) vient ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97-98). Les documents en question n’étaient pas devant l’agent qui a rendu les décisions du 16 avril 2021. De plus, M. Maltais ne m’a pas démontré que les nouvelles pièces qu’il a jointes à ses affidavits tombaient dans l’une des exceptions énoncées par la Cour d’appel fédérale dans Tsleil-Waututh Nation. En conséquence, je ne tiendrais pas compte de ces documents dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions prises par l’agent. De toute manière, il me semble que ces documents n’auraient pas eu d’influence sur ces décisions. Tout d’abord, M. Maltais soulève dans son affidavit que la somme de 2 000 $ inscrite à la ligne 202 du relevé T4A serait un montant que l’ARC aurait ajouté à ses revenus imposables sans d’abord le prévenir et en discuter avec lui. Cependant, la ligne 202 du relevé T4A correspond plutôt au montant qu’il aurait reçu pour la PCRE. Ensuite, M. Maltais explique dans son affidavit qu’il utilise les pertes autres que des pertes en capital de sa compagnie de fabrication de scies depuis plusieurs années pour se « rembourser les avances » d’argent qu’il a faites à la société lorsque les liquidités de la compagnie le permettent. Cette information n’a aucun impact sur l’admissibilité de M. Maltais à la PCU et à la PCRE.

B. Les décisions du 16 avril 2021 concluant que M. Maltais est inadmissible pour recevoir la PCU et la PCRE ne sont pas déraisonnables

[22] M. Maltais soulève que l’objectif de la PCU et de la PCRE était d’offrir un programme souple pour aider financièrement tous les travailleurs affectés par la pandémie de COVID-19 et que les agents n’ont pas respecté l’intention du législateur en appliquant trop sévèrement les critères d’admissibilité. Il ajoute que les agents ne croyaient pas qu’il travaillait en raison de son âge avancé.

[23] Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Maltais. Les critères pour obtenir la PCU et la PCRE sont clairement prévus par la Loi sur la PCU et la Loi sur les PCRE et l’agent a évalué le dossier de M. Maltais selon ces critères et selon la preuve soumise par M. Maltais, à savoir des relevés bancaires personnels et de sa compagnie, des captures d’écran d’un système de transactions ainsi que des copies de chèques. La preuve indique que M. Maltais a informé l’ARC qu’il n’a pas cessé de travailler en 2020, mais qu’il a modifié sa façon de travailler. Devant moi, il affirme qu'en raison de la COVID-19, il a dû travailler strictement de la maison et qu’il ne pouvait pas faire visiter les propriétés aux clients; il affirme donc avoir subi une réduction de ses revenus en raison de la limitation imposée à sa capacité de gagner un revenu.

[24] Le problème semble être que M. Maltais a décidé, pour ses propres raisons, de retirer des fonds de la société durant les années précédentes, ce qui rend difficile, voire impossible, pour l’ARC de lier tout changement dans la façon dont M. Maltais a travaillé en 2020 à une réduction de son revenu d’emploi. Après tout, la PCU et la PCRE sont censées être des allocations de soutien du revenu pour la perte de revenu pour des raisons liées à la COVID-19. Si une personne ne peut pas lier sa perte de revenu à la pandémie, je ne vois pas comment elle peut être admissible au programme. Pour ma part, je ne suis pas convaincu, d’après les preuves fournies, que M. Maltais a cessé d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID-19 et, en conséquence, n’a pas reçu de revenu provenant d’un emploi ou d’un travail qu’il exécute pour son compte.

[25] Il est tout à fait logique que M. Maltais ait préféré, lorsqu’il restait de l’argent dans la société, rembourser lui-même sa dette impayée en tant que revenu non imposable plutôt que d’utiliser les fonds de la société pour se verser un salaire. Interrogé à ce sujet, il m’a indiqué que, pour 2019, il préférait affecter les fonds qu’il retirait de la société en tant que « revenus provenant d’un emploi ou d’un travail qu’il exécute pour son compte » parce qu’il voulait conserver un certain montant de pertes à l’avenir pour des raisons fiscales. C’est certainement son choix en tant que propriétaire d’une petite entreprise, mais il n’est pas possible de conclure par la suite que lorsqu’il cesse d’exercer son emploi ou d’exécuter un travail pour son compte, qu’il ne reçoit pas de revenus provenant de cet emploi ou dudit travail qu’il exécute pour son compte à cause de l’arrivée de la pandémie. L’agent a conclu que M. Maltais était inadmissible à la PCU parce qu’il n’avait pas cessé de travailler en raison de la COVID-19 et qu’il était inadmissible à la PCRE parce qu’il ne travaillait pas pour des raisons autres que la COVID-19. L’agent a détaillé son raisonnement dans son rapport: il constate que, selon les déclarations de revenus de M. Maltais, ce dernier ne s’était pas versé de salaire les années précédentes (à l’exception de l’année 2019) et qu’il ne pouvait donc pas conclure que M. Maltais n’avait pu se verser de salaire pour l’année 2020 en raison de la COVID-19. De plus, il note que le secteur du courtage immobilier n’a pas été mis sur pause lors de la pandémie. S’il ne s’était pas versé de salaire en 2020, c’est de façon volontaire en tant que patron de la compagnie, et je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de l’agent.

[26] En fait, M. Maltais semble affirmer que tout salaire qu’il déciderait de se verser à partir de la société n’était pas censé être directement lié à son travail d’agent d’immeuble. Il a déclaré ce qui suit dans son affidavit déposé à l’appui des présentes demandes, précisant la déclaration qu’il avait faite à l’ARC selon laquelle il n’était pas à la recherche d'un emploi : « Quand je dis que je ne suis pas à la recherche d’emploi, c’est parce que j’ai un travail qui n’est pas un emploi rémunéré, mais c’est aussi un emploi et je ne pouvais plus faire une partie importante de mon travail soit les visites à domicile ». Devant moi, M. Maltais soutient qu’il lui suffit de démontrer une réduction de son travail, sans nécessairement qu’il y ait un lien entre cette réduction et une perte de revenu. Je ne suis pas d’accord.

[27] Le raisonnement de l’agent est, à mon avis, cohérent et fondé sur la preuve au dossier, à savoir, les déclarations de revenus pour les années 2016 à 2019 et les relevés bancaires soumis par M. Maltais. Il incombait à M. Maltais de démontrer le caractère déraisonnable des décisions de l’ARC en convainquant la Cour que ces décisions souffrent de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elles satisfont aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100). Compte tenu de la preuve au dossier et des motifs ci-dessus, je ne suis pas convaincu qu’il s’est acquitté de son fardeau.

C. L’ARC n’a pas manqué aux principes d’équité procédurale

[28] Bien qu’il n’ait pas plaidé cet argument devant moi, M. Maltais soutient, dans son avis de demande, que les décisions du 16 avril « ne référai[ent] aucunement à l’existence d’un droit de révision » et qu’à « aucun moment, [il] n’a eu l’occasion de discuter [de] la décision prise, aucune information ne lui a été demandée et aucune demande ne lui a été faite en fonction d’une analyse quelconque ».

[29] Je ne suis pas d’avis que l’ARC a manqué aux principes d’équité procédurale. En premier lieu, de toute évidence, les lettres du 16 avril 2021 réfèrent à un droit de révision, indiquant que si M. Maltais n’était pas d’accord avec le résultat du deuxième examen, qu’il pouvait « demander à la Cour fédérale de faire un contrôle judiciaire », un droit dont M. Maltais s’est prévalu et qui fait l’objet des présents contrôles judiciaires. En deuxième lieu, la question fondamentale qu’il faut se poser est de savoir si M. Maltais a été entendu et s’il a eu la possibilité de connaître la preuve qu’il devait réfuter (Fortier aux para 15-16). Je suis d’avis que, contrairement à la situation dans l’affaire Fortier, M. Maltais a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’ARC quant à son inadmissibilité à la PCU et à la PCRE. Dans l’affaire Fortier, le demandeur n’avait pas obtenu l’occasion de fournir des explications à l’agente qui procédait au deuxième examen de son admissibilité après que celle-ci a contacté son employeur pour obtenir la raison de la fin de son contrat d’emploi. En l’espèce, M. Maltais s’est entretenu à plusieurs reprises avec l’agente de l’ARC qui a rendu les décisions du 15 décembre 2020 qui lui a demandé de démontrer qu’il avait bien reçu au moins 5 000 $ en 2019 de sa compagnie et posé des questions sur sa situation d’emploi. M. Maltais a également eu l’occasion de fournir de la preuve pour démontrer qu’il satisfaisait aux critères d’admissibilité. L’agent qui a procédé au deuxième examen de ses demandes n’est pas allé chercher des éléments de preuve externes auxquels M. Maltais n’aurait pas eu l’opportunité de répondre.

VII. Conclusion

[30] Je rejetterais les demandes.

 


JUGEMENT aux dossiers T-835-21 et T-845-21

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-835-21 et T-845-21

 

INTITULÉ :

NICK MALTAIS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Nick Maltais

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Emmanuel Jilwan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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