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Date : 20220601


Dossier : IMM-2918-20

Référence : 2022 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2022

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

FELIX SALOTRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Felix Salotra, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande de permis de séjour temporaire, qu’il avait sollicité dans le but de gagner du temps pour régulariser son statut au Canada, a été rejetée.

[2] Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire est rejetée en raison de son caractère théorique.

I Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen indien qui est entré au Canada muni d’un permis d’études en décembre 2014. Après avoir terminé son programme d’études, il a obtenu un permis de travail postdiplôme, qui était valide jusqu’au 7 juillet 2019. Le 5 juillet 2019, il a sollicité un autre permis de travail, mais sa demande a été rejetée le 25 octobre 2019 au motif qu’il n’avait pas présenté une étude d’impact sur le marché du travail valide. Dans sa lettre de refus, on l’informait qu’il pourrait demander à ce que son statut soit rétabli dans un délai de 90 jours.

[4] Le 20 novembre 2019, le demandeur a essayé d’entrer au Canada; il affirme qu’il pensait que l’agent des services frontaliers pourrait lui délivrer un permis de travail. Il a présenté à l’agent une offre d’emploi ainsi qu’une étude d’impact sur le marché du travail. Interrogé par l’agent, le demandeur a nié qu’il avait travaillé à la suite du refus de son permis de travail. L’agent a communiqué avec l’employeur qui avait délivré l’offre d’emploi, et son représentant lui a indiqué que le demandeur était en congé, mais qu’il devait revenir au travail le lundi suivant. À la lumière de cette information, l’agent a conclu que le demandeur travaillait sans autorisation et a jugé qu’il était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 41a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Il a pris une mesure d’exclusion d’une durée d’un an à son égard (cette période a pris fin le 19 novembre 2020).

[5] Le 3 janvier 2020, le demandeur a sollicité un permis de séjour temporaire et un permis de travail en faisant valoir qu’il n’avait pas enfreint la loi de façon intentionnelle, qu’il avait mal compris les exigences et procédures relatives à l’obtention d’un permis de travail, et qu’il détenait une offre d’emploi valide. Le 25 juin 2020, un agent a rejeté sa demande de permis de séjour temporaire. Dans l’intervalle, le demandeur a été renvoyé du Canada et est retourné en Inde.

[6] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle sa demande de permis de séjour temporaire a été rejetée. Il sollicite l’annulation de la décision ainsi qu’une ordonnance de mandamus [traduction] « contraignant un tribunal différemment constitué à examiner si un permis de séjour temporaire devrait lui être délivré ».

[7] Peu de temps avant l’audience, le défendeur a fait valoir que l’affaire ne devrait pas être instruite en raison de son caractère théorique. Puisque le temps manquait pour trancher cette question avant l’audience, j’ai ordonné aux avocats de me donner leur avis sur ce point dans le cadre de leurs plaidoiries.

[8] Le défendeur soutient que l’affaire devrait être rejetée en raison de son caractère théorique. Comme la mesure d’exclusion interdisant l’entrée du demandeur au Canada a pris fin, celui-ci n’a plus besoin d’un permis de séjour temporaire pour entrer au pays. Le défendeur soutient que la question du rejet de la demande de permis de séjour temporaire n’est donc plus en litige, puisqu’il n’y a rien qui empêche le demandeur d’entrer au Canada. S’il souhaite revenir au pays pour y travailler, il doit suivre le même processus que les autres étrangers, c’est-à-dire présenter une demande de permis de travail. Comme le demandeur n’a plus besoin de permis de séjour temporaire pour entrer au pays, il n’y aurait aucun intérêt à renvoyer l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision advenant qu’il ait gain de cause en l’espèce.

[9] Le demandeur soutient que l’affaire n’est pas théorique. Même s’il n’est plus interdit de territoire, sa présente demande de contrôle judiciaire vise également à remédier à la situation dans laquelle il s’est trouvé pour des raisons indépendantes de sa volonté. Le demandeur soutient également que la décision de l’agent était déraisonnable et que son annulation aurait pour effet de le remettre dans l’état dans lequel il se trouvait au moment où elle a été rendue. Il a besoin d’un visa pour retourner au Canada afin d’occuper l’emploi qui lui avait été offert et, ce faisant, il se fonde sur l’étude d’impact sur le marché du travail qui était valide à la date où la décision contestée, par laquelle on lui refusait l’entrée au pays, a été rendue. À l’époque, il était encore temps de rétablir son statut. Pour ce motif, le demandeur soutient qu’il existe toujours un litige entre les parties en ce qui concerne la validité de la décision de l’agent. Il soutient qu’il tirerait un avantage concret de l’annulation de la décision, puisqu’il pourrait alors se fonder sur l’étude d’impact sur le marché du travail afin de retourner au Canada pour y travailler; il n’aurait pas besoin de visa ni d’attendre qu’une nouvelle étude d’impact sur le marché du travail soit délivrée. En somme, le demandeur soutient que le rejet de la demande de permis de séjour temporaire continue de produire ses effets et que, compte tenu de ces circonstances uniques, il serait injuste de rejeter sa demande en raison de son caractère théorique.

[10] L’analyse du caractère théorique se fait en deux temps. Il faut d’abord se demander si le litige est devenu purement théorique; en d’autres termes, subsiste-t-il un différend qui porte ou pourrait porter atteinte aux droits des parties? Si le litige est devenu théorique, une deuxième question se pose : le tribunal devrait-il néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire? (Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195 au para 10, citant Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, [1989] WWR 97 aux p. 353-363; et voir Harvan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1026 au para 7 [Harvan]).

[11] La question du caractère théorique se pose en l’espèce puisque la demande de contrôle judiciaire vise à contester le rejet de la demande de permis de séjour temporaire, dont le demandeur avait uniquement besoin en raison de la mesure d’exclusion prise à son endroit. Cependant, cette mesure avait pris fin à la date de l’audience. Selon le défendeur, même si le demandeur avait gain de cause, un jugement en sa faveur n’aurait aucun effet concret puisqu’il serait inutile d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision. Le demandeur n’a pas besoin de permis de séjour temporaire pour revenir au Canada. Par conséquent, le fait de procéder au nouvel examen de sa demande de permis précédente ne lui serait d’aucune utilité.

[12] Le défendeur fait valoir que la présente affaire est analogue aux affaires Kwong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 179 [Kwong], et Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 446 (1re inst.) [Brown].

[13] Dans l’affaire Kwong, la contestation portait sur la décision par laquelle l’agent avait rejeté la demande de permis de séjour temporaire du demandeur en mars 2015; toutefois, celui-ci a vu son autre demande de permis de séjour temporaire accueillie en janvier 2016. Le juge Zinn a conclu que l’affaire était théorique puisque la réparation sollicitée par le demandeur était l’annulation de la précédente décision relative à son permis de séjour temporaire. Le juge Zinn a résumé l’affaire au paragraphe 12 de sa décision : « Essentiellement, le demandeur cherche une occasion de persuader un agent de lui délivrer un permis de séjour temporaire. Cela s’est produit. » Dans cette affaire, le demandeur avait fait valoir que ses demandes de permis de séjour temporaire à venir pourraient être rejetées pour le même motif que celui invoqué dans la décision qu’il cherchait à faire annuler, mais le juge Zinn a conclu que cet argument était conjectural, particulièrement compte tenu du fait que sa plus récente demande avait été accueillie. La demande a donc été rejetée en raison de son caractère théorique.

[14] Dans la décision Brown, le demandeur contestait la mesure d’exclusion prise contre lui. Le juge MacKay a conclu que l’affaire était théorique parce que la mesure d’exclusion avait pris fin avant l’audience de l’affaire.

[7] Il est évident que la question est sans objet, étant donné que la mesure d’exclusion est venue à expiration plus d’un mois avant l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire. Une décision sur le fond serait sans effet pour l’une ou l’autre partie. La seule question litigieuse qu’il reste à trancher est celle de savoir si la mesure d’exclusion expirée qui a été versée au dossier du demandeur nuira à toute autre demande qu’il pourrait présenter en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada. À mon avis, la Cour ne devrait pas spéculer sur la portée éventuelle d’une mesure d’exclusion expirée lorsqu’elle examine par la suite une question ou une demande portant sur le statut d’immigrant du demandeur. De toute évidence, la mesure expirée n’a en soi aucun effet sur le statut du demandeur.

[15] Le défendeur soutient que la situation en l’espèce est la même que dans les affaires Kwong et Brown : il n’y a aucun litige actuel entre les parties, et le fait d’annuler la décision rejetant la demande de permis de séjour temporaire n’aurait aucun effet concret sur la capacité du demandeur à revenir au Canada.

[16] Le demandeur soutient qu’il existe toujours un litige actuel, puisque l’annulation de la décision relative au permis de séjour temporaire aurait pour effet de le ramener en arrière, de telle sorte qu’il pourrait revenir au Canada sans avoir à solliciter d’approbation supplémentaire. Il soutient que la jurisprudence citée par le défendeur ne s’applique pas en l’espèce compte tenu de la situation unique dans laquelle il se trouve.

[17] Le demandeur signale deux facteurs importants qui rendent sa situation unique : la période de rétablissement de son statut, fixée à 90 jours, était toujours en cours à la date où la décision contestée a été rendue; il détenait une étude d’impact sur le marché du travail valide et remplissait donc les exigences relatives à l’obtention d’un permis de travail. Cette situation est différente de celle énoncée dans l’affaire Kwong, où une demande de séjour temporaire distincte avait été accueillie; elle se distingue aussi de l’affaire Harvan, où le demandeur n’avait pas participé à l’audition de sa demande.

[18] Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et du fait que le demandeur cherche à corriger une situation dans laquelle il s’est trouvé indépendamment de sa volonté, celui-ci fait valoir que la demande ne doit pas être rejetée au motif qu’elle est théorique.

[19] Je ne suis pas convaincu. La présente demande de contrôle judiciaire est théorique. L’argument du demandeur repose sur son affirmation selon laquelle il pourrait [traduction] « revenir en arrière » et retourner à la situation dans laquelle il se trouvait à la date de la décision faisant l’objet du contrôle. Toutefois, cet argument n’est pas réaliste pour trois motifs.

[20] Premièrement, les efforts déployés par le demandeur pour revenir en arrière supposeraient qu’on fasse abstraction des événements juridiques survenus ultérieurement dans son dossier. Comme le demandeur l’a reconnu à l’audience, il a présenté une nouvelle demande de permis de travail depuis New Delhi, laquelle a été rejetée en février 2021. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée contre cette décision a aussi été rejetée, de telle sorte que la décision est définitive.

[21] Deuxièmement, même si le demandeur a gain de cause dans la présente demande, il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision puisqu’il n’a plus besoin de permis de séjour temporaire pour être admissible à venir au Canada. S’il souhaite venir au pays pour y travailler, il doit suivre le même processus que les autres étrangers, ce qui signifie qu’il aura besoin d’un visa de travail soutenu par une nouvelle étude d’impact sur le marché du travail. Même si j’annulais la décision et ordonnais qu’une nouvelle décision soit rendue, l’agent chargé de réexaminer la décision relative à la demande de permis de séjour temporaire, lequel était uniquement requis en raison d’une mesure d’exclusion maintenant échue, n’aurait pas le pouvoir de faire abstraction de ces exigences législatives.

[22] Je conviens avec le demandeur que les décisions Kwong et Harvan se distinguent de l’espèce sur le plan des faits; cependant, je conclus que les faits de l’espèce sont très semblables à la situation dans l’affaire Brown. Comme le juge MacKay l’avait fait dans cette affaire, je conclus qu’une « décision sur le fond serait sans effet pour l’une ou l’autre partie » (au para 7). Le fait que la période de rétablissement du statut du demandeur était toujours en cours et qu’il détenait une étude d’impact sur le marché du travail valide à la date de la décision faisant l’objet du contrôle ne justifie pas que l’on fasse abstraction de l’élément sous-jacent essentiel, soit qu’il n’a plus besoin de permis de séjour temporaire pour venir au Canada.

[23] Enfin, rien ne prouve que la décision contestée a un effet persistant sur le statut du demandeur. De plus, il n’est pas pertinent de chercher à savoir si l’ordonnance échue aura un effet potentiel sur toute demande à venir en vue d’obtenir un statut d’immigrant. Comme le juge MacKay l’a énoncé dans la décision Brown, « la Cour ne devrait pas spéculer sur la portée éventuelle d’une mesure d’exclusion expirée lorsqu’elle examine par la suite une question ou une demande portant sur le statut d’immigrant du demandeur. De toute évidence, la mesure expirée n’a en soi aucun effet sur le statut du demandeur » (au para 7). De la même façon, dans la décision Kwong, le juge Zinn a rejeté l’argument du demandeur selon lequel il existait toujours un litige actuel puisqu’il pourrait se voir refuser un permis de séjour temporaire dans l’avenir pour les mêmes motifs que ceux contestés en l’espèce. Le juge Zinn a conclu qu’il s’agissait de conjectures (au para 13). Il en va de même en l’espèce. Le demandeur a reconnu que la mesure d’exclusion est venue à échéance et qu’il n’a donc pas besoin d’un permis de séjour temporaire pour être admissible à revenir au Canada. Examiner l’incidence de la décision contestée sur les demandes à venir constituerait un exercice conjectural non pertinent.

[24] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée au motif qu’elle est maintenant théorique.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2918-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée en raison de son caractère théorique.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2918-20

INTITULÉ :

FELIX SALOTRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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