Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : Le 2 juin 2022


Dossier : IMM-4074-21

Référence : 2022 CF 809

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

FERENC TAMAS SALLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté la demande de report de l’exécution d’une mesure de renvoi vers la Hongrie visant le demandeur qui avait été présentée par ce dernier.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

[3] Le 29 juin 2021, la Cour a ordonné le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire. Je relève que, ce faisant, la Cour a appliqué le critère en trois volets énoncé dans l’arrêt Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration), (1988), 86 NR 302 (CAF) [Toth], dans la mesure où notamment (i) il existait une question grave à trancher par la Cour, (ii) un préjudice irréparable en aurait résulté (si l’ordonnance n’avait pas été accordée) et (iii) la prépondérance des inconvénients liés à la délivrance d’une telle ordonnance penchait en faveur du demandeur. La décision à l’origine de la requête en sursis portait sur le contrôle d’une décision de ne pas reporter le renvoi; le critère approprié qui aurait dû être appliqué est celui énoncé par la Cour dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682 [Wang], et confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron]. Il convient d’être plus strict en ce qui concerne la question grave. Pour qu’un sursis soit accordé, la Cour doit avoir relevé au moins une question rendant vraisemblable que la demande principale soit accueillie. Il ne suffit pas que la Cour juge qu’une question ne soit pas futile ou vexatoire (voir Wang, aux para 10- 11).

[4] Bien que cela n’ait pas été soulevé par les parties dans la présente demande, je soupçonne que l’application de la norme moins rigoureuse décrite dans l’arrêt Toth peut expliquer pourquoi, nonobstant la conclusion qu’il existe une question grave à trancher relativement à la requête en sursis, j’en suis arrivé à la conclusion que la décision faisant l’objet du présent contrôle est raisonnable et justifiée.

Le contexte

[5] Le demandeur, M. Ferenc Tamas Sallai, est un citoyen de la Hongrie d’origine ethnique rom. Il est arrivé au Canada en août 2011 et a présenté une demande d’asile fondée sur une discrimination équivalant à de la persécution en raison de son origine ethnique rom. Son ancienne compagne, Mme Erika Horvath, et leur fils Frank l’ont rejoint et ont présenté une demande d’asile distincte.

[6] Le demandeur a été déclaré coupable d’infractions criminelles plusieurs fois entre 2014 et 2019. Le 16 novembre 2016 et le 19 août 2016, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a établi deux rapports d’interdiction de territoire visant le demandeur aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[7] Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Le 22 juin 2018, la demande d’ERAR en question a été rejetée. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire et un sursis lui a été accordé. En avril 2019, la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR a été rejetée (voir Sallai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 446).

[8] En décembre 2019, le fils du demandeur, Frank, a obtenu la résidence permanente au Canada, tout comme la mère de ce dernier, Mme Horvath.

[9] En juin 2019, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En avril 2021, le demandeur a présenté une deuxième demande d’ERAR. Aucune décision n’a été rendue quant à ces deux demandes.

[10] Le 28 mai 2021, le demandeur a reçu l’instruction de se présenter en vue de son renvoi. Son renvoi du Canada a été fixé au 30 juin 2021.

[11] Le 3 juin 2021, une demande visant le report de la mesure de renvoi a été reçue et le 10 juin 2021, l’agent a rendu une décision par laquelle il refusait le report de l’exécution de la mesure de renvoi.

La décision relative au report du renvoi

[12] L’agent a relevé les éléments invoqués par le demandeur dans le cadre de sa demande de report de la mesure de renvoi : (1) la demande d’ERAR en instance et les risques liés à la COVID-19, (2) la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance et (3) l’intérêt supérieur de l’enfant [l’ISE].

[13] L’agent a pris en compte ces trois éléments.

[14] L’agent a énoncé les faits propres à l’affaire, y compris le [traduction] « le lourd passé criminel » du demandeur. L’agent a précisé les dates de quelque 41 accusations (dont plusieurs avaient été retirées) et des déclarations de culpabilité s’étalant du 25 novembre 2014 au 9 février 2019. Il est question notamment de cas de méfait de moins de 5 000 $, de vol de courrier, de possession de biens criminellement obtenus, de possession d’outils de cambriolage, de vol, de défaut de se conformer à des ordonnances de probation et de vol de plus de 5 000 $.

[15] L’agent a examiné la demande d’ERAR en instance, présentée en avril 2021, qui faisait suite à une demande antérieure d’ERAR présentée en mars 2017. L’agent a souligné que la tâche qui lui incombe consiste à [traduction] « […] évaluer si des éléments de preuve convaincants avaient été présentés pour justifier le report du renvoi en vue de l’évaluation des allégations d’un nouveau risque ou d’une nouvelle preuve faisant état d’un risque qui se présenterait après l’ERAR ». L’agent a relevé qu’il [traduction] « […] ne conclut pas à l’existence d’un nouveau risque personnalisé suffisant tel qu’il eût été allégué [par le demandeur] » et que [traduction] « […] la Hongrie n’est pas un pays visé par une suspension temporaire des renvois (STR) ».

[16] L’agent a examiné les observations du demandeur concernant la COVID-19 et les répercussions de cette dernière sur les Roms. L’agent s’est référé aux données statistiques fournies par l’Organisation mondiale de la santé concernant la COVID-19 et a conclu qu’il n’était pas convaincu que le demandeur serait [traduction] « […] exposé à un risque personnel plus élevé de contracter la COVID-19 en Hongrie qu’au Canada ». L’agent a également déclaré que [traduction] « […] compte tenu du fait qu’aucune issue n’est prévue à la pandémie, il est peu probable que cette demande visant le report de l’exécution de la mesure de renvoi, fondée sur les risques généraux liés à la COVID-19, appelle à un report à court terme. Par conséquent, une demande visant le report de l’exécution d’une mesure de renvoi fondée sur un risque général et sans issue prévue à court terme ne serait pas appropriée [sic]. »

[17] L’agent a relevé les observations du demandeur concernant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance et a indiqué qu’il était convaincu qu’elle continuerait d’être traitée, même après le renvoi du demandeur du Canada. L’agent a également communiqué avec IRCC pour connaître le délai de traitement prévu pour la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur et l’agent a indiqué qu’IRCC ne s’attend pas à ce qu’une décision de première étape soit rendue prochainement.

[18] L’agent a traité des observations du demandeur concernant l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent a souligné qu’il éprouve de la compassion pour l’état psychologique actuel de l’enfant qui se traduit par des émotions de stress et d’anxiété, mais a déclaré que [traduction] « […] ces émotions sont intrinsèquement liées au processus de renvoi ». L’agent a ajouté que l’enfant est un résident permanent et qu’il peut donc bénéficier des programmes de soutien fédéraux et provinciaux. L’agent a indiqué que [traduction] « [l]es enfants sont résilients et, bien que cela ne soit pas idéal, cette famille dispose de nombreuses plateformes pour maintenir un contact visuel, verbal et écrit pendant que ses membres vivent séparés. Dès lors qu’ils pourront le faire en toute sécurité, ils auront également la possibilité de se rencontrer dans le lieu de leur choix, en fonction des dispositions légales applicables en matière d’immigration. » L’agent a également conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant sera évalué dans le cadre du processus de traitement officiel des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, et [traduction] « qu’aucune preuve n’a été présentée pour justifier le report du renvoi pour des motifs liés à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

[19] L’agent a conclu [traduction] « […] ne pas penser qu’un report de l’exécution de la mesure de renvoi soit approprié dans les circonstances de la présente affaire ».

Les questions en litige

[20] Le demandeur soulève deux questions : (1) celle de savoir si la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de report de la mesure de renvoi présentée par le demandeur est déraisonnable du fait qu’il aurait restreint l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et (2) celle de savoir si décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de report de la mesure de renvoi présentée par le demandeur est déraisonnable du fait qu’il aurait omis d’évaluer adéquatement l’intérêt supérieur à court terme du fils mineur du demandeur, ce qui va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour Suprême et du droit international.

[21] Je conviens avec le défendeur que la question véritablement en litige dans la présente affaire (qui englobe les deux questions spécifiques énoncées ci-dessus) est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

Analyse et examen de la question

[22] Le demandeur s’appuie sur la décision Poyanipur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1785 et la décision Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 614 au para 32 [Prasad] pour démontrer que les agents chargés des renvois disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire de prendre en compte un large éventail de circonstances. Le demandeur soutient en outre qu’un agent est tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de reporter un renvoi lorsque des circonstances impérieuses l’obligent à ce faire (citant Mauricette c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 420 au para 23).

[23] Le demandeur soutient que [traduction] « [l]a décision de l’agent ne fait pas état d’une prise en compte significative des éléments de preuve dont ce dernier disposait » et [traduction] que « […] l’agent a indûment restreint son pouvoir discrétionnaire en faisant abstraction de sa situation personnelle » (citant Prasad, au para 13; Hardware c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 88 au para 14; Katwaru c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 1045 aux para 30 et 31).

[24] En ce qui concerne la deuxième demande d’ERAR en instance, le demandeur indique que [traduction] « […] son renvoi vers le pays à risque avant que l’évaluation du risque ne soit terminée rendrait sa demande nulle et sans effet ». Le demandeur soutient que l’agent n’a pas pris en compte son argument et ses préoccupations, et que la preuve qui lui avait été présentée était une preuve claire et non conjecturale de discrimination équivalant à de la persécution de la communauté rom en Hongrie. Le demandeur ajoute que cette discrimination s’est aggravée dans le contexte de la pandémie de la COVID-19.

[25] En ce qui concerne son ERAR en cours, le demandeur soutient qu’il n’est pas suffisant pour un décideur de déclarer avoir pris en compte tous les éléments de preuve en passant sous silence ceux qui contredisent ses conclusions de fait. Le demandeur allègue en outre que le fait de relever que la Hongrie n’est pas un pays visé par une STR donne à penser que l’agent était d’avis que sa demande d’ERAR serait rejetée et qu’aucune analyse n’était donc nécessaire.

[26] En ce qui concerne le risque lié à la COVID-19, le demandeur soutient que l’agent s’est fondé sur des données statistiques analysées de manière inappropriée et que ce dernier s’est appuyé sur des groupes externes; l’agent aurait ainsi appliqué incorrectement le critère juridique relatif à la protection de l’État. Le demandeur soutient également que l’agent ne comprend pas la réalité des Roms en Hongrie, car ce dernier laisse entendre qu’il pourrait autant se protéger de la COVID-19 en Hongrie qu’au Canada, sans tenir compte de l’inégalité d’accès aux soins de santé pour les personnes d’origine ethnique rom. Le demandeur allègue également que l’agent a mal compris la tâche qui lui incombait, car il n’a jamais demandé que le renvoi soit reporté jusqu’à ce que la pandémie se soit dissipée.

[27] En ce qui concerne la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance, le demandeur cite les propres statistiques d’IRCC, selon lesquelles [traduction] « […] la probabilité qu’une demande soit accueillie après un renvoi diminue, passant de 40-67 % avant le renvoi à 0,3-8 % après le renvoi […] ». Le demandeur soutient que les répercussions de la pandémie sur les activités d’IRCC et un arriéré dans le système expliquent le fait que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’ait pas encore fait l’objet d’une décision. Ces facteurs sont indépendants de sa volonté.

[28] Le demandeur allègue que l’agent n’a pas tenu compte des statistiques qu’il avait fournies concernant la probabilité que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit acceptée après son renvoi en Hongrie, et il précise qu’il n’a pas soutenu que sa demande ne serait pas traitée après son renvoi, mais plutôt que [traduction] « [....] le renvoi lui-même nuit à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée, puisque le taux d’approbation d’une telle demande est d’environ de 3-4 % pour les demandeurs qui sont renvoyés, par opposition à plus de 50 % pour les demandeurs qui restent au Canada » (citant Cvetkovic c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 402 au para 49).

[29] Je conviens avec le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile que l’agent a raisonnablement tenu compte de la deuxième demande d’ERAR en instance. Plus précisément, je conviens que [traduction] « [l]e demandeur a déposé la demande d’ERAR récemment, plus d’un an et demi après l’expiration de son interdiction liée à l’ERAR, et il n’a présenté à l’agent aucune preuve de l’imminence d’une décision ». Dans sa deuxième demande d’ERAR, le demandeur a allégué un risque en raison de son origine ethnique rom et il s’est appuyé sur la documentation générale concernant la situation dans le pays, comme il l’avait fait dans le cadre de sa première demande d’ERAR. Il était donc raisonnable pour l’agent de conclure que la preuve ne suffisait pas à établir l’existence d’un nouveau risque justifiant que le report du renvoi soit accordé.

[30] Je conviens également avec le ministre que le demandeur [traduction] « […] n’a pas démontré que sa situation personnelle l’exposait à un risque accru lié à la COVID-19 qui justifierait que l’agent lui accorde un report du renvoi jusqu’à ce que la deuxième demande d’ERAR qu’il avait présentée fasse l’objet d’une décision ». L’agent a examiné les répercussions liées à la COVID-19 sur les communautés roms en Hongrie et a raisonnablement conclu qu’il existe des organisations qui fournissent un soutien aux Roms en période de pandémie dans ce pays. L’agent n’était pas tenu de procéder à une évaluation complète de la demande d’ERAR, mais devait plutôt établir si les risques liés à la COVID-19 étaient tels qu’un report devait être accordé jusqu’à ce que la deuxième demande d’ERAR fasse l’objet d’une décision. C’est exactement ce qu’a fait l’agent en l’espèce.

[31] L’agent a raisonnablement tenu compte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance. Selon la jurisprudence, une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance ne suffit habituellement pas à annuler une mesure de renvoi ou en reporter l’exécution, parce que le demandeur pourra être réadmis au Canada plus tard si sa demande est accueillie (voir Baron, aux para 50, 51 et 69 et Dwyer c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 919 aux para 48 et 49).

[32] La jurisprudence établit également qu’un agent n’a pas le droit de reporter un renvoi lorsqu’il est peu probable qu’une décision concernant une demande en instance soit imminente (voir Forde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1029 au para 40). Il est important de relever que l’agent ne s’est pas seulement appuyé sur le fait que le délai de traitement de la décision estimé à 26 mois par IRCC n’avait pas encore été dépassé; l’agent a également contacté IRCC pour savoir si une décision de première étape était vraisemblablement imminente.

[33] J’accorde peu de poids à l’argument du demandeur quant aux statistiques sur les taux d’approbation des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire après l’exécution d’un renvoi. Au paragraphe 26 de la décision Barco c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2018 CF 421, la Cour a relevé que les taux de réussite des personnes qui présentent des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire à l’intérieur et à l’extérieur du Canada peuvent s’expliquer logiquement par le fait que les demandeurs qui présentent de solides considérations d’ordre humanitaire peuvent être moins susceptibles d’être renvoyés du Canada dès le début du processus. En outre, je souscris à l’observation du juge Diner énoncée au paragraphe 3 de la décision Dosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 391 (CF), selon laquelle : [traduction] « [l]’agent n’était pas obligé d’analyser ces statistiques; […] la loi n’oblige pas une personne à rester au Canada durant le traitement de sa demande ».

[34] Le demandeur soutient que l’agent a fait fi de l’intérêt supérieur à court terme de Frank et qu’il n’a pas tenu compte du fait que, d’après l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], même si les agents d’exécution de la loi ne sont pas tenus d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt supérieur des enfants, l’intérêt supérieur immédiat des enfants touchés par un renvoi doit être traité équitablement et avec sensibilité.

[35] Le demandeur soutient que [traduction] « […] l’agent a commis une erreur dans la mesure où sa décision fait abstraction de l’intérêt supérieur à court terme de Frank et de la preuve relative aux répercussions négatives importantes sur la santé mentale de ce dernier si son père était renvoyé en Hongrie ». Le demandeur rappelle à la Cour que l’agent disposait de deux rapports sur la santé mentale de Frank qui traitaient des préoccupations liées à la séparation d’avec son père. Il souligne le rapport d’évaluation psychodiagnostique qui va dans le même sens que la lettre manuscrite de Frank datant de 2016 et les recherches en sciences sociales relativement aux répercussions que l’expulsion des parents a sur les enfants.

[36] Le demandeur soutient que le commentaire de l’agent selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant sera évalué dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire donne à penser que l’agent [traduction] « […] peut se laver les mains de l’ISE […] ».

[37] Le demandeur ajoute qu’en omettant de procéder à une analyse rigoureuse de l’intérêt supérieur de l’enfant, [traduction] « […] l’agent a fait preuve d’un manque de sensibilité à l’égard de l’intérêt supérieur de Frank, en particulier en affirmant que les problèmes de santé mentale de Frank sont intrinsèquement liés au processus de renvoi ».

[38] Dans l’arrêt Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 [Lewis], la Cour d’appel fédérale a examiné les conséquences de l’arrêt Kanthasamy lorsque des arguments relatifs à l’ISE sont avancés à l’appui d’une demande de report d’une mesure de renvoi.

[39] Au paragraphe 61, la juge Gleason a conclu que « la jurisprudence actuelle permet à l’agent d’exécution d’examiner l’intérêt supérieur à court terme des enfants lorsque leurs parents font l’objet d’un renvoi du Canada, mais il ne peut se livrer à une véritable analyse des motifs d’ordre humanitaire quand il s’agit de déterminer l’intérêt supérieur à long terme de ces enfants ».

[40] Au paragraphe 74, la juge Gleason a également relevé que « […] la jurisprudence Kanthasamy vise uniquement les décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire prises en vertu de l’article 25 de la [Loi] et, même dans ces cas, n’impose pas que l’intérêt supérieur des enfants touchés constitue la considération prioritaire ».

[41] En examinant l’analyse de l’ISE, la première question qui se pose est celle de savoir si l’agent a cerné et défini l’intérêt supérieur à court terme de l’enfant. Dans une affaire comme celle en l’espèce, où un enfant reste avec un parent au Canada tandis que l’autre est renvoyé, on peut soutenir que deux intérêts sont étroitement liés : (1) le bien-être de l’enfant sur le plan de la santé mentale et de son développement, et (2) la présence des deux parents dans la vie de l’enfant.

[42] En ce qui concerne la santé mentale de l’enfant, l’agent a relevé le stress et l’anxiété découlant du renvoi de son père qui pourraient nuire à l’état psychologique de Frank. Je n’accepte pas l’argument selon lequel l’agent a fait preuve d’un manque de sensibilité à l’égard de l’intérêt supérieur de Frank en affirmant que les émotions de stress et d’anxiété font partie intégrante du processus de renvoi. L’observation suivante revient souvent, notamment au paragraphe 69 de l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Baron : « […] les difficultés et perturbations causées à la vie familiale sont une des conséquences regrettables entraînées par les mesures de renvoi […] ».

[43] Il est trompeur de laisser entendre que le fait que l’agent ait indiqué que le traitement de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se poursuivra et que [traduction] « […] l’intérêt supérieur de l’enfant sera évalué dans le cadre du processus de traitement officiel en question » signifie que l’intérêt à court terme de l’enfant n’a pas été évalué dans le cadre de l’examen de la demande de report du renvoi. L’agent s’est bel et bien penché sur la question de l’intérêt à court terme de l’enfant en tenant compte du fait que le renvoi de son père lui causerait une souffrance morale. L’intérêt à plus long terme de l’enfant sera évalué dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[44] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4074-21

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4074-21

INTITULÉ :

AKASH KUMAR LATCHMAN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juin 2022

COMPARUTIONS :

Astrid Mrkich

POUR LE DEMANDEUR

Giancarlo Volpe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mrkich Law

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.