Date : 20220525
Dossier : IMM‑1445‑20
Référence : 2022 CF 758
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 mai 2022
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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EKENEM MADU
CHIKA PEACE MADU
SOMTOCHUKWU SAMUEL NNA MADU
CHIMEMELA JUDAH NNA MADU
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demandeurs
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Les demandeurs, M. Ekenem Madu, son épouse, Mme Chika Peace Madu, et leurs deux enfants âgés de 8 et 11 ans [les demandeurs], sont des citoyens du Nigéria qui sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter leur demande d’asile. M. Madu affirme que sa vie est en danger au Nigéria parce qu’il ne peut pas y obtenir de soins médicaux adéquats pour traiter sa maladie cardiaque. Les demandeurs affirment en outre craindre de retourner au Nigéria parce qu’ils y ont été attaqués à leur domicile à deux reprises par des assaillants inconnus pour des raisons inconnues.
[2] La SAR a conclu que M. Madu n’avait présenté aucun élément de preuve établissant que les raisons pour lesquelles il n’avait pas accès à des soins médicaux adéquats étaient liées à sa race, à sa religion, à sa nationalité, à ses opinions politiques ou à son appartenance à un groupe social, et qu’il n’existait donc aucun lien clair avec un des motifs prévus par la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SAR a conclu que M. Madu était exclu de la définition de « personne à protéger »
compte tenu des dispositions du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi, car le risque qu’il alléguait était lié à l’incapacité du Nigéria de fournir des soins médicaux adéquats. En ce qui concerne les deux attaques perpétrées à leur domicile, les assaillants n’ont pas été identifiés et le motif de ces attaques reste inconnu. En outre, la SAR a conclu que les documents présentés pour étayer les affirmations des demandeurs portant qu’ils avaient été attaqués, notamment les rapports de police, étaient frauduleux.
[3] Après avoir examiné l’affaire et entendu les parties, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SAR. Par conséquent, j’estime qu’il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
Contexte et décisions sous‑jacentes
[4] M. Madu est né à Kaduna, dans le nord du Nigéria, où la population est majoritairement musulmane. Au milieu des années 2000, les groupes intégristes islamiques menaient régulièrement des attaques dans la ville de Kaduna, où vivent de nombreux chrétiens. M. Madu affirme que, étant eux‑mêmes majoritairement musulmans, les membres de la police et de l’armée n’étaient pas disposés à protéger les chrétiens. Les groupes intégristes islamiques ont fini par incendier la propriété de M. Madu en 2004 et, en 2007, celui‑ci a décidé de déménager à Lagos afin de prendre un nouveau départ. C’est là qu’il a rencontré Mme Madu. Ils se sont mariés en 2010. Bien que ces événements fournissent des renseignements généraux, ils ne sont pas liés à la demande d’asile des demandeurs.
[5] Vers 2013, M. Madu a commencé à avoir des problèmes cardiaques. On lui a diagnostiqué une rupture de la valve aortique et on l’a informé qu’une chirurgie à cœur ouvert était nécessaire pour procéder au remplacement de la valve aortique. Or, comme les hôpitaux du Nigéria ne disposaient pas de l’équipement nécessaire pour pratiquer cette intervention chirurgicale, en 2016, M. Madu a amassé des fonds avec l’aide de son église afin de pouvoir se rendre en Inde et subir la chirurgie en question. Il affirme qu’il a depuis du mal à payer les consultations médicales et les médicaments que requiert son état postopératoire. En 2017 et en 2018, M. Madu s’est rendu aux États‑Unis dans l’espoir d’avoir accès aux soins médicaux requis, mais en vain, car il ne disposait pas des fonds nécessaires. Il affirme qu’en mars 2018, alors qu’il se trouvait aux États‑Unis, cinq hommes armés non identifiés ont attaqué Mme Madu et leurs enfants à leur domicile; ils ont fouillé la maison et, sans motif apparent, ont questionné Mme Madu et les enfants sur l’endroit où se trouvait M. Madu. Les demandeurs affirment avoir signalé l’incident à la police et au président de leur communauté protégée; la police s’est rendue à leur domicile pour prendre la déposition de Mme Madu ainsi que diverses photos, et la sécurité au sein de la communauté protégée où vivait la famille a été renforcée. La vie a semblé reprendre son cours normal. Cependant, le mois suivant, en avril 2018, quatre hommes armés ont de nouveau attaqué Mme Madu et ses enfants à leur domicile; ils ont pénétré dans la communauté protégée déguisés en médecins, prétextant qu’ils venaient voir Mme Madu pour ses problèmes de tension artérielle. Mme Madu affirme qu’au cours de cette deuxième attaque, les assaillants ont demandé où se trouvait M. Madu, là encore pour une raison inconnue, mais, cette fois, en pointant une arme à feu sur les enfants. Terrifiée, elle les a informés que son mari était aux États‑Unis. Une fois de plus, elle a signalé les événements à la police, qui a envoyé les mêmes agents l’interroger. Selon Mme Madu, la police leur a conseillé de ne pas retourner à leur domicile; Mme Madu et ses enfants se sont alors cachés chez leur pasteur. Au bout de quelques jours, le pasteur a suggéré que Mme Madu et les enfants rejoignent M. Madu aux États‑Unis. La famille est donc retournée vivre à son domicile pendant une dizaine de jours – et les enfants ont continué de fréquenter l’école – avant qu’elle ne quitte le pays à destination des États‑Unis le 22 avril 2018. Les demandeurs sont entrés au Canada le 25 avril 2018. Ni le motif des attaques ni les assaillants n’étaient connus.
[6] La SPR a jugé que la crédibilité du témoignage des demandeurs et des documents qu’ils avaient soumis constituait la question déterminante. La SPR a finalement établi que les rapports de police soumis par les demandeurs à l’appui de leurs affirmations selon lesquelles ils avaient été attaqués étaient frauduleux et minaient leur crédibilité. La SPR a conclu que les documents de l’hôpital indien étaient frauduleux eux aussi et a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, M. Madu n’avait jamais subi de chirurgie à cœur ouvert ou d’autres traitements en Inde. En tout état de cause, la SPR a conclu que l’état de santé de M. Madu était visé par le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi. Compte tenu de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR a rejeté leur demande d’asile.
[7] Le 10 février 2020, la SAR a rejeté l’appel. À la lumière de nouveaux éléments de preuve provenant de médecins montréalais qualifiés, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans ses conclusions quant à l’état de santé de M. Madu et à son opération en Inde, et que cette erreur avait amené la SPR à tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. La SAR a néanmoins convenu avec la SPR que les allégations générales des demandeurs n’étaient pas crédibles.
[8] La SAR a convenu dans un premier temps qu’il n’y avait pas de lien entre les problèmes cardiaques de M. Madu et sa demande d’asile, et que l’incapacité du Nigéria à fournir des soins médicaux adéquats l’excluait de la protection du Canada au titre du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi. Ensuite, et bien que ce soit pour des motifs différents de ceux donnés par la SPR, la SAR a également conclu que les rapports de police datés d’avril 2019 qui ont été produits à l’appui de la demande d’asile ne sont pas authentiques, en particulier parce qu’ils présentent des similitudes frappantes – on parle ici de passages quasi identiques – avec le formulaire Fondement de la demande [le formulaire FDA] de Mme Madu préparé en mai 2018, soit près d’un an plus tôt, et qu’aucune justification raisonnable n’a été donnée pour expliquer ces ressemblances. Enfin, la SAR a également convenu avec la SPR que l’incohérence entre le témoignage de Mme Madu et les renseignements que celle‑ci a fournis au sujet de ses antécédents professionnels dans son Annexe A minait sa crédibilité. Même si cette incohérence ne touchait pas au cœur de la demande d’asile des demandeurs, la SAR a jugé qu’elle était plus que simplement secondaire.
[9] La SAR a également jugé que la SPR avait eu raison de conclure que le comportement de Mme Madu – réintégrer le domicile familial et envoyer les enfants à l’école à la suite de la deuxième attaque – était incompatible avec la conduite qu’aurait adoptée une personne craignant pour sa vie. Enfin, et bien que la SAR ait conclu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte des lettres présentées par les demandeurs, le contenu des lettres était insuffisant pour renverser les autres conclusions défavorables quant à la crédibilité. Par conséquent, la SAR a conclu que les allégations des demandeurs n’étaient pas crédibles et elle a rejeté leur appel.
III.
Question en litige et norme de contrôle
[10] L’unique question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAR est déraisonnable; plus précisément si la SAR a commis une erreur en ne renvoyant pas l’affaire à la SPR pour nouvelle décision, si la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de la crédibilité des demandeurs, et si la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience et en ne donnant pas aux demandeurs la possibilité de présenter des observations supplémentaires sur les nouvelles questions relatives à la crédibilité.
[11] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique lors de l’examen d’une décision de la SAR sur le fond est celle du caractère raisonnable, lequel tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du raisonnement suivi par le décideur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 99, 101 [Vavilov]; Sunday c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 266 au para 10).
IV.
Analyse
A.
La SAR n’a pas commis d’erreur en ne renvoyant pas l’affaire à la SPR pour nouvelle décision
[12] Les demandeurs n’ont contesté aucune des conclusions de la SAR et ne m’ont saisi que d’une seule question : ils soutiennent que la décision de la SAR n’est pas fondée sur un raisonnement logique, car ils estiment que la SAR ne pouvait pas, d’une part, conclure que la SPR a commis plusieurs erreurs importantes dans son évaluation de la crédibilité et, d’autre part, rejeter l’appel au lieu de renvoyer l’affaire à la SPR pour nouvelle décision. Les demandeurs ne citent aucune jurisprudence à l’appui de leur thèse voulant que, lorsqu’elle relève dans une décision de la SPR des erreurs aussi importantes qu’en l’espèce, comme ils le prétendent, la SAR doive renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, sans quoi elle s’expose au risque de voir son pouvoir discrétionnaire entravé et sa propre décision entachée des mêmes erreurs réversibles que celles relevées dans la décision de la SPR.
[13] Je ne peux souscrire à la thèse des demandeurs. Les critères qui permettent à la SAR de renvoyer l’affaire à la SPR sont énoncés à l’article 111 de la Loi :
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[14] Autrement dit, lorsqu’elle conclut que la SPR a commis une erreur, la SAR doit statuer sur l’affaire de manière définitive en cassant la décision de la SPR et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile; « [l’]affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR »
(Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 103). En l’espèce, après avoir relevé des erreurs dans la décision de la SPR, la SAR a procédé à un examen indépendant de la preuve. Rien n’indique que la SAR n’a pas été en mesure de tirer ses propres conclusions à la lumière de la preuve; je ne vois donc pas pourquoi elle aurait dû renvoyer l’affaire à la SPR pour nouvelle décision.
B.
La SPR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs
[15] Bien que les demandeurs n’aient pas soulevé devant moi les autres questions qu’ils ont soulevées dans leur mémoire, je dois néanmoins les examiner dans les présents motifs, car elles ont été abordées dans les observations écrites. En l’espèce, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en concluant que la crédibilité générale des demandeurs était minée par les affirmations d’ordre médical de M. Madu et par le fait qu’il n’avait pas indiqué dans son Annexe A l’adresse à laquelle il avait résidé lors de son séjour aux États‑Unis en 2017. La SAR a de même conclu que la SPR avait commis une erreur en ne mentionnant pas les lettres présentées par les demandeurs dans ses motifs. La SAR a cependant conclu que ces erreurs n’étaient pas suffisantes pour renverser les autres conclusions défavorables quant à la crédibilité. Après avoir examiné la preuve, la SAR a conclu que la SPR était fondée à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité au vu des rapports de police, des déclarations incohérentes de Mme Madu concernant ses antécédents professionnels et du comportement de Mme Madu à la suite des prétendues attaques, lequel était incompatible avec celui d’une personne craignant pour sa vie et celle de ses enfants.
[16] Les demandeurs soutiennent que la SAR a fait une évaluation restrictive de l’état de santé de M. Madu en bornant son analyse à la question de savoir s’il existait un lien entre ce dernier et l’un des motifs prévus par la Convention et en ne tenant pas compte du profil des demandeurs en tant que famille dont l’un des membres souffre de problèmes de santé. Je ne souscris pas à l’affirmation des demandeurs selon laquelle [TRADUCTION]°« l’allusion [de la SPR et de la SAR] à l’alinéa 97(1)b) [de la Loi] était une démarche exploratoire inutile »
. M. Madu a affirmé dans son formulaire FDA qu’il ne pouvait pas retourner au Nigéria parce que les soins médicaux y sont inadéquats et que les médicaments qu’il doit prendre pour traiter ses problèmes cardiaques n’y sont pas disponibles. Le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi prévoit que le risque auquel une personne demandant l’asile est exposée ne doit pas résulter de l’incapacité du pays dont elle a la nationalité à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. La SAR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas allégué ni établi au moyen d’éléments de preuve que l’impossibilité pour M. Madu d’avoir accès à des soins médicaux adéquats au Nigéria était attribuable à ses caractéristiques ou à ses croyances personnelles ou qu’elle était exacerbée par ces dernières, ou, autrement dit, qu’il existait un lien avec un motif prévu par la Convention au titre de l’article 96 de la Loi. Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que M. Madu était exclu de la définition de « personne à protéger »
.
[17] Les demandeurs font également valoir que la SAR a effectué une analyse exagérément minutieuse des rapports de police. À l’instar de la SPR, la SAR a conclu que les rapports de police étaient frauduleux parce qu’ils présentaient trop de similitudes avec ce que Mme Madu avait écrit dans son formulaire FDA près d’un an plus tôt. Après avoir examiné la question, je ne suis pas convaincu que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables compte tenu de la réponse incohérente qu’a donnée Mme Madu lorsqu’on lui a demandé d’expliquer ces ressemblances frappantes. Il était assurément loisible à la SAR de conclure que les rapports de police ont été préparés par les demandeurs après le dépôt du formulaire FDA de Mme Madu et que, par conséquent, ils étaient frauduleux.
[18] Enfin, les demandeurs contestent les conclusions défavorables quant à la crédibilité que la SAR a tirées du témoignage de Mme Madu au sujet de ses antécédents professionnels et de la conduite qu’elle a adoptée à la suite de la deuxième attaque alléguée.
[19] Bien que cette question ne touche pas au cœur de la demande d’asile des demandeurs, Mme Madu a indiqué dans son Annexe A qu’elle a travaillé dans une banque à Lagos de 2007 à 2012, a été femme au foyer de septembre 2012 à janvier 2014, a été active dans le [TRADUCTION]°« petit »
commerce de février 2014 à janvier 2016 et a ensuite été sans emploi de janvier 2016 jusqu’à ce qu’elle quitte le Nigéria. Or, lors de son témoignage devant la SPR, Mme Madu a déclaré qu’elle avait travaillé pour une deuxième banque entre 2012 et 2018 et qu’elle avait cessé de travailler à la suite des attaques. Les demandeurs soutiennent qu’une incohérence entre le témoignage d’un demandeur et une déclaration faite dans une Annexe A ne suffit pas pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Chikadze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 306 au para 21 [Chikadze]) et que la SAR aurait dû faire preuve de plus de circonspection dans son évaluation de la crédibilité sachant que, lorsqu’un demandeur d’asile affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques (Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783 aux paras 10‑11; Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 à la p 305 (CA).
[20] Les demandeurs soutiennent en outre que la SAR a commis une erreur en évaluant d’un point de vue occidental la façon dont Mme Madu s’est comportée à la suite de la deuxième attaque alléguée, faisant valoir que son comportement était attribuable au peu d’options de fuite dont elle disposait. Mme Madu a témoigné qu’elle et les enfants se sont cachés chez leur pasteur pendant une semaine, puis qu’ils sont retournés à leur domicile et y sont demeurés pendant 10 jours avant de quitter le Nigéria. Elle a témoigné qu’une fois de retour à leur domicile, les enfants ont recommencé à fréquenter l’école et qu’ils s’en sont dès lors tous remis aux mesures de sécurité supplémentaires qui avaient été mises en place pour assurer leur sécurité au sein de leur communauté protégée. La SAR a conclu que le comportement de Mme Madu ne correspondait pas à celui d’une personne qui craint pour sa vie :
[48] Je suis d’accord avec la SPR à cet égard. Selon Mme Madu, des assaillants inconnus ont attaqué son domicile à deux reprises et ont menacé ses enfants et elle à la pointe du fusil. Selon ses allégations, leur niveau de connaissance et de détermination était tel qu’ils ont découvert qu’elle attendait la visite de son médecin et qu’ils se sont déguisés en médecins pour passer outre la sécurité mise en place pour les protéger sa famille et elle. De plus, après la deuxième attaque, des policiers auraient même dit à M. Madu de ne pas revenir pour les protéger. Compte tenu de tout cela, le fait de sortir de leur cachette, de se fier à la sécurité de la communauté protégée tout en restant à domicile et d’envoyer les enfants à l’école, même en autobus, ne correspond pas à la crainte causée par les prétendues attaques, selon moi. J’estime que la SPR avait raison à cet égard.
[21] Le ministre soutient que, devant la SAR, les demandeurs n’ont pas expressément abordé les questions relatives à l’absence de peur subjective de Mme Madu et aux incohérences concernant ses antécédents professionnels et que, par conséquent, la Cour ne devrait pas tenir compte de ces deux questions dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 23‑25 [Alberta Teachers’ Association]; Efe‑Agbonaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1263 au para 19 [Efe‑Agbonaye]; Abdulmaula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 14 au para 15 [Abdulmaula]). Je ne suis pas d’accord avec le ministre. Il est clair que ces questions ont été abordées par la SAR puisque celle‑ci a jugé qu’elles étaient suffisamment importantes pour en tenir compte dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs. Par conséquent, j’estime qu’il n’y a rien de répréhensible à ce que les demandeurs abordent ces questions dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Le principe général est que la cour de révision doit s’abstenir d’examiner de nouveaux arguments qui auraient pu être soulevés devant la SAR, mais ne l’ont pas été (Alberta Teachers’ Association au para 23). Toutefois, à la différence des situations examinées dans Efe‑Agbonaye et Abdulmaula, les arguments que les demandeurs avancent en l’espèce pour convaincre la Cour que la décision de la SAR est déraisonnable ne sont pas entièrement nouveaux. Il est clair que la question de la crédibilité était en cause devant la SAR, car celle‑ci a jugé bon d’examiner les conclusions de la SPR quant aux questions de la peur subjective de Mme Madu à la suite des prétendues attaques et des incohérences concernant ses antécédents professionnels. Cela dit, je ne souscris pas aux arguments des demandeurs. J’admets que la SAR devrait faire preuve de prudence avant de reprocher à un appelant des incohérences, des omissions ou des détails relevés dans des formulaires qu’il a signés à son arrivée au Canada, car les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales (Chikadze au para 21, citant Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38 aux para 39‑42). Il est cependant bien établi que la présence de contradictions ou de divergences dans la preuve d’un demandeur d’asile offre un motif suffisant pour conclure à un manque de crédibilité (Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 720). Il était loisible à la SAR d’invoquer ces contradictions et ces divergences à l’appui de sa conclusion défavorable quant à la crédibilité liée aux antécédents professionnels de Mme Madu. La SAR a exposé « en termes clairs et explicites »
les motifs qui sous‑tendent cette conclusion défavorable quant à la crédibilité et a donné des exemples précis d’incohérences et de contradictions (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF) (QL)). Par conséquent, j’estime que sa conclusion sur cette question n’a rien de déraisonnable.
C.
La SAR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience
[22] Les demandeurs soutiennent que la SAR aurait dû tenir une audience ou leur donner la possibilité de présenter des observations sur les nouvelles questions relatives à la crédibilité qu’elle a soulevées.
[23] En ce qui concerne la question de savoir si la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car aucune des situations dans lesquelles la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut être réfutée n’est présente en l’espèce (Vavilov au para 17). La décision de tenir une audience au titre du paragraphe 110(6) de la Loi repose sur l’interprétation que la SAR fait de sa loi constitutive (Al‑Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 360 au para 11). Le paragraphe 110(6) prévoit que la SAR peut tenir une audience s’il existe de nouveaux éléments de preuve documentaire qui, à la fois, soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause et sont essentiels pour la prise de la décision. En l’espèce, la SAR a admis trois documents comme nouveaux éléments de preuve au titre du paragraphe 110(4) et a jugé que ceux‑ci étaient crédibles. Il allait donc de soi pour la SAR qu’une audience n’était pas nécessaire. Je ne vois rien qui soit déraisonnable dans la façon dont la SAR a appliqué le paragraphe 110(6).
[24] En ce qui concerne la possibilité de présenter des observations supplémentaires sur les nouvelles questions relatives à la crédibilité soulevées par la SAR, la Cour doit établir si les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter et s’ils ont eu une possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56). Je ne souscris pas à l’affirmation des demandeurs selon laquelle la SAR a soulevé de nouvelles questions relatives à la crédibilité. La crédibilité des demandeurs était déjà en cause devant la SPR, et la crédibilité est la seule question qui a été soulevée dans le cadre de l’appel devant la SAR. La SAR a simplement examiné les conclusions de la SPR. En outre, même si elle avait trouvé dans le dossier de la preuve qui était devant la SPR un motif supplémentaire de mettre en doute la crédibilité des demandeurs, la SAR n’aurait pas eu l’obligation de leur donner la possibilité de présenter de nouvelles observations, car les demandeurs avaient déjà été avisés que la crédibilité était une question à trancher selon la décision de la SPR (Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246 au para 13).
V.
Conclusion
[25] Je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑1445‑20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a pas de question à certifier.
« Peter G. Pamel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1445‑20
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INTITULÉ :
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EKENEM MADU, CHIKA PEACE MADU, SOMTOCHUKWU SAMUEL NNA MADU, CHIMEMELA JUDAH NNA MADU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 25 avrIL 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE PAMEL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 25 mai 2022
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COMPARUTIONS :
Idorenyin E. Amana, Esq.
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Pour les demandeurs
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Suzanne Trudel
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Amana Law Office
Cornwall (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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