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Dossier : IMM‑6744‑20

Référence : 2022 CF 788

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 31 mai 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

KETHESWARAN THEVARASA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un ressortissant sri‑lankais qui est arrivé au Canada le 13 août 2010 à bord du MS Sun Sea. En août 2011, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le 13 novembre 2019, la mesure d’expulsion prononcée contre lui est devenue exécutoire, et le demandeur a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) au titre de l’article 112 de la LIPR.

[2] Un agent principal d’immigration a rejeté sa demande d’ERAR dans une décision datée du 5 août 2020. L’agent a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution, à une menace à sa vie ou au risque d’être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Sri Lanka.

[3] Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Il a demandé à la Cour d’annuler cette décision au motif qu’elle serait déraisonnable au regard des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[4] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le processus d’ERAR

[5] Un ERAR est une évaluation officielle des risques dont font l’objet les personnes admissibles avant leur renvoi du Canada. Le processus d’ERAR, conformément aux obligations du Canada en vertu du droit international, vise à s’assurer que ces personnes ne sont pas renvoyées dans un pays où leur vie serait en danger ou où elles risqueraient d’être persécutées, torturées ou de subir d’autres traitements ou peines cruels et inusités : voir Valencia Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1 au para 1; Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262 [2020] 2 RCF 355 au para 11.

[6] L’ERAR a pour but de déterminer si le degré de risque ou la nature du risque auxquels serait exposé le demandeur s’il était renvoyé dans son pays d’origine ont changé en raison de l’évolution de la situation dans le pays ou parce que de nouveaux éléments de preuve ont fait surface depuis la décision rendue par la SPR. L’ERAR reconnaît que le principe du non‑refoulement reconnu en droit international (qui interdit de renvoyer des réfugiés vers un territoire où ils risquent d’être victimes de violations des droits de la personne) est prospectif et qu’en raison du délai qui s’écoule entre la décision relative à la demande d’asile et le renvoi, un deuxième examen de la situation dans le pays en cause peut, dans certains cas, s’avérer nécessaire pour déterminer si la situation a évolué ou si de nouveaux risques sont apparus : Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, [2020] 2 RCF 299 aux para 4 et 116; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 10; Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 762 au para 48.

[7] C’est au demandeur qu’incombe le fardeau de démontrer que sa demande d’ERAR devrait être accueillie : GU c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1055 au para 14; Qosaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 565 au para 30; Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 797 au para 14.

[8] En l’espèce, le dossier dont l’agent était saisi comprenait les formulaires de demande d’ERAR remplis par le demandeur; le formulaire de renseignements personnels et l’exposé circonstancié du demandeur dans lesquels il demandait l’asile au titre de la LIPR en 2010; la décision de la SPR datée du 2 octobre 2012; et deux courriels de son avocate contenant des observations sur la demande d’ERAR ainsi que des liens vers des documents relatifs à la situation dans le pays.

[9] Dans le premier courriel concernant l’ERAR, qui est daté du 5 mars 2020, l’avocate du demandeur a affirmé que [Traduction] « la situation au Sri Lanka a beaucoup évolué au cours des derniers mois » en raison d’une élection ayant eu lieu en novembre 2019 et de l’abandon par le pays de la résolution du Comité des droits de l’homme des Nations Unies au cours de la semaine précédant le courriel. De ce fait, le demandeur a adopté la position selon laquelle une [Traduction] « révision majeure » des documents relatifs à la situation dans le pays sur lesquels les avocats et les agents se sont appuyés était de mise. En outre, certains rapports sur le pays préparés annuellement n’étaient pas encore disponibles pour l’année 2020. Le demandeur a donc soutenu qu’aucun des éléments de preuve qui servent habituellement de fondement aux décisions (par exemple, les documents contenus dans le plus récent cartable national de documentation) ne devait être pris en compte sans qu’il en soit avisé et ait la possibilité de formuler des observations, car [Traduction] « [ils] risquaient fort de ne plus être d’actualité compte tenu des événements survenus ». De plus, le demandeur a sollicité un délai supplémentaire pour mettre à jour les observations et les principaux rapports –à mesure que ceux‑ci devenaient disponibles – de façon à ce qu’ils reflètent les événements récents.

[10] À la suite de retards liés à la pandémie, le demandeur a présenté, dans un courriel daté du 8 juin 2020, des observations supplémentaires fondées sur un certain nombre d’articles et a fourni les liens menant à ces derniers. Le demandeur a soutenu que le gouvernement du Sri Lanka [Traduction] « [venait] de prendre une initiative tellement extraordinaire » qu’il fallait que l’agent en soit informé. Le demandeur a expliqué que, le 2 juin 2020, le président du Sri Lanka a créé une force opérationnelle présidentielle dotée de vastes pouvoirs et poursuivant des objectifs flous. Bon nombre des personnes nommées à titre de membres de la force opérationnelle présidentielle avaient des antécédents militaires et avaient participé à la guerre civile sri‑lankaise, ce qui inquiétait fortement le demandeur tout comme l’absence de surveillance législative et ses effets sur la primauté du droit. Le demandeur a soutenu que l’initiative du gouvernement sri‑lankais avait [Traduction] « des conséquences désastreuses sur la protection des droits de la personne au pays et [constituait] une première étape vers une oppression encore plus grande des Tamouls (et des autres groupes minoritaires) et un pas de plus vers l’effondrement de l’état de droit ». Il a ajouté ce qui suit : [Traduction] « [i]l s’agit donc d’une preuve importante quant au risque auquel le demandeur sera exposé au Sri Lanka ».

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11] L’agent a examiné les motifs pour lesquels la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur au titre de la LIPR. Le demandeur a affirmé qu’il était soupçonné d’appartenir aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (les TLET) contre lesquels l’armée sri‑lankaise a combattu pendant la guerre civile qui a pris fin en 2009. Le demandeur a quitté le Sri Lanka en 2010 après la fin de la guerre lorsqu’il a été libéré d’un camp pour personnes déplacées, car il craignait d’être associé aux TLET. Il a affirmé avoir été détenu dans ce camp et avoir par la suite été interrogé à son domicile par les autorités, qui entretenaient des soupçons à son égard parce que son frère avait été emprisonné à Colombo.

[12] L’agent a exposé les prétentions du demandeur et le raisonnement de la SPR de façon assez détaillée. L’agent a souligné que la SPR avait conclu que rien n’indiquait que le gouvernement s’intéresserait au demandeur autrement que pour procéder à un interrogatoire de routine. La SPR est arrivée à la conclusion que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger au Canada, soulignant que le demandeur n’avait jamais été recherché, arrêté ou détenu par les autorités sri‑lankaises. La SPR a en outre conclu que, s’il avait vraiment été considéré comme ayant des liens avec les TLET, il n’aurait pas pu se déplacer et quitter le Sri Lanka aussi facilement qu’il semble l’avoir fait. Il n’y avait donc « aucun élément de preuve démontrant qu’[il] serait considéré comme ayant des liens avec les TLET » et « aucune raison de craindre un retour, car il n’a très clairement pas un profil qui intéresserait les autorités ».

[13] L’agent a souligné que l’ERAR était l’occasion pour le demandeur de présenter les risques susceptibles de faire obstacle à son retour au Sri Lanka et que, par conséquent, seuls les éléments de preuve nouveaux, ou les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles ou n’auraient pas pu normalement être présentés devant la SPR, seraient évalués. L’agent a ensuite déclaré ce qui suit : [Traduction] « [é]tant donné que le but de l’ERAR est d’évaluer le risque prospectif, je préfère accorder davantage de poids aux plus récentes sources disponibles ».

[14] L’agent a admis l’observation du demandeur selon laquelle les changements liés à la pandémie qui sont survenus au Sri Lanka avaient eu pour effet de concentrer le pouvoir entre les mains d’un petit nombre de personnes, notamment par la création d’une force opérationnelle présidentielle. L’agent a reconnu que le vaste mandat attribué à la force opérationnelle présidentielle pouvait permettre aux autorités de pourchasser leurs opposants à titre de [Traduction] « groupes sociaux » se livrant à des [Traduction] « activités antisociales ». L’agent a souligné que la force opérationnelle présidentielle comptait 13 membres, dont plusieurs personnes ayant fait partie des forces militaires pendant la guerre civile ou ayant tenté de perturber les activités de la commission électorale ou de réduire les opposants au silence sur les médias sociaux. L’agent a reconnu la préoccupation du demandeur quant au fait que la force opérationnelle était en contact direct avec le président et qu’aucune véritable surveillance n’était exercée.

[15] L’agent a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Je reconnais que ces changements ne sont pas idéaux pour la minorité tamoule, mais il n’y a aucune preuve que le demandeur serait personnellement pris pour cible. Selon la décision de la SPR, le demandeur n’a pas un profil susceptible d’intéresser les autorités. Même si les changements en cours entraînaient une augmentation des contrôles ciblant les personnes soupçonnées d’être membres des TLET, le demandeur ne présenterait pas davantage d’intérêt pour les autorités. Il incombe au demandeur de présenter toute la documentation qui, selon lui, doit être prise en considération dans le cadre de l’ERAR; or, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le demandeur serait exposé à un risque quelconque du fait de son appartenance à l’ethnie tamoule et de son lieu de résidence dans la province du Nord.

[16] L’agent a conclu que, compte tenu de [Traduction] « l’information au dossier et du fait que j’accorde davantage de poids à la documentation objective qui existe sur le Sri Lanka, je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour établir que le demandeur serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution fondée sur un des motifs prévus par la Convention ». L’agent a conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit soumis à la torture ou à des traitements cruels et inusités s’il était renvoyé au Sri Lanka.

[17] Dans la section suivante des motifs (intitulée [Traduction] « Résultats de l’évaluation »), l’agent a conclu qu’il existait un lien entre la situation du demandeur et l’un des motifs prévus par la Convention mentionnés à l’article 96 de la LIPR. L’agent a cependant conclu [Traduction], « à la lumière de la preuve qui m’a été présentée sous la forme de déclarations et de documents sur le pays accessibles au public », qu’il était fort peu probable que le demandeur soit persécuté au Sri Lanka en tant que membre présumé des TLET. L’agent a également conclu qu’il était peu probable que le demandeur soit soumis à des peines cruelles ou inusitées au sens de l’article 97 s’il était renvoyé au Sri Lanka, et n’a relevé aucun motif sérieux de croire qu’il serait exposé au risque d’être soumis à la torture.

[18] Par conséquent, l’agent a rejeté la demande d’ERAR.

[19] Dans la section [Traduction] « Sources consultées » de ces motifs, l’agent a indiqué ce qui suit : [Traduction] « Demande d’examen des risques avant renvoi reçue le 12 novembre 2019, y compris les observations et la preuve documentaire à l’appui ». L’agent n’a mentionné aucun autre élément de preuve relatif à la situation au Sri Lanka.

[20] Dans les observations écrites qu’il a présentées à la Cour, le demandeur a contesté le caractère raisonnable de la décision de l’agent sur le fondement de plusieurs motifs interreliés se rapportant, de façon générale, au prétendu défaut de l’agent d’évaluer les documents objectifs sur la situation dans le pays – en particulier la preuve relative à l’existence de nouveaux risques – au regard du véritable profil du demandeur, et au fait que l’agent n’aurait pas fourni dans ses motifs écrits d’explications démontrant qu’il avait bel et bien procédé à cette évaluation.

[21] À l’audience, le demandeur a resserré et précisé son argumentation. Il a soutenu que les motifs de l’agent n’étaient ni intelligibles, ni transparents, ni dûment justifiés puisque l’agent a écarté sa preuve concernant l’existence de nouveaux risques au Sri Lanka et a admis des éléments de preuve objectifs non spécifiés et non divulgués en ce qui concerne la situation dans le pays. Il a affirmé que, dans ses motifs, l’agent n’avait pas adéquatement expliqué quels étaient ces éléments de preuve et pourquoi ils l’avaient convaincu qu’il y avait lieu de rejeter la demande d’ERAR.

III. Analyse

A. Norme de contrôle

[22] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une évaluation déférente et rigoureuse de la question de savoir si une décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont le décideur était saisi, constituent le point de départ du contrôle : Vavilov, aux para 84, 91‑96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28‑33. Le contrôle effectué par la Cour s’intéresse à la fois au raisonnement suivi par le décideur et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86.

[23] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105‑106 et 194;

[24] La Cour suprême a relevé deux catégories de lacunes fondamentales dans les décisions administratives : la première prend la forme d’un manque de logique interne dans le raisonnement; la seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision : Vavilov, au para 101; Société canadienne des postes, aux para 32, 35 et 39.

[25] Une erreur mineure ou une lacune accessoire ne justifient pas d’annuler une décision. Pour que son intervention soit justifiée, la Cour doit être convaincue que la décision comporte une erreur suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 13.

B. La décision rendue par l’agent relativement à la demande d’ERAR était‑elle raisonnable?

[26] À l’audience devant la Cour, le demandeur a insisté sur les trois déclarations suivantes, contenues dans les motifs de l’agent :

(a) [Traduction] « Étant donné que le but de l’ERAR est d’évaluer le risque prospectif, je préfère accorder davantage de poids aux plus récentes sources disponibles »;

(b) « Compte tenu de l’information au dossier et du fait que j’accorde davantage de poids à la documentation objective qui existe sur le Sri Lanka, je conclus [...] »;

(c) « [...] à la lumière de la preuve qui m’a été présentée sous la forme de déclarations et de documents sur le pays accessibles au public [...] ».

[27] Le demandeur a soutenu que ces trois déclarations laissaient entendre que, lors de la rédaction de la décision relative à la demande d’ERAR, l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve objectifs non spécifiés en ce qui concerne la situation dans le pays. Le demandeur a fait valoir que l’agent s’était appuyé sur ces éléments de preuve non spécifiés pour conclure qu’il ne serait pas exposé à un risque à son retour au Sri Lanka. Il a soutenu que, puisque l’agent n’a pas expressément divulgué, analysé ou énuméré les éléments de preuve supplémentaires sur la situation dans le pays dont il a tenu compte, ses motifs n’étaient ni intelligibles ni transparents et ne justifiaient pas de façon appropriée sa décision défavorable quant à l’ERAR.

[28] Le défendeur n’était pas de cet avis. Le défendeur a soutenu que l’agent n’avait fait référence à aucun élément de preuve non spécifié. Il s’est dit d’avis que l’agent avait, en fait, examiné les conclusions de la SPR quant aux risques présents au Sri Lanka et tenu compte des observations du demandeur concernant les nouveaux risques liés à la force opérationnelle présidentielle que l’avocate du demandeur a décrits dans ses courriels du 5 mars et du 8 juin 2020. L’agent a conclu que la preuve n’était [Traduction] « pas suffisante » pour établir que le demandeur serait exposé à un risque de persécution au sens de l’article 96 ou au risque d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements au sens du paragraphe 97(1).

[29] Le défendeur a soutenu que l’agent avait suffisamment tenu compte dans ses motifs de la position et des observations du demandeur quant aux risques auxquels il serait exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka. Le défendeur a souligné que, dans son courriel du 5 mars 2020, le demandeur a informé l’agent qu’on ne pouvait pas se fier aux éléments de preuve sur la situation dans le pays provenant de sources externes – l’agent devait uniquement tenir compte des renseignements fournis par le demandeur ou devait donner au demandeur la possibilité de présenter des observations supplémentaires sur les autres éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays. En ce qui concerne le courriel du 8 juin 2020, le défendeur a soutenu que le demandeur affirmait essentiellement que l’existence de la force opérationnelle présidentielle pourrait avoir des conséquences pour lui, ce qui n’est pas suffisant pour qu’une protection lui soit accordée au titre de la LIPR.

[30] Je souscris généralement aux observations du défendeur et je conclus que le demandeur n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable.

[31] À la lecture des motifs de l’agent dans leur ensemble et dans le contexte du dossier, je ne peux conclure que l’agent a tenu compte d’éléments de preuve non spécifiés ou non identifiés en ce qui concerne la situation dans le pays. L’agent n’a répertorié aucun élément de preuve de ce genre dans la section [Traduction] « Sources consultées » et le dossier certifié du tribunal (le DCT) n’en contient aucun.

[32] Aucune des trois déclarations recensées par le demandeur ne fait expressément référence à une source extérieure aux documents contenus dans le DCT. Lorsqu’elle est lue conjointement avec le reste du paragraphe, la déclaration de l’agent selon laquelle il préfère [Traduction] « accorder davantage de poids aux plus récentes sources disponibles » se révèle être une simple déclaration générale quant au type de preuve sur lequel l’agent préfère s’appuyer lorsqu’il évalue des demandes d’ERAR. La deuxième déclaration, qui concerne le fait d’accorder [Traduction] « davantage de poids à la documentation objective qui existe sur le Sri Lanka », était également une observation sur la valeur relative des éléments de preuve. La troisième déclaration, qui fait référence à la preuve [Traduction] « qui m’a été présentée sous la forme de déclarations et de documents sur le pays accessibles au public », semble renvoyer à la preuve du demandeur sur la situation dans le pays qui a été versée au DCT et non à des éléments de preuve non spécifiés ou non identifiés concernant la situation dans le pays.

[33] Même si j’admettais qu’une de ces trois déclarations était involontairement ambiguë quant à la preuve qui a été prise en compte, je ne pourrais conclure que la décision de l’agent était déraisonnable en l’espèce : Vavilov, au para 100; Mason, au para 36; Alexion Pharmaceuticals, au para 13.

[34] Il est possible que, dans chacun de ces cas, l’agent ait repris des formulations normalisées utilisées dans des décisions d’ERAR antérieures et que, dans le contexte de la présente affaire, ces formulations aient donné au demandeur matière à soutenir que l’agent s’était appuyé sur des éléments de preuve non spécifiés en ce qui concerne la situation dans le pays. Ma conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas établi que la décision était déraisonnable pour les motifs invoqués ne diminue pas l’obligation des décideurs de rédiger des motifs soigneusement adaptés à la situation de chaque demandeur et de tenir compte de la preuve présentée à l’appui de chaque demande.

[35] J’ai également évalué le caractère raisonnable de la décision de l’agent de façon plus générale. Selon la lecture que je fais des motifs de l’agent, ce dernier a expressément tenu compte des observations du demandeur concernant la force opérationnelle présidentielle. Il a cependant conclu qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que le demandeur serait personnellement pris pour cible et que ce dernier n’avait pas un profil susceptible d’intéresser les autorités sri‑lankaises (comme l’avait conclu la SPR). Comme l’a souligné le défendeur, l’agent a tenu compte de la possibilité, évoquée par le demandeur dans ses observations, que les contrôles ciblant les personnes soupçonnées d’être membres des TLET augmentent. L’agent a conclu que, même si cette possibilité se concrétisait, le demandeur ne présenterait pas davantage d’intérêt pour les autorités. L’agent a souligné qu’il incombait au demandeur de présenter toute la documentation qui, selon lui, devait être prise en considération dans le cadre de l’ERAR, et a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que le demandeur serait exposé à un risque du fait qu’il appartenait à l’ethnie tamoule et avait son lieu de résidence dans la province du nord du Sri Lanka.

[36] À la suite de cette analyse de la position du demandeur et de la preuve présentée relativement à la situation dans le pays, l’agent a conclu que la preuve n’était [Traduction] « pas suffisante » pour établir qu’il y aurait plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté pour un des motifs prévus par la Convention.

[37] Lorsqu’on l’examine dans son ensemble et à la lumière du dossier, le raisonnement suivi par l’agent indique que ce dernier a conclu que les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays décrits dans les courriels de l’avocate du demandeur n’étaient pas suffisants pour établir, aux fins de l’ERAR, que de nouveaux risques étaient apparus au Sri Lanka. J’estime qu’il était loisible à l’agent d’en arriver à cette conclusion compte tenu du dossier et de la teneur des observations du demandeur : Vavilov, aux para 91‑96. La décision de l’agent n’était pas indéfendable à la lumière des contraintes factuelles pertinentes : Vavilov, au para 101; Société canadienne des postes, aux para 32, 35 et 39. Le demandeur n’a pas fait valoir que l’analyse de l’agent comportait une erreur de droit.

IV. Conclusion

[38] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6744‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

Blank

« Andrew D. Little »

Blank

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6744‑20

 

INTITULÉ

KETHESWARAN THEVARASA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 AVRIL 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A. D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Sarah L. Boyd

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD:

Sarah L. Boyd

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Veronica Cham

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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