Date : 20220525
Dossier : IMM-300-21
IMM-368-21
Référence : 2022 CF 759
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 25 mai 2022
En présence de monsieur le juge Andrew D. Little
ENTRE :
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SHAHROKH MOHAMMADPOUR
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
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DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur a déposé deux demandes de contrôle judiciaire pour contester deux décisions rendues par le même agent principal le 26 novembre 2020, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Dans sa première décision, l’agent a rejeté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR). Dans sa deuxième décision, il a rejeté la demande de visa de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur à partir du Canada. Le demandeur sollicite l’annulation des deux décisions et demande à notre Cour de les renvoyer à un nouvel agent pour nouvelle décision.
[2] Pour les motifs qui suivent, je conviens que les deux décisions doivent être annulées.
I.
Contexte
[3] Le demandeur est un citoyen iranien de 31 ans. Il est entré au Canada grâce à un permis d’études en novembre 2015. En mai 2016, le demandeur a déposé une demande d’asile, car il craignait d’être persécuté ou que sa vie soit menacée en Iran. Sa demande d’asile était fondée sur son orientation sexuelle.
[4] Le demandeur a affirmé qu’avant d’arriver au Canada, il a été détenu deux fois en Iran en raison de sa relation intime avec un homme nommé Reza. Après son arrivée au Canada, il a reçu un appel de sa mère l’informant que les gardiens de la révolution en Iran avaient arrêté Reza, qu’ils avaient saisi son ordinateur portable et qu’ils étaient à sa recherche.
[5] Dans une décision du 16 janvier 2017, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR n’était pas convaincue que le demandeur avait établi son identité d’homme homosexuel. Elle a conclu que la crédibilité était la question déterminante. La SPR a conclu que a) le demandeur avait embelli sa demande en alléguant, au cours de l’audience, que son ordinateur portable comportait des photos compromettantes, alors qu’il ne l’avait pas mentionné dans son formulaire de fondement de la demande d’asile; b) le demandeur n’avait pas démontré qu’il entretenait une relation avec Reza; c) le demandeur avait attendu six mois après son arrivée au Canada pour présenter une demande d’asile sur le fondement de la LIPR.
[6] Dans une décision du 17 mai 2017, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé les conclusions de la SPR. La SAR a également conclu que le demandeur n’avait pas démontré son orientation sexuelle et qu’il n’avait donc aucune crainte subjective d’être exposé à des risques s’il retournait en Iran.
[7] En septembre 2017, notre Cour a rejeté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.
[8] Le 20 août 2019, le demandeur a présenté une demande d’ERAR. Le 28 février 2020, le demandeur a déposé sa demande de résidence permanente dans laquelle il sollicitait une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le demandeur a fourni de nouveaux éléments de preuve à l’appui de ses demandes pour démontrer et corroborer son orientation sexuelle en tant qu’homme homosexuel, sa relation au Canada avec son partenaire de l’époque et sa crainte d’être persécuté par l’État en Iran. La preuve comprenait une déclaration solennelle du demandeur et une lettre de soutien assermentée de son petit ami, avec qui il vivait à l’époque. Je désignerai le petit ami du demandeur par « M »
afin de respecter sa vie privée, car leur relation a pris fin.
[9] Le demandeur a également déposé des lettres d’appui de son frère, de son superviseur, de son employeur et de plusieurs amis; des lettres d’appui de deux organisations LGBTQ+ à Toronto; des captures d’écran des conversations WhatsApp entre le demandeur et M, qui ont été traduites en anglais; des photos, y compris avec son petit ami de l’époque et ceux qu’il avait eus avant (dont une photo le montrant en train d’embrasser un ancien petit ami); une série de documents sur le traitement des personnes LGBTQ+ en Iran.
[10] Le demandeur a également fourni des traductions certifiées d’une lettre de sommation datée du 29 juillet 2017 et d’un mandat d’arrêt daté du 13 août 2017, qui indiquent qu’il a été accusé en Iran de comportement contraire à l’islam et de sodomie. Cependant, le demandeur n’a pas déposé l’original de la lettre de sommation ni du mandat d’arrêt en farsi à l’appui de la demande d’ERAR ou de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
II.
Les décisions faisant l’objet du contrôle
[11] Dans deux décisions datées du 26 novembre 2020, l’agent a rejeté la demande d’ERAR et la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les deux décisions ont été fortement influencées par la conclusion de l’agent selon laquelle les nouveaux éléments de preuve fournis ne démontraient pas l’orientation sexuelle du demandeur et ne le persuadaient pas que les allégations rejetées par la SPR et la SAR étaient [traduction] « crédibles et vraies »
.
A.
La décision relative à l’ERAR
[12] Dans ses motifs au sujet de l’ERAR, l’agent a affirmé ce qui suit :
[traduction]
Comme j’ai rejeté la demande d’asile sur la foi de mes conclusions déterminantes au sujet de la crédibilité, je suis peu disposé à accorder beaucoup de poids aux nouveaux éléments de preuve fondés sur les mêmes allégations importantes, à moins qu’ils ne confirment objectivement ou ne corroborent de façon convaincante le risque allégué.
[13] L’agent a fait remarquer que le demandeur n’avait pas fourni les originaux de la lettre de sommation et du mandat d’arrêt, ou des copies des originaux. L’agent a conclu sommairement : [TRADUCTION] « Je ne peux pas évaluer les traductions sans avoir au moins une copie des originaux. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de ces documents dans ma décision. »
[14] L’agent a ensuite examiné les lettres attestant de l’orientation sexuelle du demandeur et de sa relation avec M, en plus de la propre déclaration solennelle du demandeur. Il a conclu que les lettres étaient vagues et leur a accordé [traduction] « peu de valeur probante et de poids pour déterminer si le demandeur est homosexuel »
.
[15] Par exemple, l’agent a écrit : [TRADUCTION] « Navid Mohammadpour, le frère du demandeur, déclare qu’il n’est pas facile pour lui d’accepter l’homosexualité de son frère, mais n’indique pas comment il l’a su ni s’il a déjà rencontré un des petits amis du demandeur. »
De même, l’agent a rejeté la lettre de l’employeur du demandeur, qui attestait connaître son orientation sexuelle et avoir rencontré M à plusieurs reprises, au motif que l’employeur ne précisait pas comment il avait appris l’orientation sexuelle du demandeur ni quand le demandeur et M s’étaient rencontrés. L’agent a conclu que les éléments de preuve fournis par le demandeur étaient insuffisants pour établir son orientation sexuelle ou qu’il serait exposé à un risque en Iran.
[16] L’agent a également accordé peu de valeur probante et de poids aux deux lettres de groupes LGBTQ+ de Toronto qui ont été fournies pour démontrer l’orientation sexuelle du demandeur.
[17] L’agent a examiné les déclarations solennelles du demandeur soumises à l’appui de sa demande d’ERAR et de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il les a également jugées vagues et insuffisamment précises quant aux relations antérieures du demandeur et à sa relation de l’époque avec M.
[18] Dans sa décision relative à l’ERAR, l’agent a accepté que le demandeur et M vivaient ensemble. Toutefois, il a conclu que la description générale que le demandeur a faite de leur relation était vague parce qu’il n’a pas précisé le contexte dans lequel ils se sont rencontrés, leurs [traduction] « rencontres subséquentes »
, le moment où ils ont commencé à parler d’emménager ensemble, le moment où ils ont emménagé ensemble, le moment où ils ont décidé d’avoir une relation sérieuse, le moment où il en a parlé à ses amis ou le moment où il a rencontré les amis de M. L’agent a conclu qu’il en était de même pour la lettre d’appui de M.
[19] Le demandeur a également fourni des messages WhatsApp adressés à M et provenant de ce dernier, envoyés sur une période de deux mois, de juin à août 2019. Le même traducteur qui avait traduit la lettre de sommation et le mandat d’arrêt a également traduit ces messages. L’agent a conclu que ces messages ne permettaient pas de mieux comprendre leur relation.
[20] L’agent a conclu que les messages WhatsApp et les photos du demandeur et de ses petits amis [traduction] « auraient pu offrir une valeur probante substantielle s’il avait disposé de messages s’étalant sur une plus longue période et si l’affidavit du demandeur et la lettre de [M] avaient été moins vagues et, par conséquent, avaient eu une plus grande valeur probante »
. L’agent a fait remarquer « qu’une seule photo montrant le demandeur en train d’embrasser un homme n’établit pas qu’il est homosexuel »
.
[21] En raison de l’imprécision des descriptions de la relation entre le demandeur et M, de l’absence de valeur probante des messages WhatsApp et des photos, le demandeur n’avait pas démontré qu’il entretenait une relation avec M.
[22] L’agent a donc conclu qu’en l’absence de [traduction] « nouveaux faits importants qui ont été établis selon la prépondérance des probabilités »
, et pour les motifs qu’il venait d’exposer, les éléments de preuve n’établissaient pas l’orientation sexuelle du demandeur ni qu’il était exposé à un risque en Iran. L’agent ne pouvait donc pas conclure que les allégations du demandeur qui avaient été rejetées à cause de leur manque de crédibilité étaient maintenant « crédibles et vraies »
, selon la prépondérance des probabilités.
[23] En ce qui concerne le traitement des personnes LGBTQ+ en Iran, l’agent a reconnu que l’Iran était un [traduction] « pays immensément homophobe »
et qu’il y avait de graves manquements aux droits de la personne, notamment des exécutions illégales ou arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture commis par des agents du gouvernement, une corruption généralisée et des détentions et emprisonnements arbitraires. Toutefois, le demandeur n’avait pas démontré comment ces manquements l’affecteraient ou comment ils le mettraient en danger.
[24] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré plus qu’une simple possibilité qu’il serait persécuté en Iran pour un motif prévu par la Convention énoncé à l’article 96 de la LIPR, ou qu’il serait exposé à l’une des conditions pour lesquelles une protection est prévue aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR.
B.
La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire
[25] Dans sa décision du 26 novembre 2020 relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui accompagnait une lettre au demandeur datée du 27 novembre 2019, l’agent a renvoyé aux conclusions de sa décision relative à l’ERAR et à la conclusion selon laquelle les nouveaux éléments de preuve n’établissaient pas de nouveaux faits probables le persuadant que les allégations rejetées par le tribunal de la SPR étaient désormais susceptibles d’être [traduction] « crédibles et vraies »
. Par conséquent, l’agent n’était « pas prêt à accorder un quelconque poids aux difficultés auxquelles le demandeur serait confronté en tant qu’homosexuel en Iran, car, selon la prépondérance des probabilités, ces questions n’ont pas été établies dans les faits »
. L’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur.
III.
Analyse
[26] Les parties conviennent que la décision au sujet de l’ERAR et la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable par notre Cour. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont était saisi le décideur, sont le point de départ du contrôle : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 12‑13, 84, 91‑97 et 103. Le contrôle effectué par la Cour s’intéresse au raisonnement suivi et au résultat : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, plus particulièrement aux para 85, 99, 101, 105‑106 et 194.
[27] Lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale, la Cour ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard du décideur. La question est de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : Gordillo c Canada (Procureur général), 2022 CAF 23 au para 63; Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46‑47.
[28] Le demandeur conteste les deux décisions parce qu’elles reposent sur une appréciation erronée des éléments de preuve concernant son orientation sexuelle. Cette appréciation figure dans les motifs de la décision relative à l’ERAR. Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte des risques auxquels il serait exposé ou des difficultés qu’il rencontrerait en tant qu’homosexuel en Iran. Selon le demandeur, les conclusions de l’agent ne sont pas des conclusions sur le caractère suffisant de la preuve, mais plutôt des conclusions voilées sur la crédibilité.
[29] Le demandeur fait également valoir qu’il avait demandé la tenue d’une audience en cas de doutes sur sa crédibilité, mais l’agent ne l’a pas convoqué. À mon avis, ces observations soulèvent des questions d’équité procédurale ainsi que des questions concernant la décision que l’agent a rendue sur le fond.
[30] Le défendeur soutient que les décisions de l’agent sont raisonnables. Selon le défendeur, à la lumière des conclusions de la SPR et de la SAR sur la crédibilité de l’orientation sexuelle du demandeur, il était raisonnable pour l’agent d’exiger que le demandeur fournisse davantage d’éléments de preuve pour s’acquitter du fardeau qui lui incombait. Le défendeur soutient qu’« [u]n agent d’immigration [...] peut accorder peu de poids, voire aucun, aux éléments de preuve qui portent sur des risques déjà évalués par la SPR; à ceux dont la source n’est pas impartiale; ou à ceux qui sont vagues, contradictoires ou non corroborés »
(citant Kopalapillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 501 au para 27). Le défendeur fait également valoir que les conclusions de l’agent étaient fondées sur l’insuffisance de la preuve, et non sur la crédibilité, et que l’agent n’était donc pas tenu de convoquer une audience.
[31] Je conviens avec le demandeur que les deux décisions de l’agent étaient étroitement liées, car les conclusions que l’agent a formulées dans l’ERAR concernant l’orientation sexuelle du demandeur ont eu un impact direct et fondamental sur le résultat des deux décisions – c’est-à-dire à l’égard du risque encouru par le demandeur en Iran dans la décision relative à l’ERAR, et à l’égard des difficultés qu’il pourrait y rencontrer dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[32] J’ai conclu que les décisions de l’agent doivent être annulées, pour deux raisons.
[33] Premièrement, je conviens avec le demandeur que les conclusions de l’agent sur la preuve relative à son orientation sexuelle concernaient la crédibilité, et non le caractère suffisant des éléments de preuve présentés. Dans les deux décisions, l’agent a expressément conclu que les allégations du demandeur qui avaient été rejetées précédemment au motif qu’elles étaient non crédibles n’étaient pas devenues [traduction] « crédibles et vraies »
, selon la prépondérance des probabilités. Compte tenu de ces affirmations formelles et du raisonnement exprimé par l’agent dans la décision relative à l’ERAR sur lequel il s’est fondé pour rendre les deux décisions, l’agent ne doutait pas seulement du caractère suffisant des éléments de preuve soutenant l’orientation sexuelle du demandeur, il avait également des réserves quant à leur crédibilité.
[34] Le demandeur a attesté de sa relation avec M dans sa déclaration sous serment, un fait qui n’avait pas été présenté à la SPR et qui a été corroboré par trois lettres de soutien, chacune d’entre elles étant accompagnée de documents d’identification pour leurs signataires. De plus, et contrairement à la jurisprudence invoquée par le défendeur, le dossier soumis à l’agent comprenait de nouveaux éléments de preuve provenant de M, du frère du demandeur, de son superviseur, de son employeur, de ses amis et de deux organisations sans but lucratif dans lesquels il était impliqué, qui corroboraient le propre témoignage du demandeur concernant son orientation sexuelle et sa relation amoureuse avec M. Le témoignage du demandeur comprenait des détails sur leur rencontre, la raison pour laquelle ils se sont liés et ont formé un couple, le fait qu’ils vivaient ensemble et leur implication au sein de la communauté LGBTQ+ de Toronto. Il a également fourni leurs communications WhatsApp sur une période de deux mois.
[35] Comme je l’ai dit précédemment, l’agent a reconnu que le demandeur et M vivaient ensemble. Cette conclusion était étayée par le dossier, qui contenait une copie d’un bail au nom de M pour le même lieu que l’adresse figurant sur le permis de conduire ontarien du demandeur.
[36] L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il entretenait une relation avec M. Dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a estimé qu’ils avaient une [traduction] « solide amitié »
.
[37] La Cour a reconnu les difficultés inhérentes à l’établissement de l’orientation sexuelle d’une personne : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 341 aux para 29-30; JKL c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1166 aux para 34‑36; Osikoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 720 aux para 34‑36; Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760 aux para 41‑42.
[38] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve : Vavilov, aux para 125‑126. De surcroît, l’agent avait la possibilité de vérifier les faits et d’évaluer le caractère suffisant des éléments de preuve. Notre Cour a reconnu qu’il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité : Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 aux para 25‑27. Le juge Zinn a fait remarquer dans la décision Ferguson que cela se produit lorsque le juge des faits estime que la crédibilité ou la fiabilité n’est pas pertinente, car la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable : Ferguson, au para 26.
[39] Ce n’est pas le cas en l’espèce. Chacune des déclarations fournies par le demandeur, M, l’ami le plus proche de M, l’employeur du demandeur, ses amis et l’une des deux organisations LGBTQ+, indiquait expressément que le demandeur était un homme homosexuel ou s’identifiait comme tel. Plusieurs d’entre eux ont également confirmé que le demandeur et M se fréquentaient. Pour parvenir à sa conclusion, l’agent chargé de l’ERAR devait effectivement ne pas croire l’ensemble de ces déclarations sur cette question importante.
[40] Bien que l’agent ait qualifié les éléments de preuve corroborant l’orientation sexuelle du demandeur de [traduction] « vagues »
à plusieurs reprises, son raisonnement donne fortement à penser qu’il s’est livré à un exercice inapproprié consistant à reconnaître l’existence de lettres et d’autres éléments de preuve étayant ou corroborant l’orientation sexuelle du demandeur en tant qu’homosexuel, avant de les rejeter systématiquement en raison de ce qui n’était pas dit (dans le cas des déclarations corroborantes) ou pas décrit (dans le cas des photographies – bien que l’agent ait accepté qu’« une photo montre le demandeur en train d’embrasser son ex-petit ami »
), ou pour d’autres considérations (l’agent a laissé entendre que les messages sur WhatsApp n’étaient pas authentiques compte tenu de la durée des échanges) : Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1082 au para 27; Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 aux para 21‑22.
[41] Il est évident que l’appréciation des éléments de preuve par l’agent concernait principalement leur fiabilité et la question de savoir s’ils étaient crédibles, et non leur caractère suffisant ou le poids à accorder aux éléments de preuve crédibles. Dans son appréciation des éléments de preuve, l’agent a essentiellement tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité sur une question fondamentale – probablement la question fondamentale – dans la demande d’ERAR et la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, sans fonder ces conclusions sur des témoignages ou des documents incohérents et sans accorder d’audience au demandeur : Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 aux para 27‑28, 36‑37 et 43; Qosaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 565 aux para 4, 36, 40‑42, 46‑51 et 53; Sitnikova, au para 5; Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984 au para 34; Uddin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1289 au para 3. Voir également l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.
[42] Il ne s’agit pas d’une affaire où il suffit d’affirmer que le demandeur était un membre de la communauté LGBTQ+ : voir Lin, aux para 29‑34. Des éléments de preuve fournis par le demandeur, son partenaire de l’époque et de nombreuses autres personnes, ainsi que des documents montrant qu’il résidait avec M, appuyaient sa demande d’asile. Je conclus que l’appréciation par l’agent du fondement factuel de la demande d’asile fondée sur l’orientation sexuelle du demandeur était déraisonnable, car elle ne respectait pas les contraintes factuelles de la preuve ayant une incidence sur la décision, contrairement aux exigences de l’arrêt Vavilov. Ces conclusions déraisonnables étaient fondamentales dans le cadre de l’examen des deux demandes, car elles ont directement influé sur la décision de l’agent de ne pas tenir compte des risques associés au fait que le demandeur devrait retourner en Iran dans sa décision relative à l’ERAR, et des difficultés auxquelles il pourrait être exposé en Iran dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[43] Le deuxième motif justifiant l’annulation des deux décisions de l’agent concerne la façon dont il a traité la lettre de sommation et le mandat d’arrêt. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’agent a refusé d’apprécier ces documents parce que le demandeur n’avait pas fourni les originaux, ou une copie des originaux, avec ses demandes, alors qu’il avait fourni la traduction anglaise de ces documents. Ces documents étaient potentiellement très importants pour les deux demandes : ils concernaient l’éventuelle arrestation du demandeur pour comportement contraire à l’islam et sodomie à son retour en Iran. Comme je l’ai déjà indiqué, l’agent a accepté les éléments de preuve relatifs au traitement des personnes LGBTQ+ en Iran, estimant que l’Iran était un [traduction] « pays immensément homophobe »
et qu’il y avait de graves manquements aux droits de la personne et d’autres problèmes.
[44] Si l’agent pouvait exiger que des copies des documents originaux accompagnent les traductions certifiées, j’estime qu’en l’espèce, il avait l’obligation de soulever l’absence des documents originaux, ou d’une copie de ceux-ci, auprès du demandeur et de lui donner l’occasion de les présenter avant de décider de les écarter.
[45] En supposant que l’insistance de l’agent à obtenir une copie de la lettre de sommation et du mandat d’arrêt était plus qu’une simple question de forme, les doutes de l’agent étaient vraisemblablement liés à leur existence et leur authenticité. Cependant, les éléments de preuve au dossier soutenaient l’existence des documents et leur contenu.
[46] Le dossier présenté à l’agent comprenait une traduction anglaise certifiée des documents originaux par un traducteur de l’Ontario. Cette traduction certifiée impliquait nécessairement l’existence de documents sous-jacents que le traducteur devait traduire – en effet, les deux traductions indiquaient au recto qu’une copie de l’original était jointe. Je remarque que le traducteur qui a traduit ces deux documents en anglais était aussi celui qui avait traduit les communications WhatsApp entre le demandeur et M. L’agent a tenu compte de la traduction anglaise de ces messages sans se préoccuper des qualifications ou de la bonne foi du traducteur.
[47] En outre, la preuve comprenait une déclaration d’un ami du demandeur qui a vérifié de façon indépendante l’existence des deux documents et a expliqué comment le demandeur en avait pris possession. L’ami a fait sa déclaration devant témoin et a présenté une pièce d’identité canadienne à l’appui. Il a indiqué qu’il s’était rendu en Iran et que, pendant son séjour, il avait rencontré les parents du demandeur. L’ami a déclaré que les parents du demandeur lui avaient dit que les gardiens de la révolution recherchaient le demandeur et avaient émis un mandat d’arrêt et une lettre de sommation à son égard. En mai 2018, à son retour au Canada, l’ami a rapporté le mandat d’arrêt et la lettre de sommation d’Iran et les a remis au demandeur. Les motifs de l’agent ne mentionnaient pas ou ne tenaient pas compte de cet élément de preuve, qu’il aurait fallu ignorer ou ne pas croire pour conclure que les documents n’existaient pas.
[48] En outre, une lettre du conseiller juridique du demandeur, dans laquelle étaient joints les documents relatifs à la demande d’ERAR, y compris la déclaration du demandeur à laquelle étaient jointes les traductions, confirmait que [traduction] « les documents originaux [étaient] disponibles sur demande du décideur »
.
[49] Outre ces considérations, je suis conscient du contenu et de l’importance potentielle de la lettre de sommation et du mandat d’arrêt pour les demandes du demandeur, ainsi que des autres conclusions de l’agent concernant les conditions des membres de la communauté LGBTQ+ en Iran et les problèmes que le demandeur devrait affronter s’il devait retourner dans ce pays.
[50] Dans ces circonstances, par souci d’équité procédurale envers le demandeur et en application de la norme de la décision raisonnable ainsi que des principes de l’arrêt Vavilov et des alinéas 18.1(4)b) et d) de la Loi sur les Cours fédérales, je conclus que l’agent devait permettre au demandeur de fournir l’original de la lettre de sommation et du mandat d’arrêt avant d’écarter entièrement leur traduction pour rendre ses deux décisions; il ne pouvait simplement écarter les éléments de preuve étayant l’existence et le contenu de la lettre de sommation et du mandat d’arrêt sans permettre au demandeur de fournir les originaux.
IV.
Conclusion
[51] Pour ces motifs, je conclus que les deux décisions doivent être annulées. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’issue appropriée des deux décisions lors du réexamen; ce n’est pas ce que la Cour a fait dans les présents motifs.
[52] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est soulevée.
JUGEMENT dans les dossiers IMM-300-21 et IMM-368-21
LA COUR STATUE :
Les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies. Les deux décisions du 26 novembre 2020 sont annulées.
La demande de visa de résident permanent du demandeur, dans laquelle il sollicite une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et la demande d’examen des risques avant renvoi sont toutes deux renvoyées à un autre agent pour réexamen. Le demandeur est autorisé à mettre à jour ou à compléter ses éléments de preuve et ses observations pour les deux demandes.
Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Vide
Vide
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Traduction certifiée conforme
Mylène Boudreau
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-300-21 ET IMM-368-21
|
INTITULÉ :
|
SHAHROKH MOHAMMADPOUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 21 MARS 2022
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
|
LE JUGE A.D. LITTLE
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 25 MAI 2022
|
COMPARUTIONS :
Nicholas Woodward
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Nimanthika Kaneira
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nicholas Woodward
Avocat
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
|
Nimanthika Kaneira
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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